Examen, ouvert à la presse, du projet de loi, adopté par le Sénat, relatif à la violation des embargos et autres mesures restrictives (n° 732) – M. Pouria Amirshahi, rapporteur.
La séance est ouverte à seize heures trente.
Nous examinons aujourd'hui un projet de loi très important, non seulement au regard du contexte, mais aussi des principes : il s'agit de nous donner les moyens de contrôler l'application des embargos instaurés soit par un traité international, soit par une décision onusienne, soit par une décision européenne, soit par la loi nationale, et de prendre les mesures nécessaires lorsqu'ils sont violés.
Dans les années 1990, compte tenu des conflits à l'est de l'Europe et au Moyen-Orient, les embargos se sont multipliés. Prenant acte de ce fait géopolitique nouveau et majeur, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté en 1998 une résolution demandant aux États membres de l'ONU de prendre leurs responsabilités en introduisant dans leur droit national des dispositifs visant à renforcer le contrôle de l'application des embargos sur les armes et à pénaliser leur violation.
La France ne s'est penchée sérieusement sur la question qu'en 2006 : un projet de loi a été déposé et examiné par le Sénat. Puis le processus législatif s'est arrêté et n'a repris qu'en 2013, avec la transmission du texte à notre assemblée. Nos travaux ont été suspendus peu après, les questions syrienne et iranienne, qui n'étaient étrangères ni l'une ni l'autre au débat sur les embargos, se trouvant alors au coeur des enjeux diplomatiques. Depuis lors, les choses se sont accélérées : en ce qui concerne le conflit syrien, l'embargo, qui concernait à l'origine la globalité du pays, a été circonscrit au fur et à mesure des résolutions du Conseil de sécurité ; s'agissant de l'Iran, nous vivons en ce moment même la levée d'un embargo dont certaines mesures étaient en place depuis des décennies.
Le Gouvernement vient d'inscrire à nouveau le projet de loi à l'ordre du jour de notre assemblée, et il nous revient de l'examiner dans un calendrier très contraint, puisqu'il sera discuté en séance publique le 28 janvier prochain. Un grand retard a été pris, mais mieux vaut tard que jamais !
Ce projet de loi – c'est une nouveauté essentielle – concerne non seulement les embargos sur les armes et le commerce illicite des armes, mais aussi les embargos sur l'importation ou l'exportation de biens et les mesures restreignant les activités économiques et financières. Nous assistons à une augmentation globale du nombre de régimes de sanctions de différentes natures. Environ deux cents de ces régimes ont été identifiés dans le monde au XXe siècle, dont la moitié entre les années 1980 et 2000 – on comprend donc pourquoi le Conseil de sécurité s'est saisi de cette question à partir de 1998.
La France applique actuellement des embargos sur les exportations d'armes et de matériels de répression à destination de gouvernements ou de certaines milices dans plus de vingt pays – la liste figure en annexe de mon rapport. En outre, elle gèle les avoirs de personnes ou d'entités issues d'à peu près le même nombre de pays. Enfin, elle met en oeuvre des embargos sur des produits autres que militaires ou assimilés à destination de cinq pays et applique un certain nombre de sanctions financières.
Tous ces régimes de sanctions ont en commun d'avoir été décidés au niveau de l'Union européenne, dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune. Il s'agit en effet d'une compétence explicitement prévue par les traités européens. De plus, même si des mesures nationales ne sont pas formellement exclues, les compétences commerciales et économiques de l'Union font qu'il est plus naturel, en pratique, de décider de telles mesures au niveau européen. Certaines de ces sanctions ont aussi une origine onusienne : elles ont été décidées par le Conseil de sécurité, qui y est habilité par la Charte des Nations unies, et reprises ensuite dans un texte européen.
Je tiens à faire une remarque importante : le projet de loi précise qu'une sanction peut être instaurée par la loi nationale sans être nécessairement la transposition d'une décision internationale. Cela me semble normal : c'est une question de souveraineté nationale. Certains pays européens ont d'ailleurs déjà pris des mesures à titre national, par exemple la Suède à l'égard d'Israël.
Bien que de plus en plus utilisés, les embargos et les sanctions sont assez peu connus et mal évalués. Nous ne pourrons pas nous passer d'un travail d'évaluation les concernant, d'autant qu'ils ont généralement mauvaise presse, et pour cause.
D'un côté, ils sont considérés comme un élément de paix, un moyen d'action puissant et une nouvelle arme diplomatique dont la vertu est d'éviter la guerre ou, à tout le moins, de tenter de l'éviter. Ainsi, dans un rapport de force diplomatique, ils permettent parfois de contraindre un État dans un domaine donné, notamment lorsqu'ils ont une incidence directe sur son économie. Cela a joué à plein, on l'a vu, dans le cas de l'Iran. En outre, en cas de montée des tensions entre deux nations, ils permettent à celles-ci de réagir immédiatement sans que cela débouche sur des actes de guerre. Nous en avons été témoins récemment : lorsque la Turquie a abattu un avion russe le 24 novembre dernier, la Russie a réagi immédiatement en adoptant des sanctions économiques strictes. Ainsi, une confrontation militaire entre les deux pays a été évitée, mais la Russie a mis tout son poids économique dans la balance. De même, quand l'Arabie Saoudite et l'Iran ont rompu leurs relations diplomatiques il y a quelques jours, au-delà des postures, les deux pays ont d'abord bloqué leurs relations commerciales.
D'un autre côté, les embargos ont des conséquences inégales. Les partisans des interventions faites au nom du devoir de protéger voient dans les sanctions une alternative un peu lâche aux opérations militaires. Quant aux organisations non gouvernementales (ONG), elles mettent en avant les conséquences humanitaires catastrophiques de certains embargos. Ainsi, celui qui a été mis en place contre l'Irak après la première guerre du Golfe a probablement provoqué plusieurs centaines de milliers de morts dans ce pays. Parfois, au contraire, les embargos sont sans effet au regard des objectifs recherchés, notamment sur la corruption des dirigeants. Par ailleurs, certains acteurs économiques se plaignent que les embargos portent atteinte à leurs intérêts, car ils induisent des pertes de marchés ou une réduction de leurs exportations. On peut donc être soucieux de limiter les préjudices économiques sur tel ou tel secteur.
Ce projet de loi très important, qui répond à une demande ancienne non seulement de l'ONU mais aussi de la société civile, a pour objectif principal d'empêcher la violation et le contournement des embargos, notamment de ceux sur les armes, et des différentes mesures de sanctions économiques.
Pour prendre un exemple concret, on sait très bien que nous ne viendrons pas à bout de Daesh par les bombardements, aussi longtemps les ferons-nous durer : l'enjeu est d'assécher ses financements.
La question des embargos sur les armes est centrale. Il y a 875 millions d'armes à feu en circulation dans le monde, qui provoquent 500 000 morts par an. Les victimes des conflits sont à 80 % des civils. Or plus ou moins la moitié du commerce mondial des armes à feu individuelles, dite légères, est illégal. Contrôler ce commerce est évidemment une priorité.
En France, en principe, les exportations d'armes sont interdites. En réalité, il existe une série de dérogations qui permettent de les justifier. Elles font l'objet d'un contrôle exercé notamment par le ministère de la défense.
Au niveau international, le traité sur le commerce des armes (TCA) a été adopté en 2013. On peut considérer, d'une certaine manière, que le présent projet de loi en est une application. De mon point de vue, le TCA constitue une avancée : il s'agit d'un instrument à vocation universelle, qui apporte des garanties et améliore les dispositifs de contrôle du commerce des armes – certains d'entre eux sont précis, d'autres moins. Cependant, trois éléments limitent la portée du TCA. Premièrement, une série d'armes sont exclues de son champ d'application, notamment certaines munitions. Deuxièmement, pour le modifier, il faut l'unanimité, alors qu'elle est impossible à obtenir sur un tel sujet – certes, cela ne nous empêche pas d'avoir notre propre stratégie et d'adopter nos propres dispositions nationales en la matière. Troisièmement, plusieurs puissances ne l'ont pas signé, notamment la Russie, la Chine et l'Inde, et les États-Unis ne l'ont pas ratifié.
Au-delà de la nécessite de nous adapter aux réalités internationales et de répondre à la demande de transposition de l'ONU, il est nécessaire d'évaluer notre politique en la matière. La France a une diplomatie très active, fondée sur son histoire. Elle a encore un poids, notamment au Conseil de sécurité. Elle doit donc réaliser une avancée sur cette question, si ce n'est montrer l'exemple.
De plus, il est temps que les Français s'emparent du débat sur cette question, qui ne peut pas rester un échange à huis clos entre spécialistes du commerce des armes et marchands d'armes, ces derniers étant souvent – c'est le problème – de très bons connaisseurs de leur domaine. Les citoyens s'inquiètent, à juste titre, de l'extension permanente de ce commerce. Plus généralement, toute une série d'intérêts privés sont en jeu. Il est donc très important que les ONG contribuent à ce débat. Je présenterai tout à l'heure un amendement visant à favoriser le débat public sur la question des embargos et des sanctions.
Le texte qui nous est proposé définit d'abord de manière précise, à l'article 1er, ce qu'est un embargo ou une mesure restrictive. Il existe déjà, dans nos codes de la défense et des douanes, des dispositions qui sanctionnent l'exportation d'armements sans licence, la contrebande ou le fait de contrevenir aux mesures de restriction des relations économiques et financières prévues par la réglementation communautaire. Mais ces dispositions ne couvrent pas toutes les infractions aux régimes d'embargos et de sanctions existants. De plus, les règles de procédure en matière douanière diffèrent de celles du code pénal : seul le ministre de l'économie peut déclencher les poursuites, et il peut aussi y avoir de discrètes transactions avec l'administration. Outre l'absence de pénalisation, il y a donc des problèmes d'articulation. Enfin, il existe un débat important et complexe sur la territorialité du droit : pouvons-nous sanctionner des actes commis par des compatriotes à l'étranger ?
Je vous proposerai des amendements qui répondent à certaines des difficultés que je viens d'évoquer.
Le projet de loi prévoit ensuite des sanctions, claires et fermes, en cas de violation d'un embargo : sept ans de prison et une amende pouvant atteindre 750 000 euros ou le double de la somme en cause. Cette rédaction étant assez ambiguë, je vous proposerai de préciser que cette amende peut aussi être fixée au double « de la valeur des biens et services ayant été l'objet de transactions illicites ». En effet, il est parfois plus difficile de saisir les sommes en jeu que les biens eux-mêmes, qui peuvent alors être évalués.
Je vous proposerai aussi, de même que la commission de la défense, de compléter ces peines par les peines complémentaires que l'on trouve classiquement en matière de délinquance économique, à savoir la confiscation – à laquelle peuvent déjà procéder les douanes – et, pour les personnes morales, la dissolution, l'interdiction d'exercer ou encore l'exclusion des marchés publics.
Je conclurai sur deux points.
Premièrement, j'ai été relativement surpris de constater que les moyens des administrations qui suivent les régimes de sanctions sont limités – je le dis sans accabler en aucune façon les agents concernés. Le ministère des affaires étrangères fait un travail remarquable de négociation pour définir les embargos et rédiger les accords internationaux en la matière. Mais, à Bercy, le bureau des sanctions compte seulement cinq agents. Quant à la coordination entre les ministères de la justice, des finances, de la défense et des affaires étrangères, elle est à parfaire.
D'ailleurs, le projet que nous examinons traite de droit pénal, ce qui aurait pu justifier une compétence de la garde des sceaux. Néanmoins, il a été défendu par plusieurs ministres de la défense successifs, puis par le ministre des affaires étrangères. Justement, toutes ces hésitations ne sont peut-être pas étrangères au retard pris dans l'examen du texte. Nous ne pouvons pas aborder la question des moyens administratifs dans la loi, mais il est clair qu'il y a à faire en la matière. Je vous proposerai de mettre en place une commission chargée de surveiller l'application des embargos et de contrôler qu'ils sont bien respectés.
Deuxièmement, il y a une question en quelque sorte parallèle à celle des embargos : celle de la réglementation des courtiers en armements, c'est-à-dire de l'intermédiation. Un projet de loi destiné à encadrer cette activité a été déposé, mais il est lui aussi encalminé depuis une décennie, pour d'obscures raisons, sur lesquelles je préfère ne pas engager le débat aujourd'hui. En attendant, alors que l'Union européenne a adopté une position commune sur cette question en 2003, la France est l'un des rares États membres à ne l'avoir toujours pas transposée dans sa législation. Chacun conviendra que c'est un problème. Il faut donc, si je puis dire, « réveiller » ce débat législatif. Je compte interpeller, avec vous, le Gouvernement sur ce point.
Merci pour vos explications, monsieur le rapporteur. Tout en comprenant la nécessité de ce texte, je souhaite inciter à une grande prudence, pour deux raisons.
Premièrement, il est toujours difficile de sortir des embargos. Ainsi, les États-Unis, qui en ont mis en place pas moins de soixante-dix, ont beaucoup de mal à mettre fin à celui qu'ils appliquent encore contre Cuba. Certes, les torts sont toujours partagés, rien n'étant tout blanc ou tout noir dans les relations internationales. Sous la pression de certains de ses partenaires, la France a elle-même accepté les embargos décidés par l'Union européenne, et nous nous retrouvons aujourd'hui dans une impasse avec la Russie, même si certains reproches peuvent être adressés au Kremlin.
Il est donc dangereux, à terme, de fonder la politique étrangère sur les embargos. Cela ne signifie pas qu'il ne faut pas en instaurer parfois contre un certain nombre d'États qui se sont mal comportés, mais gardons-nous d'institutionnaliser cette pratique. Il en va des embargos comme de la guerre : on sait quand on la débute, mais on ne sait jamais quand on la termine. Et c'est parfois une arme à double tranchant : l'embargo décrété par Napoléon contre le Royaume-Uni a favorisé le décollage industriel de ce pays.
Deuxièmement, vous l'avez très bien dit, monsieur le rapporteur : en France, il est interdit d'exporter des armes, en vertu d'un décret-loi de 1936. Et ce régime fonctionne : la Commission interministérielle pour l'étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG) fait un travail précis en la matière, même si l'on peut parfois regretter certaines de ses décisions. Tous les gouvernements, je le rappelle, sont dans une situation paradoxale s'agissant des exportations d'armements. D'un côté, ils veulent faire de l'argent, ce qui est légitime – en 2015, la France est devenue le deuxième exportateur d'armes au monde, derrière les États-Unis et devant la Russie ; l'Allemagne est elle aussi montée en puissance. De l'autre, il faut savoir à qui on livre les armes. Cependant, quelles que soient les clauses insérées dans les accords d'exportation, le contrôle sur la livraison à une puissance tierce est souvent illusoire.
Dernier point : le projet de loi prévoit qu'un embargo peut être instauré notamment par une loi nationale ou par un acte pris sur le fondement des traités européens. Or la politique commerciale est certes une compétence communautaire, mais les embargos résultent, en réalité, de décisions politiques prises collectivement par les États membres réunis en Conseil. À ce titre, ils échappent d'ailleurs, sous réserve de vérification, au contrôle de la Cour de justice de l'Union européenne. Je souhaiterais donc que l'alinéa 6 de l'article 1er soit se réfère aux « acte pris par les États réunis en Conseil ». Il s'agit d'une nuance, mais elle est loin d'être négligeable compte tenu de la nature politique des décisions prises en la matière.
Peut-être pourriez-vous déposer un amendement en ce sens d'ici à la séance publique, cher collègue ?
Je vous remercie, monsieur le rapporteur, pour la qualité de votre présentation. Les embargos sont souvent contournés, mais ils sont nécessaires si l'on veut moraliser un peu les relations internationales dans un certain nombre de domaines. Ainsi que l'a indiqué Jacques Myard, la France est aujourd'hui le deuxième exportateur d'armes au monde. Elle fait preuve de beaucoup d'hypocrisie, pour ne pas dire de schizophrénie, car elle s'inquiète assez peu de savoir à qui elle vend des armes. D'un côté, elle s'engage dans des opérations militaires supposées freiner l'extension du terrorisme. De l'autre, elle fournit des armes à ceux-là mêmes qui soutiennent les terroristes. Je pense au Qatar, à l'Égypte du maréchal Al-Sissi, qui a étouffé le printemps arabe, ou à l'Arabie saoudite, qui joue actuellement un rôle effroyable au Yémen. La France n'a pas de leçons à donner en la matière. Si nous pouvons introduire un peu de droit dans ce domaine, ça n'est pas plus mal !
Les amendements proposés par le rapporteur vont dans le bon sens, en particulier celui qui tend à créer une commission mixte indépendante, composée de membres de l'administration, de parlementaires et de représentants d'ONG. Ces dernières sont très actives sur ces questions et disent beaucoup de choses, mais elles sont très rarement écoutées. Pour commencer, elles n'ont guère l'occasion de s'exprimer devant la représentation nationale, y compris devant notre commission ou devant celle de la défense.
Le groupe écologiste déposera en vue de la séance publique un amendement visant à introduire dans ce texte la notion de « compétence personnelle active », laquelle permettra de poursuivre les nationaux français qui agissent à l'extérieur de notre pays. Ainsi, un certain M. Montoya a continué à vendre des armes en grande quantité en Côte d'Ivoire après l'embargo instauré en 2004. Cela a contribué à la situation catastrophique qu'a connue ce pays, avant le rétablissement d'une forme d'ordre démocratique. Or M. Montoya n'a jamais été poursuivi, parce qu'il était hors du champ de ce que pouvait faire notre droit, faute de dispositions relatives à la « compétence personnelle active ». Cette évolution est demandée par un certain nombre de grandes ONG, en particulier par Amnesty international, qui est sans doute la plus préoccupée par la question du commerce des armes et par les guerres, notamment par les conflits asymétriques.
La commission en vient à l'examen des articles.
Article 1er :
La commission est saisie de l'amendement rédactionnel AE5 du rapporteur.
Le présent texte ayant été déposé en 2006, il est nécessaire de l'adapter aux évolutions historiques. Cet amendement vise à substituer la mention du « traité sur le fonctionnement de l'Union européenne » à celle du « traité instituant la Communauté européenne ». Ce point est distinct de celui qu'a soulevé Jacques Myard au cours de la discussion générale.
La commission adopte l'amendement.
Puis elle examine l'amendement AE1 de la commission de la défense nationale et des forces armées.
Cet amendement, adopté à l'unanimité par la commission de la défense, vise à prévoir une répression plus sévère de la violation des embargos ou des mesures restrictives lorsqu'elle est commise en bande organisée. La violation d'un embargo ou d'une mesure restrictive peut en effet résulter d'une opération complexe supposant un certain degré de préparation et de préméditation, qui peut aller jusqu'à la mise en place d'une organisation dédiée. Il paraît logique de considérer que le fait de commettre ainsi une violation en bande organisée constitue une circonstance aggravante, justifiant des peines plus lourdes. Nous proposons donc, dans ce cas, de porter la peine d'emprisonnement de sept à dix ans, et de doubler le montant de l'amende.
La notion d' « infraction commise en bande organisée » est classique en droit pénal. Elle s'applique à de nombreux crimes et délits. Elle existe déjà en matière de fabrication et de commerce illicite des armes, à l'article L. 2339-2 du code de la défense.
Avis favorable. La notion d' « infraction commise en bande organisée » existe en effet dans notre droit pénal dans de nombreux domaines. Lorsque cette circonstance est établie, cela a pour effet d'alourdir les peines qui peuvent être prononcées, le juge les adaptant ensuite au cas de chaque personne. En France, je le rappelle, le principe d'individualisation des peines s'applique, y compris lorsqu'une infraction est commise en bande organisée.
La commission adopte l'amendement.
Elle en vient à l'amendement AE8 du rapporteur.
Le texte prévoit que l'amende peut être fixée au double de la somme sur laquelle a porté l'infraction. Cette formulation, reprise des dispositions visant à réprimer les mouvements financiers illicites, pourrait être interprétée comme s'appliquant aux seuls mouvements d'argent, lesquels sont souvent difficiles à identifier. Je propose donc de préciser que l'amende peut aussi être fixée au double « de la valeur des biens et services ayant été l'objet de transactions illicites ». Ainsi, même s'il n'y a pas eu de paiement ou s'il y a eu seulement un paiement partiel pour une transaction illicite, l'amende pourra être portée au double du montant de la transaction.
La commission adopte l'amendement.
La commission examine les amendements identiques AE9 du rapporteur et AE2 de la rapporteure pour avis au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées.
Cet amendement vise à spécifier que le même jugement ordonne la confiscation de l'objet du délit, des équipements, matériels et moyens de transport utilisés pour sa commission, et des biens et avoirs qui en sont le produit direct ou indirect. Il me semble utile que la loi prévoie cette peine complémentaire, cette sanction étant déjà pratiquée par les douanes. Des armements et des matériels radioactifs ou chimiques dangereux pourront ainsi être mis hors d'usage. Toutes les interventions en matière de lutte contre les violations de l'embargo ne relèvent pas des seules douanes, d'où la nécessité de prévoir ce dispositif.
La commission adopte les amendements.
Puis elle étudie les amendements identiques AE10 du rapporteur et AE3 de la rapporteure pour avis au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées.
Cet amendement a pour objet de prévoir les peines applicables aux personnes morales reconnues coupables d'une violation d'embargo ou de mesures restrictives. Des sociétés effectuent, parfois hors de France, de tels contournements. Il y a lieu de pénaliser les individus responsables, mais également les personnes morales. De telles peines existent déjà pour l'exportation sans licence de matériel de guerre. L'amendement reprend les peines prévues en pareil cas, qui vont de l'exclusion des marchés publics à la dissolution de la société dans les cas les plus graves, en passant par l'interdiction de percevoir des aides publiques et celle d'effectuer des émissions sur les marchés financiers.
On a déjà inscrit la responsabilité pénale de certaines collectivités territoriales dans notre droit, afin de protéger les maires. Ce principe constitue un oxymore car l'intuitu personae ne concerne que les dirigeants des collectivités. Évoquer la responsabilité pénale d'une société me paraît idiot, car le droit pénal concerne les individus. S'il y a lieu en effet sanctionner les sociétés par le paiement de dommages et intérêts ou par la dissolution, il faut cibler les dirigeants car ce sont eux qui agissent. L'amendement devrait seulement faire référence aux « personnes morales déclarées responsables de l'infraction », sans préciser « pénalement ».
J'entends votre argument, monsieur Myard, mais il me semble que l'amendement le satisfait. En effet, il reprend la liste des peines pouvant déjà être prononcées – dont la dissolution de la société dans les cas les plus graves.
La responsabilité des dirigeants de l'entreprise n'exclut pas celle de la personne morale. De la même manière, la responsabilité de l'État pourrait être reconnue en cas de commission d'une faute grave dans un service hospitalier.
La commission adopte les amendements.
Puis elle adopte l'article 1er modifié.
Article 2
La commission adopte l'article 2 sans modification.
Après l'article 2
La commission est saisie de l'amendement AE4 de la rapporteure pour avis au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées.
Il s'agit d'un amendement de coordination, qui tire les conséquences du premier amendement que votre commission a voté. Son adoption permettra de soumettre le délit de violation d'un embargo ou d'une mesure restrictive commis en bande organisée à la procédure applicable à criminalité et à la délinquance organisées.
La commission adopte l'amendement.
Article 3
La commission adopte l'article 3 sans modification.
Après l'article 3
La commission examine l'amendement AE7 du rapporteur.
Il s'avère difficile d'obtenir des évaluations et des éléments précis sur les régimes d'embargo et les restrictions économiques à l'encontre de puissances ou d'entités étrangères, non à cause d'une rétention de l'information, mais d'un manque de moyens. En effet, le nombre d'agents affectés à ces sujets et la coordination entre les ministères s'avèrent tous deux insuffisants. À l'étranger, on a, soit mis en place un dispositif unique, comme au Royaume-Uni, soit renforcé la coordination, alors qu'il n'existe pas de système de contrôle général des embargos en France. Or, que les embargos ne concernent que les ventes d'armes ou qu'ils aient une portée plus grande avec des sanctions économiques internationales, le contrôle de leur respect justifie d'accroître nos capacités de coordination.
Les embargos constituent un instrument diplomatique de plus en plus utilisé, et dont les conséquences peuvent s'avérer lourdes comme l'attestent les 500 000 morts en Irak. Ils se révèlent parfois inutiles et des peuples en ont pâti, mais les enjeux qu'ils génèrent restent souvent ignorés de l'opinion publique.
Il importe que la France se dote d'une commission chargée du suivi des régimes d'embargo ou de restrictions économiques, ne serait-ce que pour porter cette question dans le débat public, puisque l'éthique républicaine nous commande de restituer aux citoyens la teneur de l'ensemble des discussions que nous avons entre nous.
À l'exception de notre ambassadeur auprès de l'Organisation des Nations unies (ONU), aucune personne dans l'État n'occupe la fonction de surveillance des régimes d'embargo.
Il me semble important d'instituer une telle commission nationale, dont le rôle restera consultatif. Y siégeront des représentants du Parlement, des administrations concernées, des entreprises et de la société civile, en particulier des ONG. Le Gouvernement recueillera l'avis de la commission dès lors qu'il sera envisagé d'établir, de modifier, de suspendre ou de reconduire un régime d'embargo. La commission assurera aussi l'évaluation et le suivi de ces mesures. Elle assurera un contrôle plus précis et mieux coordonné, ce qui correspond aux intérêts de la France.
Je ne peux pas accepter cet amendement, dont je doute de la constitutionnalité, la politique étrangère relevant du Gouvernement. En outre, s'agissant de la composition de la commission, il ne me paraît pas opportun d'y intégrer des membres de la société civile. Celle-ci abrite de tout et les ONG accueillent des gens qui peuvent être fortement manipulés.
Il n'est pas acceptable de subordonner la conduite de la politique étrangère à une commission proche d'un comité Théodule, et je voterai contre l'adoption de cet amendement.
Monsieur Myard, vous ne vous étonnerez pas que je ne partage pas votre opinion. Les ONG ne sont pas manipulées, elles jouent un rôle de contrôle et de vigilance, mais notre vieille démocratie ne leur donne pas suffisamment de moyens pour exercer cette mission. Nous sommes un certain nombre à contester le fait que la politique étrangère soit un domaine réservé du président de la République – et non du Gouvernement comme vous venez de le dire – comme des décisions récentes tendent à le prouver. Notre assemblée n'est qu'une chambre d'enregistrement qui ne contrôle pas la politique étrangère de la France. Dans ce contexte, introduire un peu de transparence et de contrôle citoyen permettra de faire progresser la démocratie.
Monsieur Myard, comme beaucoup de gens, je déplore certaines créations de commissions, mais celle-ci répond au besoin démocratique de contrôler l'un des domaines essentiels de notre politique étrangère. Il ne s'agit pas de subordonner cette dernière à la société civile, mais il serait préférable qu'elle reflète les souhaits de la population française. La politique étrangère est définie par le Président de la République, et la société ne peut pas en débattre ; les citoyens reçoivent des informations sur les événements internationaux, mais n'ont aucune prise sur eux. Les guerres, les malheurs et les chaos qui rythment hélas la chronique du monde constituent justement les faits qui mènent à la mise en place des embargos.
Tout ce qui renforce la transparence s'avère important et l'instauration de cette commission n'enlèvera rien aux prérogatives du Président de la République quant à la politique étrangère. Elle permettra également d'améliorer la coordination interministérielle et le contrôle, qui se révèlent insuffisants – sauf dans le domaine de l'armement et de l'exportation d'armes sans licence – et que l'on ne pourra pas améliorer si les politiques en ont seuls la charge. Nous avons besoin d'efficacité dans les mesures que nous prenons, notamment dans la lutte contre le terrorisme. On peut se montrer efficace tout en éveillant l'opinion publique à des enjeux importants.
Tout ce dont nous discutons est très intéressant, mais le sujet est si compliqué qu'il pourrait faire l'objet d'un colloque. Je suis très attaché à la démocratie représentative, à condition que le Parlement ait plus de moyens et plus de pouvoirs. Des progrès ont été accomplis au cours des décennies, mais ils restent insuffisants. Les ONG sont utiles et mêmes indispensables, mais elles sont à l'image de la société française : il ne faut ni les condamner ni les porter aux nues par principe. Il y a des dérives parlementaires, il y en a dans l'État et il en existe aussi dans les ONG.
Je soutiens cet amendement, et il n'y a pas à s'excuser de créer des commissions administratives. La complexité, à condition de la maîtriser, m'apparaît synonyme de progrès humain. Plus nos concitoyens peuvent contribuer à éclairer la décision publique, mieux la démocratie se porte. Les représentants de la Nation votent et contrôlent la loi, mais on doit ouvrir des espaces de participation dès qu'on le peut. Cela n'enlève rien aux prérogatives du chef de l'État en matière de défense nationale et de politique étrangère, et ne minimise pas la place de notre commission des affaires étrangères.
Il ne s'agit évidemment pas de s'excuser, mais nous devons veiller à ne pas ouvrir des boîtes de Pandore. Le Parlement travaille sous le contrôle de l'opinion publique et de nos concitoyens. Cet amendement me gêne car il place les parlementaires sur le même plan que des représentants de la société civile, alors que chacun doit rester à sa place. Les ONG peuvent être utiles, mais certaines sont manipulées, comme le montre le site animé par deux de nos collègues – un appartenant à l'opposition et l'autre à la majorité – : ces organisations peuvent s'avérer des faux nez de lobbys puissants. Le manège médiatique dans lequel nous vivons aujourd'hui se révèle extrêmement dangereux. Cette commission pourrait être utilisée par des organisations pour exercer des pressions qui n'amèneront aucune transparence, bien au contraire. Je maintiens mon opposition résolue à cet amendement, qui n'est pas anodin et qui porte un risque de confusion.
Monsieur Loncle, je vous remercie d'avoir détendu l'atmosphère ! Je partage l'intégralité des propos de M. Germain. Monsieur Myard, les parlementaires se retrouvent déjà dans certaines enceintes avec des membres de la société civile. N'y voyez aucun nivellement ! La composition de la commission se discute, mais il me semble indispensable d'instaurer une commission nationale publique afin d'accroître la transparence, la coordination, l'efficacité et la bonne compréhension par l'opinion d'un sujet aussi lourd que celui des régimes d'embargo.
La commission adopte l'amendement.
Article 4
La commission étudie l'amendement AE6 du rapporteur.
Cet amendement vise à supprimer la référence à Mayotte, puisque ce territoire étant un département d'outre-mer depuis 2009, la loi de la République s'y applique de droit.
La commission adopte l'amendement.
Puis elle adopte l'article 4 modifié.
La commission adopte le projet de loi modifié.
Examen du projet de loi, adopté par le Sénat, portant application du protocole additionnel à l'accord entre la France, la Communauté européenne de l'énergie atomique et l'Agence internationale de l'énergie atomique relatif à l'application de garanties en France, signé à Vienne le 22 septembre 1998 (n° 1222) – M. Michel Destot, rapporteur.
Le texte que nous examinons est un projet de loi d'application du protocole additionnel à l'accord trilatéral de garanties entre la France, la Communauté européenne de l'énergie atomique (EURATOM) et l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), qui concerne la non-prolifération nucléaire. Ce protocole additionnel, signé en 1998 par la France, est entré en vigueur en 2004.
Le délai de plus de onze ans entre la ratification du protocole additionnel et l'examen du présent projet de loi peut s'expliquer par différentes raisons : l'ordre du jour encombré du Parlement, des interrogations sur le portage du texte, car plusieurs ministères, aux périmètres changeants, sont concernés par le sujet, mais aussi l'absence de difficulté dans l'application du protocole additionnel. La nécessité s'est peut-être moins fait ressentir de rappeler leurs responsabilités aux acteurs concernés, mais il importe maintenant d'avancer. La France, bonne élève en matière de non-prolifération, doit se montrer exemplaire. On a récemment demandé à l'Iran d'appliquer un tel protocole additionnel dans le cadre des négociations sur son programme nucléaire.
Dans la mesure où la France est un État doté au sens du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), son protocole additionnel ne concerne que les activités menées en coopération avec des Etats non dotés de l'arme nucléaire. L'AIEA ne s'intéresse pas au cycle du combustible nucléaire français pour lui-même. En ratifiant le protocole additionnel, la France a pris l'engagement de déclarer à l'AIEA des informations relatives aux activités menées en coopération avec des États non dotés et d'élargir le droit d'accès des inspecteurs de l'AEIA. Ces « accès complémentaires » doivent permettre de s'assurer de l'exactitude et de l'exhaustivité des renseignements transmis par la France ou d'accroître la capacité de l'Agence à détecter des activités nucléaires clandestines dans un Etat non doté.
Le protocole additionnel est appliqué dans de bonnes conditions en France, où se conjuguent trois niveaux de contrôles et d'inspections. Le secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale assure, de manière générale, la coordination interministérielle sur les questions de non-prolifération. Un organe placé sous l'autorité du Premier ministre et composé d'experts du Commissariat à l'énergie atomique (CEA), le comité technique EURATOM (CTE), est quant à lui chargé de veiller à la mise en oeuvre par la France du protocole additionnel. Le CTE, appuyé par l'Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN), veille à la préparation des déclarations dues à l'AIEA et à la gestion d'éventuels « accès complémentaires » en France. En 2013, 14 déclarations nationales ont été adressées à l'AIEA, comportant 707 lignes, dont 139 communiquées chaque trimestre, et concernant 133 programmes de recherche développement et de coopération. La France se situe en tête, devant le Royaume-Uni, pour le nombre de déclarations transmises à l'AIEA à ce titre. En revanche, aucune demande d'accès complémentaire n'a été adressée à la France par l'AIEA.
Malgré l'absence de difficultés d'application à l'heure actuelle, il importe d'adopter ce projet de loi et d'envoyer, par là-même, un message utile au plan international.
Les titres II et III du projet de loi ont pour objet de traduire en droit interne les engagements souscrits par la France à l'égard de l'AIEA. L'État s'est engagé à transmettre des déclarations, mais il revient aux acteurs publics et privés concernés de lui fournir les renseignements nécessaires. Il faut décliner en droit interne les obligations qui résultent du protocole additionnel. Les renseignements demandés concernent en particulier les activités de recherche et développement, privées et publiques, certaines activités de coopération prévues pour les dix années à venir, les importations et exportations de déchets nucléaires ou de certains équipements et matières non nucléaires.
Par ailleurs, le projet de loi précise les modalités dans lesquelles se déroulerait en France un « accès complémentaire » qui serait demandé par l'AIEA. Le texte décrit en particulier les responsabilités du chef de l'équipe française d'accompagnement. En cas d'obstruction dans la mise en oeuvre d'un « accès complémentaire », l'article 12 permet de saisir le président du tribunal de grande instance, qui pourra donner l'autorisation de faire procéder à la vérification ou à l'inspection internationale. Le Sénat a étendu ce dispositif nouveau, qui constitue l'un des principaux apports du projet de loi, aux inspections menées en France dans le cadre d'EURATOM ainsi que par les inspecteurs de l'AIEA sur le fondement de l'accord de garanties de 1978. À l'origine, la procédure ne concernait que l'application du protocole additionnel.
Enfin, le projet de loi comporte un volet pénal destiné à assurer le respect de nos engagements. Les obligations déclaratives instituées par les articles 2 à 6 sont assorties de sanctions pénales, conçues pour être dissuasives, notamment en cas d'absence de transmission des informations dues.
Ce projet de loi permettra de garantir la bonne application du protocole additionnel en France en sécurisant le dispositif existant. Nous nous donnerons ainsi les moyens d'assurer l'exemplarité de notre pays en matière de non-prolifération et de développement responsable de l'énergie nucléaire.
Il est grand temps d'adopter ce texte, déposé dès 2005 au lendemain de la ratification de notre protocole additionnel. Je vous propose d'adopter en l'état le projet de loi, tel qu'il a été amendé par le Sénat sur quelques points. L'équilibre est aujourd'hui satisfaisant.
Les protocoles additionnels sont négociés pays par pays. Celui de la France a été adopté dans un cadre trilatéral, avec l'AIEA et EURATOM. L'Iran n'a conclu le sien qu'avec l'AIEA. Par ailleurs, la France a pris des engagements plus exigeants que des pays comparables en signant son propre protocole additionnel. Mais je vous transmettrai, Monsieur Dufau, la liste déjà longue des pays ayant un protocole additionnel en vigueur.
La commission adopte successivement les articles 1er à 26 sans modification.
Puis elle adopte l'ensemble du projet de loi sans modification.
La séance est levée à dix-huit heures.