COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L'ÉDUCATION
Mardi 25 novembre 2014
La séance est ouverte à dix-sept heures trente-cinq.
(Présidence de M. Patrick Bloche, président de la Commission et de M. Gilles Carrez, président de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire)
La commission procède à l'audition, ouverte à la presse, conjointe avec la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire, de M. Rémy Pflimlin, président de France Télévisions.
Je souhaite la bienvenue au président Rémy Pflimlin qui a répondu à l'invitation de nos deux commissions pour nous présenter l'exécution du contrat d'objectifs et de moyens (COM) de France Télévisions. Éclairées par les travaux du rapporteur spécial et du rapporteur pour avis, nos réunions annuelles sont, depuis 2009, devenues une tradition ; en effet, le COM est signé non seulement par le ministre de la culture, mais également par ceux de l'économie et du budget, et il engage des financements publics – essentiellement issus de la contribution à l'audiovisuel public (CAP) – qui s'élèvent à 2,5 milliards d'euros.
Je salue également Rémy Pflimlin ainsi que les membres de la direction du groupe qui l'accompagnent. Le dernier COM du groupe France Télévisions – portant sur la période 2011-2015 – a fait l'objet l'an dernier d'un avenant applicable à compter de l'année 2013, sur lequel la commission des affaires culturelles et de l'éducation s'est prononcée en septembre 2013. Débattre fin 2014 de l'exécution du COM 2013 peut donner un sentiment de décalage, voire d'obsolescence, mais cet exercice offre aux députés l'occasion d'échanger avec vous sur les réalisations du groupe l'an passé, sur sa situation présente et plus généralement sur les atouts de l'entreprise et les défis qu'elle doit relever en cette période de mutation du secteur audiovisuel.
L'avenant au COM pour 2013-2015 prévoit un retour à l'équilibre financier en 2015 : où en êtes-vous de cet objectif, monsieur le président ? Nous savons l'effort de réduction des dépenses que vous avez été amené à faire en 2013 et cette année.
S'agissant de la mise en place de l'entreprise unique, le rapport d'exécution du COM pour l'année 2013 montre que l'harmonisation des contrats de travail, des documents obligatoires et des organisations, qui devait être achevée fin 2013, a pris du retard ; est-elle à présent terminée ?
L'avenant au COM pour 2013-2015 prévoyait l'organisation d'une réflexion sur l'avenir de l'offre régionale et locale de France 3. Ce thème est abordé à la fois dans le rapport de Mme Anne Brucy – que nous avons auditionnée en juillet dernier – et dans l'excellent rapport pour avis que notre collègue Stéphane Travert avait rédigé sur le projet de loi de finances pour 2014. Comment le groupe et vous-même, monsieur le président, avez-vous appréhendé ces deux rapports et quelles conclusions en avez-vous tirées ?
Je suis heureux de faire le point sur l'exécution du COM pour 2013, d'autant que cet exercice me permettra également d'évoquer l'actualité de l'entreprise et ses bons résultats en matière de programmes et d'audiences.
Le contrat d'objectifs et de moyens représente notre feuille de route ; ce document capital fixe le cadre dans lequel nous travaillons et détermine les objectifs que nous devons atteindre. Marqué par une baisse de nos ressources de 300 millions d'euros – soit d'un peu plus de 10 % –, l'avenant au COM signé en 2013 réaffirmait la nécessité pour l'entreprise de se réformer et de réaliser des gains de productivité. La vie de France Télévisions a été bouleversée par la fusion des sociétés – moment forcément complexe – et par l'explosion du numérique, élément nouveau et crucial de nos métiers.
En 2013, les différents objectifs inscrits dans le COM ont été atteints, à quelques exceptions marginales près, alors même que nous connaissions une baisse de nos moyens. Nous avons perdu 26 millions d'euros de ressources publiques et 10 % de recettes publicitaires, soit au total près de 70 millions d'euros. Alors que nous prévoyions un résultat financier de moins 42 millions – hors provision pour restructuration –, nous avons réussi à limiter la perte à 8 millions. En comptant les éléments destinés à financer le plan de départs volontaires, le résultat final de l'entreprise s'établit à moins 85 millions d'euros, contre une prévision dans le COM de moins 132 millions.
En matière d'effectifs, nous sommes également en ligne avec les objectifs. Nous devions arriver à 10 150 équivalents temps plein (ETP) ; nous avons terminé 2013 à 10 120, soit 370 personnes en moins par rapport à l'année précédente. Le 28 mai 2013, nous avons signé avec l'ensemble des organisations syndicales un accord collectif permettant de changer les statuts du personnel ; ce nouvel accord d'entreprise se substituait aux conventions collectives et à tous les accords sociaux des trente dernières années. Aujourd'hui, la transposition est achevée, tous les salariés de France Télévisions s'inscrivant dans ce nouveau dispositif.
Tout en menant des plans d'économies, nous avons préservé la création qui a bénéficié en 2013 de 413 millions d'euros d'investissements. Les discussions avec les créateurs – notamment dans le domaine du dessin animé et du documentaire – nous ont permis d'arriver à des accords importants. Nous avons également développé le numérique, autre objectif figurant dans le COM.
Les programmes de septembre 2014 nous assurent la meilleure rentrée depuis plusieurs années. Les audiences de France Télévisions sont en hausse, contrairement à celles des groupes privés. Une série de programmes quotidiens, mais également les émissions d'information et la fiction présentent d'excellents résultats. Ainsi, ce soir, France 3 propose un épisode de la série Le Village français qui connaît un franc succès ; demain soir, la chaîne diffuse La Loi – fiction sur la loi Veil qui a été présentée à l'Assemblée nationale hier soir – et qui sera suivie d'un débat. Cette rentrée est particulièrement riche en contenus.
Économiquement, cette année est difficile : les ressources publicitaires sont prévues en baisse par rapport à l'année dernière, même si les succès en matière d'audience nous assurent pour la première fois des résultats positifs pour les mois d'octobre et de novembre. En revanche, il est impossible de prévoir le résultat publicitaire de décembre ; nous tablons aujourd'hui sur un manque à gagner de 5 millions d'euros par rapport à l'objectif budgétaire, soit mieux que les 10 millions que l'on anticipait il y a quelques semaines.
Nous poursuivons aujourd'hui nos plans d'économies – prévus par le contrat d'objectifs et de moyens – à travers une gestion rigoureuse des ressources humaines. À ce jour, avec un peu plus de 10 000 salariés, nous nous situons légèrement en dessous de l'objectif fixé dans le COM. Nous avons lancé un plan de départs volontaires qui concerne 360 personnes et qui se déploie pour l'instant sans encombre.
Enfin, nous continuons le développement des plateformes numériques : après avoir lancé des plateformes d'information et de sport, une plateforme culturelle – Culturebox, qui permet de voir des spectacles en direct ou en différé sur tous les écrans et qui affiche d'excellents résultats – et une plateforme pour les enfants qui fonctionne de mieux en mieux, nous inaugurerons dans les prochaines semaines une plateforme éducative. À côté des programmes de télévision toujours fédérateurs, ces espaces offrent aux usagers la possibilité de se distraire, de se cultiver ou de chercher des informations de façon thématique.
Il serait souhaitable que le prochain contrat d'objectifs et de moyens pour la période 2015-2020 offre à l'entreprise plus de stabilité et de prévisibilité car les bouleversements et les incertitudes de ces derniers temps rendent la gestion très complexe. S'agissant de France 3, ce futur contrat sera notamment éclairé par le rapport de Mme Anne Brucy. Deux axes me semblent primordiaux : d'une part, France 3 doit absolument accompagner la mutation des territoires dans le cadre du nouveau découpage des régions que vous avez voté aujourd'hui. Implantée localement, la chaîne est capable de s'adapter à ces transformations et doit devenir le lieu du débat et de l'animation, dès les élections régionales de l'année prochaine. Nous devons, d'autre part, développer non seulement le numérique, mais également des initiatives telles que la télévision du matin – proposée aujourd'hui dans plus de la moitié des régions, mais appelée à être généralisée – et les canaux parallèles. Expérimentée en Corse, cette solution résoudrait la question de la télévision locale de plein exercice.
Le budget 2015 que nous préparons actuellement apparaît très délicat à construire. La hausse de trois euros de la redevance que vous avez votée ne bénéficiant pas à France Télévisions, ce budget est marqué par une nouvelle baisse de 12 millions d'euros des ressources publiques et par l'incertitude inhérente aux prévisions des recettes publicitaires. Nous devrons nous fixer un objectif ambitieux, qui tienne compte de nos bons résultats actuels, mais qui sera forcément inférieur aux 355 millions d'euros prévus dans le COM. Ce budget, qui doit nous permettre d'atteindre l'équilibre, prévoira à nouveau des économies à tous les niveaux. Avec la fin du plan de départs volontaires – élément clé –, les effectifs doivent se stabiliser en fin d'année à 9 750 personnes. Ce sera enfin l'occasion de réaliser le projet « Info 2015 » qui signera le rapprochement des rédactions de France 2 et de France 3. Il s'agit, tout en opérant des arbitrages, de continuer à jouer notre rôle. Ce budget sera présenté au conseil d'administration en décembre ; nous y travaillons et faisons tout pour parvenir à un atterrissage à l'équilibre, conformément à mon engagement dans le cadre du COM.
France Télévisions, comme tout l'audiovisuel public, fait face à de profonds bouleversements. Les évolutions que vit le groupe – changements organisationnels, passage à l'entreprise unique, harmonisation des statuts et des cadres d'emploi, mutualisation – mobilisent beaucoup d'énergie. Si les résultats ne semblent pas au rendez-vous en 2013, vous nous avez rassurés quant aux réalisations de 2014.
Les usages apparaissent également bouleversés. Si France Télévisions a réalisé d'importants efforts en matière d'offre numérique, la mutation des modes de consommation doit également nous amener à engager une réflexion sur l'évolution de l'assiette de la CAP. En effet, il est paradoxal d'encourager les acteurs publics de la télévision à développer le numérique sans s'assurer que ces nouveaux usages amèneront par la suite des recettes. À défaut de modifier l'assiette de la CAP, le basculement vers des usages majoritairement numériques nous confrontera à une chute du rendement de la contribution – qui représente 60 % des ressources de France Télévisions. Je souhaite par conséquent que la réflexion sur la pérennité de ce dispositif de financement soit lancée dans les meilleurs délais. Monsieur le président, que pensez-vous de cette évolution future ?
La remise en cause du modèle économique de France Télévisions contribue à l'ampleur des changements. La décision, en 2009, de supprimer la publicité après vingt heures sur les chaînes publiques avait conduit l'État à compenser les pertes de recettes par une dotation budgetaire, ce qui, à un moment où la dette explosait, revenait à demander aux Français d'acheter leurs programmes à crédit. Le Gouvernement ayant eu la sagesse de décider la suppression de cette dotation à l'horizon 2017, la CAP représentera demain la seule ressource publique de l'audiovisuel. Au cours des dernières années, la contribution a augmenté deux fois plus vite que l'inflation, mais ce mouvement ne saurait se poursuivre indéfiniment. L'augmentation de la CAP ne pouvant suffire à couvrir les besoins du groupe, il faut engager une réflexion sur la manière de consolider ses ressources propres. Entre 2008 et 2014, le groupe a perdu plus de 300 millions d'euros de recettes publicitaires ; cette baisse excède le simple effet mécanique de la suppression de la publicité après vingt heures, mais ne relève pas non plus d'un simple effet de marché puisque – mes auditions l'ont montré – la baisse des recettes publicitaires est plus importante sur France Télévisions que sur d'autres chaînes. Les comportements des annonceurs évoluent : il y a trois ans, ils investissaient à peu près autant dans les créneaux avant vingt heures qu'après ; aujourd'hui, l'avant vingt heures totalise 40 % des investissements, et l'après vingt heures, 55 %. En outre, les dépenses publicitaires tendent à se concentrer sur une régie plutôt que sur plusieurs, privilégiant les régies les plus puissantes en termes d'audience. Il y a trois ans, 32 % des annonceurs ne s'adressaient qu'à une régie ; aujourd'hui, c'est le cas de 44 % d'entre eux. Cette évolution nous amène à nous interroger sur le risque de déclassement, voire de démonétisation de la régie publicitaire de France Télévisions.
Monsieur le président, à combien estimez-vous le chiffre d'affaires supplémentaire en cas de réintroduction de la publicité entre vingt et vingt et une heures sur France 2 et France 3 ? L'ouverture d'écrans publicitaires lors de la transmission d'événements sportifs amènerait-elle de nouvelles ressources et permettrait-elle de pérenniser la présence du sport sur les chaînes de télévision publique ? Quelles seraient les conséquences de telles évolutions sur le marché publicitaire global de l'audiovisuel ? Vous avez annoncé il y a quelques semaines votre souhait d'ouvrir des écrans publicitaires lors des décrochages régionaux de France 3 après vingt heures ; si la loi vous y autorise, ne craignez-vous pas que cette décision déstabilise le marché publicitaire régional et fragilise la presse quotidienne régionale (PQR) dont la survie dépend de ces recettes ?
Vous l'avez dit, les ressources propres et les ressources publiques permettent à France Télévisions d'apporter un soutien fort à la création française : en 2013, malgré la baisse de son budget, le groupe y a consacré 413 millions d'euros. Or si France Télévisions est le premier bénéficiaire de la CAP – dont le groupe reçoit 70 % –, les autres opérateurs de l'audiovisuel public – Arte, Radio France, France Médias Monde, l'Institut national de l'audiovisuel (INA) ou TV5 Monde – sont moins capables de trouver des ressources propres. Chaque euro généré par France Télévisions représente donc une fraction d'euro de CAP pour les autres opérateurs.
Le rapport d'exécution du contrat d'objectifs et de moyens et de son avenant s'articule autour de plusieurs grands chapitres qui en déclinent les ambitions : une palette de chaînes nationales aux identités fortes, le développement d'une offre de service public moderne et renouvelée, et le souhait de faire de l'entreprise unique un modèle d'organisation responsable et efficace.
Sur ce dernier sujet, on note une amélioration depuis 2012 en matière d'évolution des effectifs non permanents, qui avaient augmenté de manière sensible en 2011 et en 2012 malgré la constitution, en 2010, de l'entreprise unique. La poursuite de cette diminution constatée pour l'année 2013 est rendue nécessaire par le nouvel accord collectif du 28 mai 2013, qui portait notamment sur la transposition des salariés dans la nouvelle classification, l'harmonisation salariale et le temps de travail. Cet accord a eu néanmoins pour effet d'augmenter de quelque 4 % la masse salariale. Au mois de septembre, lorsque j'ai rédigé mon rapport, plusieurs points restaient encore en suspens ; où en sont aujourd'hui les négociations ?
Si le rapport d'exécution du COM fait état de charges opérationnelles et d'une masse salariale maîtrisées dans un contexte de baisse des ressources, le retour à l'équilibre des comptes ne semble pas acquis. Les indicateurs de gestion montrent que les économies portent en priorité sur les dépenses de programmes ; le recours à l'emploi non permanent dépasse l'objectif ciblé et les charges de personnel représentent 35 % des charges opérationnelles.
La CAP – M. Beffara l'a rappelé – représente le financement le plus pérenne, mais il est insuffisant ; quelles solutions permettraient à votre groupe d'accomplir pleinement ses missions de service public tout en évitant un trop grand déséquilibre financier ? Vous avez plusieurs fois évoqué le retour de la publicité après vingt heures, malgré les incertitudes actuelles du marché. Cette réflexion est-elle toujours d'actualité ?
À vous lire, chaque chaîne posséderait une identité forte ; votre rapport – qui ne mentionne aucun échec – énumère, chaîne par chaîne, les programmes clés en détaillant atouts et réussites de chacun d'entre eux. La force de ces identités – hormis celles des chaînes historiques – apparaît toutefois discutable ; ainsi, en dépit du virage amorcé en 2014, on peine à partager votre enthousiasme à propos de France 4 qui, affirmez-vous, inspirerait et aiguiserait la curiosité, et encouragerait et divertirait les nouvelles générations.
Vous avez évoqué des synergies entre France 2 et France 3 ; où en est-on ? L'an passé, le rapport pour avis de mon collègue Stéphane Travert avait préconisé de repenser l'identité de France 3 et de profiter de son maillage territorial pour en faire une chaîne régionale avec des décrochages nationaux. Ce choix ne paraît pas avoir été retenu, le groupe semblant hésiter entre l'approche nationale et une approche plus décentralisée. Malgré les succès de France 3, le vieillissement de son audience pose également question. Vous dites avoir jugé le rapport Brucy très éclairant ; quels passages vous paraissent apporter des pistes nouvelles ? Vous avez affirmé que France 3 était capable d'accompagner les mutations des territoires, faisant allusion à la réforme que nous venons de voter ; comment faire de cette chaîne un lieu de débat sur la nouvelle carte des régions ?
L'essor de quelques chaînes de la télévision numérique terrestre (TNT) – qui rend le paysage audiovisuel fortement concurrentiel – fragilise-t-il, voire menace-t-il l'avenir de certaines chaînes du groupe ? Peut-il en provoquer la disparition ?
Enfin, vous dites développer l'offre transversale numérique de France Télévisions ; avez-vous envisagé une synergie avec les autres opérateurs de l'audiovisuel public ?
Monsieur le président, le groupe SRC vous remercie pour votre présence devant nous. Cette audition portant sur l'exécution du contrat d'objectifs et de moyens de France Télévisions fait écho à nos rencontres précédentes, et notamment à celle du 20 novembre 2013. Nous sommes réunis pour faire le point sur le projet de France Télévisions, ses objectifs, les missions de service public qui lui sont confiées et l'utilisation par le groupe des moyens qui lui sont alloués.
L'avenant au COM portant sur la période 2013-2015, signé par l'Etat et la société France Télévisions le 22 novembre 2013, formalisait un équilibre confortant la place du service public dans un secteur audiovisuel hautement concurrentiel, malgré la forte diminution des recettes publicitaires de l'entreprise et sa contribution à l'effort national de redressement des finances publiques. Ce document – qui insistait sur la spécificité du service public – a donné lieu à plusieurs engagements : le renforcement de l'identité de chacune des chaînes du groupe, permettant à celui-ci d'aller à la rencontre de tous les publics ; la réorientation de France 4 pour en faire une chaîne dédiée à la jeunesse, au moins pour les programmes de journée ; l'accentuation de l'offre numérique ; le maintien d'un niveau élevé de soutien à la création ; la préservation de l'offre gratuite de sport ; le renforcement de l'égalité hommes-femmes dans les programmes.
Le bilan de ce COM apparaît aussi contrasté que les chaînes du groupe public. Tout d'abord, ce dernier a maintenu son investissement dans la création française et européenne à un niveau toujours aussi élevé. En effet, le cahier des charges de France Télévisions prévoit que l'entreprise consacre chaque année 20 % d'un chiffre d'affaires de référence à la production audiovisuelle et 3,5 % à la production cinématographique. Nous pouvons nous réjouir de cette constance, même si la vigilance doit rester de mise. La production télévisée bénéficie d'une vitrine importante sur les chaînes publiques, mais les coproductions cinématographiques reflètent de plus en plus difficilement la diversité de la production française et européenne, et la diffusion des oeuvres moins grand public est trop souvent reléguée aux périphéries des grilles des programmes. Les bons scores réalisés par ces films autoriseraient pourtant un peu plus d'audace. Même si La Vie d'Adèle d'Abdellatif Kechich ou Amour de Michael Haneke témoignent de l'exigence artistique du groupe, il convient de rester vigilant quant à la diversité des programmations et des productions – élément important de l'engagement de France Télévisions en faveur du cinéma.
En matière de programmation régionale, le pré-rapport du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) sur le bilan de votre présidence dont la presse a fait état est assez sévère quant à l'état de santé de France 3. Je le cite : « Trois heures d'antenne sont ouvertes chaque jour à la programmation régionale. (…) L'objectif initial de 20 000 heures de programmes régionaux a été ramené par le récent avenant au contrat d'objectifs et de moyens à 17 000 heures annuelles pour la période 2013-2015. Cette durée comprend une part substantielle de rediffusions. En termes de volume, le programme national représente 92 % de la grille et le programme régional 8 %. (…) Il ressort ainsi des auditions menées par le groupe de travail qu'il n'y aurait pas de légitimité par principe, ni d'attente particulière du public en matière de programmes régionaux. En effet, les audiences des cases régionales restent très faibles, souvent inférieures à 3 %. L'ensemble de l'offre régionale réalise une audience moyenne de 11 % (15,5 % pour les programmes d'information et environ 4 % pour les programmes régionaux). L'augmentation des programmes régionaux aurait donc pour conséquence prévisible une chute de l'audience de France 3 ».
Ce document souligne clairement que dans ces conditions, le projet de créer une offre permanente de programmes régionaux semble inadapté. La réflexion sur le modèle de France 3 devrait tenir compte des difficultés des chaînes locales de la TNT tout en intégrant la nouvelle carte des régions que nous venons d'adopter en deuxième lecture. Ce serait l'occasion de doter l'audiovisuel public de véritables chaînes de proximité : plus autonomes et plus proches de la réalité des territoires, mais toujours inscrites au sein d'un groupe qui leur offre l'assise d'une identité nationale.
La question de l'emploi chez France Télévisions a animé ces derniers mois de nombreux débats. Dans le cadre du passage à l'entreprise unique, les organisations syndicales ont commencé par rejeter le plan de départ visant d'abord 360, puis 340 postes. Par la suite, l'amélioration des conditions de départ en retraite et la mise en place de mesures sociales d'accompagnement ont quelque peu apaisé la situation, même si les incertitudes restent nombreuses et l'inquiétude du personnel, réelle. Le respect de la trajectoire financière du groupe repose sur la réduction des effectifs et de la masse salariale. La finalisation du plan de départs volontaires qui doit ramener l'effectif à 9 750 ETP fin 2015 constitue à cet égard un enjeu majeur. À la différence des plans de départs volontaires précédents, qui n'ont pas atteint leur objectif, le nouveau plan cible 339 postes à supprimer tout en restant ouvert à d'autres candidats. Comme la rapporteure pour avis l'avait souligné dans son rapport sur le projet d'avenant au COM, il importe de mettre en place un suivi vigilant des départs afin que les postes supprimés ne soient pas remplacés par autant de « permittents ». Alors que le volume des effectifs non permanents avait augmenté en 2011 et en 2012, malgré la constitution en 2010 de l'entreprise unique et le précédent plan de départs, une amélioration est constatée dans ce domaine depuis mi-2012.
En 2012 – soit au début de l'actuel COM –, le comité permanent à la diversité mis en place au sein de France Télévisions soulignait que seulement 35,4 % des journalistes du groupe étaient des femmes. De même, si les femmes représentaient 43 % des effectifs de la société en 2012, ma collègue Martine Martinel remarque dans son rapport d'information sur le projet d'avenant au COM que « le chiffre masque mal d'autres réalités préoccupantes concernant la place des femmes dans la hiérarchie, leur rôle dans la fabrication de l'information et dans la prise de décision. (…) Seuls 26 % des chefs de rédaction sont des femmes et les comités de direction élargis sont constitués aux trois quarts d'hommes ». Paradoxalement, les femmes restent les premières consommatrices de télévision à laquelle elles consacrent quatre heures vingt-deux minutes par jour, contre trois heures trente-quatre minutes pour les hommes ; elles représentent 65 % du public sur le créneau essentiel des premières parties de soirées. Pourtant, à la télévision publique, ce ne sont pas elles qui décident des programmes. Cette situation pose problème non seulement du point de vue de l'éthique, du respect de la parité et de l'exemplarité du service public, mais également de celui de la logique d'entreprise. Monsieur le président, quels efforts France Télévisions a-t-il réalisés dans ce domaine ? J'espère que lors de votre prochaine venue, nous pourrons constater la féminisation des talents dans le groupe de conseillers qui vous accompagneront !
Compte tenu du contexte budgétaire contraint et de la baisse des recettes publicitaires, la réintroduction de la publicité en soirée et l'avenir de France 3 seront au coeur des négociations sur le prochain COM au printemps 2015. Il faudrait que la question de la diffusion des écrans publicitaires après vingt heures sur les antennes régionales – possibilité offerte par la loi du 5 mars 2009 relative au nouveau service de télévision publique – soit tranchée avant cette échéance. Qu'en pensez-vous ?
(M. Dominique Baert, vice-président de la commission des finances, remplace le président Gilles Carrez)
Monsieur le président, le groupe UMP salue le travail que vous-même et votre équipe de direction avez effectué pour réussir, malgré le contexte budgétaire difficile, à atteindre les objectifs du COM.
Vous avez, dans votre rapport, montré combien France Télévisions était actif en matière numérique. Comment voyez-vous, pour les années à venir, l'évolution de la place du groupe dans cet univers, lui-même en plein bouleversement ?
En évoquant, page 55 de votre rapport d'exécution, la question de la transmission de la culture et de la connaissance, vous vous appuyez sur une définition implicite de la culture qui laisse de côté sa composante scientifique et technique. Quelle place comptez-vous accorder à celle-ci au sein de l'offre de France Télévisions ? Comme l'a bien compris le Commissariat général à l'investissement, il s'agit d'un enjeu majeur ; plus que jamais, nous devons former les générations futures à cette dimension.
Page 20, vous mentionnez le développement des actions éducatives – orientation à saluer. Quelle coopération institutionnelle menez-vous aujourd'hui avec le ministère de l'éducation nationale et les collectivités territoriales ? Aux prises avec la réforme des rythmes scolaires, celles-ci pourraient tirer profit de l'offre de France Télévisions dans ce domaine. Avez-vous d'ores et déjà développé des partenariats avec les écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ESPE) ? Il est essentiel de placer les futurs enseignants au coeur de la maîtrise du numérique ; chacun en sortirait gagnant.
Enfin, quelles seront pour France 3 Régions les incidences des potentiels redécoupages de régions prévus par la réforme des collectivités territoriales ? Comment, dans le cadre de cette évolution, arriverez-vous à maintenir la proximité avec les territoires ?
L'exécution du COM 2013 appelle plusieurs remarques en lien avec l'actualité. Cette audition, tout comme les négociations à venir du prochain contrat d'objectifs et de moyens, sont l'occasion de réaffirmer nos attentes envers le service public de l'audiovisuel. Disposer d'un bilan précis de l'exécution du COM permettra de tirer les conclusions des réussites et des faiblesses de France Télévisions pour envisager les inflexions à imprimer à la trajectoire du groupe ; c'est pourquoi le groupe écologiste attend avec impatience les rapports du CSA et de M. Marc Schwartz, et accorde une grande importance aux moments d'échange comme celui-ci.
Je souhaite à nouveau insister sur la situation sociale au sein de France Télévisions. Les fermetures de services, la polyvalence, l'absence d'informations claires sur les évolutions à venir, la sous-utilisation du personnel et le manque de communication interne nourrissent le malaise des salariés. La détérioration des conditions de travail est dénoncée depuis plusieurs années – et pas uniquement à France 3 – et on ne peut continuer à éluder la question des emplois précaires et de la « permittence ». En effet, derrière les objectifs chiffrés et les contraintes financières, il y a les salariés, et il est impossible d'évoquer l'avenir du groupe sans s'intéresser de près aux conditions de travail. La création de l'entreprise unique s'est déjà accompagnée de douloureuses restructurations ; or l'humain ne peut en aucun cas devenir la variable d'ajustement.
Cela ne veut pas dire que la situation financière du groupe n'est pas préoccupante, notamment du fait de la diminution des dotations budgétaires de l'État. Vous connaissez notre opposition à l'invasion de la publicité ; d'autres solutions existent, telles que la redevance – dont nous avons soutenu l'augmentation dans le cadre du projet de loi de finances pour 2015.
Il est nécessaire de mieux marquer les identités des chaînes du groupe. Vous soulignez dans votre rapport d'exécution que l'objectif de volume de diffusion régionale, fixé à 17 000 heures, est dépassé ; c'est une bonne chose, mais cette appréciation comptable ne suffit pas. Attachés aux identités locales, les écologistes estiment que France 3 ne doit pas se résumer à une chaîne nationale à décrochages régionaux, mais doit devenir la chaîne des territoires. Les arbitrages financiers ne sauraient se faire au détriment de l'offre de proximité. Nous ne sommes pas les seuls à porter cette analyse : le rapport de Stéphane Travert comme celui d'Anne Brucy sont très clairs sur cette question et nous souhaiterions que leurs préconisations se traduisent concrètement dans les faits. À ce propos, la réforme territoriale ne doit pas devenir une occasion de plus pour éloigner les antennes régionales du local. Ainsi, il faut maintenir l'antenne picarde qui a su développer cette dimension au-delà du seul journal télévisé.
Que pensez-vous de la piste – souvent évoquée – d'une chaîne d'information publique en continu ? Faut-il développer des offres numériques communes aux différentes chaînes de télévision et de radio du service public ?
Pour en revenir à la question de l'identité des chaînes, celle de France 4 nécessite encore d'être affinée, au risque de passer à côté de son public. Quant à France Ô, elle ne doit pas porter à elle seule la représentation de la diversité au sein du groupe – objectif capital pour un service public. Il faut mener une véritable réflexion sur cet enjeu, d'autant que le rapport d'exécution du COM 2013 indique que le reflet de la diversité est en baisse.
En matière d'accessibilité des programmes, la progression est réelle et bienvenue, mais il faut aller bien plus loin, notamment dans les objectifs à atteindre, et accompagner cette volonté de moyens. Les personnes malentendantes, sourdes, malvoyantes ou aveugles doivent disposer d'autant de choix que n'importe quel autre téléspectateur. La légère progression du taux d'emploi des personnes handicapées reste également insuffisante ; faut-il rappeler que l'obligation légale est de 6 % et non de 4,45 % ? De même, comme l'a noté Michel Pouzol, la marge de progression est grande pour la place des femmes et leur visibilité. Le service public doit être exemplaire sur ces questions ; le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes propose d'ailleurs, dans son rapport d'octobre dernier, de conditionner les financements publics à de réels engagements en faveur de l'égalité des sexes. Comment comptez-vous agir concrètement ?
Des efforts importants restent à réaliser en matière de diffusion des programmes culturels. Il faut s'interroger sur les horaires de diffusion, mais également revoir l'offre en théâtre, ballet, documentaire ou opéra. De même, il faudrait renforcer encore l'offre de programmes en langues étrangères et le sous-titrage. J'ai bien noté les efforts faits pour développer le service multilingue ; où en êtes-vous à ce jour ?
Monsieur le président, le groupe UDI vous remercie à son tour pour votre venue devant nos deux commissions. En effet, l'exécution du COM 2013 se situe au croisement de deux enjeux : la saine gestion des finances publiques et la réussite de la mission fondamentale de service public qu'assume France Télévisions.
Je souhaite tout d'abord vous interroger sur l'extinction progressive, d'ici 2017, des dotations du budget général affectées au financement de l'audiovisuel public, permise par la progression du rendement de la CAP. Nous considérons pour notre part que les hausses successives de cette contribution ne peuvent pas constituer une modalité de financement satisfaisante de l'audiovisuel public. En outre, la baisse accélérée des dotations budgétaires ne laisse aucune marge de manoeuvre à France Télévisions pour adapter son modèle aux défis que l'entreprise doit relever.
Quelles modalités de financement vous apparaissent les plus pertinentes au regard des enjeux propres à France Télévisions ? Quels axes le groupe privilégie-t-il pour réussir la transition numérique, indispensable pour s'adapter aux mutations profondes du secteur ? Le projet de rapport du CSA sur le bilan de votre mandat qui a filtré dans la presse dresse un constat accablant de l'activité numérique de votre entreprise, et en questionne sans détours la rentabilité ; quels éclairages pouvez-vous nous apporter sur ce point ?
Je voudrais tout d'abord évoquer la mémoire d'Hélène Duc, grande comédienne disparue avant-hier, qui avait illuminé de son talent le cinéma, le théâtre et la télévision française.
Monsieur le président, au nom du groupe RRDP, je vous remercie pour votre présence parmi nous dans le cadre de ce rendez-vous annuel. J'aimerais avant tout saluer le travail engagé par France Télévisions pour revoir et recentrer le positionnement de ses chaînes dont on pouvait, avec l'agrandissement du bouquet, déplorer la relative perte d'identité. Comme l'indique le rapport d'exécution, il s'agit des seules chaînes historiques à avoir marqué une progression sur les cinq premiers mois de l'année – une raison de se réjouir.
La chaîne de référence du groupe – France 2, qui est à nouveau en 2013 la deuxième chaîne française avec 14 % de part d'audience annuelle – en représente la principale force. Elle couvre un large spectre de contenus, allant de l'actualité nationale et internationale aux événements les plus divers ; sa qualité fait honneur au service public. La modernisation de France 5 lui permet également de rencontrer de nombreux succès ; les émissions telles que C dans l'air ou C à vous – qui répondent à la curiosité et au besoin de s'informer des citoyens – ont largement fait leurs preuves. Néanmoins, les autres chaînes semblent encore se chercher, comme par exemple France 4 qui cible désormais plus nettement le jeune public. Nous attendons avec impatience les avancées que le rapport laisse espérer dans ce domaine dans les prochains mois.
Le rapport d'exécution souligne la place grandissante de la culture sur les chaînes de France Télévisions. Il est vrai – et il faut saluer ce choix – que les chaînes publiques proposent la retransmission de pièces de théâtre, la découverte de musées et d'autres trésors patrimoniaux, permettant ainsi à un public élargi d'en bénéficier. Néanmoins, le répertoire retenu se limite encore trop souvent à des oeuvres célèbres ou consensuelles ; des actions culturelles locales devraient être davantage valorisées. Ne pourrait-on pas, dans le cadre du renforcement de l'identité régionale de France 3 et en tenant compte de la réforme territoriale, accentuer la couverture des événements locaux – débats, festivals, manifestations consacrées à la poésie ? Dans son rapport sur l'avenir de France 3 commandé par le ministère de la culture et de la communication, Mme Anne Brucy explique que le public attend des informations de proximité plus riches, dépassant la seule actualité nationale. La mission conclut à la nécessité de valoriser davantage la vie et les initiatives régionales sur France 3 ; sans verser dans le régionalisme, je souscris totalement à cette idée, d'autant qu'il s'agit souvent d'initiatives prônant la multiculturalité.
Enfin, le service public se doit d'être exemplaire dans sa politique de l'emploi. Or le chemin reste encore ardu pour parvenir à la parité hommes-femmes chez les journalistes et les reporters des grandes chaînes. Que faites-vous pour promouvoir l'égalité salariale ?
L'exemplarité doit également se manifester en matière de contrats de travail. Certaines grandes chaînes recourent trop souvent au régime de l'intermittence pour des postes liés au spectacle, mais aussi pour des emplois n'ayant guère de rapport avec le statut d'artiste ou de technicien du spectacle. Ne serait-il pas plus justifié et plus juste, pour des emplois durables ou récurrents, de proposer un CDD ou un CDI ? Nous l'avons vu cet été, ces abus amènent régulièrement à une crise et à la remise en question du statut des intermittents – conséquence dommageable à la fois pour les salariés concernés dont la précarité ne cesse d'augmenter, pour la création et pour les caisses de l'État. Les chaînes du service public ne devraient-elles pas, en cette matière, montrer l'exemple ?
Monsieur le président, le groupe GDR rend hommage à l'énergie et au professionnalisme des équipes de France Télévisions. Observer l'exécution d'un COM ne revient pas uniquement à se pencher sur des chiffres pour se demander si l'on a réussi à atteindre l'équilibre, mais aussi à se demander si l'on a rempli les missions d'une télévision publique. À celle-ci on demande beaucoup : fédérer tous les publics, proposer un programme diversifié de qualité, maintenir les aides à la production et à la création à un niveau élevé. Pourtant, elle manque de moyens pour assumer ces missions. Même si l'on décidait de revenir à la publicité après vingt heures, les ressources publicitaires – vous l'avez souligné – restent aléatoires. Il faut donc envisager une dotation publique pérenne et d'un niveau suffisant. En effet, la redevance représente une source importante de recettes, mais l'on ne pourra pas toujours demander plus aux familles ; il faut faire évoluer l'assiette de la CAP pour financer une télévision publique de qualité.
Or à vous entendre et à lire les différents COM – c'est pourquoi j'avais voté contre l'avenant en 2013 –, on a parfois l'impression que la seule solution pour résoudre ce dilemme entre l'exigence de qualité et l'insuffisance et la précarité des moyens consiste à rogner l'emploi. Vous avez donné les chiffres concernant les suppressions de postes, mais semblez vouloir poursuivre ce mouvement. Jusqu'où ira-t-on, à coup de plans de départs anticipés, avant de remettre en cause le maintien de la qualité de l'offre ? Le personnel s'inquiète des conséquences sur l'emploi de l'exercice 2015 si le budget est aussi serré que prévu.
Vous avez souligné le soutien important – 413 millions d'euros – que France Télévisions accorde à la production. Quel regard portez-vous sur le rapport Vallet ? Quelles évolutions faut-il envisager pour vous permettre de bénéficier davantage de cet effort ?
Enfin, les chaînes de France Télévisions couvrent la plus grande diversité de pratiques sportives, sans se limiter aux plus rentables d'entre elles ; un effort est fait pour consacrer une place au sport féminin. Face au comportement de chaînes comme BeIN Sports, vous avez pour le moment préservé la retransmission du Tour de France, mais semblez avoir plus de mal à garder le rugby. Quelle enveloppe vous permettrait de continuer à couvrir toute la diversité des événements sportifs ?
Monsieur Beffara, si l'on fait le choix d'un financement mixte – basé sur la CAP et la publicité –, il faut absolument lui donner une stabilité dans la durée. Je suis pour ma part favorable à l'extinction de la subvention de l'État, source de fragilité ; c'est pour nous adapter à sa diminution – et non à une baisse des recettes de la CAP – que nous avons dû lancer le plan d'économies massives.
Si la CAP n'est pas élargie à tous les écrans – avec une redevance par foyer disposant d'au moins un écran –, son rendement baissera inéluctablement et rapidement car les jeunes adultes regardent de plus en plus la télévision sur d'autres types de postes. Les Allemands, les Anglais, les Belges et les Suisses ont déjà fait cette réforme, et l'Europe entière est en train de les suivre. Les Italiens souhaitent actuellement la mener de manière plus radicale encore.
S'agissant de la publicité, les chaînes qui proposent aux annonceurs des écrans puissants – plages horaires en soirée, à forte audience – captent une part croissante des budgets. Par conséquent, malgré nos audiences correctes dans l'après-midi, la diminution de la publicité sur France Télévisions est beaucoup plus forte que celle du marché. Sans envisager de rouvrir à la publicité la totalité des écrans après vingt heures, préserver le financement mixte exige de disposer de quelques écrans puissants. Ainsi, réintroduire la publicité entre vingt et vingt et une heures sur France 2 et France 3 nous rapporterait une centaine de millions d'euros environ, même si le montant exact dépend des conditions du marché. En diffuser à la mi-temps des événements sportifs en soirée nous donnerait jusqu'à une dizaine de millions ; ces revenus pourraient d'ailleurs nous permettre d'acheter davantage d'événements sportifs. En effet, comme le souligne Mme Buffet, France 2 est aujourd'hui la seule parmi les chaînes généralistes et gratuites à offrir du sport. Ce week-end, nous avons ainsi diffusé le match de rugby France-Argentine et la coupe Davis. Aucune chaîne privée n'achète plus ces événements – désormais retransmis par les chaînes payantes –, se contentant des matchs de football de l'équipe nationale. Ayant failli perdre la coupe d'Europe de rugby – nous avons finalement obtenu la moitié des droits détenus jusqu'à maintenant –, nous avons besoin de moyens supplémentaires pour acheter ce type d'événements.
La publicité sur France Télévisions ne coupera jamais les programmes de fiction ou de cinéma ; je n'envisage pas non plus d'en remettre après vingt et une heures. En revanche, réintroduire la publicité entre vingt et vingt et une heures contribuerait à consolider notre chiffre d'affaires. L'union des annonceurs s'y est d'ailleurs dite extrêmement favorable, soulignant la spécificité du public de France Télévisions et de sa réception du message publicitaire. La conséquence d'une telle décision sur le marché et sur la répartition de la publicité entre les différents grands acteurs sera infiniment moins importante que celle de l'arrivée sur ce marché de Google. En effet, les 100 millions d'euros que cela rapporterait à France Télévisions sont à comparer aux quelque 1,5 milliard que Google captera cette année.
Les recettes de la publicité régionale – diffusée sur France 3 avant vingt heures – ont diminué de 42 % entre 2010 et 2013, passant de 20,8 à 12 millions d'euros. Ouvrir un écran après vingt heures nous servirait donc non à développer, mais à essayer de maintenir le niveau de nos ressources. Soulignons que la publicité régionale – qui correspond aux besoins des annonceurs régionaux – ne concurrence pas la PQR qui vend de la publicité locale sur des zones de chalandise et qui vise la grande distribution et le commerce, alors que France Télévisions se spécialise sur la publicité institutionnelle. Nous étudierons la question durant six mois et serons prêts à la discussion ; mais les premières semaines d'observation laissent à penser que les dégâts se révéleront extrêmement faibles.
Le rapport de Mme Anne Brucy montre que le modèle actuel de France 3 – celui d'une grande chaîne nationale à décrochage régional – est plébiscité par nos concitoyens car l'offre nationale de France 3 est très différente de celle des autres chaînes. Dans la journée, France 3 propose des programmes de proximité – Midi en France, puis Météo à la carte – ou des jeux qui s'adressent à un public très spécifique ; en première partie de soirée, elle diffuse soit des fictions patrimoniales, soit des émissions telles que Des racines et des ailes ou Thalassa, ancrées dans les territoires. Le public est attaché à ces programmes nationaux très identitaires et complémentaires de ce que fait France 3 Régions. À partir de ce modèle, il nous faut développer des contenus régionaux plus importants – notamment le matin –, accompagner tous les événements par des prises d'antenne événementielles, mener des expérimentations à l'image de ce que nous faisons en Corse avec la création de Via Stella sur un canal parallèle, qui est désormais la quatrième chaîne de l'île en part d'audience. Il faut démultiplier nos activités, notamment par le biais du numérique qui se développe fortement en régions.
Quelques mots sur le positionnement des chaînes de France Télévisions. Le tournant éditorial effectué par France 4 en mars 2014 poursuivait un triple objectif : s'adresser, en tant que service public, aux jeunes nés après 2000 – les « millenials » –, des plus petits aux adolescents qui deviennent peu à peu de jeunes adultes ; raconter le monde de demain à ceux qui le feront ; être la chaîne de l'innovation, tant en matière de formes télévisuelles que de fond des sujets traités. L'ancienne France 4 diffusait jusqu'à neuf heures de fictions américaines par jour ; durant les deux saisons avant ce tournant, elle a ainsi programmé 1 400 épisodes de la série Urgences. Aujourd'hui, son offre en fait une chaîne unique en son genre. Elle propose neuf heures d'émissions ludo-éducatives par jour – contre trois dans l'ancienne formule. Ces émissions investissent le domaine de l'information, faisant du décryptage et de la pédagogie – chaque jour, une question est traitée en partenariat avec Bayard –, abordent la philosophie ou les mathématiques. Pour les jeunes, nous proposons des émissions de flux en phase avec les préoccupations de ce public – Permis de conduire, Cam Clash ou On n'est plus des pigeons –, des séries documentaires originales comme Une saison au zoo qui assure la transition entre la journée et la soirée, et des formules documentaires innovantes qui décryptent la société contemporaine : Beijing Calling – Les rockeurs de l'Empire du milieu, L'Amour en cité ou Love me Tinder qui suit les pérégrinations de filles et garçons aux prises avec ce nouvel outil de rencontres. Nous avons également développé un magazine d'information hebdomadaire décalé, L'Autre JT. France 4 est la seule chaîne de la TNT à proposer chaque mercredi, en première partie de soirée, des films de cinéma dont l'origine est majoritairement française et européenne, et en deuxième partie de soirée, du cinéma indépendant avec des films d'auteur en version multilingue. C'est également la seule à avoir investi dans la production originale en animation adulte, avec des développeurs et des producteurs français. Enfin, elle propose quelques programmes plus innovants comme le TVLab ou les web-séries de Studio 4.0, mais également trois cents heures de concerts par an et le magazine musical Monte le son, toute son offre s'accompagnant d'une approche numérique. Certes, la chaîne reste très jeune – France 4 n'a même pas un an –, mais sa nouvelle identité nous semble différente non seulement de celle des autres chaînes de France Télévisions mais aussi de celle des autres chaînes de la TNT.
Entre France 2 et les programmes nationaux de France 3, les différences sont réelles : la première propose des émissions de partage et de témoignage, alors que la seconde cible la proximité. En première partie de soirée, France 2 diffuse des programmes emblématiques comme les magazines d'investigation – Cash investigation ou L'Angle éco –, les grandes collections de documentaires, les fictions unitaires sur les sujets de société, les magazines sur les grands enjeux de la décennie, les magazines scientifiques ; en deuxième partie de soirée, la chaîne offre un éclairage de l'actualité via le prisme de la culture ou de la politique. France 3, en revanche, diffuse des émissions qui tissent le lien de proximité immédiate avec les Français comme Midi en France, Les Carnets de Julie ou Météo à la carte, sans compter les magazines qui contribuent au rayonnement du patrimoine et des territoires, et les fictions qui se passent localement. Contrairement à une idée reçue, les téléspectateurs savent très bien distinguer France 2 et France 3, porteuses d'une identité différente ; si ces deux grandes chaînes généralistes présentent quelques territoires communs – comme l'histoire –, elles les abordent de façon spécifique. Ainsi les documentaires historiques de France 3 sont-ils plus pointus, alors que ceux de France 2 apparaissent plus pédagogiques ; à travers les magazines de Stéphane Bern ou les grandes séries documentaires comme Apocalypse – véritables outils de démocratisation –, cette chaîne ouvre l'accès à l'histoire au plus grand nombre. Au total, les deux identités sont aujourd'hui clairement définies.
(Mme Aurélie Filippetti, secrétaire de la commission des finances, remplace M. Dominique Baert, vice-président)
Nos effectifs se trouvent actuellement à un niveau inférieur à celui qui avait été prévu par notre budget et – pour les charges de personnel – aux indicateurs du COM. Il faut en effet veiller au non-remplacement effectif des emplois supprimés dans le cadre du plan de départs volontaires, afin que celui-ci ne produise pas d'effet d'aubaine, mais corresponde bien à une trajectoire de réduction des effectifs. Ainsi, s'il nous a été facile de trouver des candidats au départ – bien plus nombreux que les 340 recherchés –, la difficulté consiste à refuser certaines candidatures, en l'absence de garantie que le départ permettra une diminution correspondante du volume d'emploi.
En matière d'emploi non permanent, nous avons engagé des négociations avec nos partenaires sociaux, leur proposant récemment un accord. Nous souhaitons en réduire le volume et sommes déjà allés en la matière largement au-delà des objectifs définis dans le COM, notamment par le biais de transformations de CDD en CDI, qui représentent sur les quatre dernières années plus de mille ETP. Parallèlement, nous négocions avec les organisations syndicales pour déterminer les conditions d'une pérennisation des contrats pour les collaborateurs non permanents de longue durée. Enfin, nous définissons les modalités d'accompagnement de cessation de collaboration avec France Télévisions : aux conditions financières s'ajoute un volet qualitatif avec une aide à la formation et à la reconversion.
Nous sommes très attentifs aux risques psychosociaux ; alertés par une série de situations dramatiques, nous avions d'ailleurs fait une pause dans la réduction des effectifs au début du mandat de Rémy Pflimlin, en attendant que les effets de l'entreprise unique permettent de réengager cette trajectoire dans des conditions plus acceptables. Sortant d'une période difficile de réorganisation de l'entreprise, nous avons récemment, en accord avec la commission de prévention des risques psychosociaux à laquelle participent les syndicats, fait appel à Henri Vacquin – un sociologue qui ne saurait être soupçonné de complaisance envers la direction – pour déterminer comment conforter durablement la prévention de ces risques. Son rapport est en cours de rédaction et nous comptons en tirer toutes les leçons.
En matière d'égalité professionnelle hommes-femmes, la dernière édition du baromètre de cohésion sociale – sondage que nous organisons tous les ans et demi auprès de l'ensemble du personnel de France Télévisions – montre que tous les indicateurs sont en progrès dans ce domaine. Ainsi, pour l'accès des femmes à des postes d'encadrement, le taux de satisfaction augmente de quelque 21 % par rapport à l'enquête précédente ; pour la présence des femmes à l'antenne, ce taux s'élève à 75 % ; pour la lutte contre les stéréotypes, l'indicateur progresse de 11 %. Pour autant, nous ne serons pas satisfaits tant que l'égalité ne sera pas totale. Les opérations d'harmonisation que nous avons menées dans le cadre de l'accord collectif nous ont permis d'apporter une série de corrections aux écarts de rémunération, mais la vraie question reste celle du plafond de verre – le problème de la progression de carrière et de l'accès aux postes de responsabilité – sur laquelle nous travaillons spécifiquement.
Le taux d'emploi handicapé n'est certes pas satisfaisant puisque l'objectif est d'atteindre au moins 6 % ; cependant, il est de loin le meilleur de l'audiovisuel public comme privé, d'autant qu'il s'agit essentiellement d'emplois directs. En revanche, le taux de recours aux entreprises du secteur adapté apparaît plutôt faible en proportion ; nous nous sommes donc fixé pour objectif de faire progresser nos achats jusqu'à atteindre environ un million d'euros à l'horizon 2015.
L'obtention, par France Télévisions, du « Label diversité » a donné lieu à une véritable mobilisation de l'entreprise ; aussi la réalisation de cet objectif que j'avais fixé ne constitue-t-elle pas une fin, mais une démarche que nous comptons poursuivre.
En matière de présence des femmes à l'antenne, j'ai pris une série d'engagements, notamment celui de parvenir à au moins 30 % de femmes parmi les experts invités sur les plateaux. Cet objectif a été dépassé, mais il faudrait à terme arriver à 50 % ; Thierry Thuillier y travaille avec les équipes de l'information. À ce propos, c'est une femme – Agnès Vahramian – que nous avons nommée rédactrice en chef du journal télévisé de vingt heures de France 2. Elle a pris ses fonctions il y a quelques mois et nous sommes ravis de sa contribution à cette émission emblématique.
Monsieur Hetzel, une série de documentaires et d'émissions de France 5 – notamment On n'est pas que des cobayes ! diffusé le vendredi soir – contribuent à promouvoir la culture scientifique ; nous allons poursuivre le travail sur les documentaires. Cet après-midi, j'ai participé à une réunion avec le Centre de liaison de l'enseignement et des médias d'information (CLEMI) pour évoquer la plateforme éducative que nous lançons au début de l'année prochaine et qui permettra aux familles de consulter tous les programmes éducatifs contribuant à la formation des jeunes et des enfants.
Si France 3 compte accompagner le redécoupage régional à travers des émissions, des magazines et des débats, nous n'avons pas l'intention de fermer nos antennes locales. Celles-ci restent indispensables pour une véritable information de proximité car on ne saurait traiter l'actualité d'Amiens à partir de Lille. Nous devons absolument conserver, sur tout le territoire, cette spécificité qui fait notre légitimité et notre succès. En effet, si l'on met de côté le cas de Paris et des bureaux proches de la capitale – qui écrasent le résultat à l'échelle nationale –, les audiences de nos journaux régionaux nous permettent le plus souvent de nous placer en tête au niveau local, non seulement dans les zones rurales, mais également dans des villes importantes comme Marseille ou Toulouse.
En matière de numérique, notre stratégie suit depuis longtemps trois directions : être présents sur tous les écrans, dans une logique d'« hyperdistribution » ; multiplier les expériences autour des programmes, en développant notamment la télévision sociale ; construire des offres de destination, c'est-à-dire des plateformes thématiques présentes sur les écrans et la télévision connectés. Nous projetons de développer de plus en plus ces offres de destination et de les faire entrer dans l'univers de la recommandation en maîtrisant les algorithmes et les données. Nous les construisons dans une démarche de service public, autour de thèmes particuliers – culture, éducation, information, sport ou jeunesse –, et d'innovation, privilégiant le travail avec des start-up locales afin de promouvoir les compétences du secteur dans le domaine de la création de contenus numériques ou d'interfaces spécifiques.
Madame Buffet, si nous devons évidemment travailler main dans la main avec les créateurs dans notre mission d'accompagnement de la production française, le travail réalisé par le ministère fait aujourd'hui évoluer nos rapports avec les producteurs. Il doit nous donner accès à des parts de coproduction qui nous permettront de fédérer les producteurs et les créateurs dans le monde du numérique pour développer ensemble des contenus numériques. Cette évolution – qui nous fournit quelques ressources, mais nous fait surtout jouer le rôle de partie prenante – m'apparaît indispensable. Le débat a eu lieu à l'Assemblée et les décrets sont aujourd'hui prêts ; j'appelle de mes voeux la mise en oeuvre de ce projet.
En matière de sous-titrage et de multilinguisme, il est aujourd'hui possible – notamment pour les films diffusés sur France 2 – d'avoir la version originale si l'on utilise un téléviseur en TNT et des écrans connectés. Comme tous nos programmes nationaux sont sous-titrés pour les sourds et les malentendants – conformément à l'engagement que nous avons pris dans le cadre du COM –, le sous-titrage est également disponible.
La loi du 15 novembre 2013 prévoit que le CSA éclaire la représentation nationale sur l'exécution des COM ; il est dommage, au moment d'examiner le rapport d'exécution du COM 2013, de ne pas disposer de l'avis du Conseil sur cette exécution !
Monsieur le président, l'entreprise unique constitue-t-elle une réussite ? Où en êtes-vous dans sa mise en place ? Quelles nouvelles organisations envisagez-vous afin de parvenir à réaliser des économies ? Nous souhaiterions vous entendre parler des perspectives et non seulement du bilan.
Le numérique représente indéniablement un succès de France Télévisions, notamment en matière de télévision de rattrapage. Ainsi, vous signalez dans le rapport qu'en novembre 2013, 91,6 % des programmes proposés entre dix-sept heures et minuit par France 2, France 3 et France 5 étaient disponibles sous ce format sur internet. Les plateformes fonctionnent bien, mais cet effort vous a coûté cher ; quels est aujourd'hui le retour sur investissement ?
À propos de l'identité éditoriale de France 3, vous avez dit votre préférence pour le modèle de chaîne nationale à décrochages régionaux ; je constate que 50 % de l'audience de cette chaîne sont composés de personnes de plus de soixante-cinq ans. De même, 71 % des téléspectateurs de France 2 ont plus de cinquante ans. Qu'il s'agisse d'un vieillissement de l'audience ou d'une audience stable de personnes âgées, comment abordez-vous ce sujet ? À l'inverse, l'identité de France 4 semble évoluer vers un rajeunissement. Avez-vous conduit un travail en ce sens ? Comment envisagez-vous l'avenir de la chaîne dans ce domaine ?
Enfin – situation symptomatique de la crise identitaire des chaînes – France Ô se présente comme la chaîne de la diversité et les choix éditoriaux y ont augmenté la part des programmes ultramarins. Pourtant, la chaîne semble peiner à trouver son public puisque les sondages de Médiamétrie de septembre en évaluent l'audience à 0,6 %, alors qu'elle bénéficie d'un budget de 35 millions d'euros ; cela représente beaucoup d'argent pour peu d'audience ! Que pensez-vous de l'identité de France Ô ?
Étant donné le contexte difficile, l'exécution des engagements du COM en 2013 apparaît très satisfaisante.
La capacité de France 3 à donner de la visibilité aux territoires et à en accompagner les mutations – défi qui nous attend – apparaît précieuse. En tant que député alsacien, je mets en garde contre une prise en compte trop rapide de la nouvelle grande région de l'Est car il convient de rester en phase avec les identités locales. Ne prenons pas le risque de perdre l'audience de nos téléspectateurs ! L'exemple de Midi en France est à cet égard éclairant : alors que les temps sont durs pour les élus, l'émission bénéficie d'une forte audience et d'une réelle sympathie. Ayant eu la chance de l'accueillir cette semaine dans ma ville, j'ai été impressionné par sa capacité à tisser des liens et à générer des échanges – capacité hors de portée des chaînes privées.
Vous avez beaucoup investi dans le numérique ; alors que l'audience des sites internet – notamment des vingt-quatre sites régionaux – a beaucoup évolué, quelles pistes de ressources complémentaires liées à cet investissement pouvez-vous explorer ?
Monsieur Pflimlin, vous affirmez dans le rapport d'exécution du COM pour 2013 que France Télévisions est restée l'espace privilégié du débat démocratique et citoyen, l'objectif constant du groupe étant l'information et le pluralisme. Il est pourtant un sujet qui lui échappe : celui du système prostitutionnel. J'avais déjà eu l'occasion de vous interpeller à propos de deux émissions sur la prostitution diffusées par France 2, qui proposaient une vision restrictive et partisane du phénomène. Le CSA vous avait également écrit au sujet d'une d'entre elles, Ce soir ou jamais, notant « le caractère complaisant de l'interview de M. Dominique Alderweireld » – dit Dodo la Saumure – « par M. Frédéric Taddeï et regrettant que l'animateur n'ait pas donné tous les éléments permettant d'assurer l'équilibre des points de vue ». Votre documentaire Putain, c'est pas simple, diffusé mardi 18 novembre, a affiché le même parti pris d'une vision idyllique et mensongère, mettant en vedette des intervenants connus pour demander clairement l'abrogation de nos lois réprimant le proxénétisme.
Une chaîne publique devrait au moins avoir l'honnêteté de laisser également s'exprimer celles et ceux qui présentent la prostitution comme ce qu'elle est : un rapport sexuel imposé par l'argent et subi pour des raisons économiques. Je vous demande à nouveau de donner la parole aux survivantes du système prostitutionnel, afin de créer les conditions d'un débat réaliste et équilibré et d'éclairer le plus objectivement possible les téléspectateurs et téléspectatrices sur cet important sujet de société. En effet, au-delà de la liberté de certains – surtout celle des proxénètes de gagner beaucoup d'argent –, la prostitution renvoie à la traite des êtres humains – femmes et enfants – à des fins d'exploitation sexuelle, à la dignité humaine bafouée, à la domination masculine et à la violence faite aux femmes. En ce jour de lutte internationale contre ce dernier fléau, il eût été heureux que la question fût abordée sous cet angle et non sous celui de la complaisance. Ce sujet – qui conditionne le regard de nos jeunes générations sur le respect mutuel et le refus de toute marchandisation du corps – mérite un peu de pédagogie ; alors que le Parlement s'apprête à se saisir à nouveau de la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel, la diffusion d'une émission de bonne tenue, évitant tout racolage, pourrait remplir ce rôle éducatif.
Monsieur Pflimlin, lors de votre dernière audition, il y a un an, je vous avais demandé pourquoi le service public de l'audiovisuel n'avait pas diffusé Les Nouveaux chiens de garde de Gilles Balbastre et Yannick Kergoat, tiré d'un essai de Serge Halimi. Comment « le » documentaire de 2012 aux 220 000 entrées en salle a-t-il pu être ignoré par toutes les chaînes de France Télévisions ? Les Français ne souffrent pourtant pas d'un excès de documentaires intéressants ! Pour débattre de cette question, encore faut-il recevoir une réponse. Comme vous ne m'aviez pas répondu lors de l'audition, j'avais accepté votre promesse de réponse écrite ; j'ai bien reçu un long courriel de votre part, mais à ma grande surprise, aucune réponse – même détournée ou évasive – ne m'y attendait. Je vous l'ai indiqué par retour de courriel, mais à cette heure j'attends toujours une réaction, votre silence constituant sans doute en lui-même une forme de réponse. Qui est donc l'auditeur et qui est l'audité aujourd'hui ? Les députés présents sont-ils là pour écouter ce que vous souhaitez leur dire ou bien êtes-vous réellement disposé à répondre de vos choix et décisions devant les parlementaires que la constitution de la République française a chargés du contrôle de l'action de l'État ? Je vous renouvelle donc ma question : pourquoi les chaînes de France Télévisions n'ont-elles pas diffusé Les Nouveaux chiens de garde alors que vous écrivez, page 19 de votre rapport, que « toutes les écritures et formes y trouvent leur place » ? Y aurait-il des exceptions à cette règle ?
De nombreuses études scientifiques ont établi de façon indiscutable que la publicité télévisée était, une fois les facteurs génétiques individuels écartés, la principale cause d'obésité infantile. Le législateur n'est pas allé au bout de sa démarche en 2009, mais vous êtes en position de décider seul ; que comptez-vous faire pour supprimer, sur vos chaînes, la publicité destinée aux enfants ?
Étendre la place de France Télévisions dans un univers numérique et technologique en évolution exige de pratiquer l'« hyperdistribution » et d'accroître le partage des programmes. En effet, pour exister au milieu du flot d'information continu, il faut exploiter tous les moyens et supports de diffusion : téléviseurs, tablettes, sites et réseaux sociaux. Les chiffres que vous citez dans votre rapport montrent la hausse des usages sur les mobiles et les tablettes : le nombre de visites à partir de ces terminaux a crû de 50 % entre décembre 2012 et décembre 2013. Cela dit, le terme de partage culturel doit être réservé aux oeuvres de grande qualité ; des téléfilms renseignant sur l'histoire, les sciences et les arts – tels que La Loi, qui nous a été présentée hier soir en avant-première à l'hôtel de Lassay, ou Marie Curie, une femme sur le front – permettent de susciter le débat. La création de Culturebox ouvre aussi sur la création musicale et culturelle ; quel lien existe-il entre la programmation et cette plateforme numérique ?
Vous soulignez le développement de l'offre d'information sportive ; la diffusion du sport féminin a-t-elle réellement progressé par rapport à celle du sport masculin ?
Dans le cadre de la coupe du monde de football féminin qui sera organisée au Canada en 2015 – et peut-être en France en 2019 –, France Télévisions se portera-t-il candidat pour l'achat des droits de diffusion ?
Monsieur le président, vous indiquez dans votre rapport que le sous-titrage à destination des personnes sourdes et malentendantes a été pour l'essentiel confié par France Télévisions à sa filiale Multimédia France Productions (MPF) – premier laboratoire français de sous-titrage. Pour le journal télévisé, ce travail était auparavant réalisé exclusivement par des journalistes détenteurs d'une carte de presse, qui dépendaient donc de la direction de l'information. Or à travers MPF, vous faites désormais appel à des salariés sous le statut précaire d'auteurs ; quant aux journalistes jadis affectés à ce service pionnier, ils attendent aujourd'hui un redéploiement et ne disposent pour la plupart d'aucune solution de reclassement professionnel. Quelles mesures comptez-vous prendre à leur sujet ?
La couverture des jeux équestres mondiaux qui ont eu lieu en Basse-Normandie en septembre dernier m'a convaincu de la qualité du travail de France 3 Régions. Les propositions du rapport Brucy quant à son avenir resteront lettre morte ? Faut-il attendre celles du rapport Schwartz ? Quand ce travail de réflexion sur l'identité de la chaîne pourra-t-il démarrer ? De même, vous avez évoqué l'identité de France 4, mais les changements opérés depuis le mois de mars dernier restent peu clairs. Contrairement à France 2 ou à France 5 – chaîne des savoirs –, France 4 se cherche toujours ; pouvez-vous nous donner des éléments complémentaires sur ce point ?
À l'instar de tous les médias, France Télévisions est bousculé par les nouvelles pratiques de consommation de nos concitoyens dans le domaine du numérique ; aussi, monsieur le président, votre souhait de préparer la télévision de demain, annoncé dans votre rapport, doit-il être salué. Avec près de dix millions de personnes qui se connectent chaque mois à votre site internet, France Télévisions n'a pas à rougir de son dynamisme sur la toile. Néanmoins, il ne faut pas s'endormir sur ses lauriers, et le sous-chapitre du rapport consacré au numérique me laisse sur ma faim. Comment France Télévisions envisage-t-il son avenir dans ce domaine ? Quels grands objectifs poursuivez-vous, notamment en matière de création de nouvelles offres et services, au-delà de la seule télévision de rattrapage ? Le numérique permet-il de dégager de nouvelles recettes, notamment publicitaires ? Où en sont vos développements sur la télévision connectée ?
Avec internet, les citoyens souhaitent dorénavant plus d'interaction avec leurs médias ; comment envisagez-vous ce dialogue indispensable ?
Enfin, le numérique et les salles de classe de plus en plus connectées permettent d'envisager des innovations formidables en matière de transmission du savoir et d'éducation. Comment le service public de l'audiovisuel envisage-t-il son partenariat avec le monde de l'éducation pour la conception, la production et la diffusion de contenus éducatifs ?
Monsieur Rogemont, le passage à l'entreprise unique représente un processus de longue haleine sur lequel nous travaillons depuis trois ou quatre ans. Si nous ne sommes pas encore au bout du chemin, nous avons bien avancé et disposons désormais d'un système financier et social unique et d'outils sans cesse plus proches. La fusion de deux régions – m'a récemment confié le président d'une d'entre elles – exigerait au minimum six années ; aussi aurons-nous réalisé ce travail complexe en un temps record. La nouvelle organisation permettra de libérer les énergies en mutualisant les moyens – source d'économies importantes – et en décentralisant nos activités pour redonner l'initiative aux unités opérationnelles. Voilà notre projet d'entreprise.
L'audience de nos chaînes connaît en effet un vieillissement, mais celui-ci apparaît moins rapide que chez nos concurrents, notamment privés. Si l'âge moyen de nos téléspectateurs est plus élevé, il n'a augmenté, sur les quatre dernières années, que de deux ans alors que les autres chaînes en ont gagné trois ou quatre. Ce problème touche tous les médias traditionnels ; ainsi l'âge moyen des lecteurs de presse écrite et des auditeurs de radio est-il très élevé. Le rajeunissement du public de France 4 grâce aux programmes pour enfants en journée et aux émissions pour jeunes adultes en soirée constitue une façon de répondre à ce phénomène. La chaîne n'existe que depuis mars 2014 et nous tâtonnons encore pour trouver la meilleure façon de nous adresser à ces jeunes publics et de les faire participer.
France Ô n'est pas la chaîne de la diversité, celle-ci devant traverser nos antennes tant dans le traitement des sujets que dans le profil des personnes présentes. Le rôle que lui assigne le COM est celui d'une chaîne ancrée dans les territoires ultramarins et ouverte sur le monde. Nous essayons de nous conformer au mieux à cette consigne, avec un budget qui apparaît faible pour une chaîne dont l'audience est équivalente à celle d'autres chaînes de la TNT, telles que 6ter du groupe M6 – qui totalise 0,5 ou 0,6 % de part d'audience – et supérieur à celle de Numéro 23 ou de L'Équipe 21. De plus, l'audience de France Ô se distingue par sa jeunesse et atteint, pour certaines émissions, 1 à 2 %. Dans un univers audiovisuel totalement éclaté, si France Télévisions veut continuer à jouer son rôle – conforter le lien social, diffuser la création et promouvoir ses valeurs –, elle doit le décliner le plus largement possible.
Madame Olivier, la question de la violence faite aux femmes revêt pour nous une grande importance. Il y a quelques mois, nous y avons consacré une semaine avec un film – C'est pas de l'amour – suivi d'un débat, une série de documentaires et l'ouverture d'une plateforme numérique proposant aux femmes de s'exprimer. Nous avons recueilli des centaines de témoignages bouleversants qui ont donné lieu à un livre. Quant à la prostitution, nous devrons traiter cette question à nouveau, probablement en diversifiant les points de vue, même si je ne partage pas votre regard sur le documentaire que vous avez évoqué, qui m'apparaît relativement équilibré et libre de parti pris.
Madame Attard, le choix de diffuser ou non un film appartient aux antennes, cette indépendance – dont je me porte garant devant vous – constituant une valeur essentielle du service public, gage de la confiance de nos concitoyens. Nous avons décidé de ne pas choisir le documentaire que vous évoquez, comme des centaines d'autres.
La publicité destinée aux enfants est aujourd'hui autorisée, mais si le législateur choisissait de faire évoluer la loi, nous respecterions cette décision. Sur nos chaînes, les messages publicitaires – d'ailleurs pas très nombreux – ne sont jamais diffusés à l'intérieur de programmes pour enfants, mais uniquement en bordure.
La part des ressources liées au numérique augmente : la publicité numérique est ainsi passée de 4 millions d'euros en 2009 à sans doute 14 millions cette année. La totalité des recettes « numériques » devrait atteindre 32 millions en 2014, dont 6 millions pour la vidéo à la demande et 12 millions pour les contrats-types. Sans représenter un relais de croissance important, cette activité développe donc ses ressources propres.
La stratégie de France Télévisions dans ce domaine ne se limite pas, loin s'en faut, à la télévision de rattrapage. Les plateformes thématiques dédiées à l'information, au sport, à l'éducation ou à la culture s'adressent à tous les écrans – tablettes, mobiles et télévision connectée – et permettent souvent une interactivité importante. Ainsi, Francetv info est le seul site permettant à tout moment à l'utilisateur d'interroger publiquement la rédaction sur un fait d'information et de recevoir une réponse.
Nous avons en effet fermé, il y a quelques jours, le service de sous-titrage qui ne remplissait plus l'obligation légale de sous-titrer 100 % des programmes. Ce problème – qui nous a valu de nombreuses plaintes – n'était pas lié au travail des salariés, mais à l'absence d'investissements dans les nouvelles techniques de sous-titrage durant les années 1980 et 1990. Plutôt que d'investir, nous avons préféré regrouper l'intégralité des activités de sous-titrage au sein de MFP, cette solution stratégique apparaissant cohérente dans le cadre du passage à l'entreprise unique. Chacun des dix-sept journalistes du service a reçu une proposition d'affectation : au numérique – où nous avons beaucoup de besoins –, dans l'édition de la vidéo – où nous sommes en deçà des objectifs que nous nous étions fixés –, auprès de sites comme Geopolis – dédié à l'actualité internationale que nous souhaitons développer – ou au sein des rédactions de France 2 et France 3. Par le passé, de nombreux postes de responsable d'édition ou de chef d'édition avaient été proposés à d'anciens salariés du service de sous-titrage. Nous remplissons donc notre rôle et notre obligation en tant qu'employeur : aucun salarié ne sera laissé de côté, et si certaines affectations ne rencontrent pas les désirs des intéressés, nous nous engageons à les revoir pour parvenir à un compromis.
Entre 2013 et 2014, nous avons achevé la fusion des plateformes techniques de fabrication des journaux télévisés de France 2 et France 3. Leurs rédactions nationales disposent désormais de moyens entièrement communs et les services techniques raisonnent aujourd'hui non seulement en termes de chaînes, mais aussi de chronologie des éditions. D'ici fin décembre, conformément à notre engagement dans le cadre du projet « Info 2015 », nous présenterons devant les instances représentatives de l'entreprise notre nouveau plan de rapprochement – et parfois de fusion – entre certains services éditoriaux des deux rédactions et du numérique. Porteur d'une véritable révolution – il s'agit de passer à une culture d'entreprise unique –, ce plan comportera plusieurs étapes et sa mise en oeuvre progressive s'étalera sur des années. C'est donc un travail de longue haleine qui commence.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les directeurs généraux, je vous remercie pour vos réponses. Bon courage dans votre tâche dont je mesure la difficulté !
La séance est levée à dix-neuf heures quarante-cinq.