La mission d'information a entendu M. Pierre Cahuc, professeur à l'École Polytechnique, chercheur au CREST (INSEE) au Center for Economic Research (Londres) et à l'Institute for the Study of Labor (Bonn) et M. Stéphane Carcillo, maître de conférences à l'université de Paris 1, professeur affilié au département d'économie de Sciences Po (Paris).
L'audition débute à neuf heures vingt.
Mesdames, messieurs, je vous prie de bien vouloir excuser l'absence du président Accoyer, en déplacement à l'étranger.
Nous allons entendre aujourd'hui M. Pierre Cahuc et M. Stéphane Carcillo, économistes qui étudient le marché du travail, la structure de l'emploi et le dialogue social. Vos connaissances sur le coût du travail nous intéressent au plus haut point, messieurs, surtout si elles nous permettent de rompre avec certaines idées reçues. Vous avez, dans une toute récente tribune publiée dans le quotidien économique Les Échos, plaidé en faveur d'un allégement de charges sociales concentré sur les salaires ne dépassant pas 1,6 SMIC. C'est sur l'ensemble de ces points que nous aimerions vous entendre.
Le CREST est un centre de recherche de l'INSEE chapeautant plusieurs laboratoires qui ont pour dénominateur commun une approche quantitative de la recherche dans des domaines tels que l'économie ou la sociologie.
Nous voudrions aborder les sujets de la compétitivité, du coût du travail ou de l'emploi d'une façon un peu différente de celle qui s'exprime dans maints travaux récents, notamment dans le rapport Gallois, essentiellement centrés sur l'industrie. Depuis un an, on se focalise sur la destruction de l'emploi industriel, qui est certes très impressionnante depuis 1975, mais qui n'est pas propre à la France puisque la désindustrialisation affecte les économies de tous les pays riches. Ce qui est le plus préoccupant dans la situation française, c'est le chômage structurel qui sévit dans notre pays depuis une trentaine d'années.
Notre exposé s'articulera autour de deux parties. Nous exposerons d'abord quelles sont les sources des problèmes du marché du travail en France, avant de proposer des solutions et de dégager des priorités. De notre point de vue, le rapport Gallois fait une part beaucoup trop importante à la désindustrialisation : les problèmes de l'économie française, et notamment du marché de l'emploi, dépassent largement ceux de l'industrie.
Notre marché du travail se caractérise par un déficit d'emplois affectant prioritairement certains groupes spécifiques. Depuis trente ans, le taux de chômage en France oscille autour de 10 %. Le taux d'emploi, c'est-à-dire le rapport entre le nombre de personnes employées et la population en âge de travailler, y est de près de 65 %, soit de dix points inférieur à ce qu'il est dans les pays les plus performants de l'OCDE, ce qui est très conséquent.
L'écart est encore plus impressionnant si on limite la comparaison à certains groupes. Si la France est en très bonne position pour le taux d'emploi des 25-54 ans, le différentiel passe en effet à vingt points pour la tranche des 55-64 ans, avec un taux d'emploi de 40 % seulement, contre 60 % dans les pays les plus performants en termes d'emploi. Chez les 15-24 ans, l'écart est de trente points par rapport aux pays les plus performants, puisque le taux d'emploi des jeunes est de 30 % en France, contre 60 % dans ces pays, soit du simple au double, ce qui est énorme. Ces chiffres nous permettent de constater que les seniors et les jeunes ne sont pas assez employés dans notre économie, ce qui pose toutes sortes de problèmes, notamment sociaux, cette partie de la population ne contribuant ni à la production de richesses ni au financement de nos politiques publiques.
Nous allons tenter de dégager quelques pistes d'explication dans la multiplicité des causes pointées depuis longtemps par la recherche. D'abord, la durée du travail, que la mise en oeuvre des 35 heures a fortement fait diminuer, est plus faible en France que dans d'autres pays.
Cela dit, ce n'est pas l'explication essentielle de nos mauvaises performances en termes d'emploi ou de compétitivité. Une modification de la durée du travail pourrait donner des marges de manoeuvre aux entreprises, mais ce n'est pas le coeur du problème. Les difficultés d'intégration des jeunes au marché du travail ou la faible employabilité des seniors n'ont pas grand-chose à voir avec cette question.
On peut également évoquer l'évolution du coût du travail en France, en comparaison notamment avec ce qu'il est en Allemagne. De 1994 à 2010, l'évolution du coût horaire du travail est assez proche en France et en Allemagne, sinon que la progression est un peu plus vive en France depuis les années 2000. Il est actuellement de 33 euros, contre 30 euros en Allemagne.
En réalité, le différentiel avec l'Allemagne n'est pas homogène dans tous les secteurs d'activité. Le coût du travail dans l'industrie est légèrement supérieur en Allemagne, ce qui peut traduire des différences de productivité. En revanche, le coût du travail dans les services est nettement plus élevé en France. C'est là un point très important, étant donné que les services pèsent dans les coûts de production des autres entreprises, notamment dans l'industrie. Ainsi, en Allemagne, la consommation de services représente 60 % de la valeur ajoutée des entreprises du secteur manufacturier. D'où l'importance du coût du travail dans le secteur des services pour la viabilité des autres secteurs de production.
De ce point de vue, la France connaît une situation assez extrême, puisque le coût du travail au niveau des bas salaires est structurant pour son marché de l'emploi. Nous sommes l'un des pays de l'OCDE où le coût du travail au niveau du salaire minimum est le plus élevé, en tenant compte de toutes les exemptions : ce coût est d'environ 80 % plus élevé en France que dans la moyenne des pays de l'OCDE et 70 % plus élevé qu'aux États-Unis. Si l'on excepte le Luxembourg, dont l'économie est très spécifique, la France se situe juste derrière les Pays-Bas et l'Australie, pays qui prévoient des exceptions au salaire minimum, les jeunes étant parfois payés à un taux beaucoup plus bas.
Si nous préférons insister sur la comparaison des salaires minima, c'est qu'il faut être extrêmement prudent en matière de comparaison de coûts du travail. En effet, les salaires dépendent de la productivité et s'ils sont plus élevés dans l'industrie allemande, c'est en partie parce que la productivité des salariés y est plus élevée : le niveau élevé des salaires traduit la bonne santé de l'industrie manufacturière en Allemagne. Si les salaires sont élevés en Allemagne, c'est que l'industrie manufacturière s'y porte bien.
La comparaison des coûts planchers est plus significative parce qu'elle ne dépend pas directement de la productivité des salariés dans les pays où le salaire minimum est fixé par la loi, et non pas négocié. En outre, le niveau du salaire minimum légal est une référence et il a des répercussions sur l'ensemble des salaires. Enfin, il n'y a pas en France d'exception au salaire minimum au-delà de dix-huit ans, à la différence de ce qui se passe dans la plupart des pays équivalents, où sont prévues des exemptions selon l'âge. Au Royaume-Uni, par exemple, le salaire minimum est de 20 % moins élevé pour les salariés de dix-huit à vingt ans. La France se caractérise par un salaire minimum non seulement relativement élevé, mais applicable à l'ensemble de la population, donc plus contraignant que dans la plupart des pays équivalents. C'est une caractéristique très importante du système français, qui peut expliquer le taux de chômage des jeunes et des personnes les moins qualifiées : ceux-ci sont très difficilement employables à un tel niveau, leur productivité étant souvent faible au regard d'un coût du travail relativement élevé. Il y a de fortes chances qu'une personne sans diplôme et sans qualification ne soit pas beaucoup plus productive en France qu'en Espagne, par exemple, où le niveau du salaire minimum est deux fois plus faible.
L'analyse des différentiels de coûts est également importante quand on connaît le poids du salaire minimum dans le secteur des services.
Le coût du travail en France est à ce niveau en dépit des 20 milliards d'euros d'allègements généraux sur les bas salaires, qui profitent essentiellement au SMIC puisque 90 % bénéficient à des salariés payés moins de 1,3 SMIC.
Pour mesurer la prégnance du salaire minimum dans l'ensemble des salaires en France, il faut savoir qu'il y représente plus de 60 % du salaire médian, qui est d'environ 1 700 euros nets par mois. Cela signifie qu'un nombre considérable de salariés français sont au SMIC, et que le salaire minimum est contraignant pour les entreprises. Si tel n'était pas le cas, il y aurait plus de salariés payés au-dessus du salaire minimum. Celui-ci pèse plus dans l'économie française que dans celle des autres pays de l'OCDE – je pense notamment à l'Australie et aux Pays-Bas, où le salaire minimum est pourtant plus élevé.
Pour vous donner un ordre de grandeur, je dirai que la moitié des salariés, ce qui est considérable, gagne entre 1 et 1,5 SMIC, soit un peu moins de 1 700 euros, alors que le salaire moyen est d'environ 2 000 euros nets. À un moment où l'on parle d'étaler les allégements de charges jusqu'à 2,5 SMIC, il est important de savoir que 85 % des salariés gagnent moins de 2,5 SMIC. Les salariés qui peuvent gagner 1,5 SMIC connaissent un faible taux de chômage, de l'ordre de 5 % en moyenne. C'est au bas de l'échelle des salaires que le chômage frappe le plus, notamment chez les jeunes. C'est là un mécanisme qu'il faut absolument connaître pour comprendre comment fonctionne le marché du travail et pour savoir où faire porter l'effort en priorité. Si on veut lutter contre le chômage, il faut concentrer les allégements de coût du travail sur les personnes qui présentent le plus grand risque de chômage, c'est-à-dire celles qui sont payées au SMIC, les jeunes notamment.
Nous nous contentons ici d'analyser le SMIC sous l'angle du coût du travail, en écartant la question de l'opportunité d'un salaire minimum.
Par ailleurs, la France présente également la spécificité de faire peser le financement de la protection sociale sur les salaires. De ce fait, les prélèvements obligatoires sur les revenus du travail atteignent un niveau très élevé en France par rapport aux autres pays de l'OCDE : en 2010, un couple avec deux enfants touchant un salaire moyen supportait plus de 40 % de prélèvements. Toute variation de ces prélèvements, qu'il s'agisse de la TVA, des charges, tant patronales que salariales, ou de l'impôt sur le revenu, influe sur l'évolution du salaire net et in fine sur le pouvoir d'achat des salariés. Plus on les augmente, plus le pouvoir d'achat des salariés se réduit. Quant aux entreprises, pour préserver leur productivité, elles vont chercher à diminuer le salaire net afin de compenser l'augmentation directe du coût du travail, qu'elles ne peuvent pas répercuter sur le salaire minimum, d'où une nouvelle baisse du pouvoir d'achat.
Même si cela peut paraître une évidence triviale, il ne me semble pas inutile de rappeler, dans le contexte actuel, que toute hausse des prélèvements se répercute sur le pouvoir d'achat. Inversement, tout allègement des charges sociales augmente théoriquement le pouvoir d'achat, si du moins les salaires s'ajustent. Ainsi, on peut s'attendre à ce qu'un allégement des cotisations employeurs ouvre une marge de négociation collective des salaires à la hausse, du moins pour les salaires de 1,5 à 3 SMIC, le salaire minimum étant fixé une fois pour toutes. De ce fait, tout allégement de charges à ce niveau provoque des effets relativement limités sur l'emploi. En un mot, les effets d'un allégement du coût du travail sur les salaires et l'emploi sont très variables selon qu'il s'agit du salaire minimum ou de salaires plus élevés. Cette différence est essentielle dans le débat actuel.
Parmi les facteurs qui pèsent sur le coût du travail au sens large figure la protection de l'emploi.
Pour mesurer le niveau de protection de l'emploi, l'OCDE prend en compte non seulement la protection assurée par le CDI, mais également le degré de recours au CDD ou le régime du licenciement économique. Cet index révèle que la France figure dans le premier tiers des pays de l'OCDE par son niveau de protection de l'emploi. Or un niveau de protection élevé pèse sur le coût du travail, les employeurs anticipant, lors de l'embauche, le moment de la séparation, quelle que soit sa forme. Plus le coût de la séparation est élevé, plus il pèse sur les embauches. En France, il est effectivement plus élevé en moyenne, notamment du fait du licenciement économique.
Il faut protéger l'emploi, ou plus exactement les salariés, en les aidant à trouver un emploi adapté à l'évolution de la structure productive. Or, paradoxalement l'emploi est mal protégé en France. En effet, les entreprises n'utilisent pratiquement plus le licenciement économique, lui préférant les plans de départs volontaires ou les licenciements pour motif personnel à grande échelle. Aujourd'hui, tous les mois, 15 000 personnes entrent dans le chômage à la suite d'un licenciement économique, soit deux fois moins qu'à la fin des années 90, période de forte croissance. Une telle évolution est extrêmement inégalitaire, car elle avantage les salariés relativement bien payés travaillant dans les plus grandes entreprises. Elle est extrêmement préjudiciable pour l'écrasante majorité des salariés, bloque la structure productive française et se traduit par une explosion du nombre des embauches en CDD, qui a augmenté de dix points en dix ans.
Aujourd'hui près de 90 % des embauches se font en CDD, ce qui est énorme.
Ce marché du travail fonctionne extrêmement mal. Il génère du chômage surtout pour les jeunes, qui n'arrivent pas à construire leur carrière professionnelle en raison d'un contexte d'emploi trop instable, et pour les seniors, dont il entrave le retour à l'emploi. Il faut arriver à casser cette logique par une réforme du licenciement économique qui concilie protection du salarié, clarté et sécurité juridique. Comme vous le savez, la réglementation actuelle repose sur des distinguos subtils entre sauvegarde et amélioration de la compétitivité et elle impose des obligations de reclassement extrêmement complexes. L'insécurité juridique née de cette complexité est très coûteuse, non seulement pour les entreprises, mais également pour les salariés, engagés dans des procédures à l'issue incertaine.
L'exemple de l'Espagne est significatif : le niveau de protection de l'emploi y est plus élevé que chez nous et le recours au CDD y est encore plus massif – c'est le corollaire. Le taux de chômage des jeunes y est de 55 %, contre 25 % chez nous. Cela montre bien qu'une stricte protection de l'emploi, loin de protéger les plus fragiles, augmente leur taux de chômage, en incitant les entreprises à les recruter sur des contrats très courts, avec un fort taux de rotation.
Vous nous objecterez peut-être le niveau élevé de la protection de l'emploi en Allemagne., mais il y a une grande différence avec la France. Outre que le régime du licenciement économique est, en France, d'une complexité redoutable pour les entreprises, le juge allemand ne contrôle pas la validité des licenciements au regard des performances économiques des entreprises. En outre, depuis dix ans, c'est surtout dans le secteur des services que l'Allemagne crée des emplois, extrêmement flexibles et mal payés – entre six et dix euros de l'heure – puisqu'il n'y a pas de salaire minimum.
Par ailleurs, malgré le recul de l'âge légal en 2010, l'âge de départ en retraite reste plus bas en France que dans les autres pays de l'OCDE, ce qui pèse considérablement sur le taux d'emploi des seniors entre 55 et 64 ans ; les entreprises n'ont pas envie d'investir dans l'embauche de salariés susceptibles de partir en retraite au bout de quelques années.
Le niveau des prestations chômage en France peut également peser sur la situation de l'emploi. En effet, le taux de remplacement du salaire d'activité au cours des deux premières années de chômage est de 67 % en France, ce qui est extrêmement élevé. S'il permet aux salariés de bénéficier de bonnes conditions pour retrouver un emploi bien rémunéré, il pèse également sur les salaires d'embauche. Ce n'est pas forcément un problème en soi, comme le montre l'exemple du Danemark ou de la Norvège, qui concilie un taux de remplacement plus élevé qu'en France avec un faible taux de chômage. Dans ce domaine, c'est l'accompagnement des demandeurs d'emploi, voire l'incitation à la reprise d'emploi, qui fait la différence.
Nous voudrions enfin souligner le rôle de la qualité des relations au travail. L'enquête sur les relations entre employeurs et employés menée par le World Economic Forum dans 142 pays a montré que la France se situait à la cent trente-troisième place, ce qui est extrêmement inquiétant ! Cela révèle l'état dramatique du dialogue social en France.
Certes, ce sont les employeurs qui répondent à la question : « Comment qualifieriez-vous les relations entre employeurs et employés dans votre pays ? ». Mais toutes les enquêtes internationales convergent sur ce point : en France, les partenaires sociaux jugent le dialogue social extrêmement mauvais. Si nous avons retenu l'enquête du World Economic Forum, c'est en raison du nombre extrêmement élevé de pays représentés. Ce résultat est d'autant plus impressionnant que la situation perdure depuis une vingtaine d'années. Il s'agit bien d'un problème central pour l'économie française.
Que faire ? Pour l'économie française, pour son marché du travail et plus généralement sa compétitivité, la priorité doit être l'insertion, d'une manière ou d'une autre, des jeunes et des personnes à bas salaires dans le marché du travail. On peut imaginer d'autres solutions que la baisse du salaire minimum, par exemple la baisse des charges : c'est le choix qu'a fait la France depuis un certain temps. Mais c'est au niveau du salaire minimum que la baisse du coût du travail est un levier efficace. Si 20 milliards d'allégements de charges permettent de créer entre 500 000 et 900 000 emplois, c'est parce qu'ils sont concentrés sur les bas salaires, entre 1 et 1,3 SMIC. Au-dessus du salaire minimum, une baisse des charges favorise l'augmentation des salaires beaucoup plus que l'emploi. Les salaires sont liés à la structure du marché du travail. Si on veut améliorer durablement la compétitivité des entreprises françaises, il faut modifier les conditions de formation des salaires, qui sont désormais mal adaptés aux contraintes des entreprises.
La très mauvaise qualité des relations sociales en France est une autre source essentielle de dysfonctionnement du marché du travail. Nous pensons qu'elle est le résultat du fonctionnement actuel du paritarisme français, dont l'influence est extrêmement importante sur la formation des salaires via la négociation collective. Les représentants des salariés sont trop déconnectés des réalités des entreprises et des contraintes quotidiennes qui pèsent sur les salariés. Le rapport de Nicolas Perruchot est très instructif à cet égard, bien qu'il n'ait pas été diffusé de façon officielle. Améliorer le fonctionnement du marché du travail français suppose donc de réformer en profondeur le fonctionnement du paritarisme, afin notamment de décentraliser les négociations collectives, pour que les salaires soient plus adaptés aux contraintes des entreprises. Redonner corps à la négociation collective au niveau de l'entreprise devrait être une des priorités du quinquennat, car c'est le problème de fond du marché du travail français.
Il faut bien prendre garde à parler de coûts du travail élevés, et non de salaires élevés : on ne peut pas dire que percevoir 1,5 SMIC, cela représente un salaire élevé.
Vous nous dites que le taux d'emploi des personnes de cinquante-cinq à soixante-quatre ans est nettement plus faible en France que dans les autres pays de l'OCDE. Les retraités sont-ils considérés comme non employés, auquel cas l'âge de départ à la retraite influe énormément sur ce résultat ?
Le nombre d'années passées à la retraite dépend de l'âge normal de départ en retraite et de l'espérance de vie. Les Français vivent longtemps, mais partent plus tôt à la retraite. La France est donc l'un des pays qui finance le plus grand nombre d'années à partir de l'âge de départ en retraite, ce qui fait peser un poids très important sur la collectivité, d'où la nécessité d'avoir plus de personnes en emploi. Au final, l'âge normal de départ à la retraite influence énormément le taux d'emploi des seniors, mais ce n'est qu'une variable de l'équation.
À mon sens, cette variable ne peut pas être considérée comme une anomalie pour l'accès des seniors au marché du travail, dans la mesure où l'âge de la retraite est un choix politique.
L'âge légal de la retraite pèse énormément sur le taux d'emploi des seniors. Le choix de la France est une exception de ce point de vue – certains diront une anomalie –, beaucoup de pays de l'OCDE étant passés à soixante-cinq ans, voire soixante-sept ans. Néanmoins, ce n'est qu'une variable. Lorsqu'un senior perd son emploi, il lui est extrêmement difficile d'en retrouver un, d'une part, parce que le système de protection de l'emploi ne favorise pas l'embauche des seniors ; d'autre part, parce que notre service public de l'emploi n'est pour l'instant pas capable d'accompagner de façon efficace les personnes qui perdent leur emploi.
Le projet français consiste à relancer la compétitivité pour créer des emplois. Pour ce faire, il faut selon moi favoriser la compétitivité « hors coût », pour créer les conditions d'un marché du travail de qualité. Un certain nombre de dispositifs ou de projets en faveur de l'innovation et de la formation sont en cours. Le financement de la compétitivité hors coût implique de réduire le coût de la production, la compétitivité coût pesant directement sur la compétitivité hors coût. Avec l'objectif de tirer notre économie vers le haut, le pacte de compétitivité vise à encourager la juste rémunération d'un travail qualifié, lequel constitue l'une des clés de la compétitivité qualité.
La compétitivité de nos services concourt à celle de l'ensemble de notre économie – vous avez d'ailleurs rappelé le poids des services consommés par l'industrie. Dans ces conditions, la baisse des coûts des services est aussi importante pour la compétitivité de l'industrie que celle du seul coût du travail. À mon sens, cela justifie le large ciblage qui a été arbitré du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE). En effet, en visant l'ensemble de la masse salariale inférieure à 2,5 fois le SMIC, soit environ quatre salariés sur cinq, il touche également les services, qui ne sont pas toujours exposés à la concurrence internationale et où les niveaux de salaire sont plus élevés que dans l'industrie. Je rappelle que 25 % des allègements iront vers l'industrie, alors que celle-ci ne pèse que pour environ 10 % de l'emploi total, et que 40 % des allègements cibleront l'industrie et l'agrégat services de l'industrie.
Enfin, s'agissant de la qualité des relations au travail, les données que vous nous avez présentées sont alarmantes. Les difficultés de dialogue entre les salariés et le patronat, qui sont perceptibles sur le terrain, illustrent l'urgence de réinstaurer un dialogue social en France. La Gouvernement a compris cette priorité, en ouvrant dès cet été une grande conférence sociale.
En tant qu'experts, nous avons les idées très claires. Chaque année, 150 000 jeunes sortent du système scolaire sans diplôme. Les problèmes d'emploi sont là. Si vous voulez créer des emplois, il faut cibler les bas salaires. Si vous ciblez l'abaissement des charges autour de deux SMIC, vous ne créerez pratiquement pas d'emploi, mais vous redistribuerez du pouvoir d'achat, comme l'a fait la défiscalisation des heures supplémentaires pour les personnes gagnant autour de deux SMIC.
Certes, pour augmenter notre productivité, il faut améliorer notre dispositif de formation et notre système éducatif, c'est-à-dire jouer sur les aspects de compétitivité hors coût. Mais cela nécessite des réformes dont les résultats ne se feront sentir qu'à long terme.
Or, dans notre pays, 1 million de jeunes sont sans emploi et ne suivent ni études ni formation. Parmi ces jeunes sans diplôme, 500 000 ne recherchent même pas un emploi. Il faudra donc leur offrir un emploi à bas salaire, essentiellement dans le secteur privé – sachant que, d'après les nombreuses évaluations sur le sujet, notamment de la Suède, les emplois aidés dans le secteur public n'aident pas les jeunes à s'en sortir par eux-mêmes. Cela implique, à court terme, de baisser le coût du travail au niveau du salaire minimum : c'est là que la dépense publique sera la plus efficace en termes de création d'emplois.
À mon sens, la bonne santé d'une entreprise dépend en grande partie du climat social qui y règne. Or, le dialogue social en France fonctionne mal, vous l'avez rappelé, essentiellement en raison du faible taux de syndicalisation des salariés par rapport à d'autres pays. Comment expliquez-vous cette désaffection à l'égard des syndicats, qui est plutôt spécifique à la France ?
Que préconisez-vous en matière de paritarisme, en particulier pour faire en sorte que les syndicats soient plus puissants, fonctionnent différemment, et soient moins dépendants des aides publiques ?
Les difficultés à réformer le marché du travail sont liées à la mauvaise qualité du dialogue social. Notre taux de syndicalisation est le plus faible de tous les pays de l'OCDE, de l'ordre de 7%. En la matière, les recommandations très précises du rapport Perruchot me semblent faire sens, notamment sur la limitation de la durée des mandats des représentants syndicaux, la transparence financière – en la matière la loi du 20 août 2008 constitue une première avancée –, l'incitation des salariés à participer à l'action syndicale. Sur ce dernier point, un levier consisterait à instaurer un crédit d'impôt, car si certaines personnes peuvent déduire deux tiers de leur cotisation syndicale de leur impôt sur le revenu, celles qui travaillent à temps partiel ne le peuvent pas, car elles ne sont généralement pas imposables. Il faudrait également que les syndicats développent des services spécifiques – je pense à l'accompagnement dans l'emploi développé en Belgique où le taux de syndicalisation avoisine les 30 %. Ce sujet devrait être l'une des priorités du quinquennat. Tant que les organismes syndicaux auront une culture aussi éloignée de celle de l'entreprise privée, nous n'arriverons pas à réformer notre marché du travail et à le rendre plus compétitif.
Dans certains pays, les cotisations chômage ne sont pas obligatoires et sont gérées par les syndicats. Dans d'autres, le bénéfice des conventions collectives est conditionné à l'adhésion à un syndicat. De telles situations augmentent le nombre des adhésions. Qu'en pensez-vous ?
Si les cotisations retraite n'étaient pas obligatoires, beaucoup de personnes ne cotiseraient pas et se retrouveraient en grande difficulté à terme. Pour l'assurance chômage, le danger est le même.
Le fait de pouvoir bénéficier de certaines caractéristiques des accords collectifs lorsqu'on est syndiqué est une piste à laquelle il faut réfléchir. Certains syndicats y sont ouverts. Les discussions sur les accords de compétitivité peuvent permettre la réflexion sur ce sujet très important. Face au délitement du syndicalisme en France, je ne pense pas que la loi de 2008, qui a réparti différemment les rôles des syndicats, va fondamentalement changer les choses.
L'aspect financier est également très important. Les syndicats devraient avoir des sources de financement directement liées à leurs actions et à la satisfaction de leurs adhérents.
Dans les pays du Nord, le coût des systèmes de protection est équivalent au nôtre, mais le dialogue social au sein de l'entreprise est de meilleure qualité, ce qui joue beaucoup sur l'autorégulation du marché du travail, me semble-t-il.
Vous n'avez pas parlé de l'augmentation du socle de chômage. Quels sont les dispositifs susceptibles de permettre l'accompagnement des demandeurs d'emploi ? On parle de la redistribution des 30 milliards de la formation professionnelle. Comment modifier la gestion paritaire, qui n'est pas aussi efficace qu'elle le devrait ?
Enfin, le problème du coût de l'entrée des jeunes sur le marché du travail se pose. Or il n'est pas question de remettre en cause le SMIC. Ne faudrait-il pas mieux agir par le biais du crédit d'impôt ?
Pour aider les demandeurs d'emploi, en particulier les jeunes peu qualifiés, à sortir du chômage, il faut jouer à la fois sur la formation et sur le coût du travail.
Au niveau du SMIC, le coût du travail est allégé entre 26 et 28 points, et les charges patronales restent d'environ 14 points. On peut donc aller plus loin.
Pour la formation, les marges de manoeuvre sont énormes en termes d'efficacité et d'évaluation. Il est en effet compliqué pour des demandeurs d'emploi de trouver une formation adéquate, alors que beaucoup d'argent est injecté dans le système. En outre, ce ne sont pas les personnes qui en ont le plus besoin qui sont formées. Enfin, la qualité des formations dispensées n'est pas évaluée ; c'est un vrai sujet. Une réforme profonde de la formation professionnelle est donc indispensable, sachant que celle de 2009 n'a permis que très peu d'avancées.
Que préconisez-vous pour les seniors qui ont perdu leur emploi, par exemple dans l'agroalimentaire, dans le secteur des productions légumières et fruitières, où il leur est difficile de retrouver du travail, et dans les entreprises à dominante technologique, où les mutations sont très rapides ?
Malheureusement, la situation d'un senior qui veut continuer à travailler est conditionnée par l'âge moyen ou légal de départ à la retraite. Dans un monde où l'on pense s'arrêter de travailler à soixante ans, on est presque senior à cinquante ans. Cet horizon a un impact non seulement sur l'âge auquel les salariés peuvent bénéficier d'une pension, mais aussi sur leurs capacités à s'adapter. Au final, les taux d'emploi baissent systématiquement un peu avant l'âge légal de départ à la retraite, car les entreprises veulent un retour sur investissement des formations qu'elles dispensent à leurs salariés.
Les personnes auxquelles je fais allusion ont entre quarante-cinq et cinquante ans. Ce n'est donc pas l'âge de départ à la retraite qui conditionne leur emploi par des entreprises du secteur technologique. Leur problème est plutôt dû à la rapidité des évolutions dans ce secteur.
Je ne nie pas que des problèmes puissent se poser dans votre circonscription, mais globalement, pour ces tranches d'âge, la France n'est pas dans une mauvaise situation : elle se situe même au niveau des pays les plus performants.
Néanmoins, notre système de formation professionnelle fonctionne de manière très bureaucratisée : il n'y a pas de marché. Il serait logique que les gens paient une partie de leur formation, comme dans la plupart des autres pays – c'est le cas des cadres en Allemagne.
Il faudrait aussi mutualiser le système de formation, qui passe aujourd'hui par les organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA), d'où des transactions coûteuses.
Surtout, il faut trouver d'autres sources de financement aux organismes paritaires. Les rapports que nous avons rédigés avec André Zylberberg et Marc Ferracci sur la formation professionnelle, publiés par l'Institut Montaigne, montrent que le problème est lié au financement des organismes paritaires. C'est cette réforme qui fera bouger les lignes.
M. Louis Gallois a remis lundi au Premier ministre son rapport sur la compétitivité. Pensez-vous que le coût du travail soit la seule raison qui empêche notre pays de sortir de la situation défavorable dans laquelle il se trouve aujourd'hui ?
Monsieur Cahuc, dans l'un de vos ouvrages, vous parlez de « l'autodestruction du modèle social français ». S'agissant des retraites, pensez-vous que la France vit au-dessus de ses moyens ?
En France, ce sont les jeunes et les seniors qui rencontrent le plus de difficultés à accéder au marché du travail, nous expliquez-vous, à la différence des principaux pays qui nous entourent. Vous préconisez des emplois à bas salaires pour les jeunes. Mais quelle qualité d'emploi offrent les autres pays ?
Le marché du travail présente-t-il des différences suivant la taille des entreprises – grands groupes, PMI, etc ?
Vous avez souligné l'impact des effets de seuil et préconisez de concentrer les aides au niveau d'une à une fois et demie le SMIC. L'existence d'un salaire minimum dans notre pays pose-t-elle problème, notamment pour les plus jeunes et les seniors ?
La solution ne consisterait-elle pas, au moins au niveau du marché intérieur européen, en une forme de dumping social ?
Enfin, le rapport Perruchot n'existe pas. La commission d'enquête parlementaire ne l'ayant pas adopté, il n'a pas été publié. Nous ne pouvons donc pas le citer.
Le débat s'est focalisé sur le thème de la compétitivité en raison du lobbying très efficace de la grande industrie qui espère récupérer une partie des baisses de charges sur les bas salaires. Je trouve étonnant qu'un gouvernement de gauche se soit laissé piéger ainsi.
Depuis des années dans ce pays, on évite d'aborder le problème des jeunes, qui ne parviennent pas à intégrer le marché du travail. Pour les jeunes non qualifiés, le problème n'est pas de savoir s'il faut développer des emplois de bonne ou de mauvaise qualité ; il est d'arriver à les insérer dans l'emploi et à les faire progresser dans des carrières, sachant que leur productivité est très faible puisqu'ils n'ont pas de diplôme. Il faut donc agir immédiatement sur le coût du travail.
Stéphane Carcillo l'a souligné : 500 000 jeunes ne cherchent plus d'emploi. Le problème de notre société est là, et la compétitivité s'améliorera si l'on arrive à le résoudre. On ne peut pas laisser autant de jeunes sur le bord de la route. Il faut donc cibler les actions du service public de l'emploi vers ces jeunes, par exemple en donnant davantage de moyens aux missions locales. Il faut également développer la formation en alternance. La priorité est là.
Je rappelle que les jeunes de moins de vingt-cinq ans, en France, n'ont pas accès au RSA, alors qu'ils touchent les minima sociaux dans tous les autres pays européens, exceptés le Luxembourg et l'Espagne. En France, un jeune de vingt ans, sans diplôme et habitant en banlieue n'a aucune perspective. S'il n'est pas pris en charge par ses parents, il se trouve dans une situation catastrophique. Le débat doit donc se concentrer sur ces jeunes – et non sur les personnes de vingt-cinq à cinquante-cinq ans dont le niveau d'emploi est équivalent à celui des autres pays.
Selon les projections du Conseil d'orientation des retraites (COR), notre pays n'aura pas les moyens de financer les retraites à l'horizon de 2050. Si des réformes s'imposent, faut-il pour autant faire du dumping social ? Selon nous, la France ne doit ni se rapprocher des pays à très bas coûts ni lâcher les leviers sociaux de protection. Des réformes de structure de nos systèmes de recherche et d'éducation doivent nous permettre de monter en compétence. Elles sont essentielles pour notre avenir et notre capacité à maintenir un bon niveau de retraites, et de protection sociale en général. Mais, à très court terme, il faut traiter les enjeux importants pour éviter l'aggravation de déficits énormes et pour ne pas laisser des centaines de milliers de jeunes sur le bord de la route
L'objectif est double. Il faut agir à long terme pour développer notre compétitivité, notre recherche, notre capacité à être très innovants et très qualifiés. Il faut, dans le même temps et à très court terme, traiter les problèmes sociaux majeurs en ciblant les aides publiques sur les plus fragiles et les plus démunis, autrement dit sur les travailleurs à bas salaires et les demandeurs d'emploi, car c'est là qu'elles sont les plus utiles, comme le démontrent un grand nombre d'études sur le sujet.
L'évolution démographique me semble être un élément important qu'il faut prendre en compte notamment dans les comparaisons entre la France et l'Allemagne.
Lorsque vous parlez d'allégements du coût du travail est-ce sur le SMIC ou jusqu'au SMIC ?
Certes, les jeunes sont dans une situation dramatique au regard de l'emploi, mais la baisse de leur taux de chômage induite par des mesures ciblées ne risque-t-elle pas d'être compensée par une augmentation du chômage chez les personnes plus âgées ?
Enfin, l'amélioration du marché du travail passe par l'augmentation du taux de marge de nos entreprises, qui est nettement insuffisant par rapport à celui des entreprises européennes.
Il faut évidemment alléger le coût du travail au niveau du SMIC pour les salariés rémunérés au SMIC, et surtout pas pour tous les salariés à hauteur du SMIC. Il est hors de question d'alléger le coût du travail à hauteur de 1 400 euros bruts pour un salarié qui gagne 5 000 euros par mois !
L'idée selon laquelle la hausse du taux d'emploi des jeunes grâce à des mesures ciblées risque de faire baisser celui des seniors est fausse. À court terme, les revenus génèrent de l'emploi ; les emplois en génèrent d'autres, et le stock des emplois dans l'économie n'est pas constant. À plus long terme, ces mesures permettent aux entreprises de créer durablement des emplois pour ces jeunes et d'augmenter le stock total d'emplois. Par conséquent, ce n'est pas parce qu'on donne de l'emploi à certaines catégories qu'on en retire à d'autres.
Le fonctionnement de l'économie est fondé sur des principes simples. En gros, une personne est embauchée si elle est susceptible de rapporter plus qu'elle ne coûte. Les jeunes qui seront embauchés grâce à la baisse des charges sur le coût du travail vont acquérir de l'expérience professionnelle et augmenter leur efficacité ; ils seront de plus en plus productifs et de mieux en mieux payés. Ils permettront ainsi à l'entreprise de se développer et de continuer à embaucher. Globalement, les phénomènes de substitution dont vous faites état sont très peu observés.
Par ailleurs, les marges des entreprises sont très insuffisantes en France à cause de la rigidité des salaires. Ceux-ci s'ajustent très difficilement en raison de l'existence d'un salaire minimum et de l'absence de négociation salariale au niveau de l'entreprise. Les pays qui n'ont pas de salaire minimum légal – comme la Suède et le Danemark, où les distributions de revenus sont les plus égalitaires – ne sont pas pour autant des modèles de libéralisme échevelé : il y existe des minima de branches. Une piste est donc de parvenir à avoir des salaires plus adaptés à la situation économique de chaque branche, voire de chaque entreprise.
À cet égard, l'enjeu est de développer la négociation collective. Si l'on avait un système plus adapté pour les entreprises et les salariés – dans lequel des syndicats puissants représenteraient les salariés au niveau de l'entreprise, ce qui permettrait de choisir des salaires adaptés aux conditions de l'entreprise –, on pourrait se passer de salaire minimum. Mais on en est très loin. Les pays qui s'en sortent bien aujourd'hui n'ont pas de salaire minimum, mais le dialogue social y est extrêmement bien structuré.
Y a-t-il des spécificités pour les femmes, notamment chez les 500 000 jeunes qui ne cherchent pas d'emploi ?
Pratiquement tous nos graphiques indiquent une moyenne générale. Pour les femmes, il n'y a pas de spécificités sur les sujets du salaire minimum, de l'âge de la retraite, du dialogue social.
En revanche, le taux d'emploi des femmes est plus faible que celui des hommes – y compris malheureusement pour les jeunes femmes, même si elles sont plus diplômées.
Quelle est la proportion de femmes sur les 500 000 jeunes qui ne cherchent pas un emploi ? C'est une question à laquelle nous ne pouvons pas répondre précisément, même si je pense que les femmes sont un peu plus nombreuses que les hommes. Il serait intéressant de se pencher sur le sujet.
Il y a un vrai problème d'emploi des jeunes dans notre pays. Ces jeunes, nous les rencontrons dans nos circonscriptions : ils sont sans formation ; certains d'entre eux ont quitté l'école à la fin de la troisième, parfois même avant. Vous avez évoqué le rôle des missions locales. Quelle organisation territoriale préconisez-vous pour accompagner les jeunes vers l'emploi ?
La France est très mal placée s'agissant des relations sociales dans l'entreprise. Comment expliquez-vous la qualité des relations entre employeurs et salariés en Suisse ? Tient-elle au niveau des relations dans la société suisse elle-même ?
Notre pays compte de grands groupes nationaux et a perdu des PME et des PMI. Ce phénomène est-il de nature à dégrader les relations dans l'entreprise ? A-t-il une incidence sur la relance de l'emploi ?
L'insuffisance de dispositifs en direction des jeunes s'explique par l'absence de structures au niveau local ou par leur difficulté à fonctionner.
Il existe des missions locales, mais leurs moyens sont trop limités pour leur permettre d'assurer un suivi individualisé des jeunes. Nous avons calculé qu'elles comportent en moyenne un conseiller pour cent jeunes ! Il faut donc donner des moyens humains et financiers aux missions locales. Cela est d'autant plus important que les jeunes sans diplôme et sans emploi ont de multiples problèmes – familiaux, de logement, de déplacement, etc.
Il faut également développer l'apprentissage pour les jeunes sans diplôme et les incitations pour les entreprises. Cela passe par des centres de formation coordonnés avec des structures de suivi au niveau local. Bref, il faut un réseau. Avec 20 milliards – le montant des aides qui seraient octroyées pour des salaires jusqu'à 2,5 fois le SMIC –, on pourrait faire des choses extraordinaires pour les jeunes !
Vous avez raison, monsieur Barbier, en Suisse, la qualité du dialogue social va bien au-delà du fonctionnement de l'entreprise. La fabrique de la défiance , ouvrage que j'ai écrit l'année dernière avec Yann Algan et André Zylberberg, montre, sur la base d'un très grand nombre de travaux, le manque de confiance qui prévaut en France dans les relations sociales en général, mais aussi entre salariés et employeurs, voire entre salariés eux-mêmes. Plusieurs causes, issues de choix de société, alimentent cette défiance. D'abord, le fonctionnement de notre système scolaire, qui met en avant la notation et la concurrence, et non le travail en équipe. Ensuite, le manque de transparence des institutions publiques de la France par rapport aux autres pays de l'OCDE. Enfin, la mauvaise qualité du dialogue social.
Cette défiance se traduit par des problèmes de santé publique : la consommation de médicaments traitant la dépression est très importante en France. La Suisse a choisi des voies très différentes, notamment en ce qui concerne l'enseignement. Ce pays est caractérisé par une forte hétérogénéité entre les cantons : ceux qui ont une culture plus proche de la culture française sont dans une situation intermédiaire. Les travaux de Rafael Lalive, professeur à l'université de Lausanne, sur l'assurance chômage apportent un éclairage intéressant en montrant que les comportements des demandeurs d'emploi sont très différents selon les cantons.
Le premier thème du rapport Gallois concerne le financement des entreprises, qui pose effectivement problème en France. Je ne suis d'ailleurs pas persuadé que la Banque publique d'investissement permette de progresser dans ce domaine. Les effets de seuil sont réels – beaucoup d'obligations légales jouent à partir de dix, vingt et surtout cinquante salariés –, mais je n'y vois pas un élément essentiel. Sur ce thème, des travaux récents ont été produits par l'INSEE. Pour nous, le développement des entreprises est avant tout lié à la qualité du dialogue social, à la confiance mutuelle, domaine dans lequel la situation en France est catastrophique.
La séance est levée à onze heures trente.