La réunion

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L'audition débute à seize heures vingt.

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Je vous prie d'excuser le rapporteur de notre commission, Nicolas Sansu, qui est retenu par un rendez-vous important.

Après s'être penchée sur les répercussions de la baisse des dotations de l'État sur les secteurs du bâtiment, des travaux publics et des transports, notre commission d'enquête s'intéresse à la question du développement des réseaux numériques. On entend parfois dire que la France serait bien dotée en équipements publics et qu'il faudrait se contenter d'entretenir ce patrimoine. Pourtant, notre pays doit aussi donner aux citoyens et aux entreprises les moyens de profiter pleinement du progrès technique, en particulier de l'essor des technologies de l'information. C'est pourquoi il est prévu, dans le cadre du plan « France Très haut débit », que les opérateurs privés, l'État et les collectivités conjuguent leurs efforts pour déployer, d'ici à 2022, les technologies appropriées sur l'ensemble du territoire.

On peut toutefois se demander si un tel programme est réaliste, compte tenu du contexte financier de plus en plus contraint dans lequel opèrent les collectivités du bloc local. Un effet de ciseau analogue à celui que l'on évoque à propos des finances locales pourrait en effet affecter le déploiement du très haut débit : tandis qu'augmenteraient les besoins, les communes et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) réduiraient les moyens qu'ils consacrent aux réseaux d'initiative publique. Qu'en est-il exactement ? L'obligation de préserver les finances locales prendra-t-elle le pas sur l'enjeu majeur qu'est l'attractivité de nos territoires ? Telles sont quelques-unes des questions que nous évoquerons avec M. Patrick Vuitton, délégué général de l'Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l'audiovisuel (AVICCA), M. Étienne Dugas, président de la Fédération des industriels des réseaux d'initiative publique (FIRIP), et M. Jean-Christophe Nguyen Van Sang, directeur général de cette dernière.

Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, je vais maintenant vous demander, messieurs, de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(MM. Patrick Vuitton, Étienne Dugas et Jean-Christophe Nguyen Van Sang prêtent serment.)

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Patrick Vuitton, délégué général de l'Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l'audiovisuel, AVICCA

Je vous prie d'excuser M. Patrick Chaize, président de l'AVICCA, qui ne peut être présent parmi nous aujourd'hui car il participe en ce moment même à une commission de concertation sur la couverture mobile, autre domaine de dépenses et d'investissements pour les collectivités. Notre association, née il y a 29 ans, regroupe aujourd'hui un peu plus de 250 collectivités territoriales, aussi diverses que Saint-Pierre-et-Miquelon, La Réunion, le département de la Lozère ou la Ville de Paris.

Le développement du très haut débit représente, certes, une dépense importante, de l'ordre de 13 milliards d'euros, pour les collectivités, mais si elles ne réalisaient pas cet investissement, elles courraient le risque de perdre globalement en compétitivité. Aujourd'hui, un logement qui n'est pas équipé d'une connexion à haut débit se vend moins cher qu'un logement similaire qui en est équipé, ou ne trouve pas acquéreur ; demain, il en ira de même pour la connexion à très haut débit. Quant aux entreprises, elles risquent, si elles n'ont pas accès au très haut débit, de voir certains marchés leur échapper ou de perdre un donneur d'ordres si celui-ci décide, par exemple, du jour au lendemain, de travailler en visioconférence. Ces 13 milliards d'euros sont donc une dépense quasi obligatoire pour les collectivités : celles d'entre elles qui n'investiraient pas dans le développement des réseaux numériques s'exposeraient à un risque de décrochage.

Le plan « France Très haut débit » a fixé pour objectif le fibrage de 80 % des locaux en 2022. Certaines collectivités, comme les départements de l'Oise et de l'Ain, envisagent d'atteindre cet objectif d'ici à 2020, mais d'autres l'ont déjà repoussé à 2030, et ce report pourrait s'aggraver encore si les finances locales continuaient de se dégrader. Or, dans un rapport publié ce matin, la Cour des comptes s'inquiète des conséquences de la baisse des dotations de l'État aux collectivités, qui se traduit notamment par une diminution, cette année, de 15 % des dépenses d'équipement des communes de plus de 100 000 habitants. Le même phénomène affecte sans doute les départements, qui sont en outre confrontés à la hausse des dépenses sociales, et les régions.

Ces 13 milliards d'euros d'investissements agrègent de nombreux financements, qui proviennent des différents échelons territoriaux – communes ou intercommunalités, départements et régions –, de l'Union européenne, à travers le Fonds européen de développement régional (FEDER) et le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER), et du plan « France Très haut débit » dans le cadre du Fonds national pour la société numérique (FSN). La mécanique est donc assez complexe, d'autant que les collectivités prévoient de financer pour moitié ces investissements par les recettes tirées de l'utilisation des réseaux. Outre les emprunts, leurs propres fonds et les subventions de l'État – qu'elles ne perçoivent qu'une fois les dépenses effectuées –, les collectivités doivent en effet négocier l'arrivée des opérateurs, lesquels préfèrent parfois attendre, par exemple pour préserver leur réseau existant.

Il faut également compter avec les aléas de la réalisation. Ainsi, l'État n'a débloqué que 18 millions d'euros, car il ne signe plus de conventions de financement dans l'attente de la décision de la Commission européenne concernant le plan « France Très haut débit ». Les collectivités qui ont commencé à déployer des réseaux se retrouvent donc dans une situation de trésorerie tendue, sans perspectives précises concernant les financements de l'État. Par ailleurs, nous avons appris il y a quelques semaines que la direction générale des finances publiques n'acceptait plus que les collectivités récupèrent la TVA sur les opérations dites de « montée en débit sur cuivre », c'est-à-dire l'amélioration du réseau d'Orange, ce qui renchérit ces opérations de 20 %.

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étienne Dugas, président de la Fédération des industriels des réseaux d'initiative publique, FIRIP

La FIRIP est en quelque sorte le pendant de l'AVICCA, puisqu'elle représente l'ensemble des industriels qui interviennent une fois l'initiative publique lancée par la collectivité, pour concevoir, déployer et exploiter les réseaux. Je rappelle qu'entre 2004 – date à laquelle les collectivités locales ont été autorisées, aux termes de l'article L. 1425-1 du code général des collectivités territoriales, à être opérateurs de télécommunication – et 2012, 3,5 milliards d'euros ont été investis dans ces infrastructures. Il s'agit bien d'investissements, puisqu'un observatoire de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), qui a depuis fusionné avec celui de la FIRIP, a mesuré des externalités positives très nettes pour les territoires concernés. La numérisation de l'économie et de la société représente, selon moi, la troisième révolution industrielle ; ces investissements sont donc absolument fondamentaux.

Je précise que la FIRIP, qui compte 150 membres, regroupe la quasi totalité des professionnels intervenant sur les réseaux d'initiative publique, c'est-à-dire les assistants en maîtrise d'ouvrage, qui conseillent les collectivités au plan juridique, financier ou technique, et les opérateurs d'opérateurs, auxquels les collectivités locales délèguent leur compétence de grossiste et qui sont apparus – je pense à Covage, Tutor ou Altitude Infrastructure – à la faveur de ces investissements. Ces derniers contribuent donc à créer de la richesse et des emplois.

Selon le baromètre de l'Institut de l'audiovisuel et des télécoms en Europe (IDATE), établi en partenariat avec la Caisse des dépôts et le FIRIP, le chiffre d'affaires direct de l'ensemble de la filière atteindra cette année 1,5 milliard d'euros – je rappelle que nous sommes partis de zéro en 2004. Le taux de croissance de l'emploi – celui du chiffre d'affaires est à peu près équivalent – a été de 30 % entre 2013 et 2014, de 36 % entre 2014 et 2015, et les perspectives sont analogues pour 2016-2017. La filière emploie aujourd'hui 7 000 personnes. Dans une période de chômage élevé, il est donc capital de maintenir ces investissements.

Or, deux sujets nous inquiètent : la récupération de la TVA et, surtout, la décision à venir de Bruxelles concernant le plan « France Très haut débit », qui empêche, tant qu'elle n'est pas connue, le décaissement du moindre euro. Pour l'instant, 18 millions ont été décaissés, sur 3 milliards. On ne peut donc pas dire que cela ait coûté très cher au budget de l'État. En revanche, les collectivités locales portent l'investissement et avancent l'argent. Certains syndicats mixtes auront ainsi bientôt épuisé leur budget et, sans l'argent du FSN, ils seront obligés d'arrêter les déploiements. Si tel devait être le cas, les industriels seraient obligés de licencier et l'arrêt des usines serait dramatique pour les équipementiers et les câbliers – je pense à Acome ou à General Cable, par exemple – qui ont réalisé des investissements colossaux pour produire les fibres en temps et en heure, sans parler du retard que prendrait la France dans le développement de ses infrastructures. Aussi avons-nous créé une association d'associations, European local fiber alliance (ELFA), afin de parler d'une seule voix à Bruxelles. Le plan « France Très haut débit » est admiré en Europe, mais il ne faudrait pas que la fusée soit abattue alors qu'elle vient de prendre son envol.

Pour les industriels, il est indispensable d'avoir de la visibilité, notamment pour investir et embaucher. Nous pensions en avoir il y a quelques mois ; nous sommes beaucoup plus inquiets aujourd'hui. Néanmoins, je fais confiance à l'État pour faire le nécessaire à Bruxelles. Quant au problème de la TVA, il pourrait être traité assez rapidement dans le cadre du projet de loi de finances pour 2016. N'oublions pas que de ces décisions dépendent des industriels, des usines et des emplois.

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Jean-Christophe Nguyen Van Sang, directeur général de la Fédération des industriels des réseaux d'initiative publique, FIRIP

Au début des années 2000, j'ai été amené, en tant que directeur général adjoint des services du conseil général de la Moselle, à construire l'un des tout premiers réseaux d'initiative publique, à une époque où la structure financière des départements n'était pas la même qu'aujourd'hui. Du reste, ce n'est pas par la question de l'accès à internet mais par l'apparition de la problématique des zones blanches non couvertes par la téléphonie mobile que les élus ont été sensibilisés à la fracture numérique. Nous avons en effet vite compris que ce secteur était régi par les règles du marché et que la commercialisation de la téléphonie mobile n'avait rien à voir avec le service universel. Dès lors, les collectivités territoriales – notamment les communes, les EPCI et les conseils généraux –, confrontées à la nécessité de réduire la fracture numérique, ont dû assumer des compétences ou des dépenses nouvelles et elles ont été amenées à faire des choix en termes d'investissements productifs.

Ainsi la France est certainement l'un des pays d'Europe les plus avancés dans ce domaine, grâce à sa politique d'aménagement numérique, qui est ancienne. Notre pays n'en serait pas là aujourd'hui si les collectivités locales n'avaient pas pris le problème à bras-le-corps en lançant les réseaux d'initiative publique (RIP) de première génération. Bien entendu, les opérateurs intégrés ont participé aux investissements, mais les collectivités ont su faire face aux enjeux avec les moyens financiers qui étaient les leurs. Ce faisant, elles ont contribué à la constitution d'une filière industrielle en grande partie franco-française : les entreprises sont installées sur l'ensemble du territoire, où elles ont créé des emplois non délocalisables. Le RIP est en effet à la jonction du public et du privé : l'initiative appartient aux exécutifs locaux, la réalisation relevant, quant à elle, du privé, qu'il s'agisse des travaux ou de l'exploitation des réseaux dans le cadre de délégations de service public, sous la forme d'affermages ou de concessions.

Certes, les contraintes budgétaires ont un impact direct sur la capacité des collectivités locales à engager ces projets, mais il est important de pérenniser les actions qui sont entreprises depuis de nombreuses années afin que la filière puisse poursuivre le déploiement de la fibre et compléter la couverture du territoire.

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Je comprends vos inquiétudes puisque, dans ce domaine, l'activité repose en grande partie sur une politique volontariste de l'État, et je les comprends d'autant mieux que, dans le secteur du photovoltaïque, plusieurs milliers d'emplois ont été abandonnés alors que la filière connaissait un début d'industrialisation.

Sans l'ouverture à la concurrence, l'opérateur historique, France Telecom, aurait pu conduire une politique forte et consacrer ses recettes à l'investissement sur le territoire. Qu'en pensez-vous ? Par ailleurs, quelles informations avez-vous en ce qui concerne la récupération de la TVA ?

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Ma première question porte sur la téléphonie mobile. Le Gouvernement et les opérateurs ont récemment conclu un accord prévoyant que les zones blanches seraient couvertes en 2G en 2016 et en 3G en 2017. Une telle couverture, qui paraît être un préalable à l'appropriation par nos concitoyens du déploiement de la fibre, peut-elle, selon vous, être assurée dans les délais prévus ?

Ma seconde question a trait au déploiement de la fibre. Ne pensez-vous pas, compte tenu du montant des capacités d'investissement et des usages actuels, qu'un déploiement en deux étapes – les bourgs centres tout d'abord, puis l'ensemble des foyers – serait plus efficient ?

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Jean-Christophe Nguyen Van Sang, directeur général de la Fédération des industriels des réseaux d'initiative publique, FIRIP

En ce qui concerne la téléphonie mobile, une convention a été signée en 2003 entre le Gouvernement, l'Assemblée des départements de France (ADF) et les opérateurs afin de résorber les zones blanches, lesquelles étaient alors déterminées en fonction de critères définis par la Délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (DATAR). Or, les zones blanches qui n'étaient pas couvertes en 2003 ne l'étaient toujours pas dix ans plus tard. C'est pourquoi, il y a trois ans, lors de l'attribution des licences 4G par l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP), il a été prévu, dans le cahier des charges des opérateurs, que ceux-ci devaient couvrir en priorité les zones non couvertes en 2G. Je défie quiconque de savoir ce qu'il en est exactement aujourd'hui, et je suis convaincu que ces zones ne sont toujours pas couvertes en 2015 et qu'elles ne le seront pas davantage en 2016. En effet, je ne vois pas en quoi elles seraient devenues commercialement attractives pour les opérateurs de téléphonie mobile. L'ARCEP devrait sans doute se pencher sur le non-respect de leurs engagements dans ce domaine. À cet égard, il serait intéressant que le Parlement dispose, avant l'attribution des fréquences 700 MHz, d'un état des lieux précis de l'application des clauses du cahier des charges d'attribution des licences 4G concernant les zones dites prioritaires.

Vous nous interrogez sur l'hypothèse d'un déploiement de la fibre optique en deux étapes. Le plan « France Très haut débit » ne précise pas quelle technologie doit être utilisée : fibre, montée en débit ou réseau hertzien. S'agissant des bourgs centres, la question ne devrait plus se poser, car les deux grands opérateurs ont pris l'engagement d'équiper en fibre optique les zones AMII (appel à manifestation d'intentions d'investissement), devenues zones conventionnées, à l'échéance de 2020. Il serait, là aussi, intéressant que le Gouvernement et le Parlement disposent d'un état des lieux précis dans ce domaine. Les opérateurs privés ont en effet équipé en priorité les territoires les plus rentables, alors que les collectivités territoriales qui ont lancé des RIP tiennent leurs engagements.

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Patrick Vuitton, délégué général de l'Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l'audiovisuel, AVICCA

En ce qui concerne la TVA, monsieur le président, une note récente de la direction générale des finances publiques (DGFIP) précise que les collectivités ne peuvent plus récupérer la TVA sur les investissements réalisés dans le cadre des opérations de montée en débit sur cuivre – qui correspondent, monsieur Calmette, au fibrage des centres bourgs que vous avez évoqué –, car les recettes qu'elles en tirent sont dérisoires ou symboliques. De fait, ces recettes ne couvrent même pas les frais d'exploitation des collectivités. Ainsi, si l'on retenait votre hypothèse, monsieur Calmette, non seulement on générerait pour ces dernières un déficit permanent sur ces réseaux, mais on prendrait du retard par rapport à l'évolution mondiale, qui privilégie un débit, non pas de 30 mégabits par seconde, mais de 1 gigabit par seconde. Au demeurant, sur les 15 % du territoire que les opérateurs jugent suffisamment rentables pour y investir par eux-mêmes, Orange installe systématiquement du FttH (Fiber to the home), qui est la technologie d'avenir – même si le choix de la montée en débit sur cuivre peut être valable dans certaines conditions.

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étienne Dugas, président de la Fédération des industriels des réseaux d'initiative publique, FIRIP

Aurait-on pu faire mieux, monsieur le président, que le plan mis en oeuvre depuis la loi Voynet de 1998, qui a autorisé, deux ans après la libéralisation du secteur des télécommunications, les collectivités à installer de la fibre noire ? Nous, industriels, nous sommes pragmatiques : nous nous adaptons aux règles fixées par le législateur. Les gouvernements successifs, qu'ils soient de droite ou de gauche, ont construit un modèle qui n'est certes pas parfait, mais qui a le mérite d'exister. Dans les zones très denses, dites AMII ou conventionnées, un partage a été décidé entre les opérateurs qui a été remis en cause par la fusion de SFR et de Numericable ; nous ne savons donc pas très bien où nous en sommes, mais les préfets de région peuvent demander des comptes aux opérateurs. Dans les zones dites « publiques », où les investissements sont à la fois publics et privés, les collectivités locales ont la main et aménagent elles-mêmes leur territoire, ce qui est assez sain dans la mesure où les élus sont les mieux à même de savoir quelles zones doivent être raccordées à la fibre en priorité. Un calendrier a en effet été fixé. L'engagement du Président de la République – le très haut débit pour tous en 2022 – est tout à fait louable. Encore faut-il s'entendre sur ce qu'est le très haut débit : les 30 mégabits par seconde retenus par Bruxelles sont, selon moi, déjà dépassés. Or, seule la fibre offre un débit dont on ignore aujourd'hui la limite.

Un plan existe, il nous est envié en Europe. En Afrique et au Mexique, on s'inspire de ce partage des rôles entre public et privé. De grâce, appliquons le plan, et arrêtons de changer sans arrêt les règles !

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Puisque notre commission d'enquête vise à évaluer l'effet de la baisse des dotations de l'État sur les collectivités, il me paraît important que vous puissiez nous citer l'exemple de collectivités – régions, départements ou EPCI – qui vous ont indiqué qu'elles avaient décidé d'arrêter d'investir dans le développement des réseaux numériques et de changer de priorité.

Par ailleurs, au-delà de la baisse des dotations, les réorganisations territoriales, notamment le redécoupage des régions, peuvent également créer une incertitude. En effet, certaines des régions qui vont devoir se regrouper n'ont pas forcément fait les mêmes choix dans le domaine numérique et seront inévitablement amenées à repenser leurs schémas ou à réexaminer leurs engagements. La question se pose aussi pour les EPCI, puisque la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) va conduire certains territoires à revoir entièrement leur architecture. Avez-vous connaissance de telles situations ?

Enfin, vous avez évoqué les zones conventionnées, qui couvrent notamment les agglomérations. Quelles conséquences pourraient avoir la possible multiplication des intercommunalités ou le changement de périmètre de certaines métropoles, par exemple ?

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Tout d'abord, je souhaiterais que vous nous apportiez des précisions sur les chiffres. Vous avez parlé de 13 milliards d'euros, mais j'ai également souvent entendu citer le chiffre de 20 milliards, qui doit correspondre à l'ensemble des investissements, et monsieur Nguyen Van Sang a indiqué, dans la presse, que 5,5 milliards d'euros étaient déjà engagés ou en projet.

Ensuite, je suis étonné que vous rencontriez des difficultés avec l'Europe, car j'avais le sentiment que le plan Juncker avait vocation à soutenir ce type de grands projets. Pouvez-vous nous dire ce qu'il en est exactement ?

Enfin, j'observe que, dans les zones AMII réservées aux opérateurs, des conventions sont également conclues avec des entreprises telles que celles qui sont représentées par la FIRIP. Comment cette concurrence est-elle vécue ?

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Quant à moi, je souhaiterais savoir ce que vous pensez du fonds d'aide à l'investissement local doté de 1 milliard d'euros dont le Gouvernement a décidé la création dans le cadre du projet de loi de finances (PLF) pour 2016. Ces financements pourraient-ils être orientés vers les équipements numériques ?

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Patrick Vuitton, délégué général de l'Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l'audiovisuel, AVICCA

Le montant de l'investissement global lié au plan « France Très haut débit » est bien de 20 milliards d'euros, dont un tiers, soit environ 6 milliards d'euros, est à la charge des opérateurs et correspond aux investissements qu'ils réalisent dans leurs propres réseaux, les deux tiers restants, soit environ 13 milliards, incombant aux collectivités et à l'État. L'ensemble des dossiers déposés au FSN représentent un montant d'environ 10 milliards d'euros, que les collectivités veulent engager et pour lesquels elles sollicitent l'aide de l'État. Pour l'instant, 18 millions d'euros seulement ont été décaissés ; le reste est en cours d'instruction.

Quant au plan Juncker, il présente en effet l'avantage de permettre à un certain nombre de partenaires des collectivités de se financer plus facilement et donc d'envisager, par exemple, des modèles concessifs plutôt que des affermages. Le problème que nous rencontrons avec la Commission européenne concerne essentiellement, semble-t-il, la montée en débit sur cuivre, qui représente, dans les 74 dossiers représentant environ 80 départements, un peu moins d'un million de prises, contre un peu plus de 7 millions de prises FttH.

Quelles sont les conséquences de la réorganisation territoriale ? Dans les zones AMII, couvertes soit par Orange soit par Numericable-SFR, nous observons que, lorsque l'agglomération s'étend à de nouvelles communes, au-delà du périmètre initialement déclaré, les opérateurs refusent d'équiper ces communes, qui sont par définition beaucoup plus rurales que celles sur lesquelles ils s'étaient engagés. Ces communes-là, qui étaient dans le périmètre des projets départementaux ou régionaux, continuent néanmoins de relever de l'intervention publique. Quant au redécoupage des régions, il suscite en effet quelques interrogations, dans la mesure où elles mènent parfois des politiques très différentes : certaines soutiennent uniquement le FttH, d'autres le FttH et la montée en débit ; certaines sont très volontaristes tandis que d'autres n'ont affecté au développement du numérique que les fonds du FEDER ou du FEADER. Dans ce cas, la question de la cohérence de l'initiative globale se posera donc forcément. Je pense en particulier à la fusion des régions Alsace – qui assure jusqu'à la maîtrise d'ouvrage du réseau –, Lorraine et Champagne-Ardenne.

La baisse des dotations entraîne-t-elle des changements de priorité ? Je serais bien en peine de vous le dire. Jusqu'ici, le très haut débit est une des priorités politiques des collectivités : la quasi totalité d'entre elles sont couvertes par des schémas directeurs et plus des quatre cinquièmes ont déposé des dossiers au FSN. Le mouvement a donc été lancé – peut-être au détriment d'autres secteurs – et nous ne constatons pas d'inflexion particulière. Toutefois, on observe des signes de ralentissement de la part de certains syndicats mixtes qui arrivent aujourd'hui au bout des lignes de trésorerie qu'ils ont négociées avec les banques.

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L'investissement dont vous parlez, caractérisé par le mariage du public et du privé, concerne les zones peu, voire très peu denses. Mais, dans les zones AMII, c'est le jeu du marché et des opérateurs qui prévaut. Cela veut dire que le contribuable local paiera plus en milieu rural qu'en milieu urbain, que ces opérations pèseront plus sur sa feuille d'impôts. Quand ce sont les collectivités qui financent, elles passent nécessairement, en effet, par la fiscalité ou par l'emprunt.

Je voudrais aborder la question de la tarification des réseaux publics. L'ARCEP, suite à la loi Macron, vient de lancer une consultation sur la définition des grilles tarifaires pour faciliter les relations commerciales des RIP avec les fournisseurs d'accès internet (FAI). Le régulateur propose un dispositif en trois temps pour faciliter la convergence des tarifs pratiqués entre les zones d'initiative publique et la zone privée. Tout cela doit permettre de dégager des recettes pour les RIP, qui pourront ainsi rentabiliser les investissements réalisés.

J'aimerais donc savoir si les orientations que prend l'ARCEP vous conviennent, et si elles vous semblent favorables aux RIP. Il ne suffit pas d'investir, il faut ensuite amortir l'investissement. Les recettes sont donc primordiales pour les collectivités. Je suis d'autant mieux placée pour en témoigner que, dans le département des Hautes-Pyrénées, le déploiement de la fibre optique se fait dans le cadre d'un partenariat public-privé (PPP) sur lequel je n'insisterai pas, sinon pour vous assurer que les recettes prévues ne sont pas au rendez-vous. D'une manière plus générale, quelles suggestions pouvez-vous faire pour améliorer les recettes, et donc l'amortissement des investissements réalisés par les collectivités ?

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Je suis, pour ma part, élue de Lot-et-Garonne, département rural situé entre Bordeaux et Toulouse. Nous avons la chance que notre département soit traversé par un canal, le canal du Midi, qui est bordé par la fibre, et qui va de Marseille à Bordeaux. Sur ma commune, nous avons donc un gros réseau de fibre et, pour parler avec le vocabulaire d'un électricien, un transformateur. Or, figurez-vous que, pour une raison que j'ignore, nous ne pouvons pas nous servir de ce réseau. Nous sommes obligés de refibrer Marmande indépendamment, alors que ce gros réseau, tel une autoroute, passe le long du canal sans qu'il soit possible de s'y raccorder.

Ma question s'adresse donc plutôt à monsieur Dugas, qui représente la FIRIP et connaît donc les opérateurs : pourquoi ne peut-on pas fibrer, ce qui coûterait moins cher, l'ensemble du département à partir de cette autoroute ? Si notre territoire n'a pas la possibilité d'être raccordé à la fibre optique, il va mourir.

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Tout à l'heure, l'un de vous a déclaré que les collectivités avaient vocation à investir dans les zones moins denses. Aujourd'hui, le haut débit est presque un service public dans les territoires, mais nous savons, que pour les collectivités, ces projets représentent un investissement financé soit par l'emprunt, soit par la fiscalité, ce qui pose un véritable problème.

Je voudrais savoir si les opérateurs privés, aujourd'hui, connaissent le même ralentissement dans les zones très denses, et si vous pouvez nous dire quel est le taux de couverture en très haut débit des principales agglomérations et communautés urbaines de France. Je suis élue d'un département rural, la plus grande agglomération est Limoges et le reste est très rural. On nous parle beaucoup de développement économique, mais chaque fois qu'il faut tirer de la fibre, c'est à la charge de la collectivité, puisque, dans le cadre de la région, nous avions monté un syndicat qui a choisi Axione comme concessionnaire.

Nous parlons de baisse des dotations, et vous exprimez des inquiétudes, mais lorsqu'il s'agit de zones où le très haut débit est très rentable, il n'y a aucune difficulté. A un moment où l'on fait appel à la solidarité entre collectivités riches et collectivités pauvres, peut-être pourrions-nous appliquer ce même principe de solidarité aux opérateurs ?

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Jean-Christophe Nguyen Van Sang, directeur général de la Fédération des industriels des réseaux d'initiative publique, FIRIP

Je partage totalement votre analyse, madame Beaubatie. Rappelons que les industriels des réseaux d'initiative publique interviennent uniquement sur ces réseaux. La loi prévoit que les collectivités peuvent lancer et opérer des projets, mais pas délivrer de services, sauf constat de carence – qui, à ce jour, n'a été dressé par aucune collectivité. Aujourd'hui, dans le cadre du plan « France Très haut débit », les RIP sont cantonnés aux zones les moins rentables.

La FIRIP n'a pas d'opérateurs de services intégré : ni Orange, ni Free, ni Bouygues, ni SFR-Numericable. Nous sommes des industriels qui travaillent sur les RIP, et qui sont victimes, tout autant que vous, d'un certain nombre de positionnements problématiques. Cela pose d'ailleurs aussi problème aux industriels pour l'évolution de leur chiffre d'affaires et leur développement économique.

Les zones AMII ou conventionnées ont été arrêtées il y a plus de trois ans. À cette époque, Orange, SFR, Bouygues, Free et Numericable se partageaient le marché. De cinq acteurs, nous sommes passés à quatre. La question est de savoir où est la concurrence : dans ces zones, il existe une concurrence frontale entre le réseau d'Orange et le réseau SFR-Numericable. Je serais curieux de connaître la réalité des engagements tenus par ces opérateurs, au regard des promesses faites au Gouvernement. Dans ces zones, les plus rentables, une concurrence frontale s'exerce entre deux réseaux qui ne sont pas mutualisables et qui ne développent pas le très haut débit, car la priorité y est de continuer à développer le chiffre d'affaires dans des réseaux qui ont été rentabilisés. C'est pourquoi l'on assiste aujourd'hui au développement de la fibre en maintenant le câble coaxial en liaison terminale ; c'est pourquoi, également, on voit sur le réseau cuivre un passage en VDSL2 qui permet d'apporter encore plus de débit là où il y en avait déjà.

Sur l'impact de la loi NOTRe, je vais répondre précisément à monsieur Sturni. En effet, au moment où l'on discutait de la réforme des collectivités territoriales, des interrogations sont apparues, notamment sur le devenir des conseils généraux. Tous les RIP de première génération ont été créés à l'initiative des conseils généraux, car ce sont des réseaux de collecte. Les conseils généraux ayant la compétence sur les routes départementales, il était beaucoup plus simple de déployer les réseaux sur ces routes et d'aller chercher les noeuds de raccordement d'abonnés (NRA). Lorsque le devenir des conseils généraux a été en débat, un certain nombre de présidents de conseil général se sont interrogés et, à l'approche des élections départementales de mars 2015, un certain ralentissement a été noté.

Aujourd'hui, la question ne se pose plus : les conseils départementaux ont gardé une grande partie de leurs compétences, comme l'a confirmé le Premier ministre à l'occasion du dernier congrès de l'ADF en novembre 2014. Une structure s'est développée pour faire le lien entre les collectivités, puisque beaucoup de projets sur le très haut débit sont portés par des syndicats mixtes ouverts qui rassemblent des communes, des intercommunalités, des conseils départementaux et des régions. Pour les industriels, la puissance locale porteuse du projet sera l'interlocuteur sur ce point.

Mais il est vrai que dans le cadre de la baisse des dotations, un certain nombre de collectivités ont choisi d'attendre ou ont modifié leur choix. Par exemple, lors du conseil communautaire du Grand Lille du 15 juin 2015, le président de la communauté a clairement indiqué que le conventionnement qu'il avait fait avec l'opérateur était un marché de dupes, bien que le conseiller délégué aux nouvelles technologies soit toujours Akim Oural, qui était en poste lorsque Martine Aubry présidait. En conséquence, alors qu'il devait faire l'objet d'une zone conventionnée, le Grand Lille rentre dans le syndicat mixte Nord-Pas de Calais numérique 5962 et demande au préfet de remettre à plat le conventionnement, qui ne donne pas satisfaction aujourd'hui. Le Grand Lille, qui devait attribuer une délégation de service public à un opérateur d'opérateurs, en l'occurrence Altitude Infrastructure, n'a pas été au bout de cette procédure et visiblement, il s'interroge sur l'addition qui lui a été présentée. Voilà un exemple concret.

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étienne Dugas, président de la Fédération des industriels des réseaux d'initiative publique, FIRIP

Je souhaite répondre à la question de madame Dubié sur les lignes directrices, sujet ô combien important puisque la consultation vient d'être lancée par l'ARCEP, suite au travail du législateur.

L'idée initiale était de donner des lignes directrices afin de pérenniser les business plans des opérateurs d'opérateurs travaillant pour le compte de collectivités locales. Certes, le modèle retenu chez vous – un PPP – est particulier, mais vous avez les mêmes problèmes que d'autres collègues dans d'autres territoires.

Tout d'abord, il faut distinguer la fibre dite « noire » et la fibre « activée ». L'ARCEP propose 13 euros pour la ligne FttH en fibre noire, avec une fourchette de 50 centimes. Le tarif moyen nous convient, mais nous trouvons la fourchette est un peu étroite. En revanche, la deuxième proposition de l'ARCEP ne nous va pas du tout : pour les lignes activées, la fourchette va de 19 à 26 euros. Sachant que Bouygues Télécom a fait de la ligne activée son business model, je me demande comment ils vont survivre avec de tels prix. Je rappelle qu'un accès grand public est vendu 30 euros TTC, et que Bouygues Télécom fait des offres d'appel à 19,90 euros TTC. Cela veut dire qu'ils vendraient à perte, et le business model risque de s'en trouver compliqué.

Pour ajouter un exemple à celui qu'a cité monsieur Nguyen Van Sang, nous pouvons citer Vannes. La communauté d'agglomération y a lancé un RIP, en partie sur zone AMII, avec une option au cas où l'opérateur ne respecterait pas ses engagements sur la zone AMII. C'est très efficace : l'opérateur déploie plus vite la fibre à Vannes que dans d'autres endroits. Et on pouvait déjà voir cela dans le cadre des RIP de première génération – on parlait de DSL à l'époque. Il fallait aller chercher les centraux téléphoniques de l'opérateur historique, et les déploiements de l'opérateur historique étaient aiguillonnés par les initiatives des collectivités locales.

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Patrick Vuitton, délégué général de l'Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l'audiovisuel, AVICCA

Je rejoins tout à fait les propos qui viennent d'être tenus sur les lignes directrices de l'ARCEP. Nous nous réjouissons qu'elles introduisent un degré de souplesse qui n'existait pas auparavant, mais elles posent problème sur certains points essentiels au moment du démarrage des réseaux.

Pour des raisons diverses, Bouygues Télécom a bien d'autres chats à fouetter que les quelques centaines de milliers de prises des RIP, Free est toujours dans la roue d'Orange et préfère ne traiter qu'avec cette entreprise, Numericable-SFR se concentre sur ses propres investissements, et Orange, ayant le réseau cuivre, ne souhaite pas voir de réseaux fibres là où il a le cuivre.

La situation est donc assez complexe, et nous devons la débloquer avec des outils tarifaires. De nouvelles offres de services apparaissent : Canal Plus-Coriolis et Vidéofutur se sont positionnés en profitant de l'absence des quatre grands opérateurs. Il faut que nous puissions accompagner ce mouvement sans dévaloriser l'investissement public.

Quoi qu'il en soit, vendre beaucoup plus cher quand on a déjà du mal à vendre ne semble pas, en termes économiques, une porte de sortie évidente.

Par ailleurs, s'agissant de la question technique, madame Povéda, vous avez eu raison de faire la comparaison avec une autoroute : il est difficile d'utiliser une autoroute pour desservir une rue. De la même manière, le coût essentiel d'un réseau en fibres optiques se trouve dans sa partie terminale, pas dans le réseau de transport, qui existe déjà. Il y a beaucoup de réseaux de transport, ils desservent 95 % des noeuds d'abonnés cuivre. Mais l'essentiel du coût – c'est pour cela qu'il faut 20 milliards – vient après.

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La situation est assez complexe, et en définitive c'est l'habitant qui en souffre. Il y a cette autoroute, qui appartient à un certain groupe, et nous savons qu'il n'y a pas d'entrées.

Ce réseau est souterrain, mais le groupe Orange est en train de mettre en place de l'aérien. Si l'on pense à l'impact de ces dépenses pour le citoyen, ce n'est pas cohérent.

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Messieurs, vous nous aviez dit attendre la confirmation par l'Europe de l'attribution de subventions et d'aides au travers du plan Juncker.

Je souhaitais également vous interroger sur le milliard d'euros de dotations qui serait attribué par le Gouvernement dans le cadre du PLF 2016. Les collectivités subissant une diminution des dotations, le Gouvernement a décidé de proposer d'accompagner les collectivités dans des investissements spécifiques, pour un total d'un milliard d'euros. Même si cela n'a pas été dit aussi clairement, son intention est aussi de les orienter vers de grands investissements d'infrastructures, notamment numériques.

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Patrick Vuitton, délégué général de l'Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l'audiovisuel, AVICCA

À ma connaissance, il ne s'agit pas d'investissements dans les infrastructures, mais plutôt dans les équipements, en particulier les équipements numériques dans le domaine éducatif. Depuis quelques années, les collectivités sont devenues responsables de l'équipement dans les établissements éducatifs. Or, il faut équiper les salles en tableaux interactifs et les professeurs et les élèves en terminaux mobiles individuels. Il a été promis que pour un euro investi par les collectivités, un euro serait investi par l'État. Il me semble que c'est ce genre d'investissement, nouveau et nécessaire, qui est prévu dans le cadre du projet de loi de finances.

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Jean-Christophe Nguyen Van Sang, directeur général de la Fédération des industriels des réseaux d'initiative publique, FIRIP

Une précision sur ce point : pour ce qui concerne les infrastructures, le soutien de l'État remonte au programme d'investissements d'avenir, sous l'ancienne majorité, qui prévoyait une partie fléchée sur les infrastructures, pour un peu moins de 2 milliards d'euros ; une autre partie avait également été fléchée pour accompagner les grands opérateurs en termes d'emprunts bonifiés.

Dans ce cadre, au sein du volet B, une somme de 900 millions d'euros sera attribuée par le Gouvernement, au travers du comité de concertation France Très haut débit, en lien avec la Caisse de dépôts et l'Agence du numérique. Nous avions attiré l'attention des pouvoirs publics sur le fait que les grands opérateurs, parce qu'ils avaient la capacité d'obtenir des financements à moindre coût sur les marchés, n'ont jamais utilisé les sommes affectées aux prêts, et évoqué la possibilité que les 700 millions d'euros jamais utilisés viennent s'ajouter aux 900 millions d'euros annoncés.

Dans le cadre de la loi de finances pour 2015, le Gouvernement a donné un signe important en inscrivant 1,4 milliard d'euros en autorisations d'engagement, mais sans prévoir de crédits de paiement. Dans le PLF 2016, il n'y a toujours pas de crédits de paiement sur cette somme. Nous sommes donc toujours sur les 900 millions du programme d'investissements d'avenir, dont 17 millions ont été décaissés si je reprends les chiffres de Patrick Vuitton. Le PLF 2016 ne prévoit pas de besoins en crédits de paiement avant 2019, au plus tôt.

Lorsque j'ai évoqué un montant d'investissements de 5,5 milliards d'euros, cela correspondait au montant total des dossiers déposés par les collectivités à la mission Très haut débit à un moment donné. L'ensemble des projets votés depuis est cependant plus proche de 10 milliards. Je souligne qu'il s'agit d'investissements vraiment productifs, avec des réseaux qui appartiennent aux collectivités locales, quel que soit le montage contractuel.

Une augmentation des crédits de paiement viendrait donc accélérer le mouvement engagé, d'autant que nous constatons auprès de nombreuses entreprises un décalage entre le moment de la notification d'un marché et l'engagement des travaux. Ce n'est pas parce qu'un marché est notifié au mois de janvier que les travaux sont engagés au mois de février ! Aujourd'hui, les délais indiqués dépassent parfois six mois. Les décideurs publics ont à choisir, en fonction de leur capacité financière, de leur capacité de trésorerie, entre les charges de fonctionnement – de plus en plus importantes dans certaines collectivités – et les investissements productifs. Parfois, ces choix se font – à tort – au détriment de ces derniers.

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Je viens de l'Aveyron, territoire rural. Trois départements font cause commune sur le très haut débit : le Lot, la Lozère et l'Aveyron, car, dans ces zones rurales, le numérique est un enjeu très important. Cette démarche commune porte sur l'activation, l'exploitation et la commercialisation des réseaux d'initiative publique.

Messieurs, vous avez évoqué la baisse des dotations et son incidence sur l'investissement des collectivités. Pourriez-vous me donner des exemples, parmi vos adhérents, de cas dans lesquels cette baisse des dotations a compromis certains projets ? Ou d'autres cas dans lesquels le choix a été fait de retarder certains investissements pour permettre le développement du numérique ?

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Madame Beaubatie a évoqué les zones concentrées, qui apportent des avantages et des revenus bien plus importants. J'ai constaté, sur de tels territoires à forte concentration, une sorte d'entente entre les opérateurs Orange et SFR. Elle se révèle de la façon suivante : si vous êtes dans le secteur d'Orange et que vous voulez absolument contracter avec SFR, les tarifs seront suffisamment élevés pour vous inciter à vous adresser à l'autre opérateur…

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étienne Dugas, président de la Fédération des industriels des réseaux d'initiative publique, FIRIP

En réponse à madame Marcel, je vais citer l'exemple de l'entreprise Grolleau, dans le Maine-et-Loire. Son chiffre d'affaires est de 17 millions d'euros, et elle est basée au coeur de la ruralité, au milieu des vignes du Layon. Elle fabrique exclusivement les armoires de rue qui servent pour les télécoms et l'électricité.

La baisse des dotations aux collectivités locales a un impact direct sur son activité. Dans les secteurs de la signalisation routière, des stades et de l'éclairage public, directement pilotés par les collectivités locales, cette entreprise a perdu en deux ans 2 millions d'euros sur un chiffre d'affaires de 6 millions d'euros. Sachant que la seule armoire représente à peine 2 % du montant total des travaux engagés par une collectivité, on peut extrapoler en faisant un calcul rapide : cette entreprise a perdu 2 millions d'euros de chiffre d'affaires, et elle a 30 % de parts de marché. La perte totale est donc de 6 millions. Si l'on retient que ce marché représente 2 % du montant total, ce sont près de 300 millions d'euros d'investissements en moins.

Les exemples sont nombreux. Vu de notre fenêtre, il semble que les arbitrages principaux des collectivités se fassent essentiellement au détriment du budget routier. Cela pose d'énormes problèmes au secteur des travaux publics au sens large, mais c'est heureux pour notre chapelle, et plus généralement pour les investissements d'avenir, car je suis intimement convaincu que nous devons continuer à investir dans ce secteur en France. C'est la troisième révolution industrielle : cela modifie tous les secteurs d'activité, et même notre vie quotidienne.

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étienne Dugas, président de la Fédération des industriels des réseaux d'initiative publique, FIRIP

Nous siégeons au sein du comité de coordination, nous sommes donc tenus au secret des délibérations. Nous examinerons le dossier de l'Aveyron le mois prochain.

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Vous témoignez sous serment, il n'y a donc pas de secret qui vaille. Vous êtes tenus de répondre à nos questions.

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étienne Dugas, président de la Fédération des industriels des réseaux d'initiative publique, FIRIP

Je peux vous apporter une précision quantitative sur certains dossiers qui ont été présentés la semaine dernière. L'un de ces dossiers n'incluait pas le FttH, repoussant la question au-delà de 2019, faute de vision sur le financement de la région, mais je ne peux pas vous dire si c'est le résultat de la baisse des dotations ou d'un ensemble d'autres problèmes.

Le président du conseil départemental de Loire-Atlantique a déclaré qu'il avait réduit de 30 % ses investissements du fait de l'ensemble des contraintes qui pèsent sur les collectivités : hausse des dépenses sociales et baisse des dotations. Mais le très haut débit est resté parmi les quatre priorités qu'il avait fixées pour son mandat. Il a donc maintenu les investissements ans ce domaine.

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Monsieur Nguyen Van Sang, peut-être répondrez-vous à ma question ? Les moyens étant contraints pour des raisons que nous connaissons, l'enjeu est important, monsieur Dugas l'a rappelé et je partage son avis : je ne sais pas si c'est le numérique qui fera la troisième révolution industrielle, mais en tout cas il la facilitera, notamment grâce à la 3D. Nous devons donc nous positionner au mieux et au plus vite, à l'échelle de tous les territoires et pas simplement en zone concentrée.

Les ententes sont claires, elles sont observées, certaines entreprises le disent et le vivent. L'avez-vous observé, et comment le percevez-vous ?

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Jean-Christophe Nguyen Van Sang, directeur général de la Fédération des industriels des réseaux d'initiative publique, FIRIP

La question a été abordée dans différents avis et décisions de l'Autorité de la concurrence, notamment concernant les opérateurs intégrés, c'est-à-dire ceux qui font à la fois l'infrastructure et la délivrance de services. Ils ont donc un poids non négligeable, puisqu'ils maîtrisent la chaîne de bout en bout.

Il est clairement apparu ces derniers mois, notamment lors du rachat de SFR par Numericable, que la concentration du marché a un impact sur la plupart des sous-traitants. Ils sont étranglés financièrement, puisqu'ils doivent, avant d'être réglés, renégocier les tarifs qui avaient été négociés avec l'ancien propriétaire, ce qui est totalement anormal.

Lorsque vous êtes un acteur dominant, les relations avec vos prestataires vous permettent d'exercer d'aimables pressions, par exemple en suggérant de répondre à un appel dans un territoire et pas dans un autre…

Le territoire que vous évoquez correspond aux anciennes zones AMII, qui souffrent d'un défaut : l'État a prévu, sous l'égide des préfets de région, des conventionnements afin de constater la réalité des engagements, ainsi que les dérives éventuelles, et de corriger celles-ci. Aujourd'hui, le nombre de conventionnements signés se compte sur les doigts de la main ! Il y a donc quelque chose qui ne fonctionne pas.

Enfin, on évoque toujours les infrastructures numériques sous le seul angle de la dépense, ce qui est une hérésie. Certes, les infrastructures numériques entraînent des dépenses, mais elles génèrent aussi des recettes. Les collectivités qui s'engagent aujourd'hui dans un marché de conception-réalisation et en cèdent ensuite la gestion par délégation de service public sous forme d'affermage en tirent un revenu. Les collectivités qui s'engagent dans une délégation de service public sous forme de concession vont récupérer un réseau dans vingt, vingt-cinq ou trente ans, et elles en tirent aussi un revenu. Les collectivités qui s'engagent sous la forme du portage d'une infrastructure par une société publique locale ou une régie intéressée, génèrent aussi une recette.

C'est donc une forme intelligente d'exploitation d'un bien public, qui va fournir des services et qui va générer des recettes. Là encore, la France montre la voie. Les grands opérateurs intégrés ont tendance à trop mettre l'accent sur le volet dépenses, avec une démagogie sans limite, expliquant que les élus s'engagent dans des dépenses disproportionnées sur des technologies qui ne sont pas maîtrisées, alors que c'est tout le contraire. Si l'on se penche sur les quinze dernières années, en termes d'aménagement numérique, ce sont les réseaux d'initiative publique et les mariages entre collectivités publiques et industriels partenaires qui ont fait avancer le numérique en France.

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Patrick Vuitton, délégué général de l'Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l'audiovisuel, AVICCA

En complément de ce qui vient d'être dit, je précise que les législations française et européenne prévoient que l'établissement des réseaux fixes est libre. On ne peut donc pas contraindre un opérateur à faire une prise en zone non rentable pour chaque prise en zone rentable. Sur la téléphonie mobile, l'État affecte son domaine public hertzien et fixe donc un certain nombre de règles de financement et de contraintes de déploiement, mais ce n'est pas possible pour le déploiement du fixe.

Vous nous interrogez sur la possibilité de trouver des ressources nouvelles dans le cadre des restrictions actuelles du budget de l'État et des collectivités ; cela peut s'envisager. On sait bien taxer les opérateurs pour financer l'audiovisuel public, ce qui n'est pourtant pas leur mission première. Évidemment, chaque fois que l'on va agiter ce genre de questions, les opérateurs répondront qu'ils pourront encore moins investir si on les taxe…

Tout cela a naturellement un coût. Aujourd'hui, nos tarifs, pour le mobile comme pour le fixe, sont relativement bas par rapport aux standards mondiaux, et il y a des investissements à faire. Il faut bien que quelqu'un paie ces investissements. On pourrait imaginer d'ajouter un euro à la facture de chaque consommateur. Cela existe après tout pour l'électricité, et cela permet à la fois de faire payer l'électricité au même prix en Corse que sur le continent et de développer les énergies renouvelables. Il n'a pas été fait de même dans le domaine des télécoms, mais c'est parfaitement imaginable, car l'enjeu est global.

Nous pourrions poser différemment la question, soulevée par plusieurs députés : il y aurait des zones dans lesquelles le contribuable ne verserait rien, et d'autres dans lesquelles il serait appelé à participer. Si tous les consommateurs participaient, avec une contribution collectée par les opérateurs, nous pourrions peut-être aller plus vite, soulager l'équation et connaître moins de disparités territoriales.

L'audition s'achève à dix-sept heures cinquante-cinq.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête visant à évaluer les conséquences sur l'investissement public et les services publics de proximité de la baisse des dotations de l'État aux communes et aux EPCI

Réunion du mardi 13 octobre 2015 à 16 heures 15.

Présents. – Mme Catherine Beaubatie, M. Jean-Luc Bleunven, M. Alain Calmette, Mme Jeanine Dubié, M. Alain Fauré, Mme Marie-Lou Marcel, M. Hervé Pellois, Mme Régine Povéda, M. Claude Sturni.

Excusés. – M. Éric Alauzet, M. Olivier Audibert Troin, M. Étienne Blanc, Mme Christine Pires Beaune.