La séance est ouverte.
La séance est ouverte à vingt et une heures trente.
L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques (nos 2447, 2498).
Le temps de parole restant pour la discussion de ce texte est de six heures et cinquante-sept minutes pour le groupe SRC, dont 243 amendements restent en discussion ; une heure et cinquante-neuf minutes pour le groupe UMP, dont 343 amendements restent en discussion ; deux heures et trente et une minutes pour le groupe UDI, dont 63 amendements restent en discussion ; deux heures et huit minutes pour le groupe RRDP, dont 46 amendements restent en discussion ; une heure et vingt et une minutes pour le groupe écologiste, dont 67 amendements restent en discussion ; une heure et seize minutes pour le groupe GDR, dont 49 amendements restent en discussion et trois minutes pour les députés non inscrits.
Cet après-midi, l’Assemblée a poursuivi la discussion des articles du projet de loi, s’arrêtant à l’article 47.
Plusieurs orateurs sont incrits sur l’article 47.
La parole est à Mme Véronique Louwagie.
Madame la présidente, monsieur le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique, monsieur le président de la commission spéciale, mesdames, messieurs les rapporteurs, mon collègue Yves Fromion, absent ce soir, a longuement exposé en commission spéciale la position du groupe UMP. Je rappellerai les points essentiels de son argumentaire.
Le projet de fusion proposé est une opération qui n’est pas sans risque pour la souveraineté de l’État. Si l’on peut être favorable à un transfert au secteur privé d’une part du capital de GIAT, il faut s’assurer que l’opération va consolider, au niveau national, nos propres entreprises d’armement, et qu’elle ne va aucunement nous affaiblir. Il ne faut pas que la France laisse échapper la maîtrise de son industrie d’armement terrestre.
Si nous sommes favorables à l’ouverture du capital de GIAT, nous différons en revanche sur les modalités et les procédures de la fusion. Nous souhaiterions que cette fusion, ou ce rapprochement, contribue à conférer une force de frappe reconnue. Il nous faut certes développer un partenariat européen, mais l’opération, telle qu’elle est décrite, ne nous paraît pas conforme aux intérêts nationaux. En effet, nous pensons que pour parvenir à un opérateur franco-allemand équilibré, il faut constituer un plus gros groupe français, puisque notre interlocuteur allemand est plus gros que tous les groupes français réunis.
Votre proposition ne va-t-elle pas, en fin de compte, organiser une mainmise de l’industrie allemande sur GIAT ? Nous sommes très inquiets des conséquences que l’opération, telle que vous la proposez, aura sur notre souveraineté nationale, sur notre outil de production, ainsi que sur nos emplois. Bref, nous redoutons les effets négatifs qui en découleront inévitablement. C’est pourquoi un grand nombre de députés UMP…
« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP.
Au risque de me singulariser, je vais développer une thèse différente et, pour une fois, très proche de celle du Gouvernement.
Mesdames et messieurs, notre indépendance nationale, comme l’indépendance de notre politique étrangère, dépendent de la capacité de notre pays à maintenir une politique d’armement et une production nationale d’armement.
Nous sommes aujourd’hui à un tournant : les dépenses militaires américaines dépassent depuis longtemps la totalité des dépenses militaires du continent européen – de l’ensemble des vingt-huit ! En matière de recherche et développement, le ratio entre l’Europe et les États-Unis sur le plan militaire est d’un à huit. Or nous savons tous que les dépenses militaires irradient l’ensemble de la recherche civile. C’est comme cela que les Américains financent, par le Pentagone et la NASA, l’essentiel de leur recherche de pointe.
Il est donc indispensable d’avoir une politique industrielle d’armement, qui manque cruellement à notre pays depuis un certain nombre d’années. Parallèlement, d’ailleurs, nos crédits de défense diminuent.
Autre remarque : l’Europe est malheureusement engagée dans une sorte de désarmement budgétaire structurel et unilatéral depuis la fin de la guerre froide. Nous risquons d’ailleurs d’en payer le prix au beau milieu de la crise ukrainienne, car nous sommes en train de découvrir qu’il ne nous reste plus grand-chose une fois nos forces engagées comme elles le sont aujourd’hui.
Et encore, nous et les Anglais représentons 40 % de la totalité des dépenses militaires européennes.
C’est dire qu’il est indispensable de développer un pôle européen de défense si nous voulons être indépendants et si nous voulons une Europe politique. C’est la raison pour laquelle je milite depuis des années pour une coopération européenne en matière de défense.
J’ai par exemple été désolé de voir que le rapprochement entre EADS et British Aerospace n’a pas pu être mené à bien. Je ne veux entrer dans les détails, et nous n’avons pas le temps de chercher qui avait tort, mais c’est un ratage de dimension historique, car BAE aurait permis à EADS de faire son entrée sur le marché américain de l’armement, ce que nous ne pouvons pas faire aujourd’hui.
Le marché mondial de l’armement est donc totalement déséquilibré au profit des États-Unis – c’est vrai en matière navale, en matière aéronautique et plus encore en matière terrestre.
Permettez-moi une petite remarque historique sur l’armement terrestre. Ceux qui s’intéressent à l’histoire militaire savent que l’histoire du char franco-allemand remonte à Chaban-Delmas et Franz-Josef Strauß, tous les deux ministres de la défense en 1957. C’était l’époque du début de la coopération militaire franco-allemande. On venait de signer les accords de Paris qui avaient donné naissance à l’OTAN, puis à l’UEO.
Jusqu’à présent, les Allemands n’ont pas voulu fabriquer ce char avec la France ; ils ont choisi le char Leopard – qui a d’ailleurs été un grand succès – et nous le char Leclerc. La raison en est simple : les Allemands conservaient leur supériorité technologique en matière de véhicules blindés – on en sait quelque chose si l’on se souvient de ce qui s’était passé, à cet égard, pendant la Seconde Guerre mondiale.
Aujourd’hui, nous avons deux principaux groupes en Europe : Nexter côté français et Krauss-Maffei Wegmann – KMW – côté allemand, même s’il ne faut pas oublier Rheinmetall. L’un, KFW, est totalement privé et familial, l’autre est un groupe public. Il est temps de les unir si nous ne voulons pas être totalement balayés par l’industrie américaine. Voilà la raison pour laquelle je milite en faveur de cet accord.
Toutefois, trois conditions essentielles doivent être respectées, et je suis sûr, monsieur le ministre, que vous y veillerez.
Tout d’abord, le partage des responsabilités entre les dirigeants. Dans l’affaire EADS, nous avons peut-être été un petit peu généreux sur le partage des tâches ; nous avons beaucoup donné à nos partenaires allemands. Il n’empêche que la société marche et que c’est un dirigeant allemand qui a installé son quartier général à Toulouse, et non à Berlin comme l’exigeait la Chancelière allemande. Nous pouvons donc avoir confiance dans les unions franco-allemandes.
Il faudra également faire très attention aux conditions économiques de ce rapprochement. À cet égard, la due diligence va permettre d’en savoir plus. Faut-il une soulte, à quelle hauteur et dans quelles conditions ?
La troisième condition est celle à propos de laquelle j’éprouve, pour l’instant, le plus de gêne. Elle tient à la position de votre ami politique, monsieur le ministre, le vice-chancelier actuel, Sigmar Gabriel, qui a récemment posé un certain nombre de conditions aux exportations d’armes allemandes. Il ne faudrait pas que cette union aille à l’encontre de nos objectifs en matière de politique étrangère et qu’elle compromette nos marchés d’armement à l’exportation.
Si nous arrivons à régler ces trois points, nous avancerons et nous aurons sauvegardé une base industrielle européenne en matière d’armement terrestre. C’est la raison pour laquelle – et je regrette que mon groupe ait pris une position différente – j’approuve totalement cette initiative, que je soutiendrai de toutes mes forces.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.
Rien n’a changé depuis la Communauté européenne de défense ! Pierre Mendès France avait raison !
Pour une fois, je risque d’être d’accord avec M. Lellouche. Il est vrai que lui et moi connaissons bien ce secteur, en particulier celui de l’industrie d’armement terrestre.
Le domaine de l’armement terrestre en Europe est aujourd’hui largement excédentaire en termes d’offre, d’autant plus que la bagarre est généralement difficile à l’export. Le résultat est le suivant : nous avons des matériels particulièrement performants, côté allemand comme côté français, et l’entreprise qui remporte un marché à l’export dans ce secteur très concurrentiel est obligée, de fait, de réduire sa marge. Ce faisant, elle réduit également, du même coup, sa capacité future de développer de nouveaux matériels. Les entreprises concernées font elles-mêmes ce constat.
Quand il vend à l’export, le gagnant peut donc, en définitive, s’avérer perdant, compte tenu de la marge très faible qu’il réalise. Si nous n’y prenons pas garde et si nous ne réagissons pas très vite, l’Union européenne – en l’occurrence, la France, mais aussi l’Allemagne – perdra son industrie de défense. Les industriels l’ont expliqué très clairement devant la commission de la défense.
Aujourd’hui, il y a certes les États-Unis, mais aussi les pays émergents, lesquels sont particulièrement innovants et investissent beaucoup dans les matériels de défense, spécialement dans l’armement terrestre. Si nous n’y prenons pas garde et si nous n’assurons pas à nos entreprises une capacité de développement, elles auront de gros problèmes dans l’avenir ; je pense même très sérieusement qu’elles péricliteront, voire disparaîtront.
L’article 47 nous propose de rapprocher deux grandes entreprises, KMW et Nexter. Elles sont toutes deux venues pour être entendues par la commission de la défense et nous ont rassurés sur l’ensemble des questions qui ont été exposées précédemment par ma collègue Mme Louwagie. Nous nous sommes également rendus à Munich où KMW nous a présenté son entreprise. Nous avons pu évaluer les avantages qu’il y aurait à rapprocher ces deux entreprises. En l’occurrence, nous serons tout simplement plus forts ensemble, surtout à l’export, et ces entreprises pourront continuer à proposer dans la durée des produits de qualité.
J’ai entendu les inquiétudes autour des empêchements législatifs que pourrait présenter l’Allemagne, en particulier, comme le disait M. Lellouche, à l’export. Regardons les chiffres : aujourd’hui, en matière terrestre, l’Allemagne exporte un peu plus que nous. Si le frein que vous évoquez était avéré, ils n’exporteraient pas à ce niveau. Je pense donc que nous n’avons pas d’inquiétudes à avoir sur le sujet. La France comme l’Allemagne ont effectivement la possibilité de refuser l’exportation de matériel de défense et, dans les deux pays, les éléments pris en considération sont absolument les mêmes : transferts de technologies sensibles et État déficient ou non recommandable, si je peux le dire ainsi.
Cet article va nous permettre d’avancer vers un projet politique que nous affirmons régulièrement mais que nous avons du mal à réaliser : la construction d’une Europe de la défense, surtout en matière industrielle. J’y suis donc très favorable.
Monsieur le ministre, je constituerai une seconde exception pour confirmer la règle du vote du groupe UMP, car je suis favorable sur le principe à cette première phase de rapprochement entre KMW et Nexter. Je suis de ceux qui pensent que l’on ne peut pas laisser General Dynamics et Rheinmetall – pour ne citer que deux entreprises sur le sol européen – prendre de l’avance, sans parler d’un certain nombre d’industries d’armement des pays émergents qui, comme l’a justement rappelé la présidente de la commission de la défense, commencent à nous tailler des croupières.
Il s’agit donc de monter un dispositif comparable à ce qui existe déjà dans d’autres domaines et qui a porté ses fruits. On parle souvent d’Airbus, mais on peut également mentionner les joint ventures entre Safran et General Electric, tant dans le domaine civil que dans le domaine militaire, qui remportent de francs succès.
Mais tout dépend, monsieur le ministre, de la manière dont nous arriverons, après la première phase de rapprochement, à une fusion.
Une fusion, cela veut dire que chacun a ses responsabilités, mais aussi, certainement, qu’il y aura des doublons au sein des catalogues. Quand le char Leopard se vend à 3 400 exemplaires, nous ne vendons que 800 chars Leclerc. Il faudra donc être solides en matière commerciale, et savoir comment nous pourrons continuer à vendre nos véhicules blindés de combat d’infanterie – ou VBCI –, le camion équipé d’un système d’artillerie – CAESAR – et d’autres instruments qui font la grande qualité de l’entreprise Nexter.
Nous avons également des interrogations concernant les filiales de Nexter, en particulier celle qui est chargée des munitions : bien que SNPE ne soit pas dans la corbeille – dans un premier temps –, il faudra veiller à ce que nos intérêts en matière de munitions soient préservés.
Autre interrogation, si ce n’est inquiétude : nos armées, en particulier l’armée de terre, ont besoin de renouveler leurs équipements. Nous devons mener à terme le remplacement des véhicules de l’avant blindés, les VAB, qui arrivent en fin de vie, et le programme Scorpion, lequel, avec les engins blindés de reconnaissance de combat – EBRC – et les véhicules blindés multirôles – VBMR –, échappe dans un premier temps au rapprochement. Il s’agit de deux outils indispensables pour notre armée de terre.
Il est prévu d’attribuer à l’État français une action spécifique qui lui donnera un droit de veto en cas de divergence de stratégie avec ce groupe qui sera domicilié aux Pays-Bas, puisque la nouvelle société, Newco, y aura son siège. Nous avons besoin de vérifier pas à pas, virgule après virgule, la constitution du rapprochement puis, dans un second temps, de la fusion.
À ces conditions, qui sont extrêmement rigoureuses, nous serons capables de constituer un groupe dynamique apte à défendre nos intérêts communs ainsi que nos intérêts respectifs, en particulier pour équiper notre armée de terre, laquelle est projetée sur plusieurs théâtres d’opérations un peu partout dans le monde. Nous devons cela à nos soldats et à nos armées.
Monsieur le ministre, nous attendons de vos réponses un certain nombre d’informations permettant de nous rassurer sur ces deux phases – celle du rapprochement et celle de la fusion.
À l’instar de Pierre Lellouche, je suis persuadé que nous avons besoin d’une industrie de défense européenne. Nous avons besoin de bâtir des industries capables d’exister encore dans dix ou vingt ans. Il leur faut donc la taille critique pour la recherche et le développement, domaine dans lequel nous faisons beaucoup moins d’efforts que nos concurrents américains. Nous avons aussi besoin d’une taille critique pour l’export. Il est vrai que le mariage de Krauss-Maffei Wegmann et de Nexter a tout pour sembler plaisant : même taille ou presque, même chiffre d’affaires, même nombre de salariés, deux entreprises tournées vers l’export.
Cependant, un certain nombre d’interrogations demeurent, et nous aimerions les voir levées au cours de ce débat.
La première porte sur les conditions du rapprochement. Si j’ai bien compris, il s’agit de créer une holding qui, dans un premier temps, aura des compétences essentiellement pour l’exportation. Les deux sièges sociaux demeurent, ainsi que les deux organisations et les deux directions. Nous avons besoin de savoir comment sont envisagées les choses sur le moyen terme.
Le deuxième sujet d’importance concerne bien entendu les conditions d’exercice des deux entreprises, notamment à l’exportation. Personne ne peut oublier que les Allemands nous ont empêchés de vendre, il n’y a pas si longtemps, le missile Milan dans un pays du Golfe. Personne n’oublie non plus que les Allemands se sont opposés à un rapprochement en matière de défense – Dieu sait pourtant s’il était intelligent ! – entre l’Aérospatiale et les Britanniques. Les mêmes Allemands s’opposent également à ce que nous puissions vendre des missiles de croisière – ou d’autres types – à des pays comme l’Arabie Saoudite. Que veut-on donc faire à moyen terme avec ce rapprochement ? Il faut que les choses soient dites clairement et que les conditions d’exportation pour la France et l’Allemagne soient les mêmes.
Le troisième sujet est celui des programmes. En effet, c’est un rapprochement de structures, mais nous devons savoir vers quoi nous allons. On pourrait trouver formidable un rapprochement entre, d’un côté, le spécialiste de la roue et, de l’autre, celui de la chenille, mais les choses sont évidemment plus compliquées : il existe une concurrence très vive entre Nexter et Krauss-Maffei Wegmann pour un certain nombre de matériels, notamment les blindés. Qu’en sera-t-il, par exemple, pour nos VBCI ? Il faut savoir comment nous allons gérer, à l’exportation, les concurrences au sein d’un même groupe.
Enfin, l’Allemagne est l’Allemagne : les Allemands sont formidables, ils adorent les rapprochements, mais quand ils se sentent plus forts.
On l’a souvent vu dans l’industrie navale, où aucun rapprochement n’a été possible car DCNS est plus puissante que les entreprises allemandes : à chaque fois, nous nous heurtons donc à un obstacle.
Il ne faudrait pas que l’Allemagne préfère ensuite un concurrent de Krauss-Maffei Wegmann, Rheinmetall par exemple, qui pèse deux fois plus lourd. Des réflexes nationaux risquent de conduire le gouvernement allemand à privilégier l’autre groupe industriel allemand qu’est Rheinmetall. Nous avons besoin d’un certain nombre d’éclairages et d’éclaircissements sur ces questions, monsieur le ministre.
Il est évident que les regroupements industriels peuvent permettre l’émergence d’une industrie de défense européenne, qui est très difficile à construire car les volontés étatiques et les égoïsmes nationaux empêchent bien souvent d’aller plus loin et d’engager des programmes. C’est pourquoi ces rapprochements industriels sont absolument vitaux à moyen terme.
Sur le fond, le groupe UDI est bien entendu favorable au rapprochement entre Nexter et KMW. Cependant, pour nous et pour les salariés de ces entreprises, une série d’éléments d’information complémentaires sont nécessaires.
Je veux revenir sur la fin de l’intervention de M. le ministre Morin. On parle toujours de l’Europe de la défense. Or, ce soir, nous avons l’occasion de franchir un pas supplémentaire vers cette Europe de la défense, dont on sait très bien qu’elle ne se construira pas par un coup de baguette magique mais qu’elle commencera par des rapprochements entre les industriels européens de l’armement et par la création de structures transnationales, en fonction de l’ambition et de la volonté des États concernés.
Le rapprochement entre Nexter et KMW poursuit deux objectifs.
Le premier est le renforcement de la puissance de notre industrie d’armement – ce soir, nous parlons d’armement terrestre. Pour ce faire, le rapprochement de deux groupes français et allemand d’importance équivalente est une bonne chose. Il s’agit aussi de renforcer notre capacité à l’exportation et à l’innovation. Nous le savons très bien, si nous voulons une industrie puissante, nous devons être capables d’exporter et encourager la recherche, le développement et l’innovation afin d’être toujours en avance. Ce premier objectif est atteint.
Le second objectif est la sauvegarde de notre indépendance stratégique. Si nous ne renforçons pas notre industrie terrestre, nous verrons l’affaiblissement de notre indépendance stratégique. Aujourd’hui, cette indépendance est préservée par le rapprochement franco-allemand. En adoptant cet après-midi l’article 44 de ce projet de loi, sur lequel je n’ai pas entendu beaucoup de critiques, nous avons permis la mise en place du dispositif de l’action spécifique : il faut maintenant le mettre en oeuvre et permettre ainsi, par le rapprochement de deux groupes équivalents, la sauvegarde de l’indépendance stratégique, l’indépendance de décision de notre industrie d’armement. Il y va de la qualité de l’équipement de nos armées.
Nous parlons d’un rapprochement entre deux groupes systémiers qui ont, en matière de produits et de stratégie, plus de complémentarité que de concurrence. Certes, ils sont concurrents sur quelques produits, comme les chars, mais la différence entre le char allemand et le char français est telle que la concurrence n’existe presque plus. La concurrence est très faible sur les munitions, puisque Nexter en produit mais que KMW n’en produit pas.
Enfin, pour instiller un peu de polémique en ce début de séance,…
…j’ai l’impression que certains nous reprochent de réussir aujourd’hui ce qui aurait échoué il y a quelques années.
Rappelez-vous, chers collègues de l’opposition : on voulait rapprocher Nexter de Renault Trucks Defense, qui était soi-disant une industrie française. Mais cette entreprise, historiquement française, est détenue par un groupe suédois bien connu, Volvo. Si cela ne s’est pas concrétisé, ce n’est pas à cause du gouvernement français, mais parce que les Suédois auraient eu tellement d’influence sur les décisions qui seraient prises que les dirigeants de Nexter ne l’ont pas voulu.
Aujourd’hui, le rapprochement de Nexter et KMW est un beau rapprochement, nécessaire à la vitalité de notre industrie et à l’indépendance stratégique de nos armées. C’est pourquoi je souhaite que l’article 47 soit adopté par la majorité la plus large possible.
Monsieur le ministre, j’aurais aimé vous dire que les auto-écoles qui ont bloqué l’Île-de-France ce matin m’avaient contraint à vous rejoindre avec un peu de retard.
Rires et exclamations sur les bancs du groupe SRC.
Pas à cette heure-ci, monsieur le député !
Ce ne serait pas vrai, disais-je, madame Berger. Je vois votre dépit, et j’en suis désolé.
C’était simplement une petite introduction souriante pour confirmer au ministre que, décidément, nous ne digérons pas l’article 9 et les suivants – M. Fromantin non plus, d’ailleurs.
Pas pour les mêmes raisons !
On verra !
Monsieur le ministre, la diversité des interventions des parlementaires de notre groupe montre notre embarras.
Ne vous inquiétez pas, madame la présidente : je ne suis jamais interrompu que par moi-même.
On mettra tous les textes au vote, monsieur Poisson ! Ne vous inquiétez pas !
Je ne suis pas inquiet, monsieur Le Roux. Chacun sait que votre pratique de la démocratie est un modèle,…
…et nous attendons le scrutin, le moment venu.
Je disais donc, monsieur le ministre, que la diversité des expressions des parlementaires de notre groupe montrait parfaitement notre embarras. En commission spéciale, nous avons largement débattu de cet article. Lors de ces échanges, nous avons mis en évidence plusieurs points – notre collègue Yves Fromion, qui ne peut pas nous rejoindre ce soir, a été très clair.
Sur le principe, en fin de compte, pourquoi pas ? Vous proposez un rapprochement qui, en faisant progresser la défense européenne, pourrait présenter quelque intérêt. C’est un peu le « jour du grand soir », mais allons-y !
Cependant, monsieur le ministre, nous nous interrogeons sur la méthode. À cet égard, je rejoins les propos de M. Morin. Vous partez du principe que ces deux entités, qui sont semblables, seraient égales, et donc qu’à terme, par une simple logique capitalistique, on pourrait maintenir dans la fusion l’égalité de ces deux entités. En dépit des chiffres, qui sont proches, en dépit des gammes de produits qui peuvent être comparables, vous escomptez en réalité que notre puissance diplomatique et économique sera suffisante pour ne pas être, en fin de compte, les perdants de l’affaire. Un certain nombre d’entre nous ne le croient pas.
Je ne sais pas si cela relève de la démonstration, de la prospective ou de l’estimation.
En tout cas, nous avons déposé, avec M. Fromion et quelques autres collègues, un certain nombre d’amendements visant à commencer par consolider Nexter avec un intervenant français au sein d’un groupe dont la puissance serait comparable à celle des Allemands. Comme notre collègue Jean-François Lamour l’a dit tout à l’heure, si les chiffres sont comparables, les capacités d’exportation des deux entreprises ne sont absolument pas les mêmes. Entrer dans un contrat ou dans un échange avec un tel déséquilibre augure mal de la solidité future du groupe.
Voilà donc le sens de l’interrogation d’un certain nombre d’entre nous. Nous attendons avec impatience, monsieur le ministre, que nous rassuriez sur ces différents sujets. En fonction de votre réponse, nous verrons bien quelle position nous adopterons sur cet article.
La parole est à M. Alain Tourret, rapporteur thématique de la commission spéciale.
Le sujet qui nous préoccupe est important : il s’agit de la défense de la France et de la capacité de notre pays de mener une véritable politique d’armement. On nous propose donc le transfert au secteur privé de la majorité du capital d’une entreprise, opération qui nous permettra de devenir extrêmement compétitifs à l’échelle européenne et à l’échelle mondiale.
J’ai écouté avec beaucoup d’attention ce que M. Lellouche nous a exposé, avec courage au vu de ce que pense le reste de son groupe. Incontestablement, il y avait de la force dans ce qu’il exprimait. Je ne peux pas en dire autant de l’exposé sommaire de l’amendement no 319 déposé par les autres députés du groupe UMP. Il y est écrit : « Une privatisation de ce grand groupe d’État de l’industrie de l’armement serait par conséquent un retour au Moyen-Âge… »
Rires sur plusieurs bancs des groupes SRC et écologiste.
Les bras m’en tombent ! Je poursuis : « …à l’époque où la France jouait son existence même sur le champ de bataille… ». Nous avons perdu beaucoup de batailles et la France n’en a pas moins continué d’exister, force est de le constater !
Je termine la lecture : « …avec des armées très souvent composées de mercenaires. »
Rires sur plusieurs bancs du groupe SRC.
Je dois vous avouer que je n’y comprends plus rien ! Je ne comprends pas que l’on puisse écrire des bêtises pareilles…
…alors même que l’on parle d’armement et, par là même, de la politique d’indépendance de la France. Les auteurs de l’amendement no 319 poursuivent l’exposé sommaire par des références au général de Gaulle. Eh bien, il doit se retourner dans sa tombe en voyant de pareilles bêtises de ses héritiers !
Rires et applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.
Il y a au moins des députés qui lisent les exposés sommaires !
Je ne souhaitais pas intervenir sur l’article, mais les propos de M. Tourret nécessitent une mise au point.
Monsieur le ministre, il est tout à fait légitime de poser des questions. Nous parlons tout de même d’un sujet primordial, dans la mesure où nous allons aujourd’hui franchir une étape. Il faut savoir que la politique de défense allemande n’est pas la même que la politique de défense française.
Je serai peut-être une nouvelle fois très désagréable avec vous, monsieur le ministre. Je connais vos qualités et je sais que vous avez énormément travaillé votre projet de loi, mais j’aurais quand même souhaité voir à vos côtés le ministre de la défense.
Justement, je ne doute pas des qualités du ministre de la défense. Mais je connais également les budgets.
Ce sujet est également primordial pour les intérêts des Français. L’armée est le bras armé de notre indépendance, quoi que l’on dise sur ce point et malgré l’ironie que l’on entend parfois.
L’article 47 ne peut pas être voté sans que des réponses très précises aient été fournies aux questions posées par le ministre Morin. Je souhaite, pour ma part, en poser une autre : où sera le siège de cette nouvelle entreprise ?
Il semblerait que le siège soit établi aux Pays-Bas. Pourquoi ?
Toutes ces réponses sont nécessaires aux Français, car la défense est un sujet fondamental pour le peuple français. Quant aux salariés des entreprises concernées, comme l’a souligné M. Morin, nous ne pouvons pas les laisser dans l’incertitude.
Monsieur le ministre, il serait utile que vous nous répondiez…
…et que vos réponses aient été élaborées avec le ministre de la défense, en tenant compte notamment du budget de la défense, qui a été voté non sans poser quelques difficultés. Je comprends votre souhait d’avancer pour faire progresser – peut-être – une défense européenne, mais je veux vraiment vous demander aujourd’hui de nous répondre très précisément, afin que nous soyons très au clair sur cet article 47.
Nous en venons aux amendements identiques nos 319 , 2302 et 2474 , tendant à supprimer l’article 47.
Sur ces amendements identiques, je suis saisie par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à Mme Marie-Jo Zimmermann, pour soutenir l’amendement no 319 .
Je viens d’expliquer les raisons pour lesquelles je proposais, par cet amendement, la suppression de l’article 47.
Compte tenu des réponses que m’apportera M. le ministre, je pourrais le retirer,...
La parole est à M. François de Rugy, pour soutenir l’amendement no 2302 .
Il s’agit d’un amendement d’appel visant à demander des précisions au ministre de l’économie, même si le sujet dépend également du ministre de la défense.
Pour notre part, nous sommes, sur le principe, favorables à des rapprochements dans l’industrie – y compris l’industrie de l’armement – au niveau européen, notamment franco-allemand. On ne peut qu’être surpris que certains ne souscrivent pas à une telle idée.
Cela étant, les questions sont légitimes, notamment celles que se posent les salariés du groupe Nexter, anciennement GIAT, quant à leur futur statut et au mode de fonctionnement dans le cadre de ce rapprochement avec un groupe allemand privé – s’appuyant sur un actionnariat familial – et dont l’organisation diffère forcément d’un groupe héritier d’un arsenal d’État qui n’a pas du tout la même culture.
Si nous souscrivons à l’objectif d’un rapprochement franco-allemand, qui offre à terme des perspectives industrielles plus intéressantes dans la mesure où elles ne dépendent pas essentiellement des commandes de l’État français, il importe, monsieur le ministre, que vous nous éclairiez sur les garanties qui entourent ce projet.
La parole est à M. André Chassaigne, pour soutenir l’amendement no 2474 .
Par cet amendement, nous invitons l’Assemblée à s’opposer au transfert au secteur privé de la majorité du capital de GIAT et de ses filiales. Nous sommes en effet très défavorables au projet KANT de privatisation de l’entreprise qui prévoit la fusion avec la société allemande Krauss-Maffei Wegmann au sein d’une nouvelle société basée aux Pays-Bas.
La création d’une nouvelle société pose évidemment la question du devenir des ouvriers sous décret et des fonctionnaires détachés – il faut bien en parler. Elle nous interroge aussi sur l’avenir de notre industrie de défense.
L’industrie de la défense constitue une part de notre outil de défense. Le rôle de la Direction générale de l’armement comme architecte de cet aspect de la défense nationale constitue aussi un élément important. La vocation de l’industrie de la défense est de contribuer à garantir la souveraineté nationale. Cette industrie vit des investissements réalisés par la nation pour sa défense. Elle s’organise autour des programmes lancés au profit de nos armées et elle dépend des autorisations politiques pour ses exportations.
Aujourd’hui, l’empreinte nationale sur les marchés reste très forte, et c’est normal, car les politiques de défense sont arrêtées au niveau national. Il n’a pas été facile, en effet, cela a été dit, de construire un marché européen, dans la mesure où il n’existe pas de politique européenne de défense.
De notre point de vue, appeler à une telle restructuration est voué à l’échec face à des marchés aussi multiples et protéiformes que les marchés européens.
Ce projet est dicté par l’intérêt national, dites-vous. Pour notre part, nous pensons qu’il est avant tout dicté par un rapprochement capitalistique et une alliance financière.
Les fondements de la nouvelle société la rattachent non pas aux commandes nationales, mais aux exportations. Cela a été rappelé à plusieurs reprises par les précédents orateurs. Certes, l’exportation d’armement a toujours existé, et j’ajouterai qu’elle est légitime. Mais n’oublions jamais qu’elle relève de la décision politique. La règle reste l’interdiction des ventes d’armes, sauf dérogation accordée par l’État.
De manière évidente, on ne peut pas vendre n’importe quoi à n’importe qui et en tout temps – l’actualité nous l’a rappelé récemment.
Par ailleurs, l’exportation ne saurait être envisagée comme une réponse à tous les problèmes, notamment celui de la réduction des marchés européens et français, d’autant que l’expérience montre que l’exportation s’accompagne de transferts de technologie et qu’elle peut susciter l’émergence de nouveaux concurrents dans des pays où les budgets de défense sont en forte croissance ou soutenus par une volonté nationale plus farouche qu’en Europe.
Soulignons en outre que les grands groupes ont externalisé beaucoup de leurs fonctions industrielles et s’appuient sur un tissu de petites entreprises qui irriguent l’ensemble du territoire national. Ces entreprises ont cependant des trésoreries fragiles et elles n’atteignent pas la taille critique qui leur permettrait de surmonter plus facilement les éventuels à-coups de charges.
Dans le contexte économique actuel, les sous-traitants souffrent énormément. Lorsque le ministère a pris l’initiative de ce partenariat en encourageant l’externalisation, les grands groupes se sont inscrits dans cette démarche et ont soutenu leurs fournisseurs par différents moyens. Cela étant, la fragilité du tissu industriel des PME est indéniable et la politique des exportations contribue à l’accroître par la voie des délocalisations.
J’ai, en quelques mots, exprimé les doutes que nous avons sur la pertinence du projet KANT. L’industrie de défense nationale d’abord, mais européenne ensuite, est l’héritière des efforts consentis par les États européens pour disposer d’une industrie de souveraineté. Dans un contexte de baisse des moyens alloués à la défense, de baisse des commandes, quel avenir préparons-nous à notre industrie de défense ? Quelles menaces pèsent sur l’emploi et les savoir-faire ? Quel peut être le sens d’une libéralisation du marché de l’armement, alors que ce marché doit demeurer tributaire de choix politiques et diplomatiques ?
Pour ce qui nous concerne, nous n’avons pas été rassurés par les réponses apportées jusqu’à ce jour à ces différentes interrogations, notamment en l’absence d’une politique de défense européenne, parce que se pose la question de la souveraineté des États. Aussi, nous demandons une nouvelle fois la suppression de l’article 47.
La parole est à Mme Clotilde Valter, rapporteure thématique de la commission spéciale, pour donner l’avis de la commission sur ces amendements de suppression.
J’essaierai de répondre aussi précisément que possible aux différents points qui ont été soulevés – M. le ministre complétera.
À M. Chassaigne qui prétend qu’il s’agit d’un transfert au secteur privé, je réponds que c’est faux.
Nous sommes dans le cadre de la constitution d’une société nouvelle à laquelle l’État apporte 50 % des parts – ces 50 % restent donc publics. Dès lors, il n’y a aucune cession au privé, cher André Chassaigne. Je le répéterai autant de fois que vous le souhaiterez pour vous faire plaisir.
D’un point de vue technique, il n’est pas question de transfert au privé.
Monsieur Chassaigne, je vous accorde que l’association se fera avec un partenaire privé qui va détenir 50 % des parts de la société nouvelle. Ce partenaire privé est non pas, comme vous l’avez dit, une société financière, mais une famille. À cet égard, je rappelle que nous sommes favorables au fait que des personnes privées soient actionnaires. Nous préférons de loin un actionnariat familial, un actionnariat de personnes physiques à des sociétés financières, car on sait ce que cela recouvre.
J’espère, monsieur le député, vous avoir apporté satisfaction sur ce point.
Le deuxième élément de garantie consiste en la création d’une action spécifique détenue par l’État, ce qui va lui permettre de conserver la possibilité d’intervenir.
Pierre Lellouche comme Patricia Adam ont rappelé que la situation actuelle de cette industrie posait problème. C’est le statu quo qui nous conduit dans le mur. Nous devons donc réagir et considérer cette alliance comme une vraie chance pour Nexter, comme une vraie chance pour l’industrie française. Nous ne savons pas ce que deviendrait cette entreprise si elle ne trouvait pas de partenaire et demeurait seule.
Nous attendons de ce rapprochement le début d’une belle histoire. Rappelons la réussite d’Airbus. M. Lellouche et, à sa suite, plusieurs membres de la commission de la défense ont évoqué la possibilité de la création d’un pôle européen de défense. C’est ce pari qu’il faut gagner.
Il est temps de nous unir si on ne veut pas disparaître, car c’est de cela qu’il s’agit.
S’agissant enfin de la position du gouvernement allemand, en particulier celle de Sigmar Gabriel, il est clair qu’il existe une tradition allemande, mais le vice-chancelier s’est récemment exprimé en faveur d’une politique européenne de défense et de ce partenariat – M. le ministre pourra vous en dire plus. Des garanties ont été apportées en matière de politique commerciale. Chaque groupe poursuivra sa propre politique commerciale et il y aura une action commune pour les produits nouveaux.
Les conditions que vous avez, les uns les autres, posées sont donc remplies. Avis défavorable aux trois amendements de suppression de l’article 47.
La parole est à M. le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique, pour donner l’avis du Gouvernement.
Je vais répondre aux différents intervenants, qu’ils se soient exprimés sur l’article ou sur les amendements.
Madame Louwagie, s’agissant de l’idée qu’il puisse exister un préalable de consolidation française avant d’aller vers une telle opération, je rappelle que cela a été tenté à plusieurs reprises sans succès. Rappelons que Thales n’a aucune synergie avec Nexter. Il s’agit d’une consolidation purement théorique, qui a d’ailleurs échoué. Les mariages forcés, dans la vie des affaires, conduisent souvent à des sinistres – j’ai eu l’occasion de le dire en commission spéciale. En l’espèce, nous avons décidé de ne pas suivre cette voie, car le faire n’aurait pas de sens.
D’autres négociations ont eu lieu avec Renault Trucks Defense – autrement dit Volvo –, mais l’actionnaire a là aussi refusé d’aller dans ce sens. Aucune consolidation nationale n’aurait donc pu être un préalable à cette opération de consolidation européenne.
J’ajoute à cela qu’il s’agit d’une opération de rapprochement entre deux groupes égaux – environ 800 millions d’euros de chiffre d’affaires et 300 salariés. Certes, on peut être pessimiste pour l’avenir, mais ce n’est pas l’attitude que nous devons adopter.
On part à armes égales, en considérant que nous allons gagner les uns et les autres en nous associant. Si nous avions pu aller vers une consolidation française, il y a fort à parier que la consolidation européenne n’aurait pas eu lieu, car l’actionnaire de KMW pose comme préalable le fait d’avoir une fusion entre égaux.
Je peux vous indiquer qu’il n’y avait pas d’option de consolidation française – nous avons eu le débat avec votre collègue M. Fromion en commission spéciale. Une telle idée ne tenait pas la route.
De la même façon, il n’y a pas de mainmise du camp allemand, bien au contraire.
Si on évalue la situation d’un point de vue clinique…
Sourires.
…il s’agit d’un actionnariat familial. À cet égard, l’expérience prouve – je rappelle que nous avons, par le passé, fusionné des groupes français à actionnariat familial avec des groupes publics – que, la plupart du temps, les groupes détenus par une famille durent moins longtemps que les pouvoirs publics.
Il est question ici d’un actionnaire allemand familial et d’un actionnaire français public. Je ne vois donc pas la prétendue mainmise allemande. Rien ne permet une telle affirmation. Au moment où nous parlons, deux entités avec la même profitabilité, le même nombre de salariés et un chiffre d’affaires comparable vont se rapprocher – je vais en revenir aux modalités – dans une structure commune.
S’agissant des modalités, que vous avez évoquées, monsieur Lellouche, les coopérations franco-allemandes ont montré qu’elles pouvaient produire des effets positifs. Vous avez fait référence, ainsi que vous, monsieur le ministre Morin, en creux, à l’opération avec BAE Systems. Il est inutile de pleurer sur le lait répandu. Ce n’est pas révéler un secret que de dire que le Gouvernement français était plutôt favorable à cette opération,…
Disons « résolument » favorable, mais il existait des incertitudes. La Chancelière a en effet émis des réserves qui ont conduit, pour l’équilibre de la société, à ne pas aller en ce sens, car toutes les hypothèques qui pesaient sur l’opération n’avaient pas été levées.
Pour ce qui est néanmoins du partage des responsabilités, je veux être très clair et j’expliquerai dès maintenant comment on va procéder, ce qui permettra de répondre à vos deux questions, car vos préalables exprimaient la même préoccupation.
L’idée est en effet de rapprocher les deux structures au moyen d’une holding commune qui se trouverait aux Pays-Bas, comme dans le cas d’Airbus et de l’alliance Renault-Nissan, pour des raisons de neutralité fiscale – je veux également être très clair sur ce sujet : il ne s’agit pas de rechercher un paradis fiscal, mais d’éviter la double taxation sur les dividendes, ce qui est un point important pour une holding commune. Ce sont en effet ces règles de gouvernance qui permettent de respecter un équilibre des structures en présence – c’est du reste cette considération qui a présidé au même choix pour Airbus.
La holding serait donc aux Pays-Bas ; les deux structures resteraient respectivement en France et en Allemagne et la totalité de la base fiscale existant en France et en Allemagne serait préservée, ainsi que, pour cinq ans au moins, les équilibres actionnariaux, car ni l’État français ni la famille allemande n’envisagent aujourd’hui de sortir de cette opération : il ne s’agit en aucun cas ici d’un rapprochement visant à donner de la liquidité à l’un des deux actionnaires.
La holding aurait pour fonction d’arrêter la stratégie commune et la politique commerciale – j’évoquerai tout à l’heure les questions relatives à l’export. Elle posséderait 100 % des deux filiales et le partage des responsabilités entre elle et ces dernières se ferait donc selon ces modalités, dans le plein respect des logiques industrielles au niveau des filiales.
J’ai eu plusieurs fois l’occasion d’évoquer devant la commission spéciale la position allemande en matière d’export, que vous avez rappelée.
Tout d’abord, je tiens à souligner que cette position est déjà celle qui préside aux exportations de KMW. Vous avez tous souligné que la situation de cette entreprise n’était pas déraisonnablement défavorable par rapport à celle de Nexter... Je ne vois donc pas pourquoi les Allemands changeraient leur position en matière d’export.
Vous avez très justement rappelé qu’il existe une sensibilité…
J’évoquerai plus tard les différents pays, monsieur Morin, mais cette sensibilité ne changera pas avec le rapprochement. Nous la retrouvons déjà, du reste, lors des discussions constantes que nous avons, notamment avec M. Sigmar Gabriel, à propos des exportations d’Airbus Group.
L’organisation est donc ainsi structurée et des discussions permanentes entre nos ministres et entre nos services, ainsi qu’entre le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale et son équivalent allemand, permettent de clarifier les positions sur ce sujet et ne constituent en rien un blocage.
La politique d’export est arrêtée par la holding mais, durant les cinq premières années, les exportations de Nexter seront décidées par Nexter. Je veux être très clair sur ce point : en aucun cas les pouvoirs publics allemands ne pourront bloquer des exports décidés par la filiale qui restera en France ; le rapprochement sera progressif et déterminé en fonction des modalités que je viens de définir.
Comme vous l’avez rappelé, madame la présidente de la commission de la défense, la politique d’export allemande présente donc cette sensibilité politique, mais l’option prise ici est de développer des synergies à la fois stratégique et commerciale avec notre partenaire allemand sans qu’il puisse y avoir à ce stade de blocage, mais en continuant à définir une politique commune et en traitant cette sensibilité, qui est certes une réalité, mais qui, pour être franc, pose aujourd’hui davantage de problèmes pour Airbus que pour ce projet commun.
Monsieur Lamour, permettez-moi d’apporter une précision qui, en outre, fera peut-être écho aux propos de M. Chassaigne : pour ce qui concerne les munitions, nous devons tous avoir présent à l’esprit que, depuis 2006, une loi de privatisation a permis d’ouvrir le capital de SNPE – je vous apprends peut-être là, et je le regrette, ce qui sera pour vous une mauvaise nouvelle. Il ne s’agit donc, j’y insiste, en aucune façon d’une privatisation de GIAT, car sa filiale SNPE a déjà été privatisée. Nous ne faisons ici que demander l’autorisation d’ouvrir l’autre filiale, Nexter, en vue d’un rapprochement. L’article de loi que nous examinons ne concerne donc que Nexter, et en aucun cas SNPE.
Pour ce qui est des programmes, Scorpion, que plusieurs d’entre vous ont cité, est en effet important pour Nexter mais, si nous parlons en toute franchise, ce programme n’est pas suffisant pour le développement de l’entreprise. Se pose donc la question, que vous avez évoquée et que M. Morin a également soulevée, de la complémentarité des produits fabriqués par les deux structures.
Au-delà des complémentarités évidentes et de la non-superposition entre une artillerie chenillée et une artillerie à roues, que vous avez vous-même évoquée, la complémentarité géographique que nous examinons aujourd’hui dans le cadre de la préparation de l’opération par les deux sociétés montre bien que les VBCI et les Boxer ne relèvent pas des mêmes marchés internationaux, ni des mêmes doctrines d’emploi. Ainsi, le VBCI équipe le Qatar, les Émirats arabes unis et le Danemark – et hier le Canada –, qui ne sont pas les marchés vers lesquels s’oriente le Boxer. L’analyse que font aujourd’hui M. Jean-Yves Le Drian et la société est donc qu’il n’y a pas de risque de cannibalisation d’une entreprise par l’autre en termes de capacité à l’export, mais plutôt une complémentarité – je tiens à vous rassurer à ce propos.
Quant aux conditions du rapprochement, il est prévu de poursuivre durant trois mois les expertises techniques, qui seront suivies de trois à cinq mois de négociations, puis de trois à quatre mois devant le régulateur. Il s’agit, je le répète, d’un rapprochement au niveau de la holding, assorti pendant cinq ans d’une stabilité de l’actionnariat.
À propos de l’engagement allemand de conserver à KMW son importance et de ne pas lui préférer notamment Rheinmetall, je rappellerai d’abord que l’État allemand vient de confirmer un contrat Boxer qui manifeste cet engagement et que M. Le Drian et moi-même nous sommes assurés auprès de nos homologues de l’engagement plein et entier de l’actuelle coalition derrière KMW en tant qu’acteur structurant pour la filière allemande, assurance qui nous a été renouvelée. Ces éléments répondent aussi, me semble-t-il, à la question soulevée par M. Bridey.
Monsieur Poisson, vous avez déjà fait part, lors des travaux de la commission spéciale, de votre embarras ; j’espère avoir apporté des éléments de réponse techniques, même si je ne suis pas sûr de l’avoir pleinement dissipé, car une fusion comporte toujours une part d’inconnu. Reste que ce rapprochement a du sens de part et d’autre et je me suis efforcé d’expliquer qu’il n’y avait pas d’autre choix raisonnable.
Pour ce qui est de l’actionnariat, je répète que les deux parties s’engagent à une stabilité de cinq ans, qui permettra aussi de voir comment fonctionne – ou non – cette première phase. Il nous faudra alors être très pragmatiques : si la première phase, qui consiste à mettre au niveau de la holding la stratégie commerciale et la stratégie de lancement, devait conduire à des impasses ou à un échec, l’intégralité des décisions opérationnelles et structurantes et de la production restant au niveau des filiales, et donc dans chaque pays, il serait possible, à l’issue de ces cinq ans et avant une décision qui viserait éventuellement à regrouper davantage d’actifs au niveau de la holding commune, de revenir en arrière.
Madame Zimmermann, je réitère l’assurance que nous utiliserons l’action spécifique telle qu’elle a été votée précédemment dans ce texte de loi, ce qui garantit la préservation des intérêts de souveraineté de l’État français au sein de l’entreprise, indépendamment du fait que notre pays conservera 50 % du capital de l’entité ainsi fusionnée. Le siège sera aux Pays-Bas, comme c’est le cas pour la holding commune Renault-Nissan ou pour Airbus Group, avec exactement les mêmes garanties que celles que je viens d’évoquer en matière fiscale comme en matière de gouvernance.
Cette opération n’a pas d’impact sur le budget de la défense – au contraire. Monsieur Chassaigne, si nous avions la chance que le budget de la défense permette de passer des commandes et d’assurer la stabilité de Nexter, peut-être pourrions-nous nous offrir le luxe d’une réflexion différente, mais si vous privez aujourd’hui Nexter de ses capacités à exporter, vous le tuez – il faut être parfaitement lucide à ce propos. La question dont nous débattons est donc, je le répète, totalement neutre au regard du budget de la défense.
Je crois avoir traité les principaux points évoqués par M. de Rugy et par M. Chassaigne, à l’exception toutefois du statut des personnels concernés, à propos duquel je vous renverrais volontiers à l’alinéa 4 de l’article 47, qui dispose : « À la date du transfert au secteur privé de la majorité du capital de la société mentionnée à l’article 1er ou de ses filiales, les fonctionnaires et les militaires en fonction sont maintenus sur leur demande dans la position statutaire qui était là leur à cette date. » Ce texte me semble assez explicite pour répondre à votre préoccupation.
Je rappelle encore qu’il ne s’agit en aucune façon d’une alliance financière, mais bien industrielle qui, si elle visait à empêcher tout export, serait la mort assurée de ces deux entreprises qui, de part et d’autre du Rhin, exportent déjà et ont besoin d’exporter, mais qui feront l’objet de la même procédure de contrôle que celle qui existe aujourd’hui. Nous disposons d’une commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre, réunie auprès du Premier ministre et destinée à soumettre à la décision de celui-ci chaque contrat à l’export, sur la base d’une instruction formulée par le ministère de la défense. Nous ne faisons donc pas n’importe quoi et une préoccupation stratégique, politique et militaire sous-tend chacun de ces contrats. L’équivalent existe en Allemagne et c’est sur cette base que nous continuerons très légitimement à opérer.
J’espère avoir répondu aux principales questions et espère que les amendements de suppression seront retirés, à défaut de quoi le Gouvernement émettra un avis défavorable.
En relisant ces amendements de suppression, j’ai été frappé par leur similitude.
M. Tourret ironisait tout à l’heure sur les armures et sur le Moyen Âge, en se moquant – un peu méchamment – de l’exposé sommaire de l’amendement, rédigé par je ne sais qui à l’UMP. Les trois exposés sommaires se rejoignent cependant sur l’idée qu’il ne faut pas privatiser : « privatisation des intérêts vitaux », « privatisation des industries d’armement » – on retrouve les mêmes mots dans les textes rédigés respectivement par les écologistes, par l’UMP et par les communistes. Or, ce n’est pas le sujet, même si Mme la rapporteure thématique a déployé ses meilleurs efforts d’avocate pour expliquer que, quand une entité publique apporte 50 % de son capital à une entité privée, ce n’est pas une privatisation ! Nous en discuterons une autre fois.
Ce qui est intéressant, c’est l’aveu du ministre – voilà que je commence à devenir un vrai « macronien » !
Sourires.
Il y a en effet une certaine fraîcheur dans votre vérité, monsieur le ministre. Vous avez dit : « On a essayé de me tuer pendant ce débat », puis : « Je me suis trompé ». Et maintenant quelque chose de très juste : si nous avions de l’argent, nous n’aurions pas besoin de faire tout ça,…
…si nous avions un budget de défense, nous ne rencontrerions pas cette difficulté.
L’ennui, c’est que c’est tout de même vous qui êtes en charge des finances de l’État !
Exclamations sur les bancs du groupe SRC.
En matière d’industries de défense, peu importe l’enrobage juridique : la seule chose qui compte, ce sont les commandes publiques. Si vous avez des commandes publiques, que vous ayez des actionnaires comme Boeing, ou que vous n’en ayez pas comme en Russie, vous aurez de toute façon une industrie d’armement, mais s’il n’y a plus de commandes publiques, vous n’en aurez plus.
Or, le problème de notre malheureuse République – ce qui nous amènera tout à l’heure à parler de votre fameuse société de projets, à propos de laquelle, je vous le dis d’avance, je serai moins admiratif –, c’est de savoir comment entretenir une industrie de défense aéronautique, terrestre et navale, à quoi s’ajoute le nucléaire, avec le chiffre magique de 31,4 milliards d’euros. Comment présenter un budget de défense qui tienne la route, étant donné qu’il y a déjà 3,5 milliards d’euros de reports – c’est-à-dire de factures impayées –, 1,2 milliard de surcoûts à l’exportation et 2,3 milliards de recettes exceptionnelles qui ne sont pas au rendez-vous ? Avec de tels chiffres, bien sûr, on se trouve en position de demandeur pour rechercher des alliances.
Mais, monsieur le ministre, le danger, l’unique incertitude de cette alliance, c’est l’évolution du budget allemand. De fait, si l’on regarde attentivement les deux budgets de défense pour les années qui viennent, on observe que, pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne aura un budget de défense supérieur à celui de la France.
Comme, en France, 25 % de notre budget sont consacrés aux armes nucléaires, cela signifie que le budget conventionnel de l’Allemagne sera supérieur au nôtre, y compris dans les secteurs où elle excelle, donc dans l’armement terrestre. La seule inconnue, monsieur le ministre, ce n’est pas le rapprochement – je suis pour –, ce n’est pas le partage des rôles, ce n’est même pas la politique à l’export, car elle découle d’un rapport de forces politiques entre nous et Berlin : ce sont les commandes publiques.
Allons-nous, monsieur le ministre, continuer à faire la guerre avec des VAB qui ont deux fois l’âge de leurs soldats, si ce n’est plus – ils ont entre quarante et cinquante ans –, comme je l’ai constaté à Gao ? Ils sont obligés d’aller en mission avec un remorqueur parce qu’ils tombent tout le temps en panne. Nous ne sommes pas capables de remplacer nos équipements – c’est cela, le sujet pour l’armée française, monsieur le ministre. Or vous êtes le ministre des finances !
Sourires.
Le ministre de la défense se bat pour obtenir les bons arbitrages. Aussi, ne renversez pas les rôles.
C’est vous qui faites les choix ; or quand les choix ne sont pas faits au niveau des dépenses de fonctionnement, quand les choix ne sont pas faits au niveau des dépenses sociales excessives dans beaucoup de domaines et qu’on sacrifie le régalien et l’armée française, alors, en effet, on peut se poser des questions. Merci pour votre franchise : vous faites exactement la démonstration de ce que je dis depuis longtemps.
Je remercie M. le ministre pour la clarté des explications données, au-delà de l’étude d’impact et du débat qui a eu lieu en commission ; c’était particulièrement utile.
Cela étant, arrivé au terme de ce débat et avant de voter sur cet article, je dois dire mon scepticisme, pour le moins. En réalité, la proposition qui nous est faite porte sur un « pôle européen de défense » ou une « politique européenne de défense » : comment peut-on parler de cela sans qu’il y ait une politique étrangère commune au niveau européen ?
Comment peut-on parler de cela sans citer – mais je vais le faire – ce que disait le général de Gaulle : il faut une « Europe européenne » ?
Au regard de ce qui est proposé, on est à côté de la plaque – ou alors on nous vend quelque chose qui ne correspond pas aux objectifs qui doivent être partagés au niveau européen. Commençons par rechercher une politique indépendante au niveau européen, une politique européenne qui soit l’apanage des pays d’Europe, avant de parler d’une politique de défense, qui doit être au service d’une politique étrangère commune.
Je remercie M. Lellouche pour le parfait exposé des motifs qu’il a fait pour justifier le « SPV défense » dont nous aurons à discuter tout à l’heure : en effet, la commande publique est une nécessité pour ce dernier. Néanmoins, l’argument que j’avançais sur ce point venait en réponse aux propos du président Chassaigne sur les exportations : dans l’absolu, on peut aller au bout de votre logique, qui consisterait à dire qu’il faut essentiellement de la commande publique française ou européenne pour être à la hauteur de nos aspirations. Mais je constate à ce stade que Nexter comme KMW, sur les quinze dernières années – donc sans lien avec des choix budgétaires récents –, ont réalisé entre 40 % et 80 % de leur chiffre d’affaires, selon les années, à l’export.
Ce rapprochement ne change donc en rien cette réalité. Je dis simplement que si l’on décidait d’avoir des états d’âme sur l’export à l’international de ces sociétés d’armement, on les tuerait, puisque l’on parle de la moitié environ de leur chiffre d’affaires, pour l’une comme pour l’autre. Mon argument visait juste la capacité en général à exporter de ces deux sociétés.
Quant à la commande publique, on peut déplorer son niveau et vouloir une dépense publique militaire qui se compare avec celles des États-Unis. Il n’en reste pas moins que la dépense publique militaire française est incomparable avec celle de ses voisins européens, et vous le savez bien.
Mais si, elle est incomparable avec celle de l’Europe continentale.
Vous vous laissez influencer par Bercy et ce n’est pas bien, monsieur le ministre !
Non ! Par ailleurs, monsieur Lellouche, je dois à l’honnêteté de dire que les finances sont à la main de mon collègue Michel Sapin et que je me contente de l’économie.
Je ne suis là que dans mon rôle : je ne peux donc pas être accusé d’être l’heautontimoroumenos !
Sourires.
Il faut rejeter une chimère : une industrie nationale d’armement ne pourra pas tenir par les seules commandes publiques de l’État français. Ce n’est plus comme il y a cinquante ou soixante ans. Aujourd’hui, si nous voulons conserver une industrie de défense et, partant, notre indépendance stratégique, il faut s’ouvrir à l’exportation, il faut accepter la concurrence des pays émergents, il faut continuer à mener une politique ambitieuse en matière de recherche et de développement – c’est le cas dans la loi de programmation militaire – et, par conséquent, faire des rapprochements avec des industries européennes pour développer des pôles de dimension internationale et nous permettre d’élaborer une stratégie internationale.
Autre chimère : je veux bien qu’on nous donne des leçons, mais aujourd’hui, avec la loi de programmation militaire, avec le Livre blanc, nous avons reprécisé les ambitions stratégiques de nos armées et de notre politique diplomatique. Cela n’a pas toujours été le cas ! Le ministre Le Drian a fait des choix, a précisé, a passé des commandes d’armements – des commandes qui n’avaient pas été faites pendant des années, qui avaient été retardées.
Et pendant tout ce temps, monsieur Lellouche, notre budget de l’armement était en déficit, se creusait de 500 millions chaque année sur les projets d’équipements : aussi, ne venez pas nous donner des leçons ! Réaffirmons notre stratégie, réaffirmons notre ambition, et faisons des pôles industriels de développement de rayonnement européen et mondial.
Je voudrais exprimer quelques réserves et poser des questions, même si la présidente de la commission de la défense m’a déjà éclairé sur certains points.
J’entends bien qu’on préserve, qu’on limite largement et qu’on encadre strictement les exportations d’armes ; c’est bien normal. Ainsi que le ministre l’a rappelé, il existe des procédures très strictes pour cela, et pour cause, puisque le principe de base – l’opinion publique ne le sait pas, c’est pourquoi il n’est pas inutile de le rappeler –, est que les exportations d’armes sont interdites, sauf exceptions.
C’est de ces exceptions qu’il convient de discuter et de débattre. Vous conviendrez avec moi que dans une loi comme la vôtre, qui a son importance, qui porte sur la croissance, sur le développement et, pour reprendre vos termes mêmes, sur la « libération de certaines énergies », discuter d’enjeux aussi stratégiques paraît mal venu.
Je doute que, dans une loi de ce type, l’on puisse discuter au débotté d’enjeux aussi stratégiques et aussi lourds. Je comprends que vous défendiez cet amendement : vous le faites sans doute avec talent, mais cela nécessite quand même que l’on prenne un peu plus de temps pour des enjeux aussi lourds.
Ainsi, nous sommes aujourd’hui engagés sur un front incertain, mais souvent seuls et avec efficacité – je pense notamment à certains pays en Afrique subsaharienne, au Proche-Orient et au Moyen-Orient, en particulier au nord de l’Irak –, et dans notre stratégie globale, je n’ai pas senti un grand soutien de nos amis européens ; chacun l’a reconnu ici.
Je veux bien, au nom de l’idée que je me fais de l’Europe fédérale et d’une union renforcée, que l’on tente des rapprochements, en particulier au niveau du couple franco-allemand. Mais je voudrais aussi que l’on ait une discussion sérieuse sur la façon dont les Allemands aujourd’hui nous aident – ou pas – sur les différents théâtres d’opérations. On ne peut pas déconnecter la politique étrangère que l’on mène de la politique de défense, en particulier quand on sait que celle-ci est adossée à la stratégie de vente d’armes et d’armements.
Je ne voudrais pas qu’il soit dit demain qu’on s’allie dans une grande opération dans laquelle, pendant que les uns font la guerre, les autres font de l’argent.
Je voudrais que l’on fasse attention à cela. Je ne pose pas la question comme cela, au débotté : je voudrais simplement appeler votre attention, monsieur le ministre, sur le fait que dans un débat de ce type, à l’Assemblée nationale, avec d’éminents représentants de la commission des affaires étrangères et de la commission de la défense, avec leurs talents, leurs qualités et leur expertise, nous devrions pouvoir prendre le temps d’en discuter. Je suis surpris que l’on donne un sentiment de désinvolture – je ne dis pas que c’est le cas des interventions qui ont eu lieu ici, parce que toutes ont été éclairées, argumentées et solides – sur un sujet aussi important.
Pour conclure, je ferai une remarque : tout à l’heure, des précisions ont été données sur la nouvelle alliance industrielle. J’entends bien que le capitalisme actionnarial n’empêche pas le rôle de l’État : la rapporteure thématique, Clotilde Valter, a rappelé que l’État est encore présent à hauteur de 50 %. J’entends cet argument ; mais au-delà de cinq ans, durée maximale de cet actionnariat familial, que se passe-t-il ?
Autre question, liée à la précédente : même si l’État préserve ses capacités de veto, de définition stratégique, de vente et d’exportation, que se passerait-il demain si cette entreprise, pour partie privée et pour partie publique, décidait, au-delà des cinq ans, de restructurations, de délocalisations ou de suppression d’effectifs pour y substituer de la sous-traitance à des entreprises qui ne seraient pas françaises ? Cela pose des problèmes d’ordre stratégique.
J’aimerais donc être éclairé sur ces questions et vous comprendrez, monsieur le ministre, qu’il y a, d’un côté, la cohérence du mécano que vous proposez et de l’alignement franco-allemand et, de l’autre, un sujet qui n’est pas moins important : celui de notre ambition stratégique, de notre politique de défense européenne et des moyens que nous voulons leur consacrer. De ce point de vue, je suis sûr que vous serez d’accord avec l’idée qu’il faut au minimum prendre le temps d’un débat national éclairé.
Je ferai d’abord une observation que j’ai déjà faite la semaine dernière : on ne peut pas répondre point par point dans la mesure où l’on ne nous a pas donné suffisamment de temps pour répondre.
C’est complètement asymétrique ! Je ne retiens donc que deux arguments, sur lesquels je vais vous répondre.
Tout d’abord, en vous écoutant, on pourrait croire que l’industrie de l’armement en France est en charpie et qu’il faudrait une opération telle que celle-ci pour la sortir de sa supposée difficulté. Or chacun sait que cette industrie est extrêmement performante, l’une des meilleures industries du monde, même, car elle se classe première ou deuxième. Cet argument était sous-entendu, mais j’espère que ce n’est pas là votre opinion, parce que ce n’est pas le cas.
Non ! Je ne fais jamais de sous-entendu, vous le savez bien !
Ensuite, je voudrais répondre à l’argument de la complémentarité que vous avez développé : on a affaire, avec Krauss-Maffei Wegmann, à une entreprise qui, dans le domaine des blindés, est beaucoup plus performante que Nexter ou, du moins, aussi performante, mais avec une double production.
Certes, cette entreprise ne s’intéresse ni aux armes ni aux munitions – c’est plus notre spécificité –, donc il pourrait y avoir complémentarité dans ce domaine, mais derrière cette fusion – inutile de jouer sur les mots, car c’est bien de cela qu’il s’agit –, c’est du maintien d’une production de blindés dans notre pays qu’il est question. N’allons pas dire que cela réglera des problèmes industriels : on sait très bien que l’un des deux est plus fort concernant la production de blindés, puisque l’on a des productions dans les deux entités. Cela aura des conséquences industrielles dans notre pays : c’est une chose qu’on ne peut pas nier !
Un mot à notre collègue Amirshahi qui nous disait qu’il y avait, d’un côté, ceux qui combattaient et, de l’autre, ceux qui faisaient de l’argent : c’est essentiellement parce que nous avons des industries de grande qualité que nous avons la capacité de nous déployer les premiers sur les théâtres d’opérations. Nous avons le Rafale, nous avons des VBCI, nous avons un porte-avions, nous avons l’arme nucléaire : c’est bien pour cela que nous sommes en mesure de mener les opérations que les présidents successifs ont ordonnées aux armées. Cela me semble indispensable et, même s’il doit y avoir débat, il faut que nous poursuivions cet effort en matière de défense.
Nous parlerons tout à l’heure, monsieur le ministre, de la société de projet. Vous nous la présentez comme une opportunité ; nous verrons si le débat ne doit pas aller plus loin, en particulier sur leurs ressources exceptionnelles.
Un mot sur la démonstration que vous avez faite tout à l’heure sur la période de rapprochement de cinq ans : vous nous dites qu’il n’y a pas de problème car, si cela ne marche pas, chacun reprendra ses billes et retournera de son côté.
Cette approche ne me semble pas suffisamment dynamique, monsieur le ministre : à partir du moment où les deux sociétés, même si elles gardent leurs actifs chacune de leur côté, mettent en commun leur recherche et développement – de l’ordre de 15 % à 18 % pour chacune d’entre elles – et que, pendant cinq ans, elles développent de nouveaux produits communs – c’est en tout cas comme cela que nous l’imaginons –, je ne vois pas comment, au bout de cinq ans, elles pourraient sans dégât, en particulier pour Nexter, reprendre leur liberté.
Il me semble donc très important de négocier pied à pied, virgule après virgule, les conditions de ces dispositifs qui aboutiront à une fusion, car sur ce point M. Chassaigne a raison : personne ici ne peut croire que nous en resterons au stade d’un simple rapprochement. La logique veut qu’un groupe de cette nature atteigne cette masse critique.
Plutôt que de dire qu’il sera toujours temps de reprendre ses billes, soyons donc très vigilants et attentifs à ne pas céder un pouce de terrain, en particulier en matière de conception, de complémentarité des catalogues et de préservation de nos intérêts stratégiques.
Je voudrais d’abord dire à nos collègues que l’actualisation de la loi de programmation militaire nous donnera prochainement l’occasion d’avoir ce débat sur les questions de défense qu’ils appellent de leurs voeux, et j’espère qu’ils seront aussi nombreux à venir en débattre avec nous. Je les invite d’autant plus à nous rejoindre lorsque nous examinerons ce texte que nous sommes en général trop peu nombreux quand l’Assemblée débat de ces questions. C’est un engagement du ministre de la défense, et il sera tenu : nous devrions examiner cet texte au cours du deuxième trimestre et au plus tard avant cet été.
Je suis très surprise par certaines interventions. Pour une fois que nous avons l’occasion d’aller de l’avant en matière européenne et en matière d’industries de défense ! Toutes les précautions ont été prises…
…qu’il s’agisse des salariés de Nexter ou de ceux de KMW. Les dirigeants des deux entreprises ont trouvé un accord dont ils ont exposé les termes à la commission de la défense – je vous invite à relire le compte rendu de leur audition.
Même les salariés, monsieur Chassaigne, ne sont pas défavorables,…
…même s’ils restent vigilants, et ils ont raison de l’être. Mais ils ont d’ores et déjà reçu de nombreuses assurances, non seulement relativement à la loi, mais également quant à l’avenir de leur entreprise.
L’enjeu est précisément celui de l’avenir de Nexter – de KMW également, mais parlons de Nexter puisque nous sommes en France. Si nous ne sommes pas demain, c’est-à-dire dans cinq ans, avec KMW, la première entreprise européenne et dans le monde en matière d’industries terrestres de la défense, nous disparaîtrons de ce marché, tout simplement. Même les budgets européens ne suffiront pas, l’export assurant environ la moitié du chiffre d’affaires de ces entreprises, voire plus dans les années à venir.
Quant à l’Europe de la défense, ne vous inquiétez pas : l’actualisation de la loi de programmation militaire nous permettra d’en débattre. Je voudrais simplement dire ici que l’Europe de la défense ne se fera pas à coups de grandes déclarations : elle se construit pas à pas. Je n’en donnerai qu’un exemple, mais c’est un des meilleurs : celui de l’accord de Lancaster qui nous lie avec la Grande-Bretagne. Sa mise en oeuvre avance, et elle avance bien. Grâce à lui, les plus grandes entreprises de France et d’Angleterre se sont engagées à construire l’avion de demain. Voilà comment l’Europe avance.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.
Monsieur le ministre, je suis assez surpris que, sur un sujet aussi sensible – je partage à cet égard un certain nombre des remarques qui vous ont été adressées –, vous ayez refusé de répondre à Pierre Lellouche en arguant du fait que vous n’étiez pas en charge des finances. Le ministre de l’industrie a toujours partagé avec le ministre de l’industrie un domaine de compétence, même réduit – ceci dit sous le contrôle de mon collègue Hervé morin, qui a été ministre de la défense –, qu’il s’agisse de la recherche, de l’innovation ou du développement, en matière d’industries de la défense.
En revanche, la stratégie de l’industrie de la défense relève, elle, de la compétence du ministre de la défense. C’est pourquoi je trouve qu’au moment où nous discutons de ces questions, il aurait été bon que M. Le Drian vienne répondre à nos questions.
J’entends ici des propos totalement déconnectés de toute réalité. Je suis désolé, mais l’Europe de la défense n’existe pas. Les intérêts des nations sont forcément divergents.
Nous sommes à un tournant historique, monsieur le ministre : jamais le gouvernement de la République française n’a pris de telles décisions concernant les armées de notre pays, qui sont les descendantes de l’ost royal, car, même si ce qualificatif déplaît à quelques-uns ici, je le dis et je le répète : l’ost royal est le fondement de notre structure étatique, de notre nation et des impôts que nous sommes appelés à voter.
L’Europe de la défense n’existe pas, mes chers collègues. Il y a deux pays en Europe qui paient le prix du sang. L’un d’eux étant exsangue parce que ses armées se sont dissoutes dans les sables d’Irak, le seul pays qui paie aujourd’hui le prix du sang, c’est la République française. Ce sont nos soldats qui paient le prix du sang…
…pendant que nos camarades allemands y échappent totalement. Je vous rappelle qu’en Afghanistan les pilotes allemands ne décollaient que pour prendre des photographies, pendant que les aviateurs britanniques et français prenaient tous les risques pour tuer des Talibans.
Ce sang versé rend d’autant plus inconcevable et scandaleux que notre nation soit incapable de fabriquer un fusil d’assaut. Il est tout aussi scandaleux que nous achetions des munitions chinoises, dont la qualité pour les armes de petit calibre est inférieure aux nôtres.
Il est scandaleux, monsieur le ministre, que les délais de reconfiguration de nos munitions soient passés d’un mois à six à neuf mois. Il est scandaleux que l’ensemble de l’armée de terre puisse tenir dans le Stade de France. Il est scandaleux que notre marine, qui a été conçue pour intervenir simultanément sur deux théâtres d’opérations, soit déployée à cinq endroits en même temps.
Monsieur le ministre, quelle que soit la qualité des blindés allemands, leur supériorité – en matière de visée en particulier, mais aussi de moteurs, car les moteurs MTU équipent aujourd’hui notre marine nationale –, il est scandaleux que vous soyez en train de vendre un bijou de la nation à nos premiers concurrents, lesquels, je le répète, ne paient pas le prix du sang.
Ne vous en déplaise, l’Europe de la défense n’existe pas. Lorsque nos soldats vont au combat, ce sont nos trois couleurs qu’ils ont à l’épaule. On ne se fait pas tuer pour un drapeau européen.
Il est scandaleux d’entendre que les ministres de la République ne sont pas capables de mener une politique industrielle, parce que les armements ne sont pas des produits comme les autres. Dans le monde réel, la Turquie s’est dotée d’une industrie de la défense remarquable…
…et de même Israël, Singapour, l’Indonésie, l’Inde et la Corée du Sud. Et vous, vous maintenez un modèle économique absurde, fondé sur l’hypothèse que vos budgets seraient équilibrés par les exportations, au moment où nos concurrents se multiplient, et des concurrents de qualité, qui sont capables de faire mieux que vous à moindre prix.
Jusqu’où faudra-t-il aller dans l’abandon de la souveraineté nationale, à brader ainsi notre outil de défense ? C’est cela la vraie question : il ne s’agit pas simplement de politique industrielle. Nous ne sommes pas en train de discuter ici de boîtes de conserve, d’agroalimentaire ou autres : nous sommes en train de parler de produits de souveraineté nationale. Nous sommes en train de parler d’ouvriers et d’ingénieurs qui vont partir, parce que, monsieur le ministre, si vous continuez sur cette lancée pour la production de notre futur avion de combat, il est clair que Dassault ira dans trente ans sur le continent américain et que nous perdrons ainsi le dernier avionneur européen, car à part Dassault, il n’y a plus d’avionneur européen.
« Et les Suédois ? » sur les bancs du groupe SRC.
Pensez à nos amis britanniques, qui enragent de n’avoir aucun accès, faute de brevet, aux technologies du F 35.
Alors mes chers collègues, de grâce, écoutez vos collègues quand ils vous rappellent, en dépit de vos quolibets, qu’il existe un pays qui s’appelle la France, qu’il y a des soldats en ce moment qui sont font trouer la peau pour vous…,
Vives exclamations sur les bancs des groupes SRC, écologiste et GDR
pour que vous soyez ici, assis tranquillement, à vendre aux Allemands notre industrie de défense !
« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP. – « Quel mépris ! » sur les bancs du groupe SRC.
Nouvelles exclamations sur les bancs des groupes SRC., écologiste et GDR.
Nous avons poliment écouté M. Dhuicq. Il faut dire que ceux qui siègent à la commission de la défense comme ceux qui ont participé – en fort petit nombre, je le confirme – au débat sur la loi de programmation militaire sont habitués à de telles envolées.
J’appelle ceux de mes collègues, tel M. Laurent, même si je l’apprécie, qui nous resservent le mythe de la grande puissance militaire qui pourrait agir en solo et dont l’industrie de l’armement ne connaîtrait que des succès, – n’est-ce pas cher collègue Chassaigne ? –…
…à faire preuve de lucidité. Il est indéniable que la France a des savoir-faire, mais cela fait de nombreuses années qu’on touche les limites de cette politique solitaire.
Je n’aurai pas ici l’outrecuidance de rappeler les échecs constants du Rafale à l’exportation,…
…au point qu’on envisage de stopper la ligne de production, à moins qu’il n’y ait de nouvelles commandes de l’État.
Cela confirme l’idée que les industries de défense françaises ne pourraient survivre que grâce à une fuite en avant dans les commandes de l’État. Sur ce point, je suis d’accord avec notre collègue Lellouche : ce choix est fait au prix du sacrifice d’un certain nombre de moyens de fonctionnement dont nos armées ont besoin pour les interventions que nous menons. On peut certes être opposé à ces interventions, mais si on soutient, par exemple, l’intervention française au Mali – c’est notre cas –, force est de reconnaître que des armements comme le Rafale ou le Charles-de-Gaulle ne nous sont d’aucune aide dans ce genre d’intervention.
S’agissant de la production qui nous occupe ici, sur les 800 chars Leclerc vendus, 400 l’ont été à la France et 400 ont été vendus sur un seul marché d’exportation, alors que le partenaire allemand a vendu plus de 3 000 de ses chars, essentiellement à l’exportation.
L’Europe de la défense ne doit pas se réduire à des incantations. C’est un acquis progressif, quelque chose qui se construit pas à pas, souvent entre deux pays, parfois trois ou quatre. On l’a vu pour l’Airbus A 400 M : cela n’a pas été simple de s’entendre pour produire un avion de transport européen entre pays qui n’ont pas tous le même cahier des charges.
Nous avons là un projet concret de rapprochement qui sert les intérêts de la France, dans la mesure où justement elle ne sera plus seule et que nous pourrons mutualiser nos moyens au service de projets communs, puisque c’est évidemment l’objectif.
C’est pourquoi, et puisque le ministre nous a répondu quant aux garanties statutaires, nous retirons notre amendement de suppression de l’article.
Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.
L’amendement no 2302 est retiré.
Vous me permettrez de revenir au dossier Nexter stricto sensu pour vous faire part de trois convictions.
Ma première conviction est que, face à la concurrence des États-Unis, de la Russie, du Brésil et de la Chine, nous avons besoin de renforcer Nexter. De ce point de vue, la solution qui nous est proposée me semble vitale pour faire face à cette concurrence mondiale.
Je vous invite à regarder l’état des marchés au Proche- et au Moyen-Orient, ou encore en Afrique. Je rappelle qu’aujourd’hui le niveau des dépenses militaires de ce continent est de 45 milliards de dollars, et qu’elles se sont accrues de plus de 55 % en dix ans.
Pour notre armement terrestre, c’est compliqué.
Face à cette concurrence mondiale, Nexter a besoin d’être renforcé, ce à quoi, me semble-t-il, ce projet contribue.
Deuxièmement, je me suis rendu à Munich avec quelques collègues pour rencontrer les dirigeants de KMW, apprécier la situation et poser en notre nom les questions légitimement soulevées ce soir.
KMW aurait pu choisir d’autres partenaires. S’est-on posé cette question ? KMW aurait pu choisir le Finlandais Patria, l’Italien OTO Melara, l’Espagnol GTD ; il a choisi Nexter. Pourquoi ? Parce que Nexter est une belle entreprise ! C’est la raison pour laquelle nous devons la conforter, et le faire maintenant. Réciproquement, pourquoi Nexter, à ce stade, ne choisit-il ni Patria, ni Oto Melara, ni GTD ? Parce que KMW a des atouts et parce que ses commandes s’élèvent à plus de 4 milliards d’euros.
Lorsque l’on veut une stratégie européenne, lorsque l’on veut consolider des entreprises en Europe, est-il préférable de le faire lorsque ces dernières se portent bien ou lorsqu’elles se portent mal ? En ce qui me concerne, je préfère que cela soit fait quand elles vont bien, parce que cela permet d’avoir des discussions à peu près sereines, comme ce soir.
Troisièmement, pourquoi le texte mentionne-t-il une durée de cinq ans ? Parce que, pendant cinq ans, les deux entreprises ont des carnets de commandes bien remplis, que ce soit sur le marché domestique ou à l’exportation.
Quel est l’enjeu numéro un – et c’est pourquoi je souhaite que nous puissions voter ce soir afin que ce dossier aboutisse en 2015 ? C’est celui de la R et D, qui a été évoquée tout à l’heure et, plus précisément, des nouveaux projets pour les années 2020, 2025 et même 2030. Je cite les dirigeants et les représentants du personnel : nouvelle génération de chars, nouvelles armes au laser, ou encore munitions intelligentes. Or nous savons pertinemment qu’aujourd’hui Nexter ne dispose pas des moyens suffisants en R et D pour financer et développer ces trois créneaux, ce qui est également valable pour KMW.
Je résume mon propos : premièrement, concurrence mondiale ; deuxièmement, pertinence du rapprochement entre deux grands groupes qui se portent plutôt bien aujourd’hui ; troisièmement, capacité des deux groupes à se rapprocher afin de bien financer la R et D et d’attaquer les marchés des années 2020, 2025 et 2030. Voilà trois raisons qui, me semble-t-il, doivent nous inciter à assumer ce choix. Soyons certes vigilants et exigeants, mais décidons maintenant !
Les premières discussions entre Français et Allemands ont commencé – de mémoire – en 2006 et 2007. Sur les bancs de l’opposition, vous étiez déjà quelques-uns – et vous aviez raison – à souhaiter la mise en place de cette stratégie franco-allemande. Le moment est venu de passer des discours aux actes et de voter l’article 47. Vice la France, vive l’Allemagne et vive l’Europe !
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Il est procédé au scrutin.
Si vous me le permettez, madame la présidente, dans le souci d’économiser le temps qui est imparti à mon groupe, je défendrai en même temps l’amendement no 455 .
Ce débat est très intéressant. L’un de nos collègues disait tout à l’heure à juste titre que le fait de débattre sur le fond, au détour d’un texte sur la croissance, de sujets aussi importants que celui-ci, qui n’a rien à voir avec la croissance, relève de l’exploit.
Les propos de Mme la présidente de la commission de la défense ne me rassurent pas du tout : selon elle, ce n’est pas maintenant que nous devrions avoir un débat pareil, mais plus tard… Enfin, puisque l’ordre du jour est ainsi, qu’il en soit de la sorte !
Non, monsieur le ministre, je ne suis pas rassuré – mais cela ne vous surprendra pas, puisque vous avez répété tout à l’heure ce que vous aviez déjà dit en commission spéciale. De mon côté, je ne répéterai pas mes propos liminaires sur l’article.
De mon point de vue – et je ne suis pas seul à le penser –, je considère que vos propos ne sont absolument pas de nature à préserver, à terme, la permanence d’un armurier français sur la scène internationale non plus que notre souveraineté.
Tel est le sens des amendements no 457 et no 455 , dont je viens de défendre l’esprit et que je soumets à vos suffrages.
La parole est à Mme Véronique Louwagie, pour soutenir le sous-amendement no 3215 .
Compte tenu des inquiétudes qui ont été émises et des doutes qui persistent, nous proposons que les modalités de la consolidation européenne de l’industrie d’armement terrestre fassent l’objet d’un rapport préalable du Gouvernement. Tel est le sens de ce sous-amendement.
Avis défavorable à ces deux amendements et au sous-amendement. Nous avons discuté de ces points en commission et je pense que les dispositions proposées sont superflues par rapport au texte.
Même avis. Donner les moyens à l’une des entreprises françaises du secteur de la défense de se développer relève bien de la croissance, de même que, par définition, du domaine de la défense, sujet sur lequel nous venons de débattre.
Je rassure M. le ministre Estrosi, qui n’est pas sans le savoir : la question des participations de l’État relève bien des compétences du ministre de l’économie, et cela concerne bien ce texte.
Par ailleurs, je tiens à préciser que le délai de cinq ans que j’ai évoqué tout à l’heure quant à la conservation du capital par les deux entités – État français et famille allemande – est bien un minimum.
Enfin, s’agissant des amendements dont nous discutons, j’ai également indiqué que les autres options avaient été envisagées dans le passé sans jamais aboutir – d’où notre proposition.
Le sous-amendement, comme nous avons eu l’occasion d’en discuter en commission spéciale, est quant à lui superfétatoire puisqu’il pose une nouvelle condition à l’ouverture du capital qui est d’ores et déjà actée dans la présente loi. Avis défavorable.
L’avenir, monsieur le ministre, ce seront donc les canons Rheinmetall, les moteurs MTU et la disparition du char Leclerc et du VBCI au bénéfice du Boxer.
Vous en restez à ce présupposé extrêmement prétentieux des Occidentaux et des Européens qui, depuis la Renaissance, croient qu’ils conserveront leur avantage technologique. Or c’est faux, monsieur le ministre : les blindés turcs et sud-coréens sont remarquables et, en tout point, au moins égaux aux nôtres sur le plan technologique.
Votre modèle budgétaire de la défense, dont nous savons maintenant qu’il est insuffisant et qu’il sera révisé, ne peut pas tenir. Vous ne pouvez pas équilibrer une politique de souveraineté nationale sur un modèle d’exportation. Lorsque l’on connaît l’état du monde, les problèmes d’accès aux matières premières, les problèmes macro-économiques et ceux du développement de l’Asie en matière d’industrie de la défense, cela ne tient pas la route.
Il faut être totalement aveugle pour livrer pieds et poings liés notre dernier joyau industriel à la puissance économique qui est certes notre partenaire mais, surtout, notre premier concurrent sur le continent européen.
En fait, vous n’aurez plus en Europe que des Panzer V et des E-50 – pour ceux qui connaissent encore un peu leur histoire. C’en sera fini de nos ouvriers et de nos ingénieurs.
À la suite de nos aînés, vous avez largement dégradé la situation s’agissant des armes de petit calibre et de l’artillerie ; vous continuerez à en faire de même pour les blindés. Ce soir, mes chers collègues, c’est la fin de la défense française.
Le sous-amendement no 3215 n’est pas adopté.
La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson, pour soutenir l’amendement no 454 .
Il s’agit de préciser que le transfert du capital de l’entreprise dont nous parlons n’est pas autorisé vers une entreprise qui ferait l’objet d’une procédure pour des faits de corruption.
Nous avons déjà débattu longuement de cette question en commission spéciale, mais nous déposons à nouveau cet amendement en séance parce que nous considérons qu’il faut faire preuve d’un minimum de prudence sur ce genre de marché.
J’ai d’ores et déjà bien entendu la réponse que le Gouvernement et Mme la rapporteure thématique ne manqueront pas de répéter tout à l’heure : l’engagement d’une procédure ne vaut pas preuve de culpabilité. Il n’empêche qu’en la matière, il faut faire attention à l’endroit où l’on met les pieds, comme dit l’autre, et veiller à prendre les précautions qui s’imposent.
Nous avons en effet déjà discuté de cette question en commission. Elle est légitime,…
…mais la mise en oeuvre en serait délicate. On sait bien qu’il ne suffit pas d’évoquer des faits supposés : encore faut-il les vérifier. Se posent également des problèmes de réciprocité, de politique et de confiance entre les États. Pour toutes ces raisons, nous sommes défavorables à cet amendement.
Même avis.
L’amendement no 454 n’est pas adopté.
L’article 47 est adopté.
À nouveau, je regrette l’économie générale de ce projet de loi : nous en venons à discuter d’un sujet de santé publique important entre la privatisation d’un armurier et celle des aéroports.
Symboliquement au moins – d’autres collègues s’exprimeront sur le fond –, cet affichage est un peu baroque. Il est tard, je n’y insiste pas, mais je tenais absolument à rappeler ce point avant de commencer la discussion de cet article.
Je suis saisie de plusieurs amendements identiques, nos 1030 , 2379 , 2564 et 2948 , visant à supprimer l’article 48.
Sur ces amendements, je suis saisie par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à Mme Jacqueline Fraysse, pour soutenir l’amendement no 1030 .
Le Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies, le LFB, a été créé en même temps que l’Agence française du sang et l’Établissement français du sang par la loi du 4 janvier 1993 pour garantir une éthique ainsi que la sécurité sanitaire des dons et de la fabrication des produits issus du sang.
Au regard de ses missions, le contrôle majoritaire du capital du LFB par la puissance publique a toujours été et doit rester un impératif.
Dans le cadre de la commission spéciale, M. le ministre a salué la qualité de ce laboratoire, allant jusqu’à le qualifier de « pépite », ce qui est exact – et nous partageons ce point de vue –, tout en nous expliquant, de façon assez paradoxale, que l’État ne voulait pas investir dans cette pépite et qu’il était donc nécessaire d’ouvrir le capital du LFB au secteur privé pour lui donner les moyens financiers que l’État lui refuse afin de se moderniser et de se développer.
Outre que nous regrettons cette approche – car l’État devrait être fier de financer un laboratoire de cette qualité, reconnue ici et au niveau international –, nous contestons le contenu de cet article qui, en réalité, et contrairement à ce qui est affirmé, vise à remettre en cause son contrôle par l’État.
Deux raisons nous conduisent à cette conviction.
D’abord, le Gouvernement prétend que la modification du code de la santé publique est nécessaire pour permettre à la Banque publique d’investissement, la BPI, d’entrer au capital du LFB, ce qui est faux car la rédaction actuelle du code de la santé publique permet parfaitement l’entrée de la BPI au capital du LFB, à condition qu’elle ne soit pas majoritaire et que l’État garde 51 % du capital.
La BPI pourrait donc, dès aujourd’hui, dans le respect du droit actuellement en vigueur, entrer à hauteur de 49 % au capital de ce laboratoire.
La deuxième raison qui nous conduit à maintenir notre demande de suppression de cet article est que le texte de la commission, tel qu’il résulte de l’adoption de l’amendement du rapporteur en commission élargie, n’empêche absolument pas la perte du contrôle majoritaire par l’État. Au contraire, il ouvre la porte à cette possibilité : il est prévu que l’État puisse détenir des golden shares, c’est-à-dire des actions spécifiques, si le LFB était un jour privatisé.
C’est bien la preuve que votre perspective est la privatisation, même si c’est en complète contradiction – je le déplore, et c’est tout de même un problème – avec la réponse que m’a faite Mme la ministre de la santé le 13 janvier dernier. D’ailleurs, dans un premier temps, rappelons-le, toute référence à un détenteur public du capital du LFB était purement et simplement supprimée.
D’une part, je vous demande de cesser de tenter de nous tromper.
Ayez le courage de dire vos véritables intentions.
D’autre part, cet article touche à quelque chose d’extrêmement important ; c’est un sujet très grave, qui concerne tant l’éthique du don anonyme et gratuit que la santé publique. Vous savez tous les drames qu’il y a eus autour du sang, je n’y reviens pas.
C’est pourquoi nous demandons un scrutin public sur cet amendement de suppression de l’article 48.
La parole est à Mme Marie-Jo Zimmermann, pour soutenir l’amendement no 2379 .
Comme mon collègue Poisson, je suis un petit peu choquée par cet article, un article important, parce qu’il y va tout de même du respect de tous les donneurs de sang.
L’article 71 de la loi de financement de la Sécurité sociale, déjà, était un premier coup. Voici aujourd’hui cet article 48, dont je ne vois pas du tout ce qu’il vient faire dans votre projet de loi, monsieur le ministre.
Je suis vraiment surprise de voir une question éthique abordée dans un projet de loi relatif à la croissance et à l’activité. En quoi, aujourd’hui, ces dispositions qui portent atteinte au respect des donneurs de sang peuvent-elles prendre place dans ce texte ? Ce comportement est un peu limite, dirai-je, à leur égard. De nombreuses associations de donneurs de sang m’ont demandé d’intervenir, qui m’avaient déjà sollicitée lors de l’examen du PLFSS. Cela montre bien que vous n’abordez pas ce sujet avec le respect de l’être humain comme première préoccupation.
Il y a donc urgence à supprimer cet article. On pourrait comprendre, à la rigueur, qu’il trouve sa place dans le projet de loi relatif à la santé, mais absolument pas dans le présent texte. Je vous le dis franchement, monsieur le ministre : je ne comprends pas. Vous ne m’avez déjà pas convaincue pour l’article précédent ; celui-ci, je me demande vraiment comment vous allez pouvoir le justifier. Je vous serais très reconnaissante d’accepter cette suppression et de demander à votre collègue ministre de la santé de s’en occuper. C’est une question fondamentale, qui touche au respect des êtres humains, en l’espèce les donneurs, lesquels ne comprennent absolument pas vers quoi vous vous dirigez.
Dieu sait quelles difficultés d’autres gouvernements ont rencontrées en cette matière !
La parole est à Mme Karine Berger, pour soutenir l’amendement no 2564 .
Nous avons entamé cette discussion en commission spéciale, et les premiers échanges que j’ai eus avec le ministre sur cet article m’ont amenée, depuis lors, à me tourner vers la Banque publique d’investissement pour comprendre la logique de cet article 48. C’est à la suite de cet échange que j’ai choisi, avec Valérie Rabault, de déposer un amendement de suppression.
En matière de participation au capital, deux types d’intervention publique sont possibles : soit une intervention par le biais d’organismes publics, telle la BPI ; soit une participation gérée par l’Agence des participations de l’État, autrement dit une part de capital possédée par l’État. Quel est le critère qui permet de trancher entre, d’une part, une levée de fonds publics par l’intermédiaired’une structure de banque publique, et, de l’autre, l’APE ? Il faut en fait distinguer selon que l’activité concernée relève ou non du pouvoir régalien. Dans ce cas, cela relève de l’APE. Sinon, cela relève d’un organisme de financement comme la BPI.
Est-ce que le plasma et le sang relèvent du pouvoir régalien ? C’est un peu la question que Mme Zimmermann vient de poser. Est-ce que la collecte et le traitement du plasma et du sang – puisque, en l’occurrence, il s’agit d’un laboratoire de traitement du plasma et du sang – sont de la responsabilité du pouvoir régalien dans notre pays ? Ce n’est pas le cas dans beaucoup d’autres. Non seulement le traitement du plasma y a été sorti de la sphère publique mais il y fait même fait, dans certains cas, l’objet d’une forme de privatisation directe.
Je crois qu’en France nous avons toutes les raisons de penser que le traitement du plasma et la collecte du sang doivent rester dans le champ régalien. Il n’y a donc pas de raison pour que, dans deux ou trois ans, le capital de cette partie de l’Établissement français du sang appartienne à 50 % à la BPI et à 30 % à Eurazeo – puisqu’il semblerait que ce fonds d’investissement ait la volonté de monter à ce niveau dans le capital de ce laboratoire, dont vous nous proposez aujourd’hui que l’État abandonne la majorité du capital.
Répétons-le, je ne doute évidemment pas de la volonté du Gouvernement de laisser le laboratoire en question dans la sphère publique, mais je pense que nous ne parlons pas du même type de public. Que les nouvelles technologies, que l’innovation relèvent aussi du financement public, en dehors de la responsabilité directe de l’État, oui, mais il est vraiment nécessaire, c’est une évidence, que la collecte et le traitement du sang doivent, dans notre pays, demeurer dans la sphère régalienne. Malheureusement, l’histoire des trente dernières années nous incite à une extrême prudence, même si, encore une fois, je ne doute absolument pas des bonnes intentions du Gouvernement en la matière.
C’est pourquoi j’ai choisi de vous proposer, à ce stade, un amendement de suppression. Cela permettra peut-être à certains de mes collègues qui n’approuvent pas forcément cet article 48 de voter l’ensemble de la loi.
La parole est à Mme Michèle Bonneton, pour soutenir l’amendement no 2948 .
Tout d’abord, une petite remise en perspective. En France, grâce à la mobilisation de 1,7 million de donneurs, le sang humain joue un rôle important pour traiter plus de 1 million de patients chaque année.
L’organisation de la filière du sang découle en fait de la crise du sang contaminé. Pour nous, elle doit rester publique, et l’ouverture du capital du Laboratoire français de fractionnement et des biotechnologies, précisément au moment où celui-ci est en forte croissance et s’apprête à récolter le fruit d’une activité de recherche publique, pose plusieurs problèmes. Ce laboratoire de pointe s’apprête à développer des activités très rentables. L’État doit-il se désengager maintenant, alors qu’il a financé la recherche en amont et que cela a abouti au développement de médicaments innovants ?
Autre point, l’ouverture du capital à tous les organismes et entreprises publics, comme cela est proposé, ne garantit pas du tout que la structure juridique et financière du LFB reste sous le contrôle de l’État.
Cette ouverture a été justifiée en commission spéciale par le fait que l’État français n’a pas les moyens d’investir les 250 millions d’euros nécessaires à la construction du nouveau site de production. En désespoir de cause, il se rabat donc sur la BPI, ainsi privée d’autant de ressources pour remplir ses missions, notamment le financement de TPE et de PME innovantes.
Pourtant, il y a des solutions, comme cela vient d’être dit. Desserrer un peu l’étau des contraintes budgétaires, cela permettrait d’investir dans l’avenir. C’est pourquoi nous proposons de supprimer cet article.
Je vais essayer de faire un peu de pédagogie, parce que je crois qu’il y a une confusion. Dans tout ce que j’ai entendu, il me semble que l’on confond l’Établissement français du sang et le LFB.
Or ce n’est pas du tout la même chose.
Le LFB est une ETI particulièrement performante du secteur des biotechnologies, de la biopharmacie. Aujourd’hui, cette entreprise qui traite du plasma, que nous avons effectivement qualifiée de « pépite » en commission spéciale, connaît une situation très particulière. Sa capacité à l’exportation est extrêmement importante mais elle se trouve confrontée à un problème de développement. Une nouvelle usine doit donc être construite, et cela nécessite effectivement un investissement d’un montant de 250 millions d’euros. Or cette entreprise manque de moyens de financement. On nous a même expliqué, lors des auditions, qu’elle était obligée, pour répondre à des besoins de trésorerie, de se séparer d’un certain nombre de brevets. Je pense que c’est contraire à l’intérêt national, à l’intérêt de notre industrie, à l’intérêt de notre recherche ; je pense que cela doit s’arrêter.
Qu’est-ce qui est proposé pour régler ce problème de développement ? Tout simplement de faire entrer la Banque publique d’investissement au capital. On a l’impression qu’il s’agit, à vous entendre, d’une société financière, d’un fonds de pension ou de je ne sais quoi d’autre !
Il faut clarifier un deuxième point. Nous avons voté, ici même, en 2012, la création de la BPI. Il s’agit bien entendu d’un organisme public. Ce n’est pas parce que ça s’appelle une banque que c’est n’importe quoi et que ce n’est pas un organisme public ! Il y a un moment, madame la députée, où il faut faire attention à ce que l’on dit !
Exclamations sur les bancs des groupes GDR et UMP.
Si vous voulez bien me permettre de continuer… Je n’ai interrompu personne !
Nouvelles exclamations.
Nous faisons donc entrer la Banque publique d’investissement au capital. Pourquoi donc ? Pour permettre à cette ETI, le LFB, de se développer. Paradoxalement, parce que son capital est majoritairement public, le LFB ne peut bénéficier de l’aide de l’État. C’est un paradoxe, mais c’est ainsi. Il s’agit donc de permettre à la BPI de monter au capital – c’est sa vocation – de façon significative, mais, répétons-le, c’est un opérateur public, et nous avons voté tout à l’heure une disposition qui assimile l’intervention d’organismes publics aux prises de participations de l’État et qui fait masse de tout cela.
Nous restons donc dans un cadre public ; à ce stade, il n’y a pas de privatisation.
Nous avons fait référence, tout à l’heure, aux travaux de la commission spéciale. Nous avons longuement débattu cette question, et – cela a été dit – proposé des amendements pour renforcer les garanties. Premièrement, la commission spéciale a voté un amendement qui contrait à une détention publique majoritaire.
Si, madame la députée !
Deuxièmement, nous avons adopté en commission des dispositions relatives à l’action spécifique. Nous l’avons fait, non parce que l’ouverture du capital est envisagée, mais précisément pour disposer, à l’avenir, d’une garantie. La loi que nous écrivons aujourd’hui pourra, en effet, être modifiée par le Parlement, quand il le souhaitera – dans cinq, dix ou vingt ans.
Le Gouvernement a pris des engagements, que M. le ministre va certainement répéter. Il sera possible d’ouvrir le capital, à condition, je le répète, que le Parlement en décide ainsi par un nouveau vote. Nous avons voulu que le Parlement qui sera confronté à cette question soit obligé de se poser la question de l’action spécifique, cet instrument qui renforce les moyens d’action de l’État. Certes, cette disposition n’a pas de portée juridique immédiate, comme l’a fait remarquer le Gouvernement – qui n’y était pas très favorable. Mais si nous avons décidé de la faire figurer dans la loi, c’est pour que le législateur futur, dans cinq, dix, vingt ou trente ans, examine cette possibilité de garder la main sur cette entreprise.
De la même façon, je vous proposerai tout à l’heure un nouvel amendement visant à réaffirmer que toute privatisation ou toute augmentation de la part du capital privé dans cette entreprise nécessitera un vote du Parlement.
Que pouvons-nous faire de plus ? Quelles garanties supplémentaires pouvons-nous apporter ? Je ne vois pas lesquelles, puisque nous réaffirmons que le Parlement décidera souverainement ! Nous sommes donc défavorables à ces amendements de suppression.
La parole est à M. Richard Ferrand, rapporteur général de la commission spéciale.
J’ai entendu mettre en cause l’éthique de certains, et dire que nous bafouons l’honneur des braves gens qui donnent leur sang.
Ce n’est pas ce que nous avons dit ! Nous n’utilisons pas des mots comme ceux-là !
Cela nous mettrait en colère, car on sent bien que, sur de très nombreux bancs, des députés veulent faire peur, et ranimer des angoisses liées à une affaire récente et extraordinairement douloureuse – l’affaire du sang contaminé –, et ce en mélangeant tout avec tout, pour raconter n’importe quoi !
Exclamations sur les bancs du groupe UMP.
Mes chers collègues, manifestement personne – du moins, pas celles et ceux qui se sont exprimés il y a quelques instants – n’a pris la peine de lire le rapport. Je ne vous en infligerai pas la lecture intégrale : ce serait un peu longuet. Je vous rappellerai tout de même quelques éléments essentiels, qui figurent aux pages 320 et suivantes.
Tout d’abord, en 1994, à la suite « de l’affaire du sang contaminé, le législateur a souhaité séparer complètement la collecte des dons du sang, monopole confié à l’Établissement français du sang […], et la fabrication de produits thérapeutiques à partir du sang, confiée au LFB », dont nous discutons actuellement.
« Dans un premier temps, le LFB a été organisé sous la forme d’un groupement d’intérêt public. » C’est le 17 janvier 2002, par la loi de modernisation sociale, qu’il a pris le « statut d’établissement public à caractère industriel et commercial, plutôt que celui de société anonyme proposé initialement par le Gouvernement ». Par la suite, la loi du 9 décembre 2004 a autorisé le Gouvernement à prendre par ordonnance « toutes mesures pour […] transformer le LFB en société anonyme à capitaux détenus majoritairement par l’État ou ses établissements publics ». Voilà le cheminement statutaire voulu par le Parlement, au cours de différentes législatures.
De quoi s’agit-il aujourd’hui ? Pour reprendre l’expression utilisée par M. le ministre, le LFB est une « pépite » confrontée à une concurrence internationale accrue, mais qui dispose d’un véritable savoir-faire en matière de biotechnologies. Il s’agit donc – conformément à l’intitulé de ce projet de loi, pour l’activité et la croissance – de donner à ce laboratoire, à cette entreprise de biotechnologie qui est une fierté nationale, les moyens nécessaires pour se développer. Elle pourrait ainsi faire progresser son savoir-faire, améliorer l’emploi, et augmenter le rayonnement international du travail de nos chercheurs.
Sur ce sujet, il faut régler une urgence, tout en conservant une obsession. Je crois nous serons tous d’accord sur ces deux points. L’urgence, d’abord, c’est de soutenir le plus rapidement possible les projets de cet établissement, afin que ses recherches puissent aboutir et rayonner, conformément à son objet social. Notre obsession, ensuite, c’est celle de l’éthique et de la sécurité. Nous ne sommes pas des amnésiques !
Je ne reprocherai à personne, sur aucun banc de cet hémicycle, de jouer de manière désinvolte avec la santé de nos concitoyens : nous sommes trop conscients de ce que fut le drame du sang contaminé. C’est pourquoi évoquer ce drame, ici et maintenant, alors qu’il s’agit précisément de donner à une structure de biotechnologies les moyens économiques nécessaires à son développement, relève soit de la paresse intellectuelle – parce que personne n’a pris le temps de lire le rapport – soit de la mauvaise foi !
Exclamations sur les bancs du groupe UMP.
Quelle que soit l’hypothèse, il est proprement scandaleux d’agiter les peurs à ce sujet ; je tenais à vous le dire. C’est pourquoi nous défendons cet article, qui vise à permettre à ce laboratoire de se doter de moyens suffisants.
Je répondrai sur quelques-uns des points qui ont évoqués. Pour commencer, Mme Zimmermann a eu raison de dire que, si cet article touchait aux droits de la personne humaine, ou à l’éthique, alors il n’aurait rien à faire dans ce projet de loi. Il suffit de lire cet article 48, dont nous avons beaucoup débattu. Il consiste à ajouter, après le mot : « État », à l’article L. 521-14 du code de la santé publique, les mots : « par ses établissements publics ou par d’autres entreprises ou organismes appartenant au secteur public. » C’est de cela que nous débattons.
Une fois cela rappelé, j’ajouterai quelques éléments à ceux qui ont été donnés par Mme la rapporteure thématique et M. le rapporteur général. Tout d’abord, à aucun moment il n’est question de l’Établissement français du sang. Ce dont nous parlons n’a rien à voir avec l’EFS ; il s’agit en effet d’une entreprise, le LFB, qui s’occupe du fractionnement du plasma, et isole les protéines pour en faire des médicaments. Je précise, au passage, que le code de la santé publique confie au LFB l’exclusivité du traitement du plasma : nous n’y changeons rien. Ces médicaments sont par la suite commercialisés, avec des critères de garantie.
Le LFB est une vraie réussite, dont le mérite revient aux scientifiques qui le composent. Il a réussi à développer des filiales, aux États-Unis et en France. Il a véritablement développé cette activité, et souhaite à présent ouvrir une usine près de Nantes, avec un investissement massif et en créant des emplois.
Il est tout à fait vrai que, si nous avions décidé d’investir par le biais de l’Agence des participations de l’État, ou même de la Caisse des dépôts et consignations, nous n’aurions pas eu besoin de cet article. Mais alors pourquoi l’avons-nous inclus dans le projet de loi ? Parce que la rédaction actuelle de l’article L. 5124-14 du code de la santé publique ne recouvre pas la Banque publique d’investissement ; celle-ci a en effet été créée à une date ultérieure à la rédaction de cet article, et n’est pas comprise dans les « organismes appartenant au secteur public ».
Pour en revenir, à présent, aux propos tenus par Mme Berger, la distinction entre l’APE et la BPI ne sépare en rien ce qui lié au domaine régalien de ce qui ne l’est pas.
Non ! Orange, STX ou encore Eutelsat sont typiquement des entreprises liées au domaine régalien – c’est particulièrement net pour Eutelsat. Il n’y a rien, dans le portefeuille de l’APE, qui soit comparable au LFB.
On peut en discuter. À mon avis, cette entreprise a longtemps été liée au domaine régalien. Eutelsat, comme je le disais, y est liée, de même que STX ; pourtant, c’est la BPI qui est présente au capital de ces entreprises. Il y a donc un principe de substitution entre les deux portefeuilles. La question s’est posée au moment de l’affaire PSA. Les deux portefeuilles sont ainsi utilisés de manière équivalente ; il est donc faux de dire qu’ils sont séparés par une frontière étanche. L’APE ne s’occupe pas que du régalien : elle détient beaucoup de participations au capital d’entreprises non régaliennes, comme, là aussi, Orange – pour reprendre cet exemple, monsieur Paul. Ce que nous avons fait avec PSA, en jouant sur les deux portefeuilles, montre que la séparation stricte dont vous parlez n’a pas de sens. Qui plus est, la BPI investit dans des entreprises liées au domaine régalien au sens où vous l’entendez.
Je le répète : rien dans le portefeuille de l’APE n’est comparable au LFB. La prise de participation au capital du LFB représente d’ailleurs un tout petit montant, rapporté au portefeuille de l’APE.
Au total, rien ne justifie le distinguo que vous faites. Honnêtement, ce n’est pas une distinction pertinente. Avec cet article, nous voulons que le développement de cette entreprise puisse être accompagné. Plus précisément, nous voulons que la sphère publique – à la fois l’État-actionnaire, à travers l’APE, et la BPI – puisse investir pour accompagner le développement du LFB.
L’exposé des motifs du projet de loi, qui vous a été transmis avant même le début des travaux de la commission spéciale, précise : « L’article 48 permet des reclassements au sein du secteur public, des titres du LFB ou de ses filiales. Il n’autorise pas le transfert au secteur privé de la société. » Je ne vois pas comment on pourrait être plus explicite !
De plus, comme j’ai eu l’occasion de vous le dire, en adoptant un amendement modifiant l’article 22 de l’ordonnance du 20 août 2014, vous avez encadré les possibilités du Gouvernement en la matière.
C’est pourquoi je trouve, madame Fraysse, que vous avez été un peu excessive en estimant que nous avons des intentions cachées. Si nous en avions eu, nous n’aurions pas présenté de mesures au législateur : nous aurions agi subrepticement, par la Caisse des dépôts et consignations. Non, nous n’avons pas d’intention cachée, et l’ordonnance du 20 août 2014 – dont vous avez voté la ratification – le garantit : il n’y a pas d’ouverture possible vers le privé par ce moyen. J’ai même accepté, en commission spéciale, que l’on répète, dans ce texte, par amendement, les garanties qui ont déjà un niveau législatif. C’est vous dire à quel point nous n’avons pas d’intention cachée !
Pour conclure, je comprends que ce débat soit passionnel. Il touche à un épisode très douloureux de l’histoire de la santé publique en France. Mais il ne s’agit en rien, ici, du sort du plasma français ; il s’agit d’une entreprise, le LFB, qui a besoin de l’accompagnement de son actionnaire public pour se développer. Je le répète, nous voulons qu’il reste à 100 % public.
Oui, cet article a bien sa place dans un projet de loi sur la croissance, car il permettra à cette entreprise d’investir sur le territoire français, pour l’emploi et la croissance, tout en garantissant son maintien à 100 % dans le périmètre public. Simplement, la rédaction du code de la santé, parce qu’elle était devenue un peu surannée, ne permettait pas de le faire ; elle n’autorisait pas le passage de l’APE à la BPI. Cet article vise à autoriser cela, ni plus, ni moins.
Je regrette que le débat se soit déroulé sur le plan des principes, et ait pris un tour presque philosophique. Le Gouvernement n’avait pas l’intention de se placer sur ce plan. Il s’agit simplement de pouvoir aider les entreprises de la sphère publique – même petites – à se développer. L’APE et la BPI servent à cela. La BPI détient d’ailleurs un portefeuille dans le secteur des biotechnologies ; la participation qu’elle prendra au capital du LFB pour l’aider à investir, en particulier près de Nantes, sera tout à fait cohérente dans ce portefeuille.
Le Gouvernement préconise donc le retrait de ces amendements de suppression. À défaut, il émettrait un avis défavorable.
Il s’agit là d’un sujet extrêmement important : il faut lever les peurs, même si le drame du sang contaminé – comme je l’ai déjà dit ici même – a laissé dans toutes les mémoires des traces indélébiles. Et pour cause : l’ensemble du système de transfusion sanguine autrefois mis en place s’est soldé par un échec patent, comme l’ont plusieurs fois prouvé les rapports des inspecteurs généraux de la santé.
Un autre point me trouble. J’ai assisté, comme Mme la rapporteure, à l’audition de la BPI pour savoir dans quel champ il était possible d’intervenir : il en ressort d’emblée qu’il s’agit bel et bien d’une pépite industrielle dont le problème de financement ne dépasse pas 250 à 300 millions – car c’est pour un tel montant que nous sommes ici ce soir, sur un sujet qui, s’il avait été si urgent, aurait pu être traité il y a quelques semaines dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Je connais un peu ce secteur : ne me dites pas que la question de la capacité de la France en matière de produits dérivés du sang, de nanotechnologies, de biotechnologies et de brevets dans ce domaine – une capacité bien réelle, je tiens à le dire – était inconnue il y a six mois. Nous la connaissions alors comme nous la connaissions aujourd’hui.
Nous connaissons bien la liste de tous les chercheurs qui, mis dehors, partent aux États-Unis – je pense au professeur Montagnier. Sur ce point, la France a été brillante depuis de longues années !
Enfin, madame la rapporteure thématique, notre dernier motif de trouble porte sur le point suivant : en prévoyant par votre amendement no 1790 que tout « transfert au secteur privé de la majorité du capital de la société "Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies" doit être autorisé par la loi », vous instillez le doute dans les esprits.
Je vous le dis avec calme : si vous écrivez cela, c’est que vous avez besoin non seulement de vous rassurer, mais aussi de sécuriser le dispositif.
Si : les amendements en discussion sont tout aussi clairs que la rédaction de l’article qui les a suscités.
Je vous propose donc une solution beaucoup plus simple, monsieur le ministre : permettez à la BPI d’entrer directement dans le capital des entreprises publiques en modifiant sa capacité d’intervention – et voilà l’affaire réglée ! La BPI entrerait à hauteur de 250 à 300 millions d’euros de capital, pour peu que l’on change ses habilitations. Si vous l’aviez fait lors de la fusion de CDC dans la nouvelle BPI, le problème serait réglé : vous pourriez ainsi réserver 300 millions d’euros pour soutenir cette entreprise, ce qu’il faut faire. Je soutiens en effet votre idée consistant à développer le Laboratoire français du fractionnement, car il se positionne sur le marché européen et sur le marché mondial.
Il fallait donc prendre le problème à l’envers : lever les peurs ressenties sur tous ces bancs, renoncer à l’idée de privatisation rampante – que vous avouez de facto, puisque vous envisagez la possibilité d’une privatisation vis-à-vis du Parlement. La solution que je vous soumets vous aurait permis de vous en sortir.
Je regrette donc qu’un tel amendement doive être débattu aussi tardivement dans l’hémicycle car, depuis la commission spéciale, nous aurions pu avancer davantage, notamment pour ce qui concerne les habilitations de la BPI.
Après avoir écouté attentivement les défenseurs des amendements ainsi que les rapporteurs et le ministre, je voudrais vous faire part de trois motifs d’interrogation, voire de trouble.
Tout d’abord, les activités qui relèvent du monde de la santé englobent des secteurs sensibles – d’autres ont dit « régaliens » – dans lesquels la marchandisation ne doit pas être la règle et qui appellent des traitements assortis d’un certain nombre de précautions. Je n’en dis pas plus, mais il existe certaines entités sur le capital et la gouvernance desquelles on peut légitimement s’interroger.
Ensuite, comme cela vient d’être dit, je suis très étonné, s’il ne s’agit vraiment que de cela, que l’on ne dispose pas d’une autre possibilité pour doter un établissement de cette nature en capital afin de favoriser son développement que d’ouvrir son capital selon les termes de l’article 48, et que l’État ne dispose pas d’autre méthode à sa portée, quitte à modifier le mode d’action de la BPI.
Il y aurait bien des choses à dire sur la BPI, en particulier sur la façon dont elle intervient, ou pas, selon les situations. Une telle disposition aurait pu faire partie d’une loi sur la croissance et l’activité ; le moment était peut-être même venu, puisque nous avons deux ans de recul. Il y aurait eu d’autres sujets d’intervention, mais celui-là aurait pu en faire partie.
Enfin, monsieur le ministre, je crains – sur ce projet de loi comme sur d’autres – que nous n’ouvrions une brèche.
Ce soir, personne ne dit, certes, qu’il s’agit de privatiser le Laboratoire, mais nous abaissons les digues et ouvrons la brèche, et tôt ou tard, d’autres – qu’ils soient ou non de la même majorité et dans les mêmes circonstances – pourront revenir devant le Parlement. Bon nombre de vos arguments d’aujourd’hui seront alors exhumés pour justifier d’aller plus loin.
Je mets donc en garde concernant la brèche ainsi ouverte par le texte, car il s’agit d’un secteur très sensible.
Je tiens tout d’abord à indiquer à M. le rapporteur général avec courtoisie – mais tout de même – que nous ne mélangeons pas tout avec n’importe quoi et que nous n’avons pas peur de tout !
Oui, j’ai dit – et je le répète – que le Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies avait été créé par la loi de janvier 1993 en même temps que l’Agence française du sang et l’Établissement français du sang. Il s’agit de trois entités différentes créées par une loi unique. Je n’ai rien dit d’autre – et je n’ai rien mélangé.
Ensuite, nous tenons à la préservation de notre éthique – que ne partagent pas tous les pays – consistant à prévoir le don anonyme et gratuit, autrement dit la non-commercialisation en France des produits du corps humain.
De même, nous tenons à ce que soit maintenue une vigilance particulière en matière de sécurité sanitaire.
Voilà ce que j’ai dit, et je le répète.
Vous nous expliquez que le Laboratoire français de fractionnement et des biotechnologies a besoin de moyens financiers – je n’épiloguerai pas sur tout ce qui a déjà été dit. Pour ce faire, vous souhaitez faire entrer la BPI dans le capital du LFB. Soit, mais alors faites-la entrer en précisant que l’État demeure majoritaire. Je prétends qu’en l’état actuel des choses, la BPI peut parfaitement entrer au capital du LFB, à condition que l’État demeure majoritaire.
Je ne vois donc pas pourquoi vous voulez modifier le texte actuel. C’est pourquoi je maintiens qu’il y a lieu de supprimer cet article.
Je rappelle qu’il se fait chaque jour 10 000 dons de sang pour sauver des patients, et qu’il y a 1,7 million de donneurs. Je m’étonne d’entendre dire que le don du sang n’a rien à voir avec le LFB, car cet établissement n’existerait pas sans dons de sang.
Le don de sang est un acte de fraternité – l’une des valeurs de notre République. Je ne vois donc pas pourquoi l’État ne pourrait pas consacrer 200 millions d’euros – soit une poignée de cacahuètes – dans cet établissement au nom des valeurs de notre République – liberté, égalité, fraternité. En tant que donneur de sang, je veux m’assurer qu’il s’agisse d’une entreprise entièrement publique. C’est une question d’éthique et de principe !
Évitons tout malentendu entre nous sur le statut de la BPI : elle est certes une banque, mais elle est publique, et ses deux actionnaires sont l’État et la Caisse des dépôts et consignations. Il ne s’agit donc pas de quelque chose d’affreux !
Ensuite, monsieur Vigier, cette disposition ne relève pas d’un projet de loi de financement de la Sécurité sociale, car elle n’a pas à voir avec l’équilibre financier des régimes. Certes, la matière sous-jacente concerne la santé publique, mais la participation est bien celle de l’État, ce qui justifie de l’aborder dans le présent texte – comme d’autres sujets.
Il n’est pas interdit à la BPI d’investir dans une telle participation. Je rappelle néanmoins l’article L. 5124-14 stipule que le LFB est détenu « en majorité par l’État ou par ses établissements publics ». Or, juridiquement, la BPI n’est pas un établissement public. Vous pourriez arguer du fait qu’il aurait fallu, lors de sa création, viser tous les textes en vigueur et en faire un établissement public, mais nous en avons fait un organisme public. Voilà ce que nous voulons corriger ! C’est parce que la BPI est un organisme public – et non un établissement public – que nous avons ce débat.
Monsieur Paul, il s’agit en effet d’un secteur sensible – comme il en existe d’autres, aussi bien dans le portefeuille de l’APE que dans celui de la BPI. Le risque de marchandisation, néanmoins, n’est pas moins fort aujourd’hui que demain. Vous avez employé ce terme de « marchandisation » en demeurant ambigu, et cela m’a troublé. Je vous réponds donc ainsi qu’à Mme Fraysse : le présent texte n’a strictement aucune incidence ni en matière de commercialisation ni en matière de sécurité sanitaire. Au contraire : nous prenons la précaution de modifier la dernière phrase de l’article du code de la santé publique que je viens de citer. Nous ne modifions rien d’autre ! Il ne faut donc surtout pas susciter le moindre doute sur ce sujet.
La BPI ne se caractérise par aucun critère de marchandisation dont l’APE serait dépourvue. L’APE est actionnaire de Renault qui, jusqu’à preuve du contraire, vend des voitures. Les participations de l’APE comportent donc bien une dimension marchande – ce n’est pas le bon critère. De ce point de vue, aucune disposition du code de la santé publique n’est modifiée.
Ensuite, monsieur Paul, vous prétendez que j’abaisse des digues. Quelles digues ? S’agit-il de la possibilité de privatiser plus tard le LFB par une loi ? Cette possibilité existe d’ores et déjà comme elle existe pour toutes les participations de l’État, qu’il s’agisse de l’APE ou de la BPI. En effet, la loi permet toujours de privatiser – sauf si l’on décide de l’interdire dans la Constitution.
Je n’enlève donc pas un millimètre à cette digue – pas un millimètre, monsieur le député. De surcroît, par ce que vous avez voté et par l’ordonnance du 20 août 2014, vous avez même abaissé les seuils à partir desquels l’exécutif est obligé de soumettre les privatisations au Parlement. En tout état de cause, toute participation ou part de participation transférée de l’APE à la BPI demeure dans le giron public. Pour privatiser, il faut passer par la loi, et ce sera le cas demain comme ce l’est aujourd’hui. Autrement dit, nous n’abaissons aucunement la digue existante.
Enfin, madame Guittet, vous avez tout à fait raison : le LFB n’effectue aucun prélèvement de plasma, mais il l’utilise dans le cadre défini par le code de la santé publique que j’évoquais tout à l’heure pour en isoler les protéines. Or, ce cadre est inchangé, et le LFB continuera à opérer dans le secteur public – demain comme aujourd’hui.
Exactement – nous sommes donc d’accord. Tout ce que nous changeons, c’est que nous accordons la possibilité à la BPI d’investir en la matière, puisque la rédaction du code est antérieure à la création de la BPI.
Je mets aux voix les amendements de suppression nos 1030, 2379, 2564 et 2948.
Il est procédé au scrutin.
Monsieur le ministre, on le sait depuis le début, ce sujet soulève une vive émotion. On ne peut s’en étonner, étant donné son histoire, sa nature et son caractère extrêmement sensible. Il est d’ailleurs assez naturel que les uns et les autres relaient cette émotion, et que nous soyons particulièrement vigilants à préserver le Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies de toute privatisation, en d’autres termes à en assurer le contrôle public – vous venez de vous exprimer largement sur le sujet.
Mais je ne crois qu’on puisse dire qu’il y ait une indépendance totale entre l’Établissement français du sang et le LFB dans la mesure où ce dernier – vous l’avez vous-même rappelé – dispose de l’exclusivité du fractionnement et de la transformation du plasma. Ces deux structures sont donc, de fait, intimement liées. La référence à l’éthique du don est sous-jacente ; c’est elle qui a suscité ces réflexions.
Le Gouvernement a expliqué que l’objectif de cet article était le reclassement, au sein du secteur public, des titres du LFB ou de ses filiales, et ce par l’entrée de la Banque publique d’investissement au capital du laboratoire. La formulation de cet article a donc évolué au cours des débats : elle n’était pas, au début, aussi explicite. Si les intentions du Gouvernement allaient pour lui de soi, il a en tout cas modifié les dispositions en question en affichant son soutien à cette transformation en faveur du portage par la BPI. Quoi qu’il en soit, cette démarche a créé, de fait, un certain trouble. Je pense qu’il est utile, monsieur le ministre, que vous continuiez à le dissiper. S’il y a eu besoin d’expliciter l’arrivée dans le capital du LFB de la BPI, c’est en raison de ce trouble.
Vous suggérez donc que la BPI prenne sa place au sein dudit capital, mais je propose, avec cet amendement, de le dire de façon beaucoup plus explicite, de sorte qu’il n’y ait aucune ambiguïté dans cette affaire.
Je pense qu’il est absolument indispensable de figer dans la loi le fait que le secteur public soit majoritaire dans la participation au sein de l’organisme. En revanche, inscrire dans la loi la participation de la BPI n’est pas possible, parce que cela reviendrait à en figer le principe, ce qui ne correspond pas à ce que nous souhaitons.
Nous souhaitons figer dans la loi tant la participation publique que l’appartenance au secteur public, mais pas, en tant que telle, la participation de la BPI. Cela n’est en effet pas du niveau de la loi. L’avis de la commission est donc défavorable.
Même avis.
L’amendement no 1251 n’est pas adopté.
La parole est à Mme Clotilde Valter, rapporteure thématique, pour soutenir l’amendement no 1789 .
L’amendement no 1789 , accepté par le Gouvernement, est adopté.
La parole est à M. Richard Ferrand, rapporteur général, pour soutenir l’amendement no 1790 .
Afin, précisément, d’apaiser toutes les passions déjà manifestes lors de la commission spéciale,…
…on avait proposé l’idée qu’un amendement vienne, en séance, préciser un certain nombre d’éléments. Comme l’a souligné à juste titre le président Vigier, la seule évocation de l’hypothèse d’une privatisation est, en tant que telle, anxiogène. Il faut bien, cependant, que nous essayions de nommer les choses, ne serait-ce que pour dire qu’on ne veut pas les faire, puisque, quand on ne le dit pas, nous sommes soupçonnés de vouloir les faire.
C’est pourquoi l’amendement qui est proposé ici a pour objectif de renforcer le pouvoir du Parlement, en précisant qu’une habilitation législative serait nécessaire pour toute privatisation du LFB – nous venons de voir que cela aurait été de toute façon nécessaire –, même dans l’hypothèse, qui n’est pas envisagée pour l’instant par le Gouvernement où la BPI ou un autre acquéreur public serait, en lieu et place de l’État, devenu l’actionnaire majoritaire du LFB. En clair, il s’agit de dire ici que le Parlement serait, en toutes circonstances, compétent pour la suppression du seuil légal de détention du LFB ou pour autoriser sa privatisation. Cela nous paraissait aller sans dire, mais, compte tenu du souhait exprimé lors des travaux en commission spéciale, nous avons estimé que cela irait encore mieux en le disant. Tel est l’objet de cet amendement.
Il est favorable.
L’amendement du rapporteur général me permet de poser la question que j’ai envisagé de poser tout à l’heure, mais qui, en fait, s’avère bien plus opportune à ce moment. L’amendement nous propose de prévoir que ce sera à la loi de décider si, un jour, plus de 50 % des parts du capital du LFB basculent dans le secteur privé. Cela signifie, très clairement, et je voulais que cela soit dit ce soir, dans l’hémicycle, que, en l’état actuel du texte, jusqu’à 49 % des parts de ce même capital peuvent relever du secteur privé.
D’ailleurs, encore une fois, on sait que le montage envisagé dans les mois qui viennent consiste en une montée au capital, à hauteur au minimum de 30 %, d’un fonds d’investissement.
Nous sommes en présence d’un laboratoire qui travaille et traite scientifiquement le sang des Français – entre autres – qui le donnent de façon bénévole. Ce laboratoire va accueillir, dans quelques semaines, des actionnaires privés.
Ma question est donc simple : ces actionnaires privés vont-ils, du fait de leur montée au capital, recevoir des dividendes de la part de cet établissement,…
…alors même que ce qui est traité, aujourd’hui, par cet établissement est du plasma donné de manière bénévole – au moins pour celui qui vient de France, même si je crois comprendre que du plasma provenant de l’étranger sera également utilisé dans ce laboratoire ? L’amendement du rapporteur général me donne l’occasion de poser cette question très claire.
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
J’hésite beaucoup à intervenir parce que j’ai vraiment très peur du rapporteur général, qui va sans doute trouver mes propos grotesques.
Sourires.
En effet, quand nous posons des questions, il nous trouve grotesques.
Je pose donc cette question à M. le ministre et à M. le rapporteur général, sans esprit de polémique. L’amendement no 1790 renvoie à l’ordonnance du 20 août 2014 relative à la gouvernance et aux opérations sur le capital des sociétés à participation publique. Or, quand on se reporte à cette ordonnance, notamment à son article 22, qui porte sur les modalités de cession de capital, ne sont énumérées que des situations dans lesquelles l’État est cessionnaire. Or, si le cessionnaire est la BPI, qu’elle soit d’ailleurs actionnaire majoritaire ou minoritaire, elle n’est, semble-t-il – selon l’interprétation que je fais de cette ordonnance –, pas concernée par sa rédaction.
En définitive, on nous renverrait vers une ordonnance qui ne concerne pas la BPI.
Monsieur le rapporteur général, je ne crains pas votre courroux, puisque vous êtes d’ordinaire un homme agréable. Je ne reviendrai pas, d’ailleurs, sur l’amendement lui-même, puisque vous avez dit vous-même qu’il était, d’une certaine façon, déjà satisfait. Mais je voudrais vous interroger et, par contrecoup, interroger le ministre. L’une de nos collègues vient de faire état de l’arrivée possible et prochaine d’un investisseur privé, un fonds de pension, au capital de ce laboratoire. Or vous nous avez dit, il y a quelques instants, que cette opération avait pour objectif exclusif l’entrée de la BPI et que, pour des raisons juridiques, il n’était pas possible de procéder autrement.
Je souhaiterais donc, monsieur le rapporteur général, que vous puissiez, de façon claire, dans le prolongement des propos que vous avez tenus il y a quelques instants, démentir l’arrivée prochaine, dans les prochains mois ou les prochaines années, d’un fonds d’investissement dans le capital de cet établissement.
Comme me le suggère le chef de file de mon groupe, je vais faire compact, parce qu’il nous reste peu de temps. Mais, tout de même, quel est le point commun entre la fusion de deux entreprises qui fabriquent des chars de combat, la vente d’aéroports, l’ouverture de sociétés dites de projet pour acheter des armes pour le compte de l’État…
Sourires.
…et l’ouverture du capital d’une société qui fabrique du sang ? C’est de faire rentrer de l’argent et d’ouvrir le marché. S’agissant des tanks et des aéroports, après tout, ces opérations se conçoivent, même si nous pouvons avoir des différences philosophiques. Mais, s’agissant du sang – Mme Guittet et Mme Fraysse l’ont dit –, on touche à quelque chose d’essentiel, qui fait partie de la tradition française : la non-marchandisation du corps.
On touche aussi à une histoire politique extrêmement rude. Je ne veux pas être méchant, ni rappeler le nom de ceux qui ont été mêlés à l’affaire du sang contaminé et qui la traîneront toute leur vie.
Vous êtes en train de tenter, monsieur le ministre – et on voit bien la tension interne à la gauche – une manoeuvre qui tient de l’enfumage,…
…car on voit bien qu’au bout du chemin, on va essayer de transformer cette affaire du sang en un business, un business technologique pour la France. Cette ambition n’a d’ailleurs rien de honteux : nous comptons de très bons scientifiques, qui souvent d’ailleurs partent aux États-Unis car ils ne peuvent plus faire carrière en France. Autant développer ce secteur – mais dites-le !
Monsieur Macron, vous êtes, je l’ai dit tout à l’heure, un homme de vérité. Dites-le, plutôt que de tourner en rond et de voir, comme c’est arrivé tout à l’heure, la rapporteure thématique s’énerver. Quand on fait rentrer la BPI au capital d’un organisme – je vous rappelle d’ailleurs que c’est l’un de nos gouvernements qui a créé en partie cet instrument –,…
…on ne fait rien d’autre que de la politique industrielle.
Vous êtes en train de créer une industrie du sang, et c’est très bien, mais vous vous trouvez en contradiction absolue avec l’un des principes fondamentaux de notre République : la non-marchandisation du corps. Il va donc falloir que vous choisissiez ; c’est ce que vous demandent vos députés – Mme Berger et Mme Fraysse, ainsi que d’autres.
Je n’ai, pour ma part, pas entendu de réponse convaincante à ces questions. Je serais intéressé de les connaître, non pas parce que je me trouve en désaccord avec votre méthode, mais parce que je ne la trouve ni très transparente ni très honnête. Voilà ce que je pense de votre article 48 !
Je regrette si je n’ai pas été transparent. Il me semblait pourtant avoir été, depuis le début de cette discussion, le plus explicite possible.
Non, je ne pense pas tourner en rond. Nous avançons.
Partons de la situation actuelle : aujourd’hui, il s’agit d’une participation dans laquelle, jusqu’à 49 %, n’importe quel partenaire privé peut entrer. Telle est la situation du LFB aujourd’hui. Sommes-nous d’accord sur ce point ? Ce projet de loi ne vient pas modifier cette réalité : à tout moment, aujourd’hui – oublions l’article dont nous discutons –, des actionnaires privés peuvent entrer au capital du LFB.
C’est même votre majorité qui, en 2005, a transformé le LFB en société. Nous ne contrevenons donc pas au code de la santé publique en indiquant que des partenaires privés peuvent entrer au capital du LFB. C’est le monde dans lequel nous vivons ; vous n’êtes pas en train de le changer. Ce qui va changer, c’est que c’est aujourd’hui dans la main de l’APE et que cela va passer dans celle de la BPI.
Je veux bien prendre tous les engagements que vous voulez, mais cela n’a pas de sens puisque c’est le principe même d’un actif détenu par l’État de manière majoritaire qui est protégé par la loi.
Pour aller au bout de la discussion que vous avez lancée en commission spéciale, madame Berger, il ne peut à aucun moment y avoir de transfert vers le privé par la voie d’une titrisation ou d’une manipulation financière par la BPI, et je crois que le directeur général de la BPI vous a apporté les mêmes garanties. Je le dis solennellement, il n’y aura par ce truchement aucune privatisation rampante du LFB. Cela ne sera pas plus facile demain qu’aujourd’hui : il faudra repasser par la loi, donc devant vous.
Ce texte ne permet aucune privatisation du LFB, il n’y a aucune modification et je ne tourne pas autour du pot. Pour avoir les moyens de développer le LFB, qui est un établissement non pas de collecte ou de production de plasma mais, à partir du plasma, de fabrication de médicaments, nous voulons pouvoir réinvestir, aussi bien du côté de l’APE que de la BPI. C’est ça le fond de ce texte et je l’assume depuis le début.
Je ne vous dirai donc à aucun moment que, par ce texte, nous voulons ouvrir la majorité du capital de manière rampante par le truchement de la BPI, car c’est faux. On fait simplement entrer la BPI en substitution de l’APE.
Quand vous faites référence à l’article 22 de l’ordonnance, monsieur Chassaigne, vous vous arrêtez au I. Je vous renvoie pour ma part au IV : « Les opérations par lesquelles un établissement public de l’État ou une société dont l’État ou ses établissements publics détiennent directement ou indirectement, seuls ou conjointement, plus de la moitié du capital transfère au secteur privé la majorité du capital d’une société ». C’est donc par le IV que l’on couvre le cas présent. Nous avons même abaissé les seuils – je vous renvoie à la discussion que nous avons eue précédemment.
Je vous confirme donc que la mécanique prévue dès le début par ce texte couvre bien la détention originelle et la détention actuelle. Le réitérer me paraissait, je dois le dire, superfétatoire – je suis toujours sceptique sur l’utilité de répéter les choses, mais il ne faut pas non plus que le serpent se morde la queue. Qu’on vienne me dire, quand le Gouvernement accepte d’écrire ce qui, à ses yeux, est déjà garanti, que cela montre bien que c’était incomplet, honnêtement, on tourne en rond.
Concernant la politique des dividendes et l’arrivée d’autres actionnaires, depuis toujours, l’APE, en tant qu’actionnaire, ne s’est pas servi de dividendes sur le LFB pour tout réinvestir…
…et je prends l’engagement ici que l’APE et la BPI continueront à avoir la même politique.
Comme vous le savez, madame la députée, c’est l’actionnaire majoritaire qui détermine la politique de dividendes, qui sera donc celle que je viens d’édicter.
C’est une garantie que j’apporte.
Exclamations sur les bancs du groupe UMP.
C’est un engagement.
C’est celui du Gouvernement.
Bien évidemment, c’est celui de réinvestir, comme cela a toujours été le cas.
Vous avez une expérience de l’entreprise. Ne dites pas des choses pareilles !
D’ailleurs, si nous n’avions pas suivi une telle politique, nous ne serions pas en train d’avoir ce débat qui peut avoir lieu grâce au développement du LFB.
C’est le point commun entre tous ces articles, et c’est finalement la responsabilité collective qui nous est posée : quand il y a une participation de l’État, a-t-on le droit de se développer, dans le respect des codes et des disciplines sectorielles dont on relève ? C’est la question qui nous est posée à propos de Nexter, du LFB, et qui nous sera posée à propos des aéroports : en respectant le code de la santé publique d’un côté, les intérêts supérieurs de la nation de l’autre en matière de défense, et indépendamment de tous les débats que nous pouvons avoir, l’État sait-il être un acteur industriel rationnel ?
C’est bien évidemment aussi la question. La réponse que nous sommes en train de lui donner est positive, et je m’en félicite.
La réponse est là, on la connaît. Ce n’est pas la question qui est posée.
Monsieur le ministre, vous avez donné un certain nombre de précisions sur le cadre juridique qui gouverne ce dossier avant et après l’article 48.
Je voudrais vous poser une question très claire, qui concerne l’État en tant que détenteur du capital et en tant qu’actionnaire de la BPI. Est-il envisageable ou envisagé que, dans les prochains mois ou les prochaines années, des actionnaires privés, des fonds de pension ou d’autres – peu importe – rentrent dans le capital du LFB…
…ou considérez-vous, en termes de politique industrielle, que ce n’est ni nécessaire ni souhaitable ? Dans ce cas, ce n’est plus une affaire juridique, c’est une affaire de choix politique. Au-delà du droit, qui le permet, hier comme demain, souhaitez-vous, au nom du Gouvernement, que des capitaux privés entrent dans le LFB d’ici à 2017 ?
Je voudrais revenir à la rédaction de l’ordonnance à laquelle fait référence l’amendement de M. Ferrand, ce que je trouve d’ailleurs un peu grotesque.
L’article 2 est très clair : « Constitue une participation toute fraction du capital d’une société, quel que soit son montant ». Sont exclues de cette application « des actions détenues par des organismes ou sociétés ayant pour objet principal de concourir au financement d’entreprises industrielles et commerciales sous forme d’apports en fonds propres, d’avances d’actionnaires ou d’obligations convertibles ou de faciliter le recours de ces entreprises à l’épargne, l’élargissement de leur capital ou son reclassement ».
Il est donc grotesque de faire allusion à cette ordonnance parce que, dans sa définition, elle exclut la BPI.
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
Juridiquement, monsieur Paul, ce texte ne change rien quant à la possibilité pour un actionnaire privé de rentrer au capital de LFB, mais ce n’est pas le souhait de l’État en tant qu’actionnaire et de la BPI. C’est précisément parce que nous ne le voulons pas et que nous voulons le développement que nous souhaitons que la BPI puisse investir à nos côtés et à ceux de l’APE, je vous le dis solennellement.
C’est un engagement politique que j’assume pleinement. Ce que nous changeons dans le droit ne donne en rien plus ou moins de latitude à ce sujet.
L’amendement no 1790 est adopté.
L’article 48, amendé, est adopté.
Plusieurs orateurs sont inscrits sur l’article 49.
La parole est à M. Pascal Cherki.
J’ai des questions à vous poser, monsieur le ministre, car j’ai été un peu surpris, je l’avoue, quand j’ai lu cet article et, surtout, le texte très lacunaire de ce que l’on pourrait appeler une sorte d’étude d’impact.
Les sociétés Aéroports de la Côte d’Azur et Aéroports de Lyon ont en commun d’être deux concessions confiées à deux sociétés dont le capital est uniquement détenu par des actionnaires publics, 60 % par l’État, 25 % par les chambres de commerce et d’industrie, 5 % par les régions, 5 % par les départements et 5 % par les communautés d’agglomération des villes où se trouve le siège de ces aéroports. Elles exploitent ces infrastructures aéroportuaires pour des durées allant jusqu’en 2044 ou 2047.
On nous propose de les privatiser. J’aimerais savoir pourquoi, car c’est tout de même une décision lourde. Dans l’étude d’impact, on nous dit que l’État privatise d’abord pour « préserver ses intérêts patrimoniaux, et plus généralement ceux de l’ensemble des actionnaires du secteur public ». Pour préserver ses propres intérêts, il se défait de ce qui lui appartient. Il privatise ensuite, pour « assurer le contrat de concession et la qualité du service public offert aux usagers des aéroports ». Les actuels exploitants n’assurent-ils pas le respect du contrat de concession et la qualité du service public offert aux usagers des aéroports n’est-elle pas satisfaisante ? Il privatise enfin pour « développer l’outil industriel et les perspectives d’emploi que ces sociétés représentent à l’échelle régionale, en renforçant les perspectives de développement de leur activité en cohérence avec les acteurs locaux ». Lesquels ? Quel est le modèle économique qui nous est présenté ? Ces aéroports sont-ils déficitaires économiquement ?
Je me tourne vers le maire de Nice. Vous nous avez dit, monsieur Estrosi, que vous siégiez au conseil d’administration de l’aéroport Nice-Côte d’Azur. La société que vous exploitez est-elle déficitaire ? Cela m’étonnerait. Quel est l’intérêt pour l’État de privatiser un élément du patrimoine qui rapporte des recettes ? Généralement, on privatise quelque chose qui est déficitaire, on se dit que la puissance publique est arrivée au bout de son mode de gestion, on ne sait plus comment faire, on considère qu’il faut s’adjoindre des partenaires privés, trouver un nouveau mode d’organisation, avoir un nouveau regard, mais là, à ma connaissance, il n’est pas dit que cela ne marche pas. C’est la raison pour laquelle je pose ces questions.
Comme il n’y a rien dans l’étude d’impact, on peut en effet être amené à se demander si, finalement, l’État ne cherche pas à tout prix à récupérer des recettes.
Je pose des questions. Moi, je n’ai pas de certitudes, j’attends la réponse du ministre. Ce serait un peu comme en Grèce quand l’État, acculé par la troïka, a été amené à concéder par exemple Le Pirée. En est-on là ? Je ne le souhaite pas. Quand je vois le score du Pasok aux élections, j’espère que le Parti socialiste ne suit pas cette trajectoire, mais le fait-on parce qu’on a besoin d’argent, parce que c’est un « deal » avec l’Union européenne, en contrepartie de délais pour la réduction des déficits ?
À partir du moment où il n’y a pas, dans l’étude d’impact, de modèle économique qui explique la rationalité et la nécessité de procéder à ces privatisations, je ne vois pas pourquoi, quand on est un gouvernement de gauche, on privatise. C’est la question que je pose. Je suis très troublé parce qu’il n’y a rien dans l’étude d’impact qui vienne à l’appui de la volonté du Gouvernement de procéder à la privatisation de ces deux aéroports. Si on démontrait la nécessité économique, on pourrait en discuter mais, s’il n’y a rien, je ne souhaite pas que l’État se débarrasse à l’aveugle de ses participations.
Monsieur le ministre je voudrais attirer votre attention sur l’importance pour toute une région de l’aéroport de Nice, qui a été cité par M. Cherki et à propos duquel Christian Estrosi défendra tout à l’heure un amendement que nous soutiendrons.
C’est un aéroport qui a permis à toute une région de se développer. La Côte d’Azur était au bout de la France, éloignée de tous les centres de décision, et, grâce à l’aéroport de Nice, cette région s’est trouvée au centre de l’Europe et a pu ainsi se développer. Cela a été possible grâce aux pouvoirs publics, aux gouvernements, aux collectivités territoriales et, évidemment, à la chambre de commerce et aux entreprises locales.
Ce qui a fait la réussite de cet aéroport, c’est qu’il y avait une vision stratégique commune qui a permis à la région d’investir pour développer son aéroport et en faire aujourd’hui le deuxième aéroport de France. Les aéroports de la Côte d’Azur, c’est l’aéroport de Nice, deuxième aéroport international de France, l’aéroport de Cannes-Mandelieu, deuxième aéroport en matière d’aviation générale, et c’est aujourd’hui aussi l’aéroport de Saint-Tropez.
Cet aéroport gagne de l’argent, fait vivre une région et il est donc indispensable au développement économique de la Côte d’Azur.
Nous avons suivi ce qui s’est passé à Toulouse, monsieur le ministre.
L’aéroport de Toulouse a été privatisé par une ouverture minoritaire du capital et l’affaire a été emportée par un groupe chinois.
Je n’ai rien contre les Chinois, mais si un groupe, étranger par exemple, devenait l’actionnaire majoritaire de l’aéroport de Nice, sa principale vocation serait de remplir les poches de ses actionnaires, et non pas de répondre aux attentes stratégiques et économiques de toute une région. C’est pourquoi aujourd’hui les Niçoises et les Niçois, et de manière plus générale toute notre région, se sentent spoliés d’un bien qu’ils ont mis des années à construire pour en faire le moteur économique régional. Chers collègues socialistes, la motion présentée par Christian Estrosi au conseil municipal de Nice a été votée à l’unanimité. Vos amis à Nice ont voté contre la privatisation de l’aéroport !
Cela doit être la première fois qu’ils votent dans le même sens que M. Estrosi !
Lorsque le Gouvernement a privatisé les autoroutes, certains l’ont regretté, et j’étais de ceux-là.
J’ai voté contre le projet de loi, à l’époque, et je ne le regrette pas aujourd’hui. D’ailleurs, le débat est rouvert, et nous sommes tous à nous demander pourquoi nous nous retrouvons dépossédés de nos autoroutes. Ce cas est semblable, et pis encore, car c’est le moteur économique de toute une région qui va être bradé, alors que, comme cela a été rappelé, l’aéroport de Nice gagne de l’argent.
Je vous demande d’être très attentif, monsieur le ministre, au message que vous adressera la population niçoise lors du référendum du 19 février prochain.
Monsieur le ministre, votre grand mérite, dans ce projet de loi, c’est d’être cohérent…
Avec l’article 49, vous proposez de servir au secteur privé, sur un plateau, des biens publics fondamentaux, à savoir les sociétés qui gèrent les aéroports de Nice et de Lyon. Vous nous proposez la mise en vente de deux des trois plus grands aéroports que compte notre pays aujourd’hui, dans le but de rendre une copie propre à Bruxelles, qui exige de vous des réformes libérales.
Tout d’abord, vous nous proposez la vente de deux aéroports qui sont rentables. Les chiffres sont clairs ; la lecture des comptes annuels de ces deux sociétés est formelle, avec des résultats nets positifs, de l’ordre de 10 à 13 millions d’euros annuels pour chacune de ces sociétés. Ces résultats permettent des investissements supplémentaires, créant de l’emploi. Ils permettent le versement de dividendes à la collectivité, qui a pu ainsi investir dans l’aéroport. Ils permettent également à la structure de renforcer sa solidité financière au bénéfice de la collectivité. Enfin, ils permettent un développement concerté de l’aéroport.
Aujourd’hui, vous nous proposez de tirer un trait sur ces bénéfices qui reviennent à la collectivité, dans le seul but de réaliser une opération financière de court terme. Certes, de l’argent sera récolté et permettra d’éponger une dette aussi abyssale qu’illégitime. Mais votre démarche, permettez-moi de vous le dire, monsieur le ministre, n’est pas digne d’un homme d’État ; elle est davantage celle d’un banquier préoccupé par la seule réalisation d’une plus-value. Ce n’est pas celle d’un responsable politique à l’écoute des préoccupations des citoyens et de leurs besoins. Je le dis avec des mots durs…
…et je sais que vous répondrez sans doute aussi durement. Ces mots me viennent du coeur et de l’esprit. C’est une grave erreur que vous commettez, car un aéroport n’est pas une infrastructure de transport comme une autre. Il s’agit d’un outil phare de l’aménagement et de l’attractivité économique, industrielle et touristique d’un territoire. Nous considérons qu’il est essentiel que la puissance publique en garde le contrôle. Deux aéroports dans lesquels d’importants investissements publics sont ou vont être réalisés, par le biais de deux prêts colossaux accordés par la Banque européenne d’investissement. Deux aéroports pour lesquels d’importants investissements publics ont déjà été réalisés. J’en prends pour exemple celui de Nice – je parle ici, une fois n’est pas coutume, sous le contrôle de mon collègue Estrosi –, où la collectivité finance la construction d’une ligne de tramway reliant la ville aux terminaux de l’aéroport.
Pourquoi priver aujourd’hui ces collectivités, et plus globalement les acteurs publics, de la gestion de ces aéroports et donc des retombées économiques positives ? Toute ressemblance avec l’exemple rocambolesque des sociétés concessionnaires d’autoroutes ne saurait être fortuite. Ce sont des sociétés qui empochent aujourd’hui des bénéfices faramineux au détriment de l’État et de ses concitoyens. Les pouvoirs locaux resteront, certes, au capital dans le schéma que vous nous proposez, mais ils seront désormais minoritaires face à une société privée, et donc minoritaires face à un acteur qui ne jouera certainement pas les philanthropes. On peut d’ailleurs craindre pour les riverains et l’environnement en cas de développement tous azimuts de ces deux aéroports déjà importants.
On ne peut évoquer la privatisation de ces deux sociétés aéroportuaires sans parler de ce qui s’est passé à Toulouse-Blagnac, qui sera géré par un consortium sino-canadien, alors que le groupe chinois est massivement implanté dans les paradis fiscaux.
Cet acteur chinois s’est adossé à un groupe canadien, qui gère, certes, aujourd’hui une quinzaine d’aéroports en France, mais il a été radié par la Banque mondiale pour dix ans pour des faits graves de corruption d’acteurs publics. Tout cela est inacceptable. Nous avions déposé un amendement, qui a été discuté en commission spéciale, mais qui n’a pas été accepté pour la séance, ce que nous avons du mal à comprendre. Enfin, s’agissant de Toulouse-Blagnac, le ministre de l’économie avait indiqué lors du lancement de l’appel d’offres que la société d’exploitation de l’aéroport de Toulouse allait rester majoritairement contrôlée par la puissance publique. Or, le pacte d’actionnaires a montré que cela était faux et que l’État allait se soumettre aux desiderata de Symbiose.
Pour conclure, la commission spéciale a introduit des modifications à l’article 49, en prévoyant que toute cession majoritaire de capital sera désormais systématiquement soumise à une autorisation du législateur. C’est une avancée démocratique, c’est certain. Une telle disposition aurait permis d’éviter le cas déplorable de Toulouse-Blagnac. Mais, pour notre part, pour les députés du Front de gauche, c’est la logique même de la vente des bijoux de famille…
…à laquelle nous sommes profondément opposés. Notre conception, notre logique, je dirais notre philosophie, pour reprendre votre mot, notre prisme sont différents des vôtres. C’est pourquoi nous demandons purement et simplement que cet article soit supprimé.
La parole est à M. Gilles Savary, rapporteur thématique de la commission spéciale.
Je ne résiste pas à l’envie d’intervenir sur ce sujet. Je ne suis pas un idéologue glacé, favorable ou opposé par principe aux privatisations. Ce n’en est d’ailleurs pas une, dans ce cas précis, puisque le patrimoine reste public et que les droits de trafic sont accordés par la Direction générale de l’aviation civile. Les aéroports de province sont, en quelque sorte, pris entre deux feux de l’État, que la société de gestion soit ouverte ou pas.
En revanche, je suis un provincial et ce que je sais, c’est que le plus mauvais partenaire des aéroports de province, c’est l’État, pour une raison très simple qui n’a rien d’illégitime : il est focalisé sur les intérêts d’Air France et du hub de Charles-de-Gaulle. Vous l’aurez noté, l’État fait en sorte de ne pas donner de droits de trafic internationaux aux aéroports de province ; il les ficelle, il les muselle. Je ne sais si les partenaires privés seront de meilleurs partenaires, mais, en tout état de cause, l’État est le plus mauvais des partenaires pour le développement des aéroports de province.
S’agissant de Toulouse, nous verrons ce que l’avenir nous réserve. Je ne suis pas sûr que les investisseurs chinois ne nous préservent pas d’avoir, demain, des délocalisations d’Airbus à Hambourg, car ils sont le premier client d’Airbus. Je préfère qu’ils soient venus à Toulouse plutôt que d’avoir vu Airbus délocalisé à Hambourg.
Nous en reparlerons, monsieur Lellouche !
Nous devrons tisser des liens de coopération très étroits et nous ouvrirons très vite des droits de trafic vers la Chine, lesquels auraient été refusés à tout autre aéroport de province. Il ne faut pas avoir une vision trop manichéenne de la situation. À Bordeaux ou à Clermont-Ferrand, on nous a fait faire des hubs qui ont été abandonnés très tôt, parce que l’État s’est très vite désengagé.
Je suis un peu étonné de ce débat qui donne l’impression que nous allons perdre nos aéroports. C’est autant la région qui fait l’aéroport que l’aéroport la région : il n’y a pas de risque d’évaporation de nos aéroports, à partir du moment où un actionnaire privé, fût-il majoritaire, rejoint le capital. S’il y a une région, du tourisme ou une activité économique, lesquels relèvent de nos politiques publiques, il existe une réalité aéroportuaire et une légitimité à avoir un aéroport. N’inversons pas complètement les rôles. S’il existe des raisons à la présence d’un aéroport, ce n’est pas parce qu’un actionnaire viendra l’exploiter, sans d’ailleurs remettre en cause les lignes, qu’il y aura un risque de délitement de l’aéroport.
Par ailleurs, Aéroports de Paris gère trente-sept aéroports dans le monde. Comment dire que nous ne voulons personne chez nous, que nous restons entre nous, parfaitement hermétiques à tout investissement extérieur dans nos aéroports, alors que nous faisons de nos prises de participation à l’étranger, par le biais d’Aéroports de Paris et d’autres acteurs, des fers de lance de notre compétitivité, de notre développement et de notre savoir-faire ? N’ayons pas peur de nos capacités à entrer sur le marché international, mais n’ayons pas peur non plus, si l’on est sûr de notre socle territorial et de notre politique de développement touristique et économique, de l’arrivée d’investisseurs dans nos aéroports, fussent-ils majoritaires. La porosité entre les différents acteurs et actionnaires se fera au bénéfice de l’efficacité de l’exploitation et des projets de nos aéroports.
Rassurez-vous, chers amis : dans vingt ans, voire quinze ans, ce seront les Chinois qui construiront les avions, et non plus Airbus. Ils copient, pillent et attaquent systématiquement nos brevets – la cyber-guerre est là pour le prouver.
Une remarque également, concernant le port du Pirée, au début de l’opération Harmattan : combien de ressortissants les Chinois ont-ils été capables d’évacuer aussi rapidement de Libye ? Faire détenir par l’État ce type d’infrastructures peut avoir des intérêts stratégiques. Nous ne discutons pas de la vente de boîtes de conserve ou de voitures, mais de l’avenir de territoires et de la nation.
Monsieur le ministre, nous avons déjà eu l’occasion d’échanger un peu ici. Qu’il me soit permis de redire à l’ensemble de l’Assemblée qu’alors que je fais partie des actionnaires membres du conseil de surveillance de la société aéroportuaire, jamais le Gouvernement n’a eu ni la courtoisie ni la délicatesse de s’adresser à moi, pas plus, d’ailleurs qu’à ceux qui représentent 40 % de l’actionnariat public, à savoir la chambre de commerce et d’industrie, le conseil général des Alpes-Maritimes, la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, présidée par M. Vauzelle, membre du Parti socialiste et donc proche du Gouvernement, et la métropole de Nice-Côte d’Azur que je préside. Pourtant, tous ces actionnaires publics sont opposés, unanimement, à la vente de cet aéroport à un actionnariat majoritaire. La majorité territoriale du ministre y est donc opposée.
Les quarante-neuf communes que compte la métropole de Nice-Côte d’Azur ont voté une motion pour s’y opposer. La ville de Cannes, grande ville touristique, qui accueille nombre d’événements, s’y est opposée, de même que, bien évidemment, et à l’unanimité, le conseil municipal de Nice – cinquième ville de France –, sur le territoire de laquelle se trouve l’aéroport international. Le conseil municipal a d’ailleurs décidé d’organiser, conformément au code général des collectivités territoriales, une consultation référendaire le 19 février prochain.
Je vous pose une nouvelle fois une question à laquelle vous n’avez pas répondu, monsieur le ministre : même si l’issue du vote vous donnait raison sur l’article 49, tiendriez-vous compte ou non de l’avis qui sera exprimé par nos concitoyens le 19 février prochain ?
Deuxièmement, et d’autres vous l’ont déjà demandé : pourquoi vouloir vendre la majorité d’un actif stratégique alors qu’on a affaire, pour Nice comme pour Lyon, à une plateforme aéroportuaire qui dégage de 10 millions à 13 millions d’euros de bénéfice par an. Ainsi, étant actionnaire à 5 %, notre collectivité perçoit chaque année 500 000 euros. À partir du moment où tout sera vendu,…
… l’État comme les collectivités ne toucheront plus rien.
Troisièmement, si vous pouvez vous permettre aujourd’hui de vendre la majorité du capital de la société Aéroports de la Côte d’Azur à hauteur de 800 millions à plus d’1 milliard d’euros, ce n’est pas parce que l’État l’a valorisée : Rudy Salles a bien rappelé que cette valorisation est due aux collectivités.
Imaginez que la collectivité niçoise ne se soit pas engagée sur une ligne budgétaire de 750 millions d’euros pour construire un tramway de 11 kilomètres qui va desservir le terminal 1 et le terminal 2 de l’aéroport. Pourriez-vous aujourd’hui espérer une recette au niveau que je viens de rappeler ?
Imaginez que, sur le foncier dont notre ville est propriétaire, en face de l’aéroport, où nous transplantons un marché d’intérêt national qui remonte à 1952, nous n’aménagions pas le plus grand pôle multimodal d’Europe, où va se trouver en connexion une gare ferroviaire centrale de grandes lignes et de trains express régionaux, croisée par la nouvelle ligne de tramway, avec un noeud routier destiné à desservir une gare routière, des milliers de places de stationnement en parking-relais, un centre d’affaires international et un centre d’expositions international sur 70 00 mètres carrés, qui a vocation à concurrencer Milan et Barcelone.
Imaginez que, dans le prolongement de ce centre d’expositions, 500 mètres plus haut, nous ne soyons pas en train d’aménager une technopôle de coeur urbain, fondée sur la croissance verte et les écotechnologies, avec un incubateur, un hôtel d’entreprises, IBM ayant préféré Nice à Londres pour y construire son immeuble.
Si nous n’avions pas fait tout cela – pour ne prendre que quelques exemples –, l’aéroport n’aurait pas cette valeur et l’État ne pourrait pas en tirer les recettes espérées après le vote de cet article à l’Assemblée nationale.
Membre du conseil de surveillance, je peux attester que nous avons réussi à faire passer, entre 2008 et aujourd’hui, de 8,5 millions à 11,6 millions le nombre de passagers par an, et de 80 à 110 les destinations desservies dans le monde, ce qui en fait la deuxième plateforme aéroportuaire internationale de France – après Charles-de-Gaulle et avant Orly.
À propos, expliquez-moi, monsieur le ministre, pourquoi vous ne prévoyez pas aussi la vente d’Orly dans cet article.
Je voudrais comprendre. Pourquoi un tel choix ? Que peut-il cacher ? Ne seriez-vous pas en train de commettre un délit d’initié en ayant reçu dans votre bureau tel ou tel acheteur potentiel auquel vous auriez déjà fait de belles promesses avant même de rédiger ce texte de loi ? J’ai le droit de m’interroger.
En tout cas, dites-vous bien que si cet article était voté, nous ne manquerions pas d’utiliser tous les moyens de droit pour savoir ce qui se cache derrière vos intentions affichées, d’autant plus que celles-ci sont particulièrement nuisibles et qu’elles risquent de mener à la déstabilisation de toute une stratégie d’attractivité et de développement, de cohésion économique et sociale, chez nous comme sur le territoire lyonnais.
À la limite, vous auriez proposé de mettre en vente une minorité du capital, la collectivité publique demeurant donc majoritaire au conseil de surveillance : pourquoi pas ? Mais vous dites qu’il s’agit de défendre les intérêts patrimoniaux. Je vous rappelle que, ces dernières années, pour monter en puissance, nous avons eu recours à nos propres bénéfices, sans avoir besoin de l’aide de personne, parce que nous en dégageons suffisamment pour continuer tranquillement à financer les investissements nécessaires.
Par conséquent, rien ne peut justifier votre position – en tout cas, pas les explications fumeuses que vous nous fournissez : ni votre référence à un intérêt patrimonial ni la possibilité qu’un actionnaire privé pourrait réaliser les investissements qui feraient défaut à cette plateforme aéroportuaire. Je rappelle qu’avant même que vous ne la mettiez en vente, les investissements sont programmés dans le cadre d’un plan pluriannuel pour lequel nous n’avons besoin de l’intervention d’aucun partenaire privé.
Je pense avoir été suffisamment explicite pour que chacun comprenne qu’il n’y a aucune légitimité à mettre en vente car l’acheteur, étant actionnaire majoritaire, n’aura demain qu’un intérêt : faire monter les dividendes, pas celui de contribuer au développement économique territorial dont nous avons besoin. Il fera de cette plate-forme aéroportuaire un hub qui accueillera des compagnies low cost, cherchant à faire du chiffre sur le stop and go dans la perspective d’une redistribution continentale, au lieu de miser sur une stratégie de développement, de croissance et d’emploi dans le territoire concerné, que ce soit dans l’agglomération niçoise ou dans l’agglomération lyonnaise.
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
Prochaine séance, demain, à neuf heures trente :
Questions orales sans débat.
La séance est levée.
La séance est levée, le mardi 10 février 2015, à une heure cinq.
La Directrice du service du compte rendu de la séance
de l’Assemblée nationale
Catherine Joly