COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES
Mercredi 18 juin à 10 heures
Présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente de la Commission
La séance est ouverte à
Réunion bilatérale avec la Commission des affaires de l'Union européenne du Bundestag
Cette réunion bilatérale entre les commissions des affaires européennes de l'Assemblée nationale et du Bundestag a lieu à un moment très important pour l'Europe, qui traverse une crise économique et sociale, mais également, après le résultat des élections européennes, une crise de la démocratie. Un mouvement de défiance vis-à-vis de l'Union européenne se ressent : les citoyens n'en perçoivent majoritairement plus le sens ni l'intérêt pour leur avenir. À cela s'ajoute l'influence destructrice de certains partis politiques très démagogues et populistes ; l'Europe est un bouc émissaire trop commode et il faut tirer les analyses de ces résultats aux élections européennes. Nous sommes au pied du mur, un sursaut est indispensable, sans quoi la grande aventure des pères fondateurs risque de se perdre dans l'euroscepticisme. La France et l'Allemagne ont une responsabilité toute particulière dans ce sursaut, plus particulièrement leurs parlementaires, proches du terrain, à même de comprendre les préoccupations des citoyens.
Les points suivants ont été inscrits à l'ordre du jour de notre rencontre bilatérale : les élections européennes et leurs suites, la politique énergétique, les données personnelles, le partenariat oriental et l'Ukraine.
Quels principaux enseignements peut-on tirer de ces élections européennes en Allemagne et en France ? Comment aborder, dans les débats actuels, la relance du projet européen, la relance des priorités de fond ? Qu'en est-il des discussions pour la nomination au poste de Président de la Commission européenne ?
Après les élections européennes, les échanges entre parlements nationaux revêtent une importance toute particulière. Dans les cinq années à venir, les choses ne seront pas simples. Les élections européennes ont eu pour résultat une représentation hétérogène, avec l'essor des partis populistes et eurosceptiques, reflétant les inquiétudes et la déception d'une grande partie de la population européenne à l'égard de l'Union européenne.
En Allemagne, la situation est particulière puisque notre climat économique est très stable. Mais certains autres pays, face à la crise, n'ont toujours pas entrepris les réformes structurelles nécessaires. Nous ne pouvons y être indifférents car nous ne vivons pas sur une île ; tout au contraire, nous devrons faire face à une concurrence mondiale. À la fin de ce siècle, les habitants de l'Union européenne ne représenteront plus que 4 % de la population mondiale. Afin de conserver, pour les générations du siècle à venir, nos valeurs européennes de liberté, d'État de droit et de démocratie ainsi que la prospérité économique, nous sommes tenus de coopérer plus étroitement que par le passé. La mondialisation constitue un défi majeur pour l'Union européenne. Je suis convaincu que nous devrions communiquer ce message à nos concitoyens et les éclairer sur les avantages du projet européen dont ils bénéficient et dont les générations à venir continueront de bénéficier.
Dans cette réflexion sur les effets la mondialisation s'inscrit aussi le débat sur une véritable politique énergétique européenne. L'indépendance énergétique de l'Union européenne, avec notamment l'enjeu de la sûreté d'approvisionnement en gaz, est en effet, pour différentes raisons, à l'ordre du jour de l'agenda européen. Dans le secteur de l'énergie, les Européens, confrontés à une concurrence mondiale, doivent apporter une réponse concertée.
Par ailleurs, il est nécessaire que les frontières extérieures de l'Union soient stables ; c'est l'un des principaux objectifs de notre politique de voisinage.
Au Sud, nous avons particulièrement besoin de la bonne connaissance du terrain que possède la France, notamment sur le continent africain. C'est maintenant qu'il convient de résoudre ces problèmes – notamment ceux liés aux migrations – car, dans dix à vingt ans, la situation serait devenue beaucoup plus complexe. Autrement dit, nous devrions soutenir les pays du Nord de l'Afrique dans leur capacité à offrir à leurs citoyens des perspectives d'avenir.
À l'Est de l'Europe, des pays comme l'Ukraine manifestent un désir de souveraineté plus important et veulent bénéficier des valeurs européennes. Rappelons que la crise ukrainienne a été déclenchée par le refus du régime politique de M. Ianoukovitch de signer l'accord d'association avec l'Union européenne ; cela ne doit pas nous laisser indifférents. Les ministres des affaires étrangères français, allemand et polonais, c'est-à-dire des pays du cadre du triangle de Weimar, ont émis un signal excellent en se rendant en mission commune pour des pourparlers avec les responsables politiques en Ukraine. Mais la clé de la résolution de ces conflits se trouve aussi en Russie – les conséquences de la propagande dirigée par M. Poutine contre l'Ukraine sont évidentes.
Parmi les sujets sur lesquels nous devrons nous concentrer ce matin, je n'oublie pas non plus la protection des données personnelles.
Étant un convaincu de la cause européenne, j'ai pris le résultat des élections européennes comme un coup très dur, avec un score du FN préoccupant. Mais il faut relativiser, compte tenu des considérations de politique interne, comme pour chaque élection européenne. Et cela ne signifie pas non plus que 25 % des Français adhèrent aux FN. Les scrutins précédents avaient donné des scores élevés à Philippe de Villiers ou Charles Pasqua et, deux ans après, plus personne n'en parlait. Les écologistes sont tombés de 16 à 8 % seulement. Les Français considèrent ce scrutin comme une élection défouloir et la constance n'est pas de mise.
Même si les Européens n'ont pas ou ont peu suivi la campagne, il s'est passé quelque chose d'important. Des débats entre les candidats à la présidence de la Commission européenne ont été organisés pour la première fois – même si la population ne les a pas forcément suivis – et chaque parti européen en soutenait un. C'est une application concrète du traité de Lisbonne. Si le candidat du parti arrivé en tête n'était pas nommé Président de la Commission européenne, dans une période où la démocratie européenne est critiquée, ce serait extrêmement grave. Il faut prendre la mesure du traité de Lisbonne : M. Juncker doit devenir Président de la Commission européenne – comme M. Schulz aurait dû le devenir si le résultat du scrutin avait été différent. Sinon, les critiques des partis antieuropéens deviendront encore plus fortes.
Le résultat des élections européennes n'est effectivement guère réjouissant. Le jeudi précédent, j'avais plutôt un bon pressentiment : après le résultat obtenu par les populistes hollandais, bien inférieur aux prévisions des sondages, je croyais que l'extrême droit ne connaîtrait pas le triomphe qu'elle a finalement obtenu.
Les eurosceptiques, entrés en nombre au Parlement européen, sont les principaux gagnants du scrutin. En Allemagne, la situation est d'autant plus regrettable et funeste que le Tribunal constitutionnel fédéral a supprimé peu avant les élections le plancher requis pour entrer au Parlement européen. J'espère que les juges constitutionnels réfléchiront longuement au problème à l'avenir mais, dans l'immédiat, nous devons nous accommoder de cette situation.
Il faut repenser la manière dont les têtes de liste sont considérées : si celle qui a remporté la majorité des voix ne présidait pas la Commission européenne, le signal envoyé à l'opinion serait très négatif. La participation est restée à peu près stable ; nos concitoyens seraient très frustrés de constater que leur choix n'est pas pris en compte, leur expression doit être respectée.
Il faut veiller à ce que le Parlement européen conserve une place déterminante dans la construction de l'édifice, à ce que nos concitoyens se sentent engagés vis-à-vis de l'Europe, pas seulement pour sauver les banques ou faire vivre le marché intérieur mais du point de vue social, pour favoriser l'emploi, la consolidation budgétaire, la croissance et l'égalité entre tous les citoyens. Telle est l'Europe que je défends. La coopération économique dont il est tant question, ce n'est pas l'Europe des citoyens, c'est une Europe condamnée à moyen ou à long terme.
J'estime pour ma part que les résultats des élections européennes en France ont constitué un vrai choc pour la classe politique. Les Français sont aussi choqués de voir qu'ils peuvent placer en tête des élections – même si l'abstention est forte – un parti aux relents extrémistes et racistes. Et l'équation ne saurait être réduite à un message en direction du pouvoir national, pas très en vue, il est vrai.
Les résultats des élections européennes en France traduisent certes généralement le degré d'affection des citoyens pour leur Président de la République mais la lutte électorale se passait d'habitude entre partis républicains. Il ne faut pas banaliser les scores énormes que le FN a obtenus dans les villes en difficulté et les territoires ruraux. Les idées du FN se caractérisent par trois permanences ; dans la tête des gens, dans le temps et dans les territoires.
Les conséquences au plan politique m'inquiètent : la France sort forcément affaiblie de ce scrutin ; elle risque de ne plus peser autant en Europe. Chaque Français doit appréhender le problème avec beaucoup de gravité.
S'agissant de la feuille de route de la Commission européenne, le ministre de l'économie et de l'énergie allemand, Sigmar Gabriel, a déclaré qu'il fallait sortir du calcul du déficit le coût des réformes structurelles. Ce signal sympathique envoyé aux pays concernés par le plafond des 3 % a été particulièrement bien accueilli en France car il revient à nous laisser la chance de mener nos réformes.
S'agissant de la présidence de la Commission européenne, le parti qui a gagné les élections doit effectivement conduire les négociations. Mais M. Juncker devrait être appuyé par le PPE. Or les négociations entre membres de ce parti sèment le doute, au détriment du principe démocratique.
Enfin, chers amis allemands, vous avez eu la chance que vos chaînes nationales, contrairement aux nôtres, se montrent exemplaires dans la diffusion des débats préalables aux élections européennes.
L'Union européenne traverse la crise la plus grave de son existence. Dans les pays frappés par la crise de l'euro, son impact est considérable en termes de politique de l'emploi, de politiques sociales et budgétaires. De ce point de vue, l'élection de deux tiers de députés européens pro-européens est plutôt un signe positif de stabilité.
En France, le résultat n'est pas seulement dû au contexte de crise mais aussi à des questions de politique interne. Au Royaume-Uni, il résulte exclusivement de considérations de politique interne. En Allemagne, nous avons eu la chance que l'opinion publique ne veuille pas, cette fois-ci, adresser un avertissement au Gouvernement. En réalité, tous les citoyens européens considèrent les élections européennes comme un scrutin de second plan ; ils ne perçoivent pas les conséquences de leur vote sur la politique européenne. Ils utilisent donc souvent ce scrutin pour lancer des avertissements à leur Gouvernement, alors même que le Parlement européen, désormais très puissant, exerce une véritable influence sur leur quotidien.
Le traité de Lisbonne fixe plus ou moins explicitement des options en ce qui concerne l'élection du président de la Commission européenne. Mais notre chancelière estime que le Conseil européen doit conserver sa prérogative de proposition du Président de la Commission européenne et qu'il est en mesure de trouver un accord. Il n'en demeure pas moins que celui-ci devra respecter le vote des citoyens européens. Or la situation actuelle est très compliquée. Il convient de s'interroger, de même, sur le sort de ceux qui ont perdu les élections européennes ; ce point fait également débat en Allemagne.
Enfin, nous devrions nous efforcer de faire savoir aux citoyens européens que la politique européenne exerce une véritable influence sur leur vie quotidienne.
Aux quatre coins de l'Europe, les scores de populistes et de l'extrême-droite se sont exprimés dans des contextes sociaux différents. Certains États membres leur ont donné des scores à deux chiffres alors que le taux de chômage y est parmi les plus bas du monde et le revenu par habitant parmi les plus hauts jamais atteint dans l'histoire de l'humanité.
Nous devons aussi nous interroger sur l'identité et le sens de l'Europe. Finalement, l'Europe n'est pas parvenue à substituer aux États-nations un cadre dans lequel nos concitoyens ont le sentiment et la fierté d'agir, de décider, de peser sur le cours des évènements, notamment des évènements internationaux – car c'est désormais à l'échelle mondiale que se posent les enjeux.
La construction européenne doit être compréhensible par tous, ce qui passe par des investissements massifs dans de grands projets. Lesquels ? Le patronat allemand, ce matin même, s'est indigné du manque d'investissements dans les infrastructures. Dans le même esprit, le vice-chancelier allemand s'est exprimé en faveur d'une politique d'investissements qui permette de respecter strictement les contraintes budgétaires tout en extirpant des calculs les dépenses d'avenir, notamment dans le secteur énergétique. Il y a là matière, quel que soit notre bord politique, à envoyer un signal économique et social porteur de sens aux coups de semonce de l'extrême-droite et des populistes. Est-il possible – et je pense que c'est le cas en France – de trouver un consensus, au-delà des clivages politiques, pour faire ce choix ?
Il y a six mois, avec mon collègue Arnaud Richard, dans le cadre des travaux de notre Commission des affaires européennes relatifs au suivi du pacte de stabilité et de croissance, nous avions constaté qu'un certain nombre d'institutions et de responsables politiques rejetaient fortement cette idée. Les prises de position récentes, outre-Rhin, en faveur de politiques budgétaire et d'investissements pragmatiques, constituent donc un véritable signal d'espoir.
J'ai entendu les déclarations de M. Gabriel mais la France ne doit pas leur accorder une importance excessive car le Gouvernement allemand n'a pas adopté de position officielle à cet égard. Le point déterminant est le suivant : quelles marges de manoeuvre le pacte de stabilité et de croissance offre-t-il à chaque État membre pour réduire ses dettes en fonction de sa situation propre ? Il ne s'agit pas de modifier les traités mais de fixer des objectifs adaptés à chaque pays. La France ne sera pas obligée de respecter le critère de 3 % parce qu'il en a été décidé autrement afin de lui permettre de sortir de la crise. Ces questions peuvent être discutées et des solutions peuvent être décidées par le Conseil.
Le succès de l'extrême-droite et des populistes aux élections européennes, en France, au Royaume-Uni et au Danemark, s'explique par des raisons différentes, notamment par la crise mais pas seulement. Il est crucial que les politiques réagissent à cette situation. En Allemagne, la CDU-CSU doit marquer et maintenir les limites entre elle et les eurosceptiques de l'AfD.
Comment les conservateurs français, de leur côté, vont-ils procéder pour freiner l'essor du FN et de Marine Le Pen ? En Allemagne, nous avons la chance que les Alliés, après-guerre, nous aient offert un système électoral intégrant les petits partis à la vie politique. En France, en Espagne, en Italie et au Royaume-Uni, les situations sont différentes. La frustration importante vis-à-vis des responsables politiques français est palpable : les citoyens les jugent de moins en moins capables de trouver des réponses adaptées à leurs préoccupations et sont davantage attirés par des petits partis. Le droit électoral allemand envisage différemment le rôle de ces petits partis, qui peuvent apparaître comme porteurs de solutions.
La situation en France n'est pas exactement identique à celle des autres États membres mais les chiffres sont cruels et, connaissant bien le FN, je crois que c'est une erreur de considérer que ses idées prospèrent uniquement parce qu'elles signifient un rejet de tout. Il existe aujourd'hui une forme de vote d'adhésion au FN, pas forcément à ses thèses les plus extrémistes mais aux idées suivantes : l'Europe ne fonctionne pas, nous devrions refaire les frontières, nous devrions revenir sur la question du nationalisme.
La situation de la France est particulière pour plusieurs raisons.
D'abord, la crise est valable pour tous les pays. Les eurosceptiques ont obtenu des résultats à deux chiffres, au-dessus de 25 %, au Royaume-Uni, en Autriche et au Danemark. De même, un euroscepticisme de gauche et d'ultra gauche s'est affirmé, notamment en Grèce et en Italie. Les résultats en France s'inscrivent donc dans une tendance européenne générale, illustrant le malaise d'une partie de la population. Il faut en analyser les causes et engager un débat de fond afin de savoir comment éliminer ou, au moins, réduire les thèses eurosceptiques.
Ensuite, les résultats s'expliquent par des considérations intérieures à chaque pays européen. En France, la faiblesse du Gouvernement, avec 14 % des suffrages, est un véritable problème. En face, l'opposition affronte aussi une crise interne. D'un côté, le FN, en vingt ans, s'est progressivement installé dans le paysage politique français ; de l'autre, deux partis de Gouvernement se trouvent affaiblis.
Nous devrions nous interroger aussi sur la gouvernance de l'Union européenne car ce phénomène d'euroscepticisme dépasse les frontières nationales. Je suis toujours atterré par le fait que l'Union européenne ne réussisse pas à promouvoir quelques idées et projets simples, compréhensibles par les citoyens européens, et continue au contraire de porter des positions en décalage avec l'état d'esprit des Européens. Nous n'avons de projet européen ni pour l'industrie, ni pour l'énergie, ni pour la défense.
L'analyse des élections donne des résultats différenciés. Au Sud de l'Europe, notamment en Espagne et en Grèce, la tendance est à un vote de gauche et d'extrême-gauche. Au Nord et au centre de l'Europe, notamment en France, au Danemark, en Autriche et au Royaume-Uni, la droite l'emporte. Ces résultats sont imputables aux situations vécues par les populations, à la manière dont la crise est abordée et aux mesures d'austérité qui ont suivi, parfois très critiquées. Dans le Nord de l'Europe, les populistes ont tenu un discours opposé aux pays du Sud du continent, considérés comme paresseux et gloutons en mannes financières, ce qui n'a aucun sens. En Allemagne, l'AfD a obtenu 7 % des voix en s'appuyant sur ces arguments. Notre traitement de la crise explique en partie ces résultats : il faut examiner ce qu'ont apporté les politiques mises en oeuvre et revenir sur le partage de la charge due à la crise.
Les résultats des élections ne sont pas surprenants. Le FN s'est installé dans le paysage français. En 1986 déjà, il faisait entrer des députés à l'Assemblée nationale à la suite de l'instauration de la proportionnelle. Il faut une UMP combative, sans aucun lien avec le FN, afin que ses électeurs s'en désolidarisent et votent pour un parti républicain. En France, le scrutin européen a été l'occasion d'un vote défouloir, d'adhésion et de rejet. Le pays va très mal et les citoyens sont en désarroi.
Le couple franco-allemand, qui offrait l'image d'une Europe qui avance, est remis en question depuis deux ans. Nous manquons d'une pédagogie de l'Europe, véhiculée par les universitaires, les médias et les politiques. Nous ne parlons que de l'Europe qui contraint alors qu'il faut expliquer aux citoyens européens en quoi l'Europe peut améliorer leur vie quotidienne, dans des domaines aussi importants que l'industrie, l'énergie et la défense. Négliger ce travail ne pourra que faire empirer la situation actuelle.
La pédagogie de l'Europe ne suffit plus. J'attends de la feuille de route confiée au Président de la Commission européenne – qui doit être l'homme arrivé en tête de ces élections européennes – qu'elle soit claire, offensive et rassurante quant aux conditions de vies de nos citoyens. Le président du conseil italien, M. Renzi, dont le pays s'apprête à prendre la présidence semestrielle de l'Union européenne, a affirmé le besoin de questionner le principe d'austérité sous toutes ses formes. C'est dans ce contexte que les six prochains mois de travail vont se dérouler.
Le résultat du FN découle de multiples causes. L'une des principales est l'impuissance des politiciens ressentie par les citoyens pour améliorer leurs conditions de vie. Les promesses de la campagne n'ont pas étés tenues et la situation de la France ne fait que se dégrader, notamment en matière de compétitivité – l'indice de Davos, qui calcule le niveau de compétitivité des États, la place au vingt-troisième rang, alors que l'Allemagne se situe au quatrième. Cette situation provoque une certaine inquiétude des électeurs mais aussi de l'Allemagne car la France reste notre premier partenaire au sein de l'Union européenne.
L'UMP, divisée et incomprise, ne s'est pas imposée comme une opposition forte, avec une conséquence sur le choix du bulletin de vote lors des élections européennes. Un journal français a très justement parlé de « frustration nationale » pour expliquer le recours au vote FN. Alors que les partis d'extrême-droite ont disparu de la carte en Allemagne, des raisons historiques expliquent cet ancrage du FN dans le paysage politique français. Les grands partis établis vont devoir coopérer plus étroitement afin de faire barrage à ce parti d'extrême-droite. Il faut savoir se tourner vers les citoyens qui ne votent pas encore mais voteront à l'avenir.
Pour ce qui concerne M. Juncker, le traité de Lisbonne est compliqué : le Conseil, après consultation du Parlement européen, doit émettre une proposition. Nous sommes en train de façonner un modèle pour les prochaines élections. M. Juncker est l'élu de la majorité au Parlement européen et, à ce titre, doit être désigné comme Président de la Commission européenne. Si ce n'est pas le cas, nous perdrons énormément, en termes de crédibilité, pour les élections de 2019.
L'assouplissement des critères de stabilité fut décidé lorsque MM. Chirac et Schröder étaient aux responsabilités. Il s'agit aujourd'hui d'appliquer un traité que nous avons rédigé tous ensemble, alors que le pacte de stabilité et de croissance a été bafoué à plus de soixante reprises, sans aucune conséquence. Il faudrait savoir se montrer sérieux dans l'application des traités que nous avons-nous-mêmes conçus.
Retrouver la confiance et la crédibilité des investisseurs est primordial pour sortir de la crise ; nous sommes dans la bonne voie, notamment avec l'adaptation des taux d'intérêts : les écarts de taux d'intérêts se sont resserrés et un régime d'exception pour la France a déjà été accordé pour deux années supplémentaires. Mais, à long terme, il est intenable d'imposer des réformes très dures à certains pays – je pense à la Grèce, à l'Espagne, à l'Irlande – et d'admettre des exceptions pour d'autres.
Se mobiliser ensemble sur un projet social et environnemental serait plein de sens pour répondre à l'euroscepticisme. La transition énergétique constitue à cet égard un domaine prioritaire. La question énergétique est au coeur de l'actualité, certes en raison des élections européennes, mais surtout à cause de l'aggravation de la situation climatique. Fin mars 2014, le Groupe d'expert intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) a publié un rapport sur l'évolution du climat plus complet que tout ce qu'il avait produit depuis sa création mais aussi beaucoup plus pessimiste. Un virage vers l'efficacité énergétique et les énergies renouvelables est absolument nécessaire.
Par ailleurs, la crise en Ukraine a mis en évidence la dépendance de l'Union européenne dans le secteur gazier : celle-ci importe 80 % de sa consommation. Il est aussi nécessaire de diversifier nos sources d'énergie et nos flux d'approvisionnement. En France, Mme Ségolène Royal, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, présente ce matin même le projet de loi sur la transition énergétique. En Allemagne, une réforme de la loi relative aux énergies renouvelables est aussi en pleine discussion parlementaire.
Une intégration européenne renforcée est nécessaire pour une plus grande efficacité partagée dans le domaine de la politique de l'énergie. Une approche commune de la production, de l'approvisionnement et de la consommation énergétiques participera à la refondation européenne, avec la transition énergétique comme politique industrielle prioritaire. Je rappelle au passage que la politique énergétique commune a fondé l'histoire européenne, à travers la Communauté européenne du charbon et de l'acier et la Communauté européenne de l'énergie atomique (Euratom).
Le bilan de l'action européenne dans le domaine de l'énergie est en fait très réduit. Le mix énergétique reste national, avec des formules très diverses d'un pays à l'autre, ce qui aboutit à des réseaux européens de l'énergie insuffisants. Le traité de Lisbonne a pourtant innové : l'article 194 donne dorénavant une base juridique à la politique européenne de l'énergie. Il existe des gisements considérables de développement économique ainsi que de potentiels emplois stables. Ces objectifs doivent être pris en compte au niveau européen.
Tout d'abord, la transition énergétique doit aller vers un modèle économique à faible teneur en carbone, ce qui demande de réinterroger sérieusement nos politiques industrielles.
Ensuite, il est nécessaire d'améliorer constamment l'efficacité énergétique. Je vous rappelle que l'énergie la moins chère est toujours celle qui n'est pas consommée. L'absence d'objectifs chiffrés dans le paquet énergie-climat pour 2030 constitue donc un vrai problème.
Nous savons tous que l'énergie est un secteur clé et producteur d'emplois, qui plus est d'emplois locaux.
Cette politique européenne de l'énergie devra aussi garantir des prix abordables pour les consommateurs afin d'éviter toute précarité énergétique.
Enfin, en 2012, plus de 53 % de l'énergie consommée en Europe était importée. Il faudra donc renforcer la part domestique de l'énergie consommée.
La solidarité est au coeur de la transition énergétique, dans laquelle l'Allemagne et la France doivent prendre une part exemplaire. Un message clé est ressorti du 16e conseil des ministres franco-allemand, en février dernier : l'idée du Président Hollande d'« Airbus de l'énergie », qui a suscité de nombreux débats – beaucoup considèrent que cette affaire relève du domaine privé, mais cela ne nous empêche pas d'y réfléchir.
Les Allemands ont commencé leur transition énergétique bien avant les Français et ont aussi décidé de sortir du nucléaire d'ici à 2022, tandis qu'il s'agit, chez nous, d'un secteur clé, même s'il est passé de 75 à 50 % du mix énergétique. Le rapport de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur le coût de la filière nucléaire et la durée d'exploitation des réacteurs, rendu public la semaine dernière, fait cependant apparaître que l'énergie nucléaire a coûté à la France bien plus que l'on ne le croyait ; chacun peut y réfléchir et relativiser sa place dans notre société. Les parlementaires allemands cherchent également à trouver un consensus sur une loi relative au stockage des déchets, sujet qui nous concerne tous.
Ces stades de progression différents dans la transition énergétique ne constituent pas un obstacle à coopération énergétique entre nos deux pays, bien au contraire. Nous avons intérêt à emprunter, dans ces domaines, une démarche prioritaire. Les commissions sectorielles compétentes en matière énergétique, dans nos deux parlements, échangent d'ailleurs régulièrement sur cette question. Le 28 mai dernier, MM. Joachim Pfeiffer et Wolfgang Tiefensee ont présenté, devant nos collègues de la Commission des affaires économiques, les travaux sur le projet de loi en cours de discussion en Allemagne.
Si la coopération franco-allemande se développe encore, une logique d'entraînement prévaudra. De ce point de vue, le lancement, en février, dans le cadre du triangle de Weimar, d'un travail conjoint sur la politique climatique, est de bon augure pour préparer la XXIe conférence des parties sur le climat, qui se tiendra en 2015 à Paris. Il est essentiel que nous portions ensemble un projet commun pour faire de ce sommet un succès.
L'Europe a toujours fonctionné grâce à de grands projets et la transition énergétique en est un. Elle constitue un jalon dans la transformation économique et écologique de nos sociétés mais aussi dans la construction d'une Europe unifiée et solidaire.
Compte tenu de nos compétences nationales différentes, comment agir ensemble pour faire progresser l'Europe de l'énergie et quelles seront les principales priorités ?
Comment concilier le soutien aux énergies renouvelables et les règles budgétaires européennes, sachant qu'il est souvent reproché à l'Allemagne d'avoir fait repartir à la hausse la production de carbone, à cause de l'ouverture de nouvelles centrales à charbon ?
Enfin, au-delà de l'idée d'« Airbus de l'énergie », quels projets pourrions-nous porter ensemble dans le domaine de l'énergie ?
Je me concentrerai sur une question : qu'entend-on, en France, par « union énergétique », expression peu courante en Allemagne ? Donald Tusk, le premier ministre polonais, envisage lui aussi ce concept, notamment depuis la crise ukrainienne, car l'Ukraine dépend à 100 % du gaz russe. Je crois comprendre que l'idée est de renforcer l'Union européenne en obtenant des avantages tarifaires pour les importations énergétiques, en améliorant les conditions d'approvisionnement en gaz et en exploitant mieux les ressources gazières dont dispose l'Europe notamment grâce à la fracturation hydraulique.
En Allemagne, les autres questions que vous avez abordées ne sont pas envisagées du point de vue de l'Union européenne. En effet, sur le front de la transition énergétique, l'Allemagne a avancé dès 2000, avec le remplacement des énergies fossiles par la biomasse, l'éolien, le solaire, système qui coûte cher aux citoyens.
La réforme de la loi relative aux énergies renouvelables prévoit que leur part augmentera mais qu'elle sera finançable par les consommateurs et par les entreprises. Il faut revoir la compétitivité de ce système car il a déjà couté très cher à nos consommateurs et nous arrivons aux limites de ce qu'ils peuvent accepter. Le débat qui s'amorce en France au sujet de l'augmentation de la part d'énergies renouvelables a déjà bien avancé en Allemagne, avec une part de 25 % dans le mix énergétique. Mais le financement est désormais la question numéro un. En ce qui concerne les possibilités de subventionnement, à l'avenir, nous nous montrerons très prudents : les futures fermes éoliennes ne doivent pas ruiner les consommateurs.
Nous sommes favorables aux propositions de la Commission européenne et même prêts à aller au-delà : elle parle de 27 % d'énergies renouvelables quand nous pouvons tout à fait imaginer aller jusqu'à 30 % ou plus. Mais il faut évidemment prendre en compte la question cruciale de l'efficacité énergétique. Cela dit, l'objectif fixé par la Commission européenne sera évalué dans quelques jours et il apparaîtra qu'il n'a pas été respecté car il était très ambitieux. Et, comme vous le disiez, madame la Présidente, « l'énergie la moins chère est toujours celle qui n'est pas consommée ».
Au Bundestag, nous allons suivre de très près les propositions de Mme Royal car, pour les États dépendant du gaz russe, la transition énergétique est un sujet majeur. L'autre sujet très important pour nous est la compétitivité et la possibilité de faire financer les énergies renouvelables par les consommateurs et les industriels.
La politique de l'énergie est capitale pour l'avenir de nos enfants car elle impactera leur qualité de vie. Il n'existe pourtant pas aujourd'hui de politique européenne en la matière.
Les crises récentes en Ukraine ont montré que le problème central, outre l'aspect financier, est celui de la sécurité d'approvisionnement. Un changement d'approche est d'ailleurs observé, notamment en ce qui concerne l'énergie nucléaire voire le charbon et le gaz de schiste, richesses que nous devons utiliser.
En France se pose principalement la question de l'énergie nucléaire mais aussi celle des grandes routes du gaz, notamment celles traversant l'Europe du Nord.
L'énergie sera l'arme de demain. Nous devons entrer dans la compétition face aux autres gros consommateurs d'Asie et d'Amérique du Sud, d'où la nécessité d'un moteur franco-allemand, qui nécessite de gommer nos différences d'approche.
La question essentielle est l'adhésion des populations à la transition énergétique. Le sentiment dominant, dans la population allemande, est que les lois sur la transition énergétique ont été très coûteuses, notamment pour les particuliers, alors que le secteur privé, a contrario, s'est renforcé. L'Allemagne a décidé d'abandonner l'énergie nucléaire après l'accident nucléaire de Fukushima ; c'est une différence d'approche importante entre nos deux pays.
Le respect des objectifs climatiques constitue également une question importante pour l'Allemagne.
À cela s'ajoute la question des réseaux de distribution et de transport de l'énergie ainsi que la problématique du stockage, qu'il convient d'envisager à l'échelle de l'Union européenne. D'où la question de l'union énergétique. Nous avons déjà une union agricole, une union bancaire. Qu'en est-il d'une future union énergétique ? Et comment renforcer l'efficacité énergétique ? Il convient d'y réfléchir dans le cadre de chaque construction publique. Mais ces réformes sont coûteuses et il est difficile d'y faire adhérer les populations.
Je ne comprends pas vraiment quelle forme pourrait prendre l'« Airbus de l'énergie » mais je ne suis pas experte en la matière. Quoi qu'il en soit, il faut impliquer tous les acteurs dans ce processus.
L'énergie devrait figurer parmi les priorités de l'agenda du couple franco-allemand, en s'inspirant du « transport castors », pour lequel la coopération franco-allemande a bien fonctionné.
Nous sommes confrontés à une triple contrainte.
L'évolution des mix énergétiques est un problème politique. Le projet de loi présenté aujourd'hui en conseil des ministres comprend un objectif de réduction de 50 % de l'énergie nucléaire d'ici à 2025.
La deuxième contrainte concerne le coût de l'énergie. En Allemagne, par exemple, les prix ont crû de manière vertigineuse et cette augmentation est supportée par le consommateur, alors que des prix bas ont été maintenus au profit de l'industrie, à la suite d'un arbitrage politique.
Enfin, le troisième problème concerne la réduction du CO2, pour laquelle une période transitoire devra être consentie si nous réduisons la part de l'énergie nucléaire.
Dans ce contexte d'impératif écologique, de recherche d'efficacité énergétique et de réduction du nucléaire, toute stratégie nationale de mix énergétique ne conduit-elle pas à une impasse ?
Ensuite, s'agissant de la crise ukrainienne ou encore du Nord Stream ou du South Stream, ce n'est pas uniquement la question de la politique énergétique qui est posée mais également celle de la politique étrangère de l'Union européenne. Avant d'envisager un « l'Airbus de l'énergie », il est essentiel de définir une stratégie commune.
Qu'y a-t-il derrière cette idée d'« Airbus de l'énergie » ? La France et l'Allemagne, ces dernières années, ont effectivement opté pour des choix très différents en matière énergétique. Le ministre Sigmar Gabriel a déclaré que les expériences allemandes avaient coûté une fortune : il faut tirer une leçon de l'expérience allemande, particulièrement de l'abandon du nucléaire, choix émotionnel émanant du peuple, qui nécessite un remplacement par le charbon, avec des conséquences en termes de production de CO2.
Ne vaut-il pas mieux agir progressivement, notamment par le biais d'une Agence européenne de l'énergie, afin de ne pas aller négocier en ordre dispersé avec la Russie pour assurer notre approvisionnement en gaz et en pétrole ? Nous faisons le jeu du Président Poutine, qui utilise l'approvisionnement en énergie comme une arme économique.
Au terme de ce débat, il faudra produire une synthèse. Le renforcement de la coopération énergétique et climatique avec notre partenaire le plus proche est souhaitable au plus haut point et nous attendons avec impatience les suites qui seront données au projet de loi de Mme Royal.
À ce stade, nous ignorons ce que recouvre concrètement l'expression « Airbus de l'énergie » ; il importe que nous en discutions entre Français et Allemands, après quoi il faudra se mettre d'accord au plan européen.
À l'automne prochain, il sera question de climat et de réduction des émissions de CO2. Comment l'Union européenne s'y prendra-t-elle ? À quoi le mix énergétique doit-il ressembler dans chaque État membre ? Du côté allemand – et nous ne sommes pas les seuls –, nous souhaitons aller au-delà des propositions de la Commission européenne. Nous devons toutefois faire preuve de compréhension vis-à-vis de certains de nos partenaires, comme ceux d'Europe de l'Est, animés par d'autres priorités, à commencer par celle de la sécurité d'approvisionnement, ou encore ceux qui entament seulement leur transition énergétique. Il faudra trouver une harmonie entre toutes ces données, toutes ces réalités différentes, pour bâtir une politique énergétique européenne tenant compte des spécificités, des priorités et des traditions nationales.
Il me semble que nous partageons tous la volonté de faire progresser la coopération énergétique et que des groupes de travail pourront être mis sur pied. Nous pourrions aussi prévoir d'approfondir la question du changement climatique à l'automne prochain, peut-être en travaillant aussi avec nos collègues polonais.
L'enjeu essentiel du financement de la transition énergétique a été fortement souligné du côté allemand.
S'attaquer à la question de la réduction de la part du charbon dans le mix énergétique – ou tout du moins de sa stabilité – peut être considéré comme une première étape, avant de parler d'un « Airbus de l'énergie », observatoire commun, véritable agence franco-allemande de l'énergie.
L'énergie à partir de la biomasse et de l'agriculture ne doit pas être négligée. En Allemagne, les produits de l'agriculture destinés à la production d'énergie et entrent en compétition avec la destination alimentaire, ce qui provoque une sorte de distorsion de concurrence. La question de la politique agricole commune pourrait aussi être abordée mais je ne développerai pas.
La question des 3 % est essentielle : le message que les électeurs européens nous ont transmis est qu'ils ne veulent plus de cette politique d'austérité en vigueur depuis tant d'années, qu'il faut redonner une deuxième jambe à l'Union européenne, celle de la croissance, à côté de celle de la rigueur budgétaire.
Des commentaires ont été entendus, en France comme en Italie et en Allemagne, de la part de Matteo Renzi, de Sigmar Gabriel et de Michael Roth, appelant à ce que soit extraites du calcul des 3 % les dépenses publiques d'avenir, afin de faire repartir la croissance. Les Italiens proposent ainsi de cofinancer les fonds structurels de cohésion. Nous devons prendre collectivement nos responsabilités et ne pas baliser ces propos en restant bloqués sur ces 3 %.
J'espère que la CDU et la chancelière allemande changeront d'attitude, puis que le Conseil européen et le Parlement européen reprendront ces réflexions pour revisiter la rigueur budgétaire.
Les réformes engagées en France en faveur de la croissance, comme cette piste d'union énergétique européenne, passent par des dépenses d'investissement, qui entrent aujourd'hui dans le calcul des 3 %.
Pourquoi le pacte de stabilité a-t-il été adopté à l'époque ? Il faut le rappeler régulièrement. Pourquoi 60 % ? Pourquoi 3 % ? Ces taux n'ont pas été choisis au hasard. Le taux de 60 % a été fixé parce que c'était la moyenne d'endettement des États membres de l'Union Européenne, dans le dessein commun d'obtenir une monnaie stable ; en pratique, c'est une sorte de règle d'or. Quant au taux de 3 %, il correspondait aussi à une moyenne, calculée à une époque où prévalait encore la croissance économique : l'idée était de ne s'endetter que jusqu'à un certain niveau, ne mettant pas en danger la croissance économique.
Votre proposition enclencherait une spirale d'endettement à l'échelle de l'Union européenne. Les fonds structurels bénéficient à tous les États membres pour compenser leurs faiblesses économiques et combler les écarts existant encore, particulièrement au détriment des pays de l'Est et du Sud-Est. Et le taux de cofinancement a été assoupli : pour la Grèce, il atteint à peu près 5 %. Cet argent, perçu comme de l'aide directe, est évidemment accordé en contrepartie de la réalisation de réformes structurelles visant à sortir de la crise. Imaginez, sans cette solidarité, ou en serait aujourd'hui la Grèce ! Aucun pays de l'Union européenne, aucun pays de l'union monétaire n'a été laissé sur le bord de la route par ses partenaires ; c'était un moyen de renforcer la confiance dans l'Union européenne et d'attirer des investissements extra-européens.
La France a une position bien particulière, incomparable avec celle de la Grèce ou du Portugal, et nous devons être francs entre nous : elle souffre d' un déficit de réformes structurelles. Cette contrepartie n'a pas été décidée par l'Allemagne mais par l'Union européenne et elle s'impose à tous les pays.
On parlait autrefois de l'Allemagne comme de « l'homme malade de l'Europe ». C'est maintenant le tour d'autres pays. Les pays baltes, par exemple, dont la presse ne parle pas souvent, ont conduit des réformes douloureuses mais nécessaires, quand la Grèce laissait la maison brûler. Il serait injuste d'accorder maintenant à certains États membres des aides ou des souplesses, sous prétexte de compréhension – ce dont bénéficie déjà la France avec deux années de délai supplémentaires.
Je connais la situation française, je sais que Manuel Valls souhaite mettre en place des réformes. Et je me souviens combien la résistance fut forte, en Allemagne, après l'annonce de l'agenda de 2010. Mais l'opposition a apporté son aide au chancelier Schröder et la même chose est imaginable pour la France aujourd'hui. J'estime que c'est la seule solution.
La formule interparlementaire me semble adaptée pour aborder des questions très politiques comme celle des élections européennes mais aussi celles relatives aux données personnelles et aux libertés individuelles, sur lesquelles vous êtes très sensibilisés.
La problématique des libertés individuelles a changé avec l'essor des nouvelles technologies de communication : la protection des données personnelles n'est plus uniquement une question de liberté ; elle revêt désormais aussi une dimension économique, avec la constitution de monopoles et de situations de rente, parfois à l'insu des utilisateurs. La question des données personnelles est au coeur d'une réflexion d'ordre juridique mais aussi social et économique.
Premièrement, il est nécessaire de revoir le cadre juridique. Les données personnelles sont en effet toujours régies par la directive du 24 octobre 1995, alors que, depuis lors, les outils de communication ont connu un grand progrès technologique et que leur usage s'est généralisé – je citerai l'émergence des réseaux sociaux ou les outils de géolocalisation. Une enquête internationale publiée il y a quelques jours indique que 75 % des usagers sont méfiants vis-à-vis de la capacité des entreprises et des gouvernements à protéger leurs données personnelles et, par conséquent, leur vie privée.
Afin d'adapter la législation européenne aux nouveaux enjeux, la Commission européenne a présenté, le 25 janvier 2012, deux textes législatifs de natures distinctes : une proposition de règlement général relatif à la protection des données personnelles ; une proposition de directive portant plus spécifiquement sur la protection des données policières et judiciaires. Alors que l'objectif initial était l'obtention d'un accord entre le Parlement européen et le Conseil en 2015, ces deux textes sont en cours d'examen par le Conseil, où les discussions semblent bloquées.
La Commission européenne propose de renforcer les droits des citoyens afférents à leurs données personnelles tout en les conciliant avec les enjeux économiques de l'ère numérique. Elle prévoit également de conférer de nouveaux droits aux citoyens, surtout le droit à l'oubli numérique et le droit à la portabilité des données.
Ce droit européen relatif à la protection des données personnelles s'appliquerait aux responsables du traitement de données domiciliés dans l'Union européenne comme en dehors.
Deuxièmement, il convient de mettre en place un système européen de protection des données respectueux des valeurs que nous partageons et susceptible de servir de cadre de référence. Il est essentiel que nos deux assemblées et tous les autres parlements nationaux des États membres souscrivent à l'affirmation d'un droit cohérent, conciliant protection et responsabilité ; c'est par ce biais que nous pourrions établir un cadre de référence exemplaire et généralisable, dont d'autres pays pourraient s'inspirer.
Je salue, sans entrer dans les détails, les deux arrêts récents de la Cour de justice de l'Union européenne dans ce domaine, qui constituent une avancée significative voire un tournant. Certaines dispositions invalidées par la Cour étaient justement très critiquées car jugées inutiles. La Cour a notamment considéré que certaines données ne sauraient être conservées indéfiniment.
Mais une décision de ce type incombe au législateur. Je regrette que le pouvoir politique, que nous incarnons dans nos pays respectifs, n'ait pas été en mesure d'influer sur les normes de droit et de donner l'exemple en matière de renforcement de la protection des données personnelles. Les parlements nationaux doivent avancer dans ce domaine ; il s'agit d'une question politique, qui doit être réglée à un haut niveau politique.
Enfin, le conseil Justice et affaires intérieures est parvenu à s'entendre, le 6 juin dernier, sur une orientation générale en ce qui concerne le chapitre de la proposition de règlement consacré au transfert des données vers les États tiers et les organisations internationales. L'accord, quoique partiel – le Royaume-Uni s'étant finalement opposé à un compromis général –, représente une avancée. Plus précisément, l'article 43 bis autorise le transfert des données personnelles vers les États tiers, sous réserve de l'accord explicite des commissions nationales ou des contrôleurs nationaux compétents. Cette exigence d'autorisation préalable répond aux préoccupations de nos concitoyens à la suite des révélations sur l'existence de dispositifs de surveillance des échanges personnels entre citoyens et entre responsables politiques, notamment dans le cadre de l'affaire Snowden. Nos deux assemblées seraient bien avisées de poursuivre ce combat pour la protection des données personnelles.
Il convient par ailleurs de porter une attention particulière au système de gouvernance.
Sur ces deux derniers points, me semble-t-il, nos deux commissions pourraient travailler ensemble, à travers une initiative commune soumise aux autres parlements nationaux de l'Union européenne ; la position commune qui en ressortirait serait ensuite envoyée à la Commission européenne.
Même s'il n'est pas inscrit à l'ordre du jour de la réunion de ce matin, j'ajoute que le sujet du parquet européen exige aussi une coopération entre la France et l'Allemagne.
Je précise que je représente le groupe Die Linke.
Ce paquet en cours de discussion, adopté par une majorité très importante au Parlement européen, me semble primordial. Après une discussion de plusieurs années et près de 3 000 amendements déposés, plus de 95 % des députés ont voté « pour ». Il est maintenant examiné par le Conseil, avec un risque de blocage ou de report, ce qui serait très négatif. La réglementation actuelle date de 1995 – il y a vingt ans –, alors que les choses ont avancé très vite dans ce domaine.
Le paquet comprend deux grands volets : une proposition de règlement visant à protéger les personnes lors du traitement et de la circulation des données, dont les dispositions seront applicables automatiquement dans tout le marché intérieur ; une proposition de directive concernant les données détenues par la police et les tribunaux. Même s'il aurait été possible d'aller plus loin sur certains d'entre eux, j'ai une opinion positive sur tous les points traités par ces textes.
J'ai porté une attention particulière au deuxième volet et je suis très satisfait de l'interdiction faite aux États membres de prélever des informations concernant la religion, la race ou les opinions politiques.
Quant aux restrictions prévues en ce qui concerne la transmission des données personnelles à des pays tiers, c'est un grand sujet de discorde au sein du Conseil. Trop d'exceptions ont été prévues mais je souhaite vivement qu'une solution soit trouvée. Les médias incriminent à juste titre l'obstruction du Royaume-Uni, ce qui est compréhensible, mais certains membres du Gouvernement allemand – notamment le ministre de l'intérieur – freinent également. L'accord partiel obtenu au Conseil la semaine dernière reste insuffisant ; les négociations doivent se poursuivre.
Le titre des propositions législatives est un peu ambigu car il évoque sur le même plan la « protection des données » et leur « libre circulation », alors que l'accent devrait être mis sur la première notion ; l'économie des données personnelles ne doit pas s'imposer comme un principe directeur. L'essentiel est de parvenir à un niveau minimum d'harmonisation de la protection de ces données, en accordant aux États membres la possibilité d'exceptions mieux-disantes. Et le droit d'information des personnes concernées doit être préservé gratuitement.
Au sujet de l'énergie, un travail de rapprochement entre pays européens reste à accomplir.
S'agissant de la protection des données personnelles, les valeurs européennes nous distinguent notamment des Américains et c'est un sujet pour lequel nous devons nous battre en adoptant des positions communes extrêmement fortes – d'autant que, hormis peut-être les Britanniques, qui ont une position marginale, ce sujet rassemble tous les Européens. Il faut donc avancer sur cette question et adopter le paquet législatif.
Il est compréhensible que les Américains aient été traumatisés par les événements du 11 septembre 2001 – nous avons connu ce sentiment avant eux, même si l'ampleur des bouleversements étaient bien moindre. Mais ne nous laissons pas aller, au nom de la lutte contre l'extrémisme musulman, à perdre nos valeurs ! La devise de la France contient le mot « liberté », qui tient également une place importante dans la Convention européenne des droits de l'homme.
Sur ce sujet, une coopération franco-allemande plus intense, susceptible d'être étendue à l'ensemble des pays européens, est nécessaire. Je suggère la création d'un tandem entre Marietta Karamanli et un député allemand afin de conduire un travail continu. Et voilà un sujet sur lequel une conférence des parlements nationaux européens pourrait prendre des décisions utiles.
La protection des données personnelles n'est pas seulement une question de valeurs – je pense au demeurant qu'il n'existe pas de différence substantielle entre la valeur accordée à la liberté individuelle en Europe et aux États-Unis, qu'elle n'est pas plus forte chez nous. Le problème résulte plutôt du fait que les grands acteurs économiques d'Internet sont américains, à l'instar du concept d'Internet lui-même ; il en résulte une tentation, pour les États-Unis, d'utiliser cet outil puissant à leur profit.
La protection des données personnelles ne doit pas être pensée uniquement à l'aune du principe de liberté ; il convient aussi de s'interroger sur la souveraineté des États et les rapports qu'ils entretiennent entre eux.
Lorsque j'étais députée européenne, j'avais remarqué que les députés allemands étaient très informés sur la question de la protection des données personnelles ; ils se tenaient notamment en alerte dans le cadre des discussions sur la ratification de l'accord commercial anti-contrefaçon, l'Anti-Counterfeiting Trade Agreement (ACTA), mis au tapis par la Commission européenne malgré les enjeux essentiels qu'il sous-tendait. Aussi, lorsque l'affaire Snowden est survenue, l'opinion publique était beaucoup plus sensibilisée en Allemagne qu'en France.
Quoi qu'il en soit, dans le cadre des négociations transatlantiques, la protection des données personnelles est l'un des sujets de divergence entre Américains et Européens.
À propos de l'Ukraine, je suggère que nous concevions une réponse européenne, incluant des pays extérieurs au triangle de Weimar, lequel a déjà pris des initiatives. Je pense notamment à l'Italie, qui prendra à la présidence du Conseil à compter du 1er juillet. Nous pourrions également associer l'Espagne à cette action commune.
Une délégation de la Commission des affaires de l'Union européenne du Bundestag s'est rendue à Kiev et à Donetsk il y a quelques semaines. Je salue le fait que vous ayez vous aussi pris l'initiative d'organiser une mission en Ukraine début juillet car il est important de manifester, par notre présence, l'intérêt que portent à ce pays les parlementaires de l'Union européenne.
Se rendre en Ukraine pour initier des échanges avec toutes les parties concernées est en effet une excellente initiative. Lors de notre mission, nous avons pu constater combien la situation restait délicate. Le moment est crucial. Les élections présidentielles du 25 mai sont derrière nous, leur résultat est incontestable et n'a pas d'ailleurs été contesté par les candidats perdants ; une certaine stabilisation prévaut donc aujourd'hui à Kiev, même si la situation est proche de la guerre dans certaines régions orientales de l'Ukraine.
Je tiens néanmoins à nuancer cette dernière remarque car il ne s'agit pas d'une guerre civile mais d'une situation entretenue par le contexte international, autrement dit l'incursion de troupes et d'armes depuis l'autre côté de la frontière. Cela a amené M. Porochenko à annoncer que les frontières devraient être mises sous contrôle ces jours-ci afin d'interrompre les livraisons d'armes ; j'espère que cela pourra fonctionner, en dépit de la pression soutenue imprimée sur Kiev.
La semaine dernière, un attentat a provoqué vingt-neuf morts. Des missiles sol-air Man Portable Air-Defense System (MANPADS) ont été introduits dans le pays. Toutes les parties engagées dans ce conflit témoignent aussi du transfert de troupes depuis le Caucase russe. Il nous a également été confirmé que des colonnes de poids lourds ou de blindés arrivaient de Russie. Je suppose que l'objectif de ces manoeuvres est de nuire à la crédibilité du nouveau Président en aggravant la situation à Donetsk. Cette escalade des armements a aussi pour but de pousser les autorités à réagir et risque d'aggraver la violence, avec notamment les combats de rue.
Dans ce contexte, nous devons mener trois actions. Tout d'abord, il convient d'exercer une influence plus importante sur la Russie en renforçant les menaces de sanctions. La Russie a déjà reconnu l'élection de M. Porochenko, l'entretien téléphonique qu'il a eu avec M. Poutine l'illustre ; sous la menace de sanctions vis-à-vis de la Russie, nous pourrions influer encore sur la position de ce dernier vis-à-vis de Kiev. Ensuite, il faut renforcer la légitimité des autorités de Kiev, par exemple en y organisant des missions. Enfin, il faut les encourager à entreprendre une politique de décentralisation et organiser de nouvelles élections.
Il est crucial que l'Union européenne reste unie. Si M. Poutine arrivait à diviser les vingt-huit États membres, les conséquences seraient désastreuses.
Nous avons effectivement aussi décidé de nous rendre en Ukraine, début juillet, pour rencontrer des parlementaires et des représentants de la société civile, avec en tête de leur tenir un langage difficile : soutenir la démocratie ukrainienne qui se développe sans mettre de côté la Russie. À quelques jours de la signature de l'accord d'association entre l'Union européenne et l'Ukraine, il faut rappeler que celui-ci ne vaut pas intégration.
Un sondage récent fait apparaître que, pour nos concitoyens, le partenaire européen privilégié de la France est l'Allemagne, largement devant le Royaume-Uni. Il faut effectivement que nous pesions ensemble pour renforcer la présence de l'Union européenne en Ukraine.
Cela amène à réfléchir à la politique européenne de sécurité et de défense (PESD). Le dernier Conseil européen a soutenu l'idée d'une PESD crédible et efficace, en demandant aux États membres d'améliorer leur capacité à mener des missions et des opérations extérieures. Les évènements récents en Crimée soulèvent la question de la défense de l'Europe, alors que les États-Unis se tournent dorénavant vers le Sud-Est asiatique. Une véritable PESD donnerait du sens à l'Union européenne.
Il faut imaginer Ukraine comme une passerelle entre l'Union européenne et la Russie. Depuis que l'accord d'association a été paraphé, l'Ukraine est déchirée par l'alternative entre l'Union ou la Russie à laquelle elle est soumise. La situation est tragique, au point que, dans certaines villes, l'approvisionnement en eau n'est plus assuré correctement.
Le massacre de la maison des syndicats d'Odessa, le 2 mai, a été vécu comme un choc. Il est essentiel de soulever la chape de plomb qui repose sur ces évènements, afin d'élucider ce qui s'est réellement passé.
Je sors d'une réunion à l'ambassade du Danemark, à laquelle étaient présents plusieurs ambassadeurs des pays du Nord-Est de l'Europe, comme ceux de la Lituanie ou de l'Estonie, extrêmement sévères vis-à-vis de la Russie. Nous prétendons être très fermes vis-à-vis de cette dernière alors que, pour le moment, les sanctions européennes se résument à des mesures contre une cinquantaine de personnes – les sanctions américaines ne sont du reste pas plus sévères puisqu'elles n'en frappent que trente-huit.
Le problème est que la plupart des pays privilégient leurs relations économiques avec la Russie, au détriment des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Et la question des relations avec la Russie est liée à celle du partenariat oriental.
Pour que l'Union européenne pèse, il faut que ses États membres agissent de concert et non en ordre dispersé. Cela suppose la constitution d'une vraie délégation parlementaire européenne. Les Russes continuent manifestement à fournir des armes à leurs partisans et les Américains en font de même avec les anti-Russes. Le problème est que les Russes ne prennent pas l'Union européenne au sérieux, qu'ils sont persuadés que nous ne bougerons pas. Lors d'un colloque, l'ambassadeur d'Ukraine à Paris a déclaré que « l'Union européenne manie des sanctions comme un enfant manie une pelle dans un bac à sable ». Nous manquons de crédibilité car notre parole est faible et les Russes considèrent que leurs vrais adversaires sont les États-Unis.
Nous devons nous exprimer avec clarté, ne pas faire de la Russie notre ennemi mais au contraire envisager l'Ukraine comme une passerelle entre l'Europe et la Russie. Les relations commerciales de l'Ukraine avec la Russie lui sont vitales mais ce n'est pas le seul élément en ligne de compte. L'Ukraine ne doit pas être l'enjeu de négociations entre la Russie et l'Union européenne. Je ne suis pas d'accord avec l'idée selon laquelle l'Ukraine devrait choisir entre deux alternatives, l'Est ou l'Ouest ; je rappelle qu'elle a été partie prenante dans les négociations de l'accord d'association.
Si des armes lourdes et des avions militaires sont employés à l'Est de l'Ukraine, c'est généralement par les séparatistes, qui disposent également d'experts capables de s'en servir. Il n'a malheureusement pas été possible de fermer les frontières pour éviter ce genre de « tourisme ». Il a été dit dans Russia Today, ces dernières semaines, que des camps de concentration avaient été ouverts en Ukraine, mais il ne faut pas croire tout ce que l'on raconte !
Il est évidemment primordial d'obtenir une pacification rapide de la situation à l'Est de l'Ukraine mais il faudra aussi mettre fin à l'incroyable corruption qui existe dans le pays, sans quoi il n'aura aucune chance de s'en sortir.
L'Europe a commis beaucoup d'erreurs, notamment en portant rapidement à vingt-huit le nombre de ses États membres, ce qui a provoqué un réflexe de peur. Auteur d'un livre intitulé L'Europe se lève à l'Est, j'ai vraiment été partisan de l'adhésion des pays de l'Est. Après des décennies passées sous la coupe soviétique, il est compréhensible qu'ils aient des réflexes de peur, mais cela a conduit à un raidissement de la position européenne vis-à-vis de la Russie.
Il faut évidemment défendre l'Ukraine mais en gardant à l'esprit que son sort dépend aussi du dialogue entre la Russie et l'Europe. Le président Poutine profite de l'absence de puissance européenne. Il faut rattraper le temps perdu avec la Russie. Quand Gorbatchev a décidé de dissoudre l'URSS, il comptait sur l'Occident pour aider la Russie à s'en sortir économiquement mais force est de reconnaitre que cela n'a pas été fait. Pour son troisième mandat, Poutine a l'ambition de rehausser la fierté russe, au travers des affrontements en Ukraine, des menaces sur le gaz, etc. Faute de réussite économique et sociale interne, il cherche à gagner une popularité à partir de ces bras-de-fer.
Dans l'immédiat, un équilibre doit être trouvé dans les relations entre la Russie et l'Ukraine, ce qui passe par l'évolution de la démocratie et l'éradication de la corruption.
Tout cela est très délicat car la paix est toujours un état extrêmement fragile. Il faudra par conséquent continuer de porter une grande attention à cette région.
La crise ukrainienne est révélatrice de l'impuissance européenne, clairement perçue par nos concitoyens et qui explique aussi les résultats aux élections européennes. L'incapacité de l'Europe à s'entendre et à agir, face à une crise aussi importante à ses portes, est révélatrice de son impuissance. Et les sanctions prises n'ont pas eu l'impact escompté sur les actions du Président Poutine.
La vision allemande de l'action militaire a évolué ; il y est maintenant admis de prendre les armes pour défendre des vies humaines. Compte tenu de notre histoire, nous en sommes encore au stade des débats mais nous envisageons de nous impliquer davantage à l'avenir. Dans ce domaine, nous considérons que la coopération avec le Royaume-Uni est essentielle et nous comptons évidemment aussi sur la France. L'Union européenne souhaite avancer en la matière ; nous devons veiller à ce que le potentiel mis en place par Mme Ashton soit renforcé par le prochain collège de la Commission européenne.
Et n'oublions pas que des pays voisins de l'Ukraine – comme la Moldavie, à sa frontière est, avec la Transnistrie – connaissent des crises analogues. Nous devons aussi réfléchir à la bonne façon d'y répondre.
La séance est levée à 12 h 45