La séance est ouverte.
La séance est ouverte à vingt et une heures trente.
L’ordre du jour appelle les questions sur la politique agricole du Gouvernement.
Je vous rappelle que la Conférence des présidents a fixé à deux minutes la durée maximale de chaque question et de chaque réponse.
Nous commençons par des questions du groupe Les Républicains.
La parole est à M. Guénhaël Huet.
J’associe à ma question mon collègue Guillaume Chevrollier, député de la Mayenne.
Monsieur le ministre de l’agriculture, depuis plusieurs mois, les agriculteurs manifestent leur colère et leur désespoir et la représentation nationale vous interpelle sur la crise profonde que traverse l’agriculture. Trop souvent, vous en rejetez l’entière responsabilité sur l’Europe.
Oui, l’agriculture européenne est en difficulté et le secteur agricole est l’un des plus directement réglementés par l’Union européenne, mais il est indéniable que la crise de l’agriculture française est plus profonde et plus grave que celles que traversent nos voisins. En effet, les distorsions de concurrence entre la France et nos partenaires européens sont dues notamment à la surtransposition des normes européennes, qui pénalise lourdement notre agriculture. J’en donnerai trois exemples.
Le premier est très éloquent : les installations susceptibles de provoquer des risques ou des dangers pour la santé, la sécurité et la salubrité sont soumises à une réglementation particulière : les normes applicables aux installations classées pour la protection de l’environnement – ICPE. Pour la filière porcine, alors que le seuil d’autorisation ICPE est fixé en Europe à 2 000 porcs, il est de 449 porcs en France, ce qui pénalise lourdement cette filière, dont la production, qui était d’un niveau égal à celle de l’Allemagne et de l’Espagne en 1990, est aujourd’hui deux fois moindre. Vous avez pris conscience de cette distorsion, mais votre seule réaction a été d’instaurer une procédure intermédiaire pour les élevages compris entre 449 et 2 000 porcs.
Le second exemple est celui de la directive européenne « Nitrates » de 1991, transposée en droit interne en 2011 par un arrêté qui s’en tenait presque exclusivement au texte original de la directive. C’était sans compter sur un nouvel arrêté : celui du 23 octobre 2013, que vous avez signé et qui contraint aujourd’hui de nombreux éleveurs à procéder à une coûteuse mise aux normes de leurs bâtiments.
Le troisième exemple, rapporté par le journal Le Monde le 19 mars dernier, est celui d’un éleveur de volailles qui s’est vu refuser une autorisation au motif de l’« absence de support mural ou de tout autre moyen adapté pour l’accrochage de la pelle servant pour le ramassage des plumes ».
Monsieur le ministre, les agriculteurs attendent désormais que vos déclarations soient suivies d’effets et de faits. Quand entreprendrez-vous une réduction drastique des normes qui pèsent sur leur activité, afin que les agriculteurs français puissent être à armes égales avec leurs concurrents européens ? Quand donnerez-vous des instructions précises à certains fonctionnaires trop zélés qui manifestent une vocation de fossoyeurs de notre agriculture ?
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
La parole est à M. le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement.
Monsieur le député, pour ce qui est de votre première remarque, j’observe que, s’il s’agit d’une crise de l’agriculture française, il s’agit aussi d’une crise à l’échelle européenne. J’en prendrai un seul exemple : en Finlande, plus de 5 000 agriculteurs manifestent avec 500 tracteurs – c’est là peut-être la première manifestation dans toute l’histoire de la Finlande ! En Grande-Bretagne, des agriculteurs ont manifesté voilà quinze jours et je n’ai pas l’impression, à l’entendre, que la ministre britannique ait perçu la difficulté. Il s’agit donc d’une crise européenne.
Je rappelle aussi qu’alors que la masse de poudre de lait stockée en intervention à l’échelle européenne représentait 40 000 tonnes l’an dernier, elle a déjà dépassé 52 000 tonnes depuis le début de 2016, en deux mois et demi. La question se pose donc bien à l’échelle européenne – mais on peut, certes, occulter cette réalité.
Je n’ai pas attaqué l’Europe, mais j’ai dit que chaque pays ne pouvait pas continuer, dans son couloir, à augmenter sa production sans tenir compte du fait qu’il y a surproduction à l’échelle européenne et mondiale. Voilà la question – et je ne rouvrirai pas le débat sur la suppression des quotas laitiers : je vous le laisse.
Quant à votre deuxième question, relative aux normes, je connais par coeur ce discours, mais permettez-moi au moins de préciser certains points.
Lorsque je suis arrivé au ministère de l’agriculture, la procédure des ICPE, que vous aviez vous-même décidée et que M. Le Fur avait tenté de modifier par un amendement devenu célèbre, rejeté par votre majorité, j’ai mis en place, pour les installations comptant entre 449 et 2 000 porcs, une procédure d’enregistrement qui permet au préfet de décider plus facilement, sans enquête publique, si les règles sont respectées et de procéder à l’investissement et à la mise en place du projet.
Monsieur le député, vous êtes élu de Mayenne, mais en Bretagne, où cette mesure a été appliquée, elle ne souffre aujourd’hui aucune discussion ni contestation. Si vous voulez la remettre en cause, je vous en laisse la responsabilité.
Pour ce qui est des nitrates et de l’arrêté de 2011, vous oubliez de dire – ce qui est normal, car vous faites de la politique – que, lorsque j’ai pris mes fonctions, une procédure de contentieux était en cours avec l’Europe, qui reprochait à la France de ne pas respecter la directive et les engagements qu’elle avait pris. L’arrêté que vous aviez pris en 2011 n’était donc pas conforme à la réglementation européenne – ce n’est pas moi qui le dis. J’ai donc été obligé de changer les règles, afin qu’on reconnaisse par exemple, à l’échelle européenne, qu’en France, le stockage du fumier pailleux peut se faire en plein champ sans aucun investissement.
Quant à savoir comment accrocher une pelle au mur dans un élevage de volailles, je serais prêt à répondre à cette question si elle était au coeur de notre débat, mais je ne crois pas que ce soit le cas aujourd’hui.
Monsieur le ministre, comme vous avez commencé à le faire – malheureusement un peu tard –, c’est auprès de la Commission européenne qu’il faut réclamer notamment la généralisation de l’étiquetage de l’origine des viandes. Se posent cependant aussi de vrais problèmes au niveau national, notamment pour ce qui concerne les aides versées aux agriculteurs, sur lesquelles vous insistez souvent – je pense bien sûr aux aides européennes de la politique agricole commune – PAC.
Je n’en citerai qu’un exemple : l’aide aux bâtiments d’élevage, versée principalement par l’Agence de services et de paiement – ASP –, établissement public créé en 2009 et ayant pour mission principale la gestion administrative et financière des aides publiques. Les représentants des professions agricoles de Haute-Savoie et de Savoie m’ont en effet alerté sur les délais de versement de ces aides : aussi peu croyable que ce soit, il faut parfois jusqu’à un an et demi aux agriculteurs pour toucher les montants promis ! Inutile de préciser que de tels décalages peuvent mettre en danger leur trésorerie. À ces retards, s’ajoutent souvent une charge administrative importante et beaucoup de paperasse, en plus des autres démarches qu’ils doivent effectuer au quotidien dans leur métier. En un mot, l’outil de paiement qu’est l’ASP n’est visiblement pas opérationnel.
Il n’est point besoin ici d’agir sur le plan législatif ; vous rejetez d’ailleurs en bloc les propositions quand elles viennent des députés de l’opposition, comme, début février, notre proposition de loi sur la compétitive de l’agriculture. Restaurer l’efficacité et la rapidité du versement des aides ne dépend que de vous monsieur le ministre. Or, sauf erreur de ma part, vous n’avez jamais évoqué ce problème publiquement. Peut-être faudrait-il pourtant, avant d’injecter des millions, vérifier que les aides promises sont bien versées dans des délais raisonnables.
Que comptez-vous faire pour rendre cet outil de paiement réellement opérationnel et pour réduire drastiquement ces délais ?
L’étiquetage donnera sans doute lieu à des questions et j’y reviendrai.
Pour ce qui est des aides, un retard a en effet été pris, et je l’assume. Il est lié en particulier à l’apurement auquel nous avons dû procéder avec l’Europe pour des aides versées au cours des années précédentes et qui nous a contraints, dans la négociation que nous avons eue avec la Commission européenne, à revoir le parcellaire graphique et à refaire les photos de toutes les parcelles de France et de Navarre. Cette opération a pris du temps et nous avons donc mis en place les apports de trésorerie remboursables– ATR – pour l’année 2015, afin de pouvoir, quoi qu’il arrive, procéder à des avances à hauteur de 90 % des aides touchées précédemment, mettre en oeuvre les aides qui seront versées en 2016 et régulariser les aides de 2015 justifiées par les parcellaires graphiques.
Le retard pris globalement avec la révision du parcellaire a également une incidence sur les aides du deuxième pilier, en particulier sur les plans de compétitivité et d’adaptation des exploitations agricoles – PCAE. Pour le ministre, l’enjeu est donc d’aboutir au versement des aides du premier pilier et de permettre aux régions d’avoir des ATR, que l’État avancera afin de leur permettre de verser les aides deuxième pilier, qu’il s’agisse des mesures agro-environnementales – MAE –, de l’aide à l’agriculture biologique ou de l’assurance récolte, enjeu très important.
Pour ce qui concerne les PCAE, à propos desquelles j’ai rencontré et rencontrerai à nouveau le président Richert, nous sommes confrontés en effet à un vrai problème pour régler ce qui avait été prévu dans le premier pilier et qui avait été ponctionné au profit du deuxième pilier, afin de financer les investissements. Vous avez également très bien décrit le fait qu’en 2009, l’ASP a été désigné comme le payeur. Nous avons notamment dû simplifier toutes les déclarations à cause des surfaces non-agricoles, mais nous devons aujourd’hui, sous la pression du retard que nous avons pris, traiter en priorité le premier pilier.
Je n’ai pas oublié pour autant les engagements pris par les régions, et donc par l’État, pour le second pilier, en particulier pour les PCAE, destinés à subventionner et à aider l’investissement pour l’élevage. Cette action fait partie des deux questions majeures que le ministère et l’ASP ont actuellement à traiter.
Monsieur le ministre, je souhaite appeler votre attention sur l’immense inquiétude que suscite chez nos producteurs de cerises la récente décision de l’Agence nationale de sécurité sanitaire – ANSES – de ne pas renouveler, pour 2016, l’autorisation d’utilisation du diméthoate, produit phytosanitaire permettant de protéger les cerisiers d’un moucheron particulièrement virulent, la drosophilia suzukii, qui a pour particularité de pondre dans les fruits charnus, comme la cerise, dont sa larve se nourrit, causant des pertes de production considérables pour les arboriculteurs.
Cette décision, très lourde de conséquences pour toute la filière, est d’autant plus difficile à accepter par nos professionnels qu’elle n’est pas appliquée par nos voisins européens. L’été prochain, alors que la production hexagonale sera très largement ravagée par ce moucheron, la France importera des cerises venues d’Espagne, d’Italie ou de Turquie, pays où le diméthoate est utilisé dans des conditions bien moins strictes que celles constatées en France ces dernières années. Cette interdiction franco-française amplifiera une concurrence déjà très forte, qui se manifeste par une hausse de 51 % des importations en six ans. Je rappelle que cette filière emploie près de 20 000 personnes en France et produit annuellement 50 000 tonnes de produits de grande qualité – qualité dont je peux personnellement témoigner, notamment pour la Sublim’de Bessenay, produite dans la circonscription dont je suis élu.
Monsieur le ministre, si la décision de l’ANSES doit se confirmer, l’État doit, dès les prochaines semaines, mettre en place un plan d’indemnisation.
Dans le même temps, puisque le diméthoate est considéré comme toxique, le Gouvernement doit s’engager à interdire l’importation de cerises ou de fruits traités avec ce produit, qu’ils proviennent d’Europe ou de Turquie.
Il doit également être aux côtés des producteurs dans la recherche de solutions alternatives. Un plan d’aide à la protection des vergers au moyen de filets anti-insectes, solution non-toxique efficace, mais nécessitant d’importants investissements, pourrait par exemple être mis en place, mais un tel plan ne pourrait être effectif cette année. Je vous demande donc d’intervenir pour que l’autorisation du diméthoate soit prolongée tant que des solutions viables n’auront pas été trouvées.
Devant l’extrême urgence de ce dossier, quelle stratégie le Gouvernement compte-t-il adopter dans les jours à venir – car je sais que la décision sera rapide – pour répondre à l’inquiétude de nos agriculteurs ?
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
Monsieur le député, avant que nous ne décidions collectivement, dans la loi d’avenir pour l’agriculture, de confier à l’ANSES les autorisations de mise sur le marché des produits utilisés, j’avais demandé une diminution de l’utilisation du diméthoate avec une réduction des pulvérisations avant la collecte à demi-doses.
Mais il se trouve que l’ANSES a rendu un avis très clair : elle ne renouvelle pas l’autorisation accordée précédemment à ce produit en raison de sa toxicité pour les consommateurs et pour les agriculteurs utilisateurs.
Pour accorder une nouvelle autorisation, l’ANSES a demandé à l’entreprise qui produit le diméthoate de communiquer des informations sur la toxicité pour les consommateurs. L’entreprise ne l’a pas fait et n’a pas demandé de nouvelle autorisation en France.
Vous faites dès lors le constat d’une distorsion de concurrence : alors que nous serions privés de la production de nos cerises, des cerises produites avec du diméthoate seraient importées en France, les consommateurs restant de ce fait exposés aux risques du diméthoate.
Hier, par notification des autorités françaises à la Commission européenne, je me suis appuyé sur l’avis scientifique de l’ANSES pour faire valoir que cette décision relève désormais de l’Europe, pour une simple et bonne raison : la Grèce, l’Italie et l’Allemagne sont susceptibles d’utiliser ce produit alors que l’ANSES indique clairement que celui-ci est dangereux pour le consommateur.
J’ai donc demandé, dans le cadre d’une procédure d’urgence, que la Commission nous réponde dans les sept jours ; à défaut, la France, comme elle l’a fait pour xylella fastidiosa, fera jouer la clause de sauvegarde et interdira toute importation de cerises venant de pays qui utilisent le diméthoate. Ainsi, les choses seront claires.
Cela ne résout pas pour autant la question de solutions alternatives, mais, sur la question qui nous est posée, l’ANSES a donné un avis clair : si nous passions outre, nous devrions nous justifier, et vous savez que ce sujet est extrêmement sensible.
J’ai parfaitement entendu la question que vous avez posée. La notification a été envoyée hier et publiée aujourd’hui. La Commission européenne a sept jours pour nous répondre : soit elle prend une décision d’interdiction à l’échelle européenne, soit la France fera valoir la clause de sauvegarde.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste.
Nous en venons aux questions du groupe de l’Union des démocrates et indépendants. La parole est à M. Thierry Benoit, dont je salue le retour.
Merci, monsieur le président. Monsieur le ministre, je souhaite vous interroger sur le projet de décret relatif à l’étiquetage que vous êtes en train de rédiger en vue de le présenter à l’Union européenne. Nous sommes tous en faveur d’un renforcement de la transparence et de la traçabilité ; or ce projet de décret nous préoccupe au plus haut point.
Avec les collaborateurs du groupe UDI, nous avons étudié le projet de décret dans sa rédaction actuelle. L’article 2 ne pose pas de problème puisqu’il évoque le fameux « né, élevé et abattu » qui nous permet de connaître le pays d’origine. L’article 3 concerne le lait – le pays de collecte, le pays de conditionnement et le pays de transformation – ; très bien !
Je souhaite vous demander des précisions concernant l’article 4. Pour un produit – bovin ou lait – ayant une origine multiple en Europe, l’article 4 prévoit la possibilité d’apposer la mention « provenance : Union européenne ».
Puisque l’objectif est la transparence et la traçabilité, je souhaite, dans la mesure du possible, que vous précisiez votre pensée. Imaginons un porc élevé en Roumanie, engraissé en Pologne et abattu dans un autre pays, mettons l’Allemagne : la provenance du produit indiquera qu’il est de « multiples origines » ; il s’agira alors d’un produit « européen ».
C’est ambigu pour le consommateur : le porc est bien « né en France, » mais élevé en Roumanie et abattu en Allemagne ; si vous masquez l’identité roumaine ou l’identité allemande sous la mention « Union européenne », le consommateur peut être trompé, croyant acheter un porc français. Est-ce que nous nous comprenons, monsieur le ministre ?
Oui, à peu près !
Sourires.
Cela démontre bien la difficulté et l’ambiguïté de la problématique de l’étiquetage. Je souhaite donc, monsieur le ministre, que vous précisiez l’article 4 de votre décret qui fait référence à l’Union européenne et non plus au pays d’origine.
Monsieur le député, je suis très heureux de vous revoir sur les bancs de l’Assemblée, toujours animé de la passion qui est la vôtre sur les sujets agricoles.
Sur l’étiquetage, votre question même prouve, que dès que l’on entre dans le détail, les combinaisons sont multiples et peuvent être multiples !
L’objectif que nous nous fixons avec ce décret est d’identifier les viandes nées, élevées et abattues en France, ou les produits transformés en France, afin que le consommateur soit informé de l’origine française des produits – origine qu’il recherche désormais.
Élargir le débat à l’indication de la provenance des différents pays européens risquerait tout d’abord de fragiliser l’expérimentation que nous avons obtenue à l’échelle européenne. En effet, certains pays sont tout à fait favorables à cette indication : lors du Conseil européen, l’Italie s’y est ainsi clairement montrée favorable, tout comme – cela m’a surpris – le Royaume-Uni. Mais pour arriver à obtenir de la Commission une dérogation au droit européen sur l’étiquetage, il a fallu limiter l’expérimentation française à la traçabilité des seuls produits français.
Nous nous sommes donc inspirés de ce qui existe déjà pour le vin, avec la distinction entre les vins « français », « de l’Union européenne » ou « hors Union européenne ». Cela permet de simplifier les choses car, vous l’avez démontré vous-même avec votre question, entrer dans les détails reviendrait à complexifier davantage. Ainsi, en cas de mélange de viandes – bovin, porcin, ovin –, on ne sait plus où on est !
Il faut donc simplifier. C’est dans ce but que nous avons rédigé l’article 4, qui vise à valoriser l’origine française et qui renvoie pour le reste à « Union européenne » ou à « hors Union européenne » ; sinon, nous n’y arriverions pas. En outre, nous prendrions le risque que des pays se réveillent et nous empêchent d’expérimenter cette traçabilité.
Monsieur le ministre, dans la crise sans précédent que traverse le monde agricole, des drames humains se jouent au quotidien dans la solitude des exploitations. Je le vois régulièrement dans mon département de la Mayenne – nous le constatons tous dans chacun de nos départements.
Mais, face à des situations financières extrêmement dégradées, l’ensemble des aides annoncées par le Gouvernement pour répondre à la crise agricole ne bénéficient malheureusement pas aux agriculteurs les plus en difficulté.
En premier lieu, les exploitations bénéficiant d’un plan de sauvegarde ou de redressement judiciaire sont exclues des aides à la trésorerie remboursables. Par ailleurs, les agriculteurs ayant un revenu nul ou négatif en 2015, notamment ceux au RSA socle, ne sont pas concernés par la baisse des cotisations sociales annoncée le 17 février dernier par le Premier ministre.
Enfin, la mesure de report des cotisations pour les agriculteurs ayant un revenu inférieur à 4 248 euros risque de renvoyer le problème à plus tard, voire de l’aggraver. En effet, que feront ces agriculteurs lorsqu’ils devront payer les cotisations de l’année, auxquelles s’ajouteront celles qui ont été reportées et parfois même un échéancier de paiement mis en place précédemment ? Les agriculteurs les plus fragiles ne pourront pas y faire face.
De nombreuses exploitations en difficulté ne pourront plus continuer leur activité dans les mois qui viennent. Les agriculteurs qui sont dans ces situations dramatiques doivent être accompagnés et soutenus.
Monsieur le ministre, quelles mesures comptez-vous prendre pour soutenir les agriculteurs les plus en difficulté et pour accompagner la reconversion professionnelle de ceux qui, dans l’obligation de cesser leur activité, auront besoin d’une porte de sortie honorable et digne du métier qu’ils ont exercé ?
Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants, du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste sur de nombreux bancs du groupe Les Républicains.
Monsieur le député, je vais reprendre les points que vous avez évoqués dans votre analyse de cette situation en effet très grave.
Premier point : il est vrai que la baisse des cotisations – de dix points, désormais – s’adresse par définition aux exploitations ayant dégagé un revenu. C’est pourquoi, lorsque nous avons présenté ce plan, j’ai souhaité y ajouter une « année blanche sociale » pour ceux qui dégageront moins de 4 000 euros de revenus, car sinon ils n’en bénéficieraient pas.
Cette année blanche sera reconductible dans la limite de trois ans. Nous espérons tous que la situation, au bout de ces trois ans, se sera améliorée ; mais elle peut ne pas s’améliorer pour certaines exploitations qui, en grande difficulté, seront toujours dans l’incapacité de payer leurs cotisations au bout des trois ans. Trois ans, c’est un peu loin, mais nous pouvons considérer que, pour celles qui ne pourront pas payer, le report sera en quelque sorte définitif, avec une prise en charge de ces cotisations ; j’en ai parfaitement conscience.
Deuxième point : pour ceux qui, malheureusement, ne pourront pas continuer leur exploitation, parce que la crise aura été tellement dure et que, pour des raisons X ou Y, il y aurait une difficulté à poursuivre, il faudra encadrer l’ensemble du dispositif, tant pour les aides qui devront être apportées que pour l’incessibilité de la maison et du patrimoine – c’est la loi Macron qui l’a introduite, et nous devons être bien clairs sur ce sujet. Nous devons également être capables d’accompagner avec des mesures de formation professionnelle ceux qui, en grande difficulté, devront se reconvertir.
Nous devons être extrêmement précis ce sujet afin de ne pas laisser penser que, avec la crise, on dégagera des milliers d’exploitants : tel n’est pas notre objectif. Nous devons apporter un appui social et proposer une reconversion à ceux qui ne peuvent vraiment pas poursuivre.
Une évaluation est en cours par les cellules d’urgence pour déterminer, région par région, département par département, ceux qui seront considérés comme ne pouvant pas reprendre ou ceux qui souhaiteront arrêter, parce que certains agriculteurs le feront. Toutes les mesures que je viens de vous indiquer – l’aide à la formation, l’aide au départ et l’incessibilité de la maison – sont préparées et seront mises en oeuvre.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste.
Nous en venons aux questions du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste. La parole est à M. Joël Giraud.
Monsieur le ministre, ainsi que vous l’avez entendu mille fois dans cet hémicycle et ailleurs, la France traverse une crise agricole majeure, une crise multifactorielle, une crise dont certains aspects relèvent de l’Europe, de l’OMC – l’Organisation mondiale du commerce –, de questions internationales, une crise qui touche plus durement les plus modestes. Pourtant, il y a aussi dans cette crise une part française : nous ne pouvons pas le nier car nous pouvons ici trouver quelques réponses.
Les chiffres sur les surfaces cultivées, sur le nombre d’exploitants et de salariés ou sur la production sont clairs : la « ferme France » recule depuis environ quinze ans, et souvent de manière inversement proportionnelle à la progression de ses voisins comme l’Allemagne, l’Italie ou l’Espagne.
Des pans entiers de notre agriculture s’effondrent, avec des conséquences économiques et sociales sur l’emploi, l’aménagement et la vitalité de nos territoires, l’autonomie et la sécurité alimentaire, ou encore notre commerce extérieur.
Plusieurs lois ont tenté d’apporter des réponses : la LOA – loi d’orientation agricole –, la LMA – loi de modernisation de l’agriculture – ou la récente loi d’avenir pour l’agriculture. Ces lois ont eu leur utilité, mais elles manquaient d’envergure, avec des moyens budgétaires faibles et pas à la hauteur des enjeux.
Sur les négociations commerciales, il y a eu la loi Chatel, la LME – loi de modernisation de l’économie –, la LMA, la loi Lefebvre, la loi Hamon sur la consommation, la loi d’avenir. Des parlementaires, sur tous les bancs, ont prévenu : voyant venir le mur pour nos paysans, ils ont klaxonné – en vain.
Depuis 2012, et sous la législature précédente également à titre individuel, les députés radicaux ont défendu des amendements sur ces textes pour rééquilibrer les relations commerciales entre nos agriculteurs et les puissants acteurs de la distribution.
À part de légers ajustements, on nous opposa systématiquement cette doctrine : « On ne touche pas à l’équilibre fragile de la loi de modernisation de l’économie ». Le rapport d’application de la loi Hamon sur la consommation, présenté il y a quelques mois, reprend aussi l’idée qu’il ne faut pas toucher à la LME.
À la suite des manifestations des paysans, le Gouvernement a annoncé un changement de doctrine avec une révision de la LME dans la loi « Sapin 2 ». Elle vise à intégrer des éléments propres aux producteurs, comme le coût de production ou le prix payé, dans les négociations commerciales entre industriels et distributeurs. Le sujet n’est pas simple car il y a aussi des effets indésirables induits.
Mais si nous sommes heureux de voir nos idées progresser, nous sommes inquiets car nous connaissons les pouvoirs d’influence des grands acteurs. Ma question sera simple, monsieur le ministre : comment comptez-vous garantir l’efficacité de la modification annoncée de la LME ?
Vous évoquez, monsieur le député, la fameuse loi LME, qui régit les négociations commerciales entre la grande distribution et les industriels. Vous avez vu qu’aujourd’hui l’Association nationale des industries alimentaires, l’ANIA, a publié des chiffres plutôt positifs : l’industrie agroalimentaire a créé 4 600 emplois et le nombre des faillites a diminué, passant de 400 à 276 : l’agroalimentaire tient.
En même temps on constate que les prix sont en déflation constante depuis 2009.
Les représentants des industriels et de la grande distribution que nous avons rencontrés ont été prévenus que si les négociations commerciales ne débouchaient pas sur des résultats positifs – ils l’ont été plus ou moins, mais à la suite d’une pression très forte – le cadre de la LME serait modifié.
Il s’agit de faire en sorte que le prix qui sera finalement payé au producteur soit intégré dans ces négociations commerciales. Aujourd’hui en effet le grand absent de ces négociations, c’est le producteur, qu’il soit laitier, porcin, bovin ou autres. Ce que l’on veut obtenir, c’est que la question du coût de la production soit intégrée à tous les stades de ces discussions, qui sont elles aussi d’une complexité incroyable – les boxs de négociation distinguant entre produits transformés, peu transformés, pas transformés, etc.
C’est ce qu’on va chercher à faire via un amendement gouvernemental au projet de loi qui sera présenté demain en conseil des ministres – cela ne figure pas dans le projet de loi initial parce qu’on a préféré attendre que les négociations commerciales aient eu lieu. Je serai d’ailleurs au côté de Michel Sapin pour défendre le volet agricole du projet de loi.
Ce volet comporte trois points : l’incessibilité des contrats laitiers ; la réforme de la LME ; la possibilité de prononcer des astreintes à l’encontre des entreprises qui ne publient pas leurs chiffres.
Nous savons tous à qui on s’adresse. Il y a des moments où il faut dire les choses et appeler chacun à ses responsabilités.
la modification de la LME visera donc à imposer aux acteurs de la négociation commerciale de tenir compte des conséquences de la négociation pour les producteurs.
Monsieur le ministre, en dépit des efforts manifestes du Gouvernement, de vous-même en particulier, notre pays traverse une crise agricole majeure, qui frappe avec une dureté particulière les petites exploitations.
À ce contexte alarmant s’ajoutent des problèmes sanitaires, notamment la grippe aviaire qui sévit dans le Sud-Ouest. Des producteurs, des accouveurs, des transformateurs et tous les acteurs de la filière craignent de ne pas pouvoir supporter les conséquences financières du dispositif d’éradication de la maladie qui a été mis en place.
En effet le Gouvernement a négocié avec les professionnels de la filière un plan visant à créer un vide sanitaire en vue d’éradiquer le virus dans les zones concernées et de compenser le manque à gagner causé par ce vide. Vous aviez annoncé dans cet hémicycle des compensations pour tous les maillons de la chaîne à hauteur du préjudice créé, soulignant à juste titre que l’ensemble de la filière était concerné.
Néanmoins, les mesures d’indemnisation destinées à compenser les pertes de l’aval de la filière, que vous avez détaillées le 25 mars dernier, d’un montant de soixante millions d’euros, se résumeraient à une avance de trésorerie remboursable, alors que se profile un arrêt total de l’activité.
En effet, à partir du 2 mai, le vide sanitaire sera effectif dans tous les établissements des dix-huit départements concernés, mettant 4 000 salariés en chômage partiel. Pour le maillon central de l’abattage et de l’outil de transformation, le préjudice est évalué à 140 millions d’euros environ.
S’il n’est pas question de contester des mesures sanitaires qui sont indispensables pour relancer l’activité et restaurer la confiance des consommateurs français et étrangers, il faut prendre en compte la situation des petites et moyennes entreprises locales, qui pourront difficilement surmonter les effets de cette catastrophe sanitaire.
Comment comptez-vous répondre à leurs inquiétudes, monsieur le ministre ? Quelles mesures allez-vous prendre pour compenser équitablement le préjudice subi ? Pouvez-vous nous préciser dans quelles conditions les avances perçues pourront être transformées en subventions et dans quels délais ?
Vous l’avez dit, madame la députée, la crise sanitaire est venue s’ajouter aux crises économiques successives.
La décision de mettre en place un vide sanitaire a été prise pour essayer d’enrayer la progression de ce virus qui compromet l’ensemble de la production. L’octroi d’indemnité s’impose en conséquence.
La filière amont, accouveurs et producteurs, bénéficiera d’une enveloppe de 130 millions : cent dix millions d’euros pour les producteurs et vingt millions d’euros pour les accouveurs, qui sont les premiers à être touchés. Voilà pour le premier paquet.
Environ deux millions d’euros ont déjà été versés aux éleveurs des 76 foyers de grippe aviaire recensés, qui ont dû arrêter leur production.
S’agissant de la filière aval, notamment de la transformation, nous avons là aussi le souci de soutenir les entreprises concernées et pour cela on va devoir tenir compte des situations particulières, selon par exemple que ces entreprises ont des stocks ou pas. En effet je suis aussi comptable des aides versées par l’État, qui doivent être justes et proportionnées au préjudice. Je ne cherche pas à distribuer les millions mais à être le plus précis et le plus efficace possible.
Il y aura d’abord un dispositif d’apport de trésorerie pour les PME-PMI, avec un différé de remboursement de deux ans, qui pourra être transformé en subvention après confirmation des pertes de 2016. Le principe est de faire l’avance des fonds avant de dresser le bilan de ce qui s’est passé. Cette avance pourra devenir une subvention, à condition qu’on soit clair sur ce qui s’est passé. Cette mesure sera dotée d’une enveloppe de soixante millions d’euros.
À cela s’ajoutera la mobilisation, sous l’égide des préfets, des dispositifs suivants : préfinancement du CICE par Bpifrance ; report et remises gracieuses des échéances fiscales et sociales ; aides à l’activité partielle. Ces deux types de mesures à destination des entreprises touchées par les mesures de dépeuplement pourraient représenter un effort d’environ 120 millions d’euros, et non 140, comme vous l’avez dit.
Voilà pour le dispositif général. Ce que je recherche c’est une solution pour chaque situation particulière, qu’il s’agisse des producteurs – en distinguant, par exemple, entre grands et petits élevages – ou de la transformation : il s’agira là aussi de distinguer entre la grande et la moyenne, entre ceux qui ont du stock et ceux qui n’en ont pas, ceux qui sont directement touchés, comme les transporteurs de volailles, qui ont complètement arrêté leur activité, et les autres. Ce sera plus facile de gérer tous ces éléments. On recense et on fait en sorte d’indemniser à la hauteur du préjudice subi.
Tout cela demande un peu de temps, mais le vide sanitaire n’est effectif que depuis février et doit prendre fin en mai. C’est cette période qu’il va falloir indemniser et chaque cas sera traité.
Nous en venons aux questions du groupe écologiste.
La parole est à Mme Brigitte Allain.
M. le ministre, chers collègues, 76 % des Français soutiennent le projet de loi visant à favoriser l’ancrage territorial de l’alimentation, adoptée à l’unanimité par cette assemblée.
En effet, quoi de plus ambitieux que de mettre à la disposition de nos enfants, de nos grands-parents et des personnes hospitalisées des produits locaux et biologiques dans les cantines publiques ? Les députés de tous bords politiques ont bien mesuré l’enjeu social et économique du projet.
Au Sénat, à la surprise de tous, il n’en a pas été de même : le centre et la droite, ceux-là même qui avaient voté pour le Grenelle de l’environnement, se sont prononcés contre un objectif chiffrable de 20 % de produits biologiques au menu des cantines, sous prétexte que les Français ne seraient pas prêts !N’osant croire qu’il s’agit là d’une posture politicienne, je pense que cela révèle surtout un manque d’informations.
Je l’affirme très clairement : on produit suffisamment d’aliments biologiques en France. Alors que seuls 400 000 hectares sont nécessaires pour permettre aux cantines de fournir 20 % d’aliments issus de l’agriculture biologique, notre pays compte aujourd’hui 1,3 million d’hectares cultivés en agriculture biologique, avec une dynamique de conversion très forte.
Oui, les agriculteurs biologiques sont prêts, comme le sont les acteurs de la restauration. Non, introduire de la production biologique au menu des cantines ne coûte pas plus cher. On peut même réduire les coûts en rénovant la gestion des restaurants et la composition des menus en fonction des convives.
Arrêtons de gaspiller ! redonnons le goût de nos terroirs ! Pourquoi priver les collectivités territoriales d’un levier d’action en direction de leurs administrés ?
Monsieur le ministre, je sais votre soutien et celui du Gouvernement à cet objectif d’ancrage territorial de l’alimentation. Alors que la discussion au Sénat peut encore évoluer en fonction des attentes citoyennes, pouvez-vous nous affirmer votre engagement concret dans la réalisation de cet objectif ?
Madame la députée, je ne peux que soutenir ce qui a été unanimement adopté ici : le ministre que je suis est déjà satisfait quand il obtient des majorités ! Les objectifs de 40 % de produits de qualité, dont 20 % issus de l’agriculture biologique qui ont été décidés ici vont dans le sens de la loi d’avenir pour l’agriculture, des projets alimentaires locaux et de l’organisation de l’ensemble des filières d’approvisionnement.
Or, si le Sénat a maintenu l’objectif de 40 % de produits de qualité, il n’a pas admis qu’on y intègre un objectif de 20 % de produits issus de l’agriculture biologique. Tels sont les termes du débat.
Pour ma part, je reste tout à fait convaincu de la nécessité absolue de ces projets alimentaires territoriaux parce que je constate, comme vous certainement dans vos départements et dans vos régions, que tant que de tels projets ne sont pas mis en place, les discussions sur l’approvisionnement local ou la traçabilité n’ont aucune chance d’aboutir.
Deuxièmement, comme vous l’avez rappelé, l’agriculture biologique s’est beaucoup développée, puisqu’on en est aujourd’hui à plus de 1,3 million d’hectares cultivés en agriculture biologique, ce qui fait de la France la troisième surface agricole biologique d’Europe – voire la deuxième, celle qui la précède comprenant des cultures d’oliviers qui ne sont pas considérés comme biologiques selon nos critères.
On a donc beaucoup progressé. On a d’ailleurs, pour défendre le texte au Sénat, intégré les hectares en conversion afin de prouver qu’on pouvait y arriver.
Ce débat va reprendre. Je pense qu’il faut maintenir les objectifs qui avaient été unanimement adoptés ici et qui sont totalement soutenus par le ministre de l’agriculture.
Monsieur le ministre, vous venez de nous annoncer que les aides du deuxième pilier à destination des agriculteurs seront avancées par l’État : c’est une bonne nouvelle. Ma question porte sur un sujet similaire.
Avec la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, dite loi MAPTAM, la génération des fonds européens pour la période 2014-2020 est pilotée, non plus exclusivement par l’État, mais principalement par les régions, ce dont je me félicite. C’est notamment le cas du Fonds européen agricole pour le développement rural, le FEADER, dont les régions sont désormais l’autorité de gestion.
La Bretagne est une des premières régions à expérimenter concrètement la gestion de ce fonds en relation avec votre ministère. Par ailleurs, l’enveloppe destinée à la Bretagne a doublé, ce que nous saluons.
Le FEADER participe, entre autres, au soutien du développement rural dans le cadre de la démarche du programme Leader. En juin 2015, un contrat de partenariat entre la région et les pays a été signé afin que ces derniers soient habilités à traiter les demandes de subventions aux projets locaux au titre du Programme Leader.
Cependant, il semblerait que les engagements juridiques d’attribution de subventions ne pourront pas être signés avant fin 2016 et rien ne serait définitivement accepté avant début 2017. La raison en serait que l’outil de gestion des fonds européens ne serait pas opérationnel. Certains élus dénoncent donc le risque de retard dans le versement des subventions européennes, en particulier celles relevant du programme Leader.
Cette situation préoccupe les présidents et référents de pays, en particulier du pays de Ploërmel, qui craignent de voir les projets locaux privés de fonds européens. Les avances possibles pourraient ne pas être remboursées et les projets risqueraient d’être reportés ou annulés, sans parler des problèmes de trésorerie que cela pourrait faire peser sur les finances des pays.
Les fonds sont utilisables jusqu’en 2020 mais tout retard peut être préjudiciable. Il serait fâcheux de devoir restituer à l’Europe des fonds non utilisés en raison d’un défaut de projets. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous éclairer sur ces difficultés de versement ?
Le sujet que vous évoquez est lié lui aussi à la mise en place de la nouvelle politique agricole commune, qu’il s’agisse des aides du premier ou du deuxième pilier, et du programme Leader.
Je me souviens d’ailleurs d’avoir défendu, au moment de la réforme de la PAC, les fonds de cohésion – comme le Président de la République l’avait fait – et ce type de programme qui permet de soutenir des projets.
C’est vrai qu’on a pris là aussi du retard, mais cela ne doit pas interdire le dépôt de projets. En effet ce retard, dû au programme informatique qui doit les gérer, n’empêche pas d’engager de tels projets, en particulier au sein des groupes d’action locale, les GAL, de les déposer et de les valider, en attendant que les outils techniques soient finalisés. Cette nouvelle PAC a nécessité une telle mise en oeuvre informatique qu’on a pris du retard sur tous ces sujets.Mais, monsieur le député, tous les projets doivent être déposés, je dis bien tous – et je sais qu’en Bretagne un certain nombre de GAL en ont déjà lancé.
Ils seront ensuite validés et financés : cela prendra un peu de retard, mais surtout ne faisons pas comme si nous arrêtions tout. Non, on continue. Le pire serait de ne pas déterminer en France ce que nous pouvons demander au niveau européen.
De tels projets, je pense que tout le monde ici en a dans sa circonscription et ce sont des projets intéressants.
Voici donc le message à faire passer : déposez les projets, nous avons certes pris du retard mais cela ne saurait en aucun cas justifier qu’on ne les dépose pas. Ils seront de toute façon financés.
Nous passons maintenant aux questions du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
La parole est à M. André Chassaigne.
Monsieur le ministre, je reviens une nouvelle fois sur les conséquences désastreuses de la mise en application des mesures d’avances de trésorerie remboursables – ATR – pour les exploitations placées en redressement judiciaire.
Depuis le 6 octobre 2015, je n’ai eu de cesse de vous alerter sur la situation de ces exploitations. Vous vous êtes d’abord engagé à demander « aux cellules d’urgences d’étudier chaque cas individuel afin de trouver une solution adaptée au cas de chaque entreprise concernée ».
Puis, le 15 décembre 20l5, vous avez adressé une instruction aux préfets mettant en place une garantie des intérêts d’emprunt via un fonds ad hoc d’allégement des charges.
Malgré cette prise en compte de la double peine infligée à ces exploitations, l’immense majorité des structures concernées n’ont encore bénéficié d’aucun soutien à ce jour.
Elles se heurtent à d’inacceptables refus des établissements bancaires. Quoique informées des garanties d’emprunt de l’État, les banques préfèrent pousser les exploitations vers la liquidation. Dois-je ajouter que ces mêmes banques continuent de bénéficier du soutien généreux de l’État au titre du CICE ?
Cependant, les bases juridiques sur lesquelles l’ATR a été refusée à ces exploitants agricoles se révélant contestables au regard du droit européen et français, certaines exploitations en procédure collective ont pu en bénéficier.
Voici, monsieur le ministre, un message de détresse que j’ai reçu, parmi d’autres, ces jours derniers, d’un éleveur allaitant de mon département : « Cette situation discriminatoire, écrit-il, a fini par entraîner le fichage pour incident de paiement de notre exploitation auprès de la Banque de France. Avec plus de 35 000 euros de décalage de trésorerie, dans le contexte de 2015, la situation est devenue intenable : les vaches crèvent de faim. Les champs ne sont pas travaillés. Nous n’avons plus de carburant. »
Mon interpellation est donc simple : comptez-vous obliger les banques à assurer leur mission auprès des agriculteurs concernés ? Vous engagez-vous à assurer en priorité le versement des aides de la PAC à ces exploitations au bord du gouffre ?
Monsieur le député, vous évoquez encore une fois la dimension sociale de cette crise, que nous venons d’aborder avec le député Favennec.
Je suis obligé d’en faire le constat moi aussi : les avances de trésorerie que nous avons octroyées à l’ensemble des exploitations au titre des aides de la PAC n’ont pu être versées à cause d’une règle interdisant de tels versements au profit d’exploitations en procédure collective d’insolvabilité.
Qu’avons-nous fait ? Nous avons cherché à utiliser le Fonds d’allègement des charges : en gros, l’État prend en charge l’équivalent de ce qui aurait été versé, mais il est obligé de passer par les établissements bancaires. Et c’est là que la discussion s’engage. Vous l’avez parfaitement dit, elle n’est pas toujours facile.
C’est pourquoi, monsieur le député, nous avons mis en place la procédure que vous évoquiez, et qui mobilise les préfets ainsi que le médiateur du crédit : il s’agit de débloquer la situation.
Je n’ai pas le montant correspondant mais je vous le donnerai, ainsi qu’une évaluation de ce qui reste à faire. Je pense que l’exemple que vous m’avez donné concerne un dossier qui n’a toujours pas été traité.
Les dossiers sont en cours de traitement et j’ai fait passer le message auprès des préfets pour qu’on avance sur ce sujet, avec le médiateur du crédit. On ne peut pas laisser des agriculteurs qui ont la possibilité de se redresser attendre ces avances de trésorerie.
L’État prend en charge le montant équivalent, en passant par les établissements bancaires. Nous allons mobiliser nos moyens pour traiter tous les dossiers, sachant que, pour ce qui est du financement, l’État est là.
C’est la règle interdisant l’octroi de prêt à des entreprises en procédure collective d’insolvabilité qui nous empêche de procéder au versement, mais nous avons les moyens de le faire. Il faut simplement s’appliquer à mettre en place ces médiations pour parvenir à financer ces exploitations.
Monsieur le ministre, ma deuxième question porte sur un dossier que je suis depuis l’été 2015 : celui de la reconnaissance des dossiers de calamité agricole « sécheresse » dans un département que je connais bien, le Puy-de-Dôme.
En effet, les zonages retenus suite à la sécheresse estivale de l’année 2015 dans notre département étaient limités au secteur de la Limagne et à quelques communes des Combrailles, alors que les pertes ont été importantes sur de nombreuses autres zones d’élevage comme le Livradois-Forez.
Après avoir pris connaissance des décisions du Comité national de gestion des risques agricoles – le CNGRA –, je vous avais fait rapidement part de l’inquiétude des éleveurs des zones non retenues afin d’aboutir à une meilleure prise en compte des conséquences de la sécheresse sur les élevages.
Le 17 décembre dernier, un communiqué du préfet du Puy-de-Dôme précisait que « suite au Comité national de gestion des risques agricoles du 9 décembre 2015 » qui avait conduit à la validation partielle des dossiers de calamité agricole « sécheresse » déposés par le département du Puy-de-Dôme, il avait été décidé « de diligenter en début d’année 2016 une mission d’expertise chargée d’examiner sur le terrain les pertes de fourrage et de proposer, le cas échéant et sur la base des constats réalisés, des zones et taux de perte révisés à un prochain CNGRA ».
La réponse apportée, à travers la nouvelle mission d’expertise, devait permettre d’élargir les zonages concernés et les exploitations retenues pouvant bénéficier d’une indemnisation, afin de prendre en compte les conséquences réelles de la sécheresse de l’été 2015.
Comme m’en ont fait part ces derniers jours plusieurs agriculteurs du Livradois, il semble malheureusement qu’une nouvelle fois, les décisions arrêtées suite à la mission d’expertise visant à prendre en compte les pertes de rendements fourragers aient laissé de côté certains des secteurs concernés du Livradois.
Aussi, monsieur le ministre, je souhaiterais connaître les critères précis qui ont été retenus et ont pu conduire à une telle révision du zonage, laissant de côté des communes et des agriculteurs pourtant fortement touchés.
Monsieur le député, j’ai été saisi à plusieurs reprises des zonages du Fonds national de gestion des risques agricoles, le FNGRA, qui doit venir en aide aux exploitants ayant souffert de la sécheresse.
Les règles du FNGRA reposent sur des principes et des critères stricts : il faut prouver qu’on a perdu au minimum 30 % de son potentiel moyen de production fourragère sur une année. C’est en fonction de ce critère que sont définies les zones bénéficiaires de l’aide.
Vous l’avez dit, une première évaluation a été faite et n’a pas satisfait tous les départements : je pense en particulier à l’Allier, à la Haute-Vienne, au Cantal, où j’ai demandé qu’une mission d’expertise réévalue les pertes.
S’agissant du Puy-de-Dôme, le zonage a été révisé conformément aux propositions du préfet et de la cellule départementale d’expertise. La quasi-totalité du territoire agricole du département a ainsi été retenue, y compris certains secteurs du Livradois, avec des taux de perte portés à 35 voire 40 % selon les zones.
Ce nouveau zonage a été validé à l’unanimité par le CNGRA, qui statue sans la présence du ministre, pour essayer d’être le plus objectif possible. Dans votre département, on a donc étendu le zonage : il y a peut-être des points qui restent en discussion, mais nous aurons mobilisé autour de 180 millions d’euros de compensations au titre de la sécheresse. C’est d’ailleurs légitime, compte tenu de ce qui est subi avec la sécheresse.
Nous passons maintenant aux questions du groupe socialiste, républicain et citoyen.
La parole est à Mme Marie-Lou Marcel.
Monsieur le ministre, devant la gravité de la crise structurelle que traverse le monde agricole, toutes filières confondues, le Gouvernement a déployé des mesures fortes pour juguler cette crise tant au niveau national qu’à Bruxelles, où, monsieur le ministre, vous avez joué un rôle moteur pour la régulation des productions, notamment du lait et du porc, et pour l’étiquetage de l’origine des viandes et du lait dans les produits transformés.
Tout en reconnaissant des avancées, certains agriculteurs se plaignent du poids des normes, des réglementations et de la complexité des dossiers administratifs dont ceux des déclarations PAC, en particulier pour les surfaces non agricoles, du manque de fiabilité des photos satellitaires ainsi que du cumul de Télépac et du dossier papier.
Vous l’aviez reconnu vous-même, monsieur le ministre, lors de votre audition par la commission des affaires économiques en février dernier, ces normes sont sources d’extrêmes complications, en particulier pour le parcellaire graphique.
Les agriculteurs évoquent également d’autres réglementations, comme les critères de verdissement et en particulier les surfaces d’intérêt écologique ou SIE, les règles sur l’entretien des cours d’eau, sur les bonnes conditions agricoles et environnementales relatives aux haies, les zonages prévus par la loi sur la biodiversité.
L’application de ces mesures va engendrer, selon eux, des charges administratives supplémentaires avec des conséquences en terme de compétitivité et de sécurité juridique.
Les agriculteurs pointent aussi la sur-transposition de certaines normes telles la clause filet, la directive nitrates ou encore celles relatives aux captages d’eau.
Le 12 février dernier, un comité interministériel à la simplification des normes a été mis en place. Monsieur le ministre, pouvez-vous clarifier le fonctionnement de ce comité et préciser comment y sont associés les professionnels agricoles ? Quels sont les axes prioritaires de travail ? Y a-t-il à ce jour des premiers retours ?
Madame la députée, vous avez évoqué la question de la simplification des normes dans plusieurs domaines. Je me concentrerai quant à moi sur ce qui concerne le ministère de l’agriculture. Sur la biodiversité et les zonages, nous essayons de nous coordonner, mais ce n’est pas directement de ma responsabilité.
Sur les surfaces non agricoles, il a fallu refaire toutes les photos satellitaires parce que nous avions été mis en cause par la Commission, considérant que notre parcellaire graphique était faux : c’est cela qui s’est passé ! Cette opération a demandé beaucoup de temps et de précisions difficiles à fournir pour les agriculteurs.
Je prends la question des haies : il faut savoir que, suite à une demande soutenue par le ministre et qui a donné lieu à un débat ici, on les a comprises dans les surfaces éligibles aux aides. Or, dans ce cas, il faut justifier de leur existence au niveau européen : c’est ainsi qu’on se retrouve à redessiner toutes les haies.
C’est ce qui est compliqué dans la gestion européenne : comme il faut justifier de toutes les aides, au mètre près, nous finissons par avoir un système trop compliqué. Il serait plus simple de s’engager sur des linéaires de haie de tant de kilomètres sur des territoires homogènes : tel est l’objectif que nous allons nous fixer pour la prochaine PAC. cze n’ets plus possible pour celle qui est en cours.
Nous avons déjà simplifié les procédures de l’Agence de services et de paiement – l’ASP – pour que les agriculteurs ne soient pas noyés, mais il faut poursuivre ce travail.
Vous avez aussi évoqué le comité de simplification, présidé par un préfet, M. Biche : ce comité est interministériel. Les ministères de l’environnement et de l’agriculture vont travailler pour vous faire des propositions et pour qu’une mission parlementaire soit capable d’évaluer et de proposer des mesures de simplification des normes existantes.
On parle souvent, dans un discours général, de toutes les normes qu’il faudrait simplifier, mais quand on entre dans le détail, on est toujours confronté à tel ou tel problème qui a justifié à un moment ces normes. J’ajouterai que je souhaite quant à moi proposer des normes allégées là où les modèles de production seront compatibles avec les grands enjeux environnementaux.
Monsieur le ministre, avec la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, vous avez défendu très fortement le concept de l’agro-écologie, notion nouvelle qui doit permettre d’engager notre agriculture dans un système de production respectueux de l’environnement et capable de privilégier des normes de qualité des productions.
C’est là une mutation importante de notre agriculture que certains ont déjà engagée, par exemple, à travers les productions et cultures biologiques. Afin de la réussir, elle doit être accompagnée, monsieur le ministre, et cela passe sans doute par ces deux leviers importants que sont la formation initiale et continue ainsi que la vulgarisation des bonnes pratiques.
Compte tenu d’une nouvelle approche de l’agronomie, c’est donc tout un contexte nouveau qu’il faut aussi accompagner : le secteur de l’innovation et de la recherche – qui vient de définir trente propositions d’actions –, la formation des formateurs pour leur permettre d’acquérir les notions nouvelles de développement, les programmes de formation initiale et continue intégrant les nouvelles pratiques agronomiques mais, aussi, une approche différente des productions animales dans les différents secteurs de l’élevage, des actions de vulgarisation par tous les organismes qui en ont la charge et qui doivent eux aussi acquérir et intégrer ce concept de l’agro-écologie
Alors, monsieur le ministre, pouvez-vous préciser ce que vous avez déjà engagé pour accompagner cette mutation de notre modèle agricole vers l’agro-écologie ? Comment comptez-vous agir de façon complémentaire pour accélérer par exemple ces nouvelles pratiques à un moment où compte tenu de la crise que subit l’agriculture – en particulier dans l’élevage – cette évolution peut être porteuse d’espoir et de perspectives à condition toutefois qu’elle puisse être intégrée dans les priorités de la politique agricole commune ?
Enfin, dans le cadre de cette mutation, l’agriculture peut être appelée à assumer des missions complémentaires en termes de productions d’énergies renouvelables et de préservation de la biodiversité et des paysages. De quelle manière ces missions complémentaires peuvent-elles être intégrées à ce concept économique de l’agro-écologie ?
Monsieur le président, monsieur le député, cette question était au coeur du premier article de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’objectif étant en l’occurrence de combiner la performance économique, la performance environnementale et la performance sociale – ce dernier point y avait été ajouté. Comment tenir compte de tout cela ?
Vous avez rappelé les grands enjeux de la recherche et de l’enseignement. Les briques ont été posées et le projet « Agriculture-Innovation 2025 » intègre tous les éléments techniques et technologiques de l’agriculture de précision ainsi que les grands enjeux agro-écologiques, dont ceux concernant les sols – je vais y revenir.
S’agissant de l’enseignement agricole, les référentiels ont été changés pour les BTS, les BTA et, aujourd’hui, pour les brevets d’études professionnelles agricoles – les BEPA – et pour les certificats d’aptitude professionnelle agricole – les CAPA – pour faire en sorte que l’enseignement agricole intègre également ces nouvelles pratiques, qui sont autant d’éléments de performance économique – donc, de compétitivité, disons cela ainsi –, de performance environnementale – nous en connaissons les questions et les enjeux – et de performance sociale – l’organisation qui va avec.
Qu’en est-il concrètement ?
Aujourd’hui, on dénombre environ 300 groupements d’intérêt économique et environnemental – GIEE. J’ai participé à une réunion, ce matin, avec l’ensemble des groupes liés aux centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural – les CIVAM –, aux groupements d’exploitation en commun – les GAEC –, à la Fédération nationale des coopératives d’utilisation du matériel agricole – FNCUMA –, à la TRAME – tête de réseaux pour l’appui méthodologique aux entreprises – à la société des agriculteurs de France. J’organiserai une nouvelle réunion avec les chambres d’agriculture.
Nous disposons donc de 300 GIEE et nous devons couvrir 350 000 hectares avec des pratiques telles que les rotations, la couverture des sols – matière organique de ces derniers, biodiversité – et l’autonomie fourragère. Grossièrement, c’est cela qui est en train de se mettre en place.
Grâce aux rotations et aux couvertures des sols, le GIEE du Haut-Barois qui a été sélectionné pour l’agro-écologie a permis à huit exploitations, sur 1 000 hectares, dans une zone intermédiaire – colza et blé – d’améliorer de 25 euros en deux ans la marge brute par hectare et de diminuer de plus de 20 % les indices de fréquence de traitements. C’est cela qui est intéressant !
L’objectif est donc de combiner tous ces enjeux, y compris sur le plan social : les GIEE constituent des expériences agricoles collectives. Leurs représentants, que j’ai rencontrés encore ce matin, m’ont assuré que les impacts sont très forts dans les dynamiques qui se mettent en place sur les territoires.
Je l’ai dit : performance économique, performance environnementale, performance sociale sont au coeur de ce projet. Nous aurons l’occasion d’y revenir.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste.
Monsieur le ministre, ma question porte sur la méthanisation, sujet qui vous est cher.
L’année 2015 a été l’occasion d’avancées importantes pour la tarification des sites en activité et la fiscalité de la méthanisation agricole. Cependant, deux sujets me semblent toujours préoccupants.
Le premier concerne les sites en cogénération de moins de 500 kW électrique. Le futur contrat tarifaire prévu début janvier pourrait ne paraître que d’ici l’été car cela dépend d’une validation par la Commission européenne. De fait, la filière reste figée, ce qui implique de lourdes conséquences sur l’emploi, des arrêts de société ainsi qu’un non-financement des banques.
L’arrêté d’octobre 2015 disposait que tout site ayant fait un dossier complet d’identification a l’ADEME au 15 octobre 2015 pouvait prétendre à ce tarif. Serait-il possible de porter cette date au 1er avril voire au 1er juin pour donner un tarif à ces sites en projet ?
Ma seconde interrogation concerne le biogaz porté. Dans ma circonscription, j’étudie avec un groupe de méthaniseurs la possibilité de produire séparément du gaz compressé, voire liquéfié, pour être transportable sur un point commun d’injection.
La mutualisation du point d’injection compensant le coût de transport, nous sommes confrontés à l’application du prix conventionné sur le point d’injection et non de production.
Quelles sont les pistes que vous envisagez ? Je tiens à vous préciser – bien que l’aspect technique soit validé – que l’absence de cadre réglementaire bloque les financements par les banques. C’est un investissement total de plus de 10 millions d’euros avec beaucoup de retours locaux et qui conforteront nos filières d’élevage mises à mal.
Vous avez évoqué la méthanisation.
Je rappelle que dès le mois de février 2013, nous avons lancé avec Delphine Batho le plan EMAA – Energie, méthanisation, autonomie et azote – fixant un certain nombre de règles, en particulier le relèvement d’une prime d’effluent d’élevage, des hausses de seuils de régimes d’enregistrement pour les méthaniseurs agricoles qui se sont appliquées dès le mois de septembre 2014, la création du permis unique – expérimenté dans sept régions depuis mi-2014 –, l’extension d’expérimentations à toutes les régions de France depuis le 1er novembre 2015.
Nous avons donc fixé des objectifs. La loi de transition énergétique de Ségolène Royal a quant à elle porté l’objectif de 1 000 méthaniseurs à 1 500. Nous avons également engagé des mesures de simplifications concernant les digestats utilisés pour la fertilisation des sols.
En Bretagne, nous avons ainsi mis en place le projet d’azote total visant à substituer l’azote minéral par l’azote organique. Tout cela a été fait.
S’agissant maintenant de sujets plus techniques, dont le report des tarifications en raison d’une notification européenne qui prend du temps : je dois faire accélérer le processus à l’échelon européen et, dès demain, j’enverrai un courrier en ce sens pour que ces projets puissent avancer.
Le biogaz porté, si j’ai bien compris, est issu d’un méthaniseur qui, au lieu d’être raccordé à un réseau, est transporté et sera injecté à un niveau donné et « mutualisé ».
À quel coût, demandez-vous donc ? Quelle est la valorisation du biogaz porté ? Je dois examiner cette question technique d’un peu plus près avec mes services, monsieur le député. Un système de transport existe déjà La question est donc : à combien fixerait-on le prix du gaz au point d’injection ?
Nous avons essayé de répondre à votre question mais cela n’a pas été possible en si peu de temps. Nous y reviendrons donc.
Nous revenons aux questions du groupe Les Républicains.
La parole est à M. Édouard Courtial.
Monsieur le ministre, j’avais adressé un courrier le 1er février dernier au Président de la République – resté jusqu’à ce jour sans réponse – l’appelant à se saisir de trois problématiques essentielles pour notre agriculture.
La baisse des charges tout d’abord.
Face à la mobilisation bien légitime des agriculteurs, le Premier ministre a dû annoncer le 17 février – à contre coeur semble-t-il – une baisse immédiate des cotisations sociales et une année blanche de cotisations pour ceux qui sont en difficulté. C’est un pas dans la bonne direction – s’il est confirmé. Effet d’annonce ou réalité ? L’absence à ce jour du moindre décret ou arrêté en ce sens semble faire pencher la balance vers la première hypothèse.
L’embargo russe ensuite.
Une double peine pour les agriculteurs puisqu’ils le subissent directement en ne pouvant exporter leurs produits tout en voyant le budget de la PAC amputé pour y faire face. Vous avez déclaré avoir commencé des négociations avec les autorités russes et européennes. Effet d’annonce ou réalité ? La réunion de crise du 14 mars dernier des 28 ministres concernés ne semble pas avoir abouti. Là encore la réponse est dans la question.
Les contraintes administratives et environnementales enfin.
Vous devez répondre à l’exaspération des agriculteurs face aux contrôles administratifs exercés sur le terrain et à l’empilement de normes. Ils vivent cette suspicion permanente comme un harcèlement bureaucratique. De la même manière, vous vous êtes engagé à mettre en oeuvre une simplification administrative. Effet d’annonce ou réalité ?
Le 17 mars dernier la majorité socialiste de notre Assemblée, en accord avec le Gouvernement, a voté le projet de loi biodiversité qui crée de nouvelles contraintes pour les agriculteurs. L’enfer est aussi pavé de bonnes intentions…
Monsieur le ministre, vous devez affronter toutes ces contradictions et y mettre un terme. Si certaines mesures relèvent bel et bien de la sphère européenne d’autres, en revanche, concrètes et opérationnelles, sont à votre portée aujourd’hui pour résoudre cette crise sans précédent.
Pour que nos agriculteurs puissent répondre aux défis de demain, une réforme structurelle doit être menée sans tarder. Nous n’avons plus de temps à perdre.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
Votre question est plurielle, monsieur le député.
Le Premier ministre a-t-il pris à regret la décision de baisser les cotisations sociales – que votre proposition de loi sur la compétitivité, si j’ai bien compris, avait d’ailleurs évoquée ?
Le calcul à partir duquel nous travaillions alors tendait à une équivalence avec le CICE, ce qui représentait une baisse de six points de cotisation – le pacte de responsabilité avait entraîné une baisse de trois points mais, comme vous le savez, les exploitations agricoles n’étaient pas directement concernées par le CICE puisqu’elles ne comptent pas nécessairement de salariés.
Le Premier ministre et le Président de la République ont décidé une baisse totale de dix points – 3 + 3 + 4 – afin de ramener les cotisations sociales des agriculteurs français à la moyenne de celles dont s’acquittent les agriculteurs européens. Vous avez souvent discuté de cette question mais le Gouvernement a quant à lui fait un effort avec le pacte de responsabilité qui correspond à 10 points de baisse de cotisations, soit 720 millions par an dès 2016.
Il faut avoir les dates présentes à l’esprit : décision annoncée par le Premier ministre le 17 février, consultations qui s’imposent avec la MSA et la Sécurité sociale, signature du décret par les quatre ministres concernés le 23 mars. Parole ou acte ? Acte !
Vous m’avez ensuite demandé, et je ne vous en veux pas, si j’ai mené des négociations. J’ai dit être allé à Moscou et je le confirme – il neigeait, même ! Oui, j’ai rencontré mon homologue, je vous le confirme, oui, j’ai rencontré le vice-Premier ministre également. Il est vrai que j’ai essayé de plaider pour la levée de l’embargo. Je l’ai fait !
Les Russes souhaitaient une levée de l’embargo partielle, régionalisée, à l’échelle européenne. Grossièrement, en ce qui concerne l’embargo sanitaire : les frontières ne sont pas ouvertes aux pays directement touchés par la peste porcine africaine ; il faut aller chercher les autres pays – sauf qu’il est ensuite difficile de négocier sur le plan européen dans le contexte que vous savez.
Lors du conseil de l’agriculture du 14 mars, une majorité de pays s’est montrée favorable à la levée de l’embargo. Ministres de l’agriculture, nous dépendons malheureusement de décisions qui n’y sont pas directement liées, vous l’avez compris, mais je vous confirme que je me suis bien rendu à Moscou et que j’ai négocié. Ensuite, les choses se situent au-delà de mes propres possibilités de décision. Si je peux faire certaines choses, je n’ai pas toute latitude.
S’agissant de la simplification des normes, j’ai déjà indiqué que plusieurs processus sont engagés. Ce que je peux vous assurer, c’est que les nouveaux modèles de production qui intègrent la performance environnementale connaîtront un assouplissement de certaines des normes qui s’appliquent à eux.
Monsieur le ministre, dans le département de l’Yonne, au coeur de la Puisaye, à Champignelles, une antenne de l’École nationale vétérinaire d’Alfort est installée depuis plus de quarante ans. Le centre d’application de Champignelles permet de compléter l’enseignement théorique de l’école de Maisons-Alfort par une application pratique et clinique sur les productions animales.
Le site de Champignelles est ultramoderne. Il bénéficie d’un site d’exploitation agricole remarquable de 86 hectares, avec une ferme très riche d’une grande variété de productions animales. Depuis 2007, il dispose en outre d’une nouvelle plateforme d’enseignement de près de 300 mètres carrés, qui répond aux exigences des normes européennes en termes de santé publique. Ces équipements ont été largement cofinancés par des crédits régionaux et européens. Les résultats sont là : une augmentation du nombre d’étudiants, français et étrangers, et une qualité d’enseignement excellente, sous l’impulsion personnelle d’une directrice particulièrement engagée.
C’est dans ce contexte qu’interviennent, depuis plusieurs années, un certain nombre d’évolutions qui suscitent des préoccupations. Il me paraît indispensable, monsieur le ministre, que vous fixiez clairement un cap, celui de la pérennité du centre de Champignelles, qui est le complément indispensable d’Alfort.
Le maintien et le rayonnement de ce site sont importants pour la formation des vétérinaires de France, mais plus encore pour l’aménagement du territoire et pour ce territoire rural qu’est la Puisaye.
Vous aviez eu l’amabilité de m’autoriser à vous accompagner lors de votre visite de Maisons-Alfort il y a un peu plus d’un an. Je voudrais que ce soir, dans l’hémicycle, vous confirmiez la pérennité de cette antenne de Champignelles, utile pour les vétérinaires et pour nos territoires ruraux.
Vous avez posé une question extrêmement précise, monsieur le député, relative à l’antenne de l’École nationale vétérinaire d’Alfort à Champignelles. Il est vrai que la question de la fermeture de cette école s’est posée.
Néanmoins, compte tenu des investissements dont elle a bénéficié – vous les avez rappelés – et compte tenu de son rôle, je confirme ce soir qu’il n’est plus question de fermer l’école de Champignelles.
L’avenir des écoles vétérinaires est une vraie question. Puisque vous avez fait la visite de Maisons-Alfort avec moi, vous vous souvenez que nous avons essayé de débloquer des fonds pour assurer la pérennité de l’antenne de Champignelles. La question du devenir de cette école vétérinaire est extrêmement sensible, et j’en ai déjà été saisi par d’autres élus, et de grands élus, de cette grande et belle région qu’était autrefois la Bourgogne, et qui est devenue la Bourgogne-Franche-Comté. J’avais déjà examiné ce dossier et je vous réponds ce soir clairement, simplement et tranquillement que Champignelles ne fermera pas, monsieur le député.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, aujourd’hui, notre agriculture et nos agriculteurs souffrent.
Le risque de voir s’effondrer un pan entier de notre économie est élevé. Doit-on rappeler qu’il s’agit de l’un de nos fleurons, créateur de richesses à l’exportation ? Doit-on rappeler qu’il nous assure un bien précieux : l’indépendance alimentaire ?
Face à cette situation d’une exceptionnelle gravité, il est nécessaire de prendre des mesures d’urgence et de moyen terme. L’urgence est de donner à la profession des garanties de prix et de marges suffisantes. Une augmentation de quelques centimes permettrait une réelle amélioration de la situation des exploitations, sans grever le pouvoir d’achat des Français.
Dans cette optique, envisagez-vous, monsieur le ministre, de reprendre la proposition figurant dans le texte de loi de nos collègues sénateurs, à savoir que les prix tiennent compte des coûts de production, tout en prenant garde de fixer par contrat des indicateurs d’évolution de ces coûts et des prix sur le marché ? Ceci reviendrait en fait à faire évoluer le principe de contractualisation qui, reconnaissons-le, mérite aujourd’hui d’être actualisé.
Concernant le moyen terme, êtes-vous prêt, monsieur le ministre, à donner à nos agriculteurs un cadre réglementaire satisfaisant, leur permettant d’adapter leurs exploitations aux marchés et de faire face à la concurrence européenne ? Je songe à deux domaines en particulier.
Le social, d’abord, en allégeant de manière significative les charges qui pèsent sur le travail, particulièrement pour la filière fruit ou la filière viande, où la recherche de valeur ajoutée passe par une transformation importante et nécessite une main-d’oeuvre elle aussi importante. Par ailleurs, quelle attitude adopter vis-à-vis des officines qui proposent aujourd’hui de recourir à des travailleurs détachés ?
L’environnement, ensuite, en se conformant de manière stricte au droit européen. Ceci permettrait à toutes nos exploitations de ne pas subir de distorsion de concurrence avec nos voisins européens.
Enfin, comment terminer cette intervention sans vous alerter sur un dernier point, les retards de versement des primes PAC, qui déstabilisent encore un peu plus les trésoreries exsangues de nos exploitations ?
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
Monsieur le député, vous avez posé plusieurs questions en même temps ; vous avez fait un balayage général, sur lequel je vais revenir.
J’ai déjà répondu sur la question des baisses de cotisation. Ces baisses seront actées par un décret et elles ont vocation à durer. J’ose seulement espérer que personne ne reviendra dessus : chacun devra assumer ses responsabilités. Je souhaite que cette décision du Gouvernement, qui s’appliquera jusqu’en 2017, continue de s’appliquer par la suite, quelle que soit la suite. Moi, j’ai de la suite dans les idées.
Ensuite, vous m’avez posé des questions sur la simplification, auxquelles je crois avoir déjà répondu.
S’agissant de la PAC, il est vrai que nous constatons des retards aujourd’hui : j’ai déjà évoqué les apports de trésorerie remboursables – ATR – introduits en 2015, et je vous ai expliqué que nous devions à présent régler le problème du parcellaire. Il est donc nécessaire de solder 2015 et de mettre en place, dès le 1er avril, le Telepac pour 2016, l’objectif étant, pour 2016, que les aides soient versées comme elles le sont d’habitude : les avances en octobre, et le solde en décembre. Tel est notre objectif, et nous devons tout mettre en oeuvre pour l’atteindre.
J’ai parfaitement mesuré sur le terrain, ainsi que dans nos services, puisque nous avons été obligés de renforcer les services économie agricole – SEA – partout dans les départements, combien il a été difficile de tout modifier en temps et en heure. Nous sommes presque parvenus à le faire, même s’il et vrai que nous avons un peu de retard.
S’agissant du prix, des marges et des coûts, la loi Hamon a déjà introduit la possibilité de rouvrir les négociations commerciales et contractuelles en cas de volatilité des prix, lorsque les prix et les coûts augmentent. Le problème aujourd’hui, et vous en conviendrez tous, c’est que le facteur qui met les agriculteurs en difficulté, ce ne sont pas les coûts de production, mais la baisse des prix.
Prix de l’énergie, prix de l’alimentation en céréales : vous conviendrez, messieurs les députés, que l’on ne constate pas d’augmentation des coûts dans ces domaines. Mais la baisse des prix est plus forte que la baisse des coûts. Votre proposition ne permettra donc pas de régler la crise d’aujourd’hui. La crise d’aujourd’hui est bien liée à la situation des marchés et des prix.
Et l’on en revient à la question de l’équilibre global du marché à l’échelle européenne et mondiale, que nous évoquions au début de notre discussion. Je répète que la loi Hamon rend déjà possible la modification des indices pour les contrats laitiers – ce à quoi je suis tout à fait favorable. Le problème du contrat, c’est qu’il est négocié entre un agriculteur et un industriel : tout ce que nous pouvons faire, c’est donner du pouvoir aux organisations paysannes et faire des contrats-cadres avec elles. Car c’est à ce niveau-là que nous pourrons faire évoluer le rapport de forces entre les industriels et les producteurs.
Nous en revenons aux questions du groupe socialiste, républicain et citoyen.
La parole est à Mme Annick Le Loch.
Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, la crise que traverse l’élevage français est sévère. Malgré toutes les dispositions et aides d’urgence que vous avez prises – elles sont nombreuses et d’importance –, malgré la détermination dont vous avez fait preuve au Conseil européen le 14 mars dernier, celle-ci ne semble pas s’éloigner.
J’ai été missionnée avec Thierry Benoit pour rédiger un rapport sur ces crises et l’avenir des filières d’élevage, que nous présenterons demain en commission. Il ressort notamment de nos auditions une demande de régulation forte des productions, pour les adapter au marché.
Grâce à votre action, le Conseil européen a adopté des mesures concrètes pour agir sur la production laitière par le déclenchement de l’article 222 du règlement de l’Organisation commune des marchés – OCM –, qui permet aux opérateurs de déroger au droit de la concurrence et de limiter temporairement la production. Seulement, cette proposition de limitation ne se base que sur le volontariat. Rien ni personne ne peut imposer une baisse ou une stabilisation de la production au niveau de chaque État européen.
Or les chiffres récemment publiés concernant la collecte laitière en Europe sont déconcertants. Quand la France augmente sa production de 1,5 %, l’Allemagne augmente la sienne de 6 %, la Pologne de 8 %, les Pays-Bas de 15,6 %. N’est-il pas temps, monsieur le ministre, de siffler la fin de la récréation ? N’est-il pas temps d’instaurer un programme de responsabilisation face au marché, fondé sur le modèle proposé par l’European Milk Board, et comme le permettrait déjà l’article 221 de l’OCM ? Ce programme permettrait, en fonction des prévisions de l’observatoire européen du lait, d’actionner, selon l’importance de la chute des prix, des mesures volontaires, incitatives, voire des mesures obligatoires de réduction de la production.
La filière laitière française vous a donné son accord le 22 mars pour une stabilisation de la production, à condition que cet objectif soit partagé par tous les pays au niveau européen – ce qui me semble normal. Ce n’est pas vous qu’il faut convaincre, monsieur le ministre, mais vos homologues européens, et le commissaire Phil Hogan. Comment comptez-vous vous y prendre ? Pensez-vous que ce mécanisme, ou un autre mécanisme de régulation ait une chance de voir le jour ?
Madame la députée, vous m’avez demandé de siffler la fin de la récréation. Le problème, c’est que je ne suis pas un instituteur dans une cour d’école, à qui il suffit de siffler pour que tout le monde rentre en classe dans le calme et dans l’ordre. La situation est plus compliquée.
Ce que j’ai essayé de faire, c’est d’alerter, de faire comprendre ce que je voulais faire, puis de partager : c’est ce que j’ai fait le 14 mars. La France a non seulement prouvé par son mémorandum, chiffres à l’appui, que la surproduction était une réalité ; mais elle a aussi trouvé, au sein de l’arsenal juridique négocié dans la PAC, des articles susceptibles de convaincre une grande majorité de pays – vingt d’entre eux se sont alignés sur la position française.
Vous me demandez ce que je compte faire. J’ai obtenu un accord et j’ai convaincu le commissaire européen, qui était réticent – or c’est la Commission qui peut appliquer l’article 222. Ce qu’il convient de faire à présent, c’est de l’appliquer. Nous avons réuni les représentants de la filière laitière – industriels et producteurs –, qui se réuniront à nouveau la semaine prochaine, et nous avons commencé à travailler sur de nouveaux mécanismes. C’est la France qui fait des propositions et qui fait avancer les choses. J’ai d’ailleurs dit aux producteurs et aux industriels français, qui sont présents partout en Europe, que si nous ne sommes pas cohérents en France, nous n’arriverons pas à convaincre nos voisins d’Allemagne, de Belgique ou des Pays-Bas. Or c’est ce que nous allons faire !
En ce qui me concerne, c’est au niveau du Conseil européen, mais aussi et surtout du Parlement européen que je dois batailler, car celui-ci a plus de facilités que la Commission pour organiser des réunions. C’est là que nous allons porter notre effort. Il se trouve que les événements de Bruxelles ont retardé les choses, mais nous allons reprendre ce travail, pour faire en sorte que l’article 222 soit appliqué à l’échelle européenne.
Il faut au moins que les dix plus grands pays producteurs, qui représentent à eux seuls plus de 80 % de la production laitière, se mettent d’accord sur l’application de cet article. À ce moment-là, nous pourrons avoir un impact fort. Mais il est déjà très important, dans ce débat public européen, d’avoir réussi à imposer l’idée qu’il y avait un problème de surproduction, et qu’il importait de le régler si l’on voulait redresser les prix pour les agriculteurs et les producteurs.
J’ai également rencontré les représentants de l’European Milk Board, que je connais bien, et je leur ai expliqué la situation. Ils ont fait des propositions pour aller plus loin, mais ils estiment que nous avons bien travaillé. Je leur ai demandé, puisqu’ils oeuvrent à l’échelle européenne, de relayer nos propositions dans tous les pays.
Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, le Conseil agriculture qui s’est tenu à Bruxelles le 14 mars dernier a adopté des mesures qui visent à sortir les éleveurs de la précarité, notamment dans le secteur laitier, particulièrement touché depuis la fin des quotas il y a tout juste un an, et qui concerne 16 000 producteurs français en zone de montagne.
Parmi ces mesures figurent le doublement de la capacité de stockage et la possibilité, pour six mois renouvelables, de recourir, entre producteurs et transformateurs, à des accords de limitation de la production. Ces deux mesures peuvent jouer un rôle salutaire de régulation sur le volume global de la production laitière, à condition qu’ils soient mis en oeuvre solidairement dans tous les États membres.
Or certains éleveurs ont une stratégie de volume tournée entièrement vers l’exportation, dans un contexte où les marchés mondiaux ne cessent de tirer les prix à la baisse et ne sont rémunérateurs que pour les produits transformés apportant une forte valeur ajoutée. La régulation de la production laitière par les seuls marchés mondiaux condamnerait donc à court terme le maintien d’élevages laitiers dans les territoires de montagne, où ils assument, outre un rôle alimentaire, des fonctions essentielles aussi bien en matière d’aménagement du territoire et d’entretien de l’espace et des paysages, que de patrimoine, en termes de savoir-faire et de productions de qualité. Je rappelle qu’un tiers du lait produit en montagne est transformé en produits AOP et que sur les quarante-six AOP laitières françaises, vingt sont produites en montagne.
La qualité et la traçabilité des produits constituent une voie décisive pour garantir la pérennisation de la production laitière en montagne. C’est pourquoi, parmi les décisions du 14 mars, l’autorisation accordée à la France, que vous avez obtenu, monsieur le ministre, pour expérimenter l’affichage de l’origine des produits laitiers et des viandes dans l’étiquetage des produits agroalimentaires va dans le bon sens, même s’il est nécessaire d’aller plus loin.
Lors du congrès de la Fédération nationale des producteurs de lait – FNPL –, vous avez, monsieur le ministre, mis en place un groupe de travail et de concertation avec les producteurs laitiers pour finaliser les modalités des décisions communautaires à mettre en oeuvre. Vous vous êtes également engagés à mettre en place un groupe de travail « Lait de montagne » pour élaborer une stratégie de valorisation de ce lait auprès des consommateurs, afin de mieux rémunérer les producteurs qui doivent faire face à des coûts de production plus élevés, notamment en collecte. Dans ce cadre, pouvez-vous nous dire quelles mesures spécifiques vous comptez développer à destination des éleveurs laitiers de montagne pour les accompagner – en matière d’innovation, d’ingénierie, d’investissement – dans une démarche de meilleure valorisation de leur production et de développement de nouveaux débouchés ?
Madame la députée, vous avez évoqué le sujet du lait de montagne. Je rappelle d’abord que, dans le cadre de la mise en oeuvre de la nouvelle PAC, nous avons pris des mesures comme la revalorisation des indemnités compensatrices de handicap et le doublement de l’aide à la vache laitière pour les zones de montagne. L’aide est aujourd’hui fondée, non pas sur la production de lait, mais sur le nombre de vaches. Des mesures spécifiques ont donc été prises pour le lait de montagne afin d’aider les producteurs à compenser des handicaps liés à la nature et, partant, au fonctionnement de la collecte laitière.
Le débat porte désormais sur l’identification du lait de montagne. Le groupe de travail que j’ai accepté de créer à la demande des producteurs laitiers de montagne de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles – FNSEA – devra établir le cahier des charges permettant de le définir. Je rappelle que, lors des négociations sur la PAC, j’avais réussi à obtenir une dénomination distincte pour le porc de montagne, produit en altitude. Pour être éligible, il fallait remplir certains critères, portant notamment sur l’alimentation : il ne suffisait pas de disposer d’un atelier en montagne ; encore fallait-il que 25 % des produits consommés par ces porcs proviennent des zones de montagnes.
Le cahier des charges sera donc l’un des enjeux majeurs du débat que nous aurons avec les producteurs de montagne. Nous avons convenu que celui-ci devra être suffisamment léger pour couvrir le plus de producteurs de montagne possible mais aussi suffisamment spécifique pour justifier l’augmentation du prix auprès du consommateur. Tel est, en effet, l’objectif commun.
S’agissant des investissements liés, par exemple, à l’amélioration de la collecte, les régions ont un rôle à jouer. Mais, là aussi, j’ai demandé une réflexion sur les innovations possibles dans l’économie générale du système. Un précédent intervenant évoquait le portage du gaz ; dans le même ordre d’idées, la collecte pourrait être regroupée à certains endroits pour éviter que les camions fassent trop de kilomètres. La discussion a donc été ouverte sur tous ces sujets pour valoriser ce lait de montagne.
Monsieur le ministre, je vous écoute depuis le début de ce débat mais j’ai le sentiment que vous vous trompez sur un point en particulier : la façon dont vous pensez modifier la politique agricole commune, notamment les modalités actuelles de déclaration des surfaces. Il s’agit d’un monstre administratif car, comme vous l’avez dit, monsieur le ministre, la Commission européenne l’a voulu : elle est libérale avec les marchés et dirigistes avec les agriculteurs. Le contraire serait plus opportun !
Mais votre système ne marchera jamais car les cartes ne sont pas à jour. Quand les surfaces non agricoles – SNA – seront déclarées, le travail sera à refaire l’année prochaine car il y aura forcément de nouvelles cartes. En outre, 44 000 dossiers ne peuvent être téléchargés cette année en raison d’un problème informatique. Nous n’en finissons donc pas d’essayer de régler des problèmes qu’on a créés de toutes pièces. Aussi, monsieur le ministre, j’aimerais, si vous en avez encore le temps, que vous posiez les bases d’une réflexion visant, par exemple, à donner à la PAC un rôle contracyclique face aux marchés.
Enfin, je finis par une question précise sur le cas d’encéphalopathie spongiforme bovine – ESB – qui vient d’être reconnu dans les Ardennes. L’élevage souffre beaucoup de l’instabilité des marchés, des polémiques récurrentes sur les conditions d’abattage et de la fièvre catarrhale ovine. Il faut des décisions claires et un langage fort. Quelles mesures comptez-vous prendre pour régler ce cas d’ESB et, plus généralement, pour que l’élevage bovin français retrouve les faveurs du public et sa compétitivité sur les marchés ?
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
Monsieur le député, je réponds d’abord à votre question sur les difficultés techniques de la mise en oeuvre de la nouvelle PAC, notamment les registres parcellaires graphiques compliqués auxquels sont aujourd’hui confrontés les agriculteurs. Non seulement j’ai compris le message, mais je suis également allé sur le terrain pour me rendre compte de leur extrême complication. Sachez néanmoins qu’une fois revu le registre parcellaire – et nous en révisons 30 % par an pour rectifier les éventuelles erreurs –, il vaut pour les quatre à cinq années à venir. Mais l’Europe peut à tout moment constater l’inadaptation du registre parcellaire. C’est ainsi que nous avons fait l’objet d’une procédure d’apurement des comptes en 2014. Nous devons donc passer cette étape. Il reste que tout le parcellaire graphique français sera revu.
Ensuite, que faut-il faire ? Faut-il garder le même système ? Je ferai des propositions pour réformer la PAC lors du conseil européen informel d’Amsterdam, à la fin du mois de mai. Parmi les pistes de réflexions que je veux mettre sur la table figurent certains des sujets que vous avez évoqué, monsieur le député. Je souhaite préserver les dispositions du deuxième pilier concernant la compensation des handicaps, car c’est un sujet majeur – nous venons d’en discuter. S’agissant des dispositions sur le verdissement, il convient de reconnaître des objectifs de performance environnementale fondés non pas sur des normes et des moyens mais sur des démarches qui engagent les agriculteurs. C’est ce qu’on avait commencé à faire avec les mesures agroenvironnementales – MAE – systèmes. Il faudra d’ailleurs réfléchir à la façon d’étendre ces dispositifs très intéressants que sont les MAE, qui permettront peut-être à certaines régions de développer, par exemple, l’autonomie fourragère. Les sols agricoles constitueront également un enjeu colossal, notamment pour le stockage du carbone, dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique.
S’agissant des aides, je suis convaincu qu’elles doivent intégrer une dimension davantage contracyclique. Comment faire ? Le cadre financier européen est établi pour cinq ans : les marges budgétaires pouvant être dégagées sont donc extrêmement faibles. Une proposition possible est d’orienter une partie du premier pilier vers un système de mutualisation des risques sanitaires et climatiques – ce qui existe déjà – mais aussi des risques économiques, ce que la crise actuelle rend nécessaire. J’essaie de construire ce système à cadre financier européen inchangé. Pour obtenir un changement majeur et des politiques contracycliques, il faudrait un budget européen voté annuellement. Il serait alors possible d’ajuster les financements selon les besoins. Aujourd’hui, une telle politique n’est pas possible car les budgets sont adoptés pour cinq ans. Chaque pays regarde chaque année ce qui revient à son agriculture à travers les aides du premier pilier. Dès lors, on ne peut pas faire bouger beaucoup de choses.
Il faut donc dégager une marge budgétaire, comme nous l’avons d’ailleurs fait dans le cadre du Plan pour la compétitivité et l’adaptation des exploitations agricoles – PCAE : une partie du budget du premier pilier avait servi à financer les investissements pour la modernisation des bâtiments d’élevage, nous permettant ainsi de combler notre retard.
Monsieur le député, je ferai des propositions sur ces sujets dans le cadre du conseil européen informel du mois de mai à Amsterdam et je vous les transmettrai. Nous pourrons en débattre par la suite. Là encore, la position de la France sera attendue et j’apporterai sûrement le projet le plus construit, même s’il suscitera de vifs débats. Les prochaines négociations sur la réforme de la PAC auront lieu en 2020. D’ici là, nous aurons fait, je l’espère, beaucoup de choses. En tout cas, nous aurons surmonté la crise actuelle.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Prochaine séance, à quinze heures :
- Questions au Gouvernement ;
- Débat sur le coût de la filière nucléaire et la durée d’exploitation des réacteurs ;
- Débat sur les perspectives de développement d’AREVA et l’avenir de la filière nucléaire.
La séance est levée.
La séance est levée, le mardi 29 mars, à vingt-trois heures dix.
La Directrice du service du compte rendu de la séance
de l’Assemblée nationale
Catherine Joly