La séance est ouverte à 14 heures 10.
Présidence de Mme Catherine Coutelle, présidente.
La Délégation procède à l'audition de M. Régis Bac, chef du service des relations et des conditions de travail de la direction générale du travail (DGT), du ministère du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, de Mme Claire Scotton, adjointe au sous-directeur des relations individuelles et collectives du travail, au service des relations et des conditions de travail de la DGT, inspectrice des affaires sociales, et de Mme Catherine Pernette, cheffe du bureau du pilotage du système d'inspection du travail, au service de l'animation territoriale de la politique du travail et de l'inspection du travail de la DGT, sur la mise en oeuvre de dispositions adoptées en matière d'égalité professionnelle.
Nous souhaitons dresser un bilan de nos travaux et de la mise en oeuvre des mesures adoptées en matière d'égalité femmes-hommes au cours des cinq dernières années, notamment en matière d'égalité professionnelle.
Sur ces questions, nous accueillons aujourd'hui M. Régis Bac, chef du service des relations et des conditions de travail de la direction générale du travail (DGT), du ministère du Travail, de l'Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social, Mme Claire Scotton, adjointe au sous-directeur des relations individuelles et collectives du travail, au service des relations et des conditions de travail de la DGT, inspectrice des affaires sociales, ainsi que Mme Catherine Pernette, cheffe du bureau du pilotage du système d'inspection du travail, au service de l'animation territoriale de la politique du travail et de l'inspection du travail de la DGT.
La législation a évolué, concernant le cadre de la négociation collective, le passage du rapport de situation comparée entre les femmes et les hommes (RSC) à la base de données économiques et sociales (BDES), etc. Nous aimerions que vous nous disiez ce que vous en pensez, et quelles évolutions vous constatez, car notre rôle ne consiste pas seulement à faire des lois, mais à en évaluer l'application. Par exemple, est-ce que le passage du RSC à la BDES s'est fait harmonieusement ou s'est-il avéré source de confusion ? Est-ce que les entreprises se sont approprié ce changement ?
Avant la loi de 2014, il incombait aux inspecteurs du travail de s'assurer, lorsqu'ils visitaient les entreprises, de l'existence des RSC et des plans d'action. Il me semble que désormais, ils sont envoyés au ministère…
Les plans d'action relatifs à l'égalité professionnelle qui sont établis à défaut d'accord sont déposés au même titre que les accords, dans la base d'accords gérée par les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE). Nous y avons donc accès. La synthèse des plans d'action est destinée à être publiée, mais sur le site de l'entreprise.
Les plans et les accords sont donc centralisés. Vous pouvez donc procéder à une analyse quantitative et qualitative des accords ?
Nous n'avons pas la possibilité d'analyser les 36 000 accords qui sont signés chaque année. En revanche, la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels a prévu de rendre publics tous les accords, sauf opposition des signataires, et cette disposition s'appliquera à partir du 1er septembre 2017.
Il est important de rendre publics et accessibles ces accords.
Nous aimerions savoir, d'une part, comment est appliquée concrètement la législation relative à l'égalité salariale dans les entreprises, et d'autre part comment la DGT intervient en amont de l'élaboration de la loi. Par exemple, dans le cadre des lois relatives au travail, réalise-t-elle des études d'impact en matière d'égalité femmes-hommes ?
Avant de passer la parole à chacune de mes collègues, je précise que nous évoquerons ces questions sous deux angles : l'aspect ministériel et les relations du travail, individuelles et collectives, d'une part – nous allons ainsi pouvoir vous donner notre perception de l'évolution des pratiques conventionnelles au sein des entreprises – ; par ailleurs, notre collègue Catherine Pernette vous éclairera davantage sur les évolutions que l'on peut constater, ou non, sur le terrain.
Aujourd'hui, nous sommes entre deux eaux : autrement dit, le progrès est en cours. Bien sûr, selon le point de vue où l'on se place, le verre est à moitié plein ou à moitié vide, mais il a plutôt tendance à se remplir. C'est en tout cas ce que l'on constate de façon assez synthétique, puisque le taux de couverture conventionnelle des entreprises assujetties –entreprises couvertes par un accord d'entreprise ou par un plan d'action relatif à l'égalité professionnelle – est de 40 %, alors qu'il était encore de 37 % en 2015. Ce taux progresse de façon assez régulière.
On peut constater également une montée en charge du dépôt des accords et plans d'action depuis 2013, puisque l'on est passé d'une base de l'ordre de 4 500 à environ 14 000. Nous vous transmettrons bien entendu des éléments détaillés.
Cela étant, aussi bien les mises en demeure des entreprises que les pénalités financières qui sont appliquées, pour défaut d'accord relatif à l'égalité professionnelle ou de plan d'action, concernent à 80 % des entreprises de moins de 300 salariés. C'est pourquoi les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) ont mis en place une action ciblée pour accompagner ces entreprises dans cette politique de promotion et d'égalité hommes-femmes.
Nous avons en effet constaté chez elles – je précise que dans mes fonctions antérieures, il y a encore quelques mois, je travaillais à la DIRECCTE d'Île-de-France – un défaut d'appropriation du sujet, soit par méconnaissance, à la fois des obligations et des leviers d'actions, soit tout simplement parce que leurs compétences en la matière sont encore à développer.
Mais nous avons aussi constaté que notre accompagnement pouvait être efficace puisque, dans les six mois qui suivent une mise en demeure, 60 % des entreprises se mettent en conformité. Il en est de même pour près de la moitié des entreprises suite à l'application de pénalités financières.
Non. Les entreprises paient des pénalités. L'accompagnement et, en dernier ressort, la sanction, peuvent servir de corde de rappel, pour les inciter à se mettre en conformité.
Nous avons introduit dans la loi la possibilité, pour les comités d'entreprises, de demander, avec l'accord des responsables de l'entreprise, l'intervention d'experts. Pouvez-vous donc nous dire comment se passe concrètement l'accompagnement des entreprises par les DIRECCTE ?
C'est un axe prioritaire d'action pour les DIRECCTE, qui est encore inscrit dans les plans régionaux d'action, en 2016 et pour 2017.
L'action des DIRECCTE se déroule à deux niveaux.
Premièrement, des actions de sensibilisation et d'information en direction des entreprises et des partenaires sociaux. Cela passe par des réunions et colloques ; des formations peuvent aussi être mises en place par les DIRECCTE à destination des partenaires sociaux pour les faire monter en compétence et les inviter à négocier sur cet accord.
Cela passe aussi par des partenariats, avec les directions régionales aux droits des femmes et à l'égalité (DRDFE) naturellement – et de bons partenariats ont été renforcés –, ainsi qu'avec des universités ou encore des conseils régionaux. Des conventions ont ainsi été passées avec des régions pour accroître la montée en compétence des partenaires sociaux, notamment dans les territoires d'excellence pour l'égalité professionnelle. D'autres l'ont été avec des associations régionales pour la qualité de vie au travail (ARACT) ou le Défenseur des droits, pour monter des actions sur le terrain avec les entreprises ou les partenaires sociaux – unions locales ou départementales. Certaines DIRECCTE ont pu cibler des secteurs d'activité où l'on avait constaté l'absence de négociation sur ces sujets.
Deuxièmement, la pression des services de l'inspection du travail dans le cadre de contrôles.
Nous avons beaucoup insisté auprès des DIRECCTE, l'année dernière et cette année, sur le lien évident qui existe entre la mise en demeure et le taux de couverture dans les DIRECCTE. Nous disposons en effet d'éléments chiffrés, sur la base des remontées qui sont faites mensuellement par l'ensemble des DIRECCTE à la DGT. Clairement, plus la pression est faite, plus la négociation s'engage dans les entreprises.
Nous avons demandé aux DIRECCTE – plus particulièrement à celles qui pouvaient avoir insuffisamment mobilisé cet outil – de faire, lors des visites qu'elles réalisent de façon systématique, un état des lieux de la négociation en matière d'égalité professionnelle.
Nous leur avons demandé de mettre à jour la liste des entreprises assujetties, en faisant porter tout spécialement leur effort sur les entreprises de moins de 300 salariés. Nous nous sommes en effet rendu compte qu'au 15 octobre, le taux de couverture des entreprises de plus de 1 000 salariés était de 91 %.
De fait, la structuration des entreprises, la présence de services des ressources humaines, de responsables du personnel et de partenaires formés favorisent la négociation Ce taux chute dès que l'on descend en effectifs : le taux de couverture des entreprises de 300 à 1 000 salariés est de 67 %, tandis que celui des entreprises de 50 à 299 salariés n'est que de 35 %. Nous avons donc dit à nos collègues des DIRECCTE de cibler les entreprises entre 50 et 299 salariés.
Ce taux concerne bien des entreprises disposant d'un accord collectif ou d'un plan d'action, les deux confondus ?
On voit bien qu'il y a un décalage parmi les entreprises. Cela étant, je pense que si les entreprises d'au moins 300 salariés savent comment faire, c'est aussi parce qu'elles ont été concernées par ces dispositions depuis le début, ce qui n'était pas le cas des entreprises dont le nombre de salariés est compris entre 50 et 299.
On a demandé à chaque DIRECCTE de présenter, dans le cadre des pré-dialogues et dialogues de gestion que l'on fait en fin d'année avec les dix-huit DIRECCTE et DIECCTE, de présenter un plan d'action qui doit combiner et équilibrer tout ce qui relève, d'une part, de la sensibilisation et de la formation, et de l'autre du contrôle.
Un effort particulier doit être consenti sur la formation des agents de contrôle – formation sur les textes et sur les outils à mobiliser, notamment les mises en demeure et les sanctions financières.
J'ajouterai, s'agissant de l'action de l'inspection du travail, que la loi relative au travail contient des obligations en matière d'information des entreprises.
De fait, aujourd'hui, dans le cadre de la refonte du dispositif d'information des DIRECCTE, nous mettons l'accent sur l'interopérabilité des actions. Quand les inspecteurs du travail se déplacent sur le terrain et rencontrent des entreprises, ils doivent exercer non seulement leur rôle de contrôle, et donc de sanction, mais aussi un rôle de sensibilisation.
Nous insistons beaucoup pour qu'ils mettent à profit leurs déplacements pour rencontrer les partenaires sociaux, les représentants des salariés, et évoquer avec eux les différents chantiers sur lesquels il y a des attentes et des obligations.
Et encore une fois, l'information et la sensibilisation des entreprises entre 50 et 299 salariés constituent un axe privilégié d'action pour les différentes DIRECCTE.
Dans les plans relatifs à l'égalité professionnelle, il est souvent question de formation, de déroulement de carrière, de qualité de vie au travail ou des classifications professionnelles, avec la mise en oeuvre du principe « à travail égal, salaire égal ». Tous ces sujets sont importants, mais je voudrais savoir si certains plans prévoient, par exemple sur deux ou trois ans, un rattrapage salarial. Je n'arrive pas à le savoir. J'ai interrogé sur ce point une grande entreprise considérée comme très en pointe en matière d'égalité femmes-hommes, mais je n'ai pas obtenu de sa part de réponse directe.
Une équipe du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) est en train de réaliser une étude sous l'égide de la Direction de l'animation de la recherche et des études statistiques (DARES). Il s'agit d'une étude qualitative qui, selon moi, pourrait répondre très précisément à cette question.
Cette étude s'est concentrée sur un échantillon de 98 accords et 88 plans d'action unilatéraux, qui ont été déposés entre 2014 et 2015. Des premiers résultats nous sont parvenus, à savoir que 93 % de l'ensemble des textes – accords et plans d'action confondus – abordent le sujet de la rémunération, ce qui est très positif. Seuls 7 % des entreprises omettent d'aborder ce thème, pourtant obligatoire. En revanche, 20 % de ces textes seulement reconnaissent l'existence d'un écart de rémunération, et 14 % donnent une estimation chiffrée de cet écart.
Comment expliquer que 93 % des textes abordent les rémunérations femmes-hommes dans l'entreprise, et qu'il n'y en ait que 20 % qui reconnaissent l'existence d'un écart de rémunération ? Et comment est-on arrivé à établir qu'en France, l'écart salarial entre les femmes et les hommes était en moyenne de 19 %, et de 9 % à compétences égales, âge égal, etc. ?
L'échantillon comprend moins de 200 accords et plans d'action – 88 accords et 98 plans d'action.
D'où l'intérêt de disposer d'indicateurs chiffrés dans la base de données économiques et sociales (BDES) des entreprises, la loi du 4 août 2014 ayant introduit des indicateurs visant précisément à analyser ces écarts. À l'heure actuelle, nous n'avons pas d'explications à vous donner, mais nous continuons à y travailler.
C'est ce que je subodorais.
Je voudrais savoir comment on fait, concrètement, quand on constate que des femmes gagnent 100 ou 200 euros de moins que leurs collègues masculins, ou qu'elles ne reçoivent pas les mêmes primes alors qu'elles sont aussi bien notées.
Bien sûr, s'il y a une enveloppe fermée pour négocier des salaires, il faudrait prendre aux uns pour donner aux autres, ce qui serait très compliqué. Mais si l'enveloppe augmente un peu, on devrait pouvoir modifier la répartition à l'intérieur de cette enveloppe, afin de procéder à un rattrapage. Or nous n'avons pas d'exemple qui aille dans ce sens, même dans les grandes entreprises qui mettent en avant leur label « égalité ».
On sait que les interruptions de carrière dues à des congés maternité ou à des congés parentaux, qui sont pris très majoritairement par des femmes, ont un impact sur la rémunération. Ce peut être un élément d'explication, d'ailleurs souvent pris en compte. Un groupe vient ainsi d'annoncer qu'il généralisait la prise en compte intégrale du congé maternité. Reste à savoir s'il prend en compte les primes qui sont accordées, dans le même temps, aux salariés qui ne sont pas en congé maternité.
Les périodes de temps partiel, qui sont parfois temporaires ou qui peuvent durer, ont également un impact.
Il n'y a pas que cela. Je me permets de conseiller à vos inspecteurs de voir, sur le terrain, ce qui se passe au moment de l'embauche. En matière de rémunération, il semble en effet que les femmes demandent moins que les hommes, et lorsque l'on part de plus bas, il est bien difficile de rattraper. Sans compter les périodes d'interruption dont vous venez de parler.
Avez-vous des éléments sur la BDES par rapport au RSC ?
Une étude, qui est en cours, porte sur la participation des comités d'entreprise aux orientations stratégiques, sur l'expertise et son apport dans l'information et la consultation, voire dans les négociations. Elle a été lancée à la suite de la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi, notamment pour étudier la participation des comités d'entreprise en cas de restructuration et de plan de sauvegarde de l'emploi (PSE).
Cette étude nous apprend que l'expertise est très appréciée par des élus. Dans le cas des restructurations qui faisaient l'objet de l'étude, on a constaté que la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi, dite « loi Rebsamen », avait eu un impact sur leur champ d'enquête. Pour l'instant on n'en sait pas plus. Nous attendons les remontées de terrain sur le sujet, mais il est malheureusement un peu tôt pour vous donner des éléments tangibles.
Cela étant, il nous remonte du terrain que les entreprises s'approprient lentement la BDES. Elles font souvent le choix très pragmatique de conserver des supports papier, notamment pour les salariés les plus âgés qui ont encore des difficultés avec le numérique. Il n'y a pas de perte d'information, dans le sens où les entreprises ont décidé de multiplier les canaux. Mais on attend de voir, très concrètement, si les informations qui sont demandées dans la BDES correspondent aux besoins des organisations syndicales par rapport à l'objectif poursuivi, qui était d'assurer un dialogue un peu plus stratégique au sein des entreprises.
Le temps partiel est un sujet auquel la Délégation est très sensible. Celui-ci est en effet une des sources de l'inégalité salariale entre les femmes et les hommes, dans la mesure où ce sont très majoritairement les femmes qui travaillent à temps partiel.
Nous avions introduit dans la loi de 2013 un minimum de 24 heures de travail hebdomadaires, qui devaient par ailleurs être regroupées pour permettre aux intéressés d'occuper un autre emploi. Cependant, des possibilités de dérogations ont été accordées. Des chercheurs nous ont indiqué à cet égard que plusieurs dérogations avaient été introduites dans les branches professionnelles lors des négociations collectives. Constatez-vous une amélioration pour les temps partiels ? Des évolutions sont-elles intervenues concernant la quotité de travail ? Et quel est l'impact de ces dérogations ?
Répondre très précisément à cette question nécessiterait une étude de la DARES sur le terrain, afin de mesurer très concrètement les durées inscrites dans les contrats à temps partiel.
Tout ce que nous pouvons vous dire figure dans les accords de branche, plus précisément ceux que nous avons étendus – soit 58, sur les 600 branches existantes, ce qui constitue vraiment une minorité. Dans toutes les branches qui n'ont pas négocié sur le temps partiel, les 24 heures s'appliquent vraiment.
La majorité de ces quelques branches a fait des 24 heures le principe, et la dérogation l'exception. Les dérogations paraissent très ciblées, et de façon très pragmatique, sur certaines catégories.
Par exemple, dans la branche des gardiens, concierges et employés d'immeubles, les durées minimales sont différentes en fonction de la taille des résidences, et la durée minimale augmente en fonction du nombre de lots à gérer. Il y a donc une adéquation avec les besoins des salariés. Dans la branche de la pharmacie d'officine, ou dans celle des organismes de formation, la durée de travail n'est inférieure à la durée conventionnelle que pour les seules personnes d'entretien, de nettoyage et de gardiennage, et dans ce cas, il est bien prévu de regrouper les heures, pour permettre aux personnes concernées de gérer les différents emplois qu'ils occupent.
J'ai la liste des conventions. Certaines sont plus étonnantes, avec aussi des durées minimales qui peuvent descendre jusqu'à deux heures ! Malgré tout, dans les métiers de nettoyage ou de gardiennage, des efforts ont été fait pour permettre aux salariés de travailler à temps plein.
Je souhaiterais maintenant aborder la qualité de vie au travail (QVT) et l'articulation entre vie familiale et vie personnelle. Constatez-vous donc une augmentation des accords collectifs qui tiennent compte de ces deux dimensions ?
Nous n'avons pas d'enquête qualitative, à proprement parler, sur les accords d'entreprise concernant la qualité de vie au travail. Sur le plan quantitatif, on observe une certaine saisonnalité. L'année 2015 a ainsi été marquée par une reprise de la signature d'accords qui ont abordé le thème de l'égalité professionnelle, avec une augmentation de 22 % par rapport à l'année 2014. C'est la conséquence de la renégociation des premiers accords triennaux qui avaient été signés en 2011. On a donc anticipé la mise en vigueur de la sanction pour défaut d'accord, qui a été introduite en 2012. Cela correspond à ce que l'on disait au début de cette audition.
J'en reviens à l'enquête en cours, qui porte sur un échantillon de quatre-vingt-dix entreprises. On a remarqué que 69 % d'entre elles abordaient le thème de l'articulation entre vie familiale et vie professionnelle. Mais encore une fois, tant que l'on n'a pas les résultats de l'enquête sur le contenu de ces accords, on peut difficilement vous en dire plus, si ce n'est par analogie avec la fonction publique.
Dans le secteur public, nous avons constaté, dans toutes les discussions que nous avons eues avec nos organisations syndicales, et dans les focus qui sont faits dans le cadre des bilans sociaux de la fonction publique, que c'est un domaine qui prend de plus en plus d'importance. La tendance est sans doute la même dans le secteur privé, en tous cas dans les grandes entreprises. Dans les petites entreprises, nous réservons notre réponse.
Selon vous, le thème de l'articulation vie familiale-vie professionnelle est abordé de manière beaucoup plus significative aujourd'hui. Cela se traduit-il par des mesures ou des actions concrètes ?
Je sais qu'un certain nombre d'entreprises proposent de ne plus faire de réunions avant 9 heures ni après 18 heures, de ne pas faire de réunions importantes ou de séminaires les mercredis, voire de faciliter les tâches de la vie quotidienne – garde d'enfants, pressing, etc. Mais où en est-on ?
Cela nécessiterait une analyse qualitative sur le fond des accords, et cette analyse reste à mener. Sinon, nous disposons des mêmes informations que vous, de façon très ponctuelle, sur ce qui nous remonte des pratiques des entreprises. C'est exactement ce que vous nous avez décrit. C'est aussi ce qui se passe pour la fonction publique, dont Régis Bac parlera mieux que moi.
Il faudra se préoccuper de l'articulation vie familiale-vie professionnelle, dans un monde où les outils numériques prennent de plus en plus de place. L'amplitude du temps de travail ne doit pas être augmentée via les ordinateurs, les smartphones, etc., car cela engendrerait d'autres abus : on vous autorise à partir à seize heures, mais reconnectez-vous à 17 heures 30 jusqu'à une heure du matin, etc. Nous suivrons donc avec attention les négociations, désormais obligatoires, sur le droit à la déconnexion qui a été introduit par la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.
Cela peut être aussi bien discriminatoire que bénéfique pour les salariés. L'entreprise elle-même peut y trouver des avantages.
Sur le télétravail, avez-vous des éléments ?
Une concertation nationale et interprofessionnelle a été lancée au niveau des organisations professionnelles et syndicales, qui doivent discuter de l'aménagement de l'accord national interprofessionnel (ANI) relatif au télétravail, qui commence à dater et qui avait été repris il y a dix ans dans la loi. Le travail à domicile permet, dans certains cas, une meilleure articulation vie privée-vie professionnelle, moyennant des garde-fous.
J'ai lu que la DGT avait participé à l'élaboration des dispositions relatives au travail du dimanche, en partenariat avec la direction générale des entreprises (DGE), pour la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, dite « loi Macron ».
S'agissant du travail dominical et du travail de nuit, nous avons obtenu l'adoption d'un amendement visant à faire en sorte que lorsque l'entreprise fait travailler ses salariés tard le soir ou le dimanche, elle accompagne leur retour à domicile ou participe aux frais de garde des enfants, les femmes étant souvent concernées. Pouvez-vous nous dire ce qu'il en est de l'application de ces dispositions et dans quelle mesure elles doivent faire l'objet d'une négociation ?
Nous suivons cela avec grande attention. Nous constatons que les accords traitent bien de la prise en charge des frais liés à la garde d'enfants, et dans une moindre mesure – qui reste certainement à perfectionner et améliorer – de la prise en charge des frais de transport en soirée ou la nuit.
Pour la garde d'enfants, les dispositions peuvent être très concrètes. Certains accords prévoient des majorations en fonction du nombre d'enfants, d'autres établissent des plafonds annuels. Il y a généralement un âge limite de prise qui est de douze ans, mais celui-ci est souvent porté à seize ans lorsque les enfants sont en situation de handicap.
Il y a toujours un grand décalage entre le texte, les décrets d'application, l'appropriation par les partenaires sociaux, et derrière, les capacités à mesurer de façon objective et significative la façon dont le texte est appliqué sur le terrain. Le travail dominical fait partie des axes sur lesquels nous discutons actuellement avec la DARES. Les premières études, portant notamment sur le contenu des accords, devraient s'engager dès 2017.
Dans ma circonscription, des entreprises dénoncent unilatéralement les accords antérieurs pour passer de cinq à dix ou douze dimanches par an, puisque la loi les y autorise désormais. De nombreux salariés risquent ainsi de devoir travailler un dimanche par mois, ce qui n'est pas négligeable.
Enfin, nous nous sommes penchés à plusieurs reprises sur le harcèlement sexuel et les agissements sexistes, avec la redéfinition du harcèlement sexuel en 2012, les mesures introduites dans les lois du 17 août 2015 et du 8 août 2016, concernant notamment l'information des personnels ainsi que le rôle des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). La mise en place de structures permettant de faire connaître ces agissements sexistes ou les cas de harcèlement est aussi importante.
Est-ce que les inspecteurs du travail vont sur le terrain ? Avez-vous eu des remontées ? Certains dispositifs sont-ils plus efficaces que d'autres ? A-t-on des exemples qui nous permettraient de dire que la protection des personnels s'en est trouvée améliorée ? Est-ce que les partenaires sociaux ont pris conscience de ces fléaux ?
Il y a peu d'accords collectifs conclus spécifiquement sur le thème du harcèlement sexuel. Celui-ci est plus souvent abordé sous un angle égalité femmes-hommes, ou sous l'angle des risques psycho-sociaux. Mais il faut bien distinguer les accords d'entreprise et les accords de branche.
Les accords de branche conclus avant la loi de 2012 se contentaient le plus souvent de rappeler les dispositions légales en vigueur. Cependant, deux exceptions méritent d'être notées : la branche des télécommunications et la convention collective nationale (CCN) de la banque.
Dans ces accords de branches, un peu innovants, un vrai travail a été fait pour donner aux différents acteurs des outils leur permettant d'identifier les situations de harcèlement ou de violence. On y insiste sur la prévention, qui doit se faire en consultation avec les institutions représentatives du personnel (IRP). On y préconise la création d'une charte de référence, annexée au règlement intérieur, etc.
Les accords conclus après 2012 développent, en grande majorité, le rôle de l'entreprise, en prenant acte de la volonté du législateur, et donc en encourageant la prévention. Les entreprises se sont peu à peu emparées du sujet. Certaines ont mis en place un « référent harcèlement » ou ont désigné des acteurs de référence en la matière. Je peux vous donner l'exemple de l'accord ARVAL Service Lease. Mais après, sur le terrain, il est difficile d'évaluer si la mise en place de ce référent a été probante.
Certaines entreprises ont été amenées à traiter du harcèlement sexuel dans le cadre de la demande de labellisation, au titre du label « diversité ». La mise en place de cellules d'écoute en matière de harcèlement est d'ailleurs obligatoire pour obtenir ce label.
Je peux vous citer l'exemple des Ateliers Demaille – entreprise de reprographie – qui a été mis en lumière par l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (ANACT). Cette entreprise a mis en place un certain nombre d'actions comme : le rappel auprès des salariés des règles et codes à respecter en entreprise ; l'affichage d'une tolérance zéro de la part de la direction vis-à-vis des comportements sexistes et discriminatoires – à tel point que la direction a licencié deux salariés à l'origine d'un conflit ; une information spécifique auprès du personnel encadrant ; des notes d'information affichées dans les locaux ; des actions de communication, de formation ; des organisations de temps d'échange interservices ; un rééquilibrage des effectifs en termes de répartition femmes-hommes et, plus globalement, des actions en matière d'égalité professionnelle.
Globalement, il y a trois axes d'intervention.
Premièrement, une information et une sensibilisation peuvent se faire lors des réunions de CHSCT, auxquelles participent les inspecteurs du travail. Ces derniers interviennent généralement avec les médecins du travail, qui sont présents. Certains axes de communication peuvent alors être privilégiés.
Deuxièmement, les inspecteurs du travail rappellent de manière assez systématique la nécessité de mentionner, dans le règlement intérieur, certaines dispositions. Cette mention est désormais obligatoire, ce qui conduit les entreprises à devoir mettre à jour leur règlement intérieur.
Enfin, nous intervenons dans un troisième temps, généralement sur plainte. La plupart du temps, l'inspection du travail procède à une enquête sur les faits que lui ont fait remonter les salariés ou les représentants du personnel. Dans l'hypothèse où des faits de harcèlement sont avérés, la victime est dirigée vers les services compétents qui vont l'accompagner. Derrière, il peut y avoir présentation, au procureur de la République, d'un procès-verbal relevant les infractions en la matière.
Dans le cadre du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle (CSEP), où je me suis rendu très récemment, un important travail de sensibilisation a été fait, avec la présentation d'une étude sur le sexisme constaté et vécu en entreprise par les personnels non cadres. C'était assez intéressant. Les organisations professionnelles et syndicales étaient autour de la même table pour faire part de leur retour d'expérience.
Le harcèlement reste un acte individuel, et la sanction est prévue pour s'appliquer à des situations individuelles. Cela étant, la question de la prévention des discriminations est évoquée en particulier dans le cadre du label « égalité » ou du label « diversité ». Cette prévention passe, notamment, par la mise en place d'une cellule d'écoute par un tiers. L'Afnor, qui labellise la plupart du temps les actions qui sont conduites dans ce cadre, recommande de faire appel à un tiers externe. Ainsi, au sein des ministères sociaux, nous avons eu à faire à un prestataire externe, qui est responsable d'une cellule d'écoute et d'alerte. Aujourd'hui, cela se fait aussi dans un certain nombre de grands groupes.
Nous avons terminé l'évaluation de la loi du 6 août 2012 relative au harcèlement sexuel. Cela nous a amenés à faire un certain nombre de constats, parfois négatifs, que nous avons d'ailleurs très clairement notifiés.
Nous avons auditionné le Mouvement des entreprises de France (MEDEF) et la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME). La représentante du MEDEF, une cheffe d'entreprise, nous a dit que le harcèlement sexuel n'avait rien de grave…
Cette cheffe d'entreprise ne voulait pas que l'on réagisse en France comme aux États-Unis. Il n'en est absolument pas question. Reste que le discours du MEDEF était proprement scandaleux, en ce qu'il consistait à dire que les chefs d'entreprise ne pouvaient pas se mêler de tout, et que ce sont des choses qui se passent à dix heures du matin devant la machine à café…
La CGPME était beaucoup plus compréhensive. Néanmoins, nous avons constaté une vraie carence chez les chefs d'entreprise qui ne veulent pas prendre de responsabilités par rapport au harcèlement sexuel. Il faut reconnaître que celui-ci est très difficile à définir. La plupart du temps, il n'y a pas de témoins, et lorsqu'il y en a, ils ne souhaitent pas intervenir par crainte de s'attirer des ennuis.
Malgré certaines avancées, il reste beaucoup à faire. Toutes les entreprises n'ont pas procédé à l'affichage qui a été institué par la loi de 2012. Les chefs d'entreprise ne veulent pas entendre parler du harcèlement sexuel, qu'ils trouvent très gênant. Ce sont les victimes elles-mêmes – femmes ou hommes, même si c'est très rare – qui en subissent les conséquences, dans la mesure où elles finissent par être licenciées. Il faudra faire encore beaucoup de chemin, et sensibiliser tous les acteurs auxquels vous avez fait allusion – médecine du travail, syndicats, etc.
Lorsque nous avons terminé notre évaluation, nous avons dû reconnaître qu'en quatre ans, malgré la loi que nous avions votée, la situation n'avait pas évolué comme nous le souhaitions. La marge de progrès est encore importante, notamment vis-à-vis des chefs d'entreprise qui refusent « d'avoir encore ce genre de problème à traiter », et ne veulent pas voir que le harcèlement sexuel empoisonne l'atmosphère d'une entreprise.
Je voulais souligner que nous sommes dans notre rôle, puisque la loi nous demande d'évaluer les textes. Quelques années après son adoption, la loi de 2012 a ainsi fait l'objet d'une évaluation, ce dont je me félicite, et ce rapport d'information a été publié le mois dernier.
Nous avons été sidérés par la position de la représentante du MEDEF, et nous sommes bien conscients des difficultés qui demeurent. Malgré tout, les comportements peuvent changer. Ainsi, le ministre de la Défense, M. Jean-Yves Le Drian, a pris à bras le corps ce problème lorsqu'un livre – La Guerre invisible – a fait émerger des comportements inadmissibles au sein de l'armée. Une cellule et un site, notamment, ont ainsi été mis en place.
On pourrait peut-être faire remarquer aux chefs d'entreprise que le harcèlement sexuel se traduit par une baisse de performance chez les salariés qui en sont victimes, et par une baisse de compétitivité pour l'entreprise. Quoi qu'il en soit, l'exemple de l'armée prouve que, plutôt que de fermer les yeux, il est possible de réagir.
J'aimerais savoir si vous avez des éléments sur les motifs des ruptures conventionnelles. On en parle peu, mais le nombre des ruptures conventionnelles a beaucoup augmenté, et il a même « explosé » en 2015.
C'est une loi de 2008 qui a instauré ce dispositif. La rupture conventionnelle ne date donc pas de cette législature. Par ailleurs, elle ne concerne pas spécifiquement l'égalité hommes-femmes.
Je m'intéresse aux motifs de la rupture conventionnelle, parce que je pense justement que le harcèlement peut en fait partie.
Les ruptures conventionnelles renvoient à des situations très différentes. Mais elles font toujours l'objet d'une homologation par les DIRECCTE, qui doivent s'assurer qu'il n'y a pas de vice du consentement. C'est vraiment un divorce à l'amiable. Les deux parties doivent être d'accord, sans qu'il y ait eu de pression de l'une sur l'autre.
Si la salariée – ou le salarié – cache à la DIRECCTE qu'elle – ou qu'il – part pour des motifs de ce type, la DIRECCTE ne pourra pas faire grand-chose. Mais normalement, l'homologation par les DIRECCTE protège de ce type d'abus.
Si j'évoque le sujet, c'est aussi parce que, en tant qu'employeurs, les députés peuvent être concernés. Mais il est évident que les salariés qui sont victimes de harcèlement ne vont pas le dévoiler dans le cadre de la rupture conventionnelle.
La situation étant devenue invivable, la salariée – ou le salarié – peut avoir envie de partir et accepter la rupture conventionnelle en se disant volontaire. Cela étant, on ne peut pas établir des statistiques sur un motif de harcèlement, qui serait illégal. La DIRECCTE refuserait d'ailleurs d'homologuer ce type de rupture conventionnelle.
J'imagine tout de même qu'une DIRECCTE pourrait s'intéresser à une entreprise ou à un employeur qui aurait recours très souvent, voire systématiquement, à la rupture conventionnelle.
Cela peut faire partie des critères qui orientent la politique de contrôle sur le terrain, même si le lien de causalité est très délicat à établir.
Je précise que la rupture conventionnelle ne fait absolument pas obstacle à des poursuites ultérieures pour des faits de harcèlement, qui relèvent du pénal. Après, l'action sera sans doute difficile à engager, parce qu'il faut des témoignages, etc.
Je tiens cependant à terminer sur une touche d'optimisme, en faisant là encore référence à la présentation du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP) à laquelle j'ai assisté. Il y avait autour de la même table des représentants de la CGPME, du MEDEF et des principales organisations syndicales. Ceux-ci ont estimé que la situation avait grandement progressé. Et surtout, un représentant de la CGPME a indiqué en aparté que si les chefs d'entreprise ne veulent pas avancer, il faudra leur rappeler qu'ils sont responsables de l'hygiène et de la sécurité de leurs collaborateurs. Ainsi, leur responsabilité sera engagée si l'un de leurs collaborateurs subit des faits de discrimination graves, voire de harcèlement – qui peuvent en effet conduire au suicide.
On l'a constaté à propos des violences conjugales, l'important est de libérer la parole et de proposer une écoute. On peut espérer qu'il en sera de même pour les faits de harcèlement, maintenant que nous avons mis en place un cadre législatif.
Par ailleurs, nous ne sommes pas pessimistes : nous avons travaillé sur différents sujets et il y a des améliorations. Disons que nous sommes un peu impatients. Je trouve tout de même réconfortant que les DIRECCTE aient, comme axe prioritaire de travail, le contrôle de l'application des dispositions relatives à l'égalité professionnelle dans les entreprises. Il y a quelques années, ce n'était pas le sentiment que l'on avait. La société s'est emparée de ce sujet, avec par exemple la mobilisation récente des Glorieuses pour appeler les femmes à arrêter de travailler le 7 novembre à 16h34, qui a connu un certain écho. Il y a aujourd'hui une prise de conscience plus importante des inégalités salariales, et avec l'engagement des partenaires sociaux et de l'État, les progrès sont appelés à se poursuivre en ce domaine.
Mesdames et monsieur, je vous remercie.
La séance est levée à 15 heures 10.