COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES
MISSION D'ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE DES LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Jeudi 19 juin 2014
La séance est ouverte à neuf heures quarante.
(Présidence de Pierre Morange, coprésident de la mission et rapporteur)
La Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) procède d'abord à l'audition, ouverte à la presse, de M. Ludovic Guillaume, sous-directeur de l'action interministérielle à la délégation à la sécurité et à la circulation routière, M. André Dorso, rapporteur auprès du député Thomas Thévenoud pour la mission de concertation taxis-VTC, et M. Yann Dumareix, chef du bureau de la législation et de la réglementation.
La mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale poursuit ses travaux sur le transport de patients en accueillant aujourd'hui, au titre de la délégation à la sécurité et à la circulation routières, M. Ludovic Guillaume, sous-directeur de l'action interministérielle, M. André Dorso, rapporteur auprès de M. Thomas Thévenoud, député, pour la mission de concertation entre les taxis et les voitures de tourisme avec chauffeur (VTC), et M. Yann Dumareix, chef du bureau de la législation et de la réglementation.
Nos travaux s'inscrivent dans la réflexion en cours, notamment au sein de la Cour des comptes, sur la nécessaire rationalisation des moyens budgétaires affectés à l'assurance maladie. Sur la part de cette enveloppe affectée au transport de patients, soit environ 4 milliards d'euros en 2013, les pistes d'économie dégagées par la Cour des comptes représenteraient environ un demi-milliard d'euros.
Il n'est pas envisageable de maîtriser cette dépense en faisant l'économie d'une réflexion sur la gouvernance de l'offre de transport, aujourd'hui assez complexe. En effet, si le transport sanitaire en ambulance ou en véhicule sanitaire léger (VSL) dépend essentiellement des agences régionales de santé, les ARS, et des caisses primaires d'assurance maladie, les CPAM, le ministère de l'intérieur et les maires sont les autorités dont relèvent les autorisations de stationnement délivrées aux taxis. Or cette « dyarchie » rend difficile toute maîtrise réelle de l'offre de transport, notamment sur le plan de la tarification.
Quel est l'état de la réflexion de la délégation à la sécurité et à la circulation routières sur cette question ? Que pensez-vous des préconisations de la Cour des comptes pour rationaliser l'offre de transport sanitaire, qu'il s'agisse du respect du référentiel de 2006, du contrôle de la liquidation des factures ou du recours à la géolocalisation des véhicules ?
Je précise d'emblée que la délégation n'a hérité du dossier des taxis qu'en octobre dernier et que le conflit entre taxis et VTC a mobilisé une bonne partie de notre temps. Je le dis sans détour : la question du transport des malades assis n'a pas occupé l'essentiel de notre activité. Par ailleurs, le ministre de l'intérieur ne dispose pas, s'agissant du nombre de taxis conventionnés auprès des caisses primaires d'assurance maladie, d'éléments chiffrés autres que ceux qu'on trouve dans le rapport de M. Thomas Thévenoud, par exemple, et qui sont issus de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés, la CNAMTS. Nous ne sommes donc pas en situation, ni de les confirmer, ni de les infirmer.
Vous n'ignorez évidemment pas que la question du conventionnement des taxis et de la tarification de leurs prestations est, depuis les deux dernières lois de financement de la sécurité sociale (LFSS), au coeur des préoccupations de la profession des taxis. En effet, leurs organisations professionnelles ont contesté les expérimentations prévues en matière de régulation de l'offre de transport de patients en taxis, au point que celles-ci n'ont pas pu être mises en oeuvre : l'application de l'article 44 de la LFSS pour 2013, qui permettait le recours à des appels d'offres dans les établissements de santé, a été suspendue. Quant à l'article 39 de la LFSS pour 2014, qui autorise les établissements de santé à expérimenter de nouvelles modalités d'organisation et de régulation des transports, il n'a pas à ce jour fait l'objet d'un décret d'application. En toute hypothèse, le ministère de l'intérieur devrait être associé à la rédaction de ce décret afin d'être en mesure de concilier l'exigence de rationalisation du transport de patients et l'accompagnement d'une profession relevant de la tutelle du ministère de l'intérieur, tout en pacifiant au maximum les relations entre les taxis et les pouvoirs publics – l'actualité atteste que cette dernière exigence n'est pas la plus évidente à satisfaire !
Les organisations professionnelles nous ont fait savoir qu'elles sont évidemment favorables à la mise en place d'une nouvelle convention nationale avec l'assurance maladie. Les sociétés de taxis sont en effet attachées à ce mécanisme d'une convention nationale déclinée au niveau local, même si elles contestent la manière dont les caisses ont parfois conduit les négociations. Chacun est certes dans son rôle, celui du ministère de l'intérieur étant de leur faire comprendre qu'on ne peut pas « gagner sur tous les tableaux » et que le fait que le transport de patients représente une part très importante de l'activité de certaines sociétés en zone rurale implique en retour qu'elles s'engagent résolument dans la rationalisation des dépenses sociales.
Le ministère de l'intérieur dispose-t-il d'indications chiffrées sur la part du chiffre d'affaires des taxis générée par le transport de patients, ou s'agit-il là encore des données fournies par l'assurance maladie ?
Nous ne disposons pas de chiffres précis, mais la CNAMTS et les organisations professionnelles de taxis elles-mêmes s'accordent sur un ordre de grandeur de 70 % à 90 % de leur chiffre d'affaires pour certaines entreprises. Le transport de patients représente donc une part essentielle de leur activité, ce qui justifie la réticence des organisations professionnelles à toute volonté de faire évoluer le dispositif. Elles ne contestent d'ailleurs pas l'accroissement de leur chiffre d'affaires sous le régime de la convention nationale, ce qu'elles justifient par la qualité de la prestation.
Au ministère de l'intérieur, on reconnaît à ce dispositif du conventionnement le mérite de correspondre à notre propre organisation, notamment en ce qui concerne la politique tarifaire. En effet, les tarifs des taxis sont fixés par un arrêté du ministre de l'économie et des finances, en concertation avec le ministère de l'intérieur, et déclinés localement par des arrêtés préfectoraux, sur la base desquels sont négociées les remises en matière de transport de patients par les caisses primaires.
Quel est l'état de la réflexion de la délégation interministérielle quant à la proposition d'une convention commune à tous les prestataires du transport assis professionnalisé (TAP) ?
Le ministère de l'intérieur n'a pas de doctrine particulière à ce sujet.
Pensez-vous que les autorisations de stationnement délivrées aux taxis qui relèvent aujourd'hui de la compétence des maires devraient faire l'objet d'une procédure de délivrance au niveau national ?
L'exercice de la compétence communale en matière d'autorisations de stationnement est d'ores et déjà appelé à évoluer dans le cadre de la mise en oeuvre de la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles. En effet, dans le cas où l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI) sera compétent en matière de voirie, c'est au président de l'EPCI qu'il reviendra de délivrer les autorisations. À ce stade, le ministère de l'intérieur reste attaché à la préservation de cette prérogative communale, même si nous sommes conscients des manoeuvres frauduleuses dont les maires de petites communes peuvent faire l'objet.
Ne peut-on pas imaginer un système plus susceptible d'assurer une égalité de traitement sur l'ensemble du territoire en permettant la coordination entre le pouvoir local et les autorités sanitaires, les ARS ou les CPAM ?
Le rapport du député Thomas Thévenoud prône une meilleure association des organisations professionnelles de taxis, soit au sein du comité départemental de l'aide médicale urgente, de la permanence des soins et des transports sanitaires, le CODAMUPS-TS, soit dans le cadre d'une rénovation des commissions départementales des taxis qui étendraient leurs compétences au transport des patients. L'idée est de permettre à l'ensemble des acteurs de se réunir régulièrement au sein de structures locales afin de fournir des éléments de diagnostic partagés sur la situation du transport individuel en général, et du transport de patients en particulier.
Il est vrai que l'existence de différentes strates de décision rend le pilotage de l'offre de transports quelque peu illisible. Il faudrait pouvoir disposer de structures de gouvernance suffisamment robustes pour pouvoir ne pas dépendre d'éventuels changements de périmètre décidés au nom d'une volonté légitime de rationalisation et de simplification du fameux « millefeuille » politico-administratif.
La question du développement, depuis huit ans environ, du transport de malades assis par les taxis a été au coeur des auditions que nous avons conduites dans le cadre de la mission de concertation. Nous disposons de peu d'éléments précis sur l'évolution annuelle du nombre de licences, celles-ci relevant de la compétence des communes, excepté à Paris. Il est cependant vraisemblable que l'augmentation importante de leur nombre depuis une dizaine d'années est due en grande partie à la croissance du recours au transport de malades assis, notamment dans les territoires ruraux.
Les maires sont en effet seuls compétents pour délivrer les licences, l'avis de la commission départementale des taxis et voitures de petite remise ayant un caractère simplement consultatif. Une des propositions du rapport de M. Thomas Thévenoud est de transformer cette commission, qui joue essentiellement le rôle d'une structure de concertation avec les organisations professionnelles de taxi, en une commission départementale des transports légers de personnes, dont les compétences s'étendraient aux véhicules légers de transport de personnes relevant de la loi d'orientation des transports intérieurs (LOTI), dont l'activité n'est pas négligeable dans certains départements, ainsi qu'aux VTC. Cette commission compterait au nombre de ses missions l'observation de l'évolution de l'offre et de la demande au niveau départemental. Elle inclurait des représentants des collectivités territoriales, notamment des EPCI, dotés depuis la loi du 27 janvier 2014 de compétences nouvelles en matière de transport de personnes. Le rapport évoque également la possibilité que l'assurance maladie soit représentée au sein de ces commissions, afin que celle-ci puisse se saisir des questions liées au TAP et proposer un bilan annuel de l'évolution de la demande et de l'offre en la matière.
Les organisations professionnelles de taxi ont elles-mêmes reconnu que l'augmentation de l'offre de taxi pouvait dans certains territoires dépasser celle de la demande. Or, on sait que les dépenses de TAP risquent d'augmenter avec le nombre de licences. Paradoxalement, il peut y avoir convergence d'intérêts entre des organisations professionnelles soucieuses de préserver une sorte de numerus clausus, et l'État engagé dans une stratégie de réduction de ce type de dépenses.
La CNAMTS propose une série de mesures de rationalisation ayant trait à la géolocalisation, au covoiturage, ou encore à la gestion des files d'attente au départ des hôpitaux.
Face à une situation présentée comme inéluctablement inflationniste, l'organisation du parcours de soin peut apporter des remèdes.
La délivrance des autorisations au mépris des besoins ainsi que la porosité entre sociétés d'ambulances et taxis qui profite au mode de transport le plus rentable contribuent à la dérive des dépenses. L'atomisation et le cloisonnement des décisions rendent également le système contre-productif. Des instances de coordination sont nécessaires pour exercer un rôle de prescription mais aussi, n'ayons pas peur des mots, de contrôle.
Quels moyens la délégation interministérielle envisage-t-elle pour s'assurer du bon usage des fonds publics dans l'intérêt des patients et de notre régime de solidarité ?
Nous savons que la CNAMTS travaille sur un dispositif de géolocalisation mais nous n'avons pas été sollicités pour l'instant.
Le ministère de l'intérieur est favorable à la création d'un registre de disponibilité des taxis qui garantira la mise en place d'un open data, prévue par le rapport de M. Thomas Thévenoud, et la proposition de loi relative aux taxis et aux VTC qui en est issue, dont la mise en oeuvre technique est renvoyée au pouvoir réglementaire. Notre réflexion sur la géolocalisation, encore balbutiante, privilégie le taximètre plutôt que le téléphone portable.
Je suis prudent dans ma réponse car rien n'est arrêté. Dans la perspective de l'adoption de la proposition de loi que nous appelons de nos voeux, nous travaillons principalement sur le taximètre qui constitue l'élément d'identification du taxi. Des contacts informels ont été pris avec les fabricants de taximètre qui, de leur côté, ont amorcé une réflexion technique sur le sujet.
L'installation d'un système de géolocalisation sur un taximètre coûte environ 300 euros.
Les grandes compagnies de taxis géolocalisent déjà leurs véhicules. Comment procèdent-elles ?
En effet, les grandes compagnies, ou en province, les regroupements de taxis, ont recours à la géolocalisation.
La réglementation sur les taximètres n'a pas à être modifiée. L'installation coûte entre 200 et 300 euros. La transmission des informations du taximètre à une base de données, via le réseau GSM, représente un coût de 10 à 20 euros sous forme d'abonnement mensuel.
Il n'y a aucun obstacle réglementaire à la mise en place de la géolocalisation au moyen du taximètre qui a notre préférence.
Votre choix me semble relever du bon sens : difficile de géolocaliser un véhicule auquel le téléphone, mobile par essence, peut ne pas être attaché !
Un autre argument peut être avancé : le taximètre est mis en route automatiquement lors du démarrage du véhicule alors que l'utilisation du téléphone portable à des fins de géolocalisation suppose des manipulations peu compatibles avec la sécurité routière.
Le débours semble raisonnable compte tenu du chiffre d'affaires généré par le transport de patients, de l'ordre de 35 000 euros par an. Il n'est pas illégitime de solliciter un effort de la part des taxis.
Le covoiturage serait prohibé pour le transport de patients par les taxis. Je peine à comprendre cette interdiction alors que les taxis ont pour habitude de transporter plusieurs passagers. Quel texte en est à l'origine ?
La législation proscrit la location à la place. Dans le cas des taxis, la location porte sur le véhicule. Le transport partagé est d'ailleurs pratiqué dans plusieurs départements, notamment en milieu rural. Aucun obstacle réglementaire ne s'oppose à ce que l'on pourrait qualifier de ramassage médical.
Reste à en déterminer les modalités tarifaires. Une majoration pour le covoiturage serait légitime compte tenu des économies dégagées in fine.
Les organisations professionnelles de taxis que nous avons auditionnées tirent argument du flou de la réglementation sur le transport partagé pour justifier leur demande d'une convention nationale qui préciserait la règle pour l'ensemble du territoire.
La demande d'une convention nationale est également motivée par le besoin de reconnaissance qu'expriment les organisations professionnelles de taxi, indépendamment de leurs divisions. Ils souhaitent être des interlocuteurs légitimes de l'assurance maladie, au même titre que les ambulanciers.
Ne serait-il pas opportun d'introduire des critères de compétence sanitaire minimale pour les conducteurs de taxi ? La responsabilité du taxi et celle de l'assurance maladie sont susceptibles d'être engagées en cas de recours du patient ou du prescripteur au motif d'une prise en charge inadéquate. Sans verser dans l'excès de réglementation, une convention nationale pourrait clarifier ce point qui soulève des questions d'assurance. Quelle est la position de la délégation interministérielle ?
La seule exigence posée aujourd'hui pour le conventionnement des taxis est la détention d'une autorisation de stationnement depuis deux ans.
Nous n'avons, à ce jour, pas été informés de difficultés liées au manque de formation des chauffeurs de taxi dans le cadre du transport de patients.
Il ne s'agit pas de soumettre les transporteurs à des exigences démesurées au regard de leur mission. Mais les comparaisons européennes montrent que l'organisation du transport est radicalement différente dans de nombreux pays : le mode de transport varie selon que l'état du patient requiert une précaution particulière ou peut supporter une prise en charge standardisée. Votre réflexion est-elle guidée par ces exemples ou par la volonté de ne pas ajouter de la complexité ?
Nous réfléchissons actuellement à la refonte de la formation préparant à l'examen de capacité professionnelle de conducteur de taxi dont l'organisation représente une lourde charge pour les préfectures.
D'une part, nous envisageons d'externaliser la délivrance du certificat. Le projet de loi relatif à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures autorise à prendre des mesures par ordonnance à cet effet.
D'autre part, nous cherchons à adapter la formation aux besoins des taxis. C'est dans ce cadre que des éléments de formation sur le transport de patients pourraient être introduits, comme vous semblez le souhaiter. Mais ce sujet n'a pas été évoqué pour l'instant.
Les conducteurs de taxis doivent être titulaires de l'attestation « prévention et secours civique de niveau 1 ». Est-ce suffisant pour répondre aux préoccupations médicales et pour être couvert par les assurances ? Un module spécifique de formation pour le transport de patients a, semble-t-il, déjà été envisagé.
Je n'en ai pas connaissance. Ce sujet n'a pas été abordé dans les échanges avec les organisations professionnelles de taxis.
Pour les mêmes raisons d'assurance, il ne faut pas sous-estimer les problèmes posés par la mixité – entre clients et patients – du transport par les taxis et les risques de contagion et de contamination qui en découlent.
La formation au transport de patients, absente de la réflexion initiale, n'a pas été évoquée par les organisations professionnelles qui pourraient pourtant y avoir intérêt pour leur propre protection.
Messieurs, je vous remercie. Nous sommes intéressés par les suggestions concrètes que vous pourriez nous transmettre afin de nous aider dans notre entreprise de rationalisation des dépenses de l'assurance maladie au service des patients.
La mission en vient à l'audition de Mme Liliane Ropars, directrice de la caisse primaire d'assurance maladie de la Marne, directrice coordinatrice gestion du risque pour la région Champagne-Ardenne, de M. Mathieu Frélaut, directeur-adjoint, de Mme Rafiaa Bénaïcha, responsable du département « hospitalisation transports », et de M. Fares Trad, responsable de la cellule de coordination gestion du risque.
Mesdames, messieurs, bienvenue à l'Assemblée nationale. Vous le savez, l'objectif de la MECSS est de parvenir au meilleur rapport coût-efficacité, souci également partagé par tous les responsables de caisses primaires.
Dans le cadre de nos travaux sur les indemnités journalières, dont la rapporteure était Bérengère Poletti, nous avons déjà eu le plaisir de vous accueillir, ainsi que certains de vos collègues du Val-d'Oise et des Hauts-de-Seine. Sans plus attendre, je vous propose d'aborder quelques thèmes : offre de transport de patients mal maîtrisée et gouvernance dont l'atomisation et la complexité ne sont pas une garantie d'efficacité.
Monsieur le président, nous sommes très honorés d'avoir été invités à cette audition pour vous parler du transport en Champagne-Ardenne et dans le département de la Marne, les deux secteurs géographiques que nous connaissons le mieux.
Plantons le décor avec quelques chiffres. S'agissant du régime général, les dépenses de transport s'élèvent à 70 millions d'euros pour la région Champagne-Ardenne et à 21 millions d'euros pour la Marne.
Qui prescrit, sachant qu'il faut bien une prescription et non pas ce que d'aucuns appellent un bon de transport ? Sept prescriptions sur dix émanent d'établissements de santé publics, un chiffre qui témoigne que, dans ce domaine, nous disposons de pistes d'amélioration.
Qui transporte ? Dans sept cas sur dix, le patient assis est transporté en VSL ou en taxi, sachant que ce dernier est devenu prédominant : en Champagne-Ardenne, la part des taxis atteint 45 % contre 19 % pour les VSL.
Savez-vous comment se répartit ce taux de 45 % entre les artisans taxis et les sociétés ambulancières qui possèdent à la fois des taxis et des VSL et font jouer un système de vases communicants ?
Merci infiniment de faire ma transition. Nos travaux, qui se réfèrent au nombre de véhicules et non pas au nombre d'entreprises, montrent que sur dix véhicules, six sont des taxis, deux sont des ambulances et deux sont des VSL, ce qui détermine l'offre de transport.
Au-delà des raisons sociales, qui possède les entreprises ? Six entreprises d'ambulances et de VSL sont aussi propriétaires de taxis. Les trente-six sociétés d'ambulances appartiennent à six personnes physiques dans le département de la Marne.
Quinze de ces sociétés d'ambulances disposent aussi de huit sociétés de taxis. Le monde du transport sanitaire est un monde concentré et il faut aller au-delà de la raison sociale pour le découvrir, ce que nous avons essayé de faire dans un premier temps.
Ces six personnes physiques détiennent 40 % du parc d'ambulances, 60 % du parc de VSL et 40 % des sociétés de taxi.
C'est un secteur très concentré. Ces personnes physiques réalisent 45 % du chiffre d'affaires du transport de patients dans la Marne. Voilà pour la concentration de l'offre.
Le phénomène de concentration existe aussi en ce qui concerne les pathologies : l'insuffisance rénale chronique – sujet abordé au cours des précédentes auditions et dont j'aimerais vous entretenir plus longuement à la fin de cette audition ; les soins en lien avec les cancers ; les affections psychiques, notamment celles qui touchent les enfants âgés de six à dix-huit ans ; les maladies cardio-vasculaires.
Une autre forme de concentration apparaît quand on s'intéresse à la population qui utilise ces transports : seulement 6 % de ces transports ne sont pas remboursés à 100 %, en Champagne-Ardenne.
Si l'on veut faire évoluer le modèle du transport, il faut s'intéresser à toutes ces composantes et travailler notamment en fonction des pathologies.
Vous venez de nous décrire une offre concentrée qui peut se concevoir au titre de la rationalisation des moyens, mais doit-elle continuer à se présenter sous cette forme très émiettée plutôt que sous forme de holding ? Notons que cette présentation émiettée peut être utilisée pour faire jouer les vases communicants en cas d'éventuels retraits de conventionnements.
Mon directeur-adjoint pourrait vous dire que, dans les négociations, cette concentration de l'offre de transport fait face à une dispersion des opérateurs publics, ce qui conduit à une distorsion.
Je vais vous en citer un exemple. Avec mes collègues, j'ai mené les négociations tarifaires sur les avenants locaux pour le renouvellement de la convention locale entre l'assurance maladie et les taxis. En tant qu'organisme d'assurance maladie, dans le cadre des orientations de la CNAMTS et d'une bonne gestion de nos deniers, nous avons tendance à négocier pour obtenir un maximum d'abattements.
Nous négocions avec les représentants des différents syndicats de taxis mais aussi avec ceux des transporteurs sanitaires qui possèdent un parc de taxis. Lorsque nous avons négocié en début d'année, nous avons obtenu d'importantes réductions mais, de façon très transparente, nos interlocuteurs nous ont indiqué qu'ils en tiendraient compte lors de la renégociation de leurs tarifs avec les services préfectoraux.
Les tarifs des taxis, fixés par les préfets, évoluent en fonction de trois paramètres : le nombre de kilomètres, le temps d'attente et la prise en charge. Nos négociations ayant abouti à une économie d'environ 200 000 euros, soit 1 % de la dépense de la Marne, nos interlocuteurs nous ont indiqué qu'en contrepartie, ils demanderaient une répercussion sur le prix du kilomètre. On négocie d'un côté mais une partie de l'économie est absorbée par un autre secteur.
Dans une situation monopolistique, les arbitrages légitimes des acteurs se font au détriment de l'assurance maladie.
Précisons que sur les 21 millions d'euros de dépenses de transport de l'assurance maladie dans la Marne, 15 millions d'euros sont liés à des déplacements vers le centre hospitalier universitaire. Nous constatons donc une très forte concentration que ce soit sur l'offre ou sur la demande de transport – la prescription – et une dispersion du système de négociation.
L'une de vos questions nous a beaucoup intéressés en tant que praticiens de terrain : la nécessaire articulation avec les ARS.
Ma collègue pourra vous répondre sur la problématique des fichiers partagés. Pour ma part, je voudrais aborder un sujet qui peut paraître anecdotique mais qui est très révélateur. Si nous avons de très bonnes relations avec les équipes de l'ARS, d'un point de vue personnel et sur le plan de la coordination, les textes ne facilitent pas la coordination, en effet.
Comme la Cour des comptes l'a souligné dans son rapport, la relation est unilatérale : lorsqu'un transporteur ambulancier perd son agrément, il est déconventionné mais non l'inverse. Sans citer de nom, je vais vous donner un exemple. L'ARS vient de nous envoyer une décision de retrait d'agrément, concernant un ambulancier qui exerce aussi la profession de cafetier et que nous connaissons depuis longtemps dans le cadre conventionnel. Rappelons-le, au-delà de l'agrément, ce qui fait vivre un transporteur sanitaire c'est le conventionnement avec l'assurance maladie. Or depuis la nouvelle convention entre les transporteurs sanitaires et l'assurance maladie de 2004, un transporteur qui n'est pas à jour de ses cotisations à l'URSSAF est déconventionné automatiquement. Cet « ambulancier-cafetier », installé en face d'un établissement de santé et qui facturait encore à la main, nous posait de gros soucis d'un point de vue administratif. Il vient cependant d'être déconventionné au motif qu' « il est installé dans un lieu disposant d'une licence de débit de boissons, alors que les dossiers nominatifs de patients sont accumulés et visibles à toute personne entrant dans le débit de boisson. Le matériel professionnel afférant à la société de transport sanitaire – dispositifs à usage unique, draps, couvertures – est également entassé dans ce débit de boisson ».
Voilà qui est révélateur des problèmes de coordination avec l'ARS, qui n'a pas forcément les moyens de contrôler ! Nous, nous pouvons le faire mais ce n'est pas dans notre champ de compétence. Il a donc fallu attendre quasiment dix ans pour qu'une procédure de retrait d'agrément aboutisse. Il faudrait que les textes nous permettent de disposer d'une instance de coordination beaucoup plus en amont. Pourquoi ne pas prévoir, comme l'a suggéré le directeur général de la CNAMTS, dans le respect des compétences des uns et des autres, une délégation à la caisse primaire qui notifierait l'agrément et, dans certains cas de déconventionnement, le retrait immédiat de l'agrément ?
Il semble légitime, dans le cadre des échanges d'informations et du respect d'un parallélisme des formes, qu'il y ait une réciprocité en matière d'agrément et de conventionnement, que le retrait de l'un engendre celui de l'autre.
Une réelle coordination est nécessaire sur le plan local – entre les instances régionales et les caisses primaires d'assurance maladie – et au niveau des autorités de tutelle – entre les ministères de la santé et de l'intérieur – face aux entreprises de taxis. Loin d'être toutes artisanales, celles-ci sont en effet bien souvent des sociétés qui possèdent à la fois des ambulances, des VSL et des taxis, afin d'enrichir leur offre et de profiter d'opportunités liées à la tarification.
Cette description d'une gouvernance quelque peu éclatée, pour ne pas dire atomisée, nous conduit au deuxième sujet, celui de la prescription de transport de patients. Faut-il le rappeler, il s'agit d'un acte médical prescrit conformément au code de la sécurité sociale : le transfert doit être effectué vers l'établissement adapté à l'état du patient le plus proche et en utilisant le mode de transport le moins coûteux. Le concept de liberté du patient n'a pas sa place dans ce domaine.
S'agissant de la prescription, tous les acteurs s'appuient sur le fameux référentiel de 2006. Pour ma part, je le considère plutôt comme un cadre général – l'arrêté fait une demi-page – que comme un référentiel au sens moderne du terme, contrairement aux référentiels liés aux avis d'arrêt de travail que nous avions évoqués l'an dernier.
Nous allons auditionner prochainement la Haute Autorité de santé sur les prescriptions en matière de transport de patients afin qu'elle puisse apporter son éclairage et ses compétences comme elle a pu le faire pour les indemnités journalières.
Sur ces référentiels, les travaux devront forcément débuter. À titre de comparaison, la moitié des avis d'arrêts de travail sont désormais dématérialisés dans la Marne, c'est-à-dire un pourcentage beaucoup plus élevé qu'il y a un an et demi. À la fin de l'année 2014, les deux tiers des avis d'arrêt de travail devraient être dématérialisés.
Ces avis d'arrêts de travail dématérialisés embarquent le référentiel sur la prescription. Ce sont des référentiels par pathologies. La caisse de la Marne a beaucoup de chance dans ce domaine car le directeur général de la CNAMTS a choisi mon organisme pour expérimenter deux nouvelles formules : la prescription et la facturation en ligne des transports de patients. Mme Rafiaa Bénaïcha est chargée de suivre ce dossier pour la CNAMTS.
Par ailleurs, nous avons beaucoup travaillé avec le service de contrôle médical, notamment sur les ententes préalables pour les déplacements de plus de 150 kilomètres. Nous pouvons donc vous faire part de notre expérience dans ce domaine.
Je voudrais insister sur la nécessaire individualisation du prescripteur de l'établissement de soins, un sujet déterminant qu'il s'agisse du transport de patients ou de prescription de médicaments génériques à l'hôpital. Tant que nous n'aurons pas cette individualisation et donc cette identification du praticien hospitalier, nous resterons dans les généralités. Il est nécessaire de responsabiliser le prescripteur, non pas en lui imposant un diktat informatique mais en l'incitant à rationaliser sa prescription – qu'il doit établir lui-même et non déléguer à sa secrétaire, pour dire les choses de manière un peu crue.
Comme je vous l'ai déjà indiqué, sur les 21 millions d'euros de dépenses de transport de l'assurance maladie dans la Marne, 15 millions d'euros sont liés à des déplacements vers le CHU. Voilà qui justifie la nécessaire individualisation du prescripteur de l'établissement de soins.
Nous avons fait un carottage dans nos bases pour repérer le prescripteur non pas de transport – pour l'instant ce n'est pas possible car les logiciels de transporteurs ne permettent pas encore de véhiculer le répertoire partagé des professionnels de santé (RPPS), c'est-à-dire le numéro de prescripteur dans un établissement public – mais le prescripteur de médicaments. Nous nous sommes aperçus que, dans plus de la moitié des cas, le référentiel du prescripteur n'est pas véhiculé, en particulier dans celui de l'établissement le plus important de notre région. D'emblée, cela pose une difficulté d'identification et cela nécessite un travail en partenariat avec les ARS et avec les établissements en question, de telle sorte que l'on puisse enfin savoir qui prescrit quoi et que l'on puisse agir de manière éclairée sur la prescription.
Dans certains établissements le processus d'identification est satisfaisant alors que dans d'autres il n'atteint que 5 %. Ce n'est donc pas une question technique.
C'est une question de décision, d'autorité, de suivi, d'organisation. Nous procéderons à des carottages tous les six mois pour voir si la situation évolue et nous le ferons savoir.
Au cours des prochaines semaines, nous allons mener une expérimentation sur la facturation en ligne avec un transporteur sanitaire, dans le but de mettre en place la dématérialisation de la facture. Dans ce cadre, le transporteur aura accès à des services en ligne et au référentiel de l'assurance maladie.
L'objectif est d'améliorer la fiabilité de la facturation et une diminution des rejets par les caisses primaires puisque tout se fera en ligne, notamment les contrôles de recevabilité. Le transporteur disposera de ses rejets en ligne et sera amené à les corriger. Quant à la caisse primaire, elle recevra une facture, prête à être payée.
Le transporteur y gagnera en simplification des démarches et en fiabilité. De son côté, la caisse enregistrera moins de rejets, n'aura plus à manipuler les pièces justificatives, qui lui seront adressées sous forme dématérialisée via le système de scanérisation des ordonnances (SCOR), et elle pourra ainsi dégager du temps pour effectuer des contrôles et de la gestion du risque, c'est-à-dire des tâches plus efficientes.
Cette dématérialisation évoquée pour les prescripteurs se passe de façon très satisfaisante dans certains établissements de soins et avec difficulté dans d'autres pour des raisons culturelles ou historiques. Cela étant, la culture et l'histoire ne sont pas des justifications : ce qui compte est la bonne utilisation de l'argent public.
Techniquement parlant, au-delà de ces aléas et de ces réticences, combien de temps avez-vous mis ? À chaque fois que l'on évoque ces sujets, face au constat d'une expérimentation réussie, se pose la question de sa généralisation. On rencontre alors des objections liées à la complexité et au temps.
Cependant, le temps presse, tout particulièrement du fait des contraintes budgétaires que nous connaissons aujourd'hui.
Cela fait environ un an que nous travaillons sur ce sujet avec la CNAMTS. Nous avons lancé notre première facturation.
Nous avons testé notre système informatique sur cette facturation en ligne.
Le système fonctionne. Nous allons donc refaire le test avec un groupe de six caisses primaires. Ensuite, nous serons confrontés à une difficulté : l'équipement des transporteurs. Il faudra les accompagner et faire en sorte qu'ils soient équipés pour faire de la facturation en ligne.
Dans nos caisses primaires, nous avons des conseillers en informatique, des délégués de l'assurance maladie qui peuvent se déplacer pour expliquer le fonctionnement du système dans chacune des sociétés. Il faudra aussi s'assurer que les éditeurs de logiciels soient prêts.
Les éditeurs ne sont pas très nombreux – ce secteur est également très concentré – et il y aura lieu de travailler avec eux de manière très poussée. S'agissant des feuilles de soins électroniques, nous sommes aidés par le GIE SESAM-Vitale, basé au Mans. En ce qui concerne les transporteurs, nous passons par des flux appelés « échanges de données informatiques » qui ne sont pas des feuilles de soins électroniques. La relation avec les éditeurs de logiciels se place sur un autre registre, néanmoins elle est structurée.
Pour les établissements de soins, vouliez-vous apporter d'autres précisions, madame Rafiaa Bénaïcha ?
Je voulais aussi parler de la prescription en ligne qui permettra d'avoir un système totalement sécurisé, du prescripteur jusqu'au transporteur qui facture. La CNAMTS, qui va mener une expérimentation avec des établissements de santé, a choisi la Marne pour expérimenter la prescription en ligne avec des médecins libéraux. Cette expérimentation, qui va commencer en septembre ou en octobre, vise à permettre aux médecins de prescrire en ligne d'abord via Espace pro, puis par le biais de leur logiciel intégré.
Il s'agit de sécuriser la prescription médicale sur le plan de la réglementation, en apportant une aide au prescripteur – grâce à des champs obligatoires, par exemple – puis au transporteur qui recevra cette prescription et devra la facturer à l'assurance maladie. Il s'agit donc de fiabiliser le système et de nous permettre de bien le contrôler afin d'assurer la maîtrise des dépenses de transport.
Sur le sujet des logiciels de contrôle, la CPAM des Hauts-de-Seine a mis en place un dispositif baptisé Cactus, dans le cadre du contrôle des facturations, qu'elle considère comme particulièrement performant sinon idéal. Au travers des échanges de données automatisés, il permet un contrôle beaucoup plus efficient dans le cadre de la gestion du risque et de la bonne adéquation entre l'offre et la demande. Quelle est votre position sur le sujet, dans la mesure où son usage pourrait être étendu sur tout le territoire ?
Effectivement, nous allons mettre en place dans les mois qui viennent cet outil. Il s'agit d'abord d'enrichir la base de Cactus où ont été enregistrées près de 90 000 références de distances de transport dans la zone de chalandise de ce département. Nous devons l'adapter à notre région où les distances ne sont pas celles des Hauts-de-Seine. De plus, certaines règles tarifaires pour les taxis étant liées au territoire, nous disposons de règles propres. En fait, Cactus est un outil que chacune des régions doit s'approprier en fonction des caractéristiques de son propre territoire.
Aujourd'hui, nous effectuons essentiellement des contrôles a posteriori des transporteurs qui sont extrêmement chronophages : nous aurions donc tout intérêt à développer un système de géolocalisation. Évidemment, équiper nos 36 transporteurs sanitaires serait coûteux, mais cela nous ferait gagner beaucoup de temps – dans un contexte de forte pression sur les effectifs de la caisse – en nous évitant de comparer des distances : celles-ci nous seraient données par la géolocalisation.
Nous allons donc mettre en place Cactus. Mais, si l'on veut chercher plus d'efficience, la géolocalisation permettrait de simplifier considérablement les contrôles.
Nous avons entendu dire qu'il arrivait que des prescriptions soient faites a posteriori : est-ce vraiment le cas ?
C'est une question complexe : cela arrive effectivement. Un transporteur se présente alors que le transport n'a pas été prescrit par un médecin et fait pression sur les secrétaires en expliquant qu'il n'a pas pu utiliser un transport assis car seule une ambulance était disponible…
Au-delà du problème de la prescription a posteriori – beaucoup de réflexions doivent être menées sur la pertinence du transport, sur la justification médicale de la prise en charge de transports. Je pense aussi à la question du « don d'ubiquité » : les contrôles d'activités a posteriori font parfois apparaître qu'un même véhicule est censé avoir transporté deux patients au même moment, à des endroits différents, l'un pour le régime général et l'autre pour la Mutuelle sociale agricole (MSA) par exemple. Aujourd'hui, nous ne pouvons le vérifier que par une interconnexion a posteriori de nos bases, ce qui est très lourd.
Juridiquement, ce n'est pas possible a priori. Lorsque nous effectuons un contrôle d'activité, nous demandons à nos collègues, généralement du régime agricole ou du régime des indépendants, de faire les mêmes requêtes à propos des mêmes personnes. Ensuite, nous menons un travail de bénédictin pour recouper toutes ces informations. Mais aujourd'hui, il n'y a pas d'interconnexion des bases pour la facturation.
En ce domaine, nous travaillons vraiment de façon artisanale, au cas par cas.
J'ai réussi à faire voter l'interconnexion des fichiers en 2006 – ce qui a suffisamment fait gloser – mais seulement, c'est vrai, pour le contrôle d'éligibilité. J'ai d'ailleurs enfin reçu une réponse à une question écrite que j'avais posée en 2012 : il semblerait que l'interconnexion soit enfin techniquement réalisée.
La prescription dématérialisée du transport nous permettra de faciliter énormément les contrôles, tant au sein du régime général qu'entre les différents régimes.
En résumé, Cactus est un outil très intéressant, mais la recherche d'efficience dans le contrôle voudrait que l'on aille au-delà.
Le seul vrai moyen de sortir d'un contrôle au cas par cas pour aller vers un contrôle systématique et massif, ce sont les dispositifs de géolocalisation. Les fédérations de transporteurs et de taxis s'y sont d'ailleurs montrées plutôt favorables.
Il faudrait rendre la géolocalisation obligatoire.
Quel est l'ordre de grandeur des sommes indûment versées par votre caisse ? Parvenez-vous à récupérer les versements indus ? Engagez-vous des poursuites pénales en cas de fraude ?
Nous mettons en oeuvre des contrôles a posteriori, qui sont des contrôles d'activité d'ensemble. Nous ne distinguons donc pas forcément l'indu relevant d'une fraude de celui qui n'est pas intentionnel. Nous mêlons fraude, faute et abus, et c'est l'assiette de cet indu qui nous sert à apprécier l'éligibilité à la procédure des pénalités financières.
Pour toute la région Champagne-Ardenne, en 2012 et 2013, nous avons notifié près de 100 indus, pour un montant de 370 000 euros. Les principaux motifs sont le don d'ubiquité que j'ai déjà évoqué, le non-respect de la prescription médicale ou des règles d'abattement, l'absence d'entente préalable et la facturation de transports non remboursables.
9 pénalités financières pour un montant de 22 000 euros ont été prononcées. Dans notre région, nous choisissons effectivement d'utiliser systématiquement la procédure de la pénalité, qui est assez pédagogique, puisque les représentants de la profession y sont associés.
Il faut également souligner que c'est une procédure rapide, puisqu'elle aboutit en quelques mois, voire quelques semaines.
Nous avons également engagé 2 poursuites pénales, pour un préjudice estimé à 97 000 euros.
En résumé nous menons en principe des contrôles systématiques a posteriori. Lorsque les textes le permettent, nous avons recours directement à la procédure des pénalités financières. Cela ne se traduit d'ailleurs pas forcément par une pénalité, mais au moins par une lettre de rappel de la réglementation et à un avertissement. Nous associons ainsi répression et accompagnement.
Pour mieux évaluer ces montants, on peut rappeler que la Champagne-Ardenne est une petite région, puisqu'elle représente 2 % de la France ; la Marne est un département moyen, qui représente 1 % de la France. Ces 370 000 euros ne sont donc pas négligeables.
Nous avons également mis en place une action concertée avec le service médical, notamment pour les demandes d'entente préalable pour les transports sur plus de 150 kilomètres. Le service médical a élaboré un arbre décisionnel dont le but est de privilégier la règle du traitement dans l'établissement de soins le plus proche : il sert de base à nos décisions. Dès lors qu'une offre de soins appropriée existe dans la Marne, les patients n'ont pas de raison de se rendre dans d'autres départements. Nos efforts portent également sur l'utilisation du mode de transport le plus adapté à l'état de santé du malade. Nous nous sommes inspirés de l'expérimentation menée par la CPAM de l'Aube, qui avait été citée par la Cour des comptes : il s'agissait d'éviter que les patients de ce département n'aillent se faire soigner à Châlons-en-Champagne ou à Reims lorsque ce n'était pas nécessaire.
En 2012 et 2013, nous avons ainsi économisé plus de 400 000 euros.
Ces actions ont également un intérêt en matière d'aménagement du territoire ; de plus, elles permettent une meilleure association des différents établissements de soins.
Différentes réflexions ont montré que l'organisation de l'offre pouvait être largement améliorée. La prescription étant largement concentrée, il faudrait également mieux gérer, par exemple, les temps d'attente, ceux-ci étant facturés notamment par les taxis.
Quel est votre point de vue sur la garde ambulancière, qui semble onéreuse ? Quelle est l'articulation entre les services médicaux d'urgence et les sapeurs-pompiers ? Les points de vue semblent très contrastés.
Sur les quelque 20 millions d'euros que coûtent les ambulances, 5 millions sont consacrés à l'ambulance agréée de garde et à l'indemnité de garde ambulancière. Beaucoup d'argent est donc versé à ce titre en Champagne-Ardenne. À titre de comparaison, le service mobile d'urgence et de réanimation (SMUR) reçoit 350 000 euros.
Nous sommes les financeurs, mais la garde ambulancière relève du planificateur, c'est-à-dire de l'ARS.
Du modeste point de vue marnais, je peux dire que l'apparition de la garde ambulancière a constitué pour la profession une substantielle rémunération. Cela représente pour notre département 1,5 million d'euros, pour 4 300 gardes, soit 349 euros par garde. Nous contrôlons que l'abattement de 60 % est bien appliqué. Nous n'avons toutefois pas le sentiment que les véhicules sortent beaucoup.
Il est au minimum indispensable de revoir la sectorisation, ce dont l'ARS est consciente. La sectorisation a été déterminée avant la définition de « territoires de santé » par l'ARS : il faut à tout le moins assurer une meilleure articulation. La diminution du nombre de secteurs nous permettra de faire des économies, sans nuire en rien à la qualité des soins apportés à nos concitoyens. Dans la Marne, la coordination entre les « rouges » et les « blancs » se passe, me semble-t-il, bien. Mais le dispositif pourrait être optimisé.
Il me semble donc qu'il serait judicieux – mais je parle pour ma région – d'associer les financeurs à l'ARS. Une concertation entre planificateur et financeur serait à tout le moins nécessaire : aujourd'hui, nous payons, mais je ne suis pas sûr que cela ait entraîné une amélioration de la qualité des soins…
Il faudrait que l'État prenne ses responsabilités : effectivement, cette concertation devrait être obligatoire !
Tant qu'à rêver de coordination entre planificateur et financeur, il apparaîtrait opportun d'associer également les établissements hospitaliers à ces réflexions sur les transports urgents. On pourrait ainsi être beaucoup plus efficient.
Notre dispositif est très cloisonné, ce qui n'est pas précisément source de productivité.
Menez-vous des expérimentations sur la gestion de l'attente des patients ?
Nous ne menons aucune expérience en ce domaine, mais il paraît en effet indispensable que les établissements hospitaliers mettent en place un pôle de gestion du transport. Certains établissements de notre région ont été accompagnés par l'Agence nationale d'appui à la performance (ANAP), et il en ressort que la mise en place de pôles de gestion des relations avec les transporteurs serait très utile. Cela n'implique pas, d'ailleurs, que l'on privilégie les appels d'offres par rapport aux tours de rôle, ces derniers permettant d'ailleurs d'assurer une meilleure égalité entre les sociétés de transport, quelle que soit leur taille.
Les transporteurs redoutent le transfert de la dépense de transports vers le budget des hôpitaux – ce que préconise la Cour des comptes – car ils craignent une concentration accrue du secteur. Mais les chiffres que vous nous avez donnés montrent déjà une forte concentration : il faut être lucide sur ce point.
Comment fonctionnent ces tours de rôle ?
L'idée est que les prescripteurs hospitaliers dans un établissement transmettent leurs prescriptions, dématérialisées, à un secrétariat qui fait appel, de façon raisonnée, à des professionnels du transport. On pourrait également mettre en place des transports partagés. Cela rendrait service à l'établissement hospitalier, mais aussi aux transporteurs, qui ne perdraient plus leur temps à attendre.
La concentration des demandes de transport sur un pôle unique est vraiment une bonne chose. Au total, en Champagne-Ardenne, les dépenses de transport augmentent tous les ans, mais un peu moins que la moyenne nationale, alors que la région est très rurale et compte beaucoup de personnes âgées.
Vous savez que le rapport charges et produits pour l'année 2014 de la CNAMTS propose la mise en place d'une carte de transport assis pour les patients chroniques qui ont besoin de transports itératifs. Nous nous sommes penchés sur le cas des patients souffrant d'insuffisance rénale chronique, car cette affection occasionne une grande part des dépenses de transport.
L'insuffisance rénale chronique coûte, en Champagne-Ardenne, 89 000 euros par an pour un patient en hémodialyse, auxquels il faut ajouter 13 000 euros de frais de transport ; une dialyse péritonéale à domicile coûte 64 000 euros. Une greffe coûte quant à elle 86 000 euros la première année, mais ensuite 20 000 euros – malheureusement, vous le savez, nous n'en réalisons pas suffisamment. Au total, très peu de malades sont concernés – il y a 790 malades dialysés en Champagne-Ardenne –, mais cela représente 15 % de la dépense totale de transport dans la région.
Nous avons donc souhaité mettre en place un programme d'accompagnement, à l'image des différents dispositifs PRADO (programme d'accompagnement du retour à domicile) que vous connaissez. Les patients en hémodialyse se déplacent trois fois par semaine, pour des séances de quatre heures ; dans notre région, l'aller-retour dure souvent une heure et demie. En outre, la plupart de ces patients sont âgés. C'est une situation loin d'être facile.
Nous avons donc imaginé de proposer à ces patients un accompagnement qui puisse leur faciliter la vie. Nous mettrions ainsi en place une offre plus individualisée, avec notamment une proposition de liste de transporteurs et une simplification administrative – en particulier, suppression de l'accord préalable pour le transport, puisque celui-ci est obligatoire tant qu'il n'y a pas de greffe : il est inutile d'ennuyer les malades avec des formalités qui sont coûteuses pour tous. On pourrait également imaginer des incitations financières pour l'utilisation d'un véhicule personnel.
Nous avons contacté les associations qui oeuvrent en ce domaine et elles partagent notre point de vue. Nous allons donc essayer de mener à bien ce travail, peut-être en utilisant des budgets d'action sanitaire et sociale du département. La CNAMTS est également mobilisée sur ces sujets.
Le cas de l'insuffisance rénale chronique montre aussi qu'il sera nécessaire de mettre en place des référentiels de transport par pathologie.
Disposez-vous déjà de bilans financiers pour ces offres alternatives – participation au déplacement du patient lorsqu'il est fait par des moyens personnels, remboursement des tickets de stationnement… ?
Non, nous n'avons encore aucun résultat. Nous avons seulement effectué une simulation, en prenant l'hypothèse que notre proposition intéresserait 10 % des patients concernés : en Champagne-Ardenne, on gagnerait déjà 1,5 million d'euros, sur une dépense totale de 9 millions d'euros. Nous espérons pouvoir démarrer l'expérience de la carte de transport assis au mois de septembre. Cela demande un travail avec les centres de dialyse et les associations, bien sûr, mais ce n'est pas hors de portée.
J'insiste sur le fait que cet exemple montre qu'un référentiel de transport doit être élaboré pour chaque pathologie : aucune ne ressemble à l'autre.
La séance est levée à onze heures cinquante-cinq.