COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES
Mercredi 30 septembre 2015
La séance est ouverte à neuf heures quarante.
(Présidence de Mme Catherine Lemorton, présidente de la Commission)
La Commission des affaires sociales examine en deuxième lecture, sur le rapport de MM. Alain Claeys et Jean Leonetti, la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale créant de nouveaux droits pour les malades en fin de vie et qui a fait l'objet d'un vote de rejet par le Sénat (n° 2887).
Mes chers collègues, notre ordre du jour appelle l'examen, en deuxième lecture, de la proposition de loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, dont les rapporteurs sont MM. Alain Claeys et Jean Leonetti.
Le Sénat a rejeté l'ensemble du texte bien que sa commission des affaires sociales l'ait adopté après l'avoir amendé. Nous sommes donc saisis du texte de la proposition de loi, tel qu'adopté par l'Assemblée nationale en première lecture. Nous devons examiner soixante-dix-sept amendements ; deux amendements ont été jugés irrecevables après avis du président de la commission des finances. Rappelons que la procédure ne permet pas de déposer d'amendements portant article additionnel en deuxième lecture.
La plupart des amendements ont déjà été déposés et discutés en détail en commission et en séance, lors de la première lecture. J'invite donc les rapporteurs à s'exprimer de manière concise d'autant que nous débattrons de nouveau de ce texte lundi après-midi dans l'hémicycle.
Quel est notre état d'esprit alors que commence l'examen de cette proposition de loi en deuxième lecture ? Le texte a été analysé au Sénat où la commission des affaires sociales a adopté un certain nombre d'amendements. Jean Leonetti et moi-même avons été entendus par cette commission. En séance publique, le texte a été profondément modifié avant d'être finalement rejeté.
À ce stade, nous avons donc entre les mains le texte adopté en première lecture par l'Assemblée nationale. Nous avons décidé, Jean Leonetti et moi-même, de ne pas déposer d'amendement, compte tenu du premier vote de notre assemblée. La commission mixte paritaire pourra être le lieu du dialogue qui doit se poursuivre avec nos collègues sénateurs, notamment s'agissant de certains amendements adoptés en commission des affaires sociales de la Haute assemblée.
En commission des affaires sociales du Sénat, nous sentions qu'il n'était pas impossible d'améliorer le texte, en clarifiant certaines imprécisions relatives au vocabulaire utilisé ou à des situations. De fait, nous avons considéré que les sénateurs avaient plutôt enrichi le texte en commission. Cependant, en séance publique, cette rédaction a été profondément modifiée avant d'être rejetée. Rappelons que le texte élaboré en séance publique au Sénat revenait sur la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades en fin de vie dont il supprimait certains dispositifs substantiels.
Nous aurions pu reprendre les amendements du Sénat qui nous semblaient utiles, ce que certains de nos collègues ont fait, mais nous n'avons pas retenu cette solution pour deux raisons : il nous semblait incohérent de proposer de changer un texte adopté à une large majorité ; il nous paraissait un peu irrespectueux à l'égard du Sénat de faire le travail à sa place en quelque sorte, alors qu'un dialogue constructif entre les deux assemblées devrait permettre d'enrichir le texte. Pour des raisons de cohérence et d'équilibre entre les deux assemblées, nous vous proposons donc de reprendre le texte adopté en première lecture, même si la discussion sera assurément utile.
Nous pensons qu'un équilibre entre les deux assemblées peut être trouvé en commission mixte paritaire, ayant observé que les deux rapporteurs du Sénat étaient hostiles aux modifications apportées en séance publique et favorables à certains amendements adoptés en commission des affaires sociales.
Nous n'opposons pas un front du refus à la discussion et au dépôt d'amendements, mais nous essayons de rester cohérents par rapport au texte adopté à une large majorité dans notre assemblée, en laissant au Sénat l'opportunité d'apporter des modifications qui paraissent utiles.
Je donne maintenant la parole aux représentants des groupes, en commençant par Mme Michèle Delaunay pour le groupe Socialiste, républicain et citoyen.
Le texte que nous allons examiner en deuxième lecture est le fruit d'une longue réflexion menée, il faut le souligner une fois encore, par deux rapporteurs venant de bords politiques différents.
Il est aussi issu d'une très longue concertation qui a permis de réunir le plus grand nombre de Français, conformément au souhait du Président de la République. Sur ce sujet profondément humain et intime, qui fait appel à la conscience de chacun de nous, le Président de la République voulait que nous sachions faire progresser les droits sans violenter les consciences de manière excessive.
Il était essentiel de faire progresser les droits vers plus d'égalité. Tous ceux qui, comme moi, ont approché cette période de la fin de vie – et ils sont nombreux sur ces bancs – savent que selon le lieu et les circonstances, on ne bénéficie pas du même accompagnement en France. Rappelons que seulement 25 % des personnes en fin de vie ont accès à des structures de soins palliatifs. L'un des très grands mérites de ce texte est de prévoir un développement tout à fait significatif des soins palliatifs, un objectif auquel nous ne pouvons qu'adhérer.
Soulignons aussi que ce texte donne la priorité à la volonté de la personne. J'y insiste : il s'agit bien de la volonté de la personne elle-même et non de celle de sa famille ou de son entourage. Chacun de nous souhaite évidemment que sa volonté individuelle soit respectée.
La possibilité de pratiquer une sédation continue et maintenue jusqu'au décès contribue aussi à faire progresser le droit vers plus d'égalité, moins de souffrance et un meilleur accompagnement.
Pour toutes ces raisons, je vous propose d'être fidèles à notre vote précédent et cohérents avec nous-mêmes en adoptant ce texte dans sa forme initiale, celle que nous avons approuvée.
Tout d'abord, je tiens à saluer le travail de Jean Leonetti sur la fin de vie. Instigateur de la loi du 22 avril 2005, il joue un rôle de pédagogue infatigable pour en assurer la diffusion dans les équipes médicales, alors que tous les rapports soulignent que ce texte est trop peu appliqué. Saluons aussi le travail et la constance d'Alain Claeys dans ce domaine.
Dans notre groupe, nous partageons pleinement la philosophie de la loi de 2005 et de la proposition de loi dont nous allons discuter : le refus de l'acharnement thérapeutique, de l'abandon et de la souffrance, allié à la préservation d'un interdit de tuer qui doit rester absolu.
Deux constats sont totalement consensuels, je l'espère, sur les bancs de cette commission : la loi de 2005 est méconnue et trop peu appliquée, notamment en raison d'un manque de formation du milieu médical ; on meurt mal en France. Le Président de la République a annoncé que la formation des jeunes médecins allait être renforcée dès la prochaine rentrée universitaire dans ce domaine, ce dont nous ne pouvons que nous réjouir. S'agissant du deuxième constat, il ne conduit pas à remettre en cause la qualité des unités de soins palliatifs : ces structures sont remarquables mais en nombre insuffisant sur le territoire, ce qui a été mis en exergue dans le rapport annuel de la Cour des comptes de 2015 et dans celui du professeur Didier Sicard.
Nous soutenons nos collègues Alain Claeys et Jean Leonetti qui ont trouvé un point d'équilibre et nous proposent des moyens concrets pour améliorer la situation. De nouveaux droits sont octroyés à nos concitoyens : un droit absolu à la prise en compte de la souffrance, avec la sédation continue maintenue jusqu'à la mort, en phase terminale ; une meilleure prise en compte des directives anticipées pour les personnes qui ne sont plus capables de donner leur avis.
En conclusion, nous devons concrétiser ces propositions qui nous rassemblent. Notre groupe approuvera ce texte sans en modifier l'équilibre.
Notre commission reprend l'examen de cette proposition de loi telle que notre assemblée l'a amendée en première lecture, après son rejet par le Sénat.
Nous avons donc l'occasion d'améliorer ce texte, tout en tirant les leçons des discussions que nous avons déjà eues sur le sujet, que ce soit lors de l'examen de ma proposition de loi qui a fait l'objet d'un débat sans vote dans l'hémicycle en janvier, ou lors de la première lecture du texte qui nous concerne aujourd'hui.
Est-il nécessaire que je vous rappelle mes convictions, chers collègues ? Je pense que chacun doit être libre de disposer de son corps et donc de choisir le moment et la manière de finir sa vie. Je ne me résous pas à l'idée que notre pays n'accorde pas encore cette ultime liberté aux Françaises et aux Français. Cette liberté individuelle, on ne peut pas la balayer d'un revers de main par dogmatisme ou la mettre sous le boisseau de la déontologie médicale.
Cependant, tirant les enseignements de nos débats précédents, je ne vous proposerai pas d'amendement visant à légaliser l'euthanasie. Je n'ai pas changé d'avis mais je souhaite privilégier un débat plus apaisé. Je propose donc à notre commission d'étudier sérieusement, en délaissant les postures et des caricatures qui ont parfois eu cours en première lecture, un amendement qui peut nous rassembler. Je ne défendrai que l'amendement visant à légaliser le suicide assisté, dans le plus clair respect des précautions suggérées par l'avis du Comité consultatif national d'éthique (CCNE).
Le suicide assisté et encadré est une demande clairement exprimée par la conférence de citoyens sur la fin de vie, organisée par le CCNE en décembre 2013. Il ne s'agit pas de permettre à un professionnel de santé de pratiquer le geste létal ou de mettre en doute la décision du patient qui pratique alors lui-même le geste. Il ne s'agit pas non plus d'opposer cette mesure aux soins palliatifs puisque, sur recommandation du CCNE, j'ai prévu de ne permettre cet acte que si et seulement si « un réel accès à toutes les solutions alternatives d'accompagnement et de soulagement de la douleur physique et psychique » peut être proposé au patient.
Cette disposition confrontera notre modèle de santé, et plus largement notre société entière, aux réels besoins de places en soins palliatifs qui font gravement défaut en France. Dès lors, les professionnels de santé ne pourront plus ignorer ces appels au secours de ces malades qui souffrent dans nos hôpitaux et qui demandent à mourir. Ces demandes devront être étudiées, entendues, comprises, discutées avec le personnel soignant et les proches, afin de mettre en oeuvre tout ce qui est possible pour proposer une solution à ces malades.
Il est vrai que certaines demandes résultent du manque de places en soins palliatifs, de notre échec à apporter à ces patients un accompagnement adapté pour que leurs derniers jours soient apaisés et dignes. Mais nous ne pouvons pas nier que des demandes persistent malgré ces soins qui ne peuvent soulager certaines souffrances physiques ou psychiques. Pourquoi devrions-nous refuser d'entendre ces Françaises et ces Français ? Pourquoi devrions-nous leur imposer le « laisser mourir » ? Pourquoi devrions-nous leur refuser de choisir le moment et la manière de partir, s'ils souhaitent le faire entourés de leur proche, à leur domicile ou à l'hôpital ?
En cas d'impasse thérapeutique, le rôle de cette mesure est d'apporter la moins mauvaise solution au patient car il n'en existe jamais de bonne dans ce genre de situation. La moins mauvaise solution ne saurait ignorer le choix du patient comme le fait ce texte.
Mes chers collègues, j'espère sincèrement que nous pourrons débattre sereinement, sans verrouillage de principe, sans posture politicienne ou dogmatique. Plutôt que de rejouer le débat qui a eu lieu lors de la première lecture, nous devons trouver un terrain d'entente. Tel est le sens de ma démarche.
La parole est Mme Dominique Orliac, pour le groupe Radical, républicain, démocrate et progressiste.
Après son rejet au Sénat, nous voici donc amenés à nous pencher de nouveau sur cette proposition de loi sur la fin de vie. C'est un sujet dont nous avons déjà beaucoup débattu en première lecture et à l'occasion de l'examen de la proposition de loi défendue en janvier par notre collègue Véronique Massonneau.
Les radicaux de gauche ont toujours été des précurseurs en la matière : une première proposition de loi avait été déposée dès 1978 par le sénateur Henri Caillavet, et une deuxième allait donner naissance à la loi du 9 juin 1999 « visant à garantir le droit à l'accès aux soins palliatifs ».
En 2005, la loi Leonetti a proscrit l'acharnement thérapeutique, elle a donné au patient le droit de refuser ou d'arrêter un traitement même si cela met sa vie en danger, et elle oblige le médecin à respecter la volonté du malade. Cette loi accepte donc le « laisser mourir » mais continue d'interdire le « faire mourir ».
Lors de l'organisation des primaires citoyennes, le Parti radical de gauche (PRG) avait défendu l'idée de faire évoluer la loi du 22 avril 2005 dite loi Leonetti, en permettant de légaliser le droit à mourir. Sa proposition a été reprise dans l'engagement 21 du programme de campagne de François Hollande que je cite : « Je proposerai que toute personne majeure en phase avancée ou terminale d'une maladie incurable, provoquant une souffrance physique ou psychique insupportable, et qui ne peut être apaisée, puisse demander, dans des conditions précises et strictes, à bénéficier d'une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité. »
Bientôt trois ans après le début du mandat du Président de la République, nous voilà donc amenés à débattre à nouveau de la fin de vie.
Nos deux rapporteurs souhaitent que soit inclus dans le code de la santé publique un droit à une sédation profonde et continue en phase terminale, et que les directives anticipées, jusqu'ici simplement indicatives, s'imposent sous certaines conditions aux médecins. Nous reconnaissons la qualité du travail effectué par nos deux collègues sur une question qui doit, selon nous, dépasser les clivages idéologiques traditionnels. Ce texte émet des propositions positives qui visent à la mise en place d'une organisation plus simple et plus transparente concernant la fin de vie, ce que nous approuvons.
Cependant, pour notre groupe, cette proposition de loi s'apparente à un rendez-vous manqué et certaines propositions contenues dans ce texte ne nous semblent pas être à la hauteur de l'enjeu. En effet, ce texte reste ambigu alors que nous avons besoin de clarté et de transparence, puisqu'il émet des propositions a minima et ne règle pas la question de l'euthanasie ou du suicide médicalement assisté.
La notion de « sédation profonde et continue » ne va pas assez loin : si on laisse la personne s'endormir et mourir, le processus peut prendre du temps, « entre deux et huit jours » indique le professeur Didier Sicard. Cela ne correspond pas à la volonté exprimée par de nombreux Français à plusieurs reprises : pouvoir choisir, en cas de mort inéluctable et de souffrances trop grandes, le moment et le lieu de leur mort.
De plus, la sédation en phase terminale s'accompagne de l'arrêt des traitements et de soins tels que l'alimentation et l'hydratation artificielles, ce qui entraîne souvent des effets très pénibles : faim, soif, phlébites, escarres, infections. En cas d'anesthésie générale, le patient ne ressent pas la faim, nous avez-vous expliqué lors de la première lecture, monsieur Jean Leonetti. Je vous l'accorde, mais l'anesthésie générale ne durera pas plusieurs jours, c'est-à-dire pendant toute la durée d'une sédation profonde.
À notre avis, ce texte reste trop timoré. Il se contente souvent de réaffirmer des principes déjà présents dans la loi du 22 avril 2005 qui est souvent mal comprise et mal appliquée. Nous souffrons d'avoir adopté une loi insuffisante en 2005, ce qui nous oblige à revenir sur le sujet dix ans plus tard. Ne retombons pas dans ce travers. Il est temps de consacrer définitivement ce droit et de garantir le libre choix d'être, sous des conditions strictes, aidé médicalement à mourir dans la dignité.
Pour nous, l'enjeu est bel et bien de permettre à chacun de rester maître de son destin et d'éviter des souffrances inutiles grâce à la mise en place d'une procédure légale claire et transparente. La loi doit permettre à ceux qui le souhaitent de mourir dans la dignité, assistés médicalement s'ils le désirent.
Nous sommes profondément attachés à la création de ce droit car nous sommes convaincus que c'est l'humanisme – et non la morale – qui doit conduire l'action publique et donc guider l'évolution de la loi. Plus encore, ce droit représente pour nous l'incarnation d'une certaine idée du progrès social, de la modernité et de la laïcité, qui sont les véritables fondements de notre République.
Chers collègues, je n'ai pas eu l'occasion de m'exprimer sur ce texte en première lecture puisque je n'étais pas encore députée, mais je partage largement les convictions de ma prédécesseure Sandrine Hurel.
Vous avez, messieurs les rapporteurs, tracé le chemin et je reconnais qu'un équilibre a été trouvé et largement adopté en première lecture en ces lieux. Ce texte permet de répondre à des situations graves d'incertitude et de souffrance. Le patient est au centre du dispositif et il s'agit principalement d'accompagner son choix. Le caractère contraignant des directives anticipées et la place accordée au témoignage de la personne de confiance offrent des garanties permettant d'éviter les situations traumatisantes de blocage qui ont malheureusement défrayé la chronique au cours des dernières années.
Vous avez tracé le chemin mais vous ne l'avez pas parcouru jusqu'au bout. La principale avancée sociétale de la proposition de loi réside dans son article 3 qui prévoit un dispositif de sédation profonde et continue, maintenue jusqu'au décès, associé à un arrêt des traitements. Cependant, nous continuons d'ignorer la situation des patients dont le pronostic vital n'est pas engagé à court terme mais qui souffrent pourtant sans espoir de rémission.
Nous sommes donc bien au milieu du chemin quand bon nombre de nos voisins européens ont déjà franchi l'étape suivante. En s'interdisant d'aller plus loin vers un dispositif actif d'aide à mourir, malgré le souhait du patient, malgré l'appel répété de l'écrasante majorité des Français, malgré l'avis de la conférence de citoyens réuni sous l'égide du CCNE en décembre 2013, la proposition de loi risque de provoquer plus d'incompréhension et de déception que d'adhésion.
Cela dit et pour que les choses soient claires, je préfère cette étape à un vide juridique. Mais cette proposition de loi doit permettre à court ou moyen terme d'aller vers un dispositif d'aide médicalisée à mourir.
Il faut savoir apprécier le fait que, sur une question de société aussi sensible et difficile que celle-là, nous soyons parvenus à un texte équilibré, sachant que rien n'est jamais totalement parfait. D'abord, il nous faut féliciter et remercier nos rapporteurs pour le travail accompli. Ensuite, il faut nous réjouir que les groupes aient su, malgré leurs différences, se rassembler sur cette question.
Personnellement, je crois qu'il faut prolonger le travail que nous avons fait en première lecture et conforter le texte que nous avions adopté tous ensemble.
Ce texte marque une étape importante dans la progression des droits. Je tiens tout d'abord à remercier nos collègues Alain Claeys et Jean Leonetti pour la manière dont ils ont su tirer de nos échanges un résultat équilibré.
Cela étant, je voulais insister sur la situation des personnes souffrant de handicaps complexes de grande dépendance, qui mérite d'être examinée avec une attention particulière.
Voyons d'abord les conditions d'arrêt des soins. La proposition de loi permet au médecin d'arrêter l'alimentation et l'hydratation artificielles qui constitueraient des traitements. Mais pour nombre de ces personnes présentant des handicaps complexes de grande dépendance, ce sont des traitements courants qui améliorent leur qualité de vie tout au long de leur existence. Ce mode d'alimentation permet, en effet, de prévenir et de compenser des troubles inhérents à la déficience motrice.
Venons-en à la décision d'arrêt des traitements. Pour les personnes hors d'état d'exprimer leur volonté, la proposition de loi prévoit que l'arrêt des traitements ne peut être entrepris qu'à l'occasion d'une procédure collégiale comprenant un médecin hospitalier dans la plupart des cas. En l'absence de directives anticipées, la procédure demande le recueil du témoignage de la personne de confiance ou, à défaut, tout autre témoignage de la famille ou des proches en relation.
Cette disposition ne semble pas suffisante pour les personnes en situation de handicaps complexes de grande dépendance. L'appréciation de leur situation de fin de vie ne peut pas être réalisée par un médecin hospitalier qui ne connaît ni leur parcours, ni les séquelles graves de lésions cérébrales congénitales ou acquises qu'elles subissent, ni les suites d'éventuelles phases de décompensation antérieures. Seul un médecin référent de l'établissement ou du service qui les suit est à même de poser un diagnostic averti sur leur situation réelle.
J'espère que nous aurons l'occasion d'améliorer le texte sur ces deux points.
Si les soins palliatifs étaient généralisés dans notre pays, le débat sur l'euthanasie serait complètement vidé de sa substance. Telle est ma conviction. Ce débat sur l'euthanasie est en effet nourri par les souffrances physiques et psychiques insupportables de certains malades en fin de vie.
Mes chers collègues rapporteurs, j'approuve ce texte comme j'ai approuvé la loi du 22 avril 2005 dite loi Leonetti, mais laissez-moi exprimer un doute : nous élaborons des propositions extrêmement détaillées alors que la pratique hospitalière ne suit pas. Dans ce domaine, la loi est en avance.
En ce début de deuxième lecture, j'émets une seule demande qui pourrait être partagée par tous : faisons en sorte que les soins palliatifs soient généralisés partout et pour tous dans notre pays. Si nous y parvenions, nous ferions un grand pas et nous tordrions probablement le cou à ce lancinant débat sur l'euthanasie.
Depuis l'adoption de ce texte en première lecture, nous avons eu des retours positifs le concernant lors d'échanges avec nos concitoyens. Ce texte nous a permis de parler de la loi du 22 avril 2005, de mesurer combien elle était à la fois importante et méconnue. Il nous a aussi permis de démontrer que nous pouvions faire évoluer la législation de façon progressive.
Nous avons tous un point commun : personne ne veut souffrir, faire l'objet d'une obstination déraisonnable, se retrouver dans une situation de blocage comme Vincent Lambert. Les notions de sédation profonde et continue et de directive anticipée sont simples ; les gens les comprennent. Et c'est une excellente chose si nous faisons une loi simple car les lois complexes sont incomprises.
Rappelons aussi que ce texte répond à un engagement du Président de la République. Je me réjouis que tout le monde soit prêt à s'y rallier après un débat particulièrement riche qui porte aussi sur les inégalités dans la société française. Nous sommes inégaux face à la maladie et face à l'accès aux soins. La société s'enrichit si elle réduit ces inégalités liées à des causes territoriales, sociologiques ou génétiques. Pour y contribuer, la proposition de loi prévoit notamment le développement des soins palliatifs, y compris à domicile, qui sont actuellement inégalement répartis sur le territoire et insuffisamment connus.
À mon avis, le suicide assisté – qui existe – relève d'un autre débat. Faut-il le légaliser ? Dans quelles conditions ? Nous devons analyser les exemples étrangers avant de répondre à ces questions.
Aux questions posées dans ce grand débat de société, il n'est pas possible d'apporter de réponse globale. Chaque vie est unique et aucune mort ne ressemble à une autre. Chacun réagit en fonction de ses convictions, de sa culture, de sa philosophie. Et il nous est bien difficile de savoir par avance ce que nous souhaiterions pour nous-mêmes, le moment venu.
La loi du 22 avril 2005 dite loi Leonetti est une grande loi trop méconnue. Elle traite le coeur de la question de la demande de mort – l'abandon et la souffrance – et affirme en quelque sorte que, en fin de vie, la qualité de la vie doit primer sur sa durée. Comme elle n'a pas été assez connue, reconnue et mise en oeuvre, nous sommes obligés d'aller plus loin et d'offrir de nouveaux droits aux malades, tout en levant des ambiguïtés et des incertitudes, et en nous entourant de garanties.
Cela étant, à l'instar de plusieurs collègues qui sont déjà intervenus, je crois que le véritable sujet est le développement des soins palliatifs. Pourquoi notre pays est-il tellement en retard dans ce domaine ? Certes entre 2007 et 2012, le nombre d'unités de soins palliatifs est passé de 90 à 122, et le nombre de lits a fortement progressé dans ces structures. Depuis deux ou trois ans, il semblerait que les réponses apportées ne soient pas à la hauteur de la demande exprimée dans les hôpitaux. Comment faire pour que ces soins palliatifs se développent à l'hôpital mais aussi à travers des équipes mobiles puisque les Français expriment le souhait de mourir chez eux ? Quand nous aurons répondu à cette attente, nous aurons vraiment réglé le grand défi qui nous est lancé.
La proposition de loi que nous examinons a au moins une qualité que nous pouvons lui reconnaître : elle se voulait consensuelle et elle l'est. Mais qu'est-ce que cela signifie réellement si le texte ne répond pas au souhait de la majorité de nos concitoyens ?
Contrairement à mon collègue de Moselle, M. Michel Liebgott, je ne constate pas de retours très positifs. Peut-être est-ce parce que je suis une élue du Sud ? Plus sérieusement, je constate comme certains de mes collègues que nombre de dispositions ne font que reprendre celles des lois de mars 2002 et avril 2005. Nous sommes dans le statu quo. Or, à mon avis, le sujet est beaucoup trop grave pour que le seul but recherché soit le consensus.
Au XXIe siècle, ne vous paraît-il pas normal que toute personne, en phase avancée ou terminale d'une maladie grave et incurable qui provoque une souffrance physique et psychique insupportable, puisse obtenir une assistance médicalisée pour terminer sa vie ? Une telle possibilité ne serait-elle pas le témoignage d'une grande humanité, y compris à l'égard des médecins ? Nous avons tous droit à cette humanité.
Telle qu'elle nous est présentée, la proposition de loi ne répondra pas à ce besoin parce qu'elle ne sera pas effectivement appliquée, comme nous le savons tous. Nous faisons preuve d'une certaine hypocrisie, me semble-t-il. Ces dispositions ne seront pas plus appliquées demain qu'elles ne le sont aujourd'hui, en raison d'un manque évident de moyens mais aussi d'audace de la loi et de volonté politique de la faire appliquer.
Je sais que nous allons discuter en séance d'un amendement déposé par M. Jean-Louis Touraine, qui va au-delà de la proposition de loi sans aller aussi loin que ne le demandent certains de nos collègues écologistes. Pour ma part, je voterai pour l'amendement – que j'ai cosigné – de Jean-Louis Touraine.
En ce qui me concerne, je partage totalement l'avis sur les soins palliatifs qui a été exprimé de façon assez unanime sur tous les bancs de cette commission : tout le monde doit y avoir un accès égal ; les médecins doivent y être formés ; ces soins doivent être développés que ce soit dans des unités spécialisées ou au domicile des malades.
J'ai déposé plusieurs amendements sur ce sujet. J'en ai déposé d'autres sur la nutrition et l'hydratation artificielles, considérées comme des traitements dans le texte, ce qui se discute. Certains de mes amendements portent sur la sédation profonde et continue qui soulève encore des questions. Pourquoi une sédation serait-elle toujours profonde et continue ? Enfin, je propose des amendements sur la clause de conscience des médecins.
Compte tenu de la position adoptée par mon groupe, je vais retirer tous mes amendements en commission. Néanmoins, je les redéposerai en séance la semaine prochaine.
Comme je l'ai indiqué, certains amendements ont été déclarés irrecevables par la commission des finances, en application de l'article 40 de la Constitution, car ils créaient une dépense. C'est le cas pour certains de vos amendements, monsieur Lurton.
Je suis très content que nous légiférions sur ce sujet difficile.
D'après notre serment d'Hippocrate, le rôle du médecin est de soigner et d'empêcher, autant que faire se peut, le malade de souffrir. Lorsque j'ai fait mes études de médecine, on nous apprenait à prodiguer des soins palliatifs et j'ai assumé ce rôle pendant quarante ans. À l'époque, la souffrance et les soins étaient associés. Il existait une forme de convention, une connivence entre le malade et le médecin. Le malade avait confiance car il savait que son médecin ne le laisserait pas souffrir.
Ensuite, avec les progrès de la réanimation, nous en sommes arrivés à réanimer des gens quasiment morts. Il fallait donc adopter de nouveaux textes car la responsabilité des médecins était engagée. Ce rôle que l'on assurait, il faut le réintroduire dans la formation des médecins généralistes, ceux qui sont le plus près du terrain, qui connaissent le mieux leurs malades, et qui travailleront bien sûr avec les unités de soins palliatifs.
La loi du 22 avril 2005 dite loi Leonetti a représenté un progrès mais on parle maintenant d'autres sujets comme l'euthanasie. Il faudra y réfléchir. En tant que médecin, on arrive parfois à un stade où on est gêné d'administrer des doses de plus en plus importantes de médicaments pour calmer le malade. On se demande s'il ne vaudrait pas mieux arrêter la vie. Pour le moment, je pense qu'il ne faut pas aller plus loin que ne le permet la loi Leonetti sur ce sujet très complexe. Nous verrons plus tard en fonction de l'évolution de la société.
En tant que médecin, je suis très content qu'il existe une loi qui oblige les praticiens à se former. On crée de plus en plus de spécialités mais la médecine est un tout. Le généraliste doit prenne en charge ces soins palliatifs à domicile, même s'il doit travailler avec une unité spécialisée, pour éviter d'en arriver à un système dominé par des préoccupations financières : les soins palliatifs sont confiés à des hôpitaux qui s'en servent pour le financement de certaines structures. Il ne faut pas confondre l'argent et l'affection que l'on porte à son malade.
Je vais maintenant donner la parole aux rapporteurs afin qu'ils puissent répondre aux interventions.
Il est légitime que nos collègues puissent s'exprimer et rappeler leur position. En revanche, je récuse deux mots : posture et hypocrisie. Lorsqu'un collègue défend une autre position que la nôtre, je ne pense pas qu'il est dès lors dans une posture ou qu'il est hypocrite. Acceptez que le travail que nous avons réalisé, Jean Leonetti et moi-même, ne relève pas de la posture ou de l'hypocrisie.
Au début de ce débat, une question récurrente est apparue : faut-il développer les soins palliatifs ou élaborer une loi ? Lorsque nous avons remis notre rapport au Président de la République sur cette proposition de loi, nous avons insisté sur le fait que toute loi serait vaine en l'absence de deux éléments majeurs : la formation de tous les soignants aux soins palliatifs et le développement de ces soins palliatifs sur tout le territoire. Dans son intervention, le Président de la République s'est engagé sur ces deux points, et je pense qu'un plan sur les soins palliatifs va être mis en oeuvre. C'est un sujet prioritaire. Si nous avions pu développer davantage les soins palliatifs au cours des dernières années, nous aurions sans doute pu mieux répondre à la souffrance.
Quant au droit à une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité, tout le monde est d'accord pour le reconnaître. Le tout est de savoir si cette assistance est destinée à faire cesser la souffrance ou à donner la mort. Mais ne dites pas que nous refusons au patient une assistance pour qu'il puisse terminer sa vie dans la dignité puisque c'est l'objectif que nous poursuivons.
Parlons du consensus. Nous ne sommes pas obligés de voir la politique comme une arène de gladiateurs dans laquelle il y a un vainqueur et un vaincu. Quand deux textes sont adoptés, l'un par 577 députés et l'autre par 430 députés, on peut considérer qu'il ne s'agit pas d'un consensus mou. On peut en déduire que les collègues ont cheminé à partir de positions différentes et qu'ils sont parvenus à se comprendre, au-delà des postures et des idéologies. Comme lorsque nous avons travaillé sur la bioéthique, Alain Claeys et moi-même, nous n'avons pas fait du marchandage d'articles mais nous avons essayé de répondre à nos concitoyens.
À ceux qui brandissent des statistiques, je rappelle qu'un sondage a montré que 90 % des Français se sont déclarés favorables à l'idée de « dormir pour ne pas souffrir avant de mourir ». On ne peut pas ne citer que les statistiques qui viennent à l'appui de sa propre thèse.
Comme toujours lorsque nous abordons ce sujet, le nom de Vincent Lambert est cité. À partir de ce cas passionnel et médiatique, la question du respect de la loi est posée. Or ce dossier est allé jusqu'au Conseil d'État et devant la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). Dire que la loi ne s'applique pas à Vincent Lambert est un mensonge ou une erreur. Si la loi ne s'applique pas dans ce cas, ce n'est pas en la changeant qu'elle s'appliquera davantage. Le blocage est autre. Rappelons que le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne avait jugé que la loi du 22 avril 2005 permettait de répondre à la situation de Vincent Lambert, sans parler du texte en cours d'examen.
Enfin, dans les pays où elle a été légalisée, l'assistance au suicide n'a jamais été médicalisée. Le débat sur le suicide assisté est un débat d'un autre type : savoir quelle vie vaut d'être vécue, et qui en décide. Cette question n'a pas sa place dans un texte inscrit dans le prolongement de la loi du 9 juin 1999 portée par les Radicaux de gauche visant à garantir le droit à l'accès aux soins palliatifs, de la loi du 4 mars 2002 portée par M. Bernard Kouchner relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé et de celle de 2005 que nous avons portée ensemble. Dans cette proposition de loi, comme précédemment, nous traitons de l'accompagnement des personnes en fin de vie. Le suicide, ce n'est pas cela mais un choix philosophique, une liberté individuelle qui existe déjà en France. Le débat sur le suicide assisté est intéressant, mais il n'a pas sa place dans le texte que nous examinons aujourd'hui.
Je remercie tous les orateurs pour leurs contributions, ceux qui soutiennent cette proposition équilibrée et ceux qui souhaitent l'enrichir comme ceux qui ont exprimé des positions différentes des nôtres, et je me félicite que les débats sur ces sujets graves et complexes se déroulent toujours avec dignité.
Parce que le sujet est grave et nous touche tous, lors de l'examen du texte en première lecture, le président de notre Assemblée avait suspendu, en séance publique, les règles relatives au temps de parole pour permettre à tous ceux qui le souhaitaient de s'exprimer. C'est pourquoi, aussi, je n'ai pas interrompu les orateurs dont l'intervention a excédé les deux minutes qui leur étaient imparties.
La Commission en vient à l'examen des articles.
Nous avons pris note que M. Gilles Lurton retire, dans l'ordre dans lequel ils auraient été examinés, les amendements AS50 et AS52 à l'article 1er, les amendements AS57, AS55, AS56, AS51, AS53 et AS54 à l'article 2, les amendements AS69, AS65, AS67, AS68, AS64, AS63, AS62, AS61, AS59, AS58 et AS60 à l'article 3, les amendements AS72 et AS71 à l'article 4, les amendements AS74, AS76 et AS75 à l'article 5, ainsi que les amendements AS79, AS77, AS78 et AS80, AS81 et AS82 à l'article 8.
Article 1er : Droit des malades et droit des patients en fin de vie
La Commission examine les amendements AS8 de M. Xavier Breton et AS21 de Mme Véronique Besse, qui peuvent être mis en discussion commune.
L'amendement AS8 est le premier d'une série par laquelle je reprends certains amendements déposés par les rapporteurs de la commission des affaires sociales du Sénat et adoptés par elle avant que le texte ne soit rejeté en séance publique par la Chambre haute. Ces amendements enrichissaient le texte ; aussi me paraît-il dommage de figer le projet et de verrouiller le débat jusqu'à la réunion de la commission mixte paritaire (CMP). En l'espèce, l'amendement tend à supprimer la distinction entre soins et traitements en mentionnant le droit des personnes aux soins curatifs et palliatifs ; il déplace à l'alinéa 10 la mention du meilleur apaisement de la souffrance ; il précise que la formation des professionnels de santé aux soins palliatifs, prévue à l'alinéa 11, doit être initiale et continue.
Le Président de la République avait eu des mots ambigus en évoquant « un accompagnement vers la mort » devant permettre de « mourir dans la dignité pour vivre pleinement sa vie ». L'accompagnement vers la mort n'est pas un but : c'est la réalité du travail quotidien de tout le personnel médical dans tous nos hôpitaux. Il faut accompagner nos malades et nos anciens pour que la mort soit apaisée mais en aucun cas leur apporter une aide active à mourir, ni contraindre des médecins à précipiter la fin de vie. Or, c'est à quoi mène ce texte, qui fait tomber les garde-fous dont parlait M. Leonetti. Ce n'est qu'une étape vers l'euthanasie : la sédation profonde et continue assortie de l'arrêt de tout traitement n'est pas un simple endormissement mais une euthanasie qui ne dit pas son nom. La sédation est déjà pratiquée par les médecins ; le problème tient à ce que l'on propose de la rendre continue jusqu'à la mort. Il existe pourtant une alternative : le développement de l'accès aux soins palliatifs ; c'est à quoi tend l'amendement AS21.
Le texte entretient d'autre part une grave confusion entre le traitement et le maintien en vie en définissant la nutrition et l'hydratation artificielles comme des traitements alors qu'elles n'ont pas pour objet de soigner mais de maintenir en vie. Une personne qui ne peut se nourrir n'est pas forcément malade ni en fin de vie mais simplement fragile. Si la nutrition et l'hydratation artificielles étaient considérées comme des thérapies, la loi pourrait autoriser leur arrêt non seulement pour les mourants mais aussi tout au long du parcours de soins. Cette hypothèse inquiète les proches des personnes fortement handicapées et qui ne sont pas en fin de vie. Enfin, les directives anticipées contraignantes modifient radicalement la relation entre le patient et le médecin, en faisant de ce dernier un exécutant et non plus un praticien responsable, qui plus est sans même droit à l'objection de conscience. J'ai déposé des amendements tendant à rétablir le caractère facultatif des directives anticipées.
Vous vous méprenez, monsieur Breton, notre intention n'est nullement de verrouiller les débats. Au contraire, il nous semblerait souhaitable que vous retiriez l'amendement AS8 pour laisser le Sénat reprendre en deuxième lecture l'important travail que sa commission des affaires sociales avait réalisé.
Je ne suis pas opposé à des amendements de précision et, je le redis, la commission des affaires sociales du Sénat avait introduit de nombreux éléments pertinents, mais nous avons fait le choix qui nous a semblé le plus cohérent : conserver le texte dans la rédaction adoptée à une large majorité par notre Assemblée et permettre au Sénat de poursuivre sa réflexion jusqu'à son terme. S'il s'y refuse une nouvelle fois, la CMP permettra d'avancer.
Vous ne pouvez en même temps, madame Besse, vous prononcer en faveur d'un accès élargi aux soins palliatifs et refuser qu'ils soient dispensés. La sédation profonde et continue jusqu'au décès doit être obligatoire pour les personnes aux prises avec une souffrance réfractaire et dont la mort est imminente. La rédaction que nous avons retenue s'inspire fortement d'une recommandation de la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs ; on ne peut à la fois chanter ses louanges et ignorer ses préconisations. Enfin, la loi de 2005 considérait déjà l'hydratation et la nutrition artificielles comme des traitements, interprétation qui est aussi celle du Conseil d'État. La lecture attentive de la loi de 2005 vous le rappellera : un médecin peut, en l'état actuel de la législation, décider de limiter ou d'arrêter tout traitement « n'ayant d'autre objet que la seule prolongation artificielle de la vie ». On poursuit les soins jusqu'au terme de la vie mais l'on arrête les traitements – et, bien entendu, une sonde stomacale n'est pas un soin mais un traitement. Le texte ne doit pas être lu de manière biaisée alors qu'il est dans la continuité des précédents. C'est, à nouveau, une loi d'accompagnement des patients en fin de vie, qui suit l'évolution scientifique, technique et philosophique des soins palliatifs.
Il me semble que c'est respecter le travail de nos collègues sénateurs que de reprendre les amendements déposés par leurs rapporteurs et adoptés par la commission sénatoriale des affaires sociales avant que le texte ne soit malheureusement repoussé en séance publique. Je maintiens qu'il est dommage d'en rester à un texte figé dans une rédaction qui a provoqué, en première lecture, le vote contre de 34 députés et l'abstention de 83 autres, loin de l'unanimité de 2005.
Les termes exacts de l'engagement n° 21 pris par François Hollande, alors candidat à la présidence de la République étaient les suivants : « Je proposerai que toute personne majeure en phase avancée ou terminale d'une maladie incurable, provoquant une souffrance physique ou psychique insupportable, et qui ne peut être apaisée, puisse demander, dans des conditions précises et strictes, à bénéficier d'une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité. » On ne saurait dévoyer ces propos. Peut-être sont-ils ambigus, mais ils ne sont pas ceux que Mme Besse a rapportés.
Suivant l'avis défavorable des rapporteurs, la Commission rejette successivement les amendements AS8 et AS21.
Elle adopte ensuite l'article 1er sans modification.
Article 2 : Refus de l'obstination déraisonnable
La Commission examine les amendements AS9 et AS17 de M. Xavier Breton ainsi que l'amendement AS25 de Mme Véronique Besse, qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
L'amendement AS9 reprend la rédaction des rapporteurs du Sénat, adoptée par la commission sénatoriale des affaires sociales. En effet, dans sa formulation actuelle, l'article 2 semble prévoir un arrêt obligatoire des traitements jugés inutiles ou disproportionnés sans que la volonté du patient soit recherchée ni qu'une procédure collégiale soit mise en oeuvre. L'amendement tend à clarifier la définition de « l'obstination déraisonnable », à soumettre l'arrêt des traitements à la volonté du malade, et à fixer dans la loi les obligations minimales s'agissant de la procédure collégiale, en prévoyant la réunion de l'ensemble de l'équipe soignante et en associant la personne de confiance ou, à défaut, la famille ou les proches qui le souhaitent.
L'amendement AS17 porte sur un autre aspect du texte. Pour nombre de personnes en situation de handicap complexe et de grande dépendance, l'alimentation artificielle est courante ; elle constitue un soin de prévention et de compensation des troubles de la déglutition inhérents à leur déficience motrice, soin qui améliore leur qualité de vie. La proposition de loi énonce dans un paragraphe distinct que « l'alimentation et l'hydratation artificielles constituent un traitement ». Cette énonciation, rapportée aux conditions posées dans le paragraphe précédent, autorise le médecin, sous certaines conditions, à arrêter les soins. Cette rédaction recèle bien des dangers, spécialement pour les personnes qui sont dans la situation exposée. Une lecture trop rapide de la loi pourrait ainsi conduire certains médecins à négliger les autres conditions nécessaires pour qu'un arrêt des soins soit envisagé et à appliquer la loi de manière erronée. Aussi l'amendement vise-t-il à inclure la phrase en question dans le corps du paragraphe précédent afin de ne pas la dissocier d'un examen complet des conditions à réunir pour qu'un arrêt des soins soit envisagé.
Il faut mettre l'accent sur la qualité de vie du patient en sauvegardant sa dignité comme y oblige déjà l'article R. 4127‑38 du code de la santé publique, dont je rappelle les termes : « Le médecin doit accompagner le mourant jusqu'à ses derniers moments, assurer par des soins et mesures appropriés la qualité d'une vie qui prend fin, sauvegarder la dignité du malade et réconforter son entourage. » La dignité du mourant est respectée si la qualité de vie du patient est correctement assurée par le médecin et grâce aux soins palliatifs. Tel est l'objet de l'amendement AS25.
Suivant l'avis défavorable des rapporteurs, la Commission rejette successivement les amendements AS9, AS17 et AS25.
Elle examine ensuite les amendements identiques AS5 de M. M. Roger-Gérard Schwartzenberg, AS23 de Mme Véronique Besse et AS85 de M. Xavier Breton.
Le fait de savoir si la nutrition et l'hydratation artificielles doivent être qualifiées de « soins » ou de « traitements » n'est pas, à ce jour, précisément défini. Les auteurs de la proposition écrivent dans l'exposé des motifs qu'ils entendent « inscrire explicitement dans la loi que la nutrition et l'hydratation artificielles constituent un traitement », ce que traduit l'alinéa 3 de l'article 2. Mais ils prévoient aussi, à l'alinéa précédent, que l'on pourra suspendre ou ne pas entreprendre « les traitements n'ayant d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie ». Cela conduirait nécessairement à arrêter ou à ne pas entreprendre la nutrition et l'hydratation artificielles, au risque d'entraîner le décès du patient dans des conditions très pénibles – en raison, en particulier, de la soif. Même s'il est sous sédation profonde et continue, nul ne sait ce que le malade ressent réellement. Aussi proposons-nous par l'amendement AS5 la suppression de l'alinéa 3.
Par l'amendement AS23, nous proposons également la suppression de cet alinéa qui introduit une grave confusion entre le traitement et le maintien en vie. En effet, la nutrition et l'hydratation artificielles sont non seulement utilisées pour des malades en fin de vie mais aussi pour maintenir en vie des personnes fragiles. Ces techniques seraient-elles considérées comme des traitements et non comme des soins qu'elles pourraient être interrompues à tout moment d'un quelconque parcours de soin.
L'amendement AS85 tend aussi à supprimer l'alinéa 3 et ainsi une disposition contestée. Dire que la nutrition et l'hydratation artificielles sont des traitements, c'est introduire une grande ambiguïté et avec elle un risque de dérive patent.
Notre collège Jean Leonetti l'a rappelé, le Conseil d'État a jugé que l'alimentation et l'hydratation artificielles constituent des traitements au sens de la loi du 22 avril 2005. Outre cela, comme je l'ai dit lorsque nous avons examiné la proposition en première lecture, si l'alinéa précisant que l'alimentation et l'hydratation artificielles sont des traitements n'est pas maintenu, la cohérence du texte se perdra et nous rencontrerons de grandes difficultés à l'article 2, qui prévoit l'arrêt de tout traitement et la sédation jusqu'au décès.
Je n'ai rien à ajouter à cette explication à laquelle je souscris entièrement, sinon que nous reprenons dans cet alinéa la formulation du Conseil d'État dans sa décision du 24 juin 2014. Avis défavorable aux trois amendements de suppression.
Même avis. Le débat a déjà eu lieu en 2005 et le Conseil d'État a statué sur le fondement de la loi de 2005. Que sont l'intubation de la trachée pour aider à respirer et l'introduction d'un tube dans l'estomac pour permettre la nutrition sinon, évidemment, des traitements et non des soins ? Mais dire cela n'est pas dire que l'on va interrompre tous les traitements prodigués aux personnes handicapées. Chaque position peut être défendue, mais il est faux d'alléguer que des patients mourront de faim et de soif parce que ces traitements auront été interrompus alors qu'ils sont sous sédation profonde et continue. Tout médecin vous le dira : en pareil cas, les malades ne ressentent ni faim, ni soif. Dire que de la sorte on torture ces patients, c'est faux. J'observe que l'on trouve parmi ceux qui l'affirment tant des partisans de l'euthanasie que des membres d'Alliance Vita ; c'est une incohérence philosophique, si philosophie il y a, et en tout cas une erreur sur les plans médical, physiologique et humain. Enfin, M. Sebaoun a souligné à juste titre l'incohérence évidente qu'il y aurait à mettre en oeuvre une sédation profonde en arrêtant tout traitement sauf ceux qui prolongent artificiellement une vie vouée à s'éteindre sous quelques heures ou quelques jours. Un moment vient où il faut accepter le « lâcher prise ». On ne peut dire que l'assistance rénale, l'assistance respiratoire ou l'assistance nutritionnelle ne sont pas des traitements. Humecter les lèvres sèches d'un malade est un soin ; maintenir une sonde stomacale installée par une opération chirurgicale est un traitement. Quelles que soient les divergences d'opinions, on ne peut étayer sa position en disant le faux. Pareille question ne devrait prêter ni à polémique, ni à faussetés qui sont ensuite reprises par des gens qui sont, eux, dans la posture.
La Commission rejette les amendements identiques AS5, AS23 et AS85.
Elle adopte ensuite l'article 2 sans modification.
Article 3 : Traitement à visée sédative associé à une analgésie provoquant une altération profonde et continue de la vigilance jusqu'au décès
La Commission est saisie de l'amendement AS26 de Mme Véronique Besse.
La sédation ne peut être érigée en droit ; seul l'accès aux traitements sédatifs est un droit, déjà inscrit à l'article R. 4127‑37 du code de la santé publique. C'est aux médecins d'apprécier collégialement et à la famille et aux proches de décider, après en avoir reçu la demande du patient, du recours à cette pratique. Aussi l'amendement tend-il à la suppression de l'article.
Suivant l'avis défavorable des rapporteurs, la Commission rejette l'amendement.
Puis elle examine les amendements AS10 de M. Xavier Breton et AS20 de Mme Véronique Massonneau, les amendements identiques AS6 de Mme Bernadette Laclais et AS84 de M. Rémi Delatte, les amendements AS22 de Mme Véronique Massonneau, AS83 de M. Rémi Delatte, AS27 et AS30 de Mme Véronique Besse, qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
L'amendement AS10 réécrit les alinéas 2 à 7. Ce faisant, il supprime sans attendre la CMP la rédaction fâcheuse selon laquelle la vie d'un patient pourrait être « inutilement prolongée ». Il ramène à deux cas la possibilité d'administrer une sédation profonde et continue. Il précise, pour écarter toute dérive euthanasique, que dans le cas où une personne souhaite arrêter tout traitement, la sédation profonde et continue n'est mise en oeuvre que si son pronostic vital est engagé à court terme et qu'il présente une souffrance réfractaire à tout autre traitement – au lieu que, comme dans l'alinéa 4 actuel, ce soit la décision du patient atteint d'une affection grave et incurable d'arrêter un traitement qui engage son pronostic vital à court terme, sans que le critère de souffrance réfractaire soit énoncé.
La loi de 2002 puis celle de 2005 ont permis qu'un patient demande l'arrêt de son traitement. Celui qui en décide ainsi peut se trouver dans la situation où son pronostic vital est engagé ; c'est le cas envisagé par l'alinéa que M. Breton veut faire disparaître. Avis pour cette raison défavorable à un amendement qui restreint la portée de l'article adopté en première lecture par notre Assemblée.
L'adverbe « inutilement » est peut-être mal interprété. Ce qui est dit ici n'est pas qu'une vie est inutile mais que sa prolongation peut l'être. C'est ce qui figure dans le code de déontologie médicale – « Le médecin ne doit pas prolonger inutilement l'agonie ». Mais si la formulation choque, nous en trouverons une autre.
Sur le fond, notre réflexion nous a conduits à envisager qu'une sédation profonde et continue jusqu'au décès, associée à une analgésie et à l'arrêt de l'ensemble des traitements de maintien en vie, peut être mise en oeuvre lorsque le patient atteint d'une affection grave et incurable et dont la mort est imminente présente une souffrance réfractaire au traitement ; lorsque le traitement est arrêté à l'issue d'une décision collégiale ; lorsque le malade demande l'arrêt de son traitement. Dans tous les cas, nous envisageons l'hypothèse unique de la mise en danger à court terme. Ainsi de l'assistance respiratoire : on sait que si le respirateur est débranché, l'étouffement est inéluctable ; il faut donc prévenir la souffrance réfractaire à venir au moment de l'arrêt du traitement de survie. La question ne se pose évidemment pas si le patient demande, par exemple, que l'on cesse un traitement antidiabétique, geste qui ne met pas sa vie en danger à court terme.
Je crois me souvenir qu'en accord avec la ministre, il avait été dit lors du débat en première lecture que la malheureuse expression « ne pas prolonger inutilement la vie » serait modifiée ; il serait bon qu'elle le soit effectivement.
Je ne reviens pas sur l'amendement AS20, que j'ai défendu dans mon propos liminaire, sinon pour rappeler que le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) a décrit les modalités qui permettraient d'instituer l'aide au suicide, qu'il considère comme un droit légitime. Nous avons l'occasion d'introduire dans notre législation des dispositions qui permettraient d'aller vers le suicide assisté. C'est le sens de l'amendement.
Je précise, pour que la commission soit parfaitement éclairée, que le CCNE a publié deux textes distincts : l'avis n° 121 intitulé « Fin de vie, autonomie de la personne, volonté de mourir » dans lequel ne figure pas le suicide assisté, et un rapport de synthèse sur les conclusions de la conférence citoyenne relative à la fin de vie, qui a aussi abordé ce sujet.
Tout est question d'interprétation. J'ai le rapport sous les yeux. On y lit que « les réflexions et débats publics ont fait émerger un profond clivage sur la question de l'assistance au suicide » et que « deux types de recommandations très différentes se sont exprimées, que l'on peut schématiser de la manière suivante : une recommandation de ne pas autoriser ni dépénaliser l'assistance au suicide ; une recommandation de légaliser l'assistance médicale au suicide. »
Vous avez raison de vouloir bien préciser les choses. Il se trouve que je suis membre du CCNE. Je puis vous dire avec certitude que le Comité a adopté un avis dans lequel ne figure aucune recommandation au sujet du suicide assisté. La question a été abordée au cours de la conférence citoyenne animée par le CCNE, lequel, dans le rapport de synthèse qu'il a publié mais qui ne l'engage pas, a exposé les différentes positions.
L'engagement a été pris en première lecture que l'expression « prolonger inutilement la vie » serait modifiée. Je puis vous assurer, messieurs les rapporteurs, que la phrase est mal comprise : ce qui est en cause est l'utilité de prolonger le traitement mais, ainsi rédigé, le texte donne à penser que des vies seraient utiles et que d'autres ne le seraient pas. Une autre formulation s'impose, qui reflétera mieux ce que nous souhaitons dire. C'est l'objet de l'amendement AS6, que je retire mais que je présenterai à nouveau en séance publique. J'espère que, si le texte est maintenu en l'état, le Sénat ou la CMP se saisiront de la question.
Pour aller dans le sens voulu par nos rapporteurs, parce que j'adhère au texte équilibré, mesuré et consensuel que nous avons adopté en première lecture, je retire également l'amendement AS84, qui a le même objet. Mais je souhaite aussi que le Sénat ou la CMP trouve une autre rédaction, car on n'imagine pas quiconque s'ériger en juge de l'utilité d'une vie. Ultérieurement, je retirerai aussi l'amendement AS83.
Les amendements AS6 et AS84 sont retirés.
M. Jean Leonetti a déjà donné son point de vue sur cette rédaction, que la CMP reverra, à moins qu'un accord ne se trouve au cours de la discussion en séance publique.
Pour tenir compte de ce que l'espérance de vie est différente pour des individus atteints d'une même pathologie – comme on le voit avec Vincent Lambert, dont le pronostic vital n'est pas engagé à court terme –, nous proposons par l'amendement AS22 de conditionner la mise en place d'une sédation à la constatation d'une impasse thérapeutique et non d'un pronostic vital engagé à court terme.
On a le droit, depuis la loi de 2002, d'interrompre des traitements de survie à la demande du patient ou bien lorsque l'on considère qu'il s'agit d'une obstination déraisonnable dans une procédure collégiale, c'est-à-dire quand les traitements sont inutiles, disproportionnés ou quand ils n'ont d'autre but que le maintien artificiel de la vie. C'est sur ce fondement que le Conseil d'État a jugé légale la décision médicale de mettre fin aux traitements de Vincent Lambert. Une souffrance réfractaire au traitement est en soi une impasse thérapeutique. Avis défavorable.
L'amendement AS83 de M. Rémi Delatte est retiré.
Pratiquer la sédation profonde et continue au domicile de la personne laisserait les familles seules face à la mort d'un proche. Par ailleurs, cette pratique, si elle existe, doit être réalisée dans un lieu adapté, médicalisé et surtout dans un cadre permettant de prévenir toute dérive. L'amendement AS30 vise pour ces raisons à supprimer la mention « ou au domicile du patient ».
La Commission rejette successivement les amendements AS10, AS20, AS22, AS27 et AS30.
Elle est saisie de l'amendement AS1 de M. Roger-Gérard Schwartzenberg.
Les Radicaux de gauche considèrent que choisir sa mort devrait être la dernière liberté. Chacun devrait pouvoir conclure sa vie comme il l'entend, en demeurant l'arbitre de son destin. Pour respecter la diversité des attentes et des volontés des patients en fin de vie, le législateur se doit d'élargir le champ des possibilités. L'assistance médicalisée active à mourir doit, bien sûr, être très strictement encadrée par des règles et des procédures rigoureuses et précises. C'est ce que prévoit l'amendement, largement conforme au dispositif prévu dans la proposition de loi du groupe Radical, républicain, démocrate et progressiste du 26 septembre 2012. L'objectif doit être de respecter la volonté du malade, le libre choix par chacun de son destin personnel – en bref, le droit des patients à disposer d'eux-mêmes dans un ultime moment de liberté et de dignité. L'amendement tend donc à reconnaître aux patients en phase avancée ou terminale d'une maladie incurable, génératrice de souffrances intolérables et qui ne peuvent être apaisées le droit d'obtenir une assistance médicalisée pour terminer leur vie dans la dignité et dans les meilleures conditions.
Suivant l'avis défavorable des rapporteurs, la Commission rejette l'amendement.
Puis elle examine l'amendement AS4 de M. Roger-Gérard Schwartzenberg.
La sédation profonde et continue jusqu'au décès, associée à l'arrêt de la nutrition et de l'hydratation, ne garantit pas une mort rapide. Elle est susceptible dans certains cas et selon les pathologies d'entraîner d'extrêmes souffrances. Pourtant, l'agonie ne doit pas être une étape obligée du décès. La grande majorité des patients en phase terminale souhaitent mourir sans souffrir, ce qui n'est pas assuré dans l'hypothèse d'une « sédation profonde et continue jusqu'au décès ». Il est donc souhaitable de prévoir une alternative en permettant au patient de choisir librement soit le traitement à visée sédative envisagé à l'article 2, soit une assistance médicalisée active pour mourir dans des conditions strictement encadrées par la loi.
Suivant l'avis défavorable des rapporteurs, la Commission rejette l'amendement.
Elle adopte ensuite l'article 3 sans modification.
Article 4 : Droit aux traitements antalgiques et sédatifs en cas de souffrance réfractaire
La Commission examine l'amendement AS11 de M. Xavier Breton.
Cet amendement propose une nouvelle rédaction de l'article 4. Il reprend le travail des rapporteurs de la commission des affaires sociales du Sénat et tend à réunir en un seul article les dispositions relatives à la prise en charge de la souffrance et celles relatives aux soins palliatifs, tout en clarifiant les conditions d'information du patient sur les conséquences des traitements envisagés.
Suivant l'avis défavorable des rapporteurs, la Commission rejette l'amendement.
La Commission examine l'amendement AS28 de Mme Véronique Besse.
Il s'agit de compléter la première phrase de l'alinéa 2 par les mots : « , en priorité l'ensemble des soins palliatifs ».
Suivant l'avis défavorable des rapporteurs, la Commission rejette l'amendement.
Elle en vient ensuite à l'amendement AS46 de M. Yannick Moreau.
Seul un médecin compétent en soins palliatifs, parce qu'il a reçu une formation spécifique et officie au sein d'une unité spécialisée, peut proposer au patient de mettre en oeuvre un traitement qui peut avoir pour effet d'abréger sa vie. La condition de la compétence en soins palliatifs est le gage que ces soins auront bien été mis en oeuvre avant d'en arriver à une sédation profonde et continue. Tel est le sens de cet amendement.
Suivant l'avis défavorable des rapporteurs, la Commission rejette l'amendement.
L'amendement AS24 de Mme Véronique Massonneau, de coordination avec l'amendement AS22 à l'article 3, qui a été rejeté, n'a plus d'objet.
La Commission examine l'amendement AS29 de Mme Véronique Besse.
L'expression « même s'ils peuvent avoir comme effet d'abréger la vie » est ambiguë car elle permettrait au médecin de provoquer délibérément la mort, ce qui est contraire à l'article R. 4127-38 du code de la santé publique.
La Commission rejette l'amendement.
La Commission adopte l'article 4 sans modification.
Article 4 bis : Présentation par les ARS d'un rapport annuel sur les soins palliatifs
La Commission adopte l'article 4 bis sans modification.
Article 5 : Information des patients et droit au refus de traitement
La Commission examine l'amendement AS31 de Mme Véronique Besse.
Cet amendement entend clarifier le rôle du médecin qui accompagne le patient en soins palliatifs. La notion d'accompagnement palliatif est trop large, et il importe de préciser qu'il s'agit de soulager les douleurs physiques, grâce aux traitements palliatifs et sédatifs, les soins palliatifs devant par ailleurs être développés.
Suivant l'avis défavorable des rapporteurs, la Commission rejette l'amendement.
Puis elle examine l'amendement AS40 de M. Yannick Moreau.
Il s'agit de s'assurer que la personne n'est pas dans un état de faiblesse ou de vulnérabilité psychologique susceptible d'altérer son jugement. Entre l'abandon et l'euthanasie, il y a place pour instaurer un droit fondamental à une prise en charge globale de toutes les personnes âgées ou malades, dans le respect de la dignité de chacun. Tel est le sens de cet amendement.
Suivant l'avis défavorable des rapporteurs, la Commission rejette l'amendement.
Puis elle en vient à l'amendement AS32 de Mme Véronique Besse.
Obliger le médecin à exécuter les ordres du patient, tels que formulés dans des directives anticipées, est contraire à son rôle et à la liberté de conscience dont doit pouvoir se prévaloir le personnel médical. Par ailleurs, au plan éthique, je ne pense pas que, sa condition ayant changé, le rédacteur de directives anticipées ne modifie pas également ses choix.
Suivant l'avis défavorable des rapporteurs, la Commission rejette l'amendement.
Elle en vient à l'amendement AS19 de M. Xavier Breton.
La proposition de loi prévoit les conditions dans lesquelles l'arrêt des soins peut être entrepris pour les personnes hors d'état d'exprimer leur volonté, telles que les personnes présentant des handicaps complexes entraînant une grande dépendance. Ces dispositions ne sont guère protectrices puisque l'appréciation du point de savoir si ces personnes sont ou non en fin de vie ne peut être réalisée par un médecin hospitalier, qui ne connaît ni leur parcours, ni les séquelles graves de lésions cérébrales congénitales ou acquises qu'elles subissent, ni d'éventuelles phases de décompensation antérieures.
L'opinion des familles risque d'être de peu de poids compte tenu de la complexité des handicaps de ces personnes. Or ces dernières font nécessairement l'objet de soins courants dispensés par un médecin attaché à des institutions médico-sociales. Seul le médecin référent de l'établissement ou du service qui les suivent est à même de poser un diagnostic averti sur leur situation réelle. C'est pourquoi cet amendement, rédigé en lien avec des associations de familles de personnes handicapées, vise à proposer l'ajout du médecin référent à la liste des personnes devant être consultées lors de la procédure collégiale.
Avis défavorable. Cet amendement risque de poser des problèmes pratiques, dans la mesure où il ne permet plus d'agir en l'absence du médecin référent. Il est certes souhaitable de prendre l'avis de ce dernier mais, en général, on s'efforce de le consulter. Votre proposition vaut donc comme recommandation, mais l'inscrire dans la loi me paraît être un élément trop restrictif.
D'autant qu'en cas de transfert du patient d'un EHPAD (établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes) à un établissement hospitalier, c'est le personnel soignant de ce dernier qui aura à prendre les décisions qui s'imposent, en formation collégiale, sans pouvoir nécessairement consulter le médecin référent. Cette disposition, portée par les associations de patients polyhandicapés ne me paraît donc pas très opérationnelle.
La Commission rejette l'amendement.
Puis elle adopte l'article 5 sans modification.
Article 6 : Coordination
La Commission examine l'amendement de suppression AS33 de Mme Véronique Besse.
Cet amendement vise à conserver l'article L. 1111-10 du code de la santé publique, qui concerne les personnes encore capables de choisir en conscience. Il respecte l'équilibre entre les conseils du médecin et le choix des patients.
Par ailleurs, si la nourriture et l'hydratation artificielles ne sont pas considérées comme des traitements, cet article peut être conservé en l'état.
Suivant l'avis défavorable des rapporteurs, la Commission rejette l'amendement.
Puis elle adopte l'article 6 sans modification.
Article 7 : Mention de la possibilité pour les malades de refuser un traitement
La Commission examine les amendements de suppression identiques AS12 de M. Xavier Breton et AS34 de Mme Véronique Besse.
La précision apportée par l'article 7 n'apparaît pas utile. En effet, les dispositions contenues dans cette section concernent les personnes en fin de vie et non celles qui refusent un traitement.
Le choix des patients était déjà respecté dans la loi Leonetti de 2005, il n'est pas nécessaire de consacrer expressément leur droit à refuser un traitement.
Suivant l'avis défavorable des rapporteurs, la Commission rejette les amendements.
Puis elle adopte l'article 7 sans modification.
Article 8 : Renforcement de la volonté du patient et opposabilité des directives anticipées
La Commission examine l'amendement AS13 de M. Xavier Breton.
Cet amendement complète, à l'alinéa 2, la référence au contenu des directives anticipées, qui n'est pour l'instant abordé que sous l'angle du refus, de la limitation ou de l'arrêt des traitements. Il prend ainsi en compte les situations où une personne ferait l'objet d'une obstination déraisonnable et indiquerait néanmoins qu'elle désire poursuivre un traitement.
Nous proposons, à l'alinéa 3, de rendre le recours au modèle facultatif. Toute obligation de rédiger ses directives selon un modèle imposé disqualifierait en effet automatiquement des directives rédigées avant ou après l'entrée en vigueur de la loi selon un autre modèle ou sur papier libre.
L'amendement précise également les deux cas dans lesquels le médecin n'est pas tenu de se conformer aux directives anticipées ainsi que le cadre dans lequel la possibilité d'appliquer ces directives anticipées est examinée, en renvoyant à la procédure collégiale, telle qu'elle est visée à l'article L. 1110-5-1.
Il prévoit enfin expressément que la personne de confiance ou, à défaut, la famille et les proches soient informés de la possibilité ou de l'impossibilité d'appliquer les directives.
Doit-on comprendre que les directives devront être strictement conformes au modèle déterminé par décret ou faut-il considérer qu'il s'agit simplement de respecter un cadre préalablement défini, y compris en rédigeant ces directives sur papier libre ?
La proposition de loi parle de directives rédigées « selon » un modèle unique, ce qui est différent de « conformément à » ce modèle.
Suivant l'avis défavorable des rapporteurs, la Commission rejette l'amendement.
Puis, toujours suivant l'avis défavorable des rapporteurs, elle rejette l'amendement AS35.
Elle examine ensuite l'amendement AS36 de Mme Véronique Besse.
Les directives anticipées doivent pouvoir contenir les souhaits du patient depuis les conditions d'accompagnement en soins palliatifs jusqu'à sa fin de vie. Elles ne peuvent s'imposer au médecin au nom de la clause de conscience, y compris dans les conditions déontologiques de l'article R. 4127-47 du code de la santé publique.
Suivant l'avis défavorable des rapporteurs, la Commission rejette l'amendement.
Puis, suivant l'avis défavorable des rapporteurs, elle rejette l'amendement AS41.
Elle en vient ensuite à l'amendement AS2 de M. Roger-Gérard Schwartzenberg.
La durée de validité des directives anticipées doit figurer dans la loi elle-même et ne pas être renvoyée à un décret en Conseil d'État. Certes, les directives anticipées sont « révisables et révocables à tout moment » par l'intéressé, mais il ne serait pas opportun que ces directives demeurent valables sans condition de durée. En effet, au cours de sa vie, une personne peut changer d'avis sur les conditions de son décès. Si, changeant ainsi d'avis, elle omet de procéder aux démarches nécessaires pour réviser ou révoquer ses directives, celles-ci s'appliqueraient alors qu'elles ne correspondraient plus à sa volonté.
Actuellement, les directives doivent être renouvelées tous les trois ans. Ce renouvellement périodique permet de s'assurer qu'elles correspondent toujours à la volonté exprimée auparavant par leur rédacteur. D'où l'intérêt de maintenir le droit positif actuel, c'est-à-dire le renouvellement de ces directives tous les trois ans, tel qu'il est impliqué par l'article L. 1111-11 du code de la santé publique, résultant lui-même de la loi du 22 avril 2005.
Suivant l'avis défavorable des rapporteurs, la Commission rejette l'amendement.
Puis elle adopte l'article 8 sans modification.
Article 9 : Précision du statut du témoignage de la personne de confiance
La Commission examine l'amendement de suppression AS37 de Mme Véronique Besse.
La personne de confiance est importante pour accompagner le patient dans son parcours de soins et témoigner de ses souhaits et de sa volonté, mais elle est aussi sujette à une subjectivité qui peut déformer les souhaits de la personne malade, dont l'avis peut changer. De plus le statut de la personne de confiance est défini par l'article L. 1111-6.
Suivant l'avis défavorable des rapporteurs, la Commission rejette l'amendement.
Puis elle examine l'amendement AS14 de M. Xavier Breton.
Cet amendement, qui reprend les améliorations apportées par les rapporteurs de la commission des affaires sociales du Sénat, prévoit tout d'abord que la personne de confiance est cosignataire de la décision par laquelle elle est désignée. Il arrive en effet aujourd'hui qu'une personne ne découvre qu'elle a été désignée comme personne de confiance qu'au moment où les médecins font appel à elle et alors qu'elle ne souhaitait pas forcément jouer ce rôle. Il paraît donc essentiel que la personne de confiance puisse donner son approbation à la mission dont elle est investie.
Par ailleurs, cet amendement supprime l'alinéa 3, qui ne figurait pas dans le texte d'origine et selon lequel la personne de confiance peut demander les informations du dossier médical nécessaires pour vérifier que la situation médicale du patient correspond aux conditions exprimées dans les directives anticipées.
Avis défavorable en l'état, bien que ces deux questions méritent une discussion approfondie lors du débat en séance publique.
La Commission rejette l'amendement.
Puis elle adopte l'article 9 sans modification.
Article 10 : Hiérarchie des modes d'expression de la volonté du patient
La Commission examine l'amendement AS15 de M. Xavier Breton.
Cet amendement précise notamment que le médecin a l'obligation de rechercher la volonté du patient pour toute décision d'investigation, d'intervention ou de traitement. Il précise également que la personne de confiance n'a pas vocation à livrer un témoignage mais à rendre compte de la volonté du patient.
Suivant l'avis défavorable des rapporteurs, la Commission rejette l'amendement.
Puis elle en vient à l'amendement AS38 de Mme Véronique Besse.
Les directives anticipées peuvent ne pas suffire à connaître les souhaits du patient qui peuvent varier selon la situation. La famille ou les proches peuvent aussi témoigner de ces souhaits, les directives anticipées restant consultatives.
Suivant l'avis défavorable des rapporteurs, la Commission rejette l'amendement.
La Commission examine l'amendement AS18 de M. Xavier Breton.
Cet amendement reprend les dispositions concernant les personnes hors d'état d'exprimer leur volonté, telles que les personnes atteintes de handicaps complexes, et propose de recueillir l'avis du médecin référent de l'établissement.
Suivant l'avis défavorable des rapporteurs, la Commission rejette l'amendement.
Puis elle adopte l'article 10 sans modification.
Article 11 : Coordination
La Commission adopte l'article 11 sans modification.
Article 12 : Recours à la Commission nationale du débat public
La Commission adopte l'article 12 sans modification.
Article 13 : Application de la loi en Nouvelle-Calédonie
La Commission adopte l'article 13 sans modification.
Article 14 : Rapport annuel sur le développement des soins palliatifs
La Commission adopte l'article 14 sans modification.
Titre
La Commission examine l'amendement AS16 de M. Xavier Breton.
En « créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie » l'intitulé actuel de cette proposition de loi établit une distinction souvent jugée maladroite. Le terme « en faveur de » pouvant par ailleurs être jugé malheureux, nous proposons donc que cette proposition de loi crée de nouveaux droits « pour les personnes malades en fin de vie ».
Suivant l'avis défavorable des rapporteurs, la Commission rejette l'amendement.
Puis elle adopte l'ensemble de la proposition de loi sans modification.
Puis la Commission procède à l'examen, sur le rapport de M. Gérard Bapt, Mme Michèle Delaunay, Mme Joëlle Huillier, M. Michel Issindou, M. Denis Jacquat et Mme Marie-Françoise Clergeau, du rapport d'information sur l'application de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2015.
Le rapport que je vous présente, au nom de l'ensemble des rapporteurs du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), fait état de l'exécution réglementaire de la loi de financement pour 2015.
Le Règlement de notre Assemblée prévoit que ce bilan soit fait 6 mois après la publication de la loi, mais l'agenda de la Commission ne nous a pas permis de faire ce travail en juillet.
Aussi, nous présentons cette fois l'exécution au 15 septembre, comme du reste l'année dernière : il faut donc tenir compte du délai supplémentaire accordé au Gouvernement pour juger de sa rapidité d'exécution.
Le suivi de l'application réglementaire peut paraître très formel mais il est particulièrement justifié en ce qui concerne les lois de financement de la sécurité sociale (LFSS), pour deux raisons principales :
– d'une part, la présence des dispositions en LFSS est conditionnée au fait qu'elles aient un impact sur les comptes de la sécurité sociale, sans quoi elles sont considérées comme des « cavaliers sociaux ». Cela rend donc indispensable leur application avant la fin de l'exercice annuel, en tout cas pour celles qui entrent en vigueur dès 2015 ;
– d'autre part, les PLFSS font systématiquement l'objet d'un recours à la procédure législative accélérée, du fait de la nécessité d'appliquer la loi dès le 1er janvier : cela justifie en retour que le législateur demande des comptes au Gouvernement sur son application effective.
En ce qui concerne l'application non pas réglementaire mais budgétaire de la loi, je vous renvoie au dernier rapport de la Commission des comptes de la sécurité sociale, ainsi qu'au rapport annuel de la Cour des comptes sur l'application des LFSS.
L'application de la lettre du Règlement devrait conduire à présenter, dans ce rapport, l'état de l'application de la loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2014.
Mais compte tenu de la nature très particulière de ce texte, qui engage la mise en oeuvre de l'essentiel des dispositions du Pacte de responsabilité et de solidarité, nous avons estimé qu'il serait plus utile de réaliser, lorsque les données disponibles permettront d'avoir suffisamment de recul, une évaluation de l'impact des mesures adoptées, sans se contenter d'en présenter brièvement les actes d'application.
Les chiffres qui suivent résultent notamment d'un tableau transmis en juillet par le Gouvernement. Ce tableau n'ayant pas été réactualisé, il n'est donc pas utile de le faire figurer en annexe du rapport. En revanche, les informations que je vais vous livrer sont, pour leur part, à jour au 15 septembre.
Sur les 93 articles de la loi de financement restant après décision du Conseil constitutionnel, 47 sont d'application directe.
Près de 9 mois après la publication de la loi, 28 articles n'ont encore fait l'objet d'aucun des textes d'application qu'ils prévoient, et 2 articles ont fait l'objet d'une application réglementaire partielle.
Sur les 50 actes réglementaires appelés par la LFSS – décrets en Conseil d'État, décrets simples et arrêtés –, seuls 21 ont été publiés, soit un taux de 42 %. On constate donc un très léger recul par rapport à l'année dernière (taux de 44 %).
Il s'agit donc d'un résultat moyen, compte tenu du fait qu'il est arrêté en septembre.
À titre de comparaison :
– le rapport d'application 2008 avait mis en évidence une grande négligence dans l'élaboration des textes d'application (avec un rapport de 20 % entre le nombre de textes publiés et le nombre attendu) ;
– la situation s'était beaucoup améliorée en 2009 (47 %) ;
– avait régressé en 2010 (21 %) ;
– et à nouveau beaucoup progressé en 2011 (61 %, mais avec un indicateur élaboré au mois d'octobre).
Cela dit, mes collègues et moi sommes conscients de l'ampleur de la tâche à accomplir pour l'administration, ainsi que des délais qu'imposent les avis du Conseil d'État, des caisses de sécurité sociale, etc.
J'en viens à l'examen par branche.
Dans le champ dont je suis le rapporteur – les recettes, la trésorerie, la gestion du risque et la lutte contre les fraudes – seule une dizaine d'articles nécessitait des mesures réglementaires d'application.
Je vous rappelle en effet qu'en matière de cotisations et de fiscalité, beaucoup de dispositions sont d'application directe. Pour autant, le taux d'application est d'à peine 50 %.
On peut notamment signaler la publication au mois d'août d'un long décret mettant en oeuvre les nombreuses mesures prévues par l'article 9, destinées à simplifier les règles d'affiliation des travailleurs indépendants.
L'article 10 prévoit une réduction forfaitaire des cotisations patronales pour l'emploi d'un salarié à domicile, d'un montant variable selon les cas de figure. La réduction est ainsi de 1,50 euro pour la garde d'enfants âgés de 6 à 13 ans, mais dans la limite d'un nombre d'heures devant être fixé par décret. Conformément aux débats parlementaires, le décret publié en avril dernier a fixé ce nombre d'heures à 40 par mois.
Parmi les mesures encore en attente d'application, figurent entre autres :
– la rationalisation bienvenue de la fiscalité sur les contrats d'assurance, applicable seulement à compter du 1er janvier 2016 ;
– le décret en Conseil d'État améliorant la procédure d'opposition à tiers détenteur. Ce décret est appelé par l'article 24 de la LFSS, dont sont d'ores et déjà applicables les autres mesures d'amélioration des procédures de contrôle et de recouvrement des cotisations et contributions sociales.
Sur les 40 articles relatifs à la branche maladie, 13 sont d'application directe. Au-delà des articles de nature exclusivement financière, il me semble important de souligner que parmi ces dispositifs d'application directe figurent des mesures bienvenues. Elles constituent les marqueurs de notre majorité parlementaire. Je pense ainsi à la contribution au titre de médicaments destinés au traitement de l'hépatite et à l'extension aux bénéficiaires de l'aide à l'acquisition d'une complémentaire santé (ACS), de l'exonération de la participation forfaitaire et de la franchise médicale.
Si l'on met de côté les articles proposant la remise de rapports que nous n'avons pas encore reçus, il reste 25 articles demandant un peu plus d'une trentaine de textes d'application. Seuls un tiers d'entre eux ont été effectivement publiés.
Dans le cadre de l'amélioration de l'accès aux soins et aux droits, de nombreuses mesures sont en cours d'application : je pense tout particulièrement au tiers payant intégral pour les personnes à revenus modestes bénéficiaires de l'aide au paiement d'une ACS.
Dans le domaine de la promotion de la prévention, une disposition, relative à la politique de vaccination, n'a toujours pas fait l'objet de textes d'application. S'agissant de la démocratie sanitaire, le choix a été fait de ne pas procéder à la publication d'un arrêté récapitulatif mais de prendre différents arrêtés « au fil de l'eau ». Au 15 septembre, un seul d'entre eux a été publié.
Un certain nombre d'articles relatifs au renforcement de la qualité et de la proximité du système de soins ne peuvent encore être exécutés faute de textes.
Il s'agit de la dotation complémentaire à l'amélioration de la qualité et la sécurité des soins, des nouvelles modalités de financement des hôpitaux de proximité, de l'expérimentation des hôtels hospitaliers ou encore des mesures d'installation pérenne de médecins dans des zones de montagne. On peut le regretter ! Je voudrais cependant souligner qu'il s'agit soit de mesures supposant une concertation préalable soit de mesures de nature très technique. Dans les deux cas, elles nécessitent du temps afin de procéder à des ajustements précis. Je voudrais aussi tempérer ce constat en soulignant l'imminence de la publication des dispositions relatives au praticien territorial de médecine ambulatoire.
S'agissant de la promotion de la pertinence des actes et des soins, les dispositifs relatifs à la pertinence des actes des prestations d'hospitalisation, à la description générique renforcée parmi les modes d'inscription des dispositifs médicaux, ou aux transports de patients ne peuvent encore trouver à s'appliquer. A contrario, soulignons que des mesures portant sur la pertinence de la prescription des médicaments à l'hôpital sont entrées en vigueur.
Tel est le constat que l'on peut établir s'agissant de la branche maladie.
Peu de dispositions concernaient directement le secteur médico-social : une disposition technique et d'application directe touchant à l'amortissement du coût des évaluations externes pour les établissements accompagnant des personnes handicapées ainsi qu'un rapport dont nous attendons la remise sur l'évaluation des contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (CPOM).
De même, pour l'assurance vieillesse, seuls 2 articles appelaient des mesures d'application, l'un prévoyant la mise en place du dispositif d'aide au rachat de trimestres de retraite pour les enfants de harkis, l'autre visant à adapter les conditions de cumul emploi-retraite pour les artistes du ballet de l'Opéra national de Paris. Les décrets d'application ont été pris, pour chacun de ces articles, dans le courant de l'été.
La branche accidents du travail et maladies professionnelles, ensuite, ne comportait que 3 articles, dont aucun ne nécessitait de mesure réglementaire d'application.
En ce qui concerne enfin la branche famille, cette année 2015 a été marquée par la mise en place d'un système de modulation du montant des allocations familiales.
Il s'agit d'un dispositif innovant et juste, participant au redressement des comptes de la sécurité sociale. Nous l'avons adopté sur proposition de notre rapporteure Marie-Françoise Clergeau. Les décrets d'application ont été pris selon le calendrier prévu permettant une entrée en vigueur le 1er juillet dernier.
Je vous remercie de votre attention, et vous donne rendez-vous très prochainement pour l'examen du prochain PLFSS.
Merci M. le rapporteur. Vos conclusions sont claires. Il est vrai que le Parlement, et en particulier notre Commission, adopte beaucoup de textes qui ne peuvent trouver complète application faute de la publication des décrets correspondants.
M. le rapporteur, notre groupe prend acte de ce que la publication de l'ensemble des textes n'est pas effective. Nous estimons que le taux de 42 % de publication est plutôt faible même si, je vous le rappelle, notre groupe n'avait pas voté en faveur de ce texte. Nous avions d'ailleurs saisi le Conseil constitutionnel qui avait ensuite censuré l'article 12 et une partie du dispositif de l'article 16.
Je formulerai deux observations. Tout d'abord, nous avons récemment auditionné M. Migaud, Premier président de la Cour des Comptes, à l'occasion du rapport annuel d'application des lois de financement de la sécurité sociale. Les conclusions de ce rapport ne sont pas à mettre au crédit de l'action du Gouvernement. Le retour à l'équilibre des comptes est reporté aux années 2021-2022 et les mesures structurelles qu'il implique sont inexistantes. Quant à l'amélioration de la gestion de notre système de sécurité sociale, le rendez-vous est manqué !
Ma seconde observation est en réalité une réflexion personnelle portant sur la portée de l'examen des projets de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) par le Parlement. Ne devrions-nous pas penser à la rédaction d'une nouvelle loi organique encadrant les conditions d'examen du PLFSS ? Pourquoi ne pas examiner la partie relative aux recettes et aux conditions d'équilibre financier dans le cadre des projets de loi de finances ? Cela nous permettrait de réserver le PLFSS à l'examen des seules dépenses de santé.
Merci M. Door. Je ne partage pas votre point de vue. Il me semble difficile de se prononcer sur des dépenses indépendamment de l'approbation des recettes et de l'équilibre.
Mes chers collègues, je vous remercie du travail effectué à l'occasion de l'application de la loi de financement pour 2015. Vos travaux apporteront un éclairage utile à l'examen du PLFSS pour 2016. Je ne formulerai pas de remarque sur le fond du rapport dont nous venons d'avoir une présentation. De nombreux articles ne peuvent trouver application faute de textes. Vous avez, à juste titre, souligné la complexité de la tâche pour les administrations concernées. Cela étant, pouvez-vous nous dire à quelle échéance seront publiés les textes d'application restant à prendre ?
Je souhaiterais revenir sur l'article 9 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016, qui prévoit la suppression d'exonérations, notamment, dans les zones de revitalisation rurale (ZRR), alors que ce zonage doit être redéfini.
Cela est tout à fait incohérent : d'un côté, l'on redéfinit le périmètre des zones de revitalisation et de l'autre, on supprime les exonérations dont peuvent bénéficier les entreprises qui s'y implantent. C'est contradictoire et préjudiciable.
Je voudrais souligner pour ma part les sensibles améliorations constatées pour la branche vieillesse : la branche est presqu'à l'équilibre en 2015 et elle devrait l'atteindre en 2016. Cela montre que les mesures de recettes et les mesures de justice que nous avons adoptées étaient indispensables.
Les décrets concernant la branche vieillesse ont été pris à 100 %. Ils étaient attendus par les personnes concernées : les enfants de harkis, d'une part, qui ont été enfermés dans des camps entre 1962 et 1975 : le décret publié leur permettra de valider des trimestres et, d'autre part, des danseurs de l'Opéra national de Paris, qui doivent obligatoirement prendre leur retraite à l'âge de 42 ans. Il était indispensable d'adapter pour ces derniers les règles du cumul emploi retraite, afin de leur permettre de reprendre une activité professionnelle après une carrière interrompue très jeune : c'est ce que propose le décret adopté au coeur de l'été, le 18 août dernier.
Tout est dit à la page 6 du rapport : 28 articles n'ont fait l'objet d'aucun texte d'application. Cela signifie que 50 % de la loi que nous avons adoptée l'an dernier, après des nuits de travail, n'est toujours pas applicable. Cela donne une idée de l'efficacité croissante de l'Assemblée nationale…
À quoi sert le projet de loi de financement de la sécurité sociale ? C'est la question posée cette année par la Cour des comptes.
Les actions proposées sont peu efficaces, les déficits ne cessent de se creuser…
Dans une comparaison entre la France et l'Allemagne, la Cour des comptes relevait 104 milliards d'euros de déficits cumulés en France, contre 11 milliards d'euros d'excédents en Allemagne.
Le PLFSS pour 2016 ne change pas la règle : les mesures annoncées par le Gouvernement sont anecdotiques. Ce texte est marqué par le même immobilisme, par les mêmes freins structurels que les années précédentes.
Il marque la fin d'un système social longtemps cité en modèle.
Je reviens un instant sur la comparaison France-Allemagne mentionnée par M. Tian. L'Allemagne compte 70 % de personnes pauvres parmi les chômeurs, contre 14 % en France. Depuis trois ans, il y a dix fois plus de nouveaux pauvres en Allemagne, alors que la France a fait le choix de consacrer 10 % du produit intérieur brut (PIB) aux investissements sociaux.
S'agissant « des nuits » passées à légiférer, je rappellerai à M. Tian que nous n'avons passé l'an dernier que trois soirées à débattre du PLFSS, les débats étant toujours clos à 1 heure du matin. En commission, nous avons débattu une seule fois la nuit, jusqu'à une heure et demie du matin.
Je souhaite poser à M. le Rapporteur une question que j'adresserai également à Mme Marisol Touraine et à M. Christian Eckert.
Nous avons voté l'an dernier une modification de l'assiette de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S), et nous irons encore un peu plus loin cette année.
Monsieur le Rapporteur, savez-vous comment l'État entend compenser cette moindre recette de C3S pour les organismes de sécurité sociale ?
L'intervention de M. Tian révèle bien le danger qui guette notre système de protection sociale. On évoque une maîtrise des dépenses sociales, alors que la dette sociale augmente et qu'elle atteint près de 150 milliards d'euros.
Ensuite, à peine plus d'un tiers des décrets ont été publiés : c'est inadmissible et cela pose la question du respect des droits du Parlement.
Cela interroge aussi sur la qualité du travail effectué : les décrets ne sont pas publiés, des tuyauteries infernales sont créées. Ce n'est pas du « bon » travail législatif.
Depuis la disparition des textes portant diverses mesures en matière sanitaire et sociale, le PLFSS comporte des mesures diverses dont seules certaines survivent à la censure du Conseil constitutionnel. Et l'on constate aujourd'hui que les mesures adoptées ne sont pas appliquées.
Le PLFSS pour 2016 marque aussi le report sine die de l'équilibre des comptes de la branche maladie. Ce texte est un échec, avec une absence de dispositions structurelles dans les annonces du Gouvernement.
Il s'attaque une nouvelle fois à l'industrie du médicament. Il étrangle l'hospitalisation privée alors qu'elle a relevé à un niveau correct la part de la chirurgie ambulatoire dans son activité.
C'est un constat d'échec.
Si certains textes n'ont pas été pris, je constate malheureusement que ceux affectant négativement les personnes âgées ou les familles l'ont été effectivement. Je pense notamment à la modulation du montant des allocations familiales.
Je suis désespérée d'entendre la teneur de certaines interventions et notamment celle de M. Accoyer. Je me souviens des mesures prises à l'époque où il présidait cette Assemblée, caractérisées par la mise en place de franchises médicales ainsi que par les déremboursements. Je souhaiterais qu'il soit plus précis et nous indique s'il réclame la mise en oeuvre de nouvelles mesures de ce type.
Plus généralement je crois indispensable de conclure entre nous un pacte d'honnêteté et de loyauté. Les Français ne supportent plus les discours manichéens. Sachons par exemple reconnaître une baisse du déficit. Faire preuve de loyauté me semble indispensable si nous voulons restaurer la confiance des Français dans la politique.
La modulation du montant des allocations familiales constitue précisément une réforme structurelle. Il s'agit d'une bonne mesure, bien comprise. Je n'ai reçu aucun courriel, courrier ou remarque sur le terrain pour s'y opposer. Pour la préparation du PLFSS 2016, j'ai visité la caisse d'allocations familiales de Saint-Quentin dans l'Aisne. Dans ce département, seules 1,8 % des familles sont touchées par la modulation, lorsque cette proportion atteint 70 % dans le VIIème arrondissement de Paris. Il me semble normal de ne pas verser la même aide aux hauts revenus qu'aux foyers modestes, étant entendu que les allocations familiales sont toujours versées à l'ensemble des familles.
Je rejoins les propos de Mme Delaunay. Nous devons éviter les faux procès et faire preuve de transparence. S'agissant de la question des zones de montagne évoquée par M. Bapt, je tiens à saluer la méthode du Gouvernement : il vaut mieux prendre le temps de la concertation pour parvenir à un dispositif efficace plutôt qu'adopter des mesures dans la précipitation. Les mesures sont attendues pour le mois d'octobre et je suis convaincue que les populations de montagne en seront pleinement satisfaites.
Nous avons assisté au tour de chauffe du PLFSS. La question de M. Costes concerne le PLFSS pour 2016. La question soulevée par M. Door, relative à l'examen commun avec la Commission des finances de la partie recette du PLFSS, constituerait une réforme lourde. Il s'agit d'une part très importante du PLFSS qui serait transférée dans le champ de compétences de la Commission des finances au détriment de fait de notre Commission. Cela me fait penser au projet de fusion de la contribution sociale généralisée et de l'impôt sur le revenu, qui pourrait impliquer d'importantes pertes de recettes pour les finances sociales.
M. Door a par ailleurs reconnu que si la réduction du déficit est lente, elle se poursuit néanmoins. J'observe que le déficit a été divisé par deux depuis 2011.
S'agissant de la question de Mme Orliac relative au calendrier de mise en oeuvre des mesures qui n'ont pas encore fait l'objet d'actes d'application, je rappelle que l'annexe 3 au PLFSS 2016 fera le point sur l'état d'application des mesures de la LFSS 2015, actualisant ainsi le point que je vous ai présenté aujourd'hui.
M. Michel Issindou a bien décrit les avancées de la LFSS 2015 en matière de retraite, et notamment la mesure relative aux artistes du ballet de l'opéra de Paris.
Je répondrai au langage catastrophiste de M. Accoyer en indiquant que sur 150 milliards de dette sociale, 23 milliards vont être transférés à la CADES sans qu'il soit nécessaire de prévoir de nouvelles mesures de financement. M. Tian avait lui aussi un discours catastrophiste, je suppose qu'il est parti s'en remettre à la Bonne Mère.
Mme Clergeau a mis en avant à juste titre des chiffres intéressants sur la justice sociale, qui caractérise la mesure de modulation du montant des allocations familiales.
Je répondrai enfin à M. Sebaoun que le Gouvernement a indiqué vouloir poursuivre les exonérations de C3S pour les seules entreprises de taille modeste, à savoir celles dont le chiffre d'affaires est inférieur à 19 millions d'euros.
La séance est levée à douze heures quinze.