COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES
MISSION D'ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE DES LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Mardi 23 septembre 2014
La séance est ouverte à dix heures quarante.
(Présidence de Pierre Morange, coprésident de la mission et rapporteur)
La Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) procède d'abord à l'audition, ouverte à la presse, de Mme Virginie Beaumeunier, rapporteure générale de l'Autorité de la concurrence.
Nous accueillons ce matin Mme Virginie Beaumenier, rapporteure générale de l'Autorité de la concurrence.
Madame la rapporteure, pourriez-vous tout d'abord nous présenter les missions et les modalités d'action de l'Autorité puis le contentieux dont elle a eu à connaître dans le domaine du transport de patients ?
Rapporteure générale de l'Autorité de la concurrence, j'en dirige les services d'instruction. Cette autorité indépendante est organisée autour d'un système de séparation fonctionnelle du contentieux, qui permet de garantir les droits de la défense des parties. Les services d'instruction traitent donc en toute indépendance les dossiers contentieux qui font ensuite l'objet d'une décision du collège de l'Autorité. Cette dernière s'est vu globalement confier trois missions à ce jour : s'assurer du respect du droit de la concurrence, contrôler les concentrations – fusions et rapprochements d'entreprises – et assumer un rôle consultatif.
Dans le domaine du transport de patients, notre activité est restée modeste au cours des dix dernières années. Nous avons eu deux angles d'approche : nous avons été saisis, d'une part, de pratiques concertées d'entreprises de transport de patients à l'occasion d'appels d'offres lancés par les centres hospitaliers et, d'autre part, de plaintes de transporteurs pour l'organisation des services de garde, notamment les conditions définies par certains regroupements de transporteurs pour la répartition des gardes le week-end et la nuit entre les entreprises.
Nous avons eu à traiter six dossiers depuis 2004 qui ont donné lieu à cinq décisions définitives tandis qu'une affaire est encore en cours d'instruction et devrait être réglée d'ici à la fin de l'année. Sur les cinq affaires réglées, trois ont donné lieu à des décisions sanctionnant une violation des règles de la concurrence. Dans une quatrième affaire, la saisine de l'Autorité de la concurrence n'a pas été jugée recevable car la requête relevait du droit administratif général. Enfin, nous avons rejeté la cinquième saisine dans la mesure où les pratiques alléguées n'étaient pas suffisamment démontrées – le standard de preuves étant élevé en droit de la concurrence.
Les travaux de la MECSS s'articulent avec ceux de la Cour des comptes qui, dans un rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale publié en septembre 2012, estimait qu'au-delà de l'enveloppe budgétaire consacrée au transport de patients, de 4,5 milliards d'euros, il serait possible d'économiser 450 millions d'euros rien qu'en rationalisant la dépense. Et au-delà de sa réflexion générale sur l'adéquation entre la prescription médicale et l'état du patient, la Cour a considéré que l'on pourrait économiser quelque 120 à 150 millions d'euros si l'on évitait les surfacturations et les situations monopolistiques. Or, les cas dont vous avez eu à traiter au cours des dix dernières années sont finalement en nombre restreint. Quelles atteintes au principe de liberté de la concurrence avez-vous pu observer ? Avez-vous constaté des abus de position dominante ? Quelles sont les modalités des sanctions définitives que vous appliquez ?
Nous n'avons jusqu'à présent constaté aucun abus de position dominante dans ce secteur. On peut certes avoir l'impression de tels abus lorsque des ambulanciers se regroupent. Mais, sous l'angle juridique, nous analysons ce phénomène comme une simple concertation d'entreprises relevant du droit des entreprises.
Il n'existe pas de règle absolue. Il peut y avoir présomption de position dominante lorsqu'une entreprise détient plus de 50 % de parts du marché ou bien lorsqu'elle détient un pourcentage inférieur mais que les conditions d'accès au marché sont difficiles – ce qui est notamment le cas lorsqu'un acteur détient une grosse part de marché et qu'il n'est concurrencé que par de petits acteurs. Ainsi le critère des 50 % ne suffit-il pas forcément : on analyse également s'il est facile d'entrer sur le marché et de contester la part de marché de l'opérateur principal. Nous portons toujours des appréciations au cas par cas.
Pour disposer des informations nécessaires et mesurer si ce seuil est atteint, quelle est votre démarche : vous autosaisissez-vous des dossiers ? Si oui, êtes-vous en mesure de balayer un champ suffisamment large ? Car, lors d'auditions précédentes, des représentants d'entreprises de transport de patients et d'autres personnalités nous ont fait part de l'existence, au travers d'un semis de petites entreprises, de holdings dirigées par une ou quelques personnes. Ces dernières se trouveraient ainsi en position dominante souterraine, bien que dans un paysage économique apparemment éclaté.
Il existe plusieurs modalités de saisine de l'Autorité de la concurrence. Dans le cadre d'un appel d'offres, nous pouvons tout d'abord être saisis d'une plainte émanant d'un centre hospitalier universitaire (CHU) ou encore d'un concurrent évincé. Nous travaillons par ailleurs en lien avec la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) qui, grâce à la présence de son réseau sur le territoire, peut nous transmettre des indices de pratiques anticoncurrentielles. Nous pouvons alors soit préempter l'enquête soit la lui laisser mener, et dans ce cas elle nous informe de ses résultats. Enfin, nous pouvons décider d'enquêter de notre propre initiative. Dans les affaires que nous avons eu à traiter, plusieurs cas relevaient d'une saisine du ministre via la DGCCRF car il s'agissait d'affaires antérieures à la création de l'Autorité de la concurrence. Désormais, ces saisines sont remplacées par la transmission d'indices remontant de cette direction.
Votre champ d'activité est tellement vaste que l'on peut se demander si vos contrôles sont systématiques ou s'ils relèvent de démarches ponctuelles adoptées dans le cadre de missions que vous vous assigneriez à un moment donné sur un sujet particulier ou sur la base de saisines spécifiques, sans que ce dernier fasse l'objet d'un suivi dans le temps.
Dans ce secteur, il s'agit effectivement plutôt de saisines ponctuelles provenant soit du ministre soit d'un acteur concerné. Cela étant, il nous arrive d'identifier des secteurs prioritaires dans le programme d'activités de l'Autorité dans la mesure où nous avons la faculté d'intervenir de notre propre initiative. Le secteur de la santé fait partie de ces secteurs prioritaires mais il est vrai qu'au cours de ces dernières années, nous nous sommes plutôt intéressés au médicament.
Du fait de son poids dans le PIB, notamment. De plus, nous avons été alertés sur l'existence de pratiques contestables. Nous nous sommes notamment penchés sur le médicament générique et avons récemment rendu deux décisions sanctionnant des entreprises, titulaires du médicament princeps, qui bloquaient le développement de génériques. Cela ne signifie pas que nous ne nous préoccupons pas d'autres questions : au contraire ! Nous nous intéressons ainsi aux dispositifs médicaux et au transport de patients.
Dans ce domaine, nous analysons les regroupements sous l'angle d'une concertation entre entreprises plutôt que sous l'angle de l'abus de position dominante, surtout s'il n'existe aucun lien capitalistique entre ces entreprises. En revanche, dès lors que celles-ci appartiennent à un groupement – et en particulier à un groupement d'intérêt économique (GIE) comme c'est fréquemment le cas dans le secteur des ambulances et des taxis –, nous apprécions la question sous l'angle des ententes.
Pour votre information, la MECSS se donnera certainement pour tâche, en lien avec la Cour des comptes à laquelle nous avons commandé un rapport, de mener une réflexion sur les procédures d'achat et de délégations de service public dans les hôpitaux – qui représentent 78 milliards d'euros, soit un volume budgétaire important.
Il y a quelques années, le Conseil de la concurrence a eu l'occasion de traiter d'affaires d'achats hospitaliers de dispositifs médicaux cardiologiques.
Pour en revenir aux pratiques de transport des patients, les affaires ayant donné lieu à des condamnations et à des sanctions ont consisté en des ententes qui visaient à fausser des marchés publics – pratiques que nous considérons comme particulièrement graves puisqu'elles portent atteinte aux deniers publics. Dans ce type d'affaires, des opérateurs de transport se concertent préalablement à la remise des offres et perturbent le fonctionnement du marché, bien que ce secteur présente la particularité d'être soumis à des tarifs réglementés. L'une des affaires portée à notre connaissance concernait le CHU de Rouen, une autre, un CHU du Nord de Sèvres.
L'affaire du CHU de Rouen, dont nous avons eu à connaître à la suite d'une saisine ministérielle, a révélé une entente entre sept ambulanciers qui avaient truqué un appel d'offres : ceux-ci s'étaient accordés pour refuser de répondre à cet appel d'offres afin d'obtenir de meilleures conditions de négociation. Les sanctions que nous leur avons infligées – certes peu élevées dans la mesure où elles s'appliquaient à de petites entreprises – allaient de 1 300 euros à 8 000 euros.
Si je comprends bien, la lourdeur des sanctions est fonction du chiffre d'affaires de l'entreprise concernée ?
Oui, en général, le montant des sanctions applicables fait l'objet d'une appréciation au cas par cas, entreprise par entreprise.
Les critères de sanction retenus par l'Autorité de la concurrence sont, d'une part, la gravité de l'infraction – importante lorsqu'il s'agit de marchés publics – et, d'autre part, le dommage causé à l'économie. Or, ce dernier est difficile à apprécier. Il peut parfois être quantifié en cas de surprix mais nous portons parfois aussi une appréciation qualitative tenant compte de l'ampleur de la pratique et des personnes touchées par celle-ci. Enfin, la sanction est désormais assise sur les ventes affectées, c'est-à-dire sur le chiffre d'affaires concerné par ces pratiques.
Depuis 2001, le législateur nous a encouragés à appliquer des sanctions plus élevées en en relevant le plafond, ce que l'Autorité a tiré les conséquences en accroissant la sévérité des sanctions qu'elle prononce. Nous avons d'ailleurs précisé de manière détaillée dans une communication quels étaient nos critères d'appréciation des sanctions au vu de la jurisprudence passée. Nous prenons en compte la gravité des faits et l'impact de l'infraction sur l'économie. Il nous est plutôt reproché généralement d'être trop sévères que pas assez. Néanmoins, l'objectif de l'Autorité ne consiste pas non plus à mettre en péril des entreprises, même si elles ont commis des pratiques contestables. Nous tenons compte, dans l'appréciation des sanctions que nous appliquons, de leur situation financière. Depuis la crise de 2009, nous avons institué un dispositif comprenant un questionnaire et une liste de documents à nous fournir qui permet aux entreprises de nous justifier de leurs difficultés. Ainsi, lorsqu'une entreprise est en difficulté, il arrive que la sanction que nous lui appliquons soit réduite.
Dans l'affaire du CHU de Rouen, l'Autorité de la concurrence a dû évaluer le préjudice subi du fait de l'entente entre ces entreprises. Quel en fut le montant cumulé dans la durée ?
En matière de marchés publics, il convient de distinguer le dommage à l'économie, du préjudice subi par la victime. De plus, si l'on ne prend en compte que le montant présumé du marché, la sanction pourrait être minorée. C'est pourquoi nous appliquons une pratique spécifique à ces marchés.
À quelle hauteur la sanction totale s'est-elle élevée pour l'ensemble des sept entreprises ?
En matière de marchés publics, la jurisprudence part du montant du marché et de sa durée prévisible pour apprécier le dommage porté à l'économie. Or, en l'espèce, le marché représentait une somme de trois millions d'euros sur trois ans. Quant au préjudice subi, il est difficile à chiffrer car on ignore à quel prix le CHU aurait pu conclure son marché.
Le prix médian des marchés conclus par les CHU voisins et le cahier des charges défini par le CHU de Rouen pourraient quand même en donner une idée…
Nous ne sommes pas allés aussi loin dans notre appréciation.
Cela dit, nous avons sensibilisé à la question les collectivités territoriales et la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés – dans l'affaire des médicaments génériques – afin de les inciter, lorsqu'elles sont victimes de pratiques anticoncurrentielles à saisir le juge de droit commun pour réclamer une réparation du préjudice subi. Nous pourrions en faire autant auprès des CHU. Car c'est plutôt au juge de droit commun – tribunal de commerce, juge civil ou juge administratif – qu'il revient d'évaluer le préjudice précis, sachant que la démonstration de la faute, préalable à cette évaluation, sera facilitée par la démonstration de la pratique anticoncurrentielle qu'aura faite l'Autorité de la concurrence. Le plus difficile pour le juge de l'indemnisation est de faire le lien entre la pratique et le préjudice subi.
Je crois savoir que l'affaire en cours, au sujet de laquelle vous ne pouvez nous donner d'informations, a été classée sans suite.
Elle n'a pas encore été classée. Il est vrai qu'à ce stade, les services d'instruction proposent de ne pas poursuivre. Mais il s'agit d'une affaire d'une nature différente. La pratique anticoncurrentielle présumée résulterait d'un problème de répartition des gardes ambulancières. En effet, dans un souci de bonne gestion, les entreprises de transport sanitaire se regroupent pour se répartir les gardes – celles-ci présentant un intérêt économique dans la mesure où leurs tarifs sont majorés. Mais il importe que les conditions d'accès au regroupement ou de répartition des gardes soient transparentes, objectives et non discriminatoires.
Avant d'en venir aux gardes ambulancières, pourriez-vous poursuivre l'explication de votre premier exemple qui portait sur le CHU de Rouen ? Comment les sept entreprises d'ambulance dont vous nous avez parlé ont-elles évolué à la suite de votre décision ? Ont-elles adopté des pratiques plus vertueuses ou au contraire ont-elles récidivé ? En d'autres termes, la pénalité financière qu'elles ont subie a-t-elle exercé sur elles un effet pédagogique ? Enfin, deux instances publiques interviennent en matière de transport sanitaire : la caisse primaire d'assurance maladie et l'agence régionale de santé (ARS). La première conventionne et la seconde octroie des agréments. Dès lors que des entreprises d'ambulance ont fraudé l'assurance maladie en détournant de l'argent public issu des cotisations des travailleurs et des chefs d'entreprise, on pourrait légitimement attendre des caisses primaires d'assurance maladie qu'elles mettent fin aux conventions passées avec ces entreprises et des agences régionales de santé qu'elles leur retirent leurs agréments. Cela a-t-il été le cas dans l'exemple cité ?
J'ignore ce qu'il est advenu de ces entreprises. Théoriquement, lorsqu'une entreprise est sanctionnée par l'Autorité de la concurrence, on peut s'attendre à ce qu'elle ne récidive pas. De facto, nous n'avons pas sanctionné à nouveau les sept entreprises qui l'avaient été dans cette affaire mais cela ne signifie évidemment pas pour autant qu'elles n'aient pas recommencé. Du moins, nous n'avons pas eu connaissance de nouvelles pratiques anticoncurrentielles de leur part. Lorsqu'une entreprise se fait sanctionner une deuxième fois par l'Autorité de la concurrence, elle voit sa sanction aggravée, à condition que la pratique réitérée soit postérieure à la sanction de la pratique précédemment punie et ce sur une durée de vingt ans.
Quant à savoir ce que peuvent faire l'assurance maladie et les agences régionales de santé, il ne nous appartient pas d'en juger. Mais ces organisations pourraient effectivement se poser la question ou au moins adresser un avertissement aux entreprises concernées. En tout état de cause, nos décisions étant rendues publiques, les caisses et les agences ont tout le loisir d'en prendre connaissance pour agir.
Mon intention n'était pas de vous demander de vous prononcer sur des décisions qui ne relèvent pas de votre compétence mais de savoir si vous connaissiez la position de ces deux instances – et en l'espèce, du comité des pénalités, instance décisionnaire de la caisse primaire d'assurance maladie compétente en matière de sanctions, dirigée par le directeur général de la caisse, d'une part, et d'autre part, du directeur de l'ARS, responsable des procédures d'agrément relevant de sa compétence.
Nous ne disposons pas de cette information.
Et puisque vous nous avez cité l'exemple de Rouen, avez-vous constaté un tropisme géographique ou des particularités locales en la matière ?
Non. Il se trouve que la deuxième affaire dont nous avons eu à connaître, qui date également de 2010, est aussi localisée dans le grand Ouest, dans les Deux-Sèvres, mais cela résulte du hasard. On trouve malheureusement des pratiques anticoncurrentielles sur tout le territoire.
De quels moyens l'Autorité de la concurrence dispose-t-elle dans un champ d'investigations aussi vaste ?
Nous disposons actuellement de 185 emplois équivalent temps plein (ETPT) mais leur nombre est voué à diminuer, au vu des lois de finances à venir. Nos effectifs ont été relativement préservés depuis cinq ans, le Gouvernement ayant souhaité soutenir notre action dans la mesure où nous étions une autorité mise en place récemment. Mais nous sommes désormais soumis au même régime que les autres administrations, ce qui ne nous paraît pas anormal. Quant à nos services d'instruction proprement dits, ils comptent environ 90 personnes et comprennent le service des concentrations – qui ne mène pas d'enquêtes sur le terrain.
Il ne me paraît pas forcément normal que vous suiviez le mouvement de nécessaire rationalisation dont fait l'objet la fonction publique dans la mesure où la lutte contre la fraude sociale et fiscale entraîne une diminution de la dépense publique et s'inscrit par conséquent dans un cercle budgétaire vertueux.
Il est certain que l'Autorité de la concurrence présente l'avantage de générer des ressources publiques. Même si notre objectif n'est pas d'appliquer des amendes pour financer des dépenses publiques…
La pédagogie de la sanction a un double effet – à la fois dissuasif et producteur de recettes indûment perçues par les fraudeurs. Il convient donc de ne pas baisser la garde s'agissant de vos ressources humaines.
Il importe que les organismes publics qui sont effectivement comptables des deniers publics puissent, lorsque nous constatons des pratiques anticoncurrentielles, engager des actions en réparation. Car cela accroît l'effet dissuasif de nos décisions. La sanction publique vise à prévenir et à sanctionner la fraude. Et ce que l'on pourrait appeler la sanction « privée » vise à réparer un dommage mais aussi à le prévenir.
Dans l'affaire des Deux-Sèvres, trois entreprises ont tenté de truquer un appel d'offres pour imposer à un CHU la facturation d'un forfait fixe de 200 euros pour les gardes de nuit, de week-end et des jours fériés. En effet, lorsque les transporteurs ne sortent pas pendant leurs heures de garde, ils bénéficient d'un forfait pour couvrir leur immobilisation. Ces entreprises ont subi une sanction plus élevée, située entre 6 000 et 9 500 euros. Et je ne crois pas qu'elles aient fait appel de notre décision.
Elles ont de toute façon comparé le coût d'un avocat, la sanction financière qui leur était infligée et la capitalisation que générait la surfacturation que permettait l'entente.
La tarification de ce forfait de 200 euros a effectivement entraîné une facturation de 163 000 euros en 2007. Cela ne signifie pas qu'il n'y aurait eu aucune facturation. Mais il conviendrait de calculer quel en serait le montant adéquat. L'une des solutions consisterait à sensibiliser les CHU aux voies de recours possibles lorsqu'ils sont victimes de fraudes. Cela étant, engager une procédure en réparation peut être lourd et coûteux pour une victime au regard du montant du préjudice subi. Il revient aux hôpitaux concernés de l'apprécier, d'autant que des recours en réparation peuvent inversement présenter un intérêt dissuasif.
C'est pour cette raison que le fait pour l'assurance maladie de déconventionner la première entreprise sanctionnée par votre Autorité, dans la mesure où cette simple procédure présente un intérêt tant pour l'assurance maladie que pour le centre hospitalier victime de la fraude, aurait une vertu pédagogique pour les fraudeurs suivants mais aussi vertu dissuasive. Cela remettrait de l'ordre dans un paysage confus.
Auriez-vous d'autres exemples à nous citer ?
Je n'en ai pas d'autres qui concernent des marchés publics.
La troisième décision ayant donné lieu à une sanction concerne une entreprise de taxis transportant des patients dans le département montagneux des Alpes-de-Haute-Provence. Cette entreprise s'est vu imposer par un GIE de taxis des conditions d'accès discriminatoires au marché qui lui rendaient cet accès impossible. Or, dans les départements ruraux, le transport de patients représente jusqu'à 80 % de l'activité des taxis de sorte que sans elle, ils ne peuvent survivre. Les sanctions infligées ont été assez faibles, allant de 560 euros à 24 000 euros.
Depuis la réforme de 2009, ce type de pratiques locales peut être traité directement par la DGCCRF : lorsque celle-ci nous transmet des indices, soit nous enquêtons nous-mêmes – lorsqu'il s'agit de pratiques d'ampleur nationale –, soit elle s'en charge. Une fois que la DGCCRF a terminé son enquête, elle doit nous en informer. Ensuite la rapporteure générale que je suis peut proposer au collège de s'autosaisir du dossier, et éventuellement, de sanctionner les entreprises en fraude. Nous nous autosaisissions des dossiers qu'elle nous transmet lorsqu'il s'agit de pratiques d'ampleur nationale ou nouvelles, ou lorsque l'on souhaite « frapper fort ». On peut aussi laisser la DGCCRF régler les affaires par transaction – dont le montant maximum s'élevait auparavant à 75 000 euros mais qui a été rehaussé dans la loi du 17 mars 2014 sur la consommation à 100 000 euros. Cette solution permet un traitement plus rapide des dossiers : la DGGCRF propose une transaction à l'entreprise. Si cette dernière l'accepte, elle paie et l'affaire est close. Si l'entreprise refuse, l'affaire est transmise à l'Autorité de la concurrence. Les affaires locales pourraient ainsi être traitées par la DGCCRF, ce qui permettrait de démultiplier les contrôles. Devant l'Autorité de la concurrence, les règles du contradictoire rendent les procédures très longues. Et les dossiers locaux sont moins prioritaires que des affaires portant sur des pratiques d'ampleur nationale. Le recours à la DGCCRF est donc aussi un moyen de rapprocher la sanction de la date à laquelle les pratiques anticoncurrentielles ont été commises.
Le deuxième type de plaintes dont vous avez eu à connaître a trait à l'organisation des gardes ambulancières.
Oui. Mais en ce domaine, nous n'avons sanctionné aucune pratique car les arguments allégués n'étaient pas suffisants pour ce faire.
Pas systématiquement. L'un des cas auxquels nous avons eu affaire relevait du juge administratif : des ambulanciers se sont plaints du fait qu'un hôpital avait conclu une convention avec le Service mobile d'urgence et de réanimation (SMUR) et les pompiers. Or ceux-ci n'exerçant pas une activité commerciale, cette affaire relevait du droit administratif.
Et dans les autres cas, l'existence de pratiques réellement discriminatoires ne nous a pas été démontrée. Ou alors, l'entreprise qui se plaignait ne remplissait pas toutes les conditions nécessaires pour exercer les gardes.
Ainsi que l'a souligné la Cour des comptes, la gouvernance de la demande de transport de patients est éclatée dans la mesure où les prescripteurs que sont les médecins ne s'impliquent pas pleinement dans la dépense entraînée par leurs prescriptions. C'est pourquoi la Cour a évoqué la possibilité de financer cette dépense sur le budget hospitalier afin de les responsabiliser. Mais en cas de mise en concurrence à la suite d'un appel d'offres, les transporteurs de patients redoutent de se retrouver inéluctablement confrontés à un mécanisme de concentration préjudiciable aux petites entreprises. L'Autorité de la concurrence a-t-elle mené des réflexions sur le sujet ? Avez-vous tiré une réflexion générale des cas que vous nous avez décrits pour éviter ces violations ?
Lorsqu'un hôpital passe un appel d'offres, il se doit de veiller à allotir correctement cette mise en concurrence, au cas par cas, en fonction de la structure de l'offre dans la zone concernée. Il peut d'ailleurs être intéressant de faire des lots suffisamment différenciés pour qu'un maximum d'entreprises puisse candidater aux appels d'offres.
La constitution d'un groupement en vue de répondre à un appel d'offres n'est pas en soi une pratique anticoncurrentielle. Au contraire, cela permet parfois à de très petites entreprises d'y participer. Simplement, il convient d'éviter que ce groupement n'assèche l'offre au sens où l'ensemble des entreprises se regrouperait pour constituer une seule offre et se répartisse ensuite les lots d'une manière non concurrentielle. C'est lorsqu'il détermine son cahier des charges que l'hôpital doit être vigilant.
La détermination du bon allotissement des appels d'offres est un problème que l'on retrouve non seulement dans le cas des établissements hospitaliers mais aussi des collectivités territoriales et de l'État. Nous avons notamment rencontré des problèmes importants dans des secteurs tels que le transport scolaire pour les conseils généraux : soit que les entreprises se répartissent les lots géographiques, soit que les conseils généraux tentent de lancer des appels d'offres trop innovants.
Il convient aussi que les acheteurs publics, notamment les hôpitaux, n'hésitent pas à alerter soit la DGCCRF, soit l'Autorité de la concurrence, lorsqu'ils soupçonnent des pratiques anticoncurrentielles. S'agissant des hôpitaux, il est sans doute plus simple d'alerter la DGCCRF qui nous fera de toute façon remonter les indices. Et si des pratiques anormales sont constatées, il serait souhaitable qu'elles donnent également lieu à des actions en réparation ou que les entreprises qui les commettent soient averties qu'elles risquent de se voir retirer leur agrément. Cela étant, si toutes les entreprises d'un secteur concluent une entente et que tous les agréments sont supprimés, cela peut entraîner des difficultés ! Il revient en tout état de cause aux ARS de réfléchir aux mesures à prendre pour prévenir les comportements déviants ultérieurs.
Les gains financiers issus de pratiques anti-concurrentielles ne profitent pas aux salariés de ces entreprises mais à quelques employeurs. Il serait légitime que ces derniers soient sanctionnés, sachant que les salariés de ces mêmes entreprises seraient réembauchés dans d'autres structures. Il importe d'apporter une réponse claire sur les plans économique et social aux pratiques anticoncurrentielles sans avoir à être placé sous le joug d'un chantage économique d'une vertu discutable.
Effectivement, on nous demande souvent, lorsque nous nous apprêtons à appliquer une sanction, si l'on sanctionne l'entreprise, ses dirigeants ou ses salariés.
On peut imaginer que l'on vise celui qui a diligenté la pratique anticoncurrentielle.
Avez-vous d'autres informations à nous communiquer sur ce sujet, madame la rapporteure générale ?
Non, je vous ai dit le principal et espère avoir répondu à vos questions.
Tout à fait. Nous mesurons à quel point votre champ d'investigation est vaste, et comprenons que vous ne puissiez consacrer toute votre énergie à la question du transport des patients, aujourd'hui en cours d'exploration – comme en témoigne au premier chef le travail en cours de la MECSS. Madame la rapporteur générale, je vous remercie.
La Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) procède ensuite à l'audition, ouverte à la presse, de M. Dominique Naëls, secrétaire régional de la Chambre de commerce et d'industrie (CCI) de région Nord de France, M. Martial Duru, président départemental des ambulanciers du Nord, M. Christophe Silvie, président des ambulanciers du Pas-de-Calais, M. Xavier Tétu, président de l'Association des transports de secours d'urgence (ATSU), M. Raphaël Zaitziev, ingénieur projet et Mme Barbara de Vos, chargée de mission à la CCI de région Nord de France.
Dans le cadre de nos auditions sur le transport de patients, nous avons le plaisir d'accueillir MM. Dominique Naëls, secrétaire régional de la Chambre de commerce et d'industrie (CCI) de région Nord de France, Martial Duru, président départemental des ambulanciers du Nord, Christophe Silvie, président des ambulanciers du Pas-de-Calais, Xavier Tétu, président de l'Association des transports de secours d'urgence (ATSU), Raphaël Zaitziev, ingénieur projet, et Mme Barbara de Vos, chargée de mission à la CCI de région Nord de France.
Impliqués dans le transport de patients, vous connaissez l'analyse qu'en fait la Cour des comptes dans son rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale, publié en septembre 2012 et les préconisations qu'elle y formule. Nous avons auditionné une série de représentants, tant privés que publics, de la profession ; cette audition nous permettra de clore le panorama.
La Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) est un organisme composé à parité de députés de droite et de gauche ; cette caractéristique lui permet de s'exonérer des clivages idéologiques et d'analyser la dépense publique en matière sanitaire et sociale sous le prisme partagé du rapport coût-efficacité.
Nous vous remercions de nous avoir reçus aussi rapidement. La CCI régionale et le conseil régional Nord-Pas-de-Calais ont demandé à un expert – Jeremy Rifkin – de nous proposer, au titre de la troisième révolution industrielle (TRI), une nouvelle stratégie de développement. Le projet « Ambulance 2.0 », parmi d'autres, nous semble à même de faire évoluer notre région et la CCI est prête à accompagner financièrement et structurellement les acteurs concernés. Ancien ambulancier, je me suis chargé de ce dossier à la demande du président de la CCI de région Nord de France. La profession souhaite se restructurer et vous présenter ses propositions d'économies ; pour réussir cette révolution, nous sollicitons votre conseil et votre vision.
En période de croissance comme de crise, l'argent public doit être utilisé au mieux, par respect du citoyen contribuable.
Au terme de ses auditions, la MECCS a acquis une vision transversale de notre métier et semble attentive à toute proposition opérationnelle. Sans négliger des sujets tels que le rapprochement tarifaire entre les taxis et les véhicules sanitaires légers (VSL) ou la collaboration entre les agences régionales de santé (ARS) et les caisses primaires d'assurance maladie (CPAM), notre groupe de travail défend un projet qui repose sur trois piliers prioritaires : le développement du covoiturage – encore mal perçu par les patients, voire par certains ambulanciers, alors qu'il peut permettre de réaliser des économies –, conformément au plan stratégique de la Fédération nationale des transporteurs sanitaires (FNTS) ; l'amélioration des flux au sein des hôpitaux à travers la mise en place des plateformes de gestion des sorties pourvues de salons d'attente ; l'implantation du véhicule à énergie renouvelable – électrique ou hydrogène – dans notre métier. Le milieu des ambulanciers doit se professionnaliser pour atteindre des objectifs qui doivent dépasser les clivages habituels.
Les pouvoirs exécutif et législatif peuvent tous deux contribuer à rendre ces trois axes effectifs, de façon différenciée. Mme la ministre peut agir dans le domaine réglementaire, par exemple, en donnant des directives aux chefs d'établissements hospitaliers ; quant à l'Assemblée nationale, elle peut modifier des textes législatifs qui régissent la profession. Les effets du travail législatif sont néanmoins moins rapides, les décrets d'application étant fréquemment différés dans le temps.
Nous ne saurions nous abstraire des réalités du temps législatif, mais nous souhaitons accélérer les choses. L'ensemble des acteurs se trouvent actuellement réunis autour de la table, prêts à dépasser les clivages syndicaux et les vieilles rivalités. Nous ne revendiquons pas une augmentation tarifaire excessive, mais portons des propositions concrètes pour atteindre les objectifs d'économie fixés par la Cour des comptes et réduire les possibilités de fraude. Pour y parvenir, il faut nous appuyer sur des outils existants tels que la géolocalisation qu'il convient de systématiser.
Selon quelles modalités faut-il généraliser la géolocalisation ? Nécessite-t-elle des mesures d'ordre réglementaire ou législatif ?
Quant au covoiturage, seule peut l'interdire la situation sanitaire du patient. En effet, le transport de patient consiste en un acte médical soumis à prescription et non un droit de tirage du citoyen consommateur sur les deniers publics. Si le patient n'est pas en capacité de se déplacer par ses propres moyens, il faut lui fournir, dans le cadre du principe de solidarité, un moyen de déplacement adapté à son état de santé. Mais la mutualisation du risque sanitaire ne doit pas se faire au préjudice des équilibres budgétaires. Aussi l'avis du patient ne peut-il s'entendre qu'au travers de sa situation médicale et non d'une préférence personnelle pour telle ou telle modalité de transport.
Nous sommes tous d'accord, à la fois, sur le caractère intangible de la prescription médicale et sur le nécessaire respect du référentiel de prescription des transports.
Puisque nous sommes aujourd'hui capables de géolocaliser un pigeon voyageur, nous devrions pouvoir le faire pour les 1 000 VSL et les 1 000 ambulances que compte la région Nord-Pas-de-Calais.
La géolocalisation est généralisée pour certains dispositifs, notamment le transport urgent pré-hospitalier ; 80 % des entreprises géolocalisent au moins une partie de leur flotte, ce qui représente au total environ 80 % du parc de la région.
La consolidation des entreprises de transport sanitaire devrait empêcher les constellations éparses d'ambulanciers de jouer avec les règles et permettrait d'assurer un contrôle plus assidu de la part des ARS et des CPAM. Cependant ces changements devront se faire en concertation avec tous les acteurs ; nos propositions visent précisément à éviter que l'on ne nous impose des règles en décalage par rapport aux réalités de notre métier.
Le principe de la concertation rencontre des limites : pour être efficace, la géolocalisation doit être obligatoire.
C'est ce que nous appelons de nos voeux. Dans la chaîne de soins, le métier d'ambulancier bénéficie de la plus basse considération. On ne peut donc pas compter sur la seule bonne volonté des centres hospitaliers ; si les décisions que nous souhaitons voir mises en place ne viennent pas d'un préfet, d'une ARS ou d'une CPAM, elles ne seront appliquées à aucun niveau.
Il est de coutume de dire que la violence de l'État est légitime dans la mesure où elle concourt à la défense de l'intérêt général.
La géolocalisation de 80 % du parc de la région a-t-elle été assurée par le biais de la seule bonne volonté ou dans le cadre contraignant d'une convention ?
À côté de la bonne volonté, c'est également la réalité économique qui y a concouru : à partir d'une certaine taille de structure, il est important de connaître la situation de vos véhicules.
Non. Aujourd'hui encore, ni la CPAM de la Côte d'Opale – notre interlocuteur privilégié – ni l'ARS n'imposent la géolocalisation. Nous avons sensibilisé l'ARS de Nord-Pas-de-Calais à notre action et avons bénéficié de retours positifs. Il nous faut désormais aller au-delà des principes vers une phase de réalisation concrète.
La géolocalisation relève donc davantage d'une initiative des transporteurs que d'un cadre rigide imposé par les autorités de tutelle. S'agissant du covoiturage, à quelles modalités concrètes pensez-vous en matière réglementaire, tarifaire et conventionnelle ? En avez-vous déjà une pratique ?
Si le contrat d'amélioration de la qualité des soins (CAQS) que nous avons signé va dans le sens de notre projet, il est possible de progresser bien plus encore. Le développement du covoiturage passe par la mise en oeuvre d'outils qui permettent l'analyse de la décision et l'organisation des déplacements, sur le modèle des livraisons de gaz. Ces outils existent ; à nous de les adapter à notre métier.
La prochaine étape de notre action consistera à réunir, sous l'égide du préfet, le directeur de l'ARS, les directeurs des CPAM et ceux des centres hospitaliers pour leur présenter le projet « Ambulance 2.0 » avant de le déployer. Il s'agit de dépasser l'expérimentation pour aller vers la généralisation.
Le sujet dont nous débattons ici s'inscrit également dans les travaux d'une mission d'information globale sur l'organisation de la permanence des soins, rapportée par Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales, et présidée par M. Jean-Pierre Door, vice-président de la commission. La MECSS a choisi de se focaliser sur les déplacements du patient parce que ce sujet, au croisement des différentes étapes du parcours de soins, concentre les interrogations sur la rationalisation du bon usage de l'argent public.
Le développement de l'hospitalisation ambulatoire et le vieillissement de la population entraîneront inévitablement une augmentation des transports, modifiant les contraintes de notre métier ; il s'agit d'y faire face plus efficacement. Plutôt que de subir un texte législatif qui nous serait imposé, nous avons décidé de proposer nos propres solutions.
La dématérialisation de la facturation et de la prescription médicale doit être généralisée pour réduire les possibilités de contourner la règlementation et mieux empêcher la fraude.
S'agissant des plateformes de gestion des sorties et des salons d'attente, n'oublions pas un autre acteur important : les taxis. Dans le cadre d'un dispositif qui réunirait l'ensemble des parties prenantes autour d'une volonté partagée de rationalisation au service de nos concitoyens en situation de souffrance, quelle place réserver à cette offre complémentaire ? Les taxis permettent de combler le manque d'ambulances dans les zones reculées peu peuplées tout en conduisant, dans les territoires plus densément peuplés, à engager des dépenses importantes, contrairement à des solutions telles que le remboursement des tickets de stationnement dans les parkings ou le financement de billets dans les transports publics. On connaît les tensions entre le secteur ambulancier et celui des taxis, soumis à des autorités différentes. Quelles modalités de coopération proposez-vous ?
Il est possible de ne pas recourir du tout aux taxis. Un directeur d'ARS que vous avez auditionné soulignait cependant que ceux-ci échappaient à son autorité. En tout état de cause, tous les acteurs doivent participer aux efforts. Il faut évidemment aller vers une tarification du transport assis professionnalisé (TAP) unique, afin d'instaurer une même règle pour l'ensemble des intervenants. Notre projet concerne les ambulances et les VSL ; mais il faudrait intégrer les taxis dans les discussions.
Avez-vous pris contact avec cette profession dans la région Nord-Pas-de-Calais ? La mission des ambulances et des taxis étant commune dans le transport de patients, le cloisonnement entre ces deux métiers ne saurait perdurer ; il faut absolument éviter les situations contreproductives où, par un système de vases communicants, les tarifications plus avantageuses conduisent des entreprises ambulancières à constituer des flottes de taxis.
Les taxis étant des artisans, ils dépendent en principe de la Chambre de métiers et de l'artisanat, même s'il faut distinguer les grands centres urbains où les taxis sont coordonnés – et a fortiori Paris où ils sont gérés par des sociétés – et les territoires où ils sont des artisans indépendants. Dans les zones rurales, des ambulanciers exercent aussi la profession de taxi pour répondre à la demande. La CCI devrait réussir à discuter avec le président de l'Assemblée permanente des chambres de métiers et de l'artisanat (APCMA) et taxi de profession. À la différence des VSL, les taxis ne peuvent pas pratiquer le covoiturage, ce qui a un effet sur les tarifs ; l'instauration d'une tarification unique pour le TAP impliquerait donc de modifier le champ d'intervention des taxis.
Dans la mesure où la mission est commune, si le covoiturage est encouragé pour les VSL, il devrait également l'être pour les taxis. Les chambres de métiers et de l'artisanat ont-elles réfléchi aux modalités tarifaires qui permettraient de le rendre possible ?
Pas à ma connaissance. Il faut distinguer différents types de taxis : certains peuvent effectuer des transports de patients alors que d'autres ne le souhaitent pas. Il faudrait soulever cette question avec la Chambre de métiers et de l'artisanat.
Si l'on parvient à une convention commune sous l'égide de la CPAM et de l'ARS, les modalités de transport qui y seront définies s'imposeront à tous ceux qui voudront y participer. Il faudra alors créer une grille tarifaire, dans le respect de la bonne gestion des deniers publics.
J'en viens au sujet de la plateforme de gestion des sorties.
L'ARS Poitou-Charentes – dans le ressort de laquelle une expérimentation est menée dans un centre hospitalier – a dû vous éclairer sur cette question. Ce dispositif que nous souhaitons généraliser devrait être géré par des ambulanciers – ce qui apportera de la plus-value à notre métier –, mais il faut surtout promouvoir la coopération entre l'ARS, les CPAM et les transporteurs. Ces plateformes de gestion des sorties doivent nous assurer une traçabilité exemplaire de chaque déplacement afin d'éviter la fraude et la contestation entre transporteurs sur l'attribution des courses par le centre hospitalier. L'idée de créer des salons d'attente – un des piliers de notre action – relève du bon sens : ils permettraient de libérer les chambres d'hôpital plus rapidement, de faire patienter les malades dans de bonnes conditions et d'éviter aux transporteurs sanitaires de chercher leurs patients égarés dans les grands centres hospitaliers.
Les trois piliers de notre action concilient les objectifs des entreprises – augmentation de leur rentabilité –, ceux des pouvoirs publics – réduction de leurs dépenses – et ceux de la TRI – réduction de l'empreinte carbone, particulièrement importante pour notre métier. Les mettre en oeuvre nous permettrait d'éviter la congestion de certains centres-villes et d'assurer la fluidité du trafic. Ces trois axes forts et simples que nous sommes en train de budgétiser contribueraient à professionnaliser notre action ; mais leur réalisation dépend de la volonté des décideurs et s'imposer à l'ensemble des acteurs du secteur.
Vous évoquiez l'exemple de Poitou-Charentes ; avez-vous expérimenté les salons d'attente dans le Nord-Pas-de-Calais ?
Nous avons approché des centres hospitaliers pour leur présenter notre projet ; ceux d'entre eux qui ont déjà conclu ou qui s'apprêtent à signer des contrats d'amélioration de la qualité et de l'organisation des soins (CAQOS) ont été réceptifs dans la mesure où nos propositions peuvent leur permettre de réaliser des économies et éviter de payer des pénalités. Les expérimentations restent toutefois sporadiques, malgré la sensibilisation au discours sur la réduction des dépenses.
La Cour des comptes préconise d'envisager le transfert de la dépense de transports de patients sur le budget des hôpitaux afin de responsabiliser le prescripteur médical qui est à l'origine de deux tiers des demandes de transport de patients. Qu'en pensez-vous ?
Voulez-vous évoquer le sujet de l'appel d'offres ?
Tout à fait, notamment.
Comment peut-on articuler votre action avec les moyens de transport urgent que sont le SAMU et les sapeurs-pompiers ? Quelles que soient les différences culturelles entre les « blancs » et les « rouges » – pourtant financés par le même argent public –, il faudrait disposer d'une autorité qui centralise et coordonne l'ensemble des intervenants. Comment voyez-vous notamment la question de la garde ambulancière dans la région Nord-Pas-de-Calais ?
L'appel d'offres constitue une étape qu'il serait souhaitable d'atteindre dans les trois ou quatre années à venir. Plutôt que d'attendre une restructuration de la profession, mieux vaut lancer ce dispositif en laissant la profession s'y adapter. Si l'on s'organise bien, l'appel d'offres ne représentera pas une menace pour les transporteurs ; au contraire, il permettra d'aplanir les choses.
L'avenant n° 5 de la convention entre les transporteurs sanitaires et l'assurance maladie, aujourd'hui abrogé, aurait pu servir à encadrer la question de la géolocalisation.
S'agissant de la coordination entre les « rouges » et les « blancs », nous disposons aujourd'hui dans le Nord-Pas-de-Calais d'un outil informatique – le logiciel TELIS – qui travaille en géolocalisation avec les services mobiles d'urgence et de réanimation (SMUR). Le recours au covoiturage permettrait de libérer des équipes qui pourraient dès lors répondre à l'urgence pré-hospitalière. Cela contribuerait à désengorger les casernes et à éviter les carences dans certains secteurs. Il faudrait donc réorganiser la garde ambulancière par le biais d'une réorganisation des centres 15.
Dans le cadre d'un projet pilote en matière de transports et de flux lancé dans un centre d'hémodialyse dans les Bouches-du-Rhône, le covoiturage a permis d'améliorer l'organisation des soins. Or lorsque nous proposons de mettre en place cette pratique dans un centre d'hémodialyse du Nord-Pas-de-Calais, nous ne sommes pas écoutés car cette initiative n'est pas contraignante et pas suffisamment relayée par les autorités compétentes.
La réforme de l'urgence pré-hospitalière est en effet indispensable. Il faut dépasser l'opposition entre les « rouges » et les « blancs » pour travailler ensemble sur cette zone grise au croisement des métiers. Les acteurs du transport sanitaire souhaitent intervenir davantage en matière d'urgence pré-hospitalière ; le logiciel TELIS mis en place dans le Nord-Pas-de-Calais doit permettre d'y parvenir. Il faut éviter les querelles autour des coûts qui y sont liés afin de ne pas se couper des possibilités d'optimiser notre action. La volonté de l'ATSU est suivie par les transporteurs qui ont adhéré à cette plateforme de déclenchement ; ce dispositif va dans le bon sens, mais d'une manière plus générale, la réforme de la garde reste nécessaire.
Dans quel cadre cette réforme de la garde que vous appelez de vos voeux devrait-elle s'inscrire ? Les décideurs et les acteurs de terrain ont tendance à s'ignorer les uns les autres, l'inertie de notre pays figé dans ses corporatismes conduisant à une situation délétère tant sur le plan budgétaire que sur le plan identitaire et moral. La crise de l'autorité de l'État dans ses fonctions régaliennes met en cause sa capacité à résister au chantage électoral de la part des différentes corporations, faisant oublier que l'honneur d'un homme politique consiste à savoir se sacrifier le cas échéant pour servir l'intérêt général. Au-delà de la question de savoir qui pourrait initier la réforme, quelles devraient en être les modalités précises ?
Pas plus que des taxis, il ne faudrait se dissocier des sapeurs-pompiers. Les transporteurs sanitaires et les services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) doivent s'entendre sur des règles simples de déclenchement des secours et définir la carence ambulancière afin de dépasser les clivages habituels qui conduisent à des situations contreproductives. La traçabilité des appels et des moyens déclenchés évitera, là aussi, de douter du bien-fondé du choix retenu, le recours à un moyen particulier devant à chaque fois pouvoir ainsi être justifié. Le logiciel TELIS peut permettre cette traçabilité. Des problèmes subsistent – ainsi, la passerelle de TELIS n'est pas adaptée au logiciel du SDIS – mais sont en train d'être réglés, ce qui devra bientôt permettre aux équipes du SDIS de se concentrer vers des missions davantage en adéquation avec leur métier.
Le transport sanitaire représente un métier formidable où tous les acteurs – ambulances, SDIS et taxis – ont leur place et doivent travailler en commun. Notre ambition est de faire bouger les lignes, au moins au niveau régional, pour réaliser des économies. Il faudra ensuite effectuer une analyse précise des résultats – tant des réussites que des échecs –, comme dans une entreprise. Nous sommes en effet une entreprise globale de 50 000 personnes avec un chiffre d'affaires de 4 milliards d'euros ; ce montant étant financé par les deniers publics, il faut veiller à ce qu'il ne double pas à nouveau d'ici à dix ans.
Faciliter le transport fait partie intégrante de la TRI ; c'est pourquoi la CCI régionale et la région Nord-Pas-de-Calais cherchent à aider les entreprises sur ce terrain. Nos techniciens s'efforcent notamment de financer les projets de développement des communications et des réseaux car la rentabilité passe avant tout par la rationalisation. En ce moment, 175 projets sont en cours dans le cadre de la TRI, dont celui des ambulanciers, et nous comptons continuer à jouer notre rôle en encourageant ce développement qui va dans le bon sens, celui de l'avenir et des nouvelles technologies.
Je vous remercie pour vos contributions qui viennent enrichir la réflexion de la MECSS. Nous chercherons à mettre vos préconisations en oeuvre de manière pragmatique et opérationnelle ; si vous avez d'autres suggestions sur leurs modalités concrètes, nous nous en ferons volontiers les porte-parole.
La séance est levée à douze heures trente.