Mission d'information relative au paritarisme

Réunion du 24 mars 2016 à 9h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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Mission d'information SUR LE PARITARISME

Jeudi 24 mars 2016

La séance est ouverte à 9 heures cinq.

(Présidence de M. Arnaud Richard, président de la mission d'information)

La mission d'information sur le paritarisme procède à l'audition de M. Patrick Frange (Medef), président du Fongecif Ile-de-France, de Mme Myriam Blanchot-Pesic (CFTC), vice-présidente, et de M. Laurent Nahon, directeur général.

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Nous poursuivons nos travaux avec une série d'auditions consacrées à la formation professionnelle et aux conditions de travail.

Nous avons le plaisir d'accueillir des représentants du Fonds de gestion des congés individuels de formation (Fongecif) Île-de-France : M. Patrick Frange, son président, membre du Mouvement des entreprises de France (Medef) ; Mme Myriam Blanchot-Pesic, vice-présidente, membre du syndicat Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), et M. Laurent Nahon, directeur général.

Créé en 1983, le Fongecif Île-de-France assure, comme les vingt-cinq autres Fongecif présents dans l'ensemble des régions, l'accueil et l'accompagnement des salariés dans l'élaboration de leur stratégie individuelle d'évolution professionnelle et de leur projet de formation, ainsi que la gestion administrative et financière de plusieurs dispositifs – parmi lesquels le congé individuel de formation (CIF), mais aussi la validation des acquis de l'expérience (VAE) et, depuis la loi du 5 mars 2014, le conseil en évolution professionnelle (CEP).

En 2014, le Fongecif Île-de-France a engagé plus de 240 millions d'euros dans le financement de ces dispositifs de formation professionnelle.

Il est doté d'un conseil d'administration paritaire composé de dix représentants des employeurs et de dix représentants des salariés, auxquels il faut ajouter dix suppléants.

Le Fongecif Île-de-France étant un organisme à gouvernance paritaire qui déploie ses activités dans un domaine – la formation professionnelle – où l'État et les régions interviennent aux côtés des partenaires sociaux, il nous a paru important de vous entendre, afin de recueillir votre point de vue sur l'efficacité de la gestion paritaire, sur les évolutions possibles et souhaitables de la gouvernance quadripartite de la formation professionnelle, notamment dans le contexte du déploiement des comptes personnels de formation (CPF) et d'activité (CPA), d'une part, et du développement de nouvelles formes de travail à la faveur de l'émergence de l'économie dite collaborative, d'autre part.

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Patrick Frange, Medef, président du Fongecif Île-de-France

Les ressources du Fongecif proviennent exclusivement des entreprises. Dans ce domaine, un changement majeur est intervenu au 1er janvier 2016. Jusqu'en 2015, le Fongecif assurait lui-même la collecte auprès des entreprises de la région. Depuis le 1er janvier, les entreprises versent leur contribution aux organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA) ; le fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP) nous reverse ensuite notre quote-part régionale. Cette réforme n'est pas sans conséquence sur notre trésorerie : le décalage dans les dates de perception nous contraint, comme tous les Fongecif, à gérer pendant quelques mois une trésorerie négative

Autre changement notable, avec la refonte de la carte des régions, le nombre de Fongecif va passer de vingt-six à treize.

La gestion du Fongecif est exclusivement paritaire. Contrairement au FPSPP, il n'y a ni commissaire du Gouvernement ni représentation de la délégation générale à l'emploi et à la formation (DGEFP). En revanche, nous rendons des comptes au FPSPP et nous sommes soumis au contrôle de la Cour des comptes. Après un premier contrôle en 2008, la Cour est de nouveau dans nos murs. Le contrôle porte non seulement sur notre gestion des fonds, mais aussi sur notre rôle au sein du réseau du paritarisme.

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La Cour des comptes est-elle compétente pour effectuer un contrôle alors que le Fongecif est une association ?

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Patrick Frange, Medef, président du Fongecif Île-de-France

Nous sommes une association, mais nous gérons des fonds qui sont assimilés à des fonds publics puisque leur versement est obligatoire en vertu de la loi. En 2016, du fait des changements que j'ai évoqués, leur qualification pourrait être modifiée au profit celle de dotation. Le contrôle pourra se faire a priori puisqu'un représentant du ministère des finances et des représentants de la DGEFP siègent au conseil d'administration du FPSPP. Ce contrôle pourrait également porter sur la fixation et la répartition des dotations par le FPSPP.

Jusqu'à cette année, la région nous allouait une subvention qui représentait 1 million sur les 230 millions d'euros de notre budget.

Le paritarisme s'applique jusque dans la gestion des dossiers individuels. Les demandes de financement sont instruites par des commissions paritaires dans lesquelles sont représentés les différents secteurs professionnels ainsi que l'ensemble des composantes syndicales et patronales.

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Myriam Blanchot-Pesic, CFTC, vice-présidente

L'organisation paritaire du Fongecif, instaurée par les partenaires sociaux, permet de fixer des priorités et de définir une capacité annuelle d'engagement afin de faire fonctionner le Fongecif et les commissions qui s'y rattachent.

Le Fongecif comprend quatre commissions de première instance, trois pour les dossiers de CDI, une pour les dossiers de CDD qui est également compétente pour la formation hors temps de travail (FHTT), et pour exercer un contrôle aléatoire sur la validation des acquis de l'expérience (VAE) et le bilan de compétences. Ces commissions se réunissent au moins une fois par mois, le rythme pouvant aller jusqu'à trois réunions par mois en période haute. Cela demande un investissement et un engagement forts de tous les gestionnaires.

La richesse du paritarisme tient à la connaissance qu'apporte chacun des métiers, de l'employabilité, ainsi que de l'émergence ou de la disparition de certains métiers. Nous mettons en oeuvre un paritarisme de discussion et de gestion, dans le respect des priorités fixées par le conseil d'administration.

Le bureau a notamment pour mission de faire des propositions au conseil d'administration en matière de pilotage politique. Il dispose de tableaux de bord pour suivre les dispositifs, notamment le CPF et le CPE depuis le début de l'année 2015.

Le Fongecif a défini des axes stratégiques pour la période 2015-2018. Les partenaires sociaux ont su se rassembler autour d'un but commun, la formation des salariés, pour éviter à ces derniers de connaître le chômage.

Nous avons créé depuis très longtemps – et nous avons ainsi devancé le décret du 30 juin 2015 relatif à la qualité des actions de la formation professionnelle continue – une commission chargée de la qualité de l'offre de formation. Parallèlement, la commission de coordination a pour mission d'harmoniser les règles de fonctionnement des commissions paritaires puisque les sensibilités, en leur sein et de l'une à l'autre, peuvent être différentes. Cette commission peut, si besoin, rappeler les priorités. Enfin, depuis trois ans, le Fongecif établit un bilan de l'action paritaire pour montrer le travail qui a été réalisé en son sein et permettre à chaque chef de file, représentant les organisations syndicales et patronales, d'exprimer ses priorités.

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Comment doit-on comprendre le cinquième axe stratégique de la stratégie 2015-2018 adoptée par le conseil d'administration : « adapter la gouvernance paritaire » ?

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Laurent Nahon, directeur général

Il s'agit de repenser notre modèle, parce que nous devons faire face constamment à des dispositifs et à des demandes supplémentaires. Le paritarisme est fortement mobilisé à trois niveaux : le niveau stratégique avec le conseil d'administration et le bureau, le paritarisme d'étude, avec les commissions sur la qualité et la coordination, et les commissions opérationnelles.

Pour les trois ans à venir, la mise en place du conseil en évolution professionnelle (CEP) amène le paritarisme à s'interroger sur sa mission d'accompagnement dans le cadre des dispositifs qu'il gère, mais aussi – et c'est une véritable innovation – sur l'accompagnement indépendamment de ces dispositifs.

En outre, la deuxième convention d'objectifs et de moyens nous oblige à nous interroger sur l'utilisation de nos moyens.

La gouvernance évolue pour adapter un modèle qui, lui-même, connaît des évolutions permanentes, qu'il s'agisse des dispositifs ou des relations avec les OPCA, la région et l'ensemble des opérateurs.

Le bilan de l'action paritaire assure la transparence sur les actions que nous menons. Nous sommes obligés de nous moderniser, de dématérialiser et de recourir aux technologies numériques sur lesquelles nous avons largement investi pour mettre à disposition de nos publics des informations sur les sujets qui intéressent les salariés, en particulier l'évolution des métiers.

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Patrick Frange, Medef, président du Fongecif Île-de-France

Le Fongecif vit une petite révolution. Jusqu'en 2015, il finançait des prestations, la plus importante étant le congé individuel de formation (CIF) : le salarié venait chercher un financement, la commission paritaire donnait suite ou pas. Depuis la dernière réforme, le Fongecif exerce une nouvelle mission qui, au départ, est presque passée inaperçue, suscitant tout de même un peu d'inquiétude : il assume le rôle officiel, reconnu par la loi, de conseil en évolution professionnelle. Il ne s'agit plus seulement de construire un projet avec le salarié, mais de l'accompagner même si son projet n'est pas défini ou s'il ne demande pas de financement. Cet accompagnement, qui peut être de longue durée, peut ne pas aboutir à un financement de notre part ; il peut aussi donner lieu à un travail avec un autre organisme financeur ou à une négociation avec l'employeur.

Le Fongecif n'est plus le seul intervenant. Nous sommes obligés de travailler avec les autres acteurs du réseau, les OPCA ou les régions par exemple, et d'harmoniser nos relations avec eux. On ne peut plus raisonner au niveau régional, les OPCA ayant une compétence nationale. Nous sommes contraints de nous adapter à ces nouvelles missions qui nous sont confiées.

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Pour le conseil en évolution professionnelle, le choix a été fait de s'appuyer sur les acteurs existants. Quel jugement portez-vous sur le fonctionnement de ce dispositif ? Chaque personne qui a besoin d'un conseil a-t-elle une porte à laquelle frapper ? Quelle est l'articulation avec l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) et Pôle emploi ? Le CEP ne mériterait-il pas d'être un peu professionnalisé ?

Comment fonctionne le compte personnel de formation (CPF) ? Quel est le nombre de salariés ou de chômeurs ayant eu recours à ce dispositif ? Participez-vous financièrement à des projets bâtis à partir du CPF ? Combien de salariés ont ouvert un compte ? Ces comptes ont-ils des fonds disponibles ? Considérez-vous que cet outil est utile pour votre travail de conseil en évolution professionnelle ou de financement du CIF ?

Quelle est la valeur ajoutée du compte personnel d'activité (CPA) par rapport au CPF ? Ne risque-t-il pas de déstabiliser un outil en train de se mettre en place ? Il est prévu dans le CPA de superposer le CPF et le compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P), qui comprend un volet formation. Avez-vous des exemples d'usage de ce C3P ? Le rapprochement avec le CPF peut-il faciliter cet usage ?

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Patrick Frange, Medef, président du Fongecif Île-de-France

La loi détermine cinq acteurs chargés du conseil en évolution professionnelle. Ce choix est judicieux, car chacun d'eux a sa « clientèle » – ce terme n'est pas consensuel : les Fongecif s'adressent depuis leur création aux salariés en activité. Nous avons désormais la responsabilité de délivrer un conseil en évolution professionnelle à ceux qui ne peuvent pas bénéficier de formation dans leur entreprise. Dans les grandes entreprises, ce rôle revient au service des ressources humaines ; la loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale a mis en place l'entretien professionnel à cet effet. Je fais souvent le parallèle avec l'article 1102 du code civil qui définit le contrat synallagmatique : la loi replace le contrat de travail dans la relation synallagmatique, en instaurant une relation périodique obligatoire entre le salarié et sa hiérarchie. Mais tout le monde n'a pas cette possibilité : les petites entreprises ou les salariés qui veulent monter un projet en dehors de leur entreprise ont un interlocuteur désigné qu'est le Fongecif.

Le conseil en évolution professionnelle n'était pas pour nous une nouveauté, mais nous avons dû le professionnaliser. D'autres professionnels exerçaient ce rôle de conseil en évolution professionnelle ou étaient statutairement à même de le faire, en particulier l'Association pour l'emploi des cadres (APEC). C'est tout naturellement que nous avons signé une convention avec l'APEC, car notre approche est similaire, malgré des publics différents. L'APEC a une histoire, elle est à l'origine des bilans de compétences. Ce sont des professionnels de l'accompagnement d'une catégorie professionnelle qui, il est vrai, n'est pas forcément la catégorie prioritaire.

Notre autre partenaire est Pôle emploi, notamment dans la gestion du CIF-CDD ; les salariés dans la précarité peuvent bénéficier d'un congé individuel de formation particulier, qui ne peut être mis en oeuvre qu'au travers d'un partenariat entre Pôle emploi et les Fongecif. Nous constatons une montée en puissance : Pôle emploi nous adresse des demandeurs d'emploi relevant du dispositif et nous commençons à délivrer ces CIF spécifiques.

Avec les autres partenaires, la collaboration est plus délicate : il en est ainsi des missions locales, dont le public n'est pas dans l'emploi. Nous devons sans doute échanger davantage, notamment dans le cadre des comités régionaux de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelles (CREFOP), et travailler plus étroitement ensemble.

Enfin, nous entretenons une relation avec ceux qui gèrent des fonds dans les entreprises, notamment les fonds du CPF.

Le CEP a conduit le Fongecif Île-de-France à embaucher une dizaine de salariés.

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Que vous apportent les cofinancements ? Sont-ils utiles ? Nécessaires ? Ont-ils vocation à perdurer ?

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Patrick Frange, Medef, président du Fongecif Île-de-France

Tout dépend de ce qu'on appelle cofinancement. On peut parler de cofinancement si le CPF est utilisé dans le cadre du CIF. Le FPSPP ne paie que la formation, le Fongecif paie le salaire. Le FPSPP verse au Fongecif la part correspondant au CPF de la formation à financer.

En revanche, je n'ai pas connaissance de cofinancement pour notre mission de CEP.

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Laurent Nahon, directeur général

Le cofinancement répond à deux besoins : d'une part, financer un plus grand nombre de formations ; d'autre part, atteindre des publics qui ne font pas partie de nos priorités. La demande est importante. Nous finançons un projet sur deux. Au vu du nombre de projets viables, cohérents, en adéquation avec les métiers et la recherche d'employabilité, nous pourrions accepter sept à huit dossiers sur dix, contre cinq aujourd'hui. Dans ce contexte, le cofinancement peut être un levier important. L'utilisation du CPF permet aujourd'hui un abondement d'une centaine d'heures en moyenne. Si le salarié dispose de cent heures, abondées à l'heure moyenne de formation entre 10 et 15 euros, le complément de financement s'élève à 1 500 euros.

Le conseil en évolution professionnelle marque une vraie évolution depuis quinze mois. Ce conseil comprend trois phases : l'information et l'orientation ; l'approfondissement du projet avec le salarié ; le montage de l'ingénierie financière. Chacune de ces phases fait l'objet d'une restitution, garantissant ainsi la traçabilité du CEP. Il existe également un « niveau zéro » du conseil en évolution professionnelle, qui correspond à la première question que nous pose un salarié.

Le CEP a permis de normer, d'organiser, d'homogénéiser ces trois phases. Désormais, elles peuvent être réalisées à distance ou par téléphone. Tous les Franciliens peuvent donc avoir accès au conseil dans la modalité de leur choix.

Le Fongecif est une industrie de la relation individuelle. Nous recevons 400 personnes par jour et 1 200 appels téléphoniques et nous enregistrons une connexion internet toutes les deux secondes. Le volume est donc très important.

Le CEP est ouvert à tous les salariés. Nous aiguillons les demandeurs vers Pôle emploi ou l'APEC, un peu moins vers les missions locales, et réciproquement. Nous travaillons de plus en plus avec Pôle emploi.

Les citoyens ne savent pas ce qu'est le CEP, pas plus que bien des services des ressources humaines ou des responsables de formation. Pour tous, il ne s'agit que d'un sigle. Nous ne faisons pas de publicité pour le CEP, mais le salarié qui souhaite entreprendre cette démarche obtient les conseils et les prestations individualisées, au travers de plusieurs rendez-vous qui durent au moins quarante-cinq minutes. Les modalités varient pour répondre à l'attente du salarié et au temps de construction de son projet. Nous avions insisté auprès de nos équipes pour que les rendez-vous puissent se succéder sans retard, mais le salarié a besoin de temps. Nous avons professionnalisé nos équipes et nous nous sommes dotés d'outils informatiques qui nous permettent de mieux appréhender la relation entre métier et emploi.

Aujourd'hui, nous pouvons être connectés sur des sites d'offres d'emploi, pour voir avec le salarié si son métier existe dans sa région ou dans son secteur, quelles entreprises recrutent, ou quels sont les niveaux de salaires. Dès le début de son projet, le salarié est en mesure de se projeter sur la cible, ce que nous ne faisions pas auparavant. Nous étions très orientés vers la formation et la reconversion, nous y avons adjoint des compétences en matière de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences qui permettent de connaître les métiers émergents et les besoins. Nous développons les relations avec les plus grands OPCA – OPCALIA, OPCA-Transports, OPCABAIA. Ces acteurs viennent directement vers nous pour les formations que nous finançons. Nous commençons à être parfaitement identifiés et nous réussissons à monter des partenariats opérationnels et techniques entre les OPCA, dont relève le financement du CPF, et l'opérateur pivot qu'est le Fongecif.

Le Fongecif a aujourd'hui trois missions : le conseil en évolution professionnelle, le CPF dont il est l'ensemblier, et la gestion des huit dispositifs de formation qui nous incombe historiquement.

Le CPF monte doucement en puissance. Mais là encore, pour nombre de citoyens, le CPF reste un sigle, dépourvu de visibilité. Au début de la mise en oeuvre du CPF, nous avons constaté pendant quatre mois une recrudescence des appels concernant le droit individuel à la formation (DIF) ; cela montre que lorsqu'un nouveau dispositif est créé, on se demande d'abord ce qu'il advient de ses droits précédents. L'arrivée du CPA va donc probablement susciter de l'appétence pour le CPF. Mais ce sont des tendances longues.

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Connaissez-vous le nombre de CPF ouverts et le nombre de CPF utilisés ?

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Laurent Nahon, directeur général

Les chiffres évoluent tous les jours, mais environ 3 millions de comptes ont été créés, et 300 000 CPF ont été activés en 2015, dont deux tiers par des demandeurs d'emploi.

Lorsque le salarié souhaite mobiliser son CPF, nous l'aidons à monter son projet en essayant de le décharger de l'ingénierie financière. Cette partie nous appartient, en lien avec les OPCA. Les nouvelles technologies représentent aujourd'hui une fantastique occasion de créer des échanges plus dynamiques et dématérialisés entre le Fongecif et les différents opérateurs.

Le CPF peut être intégré dans le CIF lorsque le salarié décide d'utiliser ses heures de CPF dans un dispositif CIF. Le financement est assuré par le FPSPP.

Deuxième possibilité, le salarié souhaite utiliser le CPF sur son temps de travail ; nous l'aidons alors à monter son projet et nous passons le relais aux entreprises et aux OPCA.

Troisième cas, le salarié veut utiliser son CPF hors temps de travail ; là encore, nous l'aidons dans le montage.

Il reste encore des difficultés techniques sur la création du compte ou les formations certifiées. Nous avons tous des progrès à faire. Nous n'avons que quinze mois de recul. Mais le dispositif monte en puissance. Il faut lui laisser le temps, car il s'agit d'une évolution importante, comme cela fut le cas pour le DIF.

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J'imagine que ces comptes sont actuellement faiblement dotés, puisque l'abondement est de vingt-quatre heures par an dans la limite de cent cinquante heures. Si je veux suivre une formation d'anglais hors temps de travail, que se passe-t-il ensuite ?

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Patrick Frange, Medef, président du Fongecif Île-de-France

Les comptes sont d'abord alimentés par les comptes DIF. Un salarié peut donc disposer déjà de 120 heures ; en y ajoutant les heures acquises en 2015, on peut atteindre 140 heures.

Le problème du CPF comme du CEP est double : d'abord, ce sont des acronymes nouveaux que les citoyens doivent apprendre à connaître. Ensuite, ils correspondent à une philosophie nouvelle dans laquelle l'intéressé est acteur de sa démarche ; on peut l'aider, mais cela reste une initiative personnelle. C'est le titulaire du compte qui le gère.

Dans votre exemple, quelqu'un – pas forcément un salarié – se présente pour chercher une formation en anglais. Nous devons d'abord lui expliquer que son CPF n'est utilisable que pour des formations figurant sur des listes arrêtées par le Conseil paritaire interprofessionnel national pour l'emploi et la formation (COPANEF) ou les conseils régionaux (COPAREF). Si cette formation est inscrite, cela signifie qu'elle est certifiante. Avec seulement 120 ou 140 heures, suivre une formation certifiante en anglais suppose soit de ne pas être débutant, soit d'intégrer le financement dans un autre module.

Un système d'abondement est prévu pour les demandeurs d'emploi, afin de desserrer le carcan du nombre d'heures. La liste actuelle des formations demande nécessairement plus d'heures que le contingent CPF pur. Le CPF seul ne suffira pas. C'est l'une des difficultés auxquelles nous sommes confrontés.

Autre difficulté, le système n'est pas suffisamment fléché – les OPCA sont censés gérer les fonds du CPF, mais ils n'ont pas la pratique de la relation individuelle : il leur faut donc trouver un intermédiaire, soit dans l'entreprise, soit parmi les cinq acteurs du CEP. Les sigles ne sont pas encore connus, c'est là notre très grosse crainte à l'égard du CPA. Alors que nous commençons à peine à communiquer sur le dispositif du CPF, qui n'est pas remis en cause, nous devrions expliquer, du jour au lendemain, qu'il est noyé dans un autre compte.

Notre travail de labour du terrain, d'approche des salariés et de communication sur le CPF risque d'être remis en cause. Dans le système français, les modifications sont trop rapides : on a à peine le temps de mettre en place une réglementation que déjà une autre vient tout modifier. Nous ne remettons pas en cause le principe du CPA, mais laissez-nous communiquer un peu sur le CPF pour le rendre opérationnel.

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Je me mets à la place du salarié qui cherche une formation : d'abord, il a une chance sur deux que son dossier ne soit pas retenu, ce qui pose la question de la voilure financière ; ensuite, la liste des formations peut ne pas être en phase avec l'avenir qu'il s'imagine. Notre système est formidable sur le papier, mais, en résumé, dans la vraie vie, cela ne fonctionne pas. Ce sera peut-être le cas un jour.

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Myriam Blanchot-Pesic, CFTC, vice-présidente

On ne peut pas dire cela. La derrière réforme sur la formation professionnelle a bien mis en avant l'intérêt du CIF pour le salarié.

Nous n'avons pas encore débattu du CPA au sein du Fongecif, mais il ne faudrait pas qu'il soit une complication de plus pour le salarié. Pour la petite histoire, il y a encore des salariés qui viennent nous voir pour demander « un Fongecif ». Cela confirme que chaque dispositif demande du temps pour être compris et intégré dans la démarche des citoyens.

Le bilan du CEP, qui a été distribué hier en conseil d'administration, figure dans les documents qui vous seront remis.

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Quelle est la part de marché des Fongecif sur le CEP par rapport aux quatre autres acteurs ? Quel volume d'heures représente cet accompagnement ?

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Laurent Nahon, directeur général

Notre compétence régionale ne nous permet pas de connaître les chiffres nationaux. Le Fongecif Île-de-France a réalisé, en 2015, 50 000 CEP sur lesquels nous disposons d'une traçabilité pour chaque individu, hors des 200 000 appels téléphoniques et 300 000 individus renseignés.

Si on considère que le Fongecif Île-de-France représente 30 à 35 % de l'activité des Fongecif, on peut estimer que le nombre de CEP traités par les Fongecif se situe entre 150 000 et 200 000. Je ne dispose pas d'éléments pour vous répondre sur l'APEC et sur Pôle emploi. Toutefois, le Fongecif possède une avance en « parts de marché », car le conseil en évolution professionnelle était en quelque sorte dans son ADN. Pour Pôle emploi, cela constitue une évolution importante, tout comme pour l'APEC qui travaillait plus sur la mobilité, sans passer forcément par la formation ou le conseil en formation.

Nous finançons un projet sur deux, mais tout le monde n'a pas besoin d'un congé individuel de formation ou d'une formation longue.

À un moment donné, le système rencontre une réalité économique. Se pose la question de la monétisation du CPF qui raisonne aujourd'hui en nombre d'heures. Que faire avec vingt-quatre heures ? Combien ça coûte ? La traduction financière du CPF est différente selon les financements des OPCA. Si l'OPCA abonde le nombre d'heures, le salarié peut bénéficier d'une formation plus longue que son droit acquis de vingt-quatre heures. Pour l'heure, les demandes n'ont pas encore atteint le niveau critique : les fonds permettent donc encore de financer l'équilibre de la formation. Quand le dispositif sera plus avancé, la réalité économique obligera à modifier le seuil de financement.

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Pour en revenir à mon exemple, admettons que la formation en anglais existe sur une liste et qu'aucun OPCA ne veuille la financer : comment les choses se passent-elles ? Qui paie l'organisme ?

Sur les 50 000 CEP, avez-vous une idée du nombre de ceux qui sont directement liés au CPF, et non à des dispositifs gérés antérieurement par le Fongecif ou les branches ?

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Laurent Nahon, directeur général

Nous avons eu environ 300 CPF « secs » en 2015, c'est-à-dire qui ne rentraient pas dans les dispositifs de formation antérieurs du Fongecif.

Ce chiffre est relativement faible, mais la montée en puissance du CPF, l'établissement des listes de formation éligibles, le système d'information piloté par la Caisse des dépôts, l'information des salariés ainsi que la mise en oeuvre par les OPCA ont pris du temps. Mais, chaque fois, ce sont des histoires individuelles, selon l'OPCA de rattachement, selon le projet lui-même, sur lesquelles nous passons beaucoup de temps.

Nous essayons de trouver la solution financière et l'ingénierie les plus adaptées au projet. Vous pouvez avoir vingt-quatre heures sur votre compte, mais, compte tenu de votre situation ou de votre âge, d'autres financements ou des abondements de la région pourront être mobilisés. Dans certains cas, le reste à charge est financé par le salarié.

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Myriam Blanchot-Pesic, CFTC, vice-présidente

Pour répondre à votre question sur le CPF et la formation hors temps de travail, vous pourrez bientôt venir au Fongecif Île-de-France puisque nous avons reçu un courrier du FPSPP nous autorisant à mettre en place ce maillage financé par les Fongecif. La période d'essai va démarrer d'ici peu.

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Si j'ai bien compris, dans mon exemple, en définitive, c'est le FPSPP qui va payer ?

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Laurent Nahon, directeur général

C'est le FPSPP qui paie si le CPF est mobilisé dans le cadre d'un CIF. Pour un CPF seul, c'est l'OPCA dont dépend le salarié.

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Laurent Nahon, directeur général

Il y a une vingtaine d'OPCA. On sait à quel OPCA est rattaché un salarié selon son secteur d'activité : pour l'assurance, OPCABAIA ; pour les transports, OPCA-Transports ; pour l'interprofessionnel, OPCALIA ou AGEFOS-PME ; et pour l'hôtellerie et la restauration, FAFIH. Voilà les secteurs phares avec lesquels nous réalisons le plus grand nombre de montages dans le cadre du CPF. Nous organisons des réunions d'information conjointes avec les OPCA pour promouvoir le CPF et le CEP.

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Comment percevez-vous la distorsion de chances entre des salariés au profil identique mais disséminés aux quatre coins de la France ? C'est difficile à admettre sur le plan philosophique dans un pays d'égalitarisme.

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Laurent Nahon, directeur général

Notre compétence étant limitée à la région, il m'est difficile de vous répondre.

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Mais cette distorsion peut aussi se produire dans le périmètre régional à cause de l'OPCA dont dépend la personne.

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Laurent Nahon, directeur général

Comme je l'ai dit, pour le moment, les fonds sont suffisants puisque le dispositif monte encore en puissance. L'ingénierie aide forcément à trouver le financement ou le montage.

Il est vrai qu'aujourd'hui cela reste d'une grande complexité pour un salarié. Tout notre travail consiste à trouver les réponses opérationnelles à chaque situation particulière en mobilisant toutes les ressources existantes. Mais les salariés ne les connaissent pas, et souvent, notamment dans les TPE-PME, l'employeur ne les connaît pas non plus. Nous jouons un rôle de traduction pour rendre le salarié acteur de sa transition professionnelle grâce à l'utilisation des dispositifs qui lui sont accessibles.

Je souhaite citer deux chiffres : 90 % des salariés qui suivent une formation dans le cadre d'un CIF obtiennent leur diplôme. Un an après, sept salariés sur dix considèrent que leur situation est plus favorable qu'un an auparavant – ils ont changé de catégorie socioprofessionnelle, sont passés de temps partiel à temps plein, ou ont sécurisé leur parcours. Nous mesurons, au travers d'enquêtes régulières, l'efficacité de ces dispositifs. Nous préparons des enquêtes sur le CEP et sur le CPF pour suivre leur évolution et adapter en permanence nos méthodes.

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Je reviens sur une question à laquelle vous n'avez pas répondu : avez-vous des exemples d'utilisation du compte personnel de prévention de la pénibilité en matière de formation ? Avez-vous un rôle à jouer dans ce domaine ?

Je conclus par une question plus générale. Vous l'avez dit, cinq acteurs ont été désignés pour gérer une même prestation. Ne serait-il pas utile de les unifier ? Dans ce cas, quel serait l'acteur le mieux placé pour endosser la responsabilité de l'ensemble ? L'APEC ou Pôle emploi sont-ils meilleurs que vous ?

Le cloisonnement nous paraît gênant : vous ne vous rencontrez pas au sein d'un comité de coordination tous les mois pour faire le point sur le CEP ; vous l'avez dit : vous savez ce que vous faites, mais vous ne savez pas ce que font les autres. Pourrait-on imaginer, à l'instar de l'assurance chômage gérée par les partenaires sociaux, de mettre en place une assurance formation gérée par un acteur unique, pourquoi pas paritaire, qui suivrait l'individu dans tous les moments de sa vie ? Quand on est chômeur, on a été salarié et on sera salarié. Votre métier n'est pas fondamentalement différent de celui de Pôle emploi pour le conseil en évolution professionnelle. Le cloisonnement complexifie le paysage. Je connais peu de services publics qui, pour traiter d'un même sujet, apportent une réponse tronçonnée entre cinq acteurs majeurs.

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Patrick Frange, Medef, président du Fongecif Île-de-France

La réponse est très simple. Nous avons tous les cinq une histoire et une pratique de ceux qui viennent nous voir.

Historiquement, les Fongecif s'adressent aux salariés en activité qui souhaitent une évolution, voire une réorientation professionnelle. Jusqu'à présent, nous n'étions pas là pour gérer la formation dans les entreprises, mais les initiatives individuelles.

Pôle emploi travaille sur la recherche d'une employabilité pour les personnes privées d'emploi. La formation n'est qu'un outil, important certes, parmi d'autres à leur disposition.

Pour nous, la formation est mise au service d'une reconversion professionnelle. Des salariés qui ont connu une évolution professionnelle interne se retrouvent, à l'approche de la cinquantaine, sans aucun diplôme, mais en ayant atteint un niveau hiérarchique important ; en cas de plan social, leur employabilité est limitée. Ils se tournent alors vers les Fongecif, puisque nous acceptons 100 % des congés de validation des acquis de l'expérience. Nous avons un rôle fondamental à jouer dans ces cas-là. Les salariés s'adressent naturellement à nous quand ils rencontrent ce genre de difficultés. Ils n'iraient pas voir Pôle emploi qui est associé au traitement des demandeurs d'emploi, de même que les missions locales sont associées au traitement social. Bien que nous ayons tous le titre de gestionnaire du CEP, nous n'avons pas la même approche ni la même expertise.

La coordination s'effectue au sein du CREFOP. En outre, nous signons des conventions. Hier encore, nous avons validé deux conventions de coopération avec des OPCA.

J'ai oublié d'évoquer le cinquième acteur, l'Association de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées (AGEFIPH), dont l'approche sociale et humaine est complètement différente de la nôtre, et avec laquelle nous avons une convention historique pour le traitement des dossiers des salariés handicapés. Nous travaillons en collaboration avec eux depuis l'origine, et cela ne se résume pas à du partenariat financier, l'aspect financier étant en fait secondaire.

Notre histoire explique nos différences. Personne ne sollicitera jamais la caisse d'assurance maladie pour obtenir des allocations familiales ; pourtant ces prestations relèvent de la même loi de financement de la sécurité sociale.

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Si l'on proposait de confier au Fongecif l'ensemble de l'assurance formation – le conseil en évolution professionnelle, la définition des droits associés –, refuseriez-vous, préférant rester dans votre rayon d'action ? Jugez-vous vraiment utile de distinguer un salarié d'un chômeur ?

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Patrick Frange, Medef, président du Fongecif Île-de-France

L'accompagnement, par définition, est adapté aux caractéristiques de la personne qui en bénéficie. Lorsqu'on est malade, on a tendance à aller voir un généraliste, c'est vrai. Mais lorsqu'on a mal aux oreilles, on ne va pas voir un dentiste. Le demandeur d'emploi s'adresse naturellement à des spécialistes de la recherche d'emploi, l'indemnisation est un sujet accessoire. L'image du Fongecif renvoie à la requalification professionnelle – l'analyse du poste actuel du salarié et des pistes pour trouver une autre activité dans un autre cadre.

Je n'ai pas dit que nous refuserions votre proposition, mais Pôle emploi, par exemple, perdrait un outil important.

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Ces spécificités ne vont-elles pas être difficiles à conserver avec un CPA qui sera un outil extrêmement puissant ?

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Laurent Nahon, directeur général

Jusqu'à présent, aucun salarié ne nous a sollicités sur le C3P. En revanche, nous prenons en charge des salariés qui ne maîtrisent pas le français et d'autres qui ont plusieurs employeurs. Nos publics évoluent.

Sommes-nous meilleurs que les autres ? Chacun des acteurs innove et cette innovation irrigue les autres acteurs. Nous avons ainsi visité récemment le LAB de Pôle emploi.

Je suis dubitatif sur l'idée d'une structure unique couvrant la totalité du spectre – on s'adresse à 28 millions de salariés, auxquels s'ajoutent les demandeurs d'emploi. Le plus important, me semble-t-il, est que chaque salarié connaisse ses droits et ait accès à un interlocuteur. L'acteur unique de référence peut être une deuxième phase dans la mise en oeuvre des dispositifs. Une multitude de dispositifs ont été instaurés récemment, impliquant de nombreux changements dans la gouvernance et le pilotage, y compris paritaire. Réunir les cinq acteurs peut être une option, mais plutôt dans un deuxième temps.

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Myriam Blanchot-Pesic, CFTC, vice-présidente

Dans le droit fil de ce qui vient d'être dit, il me semble qu'il faut laisser un peu de temps au temps. La réforme n'est pas si ancienne, on commence seulement à disposer des premiers chiffres sur le CPE et le CPF. A-t-on le recul suffisant pour mettre en place dès maintenant ce que vous envisagez ?

Nous venons de signer des conventions. En dépit de quelques difficultés, nous souhaitons faire un avenant à la convention avec Pôle emploi sur le CEP. Ces conventions sont les supports d'échanges à venir entre les différents acteurs, mais il est encore trop tôt. La convention avec l'APEC n'a été signée qu'en novembre.

La création d'une instance suppose des moyens et de l'espace pour accueillir le public. Tout ne se fait pas par téléphone ou par informatique.

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On voit bien l'intérêt pour le salarié de développer une stratégie avec un conseiller qu'il connaît, avec lequel il a travaillé sur un projet de formation : il a un rêve qu'il accomplit étape par étape. Si le salarié se trouve à un moment au chômage, il me semble plus positif pour lui de continuer à travailler avec son conseiller et peut-être même d'utiliser son moment de chômage pour franchir une étape importante de cette stratégie qu'il a développée avec ce dernier.

Évidemment, vous profitez du côté positif du métier d'accompagnement. Pour le salarié que vous suivez, soit son projet s'accomplit et c'est un moment important dans sa carrière, soit il ne s'accomplit pas et la vie continue, dans son entreprise. En revanche, Pôle emploi doit faire face à une difficulté énorme : il prend en charge des personnes, pour longtemps, qui tentent beaucoup de choses, souvent sans succès. Quand on franchit pour la première fois la porte de Pôle emploi, c'est un traumatisme. Pour les agents de Pôle emploi, le métier est très difficile. Il serait très différent s'il était axé sur ce à quoi nous croyons tous, à savoir que la formation est un élément clé de la réinsertion et de la progression tout au long de la vie. C'est pour cela que je crois beaucoup à l'acteur unique. Pour reprendre votre image médicale, monsieur le président, votre médecin généraliste vous envoie parfois chez le chirurgien ou l'ophtalmologiste, quel que soit votre état de santé.

Les choses peuvent évidemment se construire patiemment, mais notre rôle de parlementaire est aussi d'essayer de proposer une rationalisation du système. Nous considérons que la formation est un élément clé de la situation du marché du travail. Vous avez raison, les innovations sont nombreuses, rien ne serait pire que de le nier. Mais on perçoit les limites d'un système qui se décline en treize régions, vingt-six branches et cinq acteurs. Les marges de progression sont évidentes : cela passe sans doute par une rationalisation du système, sans pour autant le déstabiliser, et en laissant du temps au temps lorsque cela est nécessaire. Mais il faut aussi avancer rapidement compte tenu des difficultés du pays.

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Patrick Frange, Medef, président du Fongecif Île-de-France

Vous avez dit qu'il était facile de travailler au Fongecif et de gérer les dossiers des demandeurs parce que, en cas d'échec, ils reviennent dans leur poste. Or, en cas d'échec, ils peuvent revenir dans un plan social.

Si vous acceptez encore une fois un parallèle médical, je crois à la vaccination. Le Fongecif est un « éviteur de chômeurs ». C'était très clair lors des affaires de PSA ou des hôtels qui ont fermé pour travaux de longue durée : grâce à la formation, nous avons évité de grossir les rangs des demandeurs d'emploi.

Ceux qui viennent nous voir sont souvent très inquiets pour diverses raisons : neuf demandes de CIF sur dix sont justifiées par une menace pesant sur l'emploi, un mal-être dans son travail, ou l'absence de perspectives de carrière en interne. Ce n'est pas seulement du confort. L'époque du « CIF gadget » est complètement révolue, quoi qu'en disent les médias. Il est dommage de voir encore de nos jours un tel cliché véhiculé dans un journal télévisé de vingt heures.

La centralisation n'est pas si simple. Nous aimerions pouvoir financer 100 % des demandes – on ne refuse jamais un CEP –, mais nous sommes tenus par les limites budgétaires.

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Vous avez eu raison de me corriger. Je ne voulais pas dire que votre métier est facile et que les situations des personnes qui viennent vous voir ne sont pas difficiles. Mais vous intervenez à un moment de la vie de l'actif qui est moins compliqué que pour les agents de Pôle emploi et vous avez plus de solutions à offrir.

Les agents de Pôle emploi pourraient envisager leur métier différemment, à mon avis de manière plus positive pour eux et plus efficace pour le système, s'ils avaient la possibilité à la fois d'aider les demandeurs d'emploi et de monter des projets de formation pour des salariés.

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Laurent Nahon, directeur général

On n'est pas forcément relié tout le temps à un conseiller, y compris dans sa carrière professionnelle. Mais le conseil en évolution professionnelle est assorti d'une traçabilité. Chacune des phases du CEP fait l'objet d'une restitution qui appartient au salarié, mais qui pourrait figurer dans un espace numérique et potentiellement être transmise à Pôle emploi si un jour le salarié devenait demandeur d'emploi. On peut commencer à créer un continuum sur la vie professionnelle.

L'ensemble des droits à la formation sont totalement inconnus des salariés qui entrent sur le marché du travail. Il faut mener un travail pédagogique, en amont, d'information sur la formation professionnelle.

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Laurent Nahon, directeur général

Nous sommes en train de le construire. Nous ouvrons prochainement des portails avec des espaces numériques. Nous créons un système d'information qui sera national pour les Fongecif – il est piloté par les Fongecif Île-de-France, Alsace et Bretagne. Il sera opérationnel d'ici la fin de l'année et sera étendu à l'ensemble des Fongecif. Il permet, avec les moyens technologiques d'aujourd'hui, de dialoguer et d'échanger de manière souple avec toutes les plateformes externes. Nous n'avions pas toutes ces nouvelles technologies il y a deux ans. Ces nouvelles interfaces doivent permettre de décupler l'impact de la formation professionnelle.

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Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation.

Puis la mission entend M. Hervé Lanouzière, directeur général de l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (ANACT), et M. Olivier Mériaux, directeur général adjoint, directeur scientifique et technique

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Nous accueillons les représentants de l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (ANACT) : son directeur général, M. Hervé Lanouzière, et son directeur général adjoint et directeur scientifique et technique, M. Olivier Mériaux.

Créée en 1973, l'ANACT est un établissement public administratif placé sous la tutelle du ministère du travail, chargé de conduire « des actions visant à agir sur les éléments déterminants des conditions de travail, notamment l'organisation du travail et les relations professionnelles, en vue de leur amélioration ». Elle intervient notamment dans le domaine de la promotion de la santé au travail et de la qualité de vie au travail, de la prévention des risques professionnels dans le cadre de l'organisation du travail et de l'amélioration de l'environnement de travail par l'adaptation des postes, des lieux et des situations de travail.

Messieurs, l'agence que vous représentez étant dotée d'un conseil d'administration tripartite comprenant des représentants des organisations d'employeurs et de salariés ainsi que des représentants de l'État, il nous a semblé utile de connaître le bilan que vous faites de ce mode de gouvernance tripartite : quels sont, de votre point de vue, ses avantages et inconvénients ? Quelle est son efficacité ? Quelles en sont les évolutions possibles ou souhaitables, notamment dans le double contexte du déploiement des comptes personnels de prévention de la pénibilité (C3P), de formation (CPF) et d'activité (CPA) et du développement de nouvelles formes de travail liées au phénomène d'« ubérisation » de l'économie ?

Par ailleurs, quel jugement portez-vous plus globalement sur le fonctionnement du paritarisme au niveau des entreprises dans votre domaine de compétence ? Je pense notamment aux comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), qui sont obligatoirement composés de représentants de l'employeur et du personnel.

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Hervé Lanouzière, directeur général de l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail, ANACT

Je vous propose de dresser un rapide état des lieux du « paritarisme de projet », conception spécifique du paritarisme qui rend compte de l'organisation de l'ANACT et du réseau des associations régionales pour l'amélioration des conditions de travail (ARACT). Je répondrai aussi plus particulièrement à deux questions que vous avez posées : quel niveau privilégier pour la négociation des avantages collectifs en matière de santé au travail ? Quelle place la santé au travail doit-elle occuper dans la refonte du code du travail ? Mais, au préalable, je vous propose de laisser la parole à mon collègue Olivier Mériaux, pour un exposé liminaire.

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Olivier Mériaux, directeur général adjoint et directeur scientifique et technique

Chercheur à l'Institut d'études politiques, j'ai soutenu, il y a vingt ans, une thèse sur L'action publique partagée : paritarisme et négociation collective. En lisant le compte rendu de vos précédentes auditions, j'y ai retrouvé l'écho des débats d'alors. Je me suis rendu compte que nous creusons toujours le même sillon, ce qui est sans doute rassurant, même si la récurrence ne laisse pas d'inquiéter aussi.

Au fond, la question fondamentale est celle de la définition : quelles formes le paritarisme revêt-il ? N'a-t-il qu'une forme unique ou peut-il être tantôt un paritarisme de gestion, tantôt un paritarisme d'orientation, tantôt un paritarisme de projet ? Une définition globale devrait pouvoir rendre compte de ces différentes formes.

Au sens strict, le paritarisme est une technique de gestion des garanties collectives, qui s'opèrent dans des instances où employeurs et salariés sont représentés à parité. Sous cette forme « chimiquement pure », pour reprendre le mot de l'organisation patronale de l'époque, il se retrouve dans la gestion des retraites complémentaires et de la formation professionnelle, comme dans l'assurance-chômage des premiers temps : autant de mécanismes de gestion assurantielle induisant versement de cotisations contre prestations.

Dans un sens plus large, le paritarisme englobe toutes les formes de gestion où participent employeurs et salariés, travaillant ensemble à la production de normes et à la gestion des garanties collectives. Cela inclut la concertation – peu importe qu'elle soit bipartite ou multipartite, car l'équilibre à parité ne compte plus beaucoup –, la négociation collective, les relations collectives de travail et les instances de représentation paritaire. Dans ce cas, on ne sait plus de quoi on parle.

Il faut donc tenir bon sur une définition qui exclut du paritarisme les relations collectives de travail et la négociation collective. Ce sont différentes modalités d'organisation de la démocratie sociale, mais ce n'est pas du paritarisme. Pour éviter le double écueil d'une définition trop large ou trop restrictive, quel fil conducteur, quelle logique commune peut-on dégager ? Je dirais que, dans les instances paritaires, des représentants d'intérêts particuliers se voient déléguer la définition et l'administration de services établis dans l'intérêt général. Cela procède d'une délégation par l'État de certaines de ses prérogatives.

D'un point de vue historique, les périodes où les instances paritaires émergent correspondent à des moments où la civilisation des relations de travail ou des rapports entre capital et travail semble essentielle pour garantir la stabilité du corps politique, à savoir la Première Guerre mondiale, l'après-guerre ou Mai 1968. À cette dernière époque, le projet de Nouvelle Société a institué une formation professionnelle fondée sur le paritarisme. Pour reprendre l'expression d'un haut fonctionnaire de l'époque, il fit alors l'objet d'un « acte de foi » des pouvoirs publics, qui choisirent d'investir les partenaires sociaux de certaines missions, dans des domaines où la gestion directe par l'État était pourtant possible.

Cette délégation de pouvoir de l'État a pour condition une formule d'agencement des intérêts, la parité, telle que ces représentants d'intérêts particuliers puissent construire quelque chose dans l'intérêt commun, sans que l'une des parties prenne le dessus sur l'autre – d'où l'accent mis sur l'égalité arithmétique dans certaines définitions du paritarisme. Comme le formulait M. André Bergeron, le paritarisme est un espace où « on gère ensemble, entre gens qui s'opposent par ailleurs ».

Concrètement, le fonctionnement du paritarisme est pourtant parfois éloigné de cette promesse d'égalité et d'équilibre entre démocratie sociale et démocratie politique.

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Quelle est encore la place du paritarisme à l'heure où salariés et employeurs sont tentés de faire cause commune pour réussir ou pour survivre dans la mondialisation, et pour obtenir des accords gagnant-gagnant plutôt que des accords de répartition de la valeur ajoutée entre les détenteurs du capital et les travailleurs, comme dans les années 1970 ? Je me souviens de négociations collectives, rue de Grenelle, où le patron du MEDEF de l'époque avait dit aux représentants de l'une des organisations syndicales : « Puisque nous travaillons ensemble, nous pouvons nous asseoir du même côté de la table », ce qui était révélateur d'une transformation du monde.

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Olivier Mériaux, directeur général adjoint et directeur scientifique et technique

Vous avez raison de souligner que le paritarisme est une forme institutionnelle qui a eu sa validité à une époque donnée de l'organisation du travail et du rapport salarial. Il doit évoluer à partir du moment où les droits ne sont plus attachés à l'emploi, mais à la personne du salarié, en poste ou non. Si l'on ne peut aller jusqu'à parler d'obsolescence, la validité du paritarisme est cependant questionnée ; comme schéma lié à une forme d'économie et d'organisation du travail, il doit se renouveler. Mais comment le réinventer, notamment pour la gestion de nouveaux droits sociaux ?

Je rappelle que, en France, le schéma du paritarisme ne va pas de soi. Même à sa grande époque, il présentait au moins trois faiblesses congénitales. D'abord, sur le plan sociologique, il faut relever que les organisations représentatives des salariés manquent d'ancrage, puisque n'y adhèrent que 8 % des salariés, alors que ce taux est beaucoup plus élevé dans d'autres pays, voire que l'adhésion y est obligatoire. Ensuite, le paritarisme présente une faiblesse sur le plan de la légitimité politique : comme le montrent les archives parlementaires, la concurrence des sources de production normative et l'articulation de la démocratie sociale et de la démocratie politique apparaissaient problématiques dès l'origine. Enfin, les organisations représentatives des salariés, pauvres en hommes et en ressources, vont parfois chercher dans la sphère paritaire les moyens qui leur font défaut ; il n'est pas possible de méconnaître le lien entre le financement du paritarisme et le financement de ces organisations.

S'ajoute à cela le fait que la délégation par l'État n'appartient pas à la culture politique dominante, qui en fait au contraire le seul garant ou le seul porteur de l'intérêt général. L'autonomie paritaire est donc extrêmement faible, puisqu'elle repose sur une délégation octroyée à des organisations tierces. D'une manière générale, le même problème se pose pour tous les corps intermédiaires.

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Hervé Lanouzière, directeur général de l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail, ANACT

Le paritarisme de l'ANACT et des ARACT est un paritarisme atypique. Nous observons en ce moment une tendance forte à renvoyer à l'espace local la régulation des conditions de travail et de leur définition. Cette tendance de fond s'observe aussi bien dans la loi dite « Rebsamen » du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi que dans le projet de loi porté par Mme Myriam El Khomri. Autrefois, comme inspecteur du travail, j'ai observé comment la régulation locale existait déjà de fait dans les entreprises, mais il faut s'interroger sur ses modalités et sur les conditions d'un fonctionnement légitime.

L'état des forces sociales, la maturité du dialogue professionnel et la culture du dialogue social sont-ils suffisants dans le pays pour donner des résultats satisfaisants quand la régulation a lieu au niveau local ? C'est prendre une grande responsabilité que de confier à des organisations inexistantes ou qui ne sont pas au niveau – qu'il s'agisse des syndicats ou des directions des ressources humaines – des questions aussi importantes et difficiles que l'égalité professionnelle, la diversité, la prévention de l'usure et de la pénibilité, la gestion des parcours professionnels en entreprise, la qualité de vie au travail, etc. Cette prise en charge est-elle seulement possible ? Aussi devons-nous nous demander comment accompagner ce mouvement de fond.

Si l'ANACT a un conseil d'administration tripartite, où les rôles sont nettement répartis et les choses relativement simples, elle s'appuie, au plan opérationnel, sur un réseau de vingt-six associations strictement paritaires. Ces entités de droit privé doivent constituer un réseau piloté par notre agence, établissement public administratif, pour oeuvrer dans le champ compliqué de l'amélioration des conditions de travail. Or, puisqu'il ne s'agit pas d'un paritarisme de gestion, nous ne disposons pas de fonds qui seraient destinés au financement d'un quelconque dispositif. Les ARACT sont ancrées dans leur territoire : c'est leur richesse, elles y déploient leurs compétences au service de solutions innovantes et de projets originaux liés à leur enracinement local. Encore faut-il capitaliser et transférer cette expérience au niveau national.

Le sujet des conditions de travail m'est souvent apparu comme particulièrement propice à la négociation et à la concertation. L'atmosphère des réunions de CHSCT tranche sur les discussions tendues au sujet des salaires. Les conditions de travail peuvent donc être une clé d'entrée dans les entreprises, offrant un champ pour y renouer le dialogue social et l'esprit de compromis.

Quelle est l'efficacité du paritarisme de projet ? Beaucoup de temps et d'énergie y sont dépensés. La question est sans cesse posée de savoir qui est autonome, qui est le chef, qui pilote… Le processus est extrêmement coûteux en énergie. L'ANACT fixe-t-elle les priorités ou les ARACT sont-elles trop autonomes pour que cela soit envisageable ? L'enjeu est pour nous d'apporter la preuve de l'efficacité de l'emploi des fonds publics, qu'ils proviennent des conseils régionaux ou de l'État. Si le fonctionnement paritaire est passionnant, il n'en est pas moins coûteux.

Notre but est d'avancer sur l'amélioration des conditions de travail, non de faire fonctionner des structures pour elles-mêmes. Plutôt que vingt-six chapelles, nous préférerions une grande cathédrale. Pour cela, il faut des moments de concertation, de décision et de pilotage. Les organisations elles-mêmes disent qu'il leur est difficile d'embarquer leurs propres adhérents dans leurs projets. Passer autant de temps à élaborer les conditions des compromis est particulièrement coûteux en énergie.

La réforme territoriale nous en apporte un exemple flagrant. Puisqu'elle impose une nouvelle carte administrative, je voudrais, avec le soutien de mon conseil d'administration et des représentants de l'État qui en sont membres, développer une attitude proactive en considérant que le réseau doit très vite se caler sur l'organisation administrative, pour travailler sans tarder sur l'amélioration des conditions de travail. Mais les associations paritaires, considérant qu'elles incarnent un paritarisme de projet, souhaitent beaucoup plus de temps. Dans cet exercice, leur revendication d'autonomie locale peut donc être un frein et causer un ralentissement.

Pour éclairer les partenaires sociaux et les aider à définir des orientations stratégiques en matière de conditions de travail, le paritarisme de projet peut donc apporter des solutions intéressantes ; mais, pour le fonctionnement gestionnaire et local, la situation est plus compliquée. Au quotidien, ce n'est pas facile, vous l'aurez compris.

Le paritarisme concerne aussi les entreprises. L'ANACT part du principe – c'est pour elle un postulat de méthode – qu'aucune amélioration des conditions de travail ne peut se faire, sinon sans paritarisme, du moins sans démarche participative de la part des entreprises. C'est démontré et cela s'observe dans les faits : sans implication, il n'y a pas de prévention des risques professionnels qui tienne. Car le travail ne se prescrit pas de manière unilatérale. Les conditions dans lesquelles le travail se réalise sont tout le temps contredites par la réalité. Comme nous l'enseigne l'ergonomie, un écart existe nécessairement entre le travail réel et le travail prescrit ; tous deux sont en confrontation permanente. La parole des travailleurs, au sens des directives européennes qui ne font pas de distinction de statut dans la définition de cette notion, est donc nécessaire pour élaborer des modalités de travail satisfaisantes, qui vont à la fois dans le sens des employeurs, en augmentant la productivité, et dans le sens des salariés, en améliorant le bien-être et la santé au travail. A contrario, toute démarche unilatérale de prévention ou d'amélioration des conditions de travail est vouée à l'échec.

Mais quels sont les bons espaces pour élaborer des conditions de travail participatives ? Nous travaillons beaucoup avec les CHSCT, mais, en même temps, notre premier périmètre d'action est celui des très petites, petites et moyennes entreprises (TPE et PME), où l'on ne trouve pas forcément de CHSCT ou de structures représentant formellement les salariés.

De toute façon, nous distinguons entre paritarisme et démarche participative. Au sein de l'ANACT, ce n'est pas tant pour déployer le paritarisme au sein de toutes les entreprises que nous travaillons avec les partenaires sociaux, que pour obtenir d'eux l'aide nécessaire pour imaginer, au sein des entreprises, des solutions innovantes ne passant pas forcément par du dialogue social pur et dur. Il s'agit plutôt d'inventer des espaces de discussion alternatifs, dont les partenaires sociaux garantissent la qualité.

L'accord interprofessionnel sur la qualité de vie au travail a créé des espaces d'expression ; beaucoup ont émergé, depuis 2008, sur les risques psychosociaux. En 1982, une première tentative d'ouvrir un droit d'expression, plus étroite, avait échoué, car les syndicats se considéraient comme les seuls interlocuteurs des employeurs. Aujourd'hui, dans les entreprises, on voit naître spontanément des espaces de discussion, c'est-à-dire des espaces de régulation dans lesquels salariés et chefs de service élaborent ensemble des compromis vertueux pour pouvoir faire le travail dans de bonnes conditions – éviter les risques psychosociaux, mais aussi apporter de la productivité dans l'entreprise.

Comme vous l'avez dit, d'énormes transformations sont en cours dans les entreprises. Les équilibres sur lesquels le contrat social est construit sont évidemment remis en cause. Les clients ont des exigences nouvelles auxquelles les entreprises doivent s'adapter. Pour prendre l'exemple de la vente à distance, les clients veulent désormais pouvoir commander le samedi et être livré le lundi. Il n'y a plus de place pour une entreprise qui publierait un catalogue deux fois l'an et proposerait la livraison à trois semaines. Cela suppose donc que des salariés travaillent le dimanche et que des livraisons puissent avoir lieu très tôt le lundi matin.

Les salariés eux-mêmes ont des attentes nouvelles, en termes d'équilibre entre vie professionnelle et vie privée ou en raison d'un rapport au travail qui a évolué. Tous ces nouveaux équilibres expliquent la floraison de formes de télétravail, d'espaces de coworking ou de nouveaux espaces de régulation. Car une régulation a lieu de fait dans les entreprises.

Aujourd'hui, les organisations syndicales comprennent que cela peut exister sans qu'elles soient nécessairement présentes, à condition qu'elles puissent exercer un droit de regard sur la manière dont cela se met en place. Dans beaucoup d'entreprises, plus ou moins importantes, des espaces de discussion se mettent en place, avec les organisations syndicales ou sans elles. Car elles se rendent compte qu'elles ne peuvent tout réguler, mais elles ont tout intérêt à se concentrer sur la définition des orientations, sur la stratégie, sur la garantie des processus et méthodologies – des règles procédurales – qui se mettent en place. Quant aux contenus, elles acceptent l'idée que les salariés sont les mieux placés pour en délibérer.

J'en arrive ainsi à votre deuxième question : quel niveau privilégier pour la négociation des avantages collectifs en matière de santé au travail ? À mon sens, la question ne se pose pas seulement en termes d'avantages collectifs ou de droits ouverts, mais plutôt en termes de règles procédurales. Les démarches paritaires et participatives servent ainsi à suivre la manière dont les choses se régulent. Ne parle-t-on pas justement d'accords de méthode ?

S'agissant du niveau à privilégier, la branche a effectivement un rôle essentiel et décisif à jouer dans l'amélioration des conditions de travail, non pas nécessairement en ouvrant de nouveaux droits liés à la santé et à la sécurité au travail, mais plutôt en offrant des services méthodologiques aux entreprises, notamment à celles qui n'ont pas de représentant du personnel. Car, en matière de prévention de l'usure et de la pénibilité, la mise en place d'une démarche spécifique dans une entreprise de dix, douze ou quinze salariés est une affaire complexe, qu'il y ait ou non un représentant du personnel.

Une branche aurait au contraire tout intérêt à offrir aujourd'hui à ses adhérents une offre de services mutualisée, pour qu'une entreprise de douze salariés puisse faire appel à un réseau de consultants. Grâce à leur aide, une PME ou TPE pourrait établir un diagnostic, un plan d'action et en organiser le suivi. L'acceptabilité sociale en sera garantie par la gestion paritaire, au niveau de la branche, de la qualité des prestations servies aux adhérents comme du cahier des charges imposé aux consultants. Cela prendrait aussi en compte le fait que, dans beaucoup d'entreprises, il n'y a pas de représentant du personnel.

Ainsi, la branche constitue un échelon essentiel, non dans l'ouverture des droits, mais dans la définition de lignes directrices de méthodologie. Quand une entreprise veut mettre en place du télétravail, il lui est plus facile de déployer cette solution si la branche a déjà réfléchi à la question et lui fournit des outils pour le mettre en place sans faire naître d'injustice organisationnelle ou individuelle. Non seulement des PME, mais aussi des entreprises de 800 à 1 000 salariés n'ont parfois pas le temps de travailler à ces questions. Qu'une branche ait travaillé dans un cadre paritaire sur le déploiement d'un dispositif de télétravail, voilà qui est beaucoup plus efficace que l'incantation à agir directement sur le terrain.

En matière de santé et de sécurité au travail, les tickets d'entrée sont tout de même chers. Il faut donc fournir les outils. L'on parle aujourd'hui de droit à la déconnexion et d'évaluation de la charge de travail… Quels sont les espaces où celle-ci pourra être mesurée ? Il faudrait reformuler la question pour chercher à savoir comment réguler la charge de travail d'un cadre de haut niveau sur la durée. Or la réponse ne se définit pas en termes de droits ouverts, mais de cadre posé paritairement par la branche professionnelle.

Votre troisième question portait sur la place de la santé et de la sécurité au travail dans le cadre de la prochaine refonte du code du travail. L'un des paradoxes français est le suivant : d'une part, le droit de la santé et de la sécurité au travail est un droit régalien à l'extrême, puisque les règles imposées par le code du travail pour protéger la santé et la sécurité des travailleurs ne se négocient pas – lorsque l'on travaille à côté d'un transformateur à haute tension, c'est évidemment exclu ; d'autre part, par tradition, la branche des accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) de la caisse nationale d'assurance maladie qui pilote ces questions définit, de manière paritaire, les grandes orientations en matière de santé et de sécurité au travail.

Pour le nouveau code du travail, l'architecture proposée par le rapport de M. Jean-Denis Combrexelle et que l'on retrouve dans le projet de loi porté par Mme Myriam El Khomri me paraît susceptible de fonctionner. M. Jean-Denis Combrexelle opère en effet le départ entre les dispositions d'ordre public, celles qui peuvent être négociées et les dispositions supplétives. Cette répartition nous semble opérationnelle. Je précise en outre que 90 % des normes applicables dans le domaine sont d'origine européenne et doivent être transcrites mot pour mot.

En tout état de cause, la mise en oeuvre des diverses dispositions est une question complexe, à laquelle le droit actuel n'apporte pas toujours une réponse efficace. J'en veux pour preuve les accidents du travail liés aux problèmes de coordination, lorsque plusieurs entreprises travaillent ensemble sur un même lieu. Je ne parle pas simplement des relations entre un donneur d'ordres et ses sous-traitants, mais d'événements tels que les grandes foires organisées au parc des expositions de la porte de Versailles, dont les modalités d'organisation sont extrêmement complexes. Ils présentent un risque non négligeable pour la sécurité et la santé des travailleurs. Mais doit-on appliquer le décret du 6 mai 1995 fixant la liste des prescriptions réglementaires à respecter sur un chantier de bâtiment ou celui du 20 février 1992 fixant les prescriptions particulières d'hygiène et de sécurité applicables aux travaux effectués dans un établissement par une entreprise extérieure ? Bien qu'ils soient très différents, les deux textes ont pour objectif de prévenir les atteintes à la santé.

En Île-de-France, l'inspection du travail a tranché : c'est le décret de 1995 qui s'applique. Mais, à Lyon, la décision a été prise d'appliquer plutôt le décret de 1992. Une même entreprise se voit ainsi appliquer deux règlements différents, selon qu'elle organise une manifestation à Paris ou à Lyon… J'ajoute qu'aucun des deux décrets n'est vraiment adapté aux défis actuels de la coordination.

Aussi paraît-il sage de poser l'obligation de la coordination par des dispositions d'ordre public, mais de laisser des dispositifs locaux ad hoc se mettre en place, de manière négociée, pour atteindre concrètement cet objectif grâce à des solutions peut-être atypiques, mais adaptées à la réalité du terrain. Cela peut améliorer sensiblement la coordination entre les entreprises quand des milliers de travailleurs se côtoient. Des dispositions supplétives seraient applicables par défaut si aucun accord n'était trouvé.

La négociation paritaire porterait ainsi non sur la règle, mais sur les moyens et les modalités de mise en oeuvre. Car, j'y insiste, la complexité des organisations et des configurations juridiques fait qu'il n'est actuellement pas possible d'arriver à une vraie régulation sans l'accord des acteurs. Ils doivent donc pouvoir mettre en place, au niveau local, des dispositifs efficaces dans un cadre négocié au sein de leur branche professionnelle, et avec les outils fournis par elle.

Tel est le rôle des guides et référentiels produits par la branche AT-MP, qui publie régulièrement des recommandations par secteur d'activité. Elles n'ont pas force légalement contraignante, mais sont le résultat de longues négociations entre partenaires sociaux. Ces règles de l'art, propositions très concrètes, produisent des effets, car la règle négociée paritairement est aussi mieux acceptée socialement au sein des entreprises.

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Le rapport de M. Jean-Denis Combrexelle défend aussi l'idée que la loi doit poser les principes, car il faut un socle. Quels sujets doivent être a contrario ouverts à la négociation par le législateur ? Il faut au fond distinguer entre deux objets différents, à savoir les dispositions d'ordre général et la question de leur application dans les entreprises.

Quelles conséquences tirez-vous, monsieur le directeur général, des critères que vous posez ? Quel type d'évolution vous semble pertinent ? Le paritarisme s'ouvre aussi aux régions et s'étend ainsi potentiellement à quatre acteurs désormais : quelle est la clé de répartition légitime entre eux ?

À partir de l'expérience de l'ANACT, pouvez-vous nous dire si le paritarisme d'entreprise ou la cogestion permet d'établir de vrais plans de formation ? Ce type de gestion conduit-il à une meilleure protection de la santé des salariés, mais aussi à une plus grande efficacité économique de l'entreprise dans son ensemble ?

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Vous nous avez dit que les équilibres sur lesquels le contrat social est construit sont compromis. Je pense que ce constat donne tout son sens à notre mission d'information.

S'agissant du dialogue social régional, comment l'envisagez-vous ? Je crois qu'il va beaucoup gagner en importance à terme.

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Olivier Mériaux, directeur général adjoint et directeur scientifique et technique

Je n'ai pas travaillé sur la question de l'architecture institutionnelle ni sur la refonte du cadre de gestion des droits sociaux et des garanties collectives. Mais je crois qu'il faut distinguer deux niveaux : d'une part, la gouvernance et les principes de décision politique ; d'autre part, l'architecture de gestion.

Depuis 1995, les partenaires sociaux se retirent de la gestion pour se concentrer sur les fonctions d'orientation politique, comme ils l'ont fait à l'occasion des dernières réformes de la formation professionnelle. Les partenaires sociaux se réinvestissent dans les fonctions politiques, notamment au sein du réseau de l'ANACT et des ARACT, car ils ne sont pas spécialement mandatés pour jouer un rôle de gestion.

Du côté des organisations patronales ou syndicales, il faut en outre disposer de la capacité humaine pour gérer ces mandats. Or elles présentent toutes une pyramide des âges qui ne permet pas toujours que les interlocuteurs soient ancrés dans les réalités des intérêts qu'ils sont censés défendre. Comme elles ont des difficultés à trouver suffisamment d'actifs pour exercer ces mandats, elles se reposent en effet soit sur des retraités, dont il faut saluer l'engagement militant, soit sur des experts. La question se pose donc de savoir quelle est leur capacité à faire vivre le paritarisme.

La même problématique est posée au niveau régional, échelon traditionnellement faible des organisations professionnelles. La décentralisation entraîne une transformation des relations sociales. Mais où sont les hommes et les femmes pour faire vivre de nouvelles instances ? On touche aux limites du système. Au niveau régional, les partenaires se rencontrent en outre au niveau interprofessionnel, sans réelle prise sur les sources de production normative qui sont, à juste titre, logées dans les branches professionnelles.

Ne chargeons donc pas trop la barque des partenaires sociaux. Il y aurait danger à le faire, car, à vouloir des négociations autonomes au sein de chaque entreprise, on risque d'aboutir à une réglementation unilatérale.

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Hervé Lanouzière, directeur général de l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail, ANACT

Que constatons-nous sur le terrain ? Va-t-on dans le sens de la cogestion ? Le système binaire actuel est axé sur la consultation et la négociation. Dans la consultation, il faut délivrer un avis favorable ou un avis défavorable ; dans la négociation, il faut signer ou non un accord. Cette forme binaire de discussion contraint ou accule les parties à adopter des postures, souvent surprenantes. Alors qu'un consensus sur un compromis intéressant relatif à la prévention des risques psychosociaux se dessine parfois, elles peuvent ainsi refuser de signer un accord ou d'émettre un avis favorable.

Il y a donc un véritable besoin de renouvellement de part et d'autre, comme l'a montré la crise des risques psychosociaux. Elle a fait éclore des espaces de travail où les acteurs se sont mêlés : directeurs d'établissement, ingénieurs, représentants du personnel, médecins du travail, chefs de projet… En discutant et en se concertant, ils ont pu améliorer les conditions de travail, avec une hausse de la productivité à la clé, mais aussi trouver les voies d'un meilleur équilibre entre vie privée et vie professionnelle.

Je souligne la nécessité d'un espace de concertation régulé, mais il n'est pas possible de le définir a priori. Les nouveaux équilibres s'y établissent de manière spontanée. Dans une période bouleversée, il ne saurait y avoir de schéma tout fait. Nous devons en revanche outiller beaucoup plus les partenaires sociaux pour qu'ils puissent recréer un dialogue professionnel loyal dans l'entreprise.

À l'ANACT, nous avons un rôle à jouer en matière d'outillage méthodologique. Il nous faudra compter vingt ans pour accomplir une montée en compétence symétrique chez les employeurs comme chez les salariés. Dans des collectifs de travail dégradés, de gros efforts seront à fournir en restaurant des espaces de concertation régulés. Je ne pense pas qu'il faille se payer de mots avec des incantations en faveur de l'autogestion ou de la codécision.

Dans les expérimentations menées par l'ANACT, les gens expriment d'abord leur besoin de participer à une concertation. Les espaces de discussion prévus par les accords sur l'amélioration de la qualité de vie au travail assurent aux salariés que leur opinion a été prise en compte dans le processus de décision. Les entreprises doivent être amenées à considérer les conditions de travail comme un paramètre stratégique, à côté de leurs paramètres techniques et économiques : tel est l'objectif de l'ANACT.

Dans le processus décisionnel des entreprises, la concertation doit se développer, au-delà de la consultation et de la négociation. Les accords sur la qualité de vie au travail qui réussissent sont ceux où, par un accord de méthode, l'entreprise a créé des règles procédurales sur la manière d'aborder des sujets tels que l'articulation entre vie privée et vie professionnelle. Nombre d'organisations n'ont pas de problèmes avec le fait que l'entreprise prenne une décision, mais elles veulent comprendre ce qui la motive. Les salariés veulent non seulement que tel ou tel processus leur évite le mal de dos, mais qu'il rende en même temps leur travail plus efficace. Or cela n'est possible que si une concertation a lieu. Nous restons trop souvent enfermés aujourd'hui dans un schéma binaire : je consulte, donc je décide ; ou je négocie, la négociation échoue, donc on en reste là.

Nous concentrons notre énergie sur les accords de qualité de vie au travail. L'ANACT est dans une logique d'expérimentation et nous travaillons avec de grandes entreprises pour trouver des modalités innovantes.

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Quel est l'historique des accords sur la qualité de vie au travail ? Doit-on s'en saisir, à l'occasion de notre mission d'évaluation, pour conduire une réflexion sur des dispositions législatives ?

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L'ANACT a mis en évidence des évolutions contrastées entre les hommes et les femmes. Des inégalités d'exposition aux risques existent et elles expliquent des différences de tendance. Ces inégalités découlent notamment des différences de conditions de travail.

Prendre en compte le genre dans les démarches de prévention des risques permet d'affiner le diagnostic. C'est également un levier de progrès en matière d'égalité professionnelle. Quelle est, selon vous, la démarche à mettre en place pour promouvoir l'égalité entre femmes et hommes dans l'entreprise ?

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Hervé Lanouzière, directeur général de l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail, ANACT

Un entrepreneur ne vient jamais déclarer de lui-même à l'ANACT qu'il veut embaucher des femmes ou mettre en place une politique d'égalité professionnelle. En revanche, il viendra nous voir pour évoquer des problèmes d'absentéisme, de rotation de main-d'oeuvre, d'attractivité de son entreprise ou de postes qu'il peine à pourvoir.

Par une étude de la démographie au travail, nous cherchons alors à comprendre les déterminants de la répartition, dans la durée, des populations dans l'entreprise. Il en ressort souvent que l'organisation a pu produire, sans que ce soit délibéré, les conditions d'une inégalité entre les hommes et les femmes. Je pourrais prendre l'exemple d'une entreprise où, au bout de vingt ans, tous les salariés d'un atelier sont devenus conducteurs de machines ou ont quitté l'entreprise, alors que les femmes sont restées cantonnées dans des tâches manuelles non qualifiées. Leurs postes seront les plus pénibles et les plus susceptibles de causer inaptitude et invalidité.

L'approche de l'entreprise ne peut pas être segmentée, compartimentant l'égalité professionnelle des hommes et des femmes, la question des jeunes, celle des seniors, mais aussi le handicap. L'entreprise doit faire face à ses impératifs de production et nous devons lui fournir les outils pour conduire ces analyses, de sorte que représentants du personnel et directions des ressources humaines ou chefs d'atelier lisent les données, très nombreuses, qui sont à leur disposition. En les interprétant, ils se rendent compte que leur organisation a non seulement fait naître de l'absentéisme, mais les a aussi privés de marges de manoeuvre.

Dans l'entreprise dont je parlais, des femmes ont pu travailler sur des machines, même si cela supposait de réfléchir à des solutions de crèche ou de garde d'enfants ou à l'offre de transports en commun dans un territoire rural. L'entreprise est parfois débordée et les partenaires sociaux ne sont pas toujours capables d'analyser et d'interpréter eux-mêmes la situation avant de construire un plan d'action. Mais, lorsque les entreprises, les employeurs et les salariés ont pris conscience des enjeux, en termes de conditions de travail ou de performance, ils n'ont plus besoin de nous pour établir ce plan d'action. Une fois qu'ils ont compris les déterminants de l'absentéisme, ils concluent un accord sur l'égalité entre hommes et femmes, non pour le plaisir d'en faire un, mais pour augmenter la productivité et améliorer les conditions de travail. Ce faisant, ils satisfont aussi à leurs obligations réglementaires.

C'est ainsi que sont nés les accords sur la qualité de vie au travail. Les entreprises ont adopté une approche systémique pour répondre aux problèmes posés par les populations présentes en leur sein et qui deviennent des publics cibles pour les pouvoirs publics. Elles se sont alors attaquées à l'amélioration des conditions de travail et de l'équilibre entre vie professionnelle et vie privée.

Cependant, le mouvement reste lent. Car les entreprises se trouvent devant ces outils comme des poules devant un couteau, sans savoir par où commencer, comment rassembler les données et comment les interpréter. Convenons-en, la méthodologie n'est pas simple.

La mission procède enfin à l'audition de M. Hugues de Balathier-Lantage, chef de service, adjoint à la déléguée générale à l'emploi et à la formation professionnelle, et de M. Guillaume Fournié, chef adjoint de la mission droite et financement de la formation, à la Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) - ministère du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

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Nous recevons à présent deux représentants de la Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) : M. Hugues de Balathier-Lantage, chef de service, adjoint à la déléguée générale à l'emploi et à la formation professionnelle, et M. Guillaume Fournié, chef adjoint de la mission droit et financement de la formation.

La DGEFP est chargée de concevoir et de mettre en oeuvre les orientations du Gouvernement en matière d'emploi et de formation professionnelle, en construisant et en adaptant le cadre juridique et financier des politiques de l'emploi et de la formation professionnelle avec les autres départements ministériels et les partenaires sociaux, en pilotant la mise en oeuvre des dispositifs en concertation avec l'ensemble des acteurs de l'emploi et en assurant la gestion des programmes soutenus par le Fonds social européen (FSE) en France.

Au regard de ces attributions, il était important pour nous de vous interroger sur l'efficacité de la gestion paritaire en matière de formation professionnelle, ainsi que sur les évolutions souhaitables de la gouvernance quadripartite qui, dans ce domaine, associe l'État, les partenaires sociaux et les régions, notamment dans le contexte du déploiement des comptes personnels de formation (CPF) et d'activité (CPA) et de l'évolution de l'économie collaborative.

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Hugues de Balathier-Lantage, chef de service, adjoint à la déléguée générale à l'emploi et à la formation professionnelle à la Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle, DGEFP du ministère du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

J'interviens aujourd'hui au titre de la DGEFP et il me semble que vous avez prévu d'auditionner bientôt des représentants de la direction générale du travail (DGT), dont relèvent de nombreux mécanismes du paritarisme au sens large. Je parlerai donc essentiellement dans le cadre des compétences de la DGEFP et plus spécifiquement de la formation professionnelle.

Le paritarisme revêt deux aspects : la négociation collective et la gestion paritaire. La négociation collective en matière d'emploi et de formation est régie par l'article L. 1 du code du travail tel qu'il résulte de la loi dite « Larcher » de modernisation du dialogue social, du 31 janvier 2007, même si, dans le domaine spécifique de la formation professionnelle, cette pratique est sans doute plus ancienne. L'élaboration des dispositions législatives sur la formation professionnelle en 1971 avait elle aussi fait suite à la signature d'un accord interprofessionnel. De même en fut-il en 2004. La loi « Larcher » a institutionnalisé ce mécanisme qui a de nouveau été utilisé en 2009 puis en 2014. L'articulation entre le rôle de l'État – pouvoir exécutif comme Parlement – et celui des partenaires sociaux s'enrichissant désormais, dans le domaine de la formation, avec le rôle croissant des conseils régionaux, le paritarisme devient du quadripartisme.

S'agissant de la gestion paritaire, au-delà du seul domaine de la formation professionnelle, la DGEFP entretient des relations avec des organismes paritaires assez divers. La gouvernance de l'Association de gestion du fonds pour l'insertion des personnes handicapées (AGEFIPH) repose ainsi sur un paritarisme élargi, incluant les associations représentant les personnes handicapées ; l'Agence pour l'emploi des cadres (APEC), en revanche, est gérée selon un paritarisme plus classique.

Les modes de relation de l'État avec ces organismes sont également très divers. Dans certains d'entre eux, comme l'AGEFIPH ou l'Unédic, seul est présent au conseil d'administration un contrôleur général économique et financier (CGEFI). Dans d'autres organismes, comme le fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP), sont présents non seulement un CGEFI, mais aussi un commissaire du Gouvernement. Enfin, à deux exceptions près, l'État n'est pas du tout présent dans les organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA). Mais, même lorsque l'État n'est pas présent au sein du conseil d'administration d'un organisme, il arrive qu'il exerce un mandat de service public par le biais d'un comité de suivi, comme c'est le cas au sein de l'APEC, ou d'un comité d'orientation, comme au sein de l'Association nationale pour la formation des adultes (AFPA). La place de l'État au sein de cette association va néanmoins évoluer avec la transformation à venir de cet organisme en établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) dans le cadre de l'ordonnance prévue par la loi dite « Rebsamen » relative au dialogue social et à l'emploi, d'août dernier.

Quant à Pôle emploi, ce n'est pas un organisme paritaire, mais un établissement public dans le conseil d'administration duquel les partenaires sociaux sont majoritaires, mais où l'État est fortement présent et pèse de manière importante. Aux niveaux régional et local, des instances paritaires, héritières des anciens conseils d'administration des Assedic, ont été maintenues au sein de Pôle emploi, lors de la fusion de l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE) et des Assedic, au motif qu'elles remplissaient des missions en lien avec la mise en oeuvre des règles d'assurance-chômage.

On retrouve cette diversité dans le champ de la formation professionnelle. Comme je l'ai déjà indiqué, un CGEFI et un commissaire du Gouvernement issu de la DGEFP assistent au conseil d'administration du FPSPP. Citons également les OPCA, les fonds de gestion du congé individuel de formation (Fongecif) et l'AFPA.

En dehors de toutes les instances que je viens de citer, la DGEFP entretient des relations quotidiennes avec les organismes paritaires et les partenaires sociaux, que ce soit de façon officielle ou officieuse, bilatérale ou multilatérale, ou encore dans le cadre d'instances quadripartites telles que le Conseil national de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelles (CNEFOP) et les conseils régionaux de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelles (CREFOP).

Ces dernières années, on note en effet, dans le champ de la formation professionnelle, une évolution du paritarisme vers le quadripartisme. Historiquement, le poids des partenaires sociaux est très important en ce domaine. Mais, au fil des différentes étapes de la décentralisation, les régions se sont vues transférer l'essentiel des compétences. Au sein même du champ de la formation professionnelle, le rôle de l'État et ses relations avec les partenaires sociaux et les régions ont donc évolué, ce qui a conduit à mener une réflexion nouvelle sur ce rôle. Les outils de l'État sont désormais moins financiers – l'essentiel des dispositifs ayant été décentralisé et une part croissante des financements provenant des partenaires sociaux – que législatifs et réglementaires. La loi « Larcher » prévoit la signature d'accords nationaux interprofessionnels, mais ceux-ci doivent être suivis d'un texte législatif qui, compte tenu des marges de manoeuvre du Parlement, ne peut être un simple décalque desdits accords. Même si ce point est en discussion avec les partenaires sociaux et qu'un équilibre est à trouver entre la reprise des grandes lignes de l'accord et les adaptations que peuvent apporter les parlementaires, la loi et ses décrets d'application restent centraux.

Outre ces outils législatifs et réglementaires, l'État recourt de plus en plus aux outils contractuels, tels que la convention-cadre qui le lie au FPSPP, les conventions d'objectifs et de moyens (COM) conclues avec les OPCA ou l'implication de nos services déconcentrés dans la discussion avec les conseils régionaux sur les contrats de plan régional de développement des formations et de l'orientation professionnelles (CPRDFOP). Enfin, depuis l'entrée en vigueur de la loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale, et à la suite de la disparition de l'obligation administrative de dépenses, l'État joue un rôle croissant dans la régulation du marché de la formation. Nous exercions déjà depuis très longtemps un contrôle sur les organismes de formation et les OPCA, mais nous mettons désormais aussi en oeuvre une nouvelle démarche de qualité depuis la publication d'un décret l'été dernier.

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Le quadripartisme dont vous parlez reste un concept à définir. Il est clair que quatre acteurs interviennent dans le champ de la formation professionnelle et que chacun a son rôle à jouer, puisque nous sommes dans un État de droit. Quant à savoir si ce quadripartisme a été conçu rationnellement, c'est une autre affaire. Le système actuel a été élaboré par évolutions successives dans le souci d'améliorer telle ou telle disposition – notamment de diminuer le nombre d'OPCA ou de transférer des compétences aux régions pour en tirer ensuite les conséquences pour l'État. Mais, de notre point de vue, il ne constitue nullement un modèle de fonctionnement – remarque qui vaut d'ailleurs dans tous les autres domaines gérés de façon paritaire.

Nous avons évoqué avec le Fongecif Île-de-France le conseil en évolution professionnelle (CEP) : on constate que le législateur a fait le choix non pas de l'organiser comme peut l'être l'aide aux demandeurs d'emploi apportée par Pôle emploi, mais de confier des responsabilités élargies à ceux qui étaient les plus proches de ce métier de conseil. On aboutit ainsi à un paysage extrêmement complexe, puisque le dispositif du CEP implique cinq acteurs différents en fonction de la situation de la personne concernée et qu'il sera décliné dans vingt-six puis bientôt treize régions. Les bénéficiaires du dispositif ne sauront donc où s'adresser. Sans doute la DGEFP sait-elle quelle part du conseil en évolution professionnelle sera exercée par les Fongecif, mais les acteurs eux-mêmes ignorent ce que feront les uns et les autres. Il est certes avantageux de partir de l'existant et de ne pas tout bouleverser, mais on aboutit à un système d'une grande complexité et à l'efficacité incertaine.

De qui relève fondamentalement le conseil en évolution professionnelle ? S'agit-il d'une mission régalienne, auquel cas il reviendrait à l'État et aux régions de le gérer, peut-être dans le cadre d'un établissement public ? Je plaide pour ma part pour que Pôle emploi soit transformé en « Pôle emploi Formation ».

Autres questions : peut-on transformer des points retraite en points formation ? Quelles sont les possibilités d'utilisation des différents droits existants ? Pourrait-on envisager un système comparable à celui de l'Unédic, dans lequel les partenaires sociaux organiseraient une fongibilité entre les différents droits, l'utilisation de ceux-ci selon les publics concernés et l'accessibilité des montants de rémunération ? Un tel système de délégation de droits, aux objectifs encadrés par la loi, pourrait être validé par agrément des pouvoirs publics. Au-delà des évolutions qui s'opèrent au fil de l'eau, avez-vous élaboré un modèle type plus rationnel, plus lisible pour les usagers, plus efficace pour l'action collective et associant les acteurs en fonction de ce qui fonde leur légitimité ?

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Dans le rapport d'information qu'ils nous ont présenté la semaine dernière en commission des Affaires sociales, nos collègues Gérard Cherpion et Jean-Patrick Gille s'interrogeaient sur la légitimité des partenaires sociaux à gérer seuls des droits devenant universels.

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Hugues de Balathier-Lantage, chef de service, adjoint à la déléguée générale à l'emploi et à la formation professionnelle à la Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle, DGEFP du ministère du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

Le paysage institutionnel est le fruit d'une histoire faite de sédimentations et d'évolutions – qui s'opèrent d'ailleurs parfois par le biais d'amendements parlementaires. Il peut donc donner l'impression de ne pas avoir été pensé de manière cohérente. La loi du 5 mars 2014 exprime cependant la volonté de rationaliser non seulement le champ de la formation, mais le champ plus vaste de l'emploi, de l'orientation et de la formation. Plusieurs instances de concertation ont fusionné, telles que le Conseil national de l'emploi et le Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie (CNFPTLV) pour créer le CNEFOP, qui a ainsi hérité certaines compétences en matière d'emploi et de formation et auquel on a en outre confié une compétence en matière d'orientation. Il y a donc bien eu rationalisation et simplification du système.

Au-delà, je ne crois pas à une simplification extrême du paysage, car l'ensemble des acteurs – État, partenaires sociaux et régions – ont une vraie légitimité à intervenir dans le domaine de la formation professionnelle. Il n'empêche que les modalités de coordination prévues par la loi du 5 mars 2014 ont permis un véritable saut qualitatif. La mise en application du dispositif a débuté il y a un an, de sorte que nous manquons encore de recul quant au fonctionnement du CNEFOP et des CREFOP, mais leur mise en place s'est plutôt bien passée. Sans doute la professionnalisation des acteurs doit-elle se poursuivre au sein des CREFOP. Le bilan est contrasté entre les différentes régions, certains acteurs ayant été plus volontaristes que d'autres. Mais, globalement, le premier bilan qualitatif est assez positif, même si les différents acteurs ont mis du temps à se connaître, voire à s'apprivoiser. Il importe que, au fil des ans, une dynamique de confiance s'instaure entre les acteurs des CREFOP afin qu'ils parviennent à se concerter et à se coordonner mieux qu'ils ne le faisaient dans les instances antérieures – notamment en vue d'élaborer la carte de formation dans les différentes régions. La loi du 5 mars 2014, dont on appréhendera progressivement les effets, a permis non pas de simplifier le paysage, mais, à partir d'un paysage complexe, d'obtenir de meilleurs résultats.

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La DGEFP mène-t-elle des réflexions sur la simplification de ce paysage, au-delà de ce que prévoit la loi ? J'évoquais par exemple l'idée de créer un établissement public unique chargé de tout ce qui relève de la formation professionnelle, sorte d'équivalent de Pôle emploi en la matière.

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Hugues de Balathier-Lantage, chef de service, adjoint à la déléguée générale à l'emploi et à la formation professionnelle à la Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle, DGEFP du ministère du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

Dans le cas du conseil en évolution professionnelle (CEP), par exemple, nous avons fait le choix, probablement par pragmatisme, de nous appuyer sur les acteurs existants plutôt que d'afficher une ambition très large, mais au contenu beaucoup plus long à définir et plus complexe à mettre en oeuvre, qui eût été fondée sur la mise en place ex nihilo d'un service public du conseil en évolution professionnelle. Néanmoins, ces acteurs existants exerçaient pour la plupart des métiers proches du premier niveau et d'une partie du deuxième niveau du CEP – conseil dont le cahier des charges est structuré selon trois niveaux d'intensité d'offre de service.

Quant à savoir si les publics risquent s'y perdre, il me semble qu'ils ont, pour l'essentiel, affaire à des opérateurs de droit commun bien identifiés tels que Pôle emploi pour les demandeurs d'emploi, les missions locales pour les jeunes et les Cap emploi pour les personnes handicapées. Les Fongecif étant en revanche un peu moins connus des salariés, nous avons créé une marque « CEP » pour identifier cette nouvelle offre. Il nous reste encore du travail à faire pour diffuser l'information et la communication sur le CEP en direction des salariés. Néanmoins, ce conseil s'articule avec une autre nouveauté importante de la loi du 5 mars 2014 : l'entretien professionnel qui, au sein des entreprises, peut déjà faire office de premier niveau de conseil en évolution professionnelle. Le premier interlocuteur des salariés en matière d'évolution est en effet le service des ressources humaines de chaque entreprise. Si cet élément n'apparaît pas dans le CEP en tant que tel, il est essentiel à la mise en oeuvre de ce type de conseil.

Si différents acteurs interviennent en matière de conseil en évolution professionnelle, ils sont relativement bien identifiés par les divers publics concernés. En outre, la DGEFP a beaucoup travaillé, en lien avec les partenaires sociaux, à l'élaboration d'un cahier des charges unique diffusé par les cinq opérateurs nationaux. Et, sur le plan pratique, nous sommes en train de mettre sur pied une communauté de métiers autour de la profession de conseiller en évolution professionnelle – qui ne se résume pas à ce que faisait auparavant chacun des conseillers au sein de sa structure. Nous avons ainsi demandé à Centre Inffo, l'un de nos opérateurs dans le domaine de la formation professionnelle, de créer à cette fin un intranet permettant aux conseillers d'échanger entre eux et de diffuser leurs bonnes pratiques.

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Un système d'information unique est-il prévu ? Combien d'interlocuteurs la DGEFP a-t-elle ? Comment les CEP qui ont été dispensés à ce jour se répartissent-ils entre les différents acteurs ?

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Hugues de Balathier-Lantage, chef de service, adjoint à la déléguée générale à l'emploi et à la formation professionnelle à la Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle, DGEFP du ministère du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

Nous sommes en train de mettre en place un système de remontée d'indicateurs. À ce jour, nous n'avons fait qu'une enquête ponctuelle afin d'obtenir des premiers éléments sur la base de cette grille d'indicateurs, car le dispositif n'est pas encore systématisé.

Nous avons environ une trentaine d'interlocuteurs, dont je vous fournirai la liste.

Je vous transmettrai également le nombre de bénéficiaires du CEP, selon qu'ils sont demandeurs d'emploi ou salariés. Depuis le 1er janvier 2015, on compte environ 350 000 bénéficiaires, avec des niveaux d'offre de service différents. Sur le plan qualitatif, il est intéressant de noter que l'on est bien dans le champ du conseil en évolution professionnelle et pas simplement dans celui de la formation : le service rendu porte sur le projet professionnel ; dans près de deux tiers des cas, le CEP consiste d'abord à prendre du recul et à réfléchir à son projet professionnel. La définition du projet professionnel peut éventuellement déboucher sur une formation – cela n'a concerné que 5 à 10 % des CEP –, mais ce n'est pas du tout systématique. Le troisième niveau du CEP, qui correspond à la plus grande intensité d'offre de service possible et à de l'ingénierie financière autour de la construction du projet professionnel, concerne environ 10 % des CEP. Le CEP ayant souvent été présenté comme un des deux piliers de la loi du 5 mars 2014, avec le compte personnel de formation (CPF), beaucoup considéraient le dispositif comme visant à la formation professionnelle. Il est donc intéressant de constater que le CEP va bien au-delà, conformément à la fonction que nous avons souhaité lui conférer.

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Le Fongecif Île-de-France nous dit qu'il y avait eu environ 150 000 CEP dans le domaine d'action de l'ensemble des Fongecif. Cela veut-il donc dire que les quelque 200 000 autres ont été pris en charge par Pôle emploi ?

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Hugues de Balathier-Lantage, chef de service, adjoint à la déléguée générale à l'emploi et à la formation professionnelle à la Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle, DGEFP du ministère du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

Il y a effectivement une très forte majorité de demandeurs d'emploi parmi les bénéficiaires du CEP et, au profit de ces demandeurs d'emploi, de CEP mis en oeuvre par Pôle emploi, notamment dans le cadre de son accompagnement dit « renforcé ». Dans le cadre de la convention tripartite conclue entre l'État, l'Unédic et Pôle emploi pour la période 2014-2018, l'un des axes forts de la stratégie de l'établissement public consiste en effet à faire de ce parcours d'accompagnement renforcé le CEP au sein de Pôle emploi.

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Quelle sera la place de l'État en matière de formation professionnelle en cas de fusion entre le FPSPP et le Conseil paritaire interprofessionnel national pour l'emploi et la formation (COPANEF) ?

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Hugues de Balathier-Lantage, chef de service, adjoint à la déléguée générale à l'emploi et à la formation professionnelle à la Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle, DGEFP du ministère du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

Cette fusion semble effectivement une évolution possible – et même fortement envisagée aujourd'hui par les partenaires sociaux – qui, sur le principe, est plutôt accueillie favorablement par le Gouvernement. Le COPANEF étant plutôt un organe politique et le FPSPP, un organe gestionnaire, il est beaucoup plus sain que le premier soit intégré au second.

Les modalités de cette fusion n'ayant pas encore été pleinement définies par les partenaires sociaux, nous allons avoir avec eux des discussions – s'agissant notamment du point que vous avez soulevé : la place de l'État au sein du nouvel ensemble. Peut-être faudra-t-il amender le projet de loi qui sera bientôt débattu. Mais nous avons clairement indiqué que l'État n'avait pas vocation à perdre cette place. Plusieurs solutions peuvent être envisagées, notamment celle d'un système à deux étages, l'État étant alors présent à la fois au sein d'un comité d'orientation et du conseil d'administration de l'organisme. Pour nous, l'essentiel n'est pas tant la fusion de la structure que l'intégration du COPANEF au sein du FPSPP.

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Le FPSPP a été créé pour traiter de questions résiduelles ne pouvant être réglées dans le cadre de l'articulation entre systèmes de formation professionnelle et d'assurance chômage. Avez-vous songé à aller plus loin et à en faire un véritable fonds d'assurance formation, intégrant les OPCA et les Fongecif ?

Plus généralement, vous avez évoqué plusieurs organismes paritaires ayant un lien fort avec la DGEFP : quels sont, selon vous, les modèles de fonctionnement les plus efficaces ? Je pense notamment à deux modèles opposés : l'un, tripartite ou quadripartite, dans lequel l'État est présent au conseil d'administration de l'organisme – les clefs de répartition entre les acteurs restant à déterminer – ; l'autre, dans lequel les partenaires sociaux négocient entre eux, l'État étant présent à la fois comme observateur ou contrôleur financier et dans le cadre d'un conventionnement ou d'un système d'agrément. En pratique, l'un de ces deux modèles fonctionne-t-il mieux que l'autre ? Ou bien, dès lors que l'on est autour de la table, cela n'a-t-il pas d'importance ?

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Pourrait-on envisager un renforcement de la présence de l'État et des régions dans la gouvernance de cette nouvelle instance et, en compensation, un renforcement de celle des partenaires sociaux au sein de Pôle emploi ?

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Hugues de Balathier-Lantage, chef de service, adjoint à la déléguée générale à l'emploi et à la formation professionnelle à la Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle, DGEFP du ministère du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

Je ne crois guère à l'application d'un modèle unique à des champs différents. On est notamment tantôt dans le champ concurrentiel, tantôt dans le champ des services d'intérêt économique général, auquel cas le droit européen impose la définition d'un mandat de service public. Au-delà des raisons historiques, la variété des modèles existants s'explique aussi par des formes de légitimité différentes et une diversité des champs en cause. Cela étant, dès lors qu'une structure perçoit des contributions pouvant être assimilées à des impositions de toute nature, la présence d'un CGEFI est probablement indispensable.

Quant à la participation systématique de l'État au sein du conseil d'administration des organismes paritaires, ce n'est pas une revendication de la DGEFP. L'État dispose d'autres outils d'intervention : dans le domaine de l'assurance chômage par exemple, il n'est pas présent à la table des négociations, mais dispose d'un pouvoir d'agrément. Historiquement, il lui est déjà arrivé, au début des années 2000, de refuser d'accorder un agrément. Cet outil juridique est aussi un outil politique permettant, en amont, au Gouvernement de peser – publiquement ou officieusement – sur les négociations, même lorsqu'il n'est pas autour de la table.

Les partenaires sociaux sont déjà majoritaires dans le conseil d'administration de Pôle emploi : l'État l'a ainsi prévu, lorsqu'il a créé cet organisme, en raison de leur importance dans ce champ d'action et du fait que Pôle emploi collecte 10 % de contributions pour le compte de l'Unédic. Dès lors, il n'appartient qu'à eux de monter en puissance et de faire front uni face à d'autres acteurs.

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Les représentants du Fongecif Île-de-France nous ont fait savoir qu'ils étaient contrôlés par la Cour des comptes, celle-ci assimilant les fonds qu'ils gèrent à des deniers publics. Serait-il envisageable que le Gouvernement fournisse au Parlement un jaune budgétaire couvrant l'ensemble des champs du paritarisme ? Peut-être me direz-vous que c'est à la DGT de répondre à cette question, mais qu'en est-il selon vous ?

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Hugues de Balathier-Lantage, chef de service, adjoint à la déléguée générale à l'emploi et à la formation professionnelle à la Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle, DGEFP du ministère du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

Nous avons déjà un jaune budgétaire très compliqué à élaborer chaque année concernant la formation professionnelle. Peut-être prenez-vous conscience, au fur et à mesure de votre mission, de la difficulté qu'il y a à rassembler toutes les données dont vous avez besoin. J'ignore s'il conviendrait de le faire annuellement et sous forme de jaune budgétaire : cette question relève plutôt de la compétence de la DGT. Mais il serait assurément très intéressant que l'ensemble des acteurs dispose de davantage de données.

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Comme nous le disions avec Jean-Louis Borloo, « notre responsabilité est de nous en tenir à ce qui est difficile ».

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Nous avons demandé à Mme la ministre du travail de nous fournir un panorama du paritarisme, tant sur le plan quantitatif – afin de savoir quelle part de l'argent public est gérée par les partenaires sociaux et de disposer d'indicateurs de gestion – que sur celui des droits couverts et des personnes mobilisées pour rendre ces services publics et assurer ces garanties collectives. Nous avons certes obtenu des réponses de votre part concernant tous les organismes qui dépendent de vous, mais à ce stade de notre mission, alors que nous travaillons depuis plusieurs mois, nous restons dans l'attente d'informations d'ensemble.

Nous sommes aussi preneurs de vos réflexions concernant l'économie collaborative. Réfléchir à l'avenir du paritarisme implique à la fois que nous déterminions qui doit faire quoi dans notre société, mais aussi que nous formulions des recommandations visant à adapter le système aux nouvelles formes d'économie. À cet égard, plusieurs questions se posent à nous : celle de la représentation d'acteurs économiques fournissant un travail sans être affiliés à un syndicat de salariés ni à un syndicat patronal ; celle de leur association aux négociations ou aux concertations les concernant ; celle de l'impact des activités à fiscalité sociale avantageuse sur le financement du paritarisme, souvent assis sur la masse salariale ; enfin, celle des droits sociaux dont devraient bénéficier les personnes exerçant une activité du type Blablacar, Uber ou Airbnb, et de la contribution qu'elles devraient apporter en contrepartie.

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Hugues de Balathier-Lantage, chef de service, adjoint à la déléguée générale à l'emploi et à la formation professionnelle à la Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle, DGEFP du ministère du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

Je serai prudent dans ma réponse, m'aventurant sur des terres qui sont plutôt celles de la DGT. Nous avons mené des réflexions sur les nouvelles formes d'emploi, concept plus large que celui de la seule économie collaborative, notamment dans le cadre de nos travaux préparatoires sur le CPA – réflexions qui se structurent autour de quatre grandes options. La première consisterait à réintégrer ces travailleurs au sein du salariat ; la deuxième, à les insérer dans le champ classique des travailleurs indépendants ; la troisième, à construire un nouveau statut intermédiaire – option très intéressante sur le plan intellectuel, mais qui risque de nous conduire à recréer deux « zones grises », c'est-à-dire deux problèmes, là où il n'y en a qu'une actuellement ; la quatrième, à créer un statut unique d'actif pour l'ensemble des salariés, des travailleurs indépendants et de ces nouveaux travailleurs. Les réponses aux autres questions que vous avez posées dépendent de l'option qui sera retenue. Les évolutions en cours nous conduiront probablement à être moins tranchés que cela, ces quatre grands modèles types n'étant pas forcément complètement exclusifs les uns des autres.

La logique du CPA consiste plutôt à faire un pas vers la quatrième option sans que la philosophie du dispositif puisse se réduire à la seule consécration d'un droit de l'actif – sachant que, derrière l'élaboration d'un statut de l'actif, peut se profiler l'idée d'un socle commun assorti de droits plus spécifiques à chacun des différents statuts. Certains juristes, spécialistes du droit social, défendent l'idée d'un système qui, au-delà du droit commun, s'appuierait non pas sur les anciens statuts de salarié et d'indépendant, mais sur un continuum qui dépendrait du degré d'autonomie ou de subordination du travailleur. Le CPA, qui guide notre réflexion en la matière, repose sur cette logique de socle d'avantages communs et de transférabilité de certains droits – attachés à la personne et non plus à l'emploi.

À long terme, un pas supplémentaire pourrait être franchi en faveur d'une fongibilité entre les droits. Il existe d'ailleurs déjà une fongibilité asymétrique entre le C3P et le CPF. Avec le projet de loi qui sera bientôt soumis aux deux assemblées, nous nous apprêtons à poser les premières fondations d'un rapprochement entre ces deux comptes au sein du CPA – qui comprendra peut-être à terme d'autres dispositifs – et donc à progresser vers une fongibilité des droits. Cela soulève évidemment de nombreuses questions : quels droits doivent être fongibles ? Selon quelles modalités ? La fongibilité doit-elle être symétrique ou asymétrique ? La fongibilité des droits à la retraite dans ce système semble périlleuse. Celle des droits liés à l'assurance chômage semble plus intéressante, mais uniquement pour certains types de droits. Ces questions restent cependant au stade de la réflexion – avec d'autres administrations telles que la DGT ou les groupes de travail de France Stratégie – même si nous avons déjà beaucoup travaillé à cette nouvelle étape législative.

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Concrètement, que changera le projet de loi au CPA, sachant que la loi en vigueur prévoit déjà la possibilité de transformer des points retraite en droits à formation et que le compte personnel de formation est plus fortement attaché à la personne que ne l'étaient auparavant les droits à formation ?

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Hugues de Balathier-Lantage, chef de service, adjoint à la déléguée générale à l'emploi et à la formation professionnelle à la Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle, DGEFP du ministère du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

En vous répondant, j'anticipe probablement sur la discussion parlementaire à venir du projet de loi qui est présenté en ce moment même en conseil des ministres. Les articles 21 et 22 de ce texte créent le concept même de CPA, cadre commun au C3P et au CPF entre lesquels le lien préexistait effectivement. Le texte crée aussi un « compte engagement citoyen » qui servira de réceptacle aux jours de congé octroyés par l'employeur et permettra l'acquisition d'heures de formation. Mais il est vrai que l'essentiel des droits nouveaux prévus par le projet de loi dans le cadre du CPA seront articulés autour de l'élément essentiel qu'est le CPF – qui sera ouvert à d'autres usages que la seule formation. Un tel changement de nature risque d'être débattu, car il constitue une vraie nouveauté.

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Nous vous remercions pour ces précisions et comptons sur vous pour nous apporter les réponses aux questions sur le paritarisme que nous avons adressées à Mme la ministre du travail.

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Nous souhaiterions également que le ministère du travail fasse un travail de coordination pour nous aider à compiler l'ensemble des données dont nous avons besoin.

La séance est levée à douze heures vingt-cinq.