La séance est ouverte.
La séance est ouverte à vingt-deux heures.
L’ordre du jour appelle les questions sur la politique pénale.
Je vous rappelle que la conférence des présidents a fixé à deux minutes la durée maximale de chaque question et de chaque réponse, sans droit de réplique.
Nous commençons par les questions du groupe UMP.
La parole est à M. Philippe Goujon.
Madame la garde des sceaux, le 2 février, le Conseil d’État annulait partiellement votre circulaire du 31 mars 2013, fixant la clé de répartition des mineurs isolés étrangers entre les départements, à la demande, précisons-le, du conseil général des Alpes-Maritimes.
Aujourd’hui, Paris et la Seine-Saint-Denis, qui en accueillent jusqu’à un tiers, constituent des zones d’influence particulièrement tendues, comme les Alpes-Maritimes d’ailleurs. La Mairie de Paris les estime à 16 000, soit trois fois plus qu’il y a cinq ans et le budget dédié à leur accueil a triplé, passant de 31 à 93 millions, soit un quart des 400 millions du budget de l’aide sociale à l’enfance.
L’Assemblée des départements de France, encore de gauche pour quelques jours, a dénoncé la compensation insuffisante de ce coût pour l’État qui ne prend en charge qu’un cinquantième des 50 000 euros par an que représente l’accueil d’un mineur étranger isolé. Or le Gouvernement a supprimé l’article 24 bis de la loi NOTRe qui revalorisait cette compensation. En pratique, ce sont donc principalement les Parisiens qui assument les conséquences budgétaires de la politique nationale d’immigration d’essence régalienne.
Madame la ministre, quand l’État compensera-t-il le coût de sa politique migratoire, que l’on peut considérer comme indûment supportée, même si c’est partiellement, par les Parisiens ? Allez-vous réintroduire la clé de répartition des mineurs isolés qui permettrait d’équilibrer cette charge entre tous les départements ? Alors que les mineurs étrangers délinquants représentaient 62 % des déferrements en 2013, il est tout aussi urgent de prendre les mesures d’expulsion ou d’extraction du milieu familial d’origine qui s’imposent. Combien de mesures de cette nature ont-elles été prises à Paris l’an dernier et depuis le début de l’année ? Enfin, alors que la délinquance des mineurs représente 18 % de la délinquance générale et 3 292 déferrements à Paris en 2013, et en référence à une promesse de campagne du Président de la République d’en multiplier le nombre, ne serait-il pas opportun, avec l’aide de la Ville de Paris, dont je ne saurais douter, d’ouvrir un centre éducatif fermé dans la capitale ?
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, monsieur le député Philippe Goujon, vous savez qu’au sujet des mineurs étrangers isolés, ce Gouvernement a mis en oeuvre et consolidé un dispositif qui permet de répartir les mineurs étrangers isolés l’ensemble du territoire de façon à ne pas surcharger les départements sur lesquels pesait une arrivée importante de ces mineurs et à en appeler aux autres départements. Vous savez parfaitement que cette répartition a été telle qu’aucun département, mais absolument aucun, n’a conservé la totalité des mineurs qui sont arrivés sur son territoire, ce qui témoigne de la pertinence et de l’efficacité de ce dispositif, conduit par un comité de pilotage national, qui rassemble le ministère de la justice, le ministère de l’intérieur, le ministère de la santé et des affaires sociales, ainsi que l’Assemblée des départements de France, laquelle s’est montrée parfaitement responsable dans ce processus puisque nous l’avons conçu et mis en place ensemble.
Le Conseil d’État n’a pas censuré la totalité de la circulaire, mais a simplement indiqué que, pour ce qui concerne la disposition de répartition sur l’ensemble du territoire, il était souhaitable de disposer d’une base législative et non pas seulement réglementaire, ce qui n’a pas remis en cause ce dispositif. Au contraire, la pertinence en a été reconnue. Le Gouvernement assume ses responsabilités car, avant notre arrivée, c’était essentiellement le département de la Seine-Saint-Denis, Paris en tant que ville et département, l’Ille-et-Vilaine et quelques autres départements qui assumaient une charge relevant de l’État. Nous avons mis en place et systématisé la prise en charge par l’État de toute la période relative à la définition de l’âge du mineur. L’ensemble des départements en a profité car un département n’a conservé au maximum que la moitié des mineurs qui y sont arrivés.
Nous examinerons dans quelques jours le projet de loi relatif au renseignement qui est marqué, alors que le contexte de lutte contre le terrorisme imposerait des réponses judiciaires fortes, par l’absence de tout volet judiciaire.
Je voudrais vous interroger ce soir sur un point particulier qui a motivé la saisine par un syndicat de magistrats de la commission d’enquête sur le suivi des filières djihadistes et qui est l’une des conséquences de la loi relative à la réforme pénale, que vous avez portée, en particulier de son article 9 qui supprime l’autorisation préalable de sortie du territoire pour les condamnés à un sursis avec mise à l’épreuve.
Avant l’entrée en vigueur de cette loi aux conséquences catastrophiques pour la délinquance dans notre pays, il était obligatoire d’obtenir une autorisation du juge de l’application des peines. Si la personne condamnée passait les frontières sans cette autorisation écrite, elle pouvait être arrêtée et le juge de l’application des peines pouvait la sanctionner.
Désormais, la personne assujettie au sursis avec mise à l’épreuve doit seulement informer préalablement le juge de l’application des peines. Cette nuance est source de difficultés majeures et présente un risque de sortie du territoire national par des personnes qui peuvent rejoindre les théâtres d’opération de guerre. Dans le contexte de lutte contre le terrorisme qui doit nous mobiliser, nous vous demandons solennellement, madame la garde des sceaux, de revenir sur cet article extrêmement dangereux.
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
Monsieur le député, je ne veux croire que ce soit par mauvaise foi, mais par mauvaise interprétation que, manifestement, vous comprenez cet article en dehors de ce qu’il signifie. Cette réforme pénale, qui concerne des condamnés de droit commun, qui font l’objet de dispositions pour la plupart déjà inscrites dans la loi pénitentiaire de 2009 et relatives aux conditions dans lesquelles se réalise le suivi de ces personnes qui tombent sous le coup du contrôle du juge d’application des peines, ne contrecarre en aucune mesure les dispositions de la loi du 13 novembre 2014. Vous savez que cette loi autorise par voie administrative l’interdiction de la sortie du territoire de même que l’interdiction d’entrée sur le territoire. Elle renforce de surcroît les conditions d’assignation à résidence.
Par conséquent, il n’y a aucun risque mais vous persistez, par une vue de l’esprit, à faire ce procès permanent à la réforme pénale alors qu’elle instaure des dispositifs très efficaces, qu’il s’agisse de l’individualisation de la peine ou du suivi des personnes à leur sortie de prison – ce qui ne se produisait pas sous votre législature puisqu’on ne dénombrait pas moins de 90 % de sortie sèche, 98 % pour les maisons d’arrêt et les courtes peines.
J’ai presque envie de vous appeler à l’humilité car quand on voit les résultats de votre politique pénale, en particulier le triplement de la récidive entre 2001 et 2011, lorsque l’on lit le rapport de M. Ciotti de 2011 et les propositions qu’il y inscrit, on réalise qu’en effet, incontestablement, vous êtes de mauvaise foi !
Il y a aujourd’hui dans nos prisons des individus condamnés dans des affaires liées au terrorisme djihadiste. Je veux invoquer en particulier le cas d’un individu placé à l’isolement à Fresnes, où je me suis rendu avec Pierre Lellouche. Il s’agit d’un certain Flavien Moreau, Nantais âgé de 28 ans, condamné cet automne par le tribunal correctionnel de Paris à sept ans de prison ferme pour avoir rejoint un groupe d’islamistes radicaux armés en Syrie.
Déjà condamné treize fois dès l’adolescence pour des délits de droit commun, ce délinquant multirécidiviste s’est converti et a basculé dans le djihadisme armé. Cet individu extrêmement dangereux est susceptible de sortir de prison dans quelques années. Il est Français et n’a pas, à ma connaissance, de double nationalité. Il ne pourra donc pas être expulsé de notre territoire.
Madame la garde des sceaux, que comptez-vous faire pour éviter cette sortie ? Pouvez-vous envisager qu’un djihadiste puisse, demain ou après-demain, être remis en liberté et circuler librement en France, en menaçant directement la sécurité de nos concitoyens ? Ce n’est pas acceptable, aussi avec MM. Ciotti et Goujon mais aussi l’ensemble des députés UMP, nous vous proposons qu’en pareil cas, une rétention de sûreté puisse être prononcée par une juridiction spécialisée afin que de tels individus, à la fin de leur période de prison, ne soient pas remis en liberté mais placés dans des centres de rétention spécialisés. Nous sommes convaincus de la nécessité de prévoir cette mesure pour les individus qui seront condamnés dans des affaires de djihadisme en étendant le champ de la loi de 2008 telle qu’elle avait été validée en partie par le Conseil constitutionnel, que vous aviez à l’époque saisi en tant que députée de l’opposition.
Il en va de la sécurité des Français. Vous avez la responsabilité de les protéger.
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
Oui, c’est notre responsabilité et nous l’assumons pleinement. Je ne comprends pas pourquoi vous avez cité un cas particulier. Nous veillons à assurer la surveillance de tous ceux qui font l’objet de condamnations pour actes terroristes ou complicités d’actes terroristes. Nous devons assécher le terreau de recrutement dans les établissements pénitentiaires. D’ailleurs, seules 14 % des personnes de ces établissements ont pu, éventuellement, se radicaliser en prison, ce qui signifie, puisque vous en appelez à notre responsabilité à tous, que nous devons travailler sur les 86 % qui se radicalisent ailleurs, en particulier sur internet et les réseaux sociaux.
Nous assurons la surveillance des personnes qui font l’objet de condamnations ou dont le procès pour acte de terrorisme est en cours. Nous le faisons efficacement. Nous connaissons d’ailleurs parfaitement la situation de ces personnes, celles qui sont très radicalisées sont isolées, celles qui sont en processus de radicalisation sont isolées dans un lieu dédié.
La question n’est pas ce que vous inventez mais celle de la réalité. Or, les décisions de justice sont prononcées par les magistrats. La rétention de sûreté que vous avez inscrite dans le droit a fait l’objet d’une censure par le Conseil constitutionnel.
Cette rétention n’est pas conforme aux fondements de notre droit. Elle est inspirée par une loi nazie de 1933 qui a été censurée par la Cour européenne des droits de l’Homme en décembre 2009. Nous voulons pour notre part prendre des mesures efficaces et durables plutôt que donner des illusions à nos concitoyens.
Nous passons aux questions du groupe UDI.
La parole est à M. Yannick Favennec.
Madame la garde des sceaux, il y a un peu plus d’un an, le 25 février 2014, j’avais attiré votre attention sur la situation des citoyens tirés au sort pour exercer des fonctions de jurés lors des procès d’assises. La difficulté de leur tâche ne doit pas être sous-estimée car ces hommes et ces femmes sont confrontés au détail de faits criminels extrêmement graves. Cette expérience représente bien souvent une épreuve pour ces citoyens. Contrairement aux magistrats professionnels qui ont fait le choix de la magistrature, ces jurés sont parfois confrontés, sans aucune préparation, à des faits dont la gravité et l’horreur peuvent provoquer un stress et des conséquences psychologiques sérieuses.
Si le rôle du président de la cour d’assises, dans l’information et le soutien psychologique des jurés, ne doit pas être négligé, certains procès méritent une assistance d’une autre nature, ponctuelle, en amont et en aval du déroulement du procès. C’est pourquoi j’avais déposé une proposition de loi dont l’objet était de compléter le code de procédure pénale afin de permettre au président de la cour d’assise, lorsqu’il l’estime nécessaire, eu égard aux retentissements psychologiques qu’un procès est susceptible de provoquer sur les jurés, de décider de mettre en place un soutien en leur faveur.
Vous m’aviez alors répondu que, pour certaines affaires, il conviendrait de prêter attention aux effets que ces procès pourraient avoir sur les jurés et vous m’aviez indiqué que vous demanderiez à l’administration une étude d’impact pour déterminer les conséquences de la présence d’équipes de psychologues dans les jurys d’assise. A-t-elle été réalisée ? Si oui, quels en sont les résultats ?
Applaudissements sur les bancs du groupe UDI.
Vous m’aviez en effet interrogée l’an dernier sur ce point, monsieur Favennec ; je vous avais alors répondu que cette suggestion était la bienvenue et que j’y prêterais la plus grande attention.
C’est ce que j’ai fait, à telle enseigne que lors du procès intenté pour des crimes contre l’humanité perpétrés au Rwanda, nous avons créé une cellule psychologique. Il va de soi que les victimes ont été prises en charge dans le dispositif mis en place à l’intention des personnes qui subissent des traumatismes de cette gravité, mais nous avons également créé une cellule de soutien psychologique pour les jurés, qui a travaillé dès la présentation des premiers témoignages et la projection d’images témoignant du génocide.
S’agissant des attentats de janvier 2015, nous avons également créé une cellule de soutien psychologique qui a été extrêmement utile, en particulier aux magistrats : comme vous le savez, les magistrats de la section C1 comme l’ensemble du parquet de Paris et des magistrats du Siège ont assuré des permanences pendant plusieurs semaines. C’est compte tenu de leur forte mobilisation et des effets de la tragédie que nous avons tous vécue que nous avons également mis en place une cellule de soutien psychologique.
Je précise que ceux qui sont ainsi mobilisés sont soit des psychologues de l’administration pénitentiaire, soit des psychologues du travail. Le groupe de travail que j’ai créé, comme je vous l’ai dit, doit me remettre ses conclusions dès le mois d’avril. Nous envisageons de généraliser ce dispositif pour les magistrats et les greffiers des juridictions car nous en avons perçu le besoin. S’agissant des jurés ou juges occasionnels, nous élargirons le dispositif en recourant à des psychologues rompus aux questions judiciaires et aptes à apporter des réponses plus adaptées.
Je me réjouis donc de la suggestion que vous nous avez faite : vous voyez qu’elle est déjà appliquée et que nous allons la généraliser.
La parole est à M. François Rochebloine, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Permettez-moi, madame la ministre, de revenir sur un dossier qui me tient particulièrement à coeur, que j’ai déjà plusieurs fois évoqué dans cet hémicycle et pour lequel je reste en attente d’une réponse de votre part. Il s’agit du devenir de la maison d’arrêt de la Loire qui est implantée sur le territoire de la commune de La Talaudière.
Comme je l’ai souligné lors de l’examen du dernier projet de loi de finances, cet établissement est vétuste et ne répond plus aux normes en vigueur. Sa reconstruction est envisagée depuis plusieurs années mais, hélas, nous savons que les difficultés budgétaires que nous connaissons depuis plusieurs années ont conduit à différer sa programmation.
Pourtant, de récents arbitrages sembleraient confirmer que la reconstruction de l’établissement est enfin reconnue comme la seule solution réaliste – ou du moins est-ce ce que laisse supposer la lettre d’information interne du ministère de la justice que vous avez publiée, madame la garde des Sceaux.
Les personnels de la maison d’arrêt m’ont fait part de plusieurs interrogations concernant cette opération, tout comme les riverains immédiats qui subissent depuis plusieurs décennies les nuisances liées aux parloirs sauvages.
Aussi, madame la ministre, pourriez-vous me préciser les intentions du ministère de la justice s’agissant de la nature de l’opération projetée en 2017, sa localisation et le calendrier prévu ? Vos réponses sont très attendues, sachant que je vous ai adressé des courriers à ce sujet le 24 novembre 2014 puis le 27 février 2015 – courriers qui, à ce jour, sont hélas demeurés sans réponse.
Enfin, je souhaiterais vous rappeler la situation de l’association Auxilia, reconnue d’utilité publique, qui fournit à près de trois mille détenus un service d’enseignement à distance grâce à un réseau de bénévoles exceptionnels – réseau que je connais bien, puisque mon épouse y participe.
Malheureusement, cette structure se heurte à de grosses difficultés en raison de la baisse de ses ressources. Quelles réponses le Gouvernement compte-t-il apporter à cette situation ? Je précise qu’il s’agit de bénévolat total !
Permettez-moi tout d’abord, monsieur le député, de rappeler le programme de construction immobilière par lequel nous avons décidé non seulement de rénover mais aussi d’étendre le parc immobilier de la justice. Un premier programme triennal d’extension porte sur 6 500 places supplémentaires nettes ; un deuxième programme triennal pour lequel les autorisations d’engagement vous ont été présentées dans le dernier projet de loi de finances prévoit la construction de 3 200 places supplémentaires nettes. Autrement dit, ce sont plus de 6 500 places nettes qui seront construites, tandis que 3 200 places vétustes seront fermées.
L’établissement de La Talaudière, que vous évoquez, fait partie des quinze établissements considérés comme particulièrement vétustes. Deux critères principaux ont été retenus : la vétusté et la surpopulation carcérale. À cet égard, Maurice Vincent et Régis Juanico se sont fortement mobilisés.
Vous l’avez déjà dit ! Je suis moi aussi intervenu à plusieurs reprises !
En règle générale, sur les territoires, l’action des élus s’additionne.
C’est trop facile ! Cela fait beaucoup plus longtemps que je suis ce dossier ! Ne faites pas de politique politicienne sur ce sujet !
Je le répète : l’action des élus s’additionne, et c’est tant mieux. Il m’arrive de recevoir à la Chancellerie des élus de sensibilités différentes constitués en délégations qui prouvent que la mobilisation républicaine est entière dans l’intérêt des territoires.
Concernant l’établissement de La Talaudière, le préfet et les élus locaux sont chargés de trouver un terrain d’assiette.
Je souhaite que ce terrain se situe en ville, car il est important que les établissements pénitentiaires soient accessibles, de sorte que les liens familiaux et sociaux soient maintenus.
Permettez-moi simplement de conclure en un mot, monsieur le président : les travaux se poursuivront jusqu’à la signature du contrat.
Concernant l’association qui vous préoccupe, vous savez que je la recevrai prochainement à la Chancellerie. Quoi qu’il en soit, mon intention n’était pas de diminuer vos mérites, monsieur le député !
La parole est à M. Philippe Vigier, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Je souhaite, madame la garde des Sceaux, appeler une nouvelle fois votre attention sur le malaise grandissant qui touche l’ensemble des personnels pénitentiaires. Vous savez qu’ils sont mobilisés depuis 2013 pour dénoncer leurs conditions de travail qui ne cessent de se détériorer, la surpopulation carcérale et la très forte augmentation du nombre d’agressions. J’ai en mémoire le cas sur lequel je vous ai précisément alertée d’un jeune gardien de Châteaudun qui, le 3 février dernier, a été très violemment agressé – j’espère qu’il n’en conservera aucune séquelle.
Ces faits sont récurrents, ces violences toujours plus nombreuses : prises d’otages, recrudescence des émeutes, et puis ce fameux article 57 de la loi pénitentiaire qui, comme vous le savez très bien, limite considérablement la fouille au corps des détenus.
Cette montée de l’insécurité en milieu carcéral exige une réponse de l’administration pénitentiaire. Il faut accorder davantage de moyens humains et matériels et réaliser des travaux de sécurité, car il faut tout simplement ramener le calme dans ces établissements et permettre aux surveillants d’exercer leur mission dans des conditions de sécurité indispensables.
Aujourd’hui, ces personnels pénitentiaires ont le sentiment d’être abandonnés.
Vous savez que de très nombreux postes sont vacants, et que l’encadrement des détenus n’est plus convenablement assuré. C’est de la reconnaissance du travail des surveillants dont il s’agit, madame la ministre, et l’on ne saurait laisser les choses en l’état !
Mes questions sont donc simples. À l’heure où je vous parle, mille surveillants n’ont pas été remplacés. Quand le seront-ils ?
Les organisations syndicales vous demandent – à vous qui êtes attachée au dialogue social – de faire en sorte que se tiennent des états généraux du monde pénitentiaire. Quand auront-ils lieu ? Les surveillants attendent cette réponse avec une impatience permanente.
Enfin, il se pose un problème statutaire que vous connaissez parfaitement, madame la ministre : l’alignement du statut des surveillants de catégorie C sur celui des fonctionnaires de police de catégorie B. Je vous remercie de me répondre avec précision !
Applaudissements sur les bancs du groupe UDI.
Je reconnais votre constance, monsieur le président Vigier, et la régularité avec laquelle vous m’interrogez sur cet établissement. Vous savez que nous sommes préoccupés par tous les incidents qui interviennent dans nos établissements, au point que j’ai établi dès janvier 2014 un plan de lutte contre la violence qui produit ses effets.
S’agissant de l’établissement auquel vous faites référence, nous avons suivi de très près l’agression qu’a suivi ce surveillant et ses suites. D’autre part, j’ai demandé à l’inspection des services pénitentiaires d’évaluer les travaux que nous y avons effectués.
Vous évoquez l’article 57 : je vous rappelle qu’il se trouve dans la loi pénitentiaire et qu’il régule les fouilles en interdisant les fouilles systématiques. Deux choses demeurent : j’ai rétabli les fouilles sectorielles, ce qui a donné lieu à une évaluation de l’inspection. Surtout, nous avons, par un plan de sécurisation que j’ai décidé en juin 2013 pour un montant de 33 millions d’euros, mis en place les portiques de détection qui permettent d’appliquer efficacement l’article 57 de la loi pénitentiaire – lequel était auparavant applicable à ceci près qu’il n’existait aucune alternative à la fouille systématique. Nous avons donc fait installer des portiques de détection de masse métallique et à ondes millimétriques.
Ensuite, nous avons investi 67 000 euros pour installer des barreaux et des concertinas. Surtout, des travaux sont en cours pour un montant de 470 000 euros, et ils seront achevés en 2016.
Non, ils seront achevés avant cette date. En 2016, les études techniques concernant la rénovation des équipements d’incendie seront effectuées.
Votre préoccupation concernant les effectifs est très juste. Vous savez qu’outre la création de 500 postes par année et les 681 postes que nous consacrons à l’ouverture et au renforcement d’établissements, j’ai obtenu en juillet 2014 un arbitrage concernant la création de 534 postes supplémentaires pour renforcer les équipes présentes dans les coursives. Ces postes manquaient : ils avaient été évoqués dans des lois de finances mais n’avaient jamais été créés. c’est sur cette base que j’ai obtenu qu’ils soient créés en plus et en cours d’année.
Cet établissement sera donc renforcé et se situe au niveau de la moyenne nationale, soit 93 % de couverture. Cela étant, il recevra dans quelques mois l’appoint de quatre surveillants supplémentaires, ce qui lui permettra d’améliorer davantage son taux de couverture par rapport à cette moyenne nationale.
La parole est à M. Joël Giraud, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
Selon les données de la Cour européenne des droits de l’homme, madame la garde des Sceaux, la France a été condamnée près de trois cents fois pour effraction aux délais raisonnables de jugement. Si de nombreux efforts ont été consentis en matière civile, qu’en est-il des délais moyens de traitement des procédures pénales ?
Le projet de loi de finances pour 2015 affiche une prévision de baisse de ces délais. Pour les délits, le délai moyen prévu est de 12,4 mois en 2015 contre 12,6 mois en 2012 ; pour les crimes, il est de 35,8 mois en 2015 contre 36,1 mois en 2012 ; enfin, il est prévu une augmentation des délais en cassation qui passeraient de 163 jours en 2012 à 170 jours en 2015.
En matière de crime, le délai moyen est en hausse depuis 2010, en raison de la complexification des dossiers d’assises, de l’augmentation du nombre de dossiers connus par les juridictions interrégionales spécialisées, les JIRS, et de la hausse des contentieux économiques et financiers. Parallèlement, le temps moyen qui est nécessaire au règlement d’un dossier d’assises est aussi en hausse.
On constate donc une hausse globale du délai de traitement des affaires qui est notamment liée à un problème de gestion des juridictions, les magistrats ne se consacrant plus principalement à leur mission de dire le droit, mais étant aussi chargés de fonctions administratives en sus de leurs fonctions juridictionnelles.
Pour enrayer cette difficulté, le projet de loi de finances pour 2015 a augmenté les crédits alloués pour les greffiers auxiliaires de justice en accroissant les effectifs et les rémunérations, et en leur reconnaissant de nouvelles compétences. Ainsi, nous nous interrogeons sur les possibilités de réduction des délais de jugement. Si des efforts ont été entrepris, sont-ils suffisants et quels sont-ils ?
J’appelle en particulier votre attention sur les mineurs : en effet, des délais trop longs sont totalement contradictoires avec la notion de pédagogie de la peine. De même, quels sont les résultats envisagés suite à l’augmentation des effectifs des greffes et au recentrage des magistrats sur leur mission de dire le droit ?
Vous avez raison, monsieur le député, de lier les questions des effectifs et des procédures avec celle des délais, car elles sont étroitement imbriquées.
En matière délictuelle, les délais sont en moyenne de 12,6 mois ; c’est encore trop long, mais c’est relativement stable. En matière criminelle, les délais sont beaucoup plus longs, même s’il est vrai que les affaires criminelles sont beaucoup moins nombreuses que les affaires délictuelles.
Vous évoquez les délais de traitement des affaires concernant des mineurs : c’est là aussi une question extrêmement importante, car l’une des conditions d’efficacité de la justice des mineurs réside dans la célérité de la réponse.
Il va de soi que ces délais s’expliquent pour partie par les effectifs présents dans les juridictions, qu’il s’agisse de magistrats ou de greffiers. Comme vous le savez, nous conduisons une politique volontariste de recrutement depuis le début de la législature, puisque nous avons ouvert plus de trois cents postes chaque année. Or, il faut 31 mois pour former un magistrat ; la troisième promotion est en formation. Ce n’est qu’en 2015 que le solde deviendra positif, parce qu’il se trouve que les ouvertures de postes décidées sous le quinquennat précédent n’ont pas suffi – elles n’ont été que d’une centaine par an en moyenne, alors qu’il aurait fallu ouvrir trois cents postes par an. Ainsi, les 1 400 départs à la retraite qui se sont produits au cours du quinquennat n’ont pu être couverts.
Avec l’arrivée en fin d’année de 340 magistrats formés dans les juridictions, nous aurons pour la première fois un solde positif, c’est-à-dire plus d’arrivées que de départs. Ce sont également 1 074 greffiers qui arriveront dans les juridictions d’ici à la fin de l’année. Cet apport d’effectifs nouveaux permettra de gérer plus efficacement les nombreuses affaires à traiter.
Il faut en effet recentrer les magistrats sur leur mission principale, car au cours des dernières années un certain nombre de lois ont multiplié leurs missions. Mais les expérimentations que nous avons lancées dans le cadre du projet « J21 » permettent de penser que nous pourrons améliorer l’efficacité du travail des magistrats.
La parole est à Mme Jeanine Dubié, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
Madame la garde des sceaux, selon les estimations, l’argent du crime représente entre 2 et 10 % du PIB mondial. Cette criminalité favorise un capitalisme qui a perdu tout sens moral et qui est un puissant facteur de déstabilisation des démocraties.
Nous ne pouvons nous y résoudre et c’est la raison pour laquelle la lutte contre cette criminalité organisée, notamment financière, doit désormais porter sur plusieurs fronts et intégrer à l’enquête pénale une approche patrimoniale.
Il s’agit d’une part de mieux appréhender l’environnement des délinquants et de prendre la mesure de leur patrimoine et du degré de professionnalisation de leur activité, d’autre part de dynamiser la pratique des saisies et des confiscations.
Saisir et confisquer présentent un triple intérêt : priver les auteurs des gains issus de leur activité délinquante, mieux indemniser les victimes et faire bénéficier les institutions de la République des biens confisqués, les sommes résultant des confiscations prononcées étant versées in fine soit à la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives, soit à l’État.
Le rapport annuel de l’Agence de gestion de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, qui a pour rôle d’améliorer le traitement judiciaire des saisies et des confiscations en matière pénale, et d’assurer la vente et la gestion de toutes les sommes saisies, fait état, depuis sa création en 2010, d’environ 60 000 biens saisis, pour un montant d’un demi milliard d’euros par an.
Madame la ministre, pouvez-vous nous indiquer plus précisément quelle politique pénale vous avez élaborée en la matière et quels en sont les résultats ?
Madame la députée, la saisie patrimoniale fait partie de la stratégie de la politique pénale que je défends avec beaucoup de force et que j’ai mise en oeuvre à travers l’AGRASC, l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués. Nous diffuserons très prochainement dans l’ensemble des juridictions un guide pratique, conçu par la Direction des affaires criminelles et des grâces et par l’AGRASC, qui a participé activement à la formation aux procédures de saisie et de confiscation des magistrats du parquet et du siège.
Nous avons introduit la stratégie patrimoniale dans notre politique pénale en sensibilisant les parquets et l’ensemble des juridictions pour qu’ils adoptent dès la phase de l’enquête une approche consistant à saisir les biens des délinquants et des criminels.
Nous avons obtenu des résultats puisque le montant des saisies immobilières de l’AGRASC est passé de 200 millions d’euros en 2011 à 660 millions en 2014, et les saisies de numéraire, créances et comptes bancaires ont atteint l’an dernier un montant de 159 millions d’euros, portant ainsi à 621 millions d’euros le total des saisies.
Les saisies ont en outre une dimension vertueuse dans la mesure où elles permettent d’indemniser les victimes, de financer une partie du budget de la MILDECA, la mission interministérielle de lutte contre les conduites addictives, et d’en restituer une partie au budget de l’État.
Ces dispositions ont été introduites dans le projet de loi relatif à la géolocalisation, avant d’être supprimées par le Conseil constitutionnel. Leur introduction dans la loi de novembre 2014 permet de financer le dispositif des repentis. C’est important car ce qui caractérise la criminalité organisée, c’est qu’elle est très astucieuse et qu’elle utilise des sociétés écrans et des relais. Les repentis, que nous appelons les collaborateurs de justice, nous permettent de gagner du temps. C’est donc un dispositif performant et vertueux.
Madame la garde des sceaux, ma question porte sur l’apologie du terrorisme. Nous en avions débattu au cours de l’automne dernier avec votre collègue Bernard Cazeneuve lors de l’examen du projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme. Les délits de provocation et d’apologie du terrorisme avaient alors été exclus de la loi de 1881 sur la liberté de la presse au motif qu’ils nécessitaient le recours aux techniques spéciales d’enquête.
Jusqu’à présent, ces infractions étaient rares : une condamnation pour provocation au terrorisme, entre 1994 et 2013, et vingt condamnations pour apologie.
Les véritables terroristes peuvent se voir imputer de nombreuses infractions, à commencer par l’association de malfaiteurs.
L’article 397-6 du code de procédure pénale prévoit d’exclure du champ des procédures de convocation par procès verbal et de comparution immédiate les délits de presse et les délits politiques, mais il ne s’applique pas au délit d’apologie du terrorisme qui pourrait pourtant relever de ces deux catégories.
C’est pourquoi, lors de l’examen du projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme, nous avions proposé d’exclure le délit d’apologie des infractions pouvant être jugées en comparution immédiate, mais nos amendements avaient été rejetés.
Juger des délits qui relèvent de l’opinion, même odieuse, dans un contexte de grande émotion, est souvent périlleux. Je souhaiterais connaître le nombre de condamnations et le quantum moyen des peines liées à ce délit, suite aux attentats de janvier, ainsi que les chiffres concernant les infractions jugées en comparution immédiate.
Je souhaiterais également connaître le suivi des condamnés, qui sont amalgamés à toutes les autres personnes condamnées pour terrorisme et dont le suivi des peines relève d’un juge spécialisé.
Enfin, le Gouvernement a fait part de son intention d’exclure de la loi sur la presse d’autres délits, notamment l’apologie de la haine raciale et l’homophobie. Cela nous semble risqué, madame la ministre. Pourquoi, par la suite, ne pas exclure le sexisme ? Quid de l’apologie d’autres crimes et délits ? Pourquoi ne pas exclure l’injure et la diffamation ? J’aimerais connaître la position du Gouvernement sur ces questions.
Monsieur le député, vous posez de nombreuses questions, or vous avez pu constater la rigueur avec laquelle le président mène notre débat… Ce n’est pas un jugement de valeur, monsieur le président ! Je ne parle que de la rigueur avec laquelle vous présidez, sachant que c’est une notion généralement positive.
Je vais vous indiquer, monsieur le député, les chiffres que vous attendez, et nous reviendrons sur l’exclusion de certaines infractions de la loi de 1881, car ce point soulève un débat de fond et exige que nous engagions une série de concertations.
Nous nous devons d’être efficaces en matière de réponse pénale sans fragiliser le dispositif de protection de la liberté d’expression et d’opinion, mais non sans avoir rappelé qu’aux termes de notre droit, le racisme, l’antisémitisme et la discrimination ne sont pas des opinions mais des délits.
Après les attentats des 7, 8 et 9 janvier, nous avons enregistré un accroissement de certaines infractions : attaques contre les lieux de culte, propos et actes racistes et antisémites, propos relevant de l’apologie du terrorisme.
Les juridictions ont eu à traiter 298 affaires, dont 185 ne faisaient pas l’objet d’une infraction concomitante. Ces 185 affaires concernaient 201 auteurs, dont 114 majeurs et 81 mineurs ; 50 personnes ont été jugées en comparution immédiate et 44 ont fait l’objet d’une convocation devant un juge, dont 31 devant un juge des enfants ; 12 personnes ont été mises en examen par un juge d’instruction et, parmi celles qui ont été condamnées, 58 % l’ont été à une peine totalement ou partiellement ferme, les autres ayant fait l’objet d’un sursis ou de sanctions éducatives.
Je vous remercie, madame la garde des sceaux, pour la précision de votre réponse.
Le 14 et le 21 janvier 2015, l’inspection des services pénitentiaires s’est rendue à la maison d’arrêt de Fresnes afin d’observer l’unité de prévention du prosélytisme. Cette nouvelle organisation, mise en place au cours de l’année 2014, consiste à regrouper des personnes détenues pour des faits de terrorisme.
Une quarantaine d’entretiens ont été réalisés avec les responsables de l’établissement et le personnel d’accompagnement ainsi qu’avec 22 membres de l’unité PRI, « pratique radicale de l’Islam », dont onze ont été écroués entre mars et décembre 2014, dix après un mandat de dépôt de 2013 et un condamné en 2010.
Les critères retenus présentent un certain nombre d’inconvénients, qui sont relevés dans le rapport de l’inspection : ainsi deux détenus réputés comme les plus nocifs sont incarcérés dans d’autres divisions.
L’unité de prévention du prosélytisme ne modifie en rien les conditions matérielles de la détention et n’assure pas une véritable étanchéité avec les autres détenus de la division, le régime de détention n’étant pas comparable à celui appliqué dans les quartiers d’isolement.
Une logique de regroupement a été initiée, sans analyse argumentée, sans dispositif d’accueil et d’observation opérationnel, sans accompagnement des personnels ni suivi des PRI et sans concertation avec les partenaires, notamment les SPIP, les services pénitentiaires d’insertion et de probation.
Quelles sont, madame la ministre, les mesures envisagées pour répondre aux nombreuses carences soulevées par le rapport de l’inspection, qui a été rendu public ? Quels sont les effets d’un tel regroupement sur le temps restant de la détention et sur les autres détenus ? Au-delà de la gestion de la détention, quel est le programme d’activités proposé pour les regroupés en vue de leur déradicalisation ?
Monsieur le député, il ne s’agit pas d’un regroupement mais d’une séparation qui concerne une vingtaine de détenus, choisis sur la base de la qualification pénale de leur condamnation en acte de terrorisme et qui ne sont pas en rupture avec l’institution. Les détenus en rupture avec l’institution, qui relèvent de la circulaire portant sur les détenus particulièrement surveillés, font l’objet d’un autre traitement.
Cette organisation est une initiative prise par le directeur de l’établissement. Dès que j’en ai eu connaissance, je me suis inquiétée des conditions dans lesquelles elle serait réalisée et de la rigueur avec laquelle elle serait conduite. J’ai immédiatement mobilisé l’administration pénitentiaire et souhaité évaluer cette initiative, c’est pourquoi j’ai chargé l’inspection des services pénitentiaires d’établir un rapport d’inspection.
Ce rapport, dont vous avez pris connaissance, montre qu’il est nécessaire de prévoir davantage de concertation, que le choix de la qualification pénale n’était pas le plus pertinent et qu’il serait opportun de mettre en place un dispositif permettant de juger l’organisation dans la durée. Mais le rapport montre surtout que le niveau de tension a baissé dans l’établissement. Je rappelle que les personnes concernées sont regroupées dans une aile dédiée, en cellule individuelle ou en cellule double. Elles ne participent pas aux promenades avec le reste de la population carcérale mais effectuent certaines activités en petit groupe et sous surveillance du personnel pénitentiaire.
Il s’agit donc d’un dispositif à l’étude, dont nous savons qu’il doit être amélioré.
Je rappelle que l’année dernière, j’ai lancé une recherche action qui nous permettra de conduire cette expérience de façon plus rigoureuse et plus efficace.
La parole est à M. Jean-Jacques Candelier, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Madame la garde des sceaux, après les attentats de janvier, le Premier ministre a annoncé la création, d’ici à la fin de l’année, de quartiers spécifiques au sein des établissements pénitentiaires afin d’isoler les individus considérés comme radicalisés, sur la base de l’expérience menée depuis l’automne dernier à la prison de Fresnes.
L’Observatoire international des prisons, l’OIP, a émis des doutes sur l’opportunité, en l’absence d’évaluation de l’expérimentation, de généraliser ce dispositif. L’OIP souligne en premier lieu que, de manière générale, les comportements radicaux, qu’ils soient religieux ou d’une autre nature, sont renforcés par la prison.
Il souligne également l’apparition d’un énorme sentiment de stigmatisation de l’Islam par rapport aux autres religions et relève que le traitement différentiel des détenus attise un sentiment d’injustice et de colère.
L’installation de quartiers spécifiques soulève plusieurs questions : quels sont les critères retenus pour placer un détenu dans un tel quartier ? À partir de quand commence une pratique radicale de l’Islam ? Par ailleurs, comme le souligne Jean-Marie Delarue, s’il est possible de séparer ceux qui ont été condamnés pour des faits de terrorisme en lien avec l’Islam radical, que faire des islamistes radicaux placés en détention provisoire ? Peut-on les séparer alors qu’ils ne sont pas condamnés ?
En outre, l’ancien contrôleur général des lieux de privation de liberté note le développement d’une radicalisation qui s’opère de manière discrète, et il insiste sur la difficulté de mesurer et de contrer ce phénomène.
Enfin, ce dispositif pourrait s’avérer contre-productif dans la mesure où la mise à l’écart de détenus pourrait en faire des boucs émissaires aux yeux des autres détenus et créer des solidarités.
Que répondez-vous, madame la ministre, face à ces doutes et à ces réserves ? De quelles études disposez-vous à l’appui de la généralisation des quartiers spécifiques ?
Enfin, l’OIP propose l’intervention d’anciens détenus et de personnes réinsérées pour permettre aux détenus d’envisager d’autres perspectives à leur sortie de prison, comme cela existe en Norvège. Que pensez-vous de ce projet de réinsertion par des tuteurs à la sortie de prison ?
Votre question tombe à pic, monsieur le député, car elle me fournit l’occasion de compléter ma réponse précédente. Vous avez parfaitement raison et les observations que vous formulez sont tout à fait fondées. Nous sommes soucieux d’efficacité, ce qui suppose d’éviter que la radicalisation susceptible de survenir dans les établissements pénitentiaires ait vraiment lieu. Nous prenons donc des dispositions préventives afin qu’une partie de la population carcérale échappe à la radicalisation et identifions bien ceux qui la provoquent. Les réponses sont multiples. J’évoquais tout à l’heure la surveillance de ceux qui sont vraiment radicalisés, ce qui fait d’eux des meneurs potentiels ou réels. Citons aussi la mise à l’écart des personnes radicalisées mais pas en rupture et surtout la protection de ceux qui sont susceptibles de tomber sous leur emprise. Quant aux aumôniers, nous avons décidé il y a maintenant deux ans d’en recruter alors que leur effectif a diminué au cours du précédent quinquennat, en particulier celui des aumôniers musulmans.
« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP.
Surtout, nous pratiquons l’oecuménisme et travaillons systématiquement avec tous les aumôniers de tous les cultes - on en compte sept. Tous ceux qui interviennent dans nos établissements sont mobilisés sur le sujet. Nous avons lancé une recherche-action au mois de juillet 2014, qui est en cours. Nous en lancerons cinq supplémentaires, ce qui nous permettra de définir les critères à partir desquels identifier les personnes qui doivent faire l’objet d’un traitement spécial. Nous tâchons d’éviter la radicalisation en prison et l’éradiquer autant que possible, efficacement et durablement. Nous le faisons avec toutes les précautions nécessaires et observons ce qui se fait ailleurs tout en notant qu’ailleurs, on observe aussi ce que nous faisons. J’ai reçu il y a deux semaines la Vice-première ministre du Québec qui est très intéressée par notre expérience. Je me suis rendue au Royaume-Uni et j’ai reçu des experts d’Allemagne, du Royaume-Uni, du Danemark et de Belgique. Nous travaillons ensemble afin de partager nos expériences et d’être plus efficace sur ce sujet qui nous concerne tous.
Parmi les engagements de campagne de François Hollande figurait la réaffirmation du caractère spécial de la justice des mineurs sur la base des principes de l’ordonnance de 1945 et la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs. Lors de son discours du 18 janvier 2013 à l’audience solennelle de rentrée de la Cour de cassation, le Président de la République a précisé qu’une loi sera soumise au Parlement au cours de l’année 2013 qui « clarifiera et simplifiera l’ordonnance de 1945 ». « Le rôle du juge des enfants sera consolidé et le tribunal correctionnel pour mineurs supprimé », disait-il. Si ce calendrier n’a pas été respecté, vous avez confirmé à plusieurs reprises que vous travaillez en ce sens, madame la ministre. Nos débats lors de l’examen du projet de loi relatif à la prévention de la récidive et l’individualisation des peines ont montré qu’il existe une large majorité à gauche pour supprimer dès maintenant les juridictions d’exception que sont les tribunaux correctionnels pour mineurs.
Toutefois, le Gouvernement a répondu qu’il ne s’agissait pas du bon véhicule législatif. Par conséquent, nous attendons toujours qu’il inscrive la réforme à l’ordre du jour. Interrogée en commission élargie sur le budget pour 2015 de la mission « Justice », vous avez affirmé que la refonte de l’ordonnance de 1945 et le texte supprimant les tribunaux correctionnels ne font qu’un et qu’un texte nous sera soumis au premier semestre 2015. Ce calendrier est-il maintenu ? Dans l’affirmative, pouvez-vous le préciser ?
L’ordonnance de 1945 a été modifiée trente-sept fois et comporte des incohérences. Tous les professionnels, les élus et les magistrats souhaitent qu’on lui rende cohérence et lisibilité. Nous avons prévu une réforme reposant sur les principes mêmes de l’ordonnance de 1945, c’est-à-dire la spécialisation de la justice des mineurs, d’où la question de la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs, et la primauté de l’éducatif car nous sommes préoccupés, nous, par la nécessité d’éviter que les mineurs flanchent irrémédiablement et s’inscrivent dans un parcours de délinquance. Il faut réagir très vite.
C’est pourquoi nous avons prévu dans la réforme que nous préparons un dispositif de prise en charge immédiate afin de définir la culpabilité éventuelle du mineur mais surtout d’évaluer le préjudice de la justice, de prononcer des mesures de réparation puis d’effectuer un suivi afin que la juridiction rende sa décision sous quatre mois. Nous travaillons sérieusement et consciencieusement à cette réforme qui s’inscrit dans les politiques publiques que nous avons mises en oeuvre dans un cadre interministériel. En particulier, le comité de lutte contre l’exclusion, le comité interministériel « égalité et citoyenneté » et le comité de prévention de la délinquance intègrent le sujet des mineurs et la prise en charge de ces publics.
La directrice de la protection judiciaire de la jeunesse a diffusé au mois de septembre 2014 une note d’orientation. Dans les établissements placés sous la responsabilité de la protection judiciaire de la jeunesse, nous veillons à maintenir une véritable efficacité de la prise en charge des mineurs. La réforme est en préparation et j’espère que vous aurez à vous prononcer dessus dans quelques mois, mesdames et messieurs les parlementaires.
Nous en venons aux questions du groupe socialiste, républicain et citoyen.
La parole est à Mme Marie-Anne Chapdelaine.
Monsieur le président, madame la ministre, divers scandales sapent depuis de trop nombreuses années une partie de la confiance que les citoyens ont placée en leurs représentants. À l’affût, des mouvements politiques aux desseins antirépublicains surfent sur ces atteintes à la probité pour véhiculer un discours profondément antiparlementaire. Le devoir d’un gouvernement est d’adopter des dispositions montrant une détermination à s’attaquer sans faiblesse aux entorses à la règle et à la morale publique et plus généralement aux infractions financières. Notre majorité a choisi d’être volontariste en légiférant dès 2013.
Nous avons agi à de multiples niveaux dans ce domaine, notamment par la création de la Haute autorité pour la transparence de la vie politique présidée par l’ancien procureur général près la Cour de cassation qui exerce un contrôle rigoureux de la situation des élus. C’est l’une des réponses à la crise de confiance si forte caractérisant les relations entre nos concitoyens et leurs représentants. Le ministère de la justice a évidemment un rôle éminent à jouer en la matière dans la mesure où il est le lieu d’élaboration de la loi et de la politique pénales. Aussi souhaité-je connaître les dispositions prises visant à favoriser le traitement par l’institution judiciaire de la délinquance financière. Très visible médiatiquement, celle-ci doit en effet être traitée avec sévérité et perçue comme telle par nos concitoyens afin de les aider à retrouver le chemin des urnes.
Vous avez raison, madame la députée, de formuler le sens politique de la lutte contre la corruption. Tout d’abord, celle-ci contrevient à notre droit, d’où la nécessité de la sanctionner. En outre, dans une période difficile où l’on demande des efforts aux Français, dont certains ne peuvent attendre aucun soutien de l’État en termes de responsabilité faute de moyens, la lutte contre la corruption comporte une dimension éthique et nous l’avons entreprise dans cet esprit. C’est pourquoi vous avez voté la loi du 6 décembre 2013, mesdames et messieurs les députés. Celle-ci lutte contre la délinquance économique et financière, crée le parquet financier national et réorganise l’architecture même de nos juridictions luttant contre la délinquance économique et financière de moyenne ou de grande complexité. Nous avons en effet supprimé les pôles économiques et financiers à l’exception de celui de Corse où nous avons décidé d’une politique pénale territoriale particulière justifiant son maintien. Nous avons renforcé les Groupes d’intervention régionaux dont c’était le dixième anniversaire l’année dernière ainsi que le parquet financier national que nous avons créé.
Nous avons introduit dans la loi du 6 décembre 2013 des éléments très importants de la lutte contre la grande délinquance économique et financière. Je rappelle que nous avons permis aux associations de se constituer parties civiles dans la lutte contre la corruption. Nous avons consolidé, élargi et approfondi le statut des lanceurs d’alerte que nous avons étendu à la fonction publique. Nous avons sérieusement aggravé les peines financières, certaines amendes passant de 70 000 à 500 000 euros et de 30 000 à 200 000 euros, ce qui permet la saisie de patrimoines entiers. Surtout, nous avons mis en oeuvre des moyens de détection plus importants. Je donnerai un dernier chiffre relatif à la corruption d’agent étranger. Une soixantaine de procédures sont en cours. Il est important de noter que 40 % d’entre elles datent des deux dernières années, ce qui montre l’efficacité du travail que nous menons contre la corruption.
Elle vise avant tout l’efficacité, loin des gesticulations, des rodomontades et des fanfaronnades qui souvent polluent le débat en matière de politique pénale.
Un de ses objectifs est de lutter contre les sorties sèches. Nous savons tous que 80 % des 70 000 personnes qui sortent de prison annuellement ne sont pas suivies. Si l’on se penche sur les personnes qui sortent au terme de courtes peines d’emprisonnement, cette proportion s’élève à 98 %. En conséquence, la réforme pénale a créé des outils afin d’éviter les sorties sèches. La libération sous contrainte en est un. Une coopération entre la police et la justice pénitentiaire a également été prévue afin de suivre certains ex-détenus sortis de prison. Qu’en est-il de l’avancement de la mise en place de ces dispositifs ? De l’avancement de la libération sous contrainte ? Enfin, en vue d’alléger le travail des services de police et également de justice, une transaction pénale a été prévue. Où en est-on de la publication du décret prévoyant son application ?
Monsieur le député Raimbourg, monsieur le vice-président de la commission des lois, je salue tout d’abord le travail de très grande qualité que vous avez fourni pour le texte de loi et surtout le maintien de votre mobilisation dans le cadre de la présidence du comité de suivi de la mise en oeuvre de la réforme pénale que vous assurez. Comme vous l’avez rappelé, il s’agit d’une loi d’efficacité qui individualise la peine, rend une liberté d’appréciation et de décision au magistrat et prévoit un vrai suivi. Il est en effet révolu, le temps des sorties sèches à 98 % sans aucun suivi !
La libération sous contrainte offre la possibilité de suivre les personnes sortant de nos établissements sur une période plus longue correspondant à un tiers de la peine à partir d’un projet élaboré à l’intérieur. Il s’agit d’une possibilité plus large que les précédentes, car l’ancien gouvernement avait mis en place un mécanisme tout à fait automatique et absolument inefficace de fin de sortie de peine, associé au bracelet électronique, dépourvu d’efficacité et qui ne fonctionnait absolument pas. Nous ouvrons, nous, une palette de possibilités : la libération conditionnelle, la semi-liberté, le placement extérieur et la surveillance.
À propos de la libération sous contrainte, je puis vous donner quelques chiffres : 292 libérations ont été prononcées et 256 personnes détenues libérées dans le cadre de ce dispositif de suivi en vue d’une réinsertion. Le décret d’application a été publié dans les quatre mois ayant suivi la promulgation du texte. Quant à la transaction pénale que vous évoquiez, monsieur le député, les deux décrets sont en cours de finalisation. Nous forcément avec le ministère de l’intérieur et nous avançons bien. Il nous reste à préciser le seuil en-deçà duquel la transaction pénale sera possible et les modalités de saisie du parquet. Il s’agit d’un travail que nous menons en bonne intelligence avec le ministère de l’intérieur et les décrets devraient être publiés prochainement.
Madame la garde des Sceaux, les 103 services pénitentiaires d’insertion et de probation – SPIP – répartis sur notre territoire font un travail difficile et essentiel. Essentiel, car les personnels de ces services ont pour mission l’évaluation et le contrôle, l’aide à la décision judiciaire pour une plus grande individualisation des peines et l’accompagnement des personnes condamnées dans leur réinsertion. Difficile, car exerçant en milieu ouvert ou fermé, ces personnels veillent à permettre aux détenus de retrouver le chemin d’une vie la plus normale possible à la fin de leur peine. Ils contribuent donc à lutter contre la récidive.
Au regard des missions nombreuses et indispensables de ces personnels, il est fondamental qu’ils soient soutenus, renforcés et accompagnés et qu’ils puissent travailler dans les meilleures conditions possibles.
Pour ce qui est des effectifs, le nombre de personnels affectés aux SPIP est en augmentation : il est passé de 4 080 agents au 1er janvier 2012 à 4 190 au 1er janvier 2014. Lors des discussions sur le projet de réforme pénale et sur la loi de finances initiale pour 2015, vous avez annoncé des mesures fortes en faveur des SPIP : création de 1 000 postes d’ici à 2017, limitation à 40 du nombre de mesures de suivi gérées par un conseiller d’insertion et de probation, augmentation des ressources de 2,1 millions d’euros pour le fonctionnement et de 10 millions d’euros en investissement.
Par ailleurs, le rôle des personnels sociaux de l’administration pénitentiaire est encore plus décisif aujourd’hui, avec la mise en place de la réforme pénale. Dans ce contexte, une évolution des méthodes de travail des personnels d’insertion et de probation est nécessaire pour une plus grande efficacité, afin que ces personnels puissent pleinement exercer les missions qui sont les leurs.
Quelles sont donc les précisions que vous pouvez nous apporter, à la fois sur l’évolution des effectifs, notamment au regard de l’objectif de 40 mesures de suivi par conseiller, et sur le renouvellement dans les méthodes de travail des SPIP dans le cadre de la mise en oeuvre de la réforme pénale ?
Je vous remercie de l’attention que vous témoignez à nos services d’insertion et de probation. Ce sont en effet des fonctionnaires de grande qualité, qui assurent également un travail de qualité, mais surtout d’une grande importance, aussi bien en milieu ouvert qu’en milieu fermé.
Nous avons décidé d’augmenter les effectifs de ce corps de 25 % en trois ans, avec le recrutement d’un millier de personnels, dont 400 ont déjà été recrutés en 2014, sont actuellement en formation et seront en stage d’ici quelques mois.
En outre, nous avons augmenté de 10 % le budget de fonctionnement des services d’insertion et de probation et nous assurons leur formation, y compris pour les personnels déjà en activité. Nous avons lancé une recherche-action qui mobilise des chercheurs, des universitaires et des professionnels, de façon à revoir les méthodes de travail et de prise en charge et l’entretien individuel. Conduite sur dix-huit mois, elle mobilise six SPIP et va nous permettre de renouveler profondément les méthodes de prise en charge.
Les conseillers d’insertion et de probation ont montré ces dernières années leur capacité d’innovation. Simplement, ce sont des services qui ont été un peu livrés à eux-mêmes dans la dispersion de leurs réalités. Nous y remettons de la cohésion. Nous avons d’ailleurs créé une sous-direction au sein de la direction de l’administration pénitentiaire ; j’ai créé un comité technique spécial pour les SPIP, qui permet de traiter leurs problématiques professionnelles. Les SPIP actuellement en activité ont tous suivi une formation dispensée aussi bien par l’École nationale de l’administration pénitentiaire que par l’École nationale de la magistrature. Nous continuerons à les accompagner, et j’apprécie l’attention que manifeste la représentation nationale à ces personnels qui jouent un rôle particulier dans la prise en charge des personnes condamnées.
Nous en revenons aux questions du groupe UMP. La parole est à M. Gilles Lurton.
Madame la garde des Sceaux, je souhaite une nouvelle fois appeler votre attention sur la situation alarmante des prisons françaises. Avec plus de 67 000 personnes incarcérées aujourd’hui, le taux de surpopulation de nos prisons a augmenté ces dernières années, à rebours de la tendance européenne. Cette situation se traduit par une surpopulation dans chaque cellule, alors que l’encellulement individuel est une obligation légale. Elle entraîne une promiscuité préjudiciable aux détenus, mais aussi aux personnels pénitentiaires, pour qui le travail est devenu insupportable.
Nous sommes loin des incantations de Mme Hazan, contrôleure générale des lieux de privation de liberté, qui demande instamment à ce qu’il n’y ait plus de matelas à terre. Selon mes informations, il en existe encore plus d’un millier.
Cette situation, nous la retrouvons dans nos circonscriptions. À Saint-Malo, nous dénombrons 110 détenus, chiffre qui monte fréquemment à 130, alors que la capacité de la prison est de 78 places, et que le personnel est en sous-effectif permanent. J’ai d’ailleurs déjà eu l’occasion d’appeler votre attention sur ce point.
Madame la ministre, la situation ne peut plus durer – et je suis de ceux qui pensent que les dispositions alignant le régime des récidivistes sur celui des non-récidivistes en matière de réductions supplémentaires de peines aggraveront l’insécurité grandissante dans notre pays.
Il est urgent de lancer un véritable programme de création de places et de modernisation de nos prisons. Quels moyens envisagez-vous d’y consacrer, et pour combien de places supplémentaires ?
Cette question est aussi pour moi, si vous le permettez, l’occasion de vous interroger sur l’état d’avancement des travaux du nouveau tribunal de Saint-Malo, qui n’ont toujours pas commencé. L’attente est forte, et je serais heureux de vous recevoir au plus vite dans ma circonscription pour poser la première pierre de ce nouvel établissement.
Monsieur le député, je suis très sensible à votre invitation, et j’espère pouvoir y répondre. Je peux en tout cas vous assurer que le marché du tribunal de grande instance de Saint-Malo sera notifié dans les prochaines semaines. Voilà une information qui devrait vous satisfaire, et même vous réjouir.
J’en viens aux établissements pénitentiaires. C’est sur l’ensemble du territoire qu’on observe un taux de surpopulation carcérale important. Néanmoins, celui-ci s’est tassé depuis que nous avons fait des travaux, réhabilité des cellules vétustes et construit des établissements. Nous sommes en train de mettre en oeuvre le plan de 6500 places. Je ne peux m’empêcher de comparer avec l’annonce de 23 000 constructions de places qui avait été faite en son temps, pour lesquelles pas un euro n’avait été budgété, puisque la totalité de ces places devaient être construites en partenariat public-privé. En outre, l’estimation n’était pas conforme à la réalité : le coût de la place avait été estimé à 120 000 euros, alors que le coût réel d’une place est de 189 000 euros. Pour notre part, nous mettons en oeuvre un programme réaliste, intégralement financé, de 6500 places nettes supplémentaires. Le prochain plan triennal prévoira la création de 3200 places nettes supplémentaires – avec la construction de plus de 5600 nouvelles places, mais la fermeture de plus de 2000 places de cellule vétustes.
Certes, la surpopulation carcérale et les matelas à terre sont une réalité. Mais là aussi, les choses s’améliorent, compte tenu du suivi plus efficace que nous effectuons, de la suppression des peines planchers et des moyens que nous donnons aux juges d’application des peines et aux conseillers d’insertion et de probation, donc de l’efficacité générale de la politique pénale, qui permet d’éviter cette surpopulation qui a principalement pour effet d’aggraver la récidive.
Madame la garde des Sceaux, force est de constater que l’on vous a peu entendue, au lendemain des dramatiques attentats de janvier, proposer des mesures nouvelles tendant à garantir la sécurité des Français. Le Gouvernement propose de renforcer les moyens du renseignement. C’est bien, mais c’est insuffisant. À l’UMP, nous attendions un texte pour lutter contre les nouvelles formes du terrorisme : à circonstances exceptionnelles, il faut une loi exceptionnelle.
Le Gouvernement n’apporte aucune réponse nouvelle au cas de ces milliers de djihadistes – 3000 selon Matignon – qui, après être allés porter la barbarie en Irak ou en Syrie, s’en reviennent sur le territoire national. Aujourd’hui, dans le meilleur des cas, ils ont droit à une audition par la Direction générale de la sécurité intérieure – DGSI. Très peu de poursuites semblent cependant engagées sur le fondement du nouvel article 113-13 du code pénal, à moins que vous n’ayez d’autres chiffres à nous communiquer.
À titre personnel, je crois que nous devrions introduire dans notre droit, fût-ce pour un temps limité, une mesure de rétention administrative exceptionnelle pour les djihadistes de retour sur notre territoire, le temps pour les services d’obtenir une réponse claire sur leurs actes et leur dangerosité, ce qu’une simple garde à vue, même prolongée, ne permet pas. Je crois aussi en l’utilité de la proposition de loi de notre collègue Meunier, examinée demain en commission des lois, qui prévoit d’empêcher le retour de ces djihadistes binationaux en leur retirant la nationalité française.
Je crois aussi en l’élargissement de la rétention de sûreté, qui contrairement à ce que vous avez répondu à notre collègue Guillaume Larrivé, n’a été censuré que pour sa rétroactivité, ce qui ne vous interdit pas d’en élargir le champ pour les futurs condamnés.
Sans une réponse pénale ferme face au terrorisme et à ses nouvelles formes, les forces de l’ordre travailleront une fois encore en vain.
Pouvez-vous affirmer aujourd’hui à la représentation nationale, les yeux dans les yeux, si j’ose dire,
Exclamations sur les bancs du groupe SRC
que nos procédures judiciaires et notre arsenal pénal suffisent à garantir aux Français la protection qu’ils sont en droit d’attendre face au risque terroriste ?
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
Je suis tout de même assez étonnée que vous doutiez à ce point de la capacité de la France à faire face aux dangers qu’elle affronte.
Je vous rappelle que nous disposons d’un arsenal législatif constitué de la loi de décembre 2012, qui a permis d’ouvrir des procédures et de juger des personnes ayant commis des actes à l’étranger…
…et de la loi du 13 novembre 2014, qui a introduit l’interdiction administrative de sortie, l’interdiction administrative d’entrée, l’entreprise individuelle à caractère terroriste et la généralisation de l’investigation anonyme. Nous avons donc un arsenal complet. J’ai moi-même interrogé des procureurs et des juges d’instruction à la fin du mois de janvier pour savoir s’ils avaient besoin d’instruments législatifs supplémentaires. Ils m’ont répondu par la négative.
Il y a un projet de loi sur le renseignement. Je vous rappelle que c’est notre majorité qui met en place l’encadrement juridique des actions de renseignement.
Je vous rappelle que c’est ce gouvernement qui a restructuré le renseignement, recruté et formé des agents,…
…si bien que nous avons aujourd’hui, avec la DGSI, une direction du renseignement efficace et performante.
Je vous signale par ailleurs que nous avons renforcé les effectifs du parquet antiterroriste de Paris, ainsi que les magistrats et les juges d’instruction du siège. Nous avons constitué un réseau de magistrats référents sur l’ensemble du territoire. Nous avons ainsi réuni les moyens législatifs et normatifs, les moyens en effectifs de magistrats et de greffiers, ainsi que d’assistants spécialisés ; nous avons mis en place les procédures qui permettent aux enquêteurs, aux procureurs et aux juges d’instruction d’être efficaces. Faites-leur confiance : nous avons des résultats qui prouvent à quel point ils font face avec diligence et performance à ce problème !
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
À deux reprises, le législateur a jugé nécessaire de préciser les conditions légales dans lesquelles un juge d’instruction était habilité à opérer une perquisition du cabinet d’un avocat afin de contenir les abus manifestes qui s’étaient produits dans la pratique judiciaire.
L’article 56-1 du code de procédure pénale fut ainsi complété par la loi du 15 juin 2000, pour que le bâtonnier de l’Ordre des avocats assiste à la perquisition de son confrère et puisse s’opposer à la saisie d’un document. La loi du 12 décembre 2005 prohiba quant à elle toute saisie incidente lors de telles perquisitions, en imposant aux magistrats de spécifier l’objet et le but de la perquisition par une décision spéciale et préalable.
Malgré ces dispositions protectrices du secret professionnel des avocats, qui est un fondement de l’exercice même de cette profession et une liberté constitutionnelle à nouveau reconnue dans une décision du 26 septembre 2014, un juge d’instruction a récemment perquisitionné le cabinet d’un avocat auquel est reprochée la production d’une pièce d’un client à l’appui d’une demande de remise en liberté. La justice est saisie de cette affaire et se prononcera en temps voulu. Cet événement a provoqué une très vive protestation des avocats, attachés à juste titre à une protection effective de leur secret professionnel et profondément choqués par ce qui leur est apparu comme une présomption de fraude pesant sur l’un des leurs, qui ne dispose pas de pouvoirs d’investigation particuliers pour s’en prémunir. La première chambre civile de la Cour de cassation avait pourtant jugé, dans un arrêt du 31 octobre 2012, qu’un avocat n’avait pas à vérifier l’authenticité d’un document remis par son client, ce dernier ayant à son égard une obligation de loyauté et de sincérité.
Afin de mieux garantir l’exercice de la défense par les avocats, il apparaît urgent de préciser dans les termes de l’article 56-1 du code de procédure pénale que les perquisitions dans le cabinet d’un avocat ou à son domicile doivent être strictement proportionnées aux données objectives de l’affaire et ne jamais procéder d’une présomption de fraude commise par l’avocat qui est visé.
Il est loin, le temps où magistrats et avocats arrivaient à se parler sous ce que l’on appelait la foi du Palais. Que comptez-vous faire, madame la garde des Sceaux, pour maintenir le lien de confiance et de respect nécessaire et indispensable entre les avocats dans l’exercice de leurs fonctions et l’institution judiciaire dont ils sont des auxiliaires ?
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.
Le sujet que vous évoquez est des plus importants. Je m’autorise simplement à dire qu’il ne concerne pas seulement les avocats. La question des écoutes et celle des perquisitions, qui sont des procédures intrusives, concerne certes les avocats, mais aussi les citoyens en général, ainsi que les magistrats et les parlementaires, qui sont des catégories protégées. La Cour européenne des droits de l’Homme a d’ailleurs rappelé la nécessité de respecter le principe de nécessité et de proportionnalité dans l’usage de ces écoutes, donc de ces techniques intrusives.
Nous avons réfléchi à ce sujet, notamment à l’occasion de la loi sur la géolocalisation que vous avez adoptée en mars 2014, et cela sous deux angles.
Le premier est celui du champ infractionnel puisque, s’agissant de la géolocalisation, la peine encourue est de trois ans, alors qu’elle est de deux ans pour les écoutes, pourtant plus intrusive. Il y a donc une réflexion à engager en ce domaine. Le deuxième axe est celui de la durée : dans l’état actuel de notre droit, elle est de quatre mois, mais la décision est renouvelable. La question de la durée doit donc également s’apprécier au regard du nombre de renouvellements. C’est un sujet important sur lequel nous avons commencé à travailler puisque nous avons déjà reçu et auditionné le Conseil national des barreaux, l’Association des avocats pénalistes ainsi que l’ordre des avocats de Paris. Par ailleurs, nous poursuivons nos consultations avec des syndicats et des associations. Nous devrions aboutir à un dispositif qui tiendra compte aussi des dispositions du projet de loi sur le secret des sources, déposé à l’Assemblée nationale il y a un peu plus d’un an. Ce texte dispose que le juge des libertés et de la détention décide de ces mesures, compte tenu du champ infractionnel qui aura été redéfini.
Madame la ministre, ma question porte sur les moyens consacrés par l’État dans le cadre de la lutte contre les violences faites aux femmes dans les territoires ruraux, notamment dans mon département de la Mayenne. Le dispositif du téléphone portable d’alerte a été expérimenté dès 2009 dans plusieurs départements. Ce téléphone « grand danger » est similaire à un appareil classique, à la différence près qu’il est muni d’une touche permettant de prévenir directement les secours adaptés. Lorsque l’appel est émis, la victime potentielle est mise en relation avec un professionnel de la lutte contre les violences conjugales.
Non seulement ce dispositif procure un sentiment de sécurité aux bénéficiaires, mais il a de plus largement prouvé son efficacité en sauvant des vies et en permettant plusieurs arrestations. Son extension à l’ensemble de la France a été actée par la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes. Mais cette généralisation est très limitée : seuls cinq appareils seraient prévus pour le ressort de la cour d’appel d’Angers, qui compte plusieurs grandes villes de ma région – les Pays de la Loire –, comme Angers, Cholet, Saumur ou Laval.
Madame la ministre, le phénomène des violences conjugales n’est pas forcément un phénomène citadin, loin de là. Je viens donc vous alerter sur le sort réservé à mon département rural, la Mayenne. Le dispositif du téléphone « grand danger » doit être décidé par le procureur. Or, je dois rappeler que mon département n’a pas de procureur fixe, mais uniquement des procureurs en alternance, et ce, jusqu’en septembre prochain. Or, les nombreuses associations qui oeuvrent sans relâche auprès des victimes, comme l’Association d’aide aux victimes d’infractions pénales – l’ADAVIP –, aimeraient que les femmes puissent avoir accès à ce dispositif d’alerte. De fait, il pourrait éviter de nouvelles victimes et aider les femmes qui ont peur de déposer plainte contre leur conjoint. En effet, grâce à cette protection renforcée, elles pourraient franchir le pas du dépôt de plainte.
Madame la ministre, au nom de ces femmes et de toutes ces associations qui se battent au quotidien, je viens donc vous demander si vous comptez développer ce dispositif dans les territoires ruraux.
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
Monsieur le député, il s’agit d’un sujet extrêmement sérieux et préoccupant, auquel nous avons apporté des réponses. Je dois dire d’ailleurs que ce sujet toujours fortement sensibilisé les parlementaires ; il est arrivé qu’en la matière l’opposition et la majorité, sous l’ancienne législature mais également sous la législature actuelle, travaillent ensemble : je pense notamment à des rapports rédigés par des députés de sensibilités différentes.
J’ai décidé dès l’année dernière – mais il faut tenir compte de durée de la procédure – de généraliser dès 2015 le téléphone « grand danger » sur l’ensemble du territoire : 400 téléphones sont à disposition dès cette année ; il y en aura 200 supplémentaires en 2016. S’agissant du ressort de votre circonscription, quatre téléphones « grand danger » sont attribués. C’est le procureur qui décide leur remise. Vous en avez décrit le principe et rappelé à quel point ce dispositif est à la fois rassurant et protecteur, et permet durablement à des femmes d’échapper à la violence conjugale. Cela s’ajoute à toutes les dispositions que nous avons introduites dans la loi du 4 août 2014, par exemple la possibilité de prononcer une ordonnance de protection pour une durée plus longue, et renouvelable, et, plus généralement, la faculté d’extraire la femme d’un environnement violent ; ces dispositions ont donné des résultats tout à fait probants.
Concernant le poste de procureur fixe au sein de votre département – question qui vous préoccupe à raison –, il doit être institué à l’occasion de la prochaine réunion « transparence ». Il sera donc à disposition.
Pour ce qui concerne le nombre de téléphones, dont l’efficacité n’est plus à démontrer, nous avons procédé à une répartition sur la base des estimations réalisées dans chaque ressort. Nous verrons s’il est nécessaire de mettre davantage d’appareils à disposition. Ces derniers sont en effet extrêmement utiles et efficaces ; ils protègent non seulement les femmes mais également les enfants, comme on oublie souvent de le dire, tant il est vrai que les enfants sont mêlés à ces violences familiales.
Madame la garde des sceaux, depuis 2005 et les lois Perben, l’article D. 48-4 du code de procédure pénale dispose que des bureaux d’exécution des peines peuvent être mis en place pour apporter des réponses en matière de rapidité et d’efficacité dans l’exécution des sanctions pénales. De fait, ils ont très souvent apporté de véritables réponses – cela a été le cas chaque fois qu’ils ont pu être mis en place – principalement dans l’explication de la peine auprès de l’ensemble des acteurs et le soutien aux victimes. Ces bureaux sont donc très importants. Ils nécessitent aussi l’implication de tous : les magistrats du siège, les greffiers, le barreau, les conseillers d’insertion et de probation, les associations d’aide aux victimes. J’ai eu le plaisir de rédiger un rapport sur ce sujet en matière de justice des mineurs.
En vertu de la loi du 15 août 2014, sous l’impulsion de notre collègue Raimbourg, ces bureaux d’exécution des peines ont été généralisés, ce qui est une très bonne chose, mais cela nécessitera des moyens humains, financiers et matériels. Je souhaiterais donc savoir quels moyens vous comptez mettre en oeuvre. L’expertise que j’ai conduite m’a montré que ces bureaux jouent un rôle très important et très utile pour lutter contre la récidive et faciliter la compréhension de la peine.
Monsieur le député, l’exécution des peines est effectivement un sujet extrêmement important. Votre rapport, qui est de très grande qualité, traite en particulier des mineurs ; le rapport de M. Ciotti, pour sa part, faisait des propositions que nous avons inscrites dans la loi, mais que son auteur, à présent, désavoue. Il demeure que votre rapport relatif à l’exécution des peines infligées aux mineurs constitue une source d’information extrêmement importante. Vous avez raison : il faut que l’exécution des peines soit la plus diligente possible, car il y va de la crédibilité de l’action de la justice.
Nous avons effectivement mis en place des dispositifs qui permettent d’accélérer l’exécution des peines, notamment la généralisation des bureaux d’exécution des peines dans les juridictions. Un tel bureau existe dans 126 tribunaux de grande instance, soit dans presque la totalité d’entre eux. Nous faisons en sorte que ces bureaux soient en mesure d’informer très vite le justiciable de la façon dont il peut exécuter sa peine et de rendre immédiatement possible cette exécution : par exemple, s’il s’agit d’une suspension de permis, par la remise du permis, s’il s’agit d’une amende, par le paiement de cette dernière.
Ces bureaux d’exécution des peines sont donc extrêmement importants. En 2016, nous prévoyons 70 à 80 postes de greffiers et un budget de 2,2 millions d’euros, qui viendront renforcer ce dispositif pour accélérer l’exécution de la peine. Le pourcentage des peines délictuelles exécutées dans un délai d’un an s’élève à 74 % – 36 % au cours du premier mois et 48 % dans les quatre mois qui suivent. S’agissant de ces peines, la mise en oeuvre de ce régime d’exécution a été accélérée, notamment par la circulaire que j’ai diffusée en septembre 2012.
Pour le reste, nous consolidons les bureaux d’exécution des peines, car il est important que les peines soient exécutées le plus vite possible : il en va, je le répète, de la crédibilité des décisions de justice.
Nous en revenons aux questions du groupe SRC. La parole est à Mme Françoise Imbert.
Madame la ministre, depuis bientôt trois ans, des initiatives ont été prises par le Gouvernement concernant la prise en charge par l’administration pénitentiaire des personnes privées de liberté. Par exemple, la loi relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales est entrée en application en octobre 2014. La hausse du nombre d’aménagements de peine n’empêche cependant pas la population carcérale d’augmenter. En ce début d’année 2015, le taux de surpopulation dans les maisons d’arrêt reste important. Les conséquences sont graves : violences carcérales, conditions difficiles d’accès au travail et au parloir dans les maisons d’arrêt, radicalisation religieuse, conditions de travail dégradées des personnels.
Si les femmes en détention sont moins nombreuses que les hommes, peu d’établissements leur sont réservés. Condamnées, elles sont souvent transférées dans des établissements éloignés de leur famille et sont fréquemment changées d’établissement. Par ailleurs, la surpopulation carcérale complique la prise en charge des personnes présentant des troubles mentaux ou de la personnalité et, parfois, contribue à augmenter ces troubles.
Quant aux prisons construites il y a quelques années, elles sont souvent éloignées de tout et sont mal desservies par les transports, ce qui exclut encore plus les détenus de leurs proches.
Madame la ministre, pouvez-vous nous apporter quelques éléments d’information quant à l’effet des mesures déjà prises ? Qu’en est-il de la construction de nouvelles prisons, de la réhabilitation et de la rénovation des établissements, de l’adaptation du parc pénitentiaire aux nouvelles orientations de la politique pénale ?
Madame la députée, je rappelle que le programme de construction, totalement financé et en cours d’exécution, se traduit par la création de 6 500 places nettes sur le premier triennal. S’agissant du prochain triennal, des autorisations d’engagement d’un milliard d’euros nous permettront de construire à peu près 3 200 places nettes : tel est l’engagement du Gouvernement.
En plus de ces constructions, de la rénovation du parc pénitentiaire et de la réhabilitation de certains établissements, nous réfléchissons à la façon de construire, à l’architecture pénitentiaire. J’ai mis en place, il y a déjà dix-huit mois, un conseil national de l’exécution des peines qui, entre autres travaux et missions de réflexion, travaille avec l’administration sur l’architecture pénitentiaire. Comment penser les établissements, de façon à ce que les conditions de travail et d’incarcération soient plus propices à l’exécution efficace de la peine et à la préparation à la réinsertion ? Où localiser les établissements pénitentiaires ? Ces dernières années, on a eu tendance à les placer au milieu de nulle part, ce qui entraîne une rupture dans les relations familiales et sociales. Il faut faire revenir les établissements au sein de la cité, en concertation, évidemment, avec les élus. Il faut éviter cette rupture qui contribue à la récidive et met en danger la société.
Nous travaillons aussi sur l’organisation interne des établissements, la lumière, la distribution des espaces, le positionnement des cours de promenade et de nombreux autres éléments. La prison doit rester une institution républicaine, placée, en premier lieu, sous le contrôle des parlementaires, ainsi que du contrôleur général, des associations, des magistrats ainsi que des autorisations qui sont autorisées à venir la contrôler.
Ce travail commence à donner des résultats, puisque nous avons les idées de plus en plus claires sur la façon dont il faut construire les prisons.
Madame la ministre, vous oeuvrez à mettre notre droit pénal en conformité avec le droit européen. Celui-ci nous pousse à réorienter notre procédure pénale, de fondement inquisitoire, en lui donnant une dimension plus accusatoire.
Qu’il s’agisse de l’enquête initiale, de la procédure d’instruction, ou même de l’examen de l’affaire devant les différentes juridictions pénales, envisagez-vous, madame la ministre, d’introduire plus d’éléments de nature inquisitoire dans notre procédure pénale, comme nous y invite M. Jacques Beaume dans les conclusions du rapport qu’il a déposé en juillet 2014 ?
Il s’agit, précisément, de mieux assurer, en particulier au stade de l’enquête, le respect tant des libertés individuelles que des droits de la défense, sans pour autant porter atteinte à l’efficacité ainsi qu’à la célérité de l’enquête, ni à la recherche de la vérité. S’agissant de l’égalité des armes, comment et quand entendez-vous donner le droit à la défense d’accéder à son dossier ? Précisément, de quel dossier s’agira-t-il ? Quel en sera le contenu ? Sera-t-il intégral ou partiel ? À qui y donnerez-vous accès ? Allez-vous poser des limites ? Seront-elles restrictives ? Dans l’affirmative, comment et pourquoi ? À partir de quel stade de l’enquête pensez-vous autoriser la défense à présenter également des observations, notamment écrites, voire à participer, selon des règles précises à déterminer, à la recherche de la vérité ?
Les délais d’enquête sont beaucoup trop longs. Ils portent atteinte aux droits et au libertés individuels. Dans l’intérêt de toutes les parties concernées, quel type de mesures envisagez-vous en vue de les réduire ? Envisagez-vous également des possibilités de recours contre les décisions qui peuvent être prises au stade de l’enquête ?
Enfin, et selon la formule consacrée, si effectivement la forme est la soeur jumelle de la liberté, ne pensez-vous pas également que, tout en confortant l’égalité des armes, et bien sûr le respect des libertés individuelles, il devient indispensable, dans l’intérêt de toutes les parties au procès pénal, de simplifier les procédures pour une meilleure efficacité de celles-ci.
Madame la députée, la simplification des procédures est un chantier auquel nous nous sommes attelés aussi bien dans le champ pénal que civil. Je rappelle simplement, comme vous l’avez fait, que les procédures constituent, pour les justiciables, des garanties essentielles. Nous allons donc les simplifier autant que nécessaire, mais pas au-delà, car il n’est pas question de fragiliser ces garanties.
Concernant notre procédure pénale, elle a été incontestablement modifiée par à-coups et, de ce fait, fragilisée. Ces dernières années, elle a en effet été révisée chaque fois qu’il a fallu transposer une directive européenne en droit interne. Or de tels changements ne peuvent pas constamment provenir de l’extérieur. C’est donc pour développer une pensée intérieure cohérente de l’évolution de la procédure pénale que j’ai, dans un premier temps, sollicité le président Nadal, alors procureur général, pour prendre la présidence d’une commission, puis confié une mission au procureur général Jacques Beaume. Je dispose donc de leurs deux rapports et nous avons commencé à travailler.
Je vous rappelle que vous avez voté la transposition de la directive du 22 mai 2012 relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales, dite « directive B », qui reconnaît des droits aux personnes suspectées, gardées à vue ou faisant l’objet d’une citation directe à comparaître. Ces droits nouveaux ouverts permettent effectivement à la défense de disposer d’un certain nombre d’éléments et d’informations, mais nous avons le souci de trouver un équilibre entre l’efficacité de l’enquête et les droits de la défense. Nous y veillons et nous avançons.
Il est certain que, dans la réforme que nous avons commencé à écrire – la direction des affaires criminelles et des grâces travaillant à partir des deux rapports que je viens d’évoquer –, nous allons veiller à trouver cet équilibre. En effet, nous entendons aussi bien les avocats qui réclament des droits supplémentaires pour la défense que les policiers et les gendarmes qui ont besoin de procédures stables afin de pouvoir conduire leurs enquêtes avec efficacité.
J’espère avoir prochainement l’occasion de venir devant vous avec un projet de loi. Je sais, madame la députée, la passion que vous mettez à traiter ces sujets. Aussi suis-je persuadée que nous aurons de très beaux débats.
Prochaine séance, demain, à quinze heures :
Questions au Gouvernement ;
Discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, de la proposition de loi portant diverses dispositions tendant à la modernisation du secteur de la presse ;
Débat sur le rapport d’information relatif au projet d’avenant au contrat d’objectifs et de moyens de France Télévisions.
La séance est levée.
La séance est levée à vingt-trois heures trente.
La Directrice du service du compte rendu de la séance
de l’Assemblée nationale
Catherine Joly