La séance est ouverte.
La séance est ouverte à quinze heures.
Mes chers collègues, nous avons appris avec horreur l'abominable agression dont a été victime hier soir, à Paris, un jeune militant politique. Au moment où je m'adresse à vous, Clément Méric est en état de mort cérébrale.
L'Assemblée nationale, unanime, exprime sa condamnation de tout acte de haine et de violence et adresse son soutien à sa famille.
Je vous invite, en hommage à Clément Méric, et par solidarité, compte tenu de son état, à respecter un temps d'indignation et de recueillement.
Mmes et MM. les députés et Mme la ministre des droits des femmes, porte-parole du Gouvernement, se lèvent et observent une minute de silence.
L'ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi constitutionnelle et de la proposition de loi organique tendant à encadrer la rétroactivité des lois fiscales (nos 567, 568, 1089 et 1090).
Ce matin, l'Assemblée a commencé d'entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale commune.
suite
Dans la suite de la discussion générale commune, la parole est à M. Yves Goasdoué.
Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, monsieur le rapporteur, madame la ministre des droits des femmes, mes chers collègues, la proposition de loi constitutionnelle et la proposition de loi organique présentées à notre assemblée par notre collègue Olivier Dassault et un certain nombre de ses collègues du groupe UMP, ainsi que par certains membres du groupe UDI, me semble-t-il, portent sur un sujet récurrent : la rétroactivité de la loi fiscale.
La proposition de loi constitutionnelle vise à modifier l'article 34 de la Constitution afin d'indiquer que les règles relatives à l'assiette et au taux des impositions ne peuvent être rétroactives, sous réserve de la loi organique. Celle-ci prévoit que la loi fiscale peut être rétroactive, d'une part, si elle est plus favorable – ce qui n'étonne personne – et, d'autre part, si elle est justifiée par des motifs d'intérêt général.
Ce type de texte revient régulièrement devant notre assemblée, sous diverses formes. Ce fut le cas en 1991 sur l'initiative de Pascal Clément, en 1999 avec la proposition de loi de Philippe Marini, en 1998 sous l'impulsion de Nicolas Sarkozy et en 2000 sous la signature de Charles Millon.
Vous noterez que, lorsque la droite est au pouvoir, elle « réfléchit » sur la rétroactivité de la loi fiscale ; lorsqu'elle est dans l'opposition, elle propose d'en graver le principe dans le marbre constitutionnel.
Les exposés des motifs sont toujours les mêmes et ils sont vertueux : assurer la stabilité fiscale pour les particuliers, les épargnants et les agents économiques ; attirer les investisseurs étrangers en leur garantissant la stabilité du paysage fiscal.
Présentés ainsi, ces textes ne pourraient que recueillir notre approbation. Qui pourrait penser qu'un seul d'entre nous a pour objectif affiché ou caché l'instabilité fiscale ou la rupture de la parole donnée par l'État ?
À la vérité et en seconde analyse, les choses ne se présentent pas tout à fait ainsi. Comme je ne veux pas polémiquer, je me permettrai simplement de vous rappeler que, dès 1958, Jean Foyer avait considéré comme parfaitement inutile la proposition qui nous est faite aujourd'hui.
En réalité, les textes que vous présentez à la représentation nationale sont inopportuns, inutiles et dangereux. Je l'affirme très tranquillement, car je ne fais que citer mot pour mot ce qu'avait déclaré Didier Migaud lors de l'examen d'un texte présenté par Nicolas Sarkozy et dont la finalité était identique.
Pour les 60 000 postes d'enseignants, on ne l'écoute pas, Didier Migaud !
Ces textes sont tout d'abord inopportuns, car en réalité ils visent à limiter l'exercice de la souveraineté nationale par les représentants du peuple en leur interdisant de modifier ou de supprimer des dispositions antérieures. Partant, ils sont contraires à l'article 3 de la Constitution qui, comme vous le savez tous, dispose que « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum. »
Ils sont inopportuns, parce qu'on ne saurait admettre qu'une majorité, quelle qu'elle soit, impose à celle qui lui succédera des dispositions dont elle n'aurait à assumer ni la responsabilité politique ni le coût financier. Et je crois que les auteurs de ces textes le savent très bien.
Ils sont inopportuns parce que la loi doit pouvoir être adaptée pour accompagner l'évolution. Pour ce faire, il faut qu'elle puisse être modifiée.
Je partage cependant les bons sentiments qui ont inspiré la présente initiative. Il convient, dans toute la mesure du possible, d'éviter les fluctuations, les allers et retours difficilement compréhensibles pour les contribuables. Pour autant – et la nuance est lourde de conséquences –, la représentation nationale ne saurait être dépossédée du droit de faire évoluer la loi fiscale.
On confond d'ailleurs souvent non-rétroactivité et conservation des avantages acquis – et acquis, le plus souvent, par les plus aisés de nos concitoyens.
Vous avez moins tendance à dénoncer cette « confusion » quand il s'agit du social !
Je rappelle que le projet de loi de finances pour 2005 dénombrait 400 niches fiscales et que celui pour 2011 en comptait plus de 500. Il me semble donc heureux que la représentation nationale ait pu y apporter les correctifs nécessaires.
Vos propositions de loi sont également inutiles, malheureusement. Concernant la vraie rétroactivité, et non pas la simple possibilité de modifier la loi, le contribuable, et c'est très normal, est déjà protégé. À juste raison, le Conseil constitutionnel a durci sa jurisprudence de manière très nette depuis 1980. Le législateur ne peut porter atteinte à l'autorité de la chose jugée. Il ne peut prévoir des sanctions plus élevées. Il ne peut faire renaître, et c'est bien normal, des prescriptions légalement acquises. Il ne peut priver de garanties légales des exigences constitutionnelles.
La loi fiscale rétroactive – car elle est admise, le Conseil constitutionnel considérant qu'aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle ne s'y oppose – doit trouver son fondement dans un motif d'intérêt général suffisant. Et là est en réalité toute l'affaire, mes chers collègues. Le Conseil a introduit un contrôle de proportionnalité. Proportionnalité entre quoi et quoi ? Entre le mécanisme de protection des droits des contribuables et la nécessité que la représentation nationale exerce la mission qu'elle a reçue du peuple.
Vous voulez supprimer, car vous n'êtes pas en charge des affaires de l'État, le second terme de l'équation. Nous ne pouvons en être d'accord. Vous-mêmes n'en êtes d'ailleurs pas vraiment convaincus. Car, comme je le rappelais tout à l'heure, votre manie – qui n'est pas la nôtre – de revenir sur ce sujet ne s'exprime que lorsque vous êtes dans l'opposition : 1991, 1998, 1999, 2000. Mais que ne l'avez-vous fait lorsque vous étiez majoritaires ?
Enfin, les textes que vous proposez sont dangereux.
Vous savez qu'ils interdiraient les lois dites de validation. Le législateur peut commettre – nous en avons tous commis – des erreurs techniques. Dans ce cas, il faut pouvoir surmonter les conséquences de certaines décisions de justice rendues uniquement sur la forme mais qui pourraient avoir des conséquences désastreuses pour le budget de l'État.
À titre d'exemple, en 1993, faute de loi de validation, nous n'aurions pas pu recouvrer le produit de la vignette, en raison d'une définition beaucoup trop floue de la puissance fiscale des véhicules. On peut multiplier les exemples, et vous le savez d'ailleurs très bien. Si vos textes devaient s'appliquer, on ne pourrait plus régulariser, ce qui serait extrêmement dangereux.
Il faut aussi pouvoir clarifier le sens d'un texte pour empêcher l'évasion fiscale et éviter des interprétations jurisprudentielles contraires à la volonté du législateur. Le sujet sera bientôt d'actualité devant notre assemblée. Je ne crois pas qu'il soit possible d'expliquer qu'une filière d'évasion fiscale doive perdurer au seul motif que la non-rétroactivité de la loi fiscale aurait été constitutionnalisée.
Enfin, toujours pour empêcher l'évasion fiscale et les pratiques d'évitement de l'impôt, il faut pouvoir neutraliser le délai qui sépare l'annonce d'une décision fiscale de sa mise en oeuvre. En 1999, les contribuables ayant transféré leur domicile hors de France ont été assujettis à l'imposition de certaines plus-values. Le texte a pris effet à la date d'examen en Conseil des ministres. Heureusement, car on imagine bien les démarches d'évitement !
Vous l'aurez compris, le groupe SRC votera contre ces textes.
À défaut d'ouvrir une nouvelle perspective dans le bloc de constitutionnalité, ces propositions auront une place au musée des astuces politiciennes. J'ai de nouveau cité Didier Migaud.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
M. Marc Le Fur remplace M. Claude Bartolone au fauteuil de la présidence.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes aujourd'hui appelés à débattre des propositions de loi du groupe UMP visant à l'encadrement de la rétroactivité des lois fiscales. Ces textes s'inscrivent dans un contexte particulier.
En effet, François Hollande, après l'avoir niée tout au long de sa campagne, a eu l'extraordinaire surprise de découvrir au lendemain de son élection la crise que traversaient la France et l'Europe depuis 2008. C'était alors l'époque bénie où il était question de « réenchanter » la France. Pour la majeure partie du peuple, l'heure est aujourd'hui, hélas, au désenchantement !
Cette crise économique d'une ampleur sans précédent est à l'origine d'un climat dégradé, qui fragilise notre pays et ses forces vives. Les preuves du dérapage de la France s'amoncellent : le déficit public s'envole, le déficit commercial se creuse dramatiquement, la croissance est en berne, le chômage explose, pour dépasser le funeste record de 1997. Tous les voyants, sans exception, sont au rouge.
Face à cette situation particulièrement difficile, une seule attitude s'impose : l'action – ou l'offensive, pour reprendre un terme qui a fait florès récemment. Le Gouvernement se doit de prendre des mesures courageuses afin de relancer la croissance et le dynamisme de notre pays.
Mais force est de constater qu'au bout d'un an, il n'a toujours pas pris la mesure de la crise ! Ce qui nous est proposé s'apparente à des réformettes, handicape trop souvent le redressement de notre pays et aggrave les injustices. Pire, les mesures prises vont jusqu'à entrer en profonde contradiction avec les priorités du pays que sont, d'une part, la compétitivité, et, d'autre part, le pouvoir d'achat.
Ainsi, les 28 milliards d'euros d'augmentations d'impôts en 2013 frapperont de plein fouet le pouvoir d'achat des ménages et la compétitivité des entreprises. Ces dernières, déjà fortement touchées par la crise, ont été placées par le Gouvernement dans une situation d'une difficulté sans précédent.
Après avoir alourdi leurs charges en supprimant la TVA compétitivité et augmenté leurs impôts de 14 milliards d'euros, le Gouvernement n'a rien trouvé de mieux que d'instaurer un obscur crédit d'impôt – il a principalement bénéficié à La Poste –, qui ne résout en rien les difficultés immédiates des entreprises mais leur impose de nouvelles contraintes administratives.
En outre, la suppression des allégements sur les heures supplémentaires et la fin de leur défiscalisation ont soumis à une pression supplémentaire des secteurs déjà en difficulté, tels que l'industrie, la construction, la métallurgie, la restauration, les transports. Cette mesure a également, rappelons-le, privé 9 millions de salariés, 9 millions de Français, de 500 euros par an.
Les classes moyennes n'ont pas été épargnées, même si on nous avait expliqué au départ que 90 % de l'effort ne leur serait pas demandé. Elles ont dû supporter la majeure partie des 14 milliards de hausses d'impôts décidées par le Gouvernement, notamment au titre du gel du barème de l'impôt sur le revenu, de la taxe sur les retraités, de l'augmentation de la redevance audiovisuelle, du relèvement du forfait social sur la participation et l'intéressement, ou encore de la hausse de cotisations des indépendants.
Ces mesures sont l'exact inverse de ce qu'il aurait fallu faire. En commençant par ces erreurs colossales, le Gouvernement a placé la France dans une situation extrêmement difficile.
Les 1 300 chômeurs de plus par jour sont bien la preuve flagrante, et cruelle, de l'échec de cette politique. Nous n'avons cessé de le dénoncer et nous le déplorons.
Toutefois, les députés du groupe UDI, dans l'attitude d'opposition constructive qui est la leur depuis le début de cette législature, ont toujours assuré au Gouvernement qu'ils le soutiendraient si les mesures proposées allaient dans le bon sens.
Quoi, « ah, ah » ?
Flexibilité de l'emploi : l'UDI a voté pour. Contrat de génération : l'UDI a voté pour. Emplois d'avenir : l'UDI a voté pour. C'est l'attitude que nous avons adoptée sur des sujets cruciaux. Oui, les députés du groupe UDI ont décidé de ne pas faire preuve d'un sectarisme dépassé, de ne pas pratiquer une opposition globale, mais d'adopter une démarche constructive au regard des épreuves que traverse notre pays. Même si les réformes que nous avons votées étaient loin d'être parfaites, nous avons jugé qu'elles étaient préférables à l'inaction.
C'est dans ce même esprit constructif et soucieux de l'intérêt général que Jean-Louis Borloo, président du groupe, a proposé le mois dernier un programme de redressement national. Cette contribution modeste, à la place où nous sommes, présente dix décisions pour sortir la France de la crise.
Parmi ces propositions vitales et urgentes figurent la relance de la croissance, de la compétitivité et de l'emploi, ainsi que l'engagement à la stabilité fiscale jusqu'à la fin du quinquennat, de façon à restaurer la confiance des Français, celle des ménages et des entreprises.
Ces éléments sont tout à fait essentiels si nous voulons mettre un terme à la spirale infernale dans laquelle la France est entraînée. L'encadrement de la rétroactivité des lois fiscales proposé par le groupe UMP participe de cette bataille.
J'ai entendu l'orateur précédent proférer des arguties politico-juridiques. Je l'ai entendu citer le président de la Cour des comptes. J'aurais aimé que soit aussi évoqué le rapport d'une infinie cruauté rendu par cette même Cour des comptes et intitulé « Gérer les enseignants autrement », qui montre que la vérité, en ce qui concerne l'éducation nationale, ne réside en aucune manière dans l'augmentation des moyens et du nombre de postes, mais dans une véritable refonte de la gestion de notre système éducatif.
Mais bon, pour l'occasion, et l'occasion faisant le larron, M. Migaud sert aujourd'hui de référence.
M. Migaud n'est pas un supermarché où l'on peut faire ses courses à son gré !
Nous le voyons, la défiance de nos concitoyens envers leurs dirigeants, qui, elle, est bien réelle, n'a jamais été aussi forte dans l'histoire de la Ve République. Chaque semaine, Président et Premier ministre – le couple exécutif – battent des records d'impopularité.
Aux yeux des Français, la parole de l'État n'a plus aucune crédibilité. Pouvons-nous les blâmer, quand le chef de l'État renonce à tous ses engagements, les uns après les autres ?
Il avait promis de ramener le déficit à 3 % en 2013 ; il a repoussé cet objectif à 2015. Il avait promis de baisser les dépenses en 2013 ; elles sont restées stables. Il s'était engagé à ne pas augmenter la TVA ; elle augmentera de 10 milliards l'année prochaine. Il avait promis de ne plus augmenter les impôts après 2013 et de ne pas toucher à la politique familiale ; il fait exactement l'inverse en abaissant le quotient familial, énième coup de canif au pouvoir d'achat de 1,3 million de familles en 2014.
Ce n'est qu'une mesure de justice, alors que votre objectif à vous, c'est d'enrichir les plus riches !
Il avait promis la croissance ; nous avons droit à la récession. Il avait promis d'inverser la courbe du chômage d'ici septembre 2013 ; il sera tout de même difficile d'y parvenir ! Enfin, il avait promis d'augmenter le pouvoir d'achat des Français ; il a réussi, pour la première fois depuis trente ans – nouveau challenge historique –, à faire baisser le pouvoir d'achat des Français de 0,4 % en 2012.
Il n'est donc pas étonnant que les Français ne croient plus aux promesses du Président de la République et du Gouvernement. Il est essentiel de restaurer cette confiance afin de permettre aux ménages et aux entreprises de faire de nouveaux projets et de croire dans l'avenir.
L'encadrement de la rétroactivité des lois fiscales y participera, car c'est l'incertitude des Français face à d'éventuelles hausses d'impôts qui contribue à les empêcher d'investir et de consommer.
C'est l'investissement des ménages et des entreprises qui est à l'origine de la croissance.
La visibilité fiscale permise par les propositions du groupe UMP, que le groupe UDI soutient, est un pas que le Gouvernement doit faire en direction des ménages, des entreprises, des investisseurs, afin de leur assurer qu'ils peuvent faire confiance à la France et à ses dirigeants pour les soutenir et les encourager sur la voie de la réussite et du redressement dans la justice.
L'adoption de ces textes serait un signe que l'exécutif est là pour leur permettre de saisir ces opportunités de croissance et d'emploi, pour leur assurer la sécurité et la stabilité économique et politique dont notre pays a plus que jamais besoin.
Car que pouvons-nous attendre des entrepreneurs, des investisseurs, des ménages, si nous remercions leur confiance par de nouvelles mesures imprévues, rétroactives, qui freinent leurs efforts et leur donnent plus de difficultés qu'ils n'en ont déjà ?
La rétroactivité des lois fiscales génère bien évidemment la frilosité des acteurs économiques et explique, aujourd'hui plus que jamais, leur préférence à épargner plutôt qu'à investir et à consommer. Disons-le aussi, elle peut également expliquer le choix de certains de s'expatrier afin de se soustraire à un régime fiscal capricieux et, le cas échéant, rétroactif.
Les députés du groupe UDI soutiendront donc les propositions de loi du groupe UMP, car c'est un premier pas nécessaire, indispensable, vers la restauration de la confiance qui fait défaut à la France.
En outre, nous demandons solennellement au Gouvernement de s'engager à ne pas augmenter les prélèvements obligatoires sur les ménages et les entreprises d'ici 2017, et à baisser significativement les dépenses publiques, ces trois éléments nous semblant nécessaires pour que la confiance et la croissance puissent être rétablies dans notre pays.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, tout d'abord, je dois avouer que je suis stupéfait par l'argumentation développée par le Gouvernement ce matin. Certes, la majorité ne pouvait soutenir ces propositions de loi examinées dans le cadre d'une niche d'initiative parlementaire du groupe UMP, sans doute par dogmatisme, mais à coup sûr parce que leur adoption mettrait en évidence les incohérences de ses politiques économique et fiscale.
Oui, le sujet dont nous débattons aujourd'hui ne peut pas être plus d'actualité ! La situation économique, la défiance des Français à l'égard de la politique économique – ou de la politique tout court – du Gouvernement font de la question de la non-rétroactivité des lois fiscales un sujet d'actualité majeur.
Remontons quelques mois en arrière, fin septembre, quand plus de 500 acteurs du monde économiques invités à l'Élysée dans une opération de reconquête auprès des patrons eurent la surprise d'entendre le Président promettre la « stabilité fiscale » aux entreprises, parce qu'« il n'y a rien de pire que les changements incessants de dispositifs ». Qu'en est-il aujourd'hui ? Il ne s'est écoulé qu'un an depuis son élection, et la promesse est déjà tombée aux oubliettes !
Les patrons l'ont bien compris quand le Gouvernement a voulu imposer les plus-values de cession, puis lorsque la taxe à 75 % sur les très hauts salaires est passée d'une contribution des salariés à un prélèvement sur les entreprises. À quand le prochain coup de massue ? C'est la question que toutes les entreprises françaises se posent !
Mais les patrons ne sont pas les seuls à craindre les augmentations incessantes d'impôts. Les ménages, eux aussi, risquent de se trouver échaudés. En avril dernier, le ministre Moscovici a affirmé qu'ils ne subiraient « pas d'autres hausses d'impôts que celle de la TVA qui a déjà été annoncée ». Auparavant, le 28 mars, le chef de l'État avait promis qu'il n'y aurait plus d'augmentation des prélèvements sur les ménages.
Et voilà que le Gouvernement annonce, il y a quelques jours, la baisse du plafond du quotient familial – en vérité une hausse d'impôt insidieuse –, qui frappera particulièrement les classes moyennes !
Quelques jours auparavant, il avait été question de modifier le statut des auto-entrepreneurs. Je reçois quotidiennement, comme tous mes collègues sans doute, des dizaines de mails dans lesquels des auto-entrepreneurs font part de leur désarroi face aux annonces du Gouvernement. Mais où va-t-on ?
Le principe de l'initiative de mon collègue Dassault est simple : ériger en règle constitutionnelle le principe de non-rétroactivité des lois fiscales, afin de garantir une sécurité juridique aux contribuables.
Il s'agit également de renforcer l'attractivité du territoire français en garantissant aux entreprises une stabilité fiscale. Ce serait – enfin ! –un bon signal envoyé aux entrepreneurs, qui hésitent encore à développer leurs activités en France, ainsi qu'aux investisseurs, qui évoluent dans un espace mondialement ouvert.
Comme le rappelait Olivier Dassault ce matin, l'article 2 du code civil prévoit que « la loi ne dispose que pour l'avenir, elle n'a point d'effet rétroactif », n'en déplaise à notre regretté ami Jean Foyer. Mais ce principe de non-rétroactivité n'a pas de valeur supra-législative. Le législateur peut, par conséquent, y déroger. Seule une jurisprudence du Conseil constitutionnel prévoit quelques limites au regard de la loi fiscale, mais l'insécurité juridique persiste en l'absence de garantie constitutionnelle.
La fiscalité devrait être neutre, mais les paramètres fiscaux conditionnent largement les décisions d'investissement, influent sur la rentabilité et peuvent jouer sur l'équilibre financier des entreprises. Et ça, vous avez du mal à l'entendre.
Les entrepreneurs ne sont pas sereins face aux décisions politiques dans ce domaine, parce que l'insécurité juridique est devenue une donnée inhérente à la vie d'une entreprise alors que, paradoxalement, la norme fiscale se trouve être l'une des données les plus difficiles à appréhender.
L'instabilité fiscale peut même, dans certains cas, se comparer à un droit de vie ou de mort sur nos entreprises. Et le terme n'est pas trop fort. Trop souvent, des chefs d'entreprises sont contraints de mettre la clé sous la porte, parce que croulant sous le poids d'une trop grande pression fiscale, qui plus est incertaine.
En recherche d'attractivité pour notre pays, cette non-rétroactivité fiscale à valeur constitutionnelle serait un gage très appréciable et un signal considérable dans l'instauration d'un climat de confiance en direction des entreprises étrangères susceptibles d'investir en France.
Soyons audacieux, soyons courageux, ouvrons la voie et peut-être, qu'en ce domaine, les fiscalités étrangères s'inspireront de notre modèle. J'entendais ce matin que les fiscalités étrangères n'étaient « pas plus limpides » : madame la ministre, est-ce vraiment en nivelant par le bas que nous permettrons à notre pays de regagner en compétitivité ? Je ne le crois pas. Mais je constate une fois de plus que viser l'excellence n'est pas un objectif de la majorité !
La non-rétroactivité, davantage qu'un simple principe, est un gage sérieux de renforcement de notre compétitivité et de l'attractivité économique de notre territoire, mais également de crédibilité et d'efficacité de notre politique fiscale. Ce principe est d'ailleurs tout aussi légitime pour les contribuables, qui souhaitent faire des choix sereins dans leur vie quotidienne sans être exposés au risque d'un changement rétroactif des règles en vigueur.
Cette règle ne peut que renforcer leurs perspectives d'investissements, à tous les niveaux – immobilier, et même aussi actions d'entreprises.
Si l'on regarde un peu plus loin que le bout de son nez, il est clair que l'instabilité fiscale freine également la générosité des Français. Cela revient-il à dire que nos concitoyens ne font des dons que pour réduire leurs impôts, et non par pure générosité ? Assurément non, mais il ne faut pas avoir honte de dire que l'État ne peut pas subvenir à tout – Lionel Jospin l'avait lui-même dit en Belgique –, surtout dans un contexte de déficit budgétaire qui ne va pas s'arranger. Le financement privé doit par conséquent prendre le relais. Mais pour cela, des incitations fiscales stables sont nécessaires.
Pour compléter la proposition de loi constitutionnelle, la proposition de loi organique réaffirme et vient délimiter les cas où le recours à une loi rétroactive est possible, soit parce que l'intérêt général le justifie, soit parce que cette disposition allège le niveau des prélèvements obligatoires.
En conclusion, vous l'avez bien compris, l'instabilité fiscale à brève échéance est insupportable pour un porteur de projet de création ou d'agrandissement d'entreprise. Non seulement un chef d'entreprise ne peut regarder devant, mais il n'a plus de certitude en regardant dans le rétroviseur. C'est à cet objectif que répondent ces propositions de loi : donner un peu plus confiance aux chefs d'entreprise, créateurs des emplois de demain. Le groupe UMP soutient donc avec conviction cette initiative. Espérons que la suite du débat éclairera la majorité pour l'amener à finalement adopter une posture non pas idéologique mais pragmatique, dans l'intérêt de tous les Français qui, je vous le dis, aspirent à un peu de sérénité.
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l'objet de ces deux propositions de loi, nous l'avons compris, est de permettre d'encadrer la rétroactivité de la loi fiscale, et de le faire au-delà de ce que veut aujourd'hui la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Elles ne sont pas exactement nouvelles, on l'a dit, mais soit, prenons-les comme telles.
De quoi s'agit-il en réalité ? L'on peut douter que nous soyons vraiment ici dans un débat juridique. Le ministre du travail a dit ce matin tout ce qu'il avait à dire sur la rétroactivité mécanique ou structurelle, qui fait que la définition de l'assiette et du taux ont forcément, compte tenu de l'annualité budgétaire, un effet pour l'année n – 1. Bien sûr, le principe de l'annualité budgétaire n'a pas une valeur telle qu'aucune réforme constitutionnelle ne pourrait, en théorie, le battre en brèche, mais n'oublions pas, derrière ce principe, ce qui le justifie : c'est la liberté, pour le Parlement, d'exercer en matière budgétaire le pouvoir souverain qui lui est reconnu par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
Est-ce bien, dès lors, à des élus du peuple souverain de proposer de se lier les mains en érigeant dans les cieux de la Constitution un principe qui altèrerait gravement ce pouvoir que leur ont remis en mains propres leurs électeurs ?
Et quand bien même le Parlement voudrait se lier lui-même les mains, pourquoi serait-il opportun de le faire alors que le Conseil constitutionnel, comme l'a très bien rappelé Yves Goasdoué, a encadré les effets de la rétroactivité en matière fiscale en définissant un équilibre sur lequel je ne reviens pas – beaucoup l'ont souligné – et qui est aujourd'hui suffisant.
Que veut-on donc de plus, et pourquoi ? Aujourd'hui, selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, les lois peuvent avoir un effet rétroactif sauf en matière pénale, mais que l'effet rétroactif doit être encadré par la recherche de l'intérêt général. Le seul ajout, très curieux, de ces propositions, c'est donc que « l'intérêt général » ne pourrait plus jouer qu' « à titre exceptionnel ». Mesurez-vous, mes chers collègues, combien ces deux termes jurent ensemble ? L'intérêt général serait l'exception ! Curieuse approche ! Curieuse conception, qui renverse l'un des principes cardinaux de l'action publique pour en faire une exception. Je n'insiste pas.
C'est le contraire, madame ! Il faut savoir lire une proposition de loi !
En vérité, nous le savons tous, ces deux propositions ont surtout un objet d'affichage. Quel est donc le souci réel, sous le prétexte juridique ? La rétroactivité fiscale serait un obstacle pour le sain développement de notre économie d'abord, pour l'attractivité de notre territoire ensuite. Voilà ce que nous ont dit principalement, mais pas seulement, MM. Dassault et Accoyer.
Mais les freins que rencontre aujourd'hui l'économie réelle, celle des entreprises soucieuses du lendemain, sont, et le rapport Gallois l'a fortement montré, avant tout du côté des facteurs capital, travail et énergie.
C'est à ces freins qu'il faut s'attaquer dans un monde où la prédation spéculative empêche le capital de s'investir correctement dans l'entreprise. Devant ce mouvement dévastateur, la rétroactivité fiscale, permettez-moi de vous le dire, c'est un peu la quatrième décimale.
Nul ne peut ignorer que la France, et toutes les études le montrent, reste dans un très bon rang, à raison de la qualité de sa main-d'oeuvre, de la productivité de celle-ci, l'une des plus élevées au monde, de ses services publics performants et de sa position géographique. Voilà les atouts qu'il faut chercher à faire prospérer, en y ajoutant, comme le demande de longue date le Mouvement républicain et citoyen, une révision de la valeur de l'euro qui aujourd'hui plombe gravement nos exportations.
Ce sont là des questions sérieuses pour l'avenir de notre économie, et il faut donner acte au Gouvernement qu'à la suite du rapport Gallois, il a décidé de s'attaquer, sur plusieurs fronts à la fois, à ces questions sérieuses : CICE, loi Sapin sur le dialogue social, développement de la recherche et des filières innovantes, BPI en sont les éléments majeurs.
Il faut avouer que la rétroactivité fiscale est un bien petit sujet au milieu de ces questions essentielles. Il reste que la préoccupation de stabilité fiscale n'est pas en elle-même à écarter d'un revers de main. Elle mérite une réflexion, et non un pur affichage législatif. Mais elle mérite surtout d'être posée en lien avec des sujets qui en sont mal dissociables. Je pense aux stratégies d'évasion fiscale, pratiquées par trop de nos grands groupes. Il y a bien sûr la fraude fiscale, versant illégal de l'évasion, dont la réduction permettrait d'ailleurs d'alléger d'autant le poids de la fiscalité, ce qui serait une réponse bien meilleure que celle que vous proposez. Mais il y a aussi le volet légal, celui de l'optimisation fiscale pratiquée par de nombreuses entreprises, auxquelles, bien malheureusement, la construction européenne a ouvert des perspectives dans lesquelles elles se sont engouffrées.
Dans ce cercle de questions parentes, oui, la stabilité fiscale pourrait apparaître comme un sujet à traiter sérieusement. Pourquoi les pouvoirs publics ne s'engageraient-ils pas à assurer cette stabilité, comme ils ont commencé à le prévoir, d'ailleurs, en échange d'engagements des entreprises en matière de réduction de l'optimisation fiscale ?
Voilà, mes chers, collègues ce qui serait travailler, pour reprendre l'un des termes de vos propositions, dans l'intérêt général.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le professeur Rousseau, qui ne se prénommait pas Jean-Jacques, dans un débat, sous l'autre majorité, sous l'autre présidence de la République, disait : « La non-rétroactivité des lois est un enjeu de civilisation ». Il voulait dire par là que, quelle que soit la question abordée, celle de la non-rétroactivité touche à la conception que l'on a de la civilisation du droit. Pourquoi les lois fiscales échapperaient-elles au principe de non-rétroactivité ? Parce que l'argent fiscal n'a pas d'odeur, est-ce que pour autant les principes, eux aussi, n'auraient plus le parfum de la démocratie ?
Quand les rédacteurs du code civil ont rédigé l'article 2 afin de dire que la loi ne dispose que pour l'avenir, la France sortait d'une période éminemment troublée. Il s'agissait alors de stabiliser, une fois pour toutes, l'univers juridique du pays.
Nous avons le principe de non-rétroactivité des lois civiles, celui de non-rétroactivité des lois pénales : pourquoi a-t-on progressivement accepté, avec l'aval du Conseil constitutionnel, selon un critère d'intérêt général, que certaines lois fiscales pourraient être rétroactives ? La question fiscale est-elle moins importante que la question civile ou la question pénale ? L'inquiétude n'est-elle pas la même face à la loi civile nouvelle, face à la loi pénale nouvelle, que face à la loi fiscale nouvelle ?
Je crois que rien ne peut permettre de déroger à un texte qui protège le citoyen. Rappelez-vous ce que disait le philosophe Alain, qui est tout de même l'un des pères fondateurs du radicalisme. Dans Le citoyen contre les pouvoirs, il disait que le citoyen doit toujours l'emporter par rapport à la force du pouvoir. Or, là, dans un domaine qui touche à l'économie, à la stabilité financière, à la sécurité financière, surtout dans une période où la situation économique est gravissime, on refuse d'encadrer la rétroactivité des lois fiscales.
Mais elle n'est pas suffisamment encadrée, et ce pour une raison très simple. C'est que les notions d'intérêt général et de proportionnalité ne sont pas définies. C'est une espère de fourre-tout légal dans lequel l'humeur peut mettre n'importe quoi. Je vous rappelle tout de même que le Conseil constitutionnel lui-même a décidé que certaines formules à l'emporte-tout n'étaient pas recevables sur le plan de la démocratie juridique, parce qu'elles permettaient d'y ranger toutes les humeurs du moment. Ce n'est pas sécurisant. Et la seule question qui se pose à nous est de savoir si l'on est fidèle aux principes qui régissent la stabilité légale dans une démocratie.
Loi civile : pas rétroactive. Loi pénale : pas rétroactive. Et voilà que d'un coup l'on admet, malgré la définition que donne le Conseil constitutionnel pour autoriser cette rétroactivité, qu'encadrer la rétroactivité des lois fiscales serait absolument contraire aux principes, alors que c'est là même le moyen de les renforcer.
Inutile de reprendre les arguments qui ont été remarquablement développés. Comment – et je crois que c'est le bon sens qui parle ici – peut-on dire aux citoyens qui nous écoutent : « N'ayez pas d'inquiétude, sur le plan pénal, la loi ne rétroagira pas. N'ayez pas de souci, sur le plan civil, la loi ne rétroagira pas. Mais sur le plan de votre argent, de votre portefeuille, de vos impôts, il suffit que cliquette dans l'esprit la notion d'intérêt général pour que vous soyez mis en situation d'inquiétude. » ? Je crois que ce n'est pas sain. Dès l'instant où l'on admet le principe d'une rétroactivité, on met la main dans un engrenage dangereux pour la démocratie.
Encadrer la rétroactivité des lois fiscales, c'est dire qu'on est fidèle, quelle que soit la matière, aux principes qui ont toujours régi la démocratie judiciaire en France.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, parmi les maux dont souffre notre pays, il en est deux qui portent en eux des effets pernicieux et à maints égards négatifs.
Alors que le principe général de la non-rétroactivité de la loi a vocation à s'appliquer pour les lois, il n'en va pas de même pour les lois fiscales, ce qui, naturellement, aboutit à placer les contribuables dans une situation très inconfortable d'insécurité juridique et de manque de confiance. À partir de là, nombre de chefs d'entreprises désireux de s'implanter dans notre pays ressentent notre pays comme une source de complexité marquée par une absence de stabilité fiscale. Comment, dès lors, face à ce constat, ne pas regretter la moindre attractivité consécutive à cette situation ?
Ainsi que le prévoit l'article 2 du code civil, « la loi ne dispose que pour l'avenir ; elle n'a point d'effet rétroactif », mais ce principe de non-rétroactivité n'a pas de valeur constitutionnelle. Il est donc possible au législateur d'y déroger, en dépit d'une jurisprudence du Conseil constitutionnel prévoyant quelques limites au regard de la loi fiscale.
La proposition de loi de notre collègue Olivier Dassault se veut pragmatique. Elle l'est.
Elle se veut porteuse de bon sens. Elle l'est.
Elle se veut générale. Elle l'est.
L'article unique de cette proposition de loi constitutionnelle tend à modifier la rédaction du cinquième alinéa de l'article 34 de la Constitution, qui définit le domaine de la loi en y intégrant notamment « l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures. ».
La fiscalité devrait être neutre, mais les paramètres fiscaux conditionnent largement les décisions d'investissement, influent sur la rentabilité et peuvent jouer sur l'équilibre financier de nos entreprises.
Aujourd'hui, il est par conséquent impossible à un entrepreneur de prendre sereinement certaines décisions majeures, tant l'insécurité juridique est grande et s'accroît.
À ce propos, concernant la transmission d'entreprises – qui est un sujet important – l'insécurité juridique et fiscale, avec des règles fiscales modifiées sans cesse, rend difficile toute planification efficace d'un projet durable. Il est ardu, pour un conseil, d'être précis. Il lui est difficile de recommander à son client les articles du code général des impôts applicables aux transactions réalisées cette année.
Il convient donc de tourner la page de cette approche fiscale en décalage, qui pénalise les investissements, la production, et donc l'emploi ! La norme fiscale se trouve en effet être l'une des données les plus difficiles à appréhender.
L'intérêt du dispositif induit dans la présente proposition de loi est double, puisqu'il s'adresse également, en sus des entreprises, à l'ensemble des contribuables souhaitant effectuer des choix sans l'épée de Damoclès que constitue un changement rétroactif des règles du jeu.
Ainsi, la proposition de loi envisage d'instaurer un mécanisme équilibré, notamment en prévoyant d'admettre la validité des dispositions législatives diminuant rétroactivement l'assiette ou le taux des impôts indirects, ce qui, en matière de baisse de TVA, permet une application à la date de son annonce, afin que l'effet d'aubaine de celle-ci ne perturbe pas le marché économique.
Le principe de non-rétroactivité doit être général, parce qu'il répond à une exigence d'intérêt général.
Ce matin, j'ai entendu M. le ministre Sapin parler également de « rétrospectivité ». Comme l'a parfaitement étayé M. le rapporteur devant la commission des lois, il apparaît, selon l'OCDE, que l'impossibilité d'avoir une vision exacte du régime fiscal et social applicable l'année suivante arrive en tête des raisons avancées par les étrangers pour renoncer à un investissement en France.
Mes chers collègues, le baromètre publié hier – dont nous avons déjà parlé ce matin – par le cabinet Ernst & Young rapporte que l'Hexagone a accueilli 471 projets d'implantation étrangers en 2012, soit 13 % de moins qu'en 2011.
Jamais depuis neuf ans – jamais ! – la France n'a attiré aussi peu de projets internationaux. Qui plus est, la taille de ces investissements est de plus en plus modeste : seules 10 542 créations d'emploi sont associées à ces projets, un nombre en baisse de 20 %. La France a perdu son second rang de terre d'accueil en 2011. L'instabilité fiscale est l'une des explications.
Ce constat est alarmant et exige de nous une obligation de résultat. Si la France perd des parts de marché au profit des deux leaders que sont l'Allemagne et le Royaume-Uni, elle doit prendre garde à ses arrières. Les investisseurs étrangers adressent un dernier appel à la France pour qu'elle demeure un acteur à part entière de l'économie mondiale. Aussi, mes chers collègues, ne perdons pas cette troisième place de terre d'accueil.
J'ai entendu, lors des interventions précédentes émanant des bancs de la majorité, que, sous prétexte qu'un tel texte n'avait pas été proposé lors des législatures précédentes, il n'avait pas lieu d'intervenir à ce moment. Non, mes chers collègues de la majorité, un bon texte mérite à tout moment, même tardivement, d'être adopté ! C'est pourquoi cette proposition de loi pragmatique mérite aujourd'hui de l'être.
Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, il n'est jamais facile de s'exprimer parmi les derniers dans une discussion générale sur un sujet qualifié à juste titre de serpent de mer par notre collègue Paul Molac, puisque beaucoup de choses ont été dites.
Mon étonnement est grand de vous voir si prompts, chers collègues de l'opposition, à déposer un projet de loi qui vous semble « essentiel » pour la compétitivité et l'attractivité, alors que, lorsque vous étiez au pouvoir, et vous l'avez été suffisamment longtemps, vous aviez l'occasion de graver dans le marbre la non-rétroactivité fiscale.
Vous dites que c'est une proposition pragmatique. Elle me semble très démagogique. Comment pouvez-vous prétendre être les défenseurs d'une fiscalité louable, alors que, pendant dix ans, vous n'avez rien fait ? Personne n'est dupe. Votre politique se résume en une phrase : « Faites ce que je dis, mais pas ce que je fais ! »
Mais revenons au problème. Vous voulez parler d'instabilité, d'insécurité, de manque d'attractivité, d'image négative qui colle à la France.
Or je pense que vos propos y participent grandement, chers collègues ! Vous avez dit qu'en matière fiscale, nous étions classés dans les derniers. Je ne conteste pas le chiffre que vous avez donné ce matin, mais pour être tout à fait honnête intellectuellement, il faut expliquer la manière dont le classement est effectué. L'outil de mesure utilisé pour faire ce classement est la charge fiscale totale : impôt sur les sociétés, charges sociales, taxe foncière, taxe sur les dividendes, fiscalité sur les plus-values, taxe sur les transactions financières. Ce classement donne une vision très partielle, en mesurant la seule pression fiscale, et non l'ensemble des charges d'une entreprise.
De fait, si les cotisations sociales sont élevées en France, c'est parce que notre modèle social est très développé. Et nous devons en être fiers : il couvre largement les retraites, la santé et le chômage. Ailleurs, là où la couverture sociale publique est moins bonne – Royaume-Uni, et Irlande –, les entreprises doivent débourser pour les mutuelles de leurs salariés et abonder des fonds de pension pour leurs retraites.
Et si la couverture sociale est élevée, mais financée plutôt par les ménages, ce qui est le cas du Danemark, ce sont les employeurs qui, même s'ils paient très peu de charges sociales, doivent, pour maintenir le pouvoir d'achat de leurs salariés, augmenter les salaires. L'écart est donc largement compensé entre les deux pays.
Pour faire mieux, il faudrait faire la comparaison en regardant ce que paient vraiment les PME, mais c'est un exercice très compliqué. La réalité est donc bien plus complexe que ce que vous voulez bien laisser entendre.
D'ailleurs, les entreprises étrangères ne sont pas dupes et ne boudent pas particulièrement la France : en 2011, la France s'est classée au dixième rang mondial des destinations et au troisième rang européen. Elle a su se montrer résiliente malgré la crise et elle parvient malgré tout à réunir 70 % d'opinions positives parmi les investisseurs – toujours selon le baromètre Ernst & Young que vous avez cité.
Vous le voyez, chers collègues, l'attractivité d'un pays ne se résume pas uniquement à la fiscalité et à la non-rétroactivité fiscale.
L'idée que la possibilité d'adopter des mesures fiscales rétroactives, serait un facteur d'insécurité, une mesure sans garantie et sans encadrement, est, sur le fond, une idée fausse, et vous le savez bien. Les garanties existent et il n'apparaît pas possible de supprimer purement et simplement la possibilité de cette rétroactivité, puisque des enjeux d'intérêt général majeurs peuvent la rendre nécessaire.
La fiscalité doit rester un outil de réactivité au service du Gouvernement pour prendre toutes les mesures nécessaires afin de créer toutes les conditions de la croissance économique
Alors, chers collègues, si vous voulez rendre notre pays plus attractif, éviter l'évasion fiscale dont vous aimez parler à longueur de débats,…
…et remédier au dumping fiscal, soutenez l'action de notre gouvernement, qui défend à Bruxelles une Europe plus solidaire. Cette solidarité passe par l'harmonisation de la fiscalité et des normes sociales que les gouvernements de droite majoritaires au Parlement européen ont toujours refusé de mettre en place.
Ce combat, chers collègues, est, lui, un combat essentiel pour le redressement de notre pays, pour la compétitivité de nos entreprises et pour le redressement de l'Europe dans la justice.
Vous comprendrez qu'après tous ces propos, je voterai contre votre proposition de loi.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, à travers cette proposition de loi constitutionnelle, le groupe UMP entend en réalité sanctuariser, rigidifier le principe de la non-rétroactivité de la loi fiscale.
J'ai cru comprendre qu'il voulait laisser à une loi organique le soin d'organiser des exceptions, toujours dans le même sens, c'est-à-dire les exceptions qui visent à l'allégement de l'impôt dû par nos concitoyens et nos entreprises.
Mes chers collègues, nous avons tous compris que l'opposition s'offrait là une posture, celle de la protection du contribuable. Mais chacun sait que, de la posture à l'imposture, il n'y a qu'un pas. En réalité, il y a bien un objectif caché.
Je voudrais relever, dans ce jeu de posture, l'incohérence de l'opposition, qui, à plusieurs reprises, nous a expliqué que l'urgence n'était pas aux révisions constitutionnelles, alors même que celles-ci sont essentielles pour la République exemplaire. Je pense en particulier à l'indépendance de la justice.
Comme vous n'assumez pas le fait de ne pas vouloir renforcer l'indépendance de la justice, vous nous expliquez que la priorité n'est pas aux réformes constitutionnelles. Sauf que le texte que vous nous présentez aujourd'hui est superfétatoire juridiquement, dangereux pour nos finances publiques et extrêmement préjudiciable à l'exigence de solidarité qui est demandée à tous pour redresser la situation financière du pays.
Vous laissez entendre que l'ordre juridique actuel et les principes constitutionnels ne protégeraient pas le contribuable.
La droite française, qui, si j'ai bien compris, fait actuellement l'apprentissage de la démocratie, serait bien inspirée de faire également l'apprentissage de la lecture jurisprudentielle du Conseil constitutionnel. Ces principes existent déjà et je voudrais citer deux décisions du Conseil constitutionnel. Dans celle du 7 novembre 1997, on peut lire ceci : « Il est loisible au législateur d'adopter des dispositions fiscales rétroactives dès lors qu'il ne prive pas de garantie légale des exigences constitutionnelles ». Il y a bien là un principe de protection du contribuable. Celle du 29 décembre 2005 est également éclairante : « Il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions ; que ce faisant, il ne saurait toutefois priver de garanties légales des exigences constitutionnelles ; qu'en particulier, il méconnaîtrait la garantie des droits proclamés par l'article 16 de la Déclaration de 1789 s'il portait aux situations légalement acquises une atteinte qui ne soit pas justifiée par un motif d'intérêt général suffisant ».
Ces principes affirmés par le Conseil constitutionnel sont parfaitement suffisants pour assurer la protection du contribuable.
Par contre – et c'est peut-être l'objet de ce texte de circonstance –, suite à un recours que vous aviez déposé, le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 29 décembre 2012, a reconnu et validé le principe de la petite rétroactivité fiscale quand elle se justifie par un motif d'intérêt général. En clair, le Conseil constitutionnel a validé la démarche de cette majorité et de ce gouvernement qui, arrivés aux responsabilités en juin 2012, se sont trouvés face à une situation budgétaire déplorable qui les a amenés à prendre des mesures d'urgence.
Avec votre proposition de loi, nous n'aurions pas pu prendre l'essentiel des dispositions de la loi de finances rectificative de juillet 2012, qui visait au redressement des finances publiques dans la justice. En réalité, votre véritable intention, chers collègues de l'opposition, consiste une fois de plus à favoriser les catégories les plus aisées et protéger les contribuables les plus riches en leur permettant de se prémunir contre l'impôt !
Ce n'est donc pas de non-rétroactivité de la loi fiscale que nous parlons, mais de dispositifs destinés à aider celles et ceux qui veulent échapper à l'impôt à l'anticiper au maximum. Bouclier fiscal hier, non-rétroactivité de la loi fiscale aujourd'hui : la droite ne fait aucun cas de la situation de crise que traverse notre pays, dans laquelle elle l'a pourtant mené. Elle a pour but priver la représentation nationale de la possibilité d'exercer ses responsabilités à tout moment en faisant appel à l'impôt pour des motifs d'intérêt général ! Je rappelle que l'impôt est dû dès que le revenu est connu, et donc après le 31 décembre. Il est donc parfaitement loisible, selon une jurisprudence constante, de fixer des règles relatives aux impositions des revenus de toutes natures alors qu'ils sont en cours d'élaboration et de perception.
Au lieu de penser en permanence à l'allégement de la fiscalité en faveur des couches les plus favorisées, je vous propose de penser plutôt à l'attractivité de notre pays. Celle-ci passe par des politiques publiques de solidarité et d'investissement, et qui font de l'impôt l'un des outils de solidarité entre les Français.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
La discussion générale commune est close.
La parole est à M. Olivier Dassault, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
Comme dans une pièce de théâtre bien agencée, M. le ministre de l'économie et des finances arrive alors que nous allions interrompre la séance, non pas pour nous plaindre de son absence mais plutôt par respect, pour qu'il puisse assister à la réponse du rapporteur à tous les intervenants qui nous ont fait le plaisir de participer à la discussion. Vous étiez fort bien représenté, monsieur le ministre, par Mme la ministre des droits des femmes, ici présente, qui était prête à vous suppléer.
Je voudrais tout d'abord remercier celles et ceux qui ont participé à la discussion. Au –delà de mes collègues de l'opposition qui m'ont soutenu et que je ne citerai pas tous, bien entendu, je voudrais aussi remercier ceux de la majorité, qui ont lu avec beaucoup d'attention le rapport, en particulier M. Molac, qui en a cité in extenso certains passages. Mais peut-être avez-vous, cher collègue, laissé de côté quelques passages intéressants, qui démontrent l'insuffisance de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, de la Cour de cassation et du Conseil d'État. Mais j'y reviendrai dans un instant.
Mme Annick Girardin, par-delà toute motivation politique, a reconnu que ces propositions de loi dépassaient le clivage entre opposition et majorité, que la France était montrée du doigt et qu'elle souffrait d'un changement trop fréquent de politique fiscale. Ce point fait l'objet, me semble-t-il, d'un véritable consensus. L'étude de Bruno Gibert, qu'elle a citée, a montré que la rétroactivité de la loi fiscale a pu jouer au bénéfice des contribuables dans environ 70 % des cas. C'est intéressant. Mais cette étude porte sur des dispositions votées de 1982 à 1999. Qu'en serait-il de 1999 à 2002, et, surtout, depuis 2012 ?
Je remercie M. Yves Goasdoué de partager les bons sentiments véhiculés par une telle proposition de loi, qui mérite quand même mieux, mes collègues de l'opposition me l'accorderont, qu'une place au musée des astuces politiciennes. Mais on ne saurait se contenter de l'édifice jurisprudentiel élaboré par le Conseil Constitutionnel dans le silence du constituant. Cela me semble très important.
Les propositions de loi dont nous débattons ne sont ni inopportunes ni inutiles. Quant à leur prétendue dangerosité, qui serait liée à l'impossibilité d'adopter des lois de validation – ce dont s'inquiétait également Paul Molac –, elle est démentie par mon amendement n° 1 sur la proposition de loi organique. Il propose d'admettre la validité des lois de validation dès lors qu'elles sont plus favorables au contribuable que les anciennes.
Vous avez dit que l'étude d'Ernst & Young plaçait la France au troisième rang en matière d'attractivité. Mais ce troisième rang n'est qu'européen et il concerne l'attractivité en général. Grâce au ciel, on reconnaît que la France a quand même encore une certaine attractivité dans beaucoup de domaines. Mais ce n'est nullement le cas en matière d'attractivité fiscale ! Comme l'a très justement dit Jean-Charles Taugourdeau, il faut renforcer cette attractivité. Les propositions de loi, je remercie Véronique Louwagie de l'avoir dit, sont empreintes de bon sens. Il faut, monsieur le ministre, que vous écoutiez un peu le bon sens. Ces propositions sont importantes pour lutter contre la pénalisation des investissements, de la production et de l'emploi.
M. le ministre du travail a émis ce matin des réserves sur la remise en cause de la rétrospectivité des lois de finances. Il m'a même dit au coin de l'oreille : « Vous auriez pu employer le terme “respectivitude” ! »
Sourires.
Je ferme la parenthèse. Tel n'est pas l'objet des propositions de loi organique et constitutionnelle. Seul l'amendement n° 2 à la proposition de loi organique vise à remettre en cause la rétrospectivité des lois de finances, dont je rappelle qu'elle n'a été mise en place qu'après 1948.
Enfin, comme l'a très bien dit Philippe Gomes, la majorité a multiplié les arguties politico-juridiques pour refuser de voter deux propositions de loi qui ne sont ni de droite ni de gauche, je le répète, mais visent simplement à répondre aux attentes de nos concitoyens.
Le malaise de la majorité a été légèrement perceptible à travers la faiblesse de l'argumentation de certains de ses orateurs, qui ont recouru à aux « astuces politiciennes », que M. Goasdoué, reprenant les mots de M. Migaud, attribuait à l'opposition.
La proposition de loi organique comme mon amendement à son article 1er ménagent l'intérêt général en précisant qu'il doit être « suffisant », pour tenir compte du dernier état de la jurisprudence du Conseil Constitutionnel. Il est donc faux de prétendre que les initiatives de l'opposition porteraient atteinte à l'intérêt général. Cela relève plutôt d'une posture idéologique, qui confine à « l'imposture » dont M. Dominique Lefebvre nous a accusés à l'instant.
Il est vrai que, lorsque nous étions dans la majorité, nous aurions pu adopter une telle proposition de loi issue des nombreuses propositions formulées par mes collègues lorsque nous étions auparavant dans l'opposition, y compris celle de M. Nicolas Sarkozy. Mais, au fond, si vous nous accusez, chers collègues de la majorité, de refaire l'histoire, permettez-moi de vous dire que vous avez, vous, aujourd'hui, une chance de faire l'histoire !
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je me livrerai à l'exercice ingrat, sinon un peu artificiel, de répondre à une discussion à laquelle je n'ai pas entièrement assisté, même si je viens d'écouter attentivement M. Dassault. Je vous prie de bien vouloir m'en excuser, mais je devais, comme cela était prévu depuis plus longtemps que ne l'était ma présence ici, recevoir le président de l'Autorité des marchés financiers, M. Rameix, venu me présenter son rapport annuel. Je viens maintenant relayer ma collègue, Mme Vallaud-Belkacem, qui a suivi les débats avec beaucoup d'attention.
Je commencerai par une réflexion générale, en réponse à ce que vient de dire Olivier Dassault, sur la volonté du Gouvernement de servir l'intérêt général. Le revendiquer pour soi en attribuant aux autres le mistigri de la manoeuvre politicienne est, sinon une argutie ou une ficelle, en tout cas un marronnier de l'art parlementaire. Je ne jouerai pas à cela. Nous sommes les uns et les autres au service de notre pays et de sa compétitivité, et nous souhaitons que les entrepreneurs disposent d'un cadre d'activité et un cadre fiscal qui soient sécurisés et stabilisés. L'entreprise n'appartient à personne. Elle n'est ni de droite ni de gauche, elle appartient à ses actionnaires et à ses salariés. Elle a des dirigeants et surtout, elle a une vocation, celle de créer de la richesse et de la croissance au profit de l'essor et du développement de l'économie du pays.
Une fois que l'on a dit cela, qui définit l'intérêt général qui fatalement nous rassemble, venons-en à l'examen des propositions de loi, dont la proposition de loi constitutionnelle dont vous êtes le premier signataire, monsieur Olivier Dassault. Ce qu'a voulu montrer la majorité au cours du débat, c'est que le droit existant comporte déjà des garanties importantes pour les contribuables et qu'en conséquence l'objectif de stabilité affiché peut être atteint dans le cadre juridique actuel. Elle a souligné au passage qu'en effet, l'actuelle opposition n'a pas manqué d'occasions, au cours des dix années qui se sont écoulées, de faire de telles propositions. Le temps a passé. Il a été long. Et, franchement, si vous estimez, mesdames et messieurs les députés de l'opposition, qu'il s'agit là de dispositions tellement essentielles qu'elles peuvent amener à une modification de notre Constitution, que ne l'avez-vous fait pendant les dix ans au cours desquels vous étiez la majorité, avec un Président de la République de vos couleurs et un gouvernement censé agir dans la direction que vous évoquez !
Je répondrai, par courtoisie républicaine, à ce que je sais des interventions des orateurs. M. Accoyer s'est préoccupé de l'attractivité de notre territoire et a vu dans la non-rétroactivité des lois fiscales la clé pour la reconquérir. En vérité, comme je viens de le dire, les propositions constitutionnelle et organique aujourd'hui soumises à votre examen n'apportent pas grand-chose à l'état actuel du droit, qui est déjà encadré par la jurisprudence constitutionnelle. D'ailleurs, le Gouvernement en est tellement conscient qu'il a décidé, à la suite de la publication du rapport Gallois, de pérenniser cinq dispositifs fiscaux essentiels pour toute la durée du quinquennat, dont le crédit d'impôt recherche, qui est cher à tous ici, sur tous les bancs, et dont le volume augmentera de 2 milliards d'euros au cours de ce quinquennat. C'est aussi la raison pour laquelle nous avons allégé le coût du travail de 20 milliards d'euros, au travers du crédit d'impôt compétitivité emploi. De même que l'entreprise n'appartient à personne, la compétitivité est l'objectif de tous. Le Gouvernement dont je suis membre s'enorgueillit d'avoir fait plus, beaucoup plus, en peu de mois que ses prédécesseurs en beaucoup d'années.
Votre réflexion, monsieur Molac, a suscité le plein accord du Gouvernement. Je vous remercie d'avoir rappelé que les facteurs d'attractivité du territoire français sont puissants. Je le dis souvent, lorsque je suis amené à répondre, dans un climat un peu plus agité qu'aujourd'hui, à des questions d'actualité à l'Assemblée nationale, il y a quelque chose de lassant, de fatigant voire de dégradant à voir sans arrêt l'attractivité de notre territoire attaquée et notre pays dénigré.
C'est votre politique que nous dénigrons, pas l'attractivité de notre territoire !
Ce pays nous est commun. Nous vivons dans une grande démocratie où le choix des citoyens détermine quelle formation politique est amenée à exercer le pouvoir. Mais vous n'avez aucune leçon à nous donner, monsieur Ollier, sur l'attractivité française ! Je ne rappellerai pas – nous sommes ici en comité forcément un peu plus restreint que ce n'est parfois le cas – dans quel état nous avons trouvé ce pays et combien les efforts que nous consentons pour le redresser sont difficiles.
Et votre politique d'aménagement du territoire, en quoi consiste-t-elle ?
Je suis également en plein accord avec l'intervention de Mme Girardin, que je remercie d'avoir souligné que l'opposition ne dépose des propositions de loi visant à encadrer la rétroactivité que lorsqu'elle est dans l'opposition, et jamais lorsqu'elle est dans la majorité ! Cela montre bien – et je vais choisir ma formule pour rester modéré – que les choses ne sont pas aussi simples que vous pouvez parfois sembler vouloir le dire.
Mme Girardin a par ailleurs relevé que, sur cette question, nous n'étions pas très éloignés des dispositifs existant chez nos partenaires, qui sont aussi nos concurrents. En conséquence, comme elle le fait remarquer à très juste titre, le problème n'est pas tant notre droit que la volonté politique de limiter les changements brusques et fréquents en matière de politique fiscale ; c'est bien ce que nous souhaitons faire, afin de permettre à nos entreprises d'investir.
M. Goasdoué a rappelé, dans une intervention dont la qualité ne m'a pas étonné, car je le connais bien, les dispositions constitutionnelles encadrant déjà très sévèrement la faculté du législateur d'adopter les dispositions fiscales. Il a aussi très justement souligné les limitations que les propositions de loi dont nous débattons aujourd'hui imposeraient au pouvoir législatif – des limitations qu'il serait pour le moins paradoxal de consentir dans l'enceinte de cette assemblée. Ainsi, et ce serait quand même très préoccupant, le Parlement ne pourrait pas modifier les recettes de l'impôt sur le revenu ou de l'impôt sur les sociétés pour l'année à venir lorsqu'il débat d'un projet de loi de finances. Ce serait assez étrange. Le vote du Parlement ne produirait d'effet que deux ans plus tard. Peut-être est-ce la raison pour laquelle l'actuelle opposition s'est abstenue de légiférer sur ce point durant les années où elle était au pouvoir.
Monsieur Gomes, vous avez qualifié d'obscur le crédit d'impôt compétitivité emploi, ce que je ne peux imputer qu'à deux causes : soit une certaine mauvaise foi de votre part, soit un mauvais réglage optique. En réalité, les choses sont extrêmement claires. Je le dis en prose, mais je pourrais aussi le dire en vers, pour faire allusion à notre échange de la nuit dernière dans le cadre de l'examen de la réforme bancaire : l'objet du CICE est bien de procéder à un allégement puissant et simple d'usage – des instructions ont d'ailleurs été récemment données à l'administration fiscale pour simplifier encore les choses –, afin de permettre aux entreprises d'investir en profitant d'un allégement du coût du travail.
Par comparaison, la TVA sociale permettait de réduire potentiellement les cotisations sociales de 12 milliards d'euros – ce qui représentait un allégement net de 8 milliards d'euros, compte tenu de l'impôt sur les sociétés. Notre dispositif est donc beaucoup plus puissant que celui que vous avez voulu mettre en oeuvre à la fin du quinquennat précédent. Pour moi, contrairement à ce que vous affirmez, le CICE est, par rapport à la TVA sociale, indéniablement plus limpide, plus simple, plus facile à mettre en oeuvre et plus puissant.
M. Taugourdeau a lui-même souligné, dans son intervention, à quel point ces propositions de loi sont inopérantes pour répondre aux problèmes qui se posent. Il a déploré, d'une part, la hausse des impôts à laquelle la majorité dont il faisait partie, devenue l'opposition, a pourtant procédé sans modération, et, d'autre part, l'instabilité du droit fiscal – ce qui ne laisse pas de m'étonner, car il a soutenu un gouvernement qui a présenté jusqu'à cinq lois de finances au cours d'une même année, chacune contenant des dispositions fiscales. Ainsi le gouvernement précédent a-t-il réformé quatre fois le crédit d'impôt recherche, alors que la prévisibilité dans ce domaine est particulièrement importante pour le contribuable entrepreneur que nous voulons servir.
Je remercie Mme Bechtel d'avoir souligné son attachement à l'intérêt général, un attachement dont elle fait preuve depuis longtemps, et le paradoxe qu'il y aurait à ne l'appliquer qu' « à titre exceptionnel ». Je la remercie également d'avoir évoqué la relation de confiance que ce gouvernement propose aux entreprises volontaires : en échange de plus de transparence, les entreprises concernées bénéficieront d'un accompagnement renforcé de la part de l'administration, ainsi que d'une validation au fil de l'eau de leurs déclarations fiscales. Comme vous, madame Bechtel, je vois dans ces dispositions un progrès important en termes de sécurité juridique pour les contribuables.
M. Collard a souhaité que la loi fiscale soit traitée aussi sévèrement, me dit-on, que la loi civile en matière d'encadrement de la rétroactivité. C'est ainsi, en tout cas, que les choses ont été comprises. Certes, vous êtes tous ici des élus de la nation – je m'adresse à des députés, et non pas à des gens qui ont exercé telle ou telle profession –, mais je trouve une telle affirmation pour le moins étonnante dans la bouche d'un juriste. En effet, dans la mesure où le Conseil constitutionnel traite déjà exactement de la même manière de la loi fiscale et de la loi civile, votre souhait est exaucé par avance. D'ailleurs, le Conseil constitutionnel va déjà plus loin, et c'est heureux, en matière fiscale qu'en matière civile, notamment en matière de sanctions fiscales. Cela montre, si besoin est, à quel point les propositions formulées aujourd'hui sont redondantes.
Mme Louwagie a fait allusion à l'instabilité du droit fiscal en prenant l'exemple des transmissions d'entreprises. Or, c'est justement l'un des dispositifs – sous la forme des pactes d'actionnaires – dont le Gouvernement a annoncé la sanctuarisation pendant toute la durée du quinquennat. Là encore, votre voeu, madame la députée, est exaucé.
Enfin, je n'ai rien à ajouter ni à retrancher aux interventions de Mme Guittet et de M. Lefebvre, avec lesquelles le Gouvernement est en plein accord.
Au travers des réponses que je viens de vous apporter, vous aurez saisi la teneur mon message. Oui, nous partageons une volonté commune, celle que ce pays ait la possibilité de mieux entreprendre grâce à des règles lisibles, précises et stables dans un certain nombre de domaines. Nous en avons ajouté d'autres, dans le cadre du pacte de compétitivité. J'avoue ne pas avoir perçu l'utilité des propositions qui nous sont faites aujourd'hui, dans lesquelles je vois une opportunité politique plutôt qu'un apport de fond. C'est dans cet état d'esprit que le Gouvernement va maintenant accueillir les amendements et les articles qui vont être soumis au jugement de votre assemblée.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.
J'appelle en premier lieu l'article unique de la proposition de loi constitutionnelle, dans le texte dont l'Assemblée a été saisie initialement, puisque la commission n'a pas adopté de texte.
Avant de m'exprimer sur l'article unique, monsieur le président, je souhaite rappeler, une fois de plus, notre message : le principe de non-rétroactivité de la loi est de portée générale. À ce sujet, on a déjà cité l'article 2 du code civil et, pour les lois pénales, l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Pour ce qui est des actes administratifs, le Conseil d'État a affirmé le principe de non-rétroactivité comme un principe général du droit. Ce principe constitue l'un des fondements essentiels de la sécurité juridique pour les sujets de droit.
Pourtant, son application en matière fiscale est loin d'avoir un caractère systématique. Certes, nous sommes dans la logique de l'annualité de l'impôt et de l'application de la règle du fait générateur. Pour autant, il est souvent fait usage de la rétroactivité, soit pour éviter une jurisprudence administrative, soit encore pour imposer une loi interprétative. On observe d'ailleurs, malheureusement, une tendance nette à leur développement. J'insiste sur le fait que ces règles particulières du droit fiscal sont préjudiciables à la bonne marche des affaires en ce qu'elles créent une véritable instabilité fiscale, que ce soit pour les entreprises ou pour les foyers fiscaux.
Vous n'êtes pas censés ignorer que les emplois nouveaux à créer ne peuvent venir que des PME. Or, ce sont ces mêmes PME qui sont les plus sensibles à l'instabilité fiscale et juridique. Il leur est difficile de suivre l'actualité fiscale, et encore moins de l'anticiper. De ce fait même, leur résultat prévisionnel, qui sert souvent de base à leur capacité d'endettement pour développer leurs investissements, peut se retrouver totalement tronqué par une disposition rétroactive.
Je suis élue d'une zone frontalière. Notre région, en son temps, avait la chance d'avoir des investisseurs étrangers – allemands et suisses notamment –, lesquels créaient des filiales sur notre territoire. Malheureusement, ce n'est plus le cas. Ils nous opposent, non seulement le choc fiscal, mais encore l'instabilité fiscale, dont la rétroactivité est naturellement un élément majeur. Notre réglementation est trop complexe. Cela, ajouté à un coût horaire de la main-d'oeuvre supérieur à celui des pays européens voisins, démotive de plus en plus tout investissement étranger, et freine donc la création d'emplois.
Mes chers collègues, vous parlez souvent de boîtes à outils. Voilà un outil évident qui saurait redonner confiance aux entrepreneurs et permettrait donc d'accroître la compétitivité de notre pays.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.
La parole est à M. le ministre, pour soutenir l'amendement n° 3, tendant à la suppression de l'article unique.
Pour toutes les raisons évoquées par Michel Sapin, qui se trouvait parmi vous ce matin, ainsi que pour celles que j'ai moi-même exposées, le Gouvernement soutient l'amendement de suppression de l'article unique de la proposition de loi constitutionnelle.
Nous estimons en effet que cette proposition de loi n'est pas indispensable, ni même forcément utile. Elle est redondante et ne répond pas aux défis, pourtant réels – je ne veux pas négliger le fondement de votre démarche, monsieur le rapporteur – qui touchent à la nécessaire stabilité du droit fiscal. En sanctuarisant les dispositifs fiscaux essentiels dans le pacte de compétitivité, le Gouvernement a voulu retenir la bonne méthode pour permettre aux contribuables de disposer de la prévisibilité dont ils ont besoin.
Si nous partageons l'objectif poursuivi, nous ne sommes pas d'accord sur l'outil proposé, qui n'est pas le bon outil à placer dans la boîte constitutionnelle. La méthode proposée aujourd'hui n'est pas celle que nous retenons. C'est pourquoi j'appelle l'Assemblée à adopter cet amendement de suppression de l'article unique.
J'ajoute que l'on ne modifie pas la Constitution de cette façon un peu…
…rapide. Certains projets de loi constitutionnelle qui vous sont soumis font l'objet de plus de réserves de votre part, mesdames et messieurs les députés de l'opposition, alors qu'ils sont peut-être plus important, et attendus par nos concitoyens.
Comme vous l'aurez compris, cet amendement n'a pas été examiné par la commission. C'est un amendement de dernière minute. C'est le droit du Gouvernement que de procéder ainsi,…
…mais l'on ne peut que regretter le dépôt de cet amendement de dernière minute, dont l'adoption empêchera l'examen en séance publique des deux autres amendements, respectivement déposés par M. Collard et par moi-même.
L'amendement n° 3 est adopté et les amendements nos 1 et 2 tombent.
L'Assemblée ayant supprimé l'article unique de la proposition de loi constitutionnelle, il n'y aura pas lieu de procéder au vote solennel décidé par la Conférence des présidents.
J'appelle maintenant les articles de la proposition de loi organique, dans le texte dont l'Assemblée a été saisie initialement, puisque la commission n'a pas adopté de texte.
Cet amendement a été repoussé par la commission.
Dans un souci de protection du contribuable, il vise à compléter et préciser la liste des exceptions au principe de non-rétroactivité des lois fiscales, en y ajoutant la disposition législative diminuant les droits d'enregistrement et les droits de mutation, les dispositions relatives à l'assiette des impositions, dès lors qu'elles sont justifiées par un motif d'intérêt général suffisant – une exigence formulée par le Conseil constitutionnel –, ainsi que les lois de validation, dès lors qu'elles sont favorables au contribuable.
Cet amendement vise également à intégrer les mesures fiscales économiquement rétroactives dans le champ des dispositions législatives soumises au principe de non-rétroactivité, en écartant l'application aux contrats en cours des lois fiscales qui, quoique juridiquement non rétroactives, auraient pour effet d'en bouleverser l'équilibre financier, et en interdisant la remise en cause, par une loi ultérieure, d'un dispositif fiscal incitatif qu'une loi antérieure a institué pour une durée précisément déterminée, sauf s'il s'agit de le rendre encore plus favorable au contribuable.
Vous proposez, monsieur le député, de compléter et de préciser la liste des exceptions au principe de non-rétroactivité des lois fiscales. Comme vous le savez, la jurisprudence du Conseil constitutionnel n'admet la rétroactivité de la loi fiscale qu'à la condition d'un motif d'intérêt général suffisant. Les préoccupations de sécurité juridique et de stabilité de la norme sont également inscrites dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui rattache ces questions au principe fondamental de la garantie des droits, protégé par l'article 16 de la Déclaration des droits de 1789 et par le principe de la liberté contractuelle. C'est, en particulier, le cas des dispositifs incitatifs dont les modifications font l'objet d'un contrôle de constitutionnalité poussé – le contrôle de constitutionnalité des lois de validation étant, lui aussi, très strict.
Enfin, la liberté contractuelle que votre amendement, au demeurant peu clair, prétend défendre, est un principe d'ores et déjà reconnu par le Conseil constitutionnel.
Pour toutes ces raisons, il me semble que nous nous trouvons face à un amendement redondant par rapport au droit existant. C'est pourquoi j'appelle à son retrait, monsieur le député – c'est ce qu'appelle la sagesse –, et, à défaut, à son rejet.
L'amendement n° 1 n'est pas adopté.
Cet amendement, qui a été repoussé en commission, vise à soumettre la possibilité qu'une disposition fiscale puisse exceptionnellement revêtir une portée rétroactive lorsque l'intérêt général le justifie, à la condition que le produit résultant de ces impositions n'augmente pas.
Votre rapporteur partage le souci de l'auteur de l'amendement de limiter le champ des exceptions au principe de non-rétroactivité des lois fiscales.
Toutefois, si la proposition de loi organique ménage une exception au principe s'agissant des dispositions législatives concernant l'assiette des impositions lorsqu'un motif d'intérêt général l'exige – cela a été rappelé par M. le ministre –, c'est précisément parce que le surcroît d'impôt serait, à titre tout à fait exceptionnel, justifié par les intérêts supérieurs de la nation. Ajouter à cette condition que « le produit des impositions correspondantes n'augmente pas » reviendrait à priver l'exception de tout objet et de tout sens.
La préoccupation de l'auteur de l'amendement, que j'ai bien comprise, a été partiellement satisfaite par l'amendement de réécriture globale de l'article 1er, que j'ai soutenu tout à l'heure, qui proposait de préciser que l'intérêt général susceptible de justifier la rétroactivité de dispositions législatives concernant l'assiette des impositions devait être suffisant. Cette précision, qui traduit le dernier état de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, permettrait de s'assurer que la notion d'intérêt général ne serait pas abusivement invoquée par le législateur pour adopter des mesures fiscales exceptionnellement rétroactives.
L'amendement n° 3, repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.
Cet amendement était entièrement satisfait par l'amendement que j'avais déposé à l'article 1er de la proposition de loi organique. En effet, cet amendement de réécriture globale proposait de préciser qu'aucune disposition législative ne pouvait modifier un dispositif fiscal incitatif institué pour une durée indéterminée ou jusqu'à une date déterminée, sauf à rendre ce dispositif plus favorable au contribuable avant le terme prévu.
Dans la mesure où mon propre amendement a été rejeté, je me vois contraint de donner, à titre purement personnel, un avis favorable à cet amendement, que la commission des lois avait pourtant repoussé.
L'amendement n° 4 n'est pas adopté.
L'article 1er n'est pas adopté.
La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l'amendement n° 2 portant article additionnel après l'article 1er.
Cet amendement vise à revenir sur le principe de rétrospectivité de la loi fiscale, selon lequel la loi de finances de l'année n + 1 s'applique aux revenus, bénéfices et gains réalisés au cours de l'année n, sans pour autant être considérée comme rétroactive, dans la mesure où, en vertu d'une fiction juridique, elle s'applique au fait générateur de l'impôt réputé survenir, je le répète, le dernier jour de l'année civile pour l'impôt sur le revenu, et à la date de clôture de l'exercice, qui est le plus souvent fixée au 31 décembre, pour l'impôt sur les sociétés.
Ce principe de rétrospectivité a pour conséquence de laisser le contribuable dans l'ignorance du régime fiscal applicable au moment où il accomplit l'acte générateur du revenu : ce « suspense fiscal », comme je l'ai appelé tout à l'heure, est contraire au principe de sécurité juridique, sur lequel nous avons débattu.
Cet amendement propose donc de modifier l'article 1er de la loi organique relative aux lois de finances, pour restaurer le principe qui a prévalu dans notre pays jusqu'en 1948, en vertu duquel la loi fiscale applicable aux revenus, bénéfices et gains réalisés au cours de l'année civile était celle en vigueur au 1er janvier de cette même année civile.
L'amendement de M. Dassault a le mérite – et je l'en remercie – de bien montrer la différence entre rétrospectivité et rétroactivité. La rétrospectivité est autorisée par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, dans la mesure où elle se distingue de la rétroactivité. Sans rétrospectivité, la marge de pilotage des finances publiques serait grandement réduite, compte tenu – je l'ai expliqué tout à l'heure – du décalage entre la date de perception du revenu et la date de paiement de l'impôt correspondant. On concentrerait alors sur les seuls impôts indirects les marges de manoeuvre budgétaires. Je vous remercie, donc, monsieur le rapporteur, de cette leçon.
Cela dit, je propose le retrait de cet amendement, ou, à défaut, son rejet.
L'amendement n° 2 n'est pas adopté.
L'article 2 n'est pas adopté.
Nous avons achevé l'examen des articles de la proposition de loi organique.
L'Assemblée ayant rejeté tous les articles de la proposition de loi organique, il n'y aura pas lieu de procéder au vote solennel décidé par la Conférence des présidents.
Prochaine séance, mardi 11 juin à neuf heures trente :
Questions orales sans débat.
La séance est levée.
La séance est levée à seize heures trente-cinq.
Le Directeur du service du compte rendu de la séance de l'Assemblée nationale,
Nicolas Véron