COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES
Mardi 11 février 2014
La séance est ouverte à seize heures trente.
(Présidence de M. Jean-Patrick Gille, vice-président de la Commission)
La Commission des affaires sociales examine, sur le rapport de M. Gilles Savary, la proposition de loi visant à renforcer la responsabilité des maîtres d'ouvrage et des donneurs d'ordre dans le cadre de la sous-traitance et à lutter contre le dumping social et la concurrence déloyale (n° 1686).
Mes chers collègues, nous allons aujourd'hui examiner la proposition de loi n° 1686 de M. Bruno Le Roux, visant à renforcer la responsabilité des maîtres d'ouvrage et des donneurs d'ordre dans le cadre de la sous-traitance et à lutter contre le dumping social et la concurrence déloyale. Ce long titre recouvre la problématique des travailleurs détachés en provenance d'autres pays de l'Union européenne, dont la présence fragilise les entreprises françaises, souvent incapables de faire face à des concurrents bénéficiant de coûts de main-d'oeuvre beaucoup plus bas que les leurs.
Il s'agit ici, tout en restant bien entendu dans le cadre de la législation européenne, de prendre des mesures propres à mettre un terme aux nombreux abus constatés.
C'est un sujet que notre commission a déjà abordé, puisque le 26 juin dernier nous avons examiné, sur le rapport de Richard Ferrand, la proposition de résolution n° 1088 sur la proposition de directive relative à l'exécution de la directive sur le détachement des travailleurs. Cette question a également été évoquée lors de l'audition le 27 novembre dernier de Pervenche Berès, présidente de la commission de l'emploi et des affaires sociales du Parlement européen, organisée en commun avec la commission des affaires européennes.
J'ai le plaisir de saluer la présence parmi nous de Mme Chantal Guittet rapporteure de la commission des affaires européennes qui s'est saisie de ce texte pour observations.
Je voudrais d'abord vous rappeler le contexte dans lequel s'inscrit cette proposition de loi.
Nous nous sommes intéressés à ce sujet à la faveur du projet de directive d'application de la directive européenne n° 9671CE du 16 décembre 1996 relative au détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services, dite directive « détachement ». Ce projet de la Commission européenne a donné lieu à une résolution européenne, adoptée le 12 juillet 2013 par notre Assemblée à l'unanimité.
Cette résolution est issue du constat de la prodigieuse accélération de la dérégulation du marché du travail en Europe. Une des origines de ce phénomène se trouve dans le dévoiement du détachement de travailleurs, dont l'impact risque d'être absolument dévastateur à terme si on le laissait se développer en marché autonome de travailleurs low cost.
Soyons clairs : il ne s'agit pas de lutter contre l'immigration de travail, dont l'utilité est incontestable – je rappelle que la France compte aujourd'hui 350 000 emplois non pourvus. Il faut souligner, surtout au moment où la Suisse ferme ses frontières, que l'immigration de travail a beaucoup profité à notre pays. Je n'ai pas besoin de rappeler l'apport des travailleurs polonais ou italiens à l'exploitation des mines françaises, par exemple. Moi qui suis de Bordeaux, je n'oublie pas non plus que le grand négoce viticole a été créé par des étrangers. On pourrait également évoquer l'apport des étrangers dans le domaine des arts et de la science.
Il ne s'agit pas davantage de nier l'utilité du détachement de travailleurs, qui a toujours accompagné les échanges de biens et de services entre les différentes nations, et pas seulement à l'intérieur de l'Union européenne. Actuellement la France détache 300 000 personnes par an, dont environ 170 000 en Europe, qu'il s'agisse d'ingénieurs chargés de vendre des TGV ou des Airbus, d'ouvriers chargés d'en assurer la maintenance, de commerciaux, de scientifiques auprès de laboratoires étrangers ou d'artistes.
L'Europe a d'ailleurs encadré ce phénomène par la directive « détachement », qu'il ne faut surtout pas fustiger. Édictée en 1996, elle a le mérite de répondre aux problèmes qui se posaient à l'époque en instaurant un statut protecteur du travailleur détaché. Celui-ci doit bénéficier du salaire minimum fixé par le pays d'accueil. Il assure une mission d'une durée limitée et reste affilié durant cette période à la sécurité sociale du pays d'origine. On voit que de telles règles sont très protectrices des droits des travailleurs français détachés dans un autre pays de l'Union européenne.
Le problème est que ces règles ne suffisent plus aujourd'hui. En effet, à la faveur de l'intégration de nouveaux États présentant de très fortes disparités de conditions salariales et sociales et de la crise des dettes souveraines, se sont constitués des réseaux qui font, de façon plus ou moins licite, commerce de travailleurs low cost. Aujourd'hui des entreprises, des exploitations agricoles se voient proposer des ouvriers polonais ou slovaques pour assurer à bas coût des prestations temporaires, via de véritables brochures publicitaires garantissant la qualité et la fiabilité du service.
Le développement d'un tel phénomène est délétère à plus d'un titre. Même quand ils sont déclarés, ces travailleurs sont dans l'obligation de « ristourner » une partie de leur salaire. Leurs conditions d'hébergement sont souvent indignes et les conditions et la durée de leur travail fréquemment contraires à la loi française. Certains employeurs indélicats préfèrent se tourner vers les sociétés qui mettent à leur disposition ce type de travailleurs, aux dépens des entreprises qui respectent notre législation sociale. Ce phénomène ne nuit donc pas seulement à nos règles sociales : il fausse le jeu concurrentiel, déstabilisant des filières entières. Surtout il risque à terme d'assécher le financement de notre protection sociale.
Ce sont toutes les raisons pour lesquelles on ne peut pas accepter que le détachement devienne le mode de recrutement ordinaire de travailleurs. C'est donc pour faire rentrer le détachement dans son lit, et non pour le supprimer, que nous vous proposons les présentes dispositions. Celles-ci visent à renforcer l'encadrement d'un phénomène qui, s'il n'est pas encore massif – les travailleurs détachés ne représentent en France que 1,6 % de l'ensemble des travailleurs – est en train de prendre de l'ampleur. Nous ne sommes qu'au début de l'histoire, et il est temps que les autorités publiques se saisissent du problème et envoient un message fort à l'Europe.
C'est pourquoi nous nous sommes mis à travailler à une proposition de loi, dans la pensée qu'il fallait renforcer la législation française sans attendre une révision de la législation européenne. Or, comme vous le savez, en décembre dernier, Michel Sapin a obtenu du Conseil des ministres du travail de l'Union européenne le meilleur accord possible sur cette question. Un tel résultat était pourtant hautement improbable dans la mesure où la Commission européenne était très défavorable à la position française. Fort de ce succès, Michel Sapin a exprimé le souhait que nous accélérions l'examen de la proposition de loi, afin de mettre en oeuvre de façon anticipée la responsabilité solidaire des donneurs d'ordre et de leurs sous-traitants en cas d'abus et de fraudes, prévue par l'article 12 du projet de directive. En outre, alors que le droit européen se limite au secteur du bâtiment, la réglementation française sera étendue à d'autres secteurs.
Au cours de son élaboration, cette proposition de loi a progressivement pris de l'ampleur et englobe dorénavant d'autres formes de travail illégal. Vous y trouverez ainsi des dispositions visant à moraliser les pratiques qui ont cours dans le secteur des transports, où l'application des règles sociales est particulièrement complexe.
Les dispositions de ce texte sont souhaitées par l'ensemble des syndicats de salariés, mais également par la plupart des organisations patronales. Ces dernières se sont même révélées les plus demandeuses d'un renforcement de la réglementation, notamment dans les secteurs du bâtiment et des travaux publics, de l'intérim ou des transports, ou dans le secteur agricole, qui souffre d'une pénurie de main-d'oeuvre saisonnière.
Il ne s'agit pas de mesures d'affichage ou de témoignage, mais de réponses à la fois très précises et pragmatiques : nous avons eu le souci que cette nouvelle réglementation ne soit pas trop lourde à gérer pour les donneurs d'ordre et les maîtres d'ouvrage et qu'elle n'étouffe pas toute possibilité de développement économique. Ce texte, extrêmement équilibré, vise à dissuader la fraude sans décourager des entreprises qui sont en concurrence avec des entreprises étrangères.
Ses deux premiers articles, les plus importants, sont une transposition anticipée de l'article 12 du projet de directive que je viens d'évoquer. Le premier instaure une obligation de vigilance à la charge des maîtres d'ouvrage ou donneurs d'ordre leur imposant de vérifier que leur cocontractant a déposé une déclaration préalable de détachement. Le second renforce la responsabilité solidaire du donneur ou du maître d'ouvrage. Par ailleurs, le texte reconnaît l'intérêt à agir des syndicats et des organisations professionnelles en cas de fraude au détachement. Enfin, outre des mesures sectorielles concernant le transport et le BTP, il propose des sanctions beaucoup plus lourdes en cas d'illégalités patentes.
Je compte, mes chers collègues, que vous saurez transformer en loi cette initiative qui est tout à l'honneur du Parlement.
C'est avec beaucoup d'espoir et d'enthousiasme que nous entamons l'examen de cette proposition de loi, puisque notre commission avait adopté à l'unanimité la proposition de résolution européenne, due déjà à l'initiative de nos collègues Savary et Guittet, qui condamnait expressément les nombreuses et importantes dérives que permet la directive européenne dite « détachement des travailleurs ». Cette résolution européenne ne se cantonnait pas à une déclaration de bonnes intentions sans lendemain, puisqu'elle préconisait la mise en place de mesures, européennes et nationales, permettant de lutter activement contre ce fléau qu'est le détachement massif, et souvent frauduleux, de travailleurs. Même nos collègues de l'opposition l'avaient approuvée, alors même que l'instauration d'un SMIC européen y figurait noir sur blanc.
Depuis l'adoption de cette résolution, le chantier a avancé dans des conditions qui viennent d'être rappelées par notre rapporteur. Certaines des mesures que nous avions recommandées ont été adoptées le 9 décembre lors de la négociation européenne relative à la directive d'application. Je pense notamment à la responsabilité solidaire, arrachée de haute lutte et éminemment nécessaire. L'article 2 de la présente proposition de loi propose une « anticipation » de transposition de la coresponsabilité. C'est un gain de temps considérable, au moment où le projet de directive d'application fait encore l'objet de débats entre la Commission, le Conseil européen, le Parlement au niveau européen, et que les échéances électorales font craindre un report. En outre, cet article lui donne un champ d'application maximal puisque la responsabilité solidaire concernera l'ensemble des secteurs d'activités, et non l'unique secteur du BTP. C'est un signal important, notamment en direction des secteurs agricoles et agroalimentaires.
Le groupe Socialiste, républicain et citoyen proposera d'aller plus loin encore en élargissant la coresponsabilité aux cas de manquement à toutes les dispositions visées par l'article L. 1262-4 du code du travail. Très concrètement, cet élargissement rendra le dispositif plus efficace en permettant aux inspecteurs du travail de constater des irrégularités concrètes, matérielles, là où le contrôle des salaires s'avère difficile d'un point de vue pratique.
D'autres mesures, qui ne peuvent aujourd'hui trouver écho au niveau européen, sont proposées dans le cadre national.
La « liste noire », introduite par l'article 6, fait partie de ce nouvel arsenal à but dissuasif. À défaut de pouvoir l'établir dans tous les États membres, il est nécessaire de mettre en place cet outil en France. J'ai pu constater, sur le terrain et lors des auditions menées par le rapporteur, que ce dispositif répond à une demande pressante des acteurs économiques, en particulier des artisans, des TPE et des PME. C'est une demande constamment relayée par les organisations professionnelles et les organisations patronales, seul le MEDEF faisant exception – il est vrai que les grandes entreprises sont souvent celles qui profitent le plus du détachement et de ses abus, alors que les plus petites en subissent de plein fouet les conséquences dommageables. On ne s'étonnera pas dans ces conditions qu'on nous propose des amendements de suppression de cet article.
Pourtant l'ensemble des corps et acteurs concernés, syndicats patronaux et syndicats de salariés, organisations professionnelles et inspecteurs du travail, élus et entreprises, sont favorables à un durcissement substantiel des règles encadrant le détachement.
Bien plus que favorables, ils sont demandeurs de telles règles. C'est que, tout autant que nous, ils mesurent l'urgence. Les uns, pourtant peu enclins d'habitude à un durcissement de la réglementation, subissent chaque jour une concurrence indigne qu'ils ne peuvent affronter et qui cause des dommages parfois irréversibles à l'exploitation de leur entreprise. C'est pourquoi le groupe SRC propose toute une batterie de mesures, dissuasives et répressives.
De telles pratiques, qui se déroulent de façon massive sous nos yeux, sont inacceptables et font courir un grand risque à l'Europe même, et à l'image que nos concitoyens s'en font.
Je parlais d'espoir dans l'introduction de mon propos. C'est l'espoir que notre commission, comme elle l'a fait pour la résolution européenne, adopte à l'unanimité cette proposition.
Le groupe de l'Union pour un Mouvement populaire est très favorable aux mesures de ce texte qui vont dans le bon sens. En effet, on ne peut que s'inquiéter de ce détournement du principe de libre circulation posé par le traité de Rome, notamment de la liberté pour les entreprises européennes de détacher des salariés dans un autre pays européen. Pour avoir consacré un rapport à la fraude sociale, je peux témoigner que cette faculté donne malheureusement lieu à des abus extrêmement nombreux. Nous veillerons cependant à ce que ce texte reste équilibré et qu'il ne durcisse pas excessivement la réglementation, au risque de ne pas être euro-compatible.
Par ailleurs, cette proposition de loi laisse certaines questions sans réponse. Ainsi, il ne traite pas de la question de l'affiliation du travailleur détaché à la sécurité sociale du pays d'origine, laissant entier le problème posé par le détachement de travailleurs venant de pays où le coût du travail ne supporte pas les mêmes charges sociales que dans notre pays. Le coût du travail en France étant plus élevé que dans la plupart des pays européens, ce texte ne constitue qu'une réponse partielle à l'absence de législation sociale européenne.
Par ailleurs, la liste noire prévue par l'article 6, si elle est intéressante comme arme de dissuasion, ne risque-t-elle pas de porter un coup mortel aux entreprises qui se trouveraient écartées durablement des marchés publics ?
De quels moyens disposera un donneur d'ordre pour contraindre un sous-traitant indélicat à mettre fin à une situation de travail irrégulier ?
Enfin, ce texte ne donne-t-il pas un pouvoir excessif aux syndicats, dont on connaît les tendances souvent antieuropéennes, en les autorisant à engager des actions judiciaires à la place des salariés lésés ?
Dans l'état actuel du texte, ces réserves conduisent notre groupe à exprimer une position d'abstention. J'espère, mes chers collègues, que vous ne céderez pas à la tentation de durcir excessivement ce texte, avec le risque de le rendre inapplicable.
Le groupe Radical, républicain, démocrate et progressiste est très favorable à ce texte, ce qui signifie que nous le voterons – je précise ce point, puisque pour M. Tian être favorable à un texte signifie s'abstenir de le voter !
Avec ce texte, la France est à l'avant-garde dans le combat en faveur d'une harmonisation des législations sociales des différents pays européens. Alors qu'elle doit déjà faire face à un problème de coût du travail, notre économie ne pourra pas supporter les pratiques de dumping social autorisées par les disparités sociales au sein de l'Union européenne. C'est dans cette perspective qu'il convient de considérer ce texte pour en mesurer l'importance.
Cette proposition de loi est très importante, d'abord parce qu'elle est très attendue par les employeurs comme par les salariés. Ces mesures doivent permettre de mieux encadrer le détachement de travailleurs, via notamment une aggravation des sanctions pesant sur l'utilisation frauduleuse du détachement. Je tiens tout spécialement au dispositif de la double déclaration, qui constitue un moyen très simple d'informer les inspecteurs du travail de la présence de travailleurs détachés.
Je souhaiterais par ailleurs que la responsabilité conjointe et solidaire ne se limite pas au paiement des salaires, très difficile à contrôler puisqu'il s'effectue d'ordinaire dans le pays d'origine du travailleur. Le donneur d'ordre devrait également être reconnu comme responsable du respect des règles qui constituent le coeur de notre droit social, à savoir la durée légale de travail, des conditions d'hébergement et de travail décentes, l'hygiène et la sécurité du travail.
Je voudrais enfin souligner que la commission des affaires européennes a approuvé cette proposition de loi à l'unanimité.
Sur le terrain, dans nos villes, dans nos quartiers, on mesure chaque jour combien la directive « Détachement » n'est pas appliquée, faute d'un dispositif de contrôle efficace, et qu'elle est devenue un outil de concurrence déloyale, notamment dans les secteurs du BTP, agricole et agroalimentaire.
On ne peut donc que se féliciter d'avancées telles que l'extension de la responsabilité conjointe et solidaire ou la préconisation d'une agence européenne de contrôle du travail mobile en Europe. Ce sont là autant de mesures qui vont dans le bon sens.
On peut cependant s'interroger sur la pertinence de certaines des mesures proposées par ce texte. Je m'inquiète notamment des conséquences de l'inscription sur la liste noire des entreprises coupables de fraude au détachement. En effet, la commission des affaires européennes préconise dans son rapport qu'une telle inscription ait pour conséquence directe une interdiction d'accès aux appels d'offres ainsi que l'interdiction de sous-traiter ou de fournir une prestation de services de main-d'oeuvre pendant une période donnée. Certes, ces sanctions ne figurent pas dans l'état actuel de la proposition de loi, mais j'aimerais savoir si les auteurs de la PPL ont évolué sur ce sujet : comptent-ils durcir les sanctions prévues à l'encontre des entreprises en cause ?
Je voudrais féliciter notre rapporteur, mais également Richard Ferrand et Chantal Guittet pour leur détermination à faire avancer ce dossier qui concerne le droit européen, mais aussi notre droit national.
La directive de 1996 constituait un progrès puisqu'elle assurait à un travailleur originaire d'un État membre détaché en France d'être payé dans les conditions du droit français. Mais depuis les élargissements de l'Union et le développement du contournement de cette législation, il devient impératif de renforcer la réglementation pour responsabiliser les maîtres d'ouvrage et les donneurs d'ordre et mettre fin aux abus que nous constatons sur nos territoires. L'emploi de travailleurs détachés est devenu un mode de recrutement ordinaire, notamment dans le secteur agricole et agroalimentaire, où les emplois peinent à être pourvus, même dans un contexte de chômage de masse. Il existe aujourd'hui, dans les pays de l'Est, des sociétés d'intérim spécialisées dans la fourniture de travailleurs à nos entreprises. Si ce mode de recrutement était jusqu'à récemment réservé à des activités très saisonnières, il est devenu de règle dans l'industrie agroalimentaire, mais également dans d'autres secteurs, tels que le bâtiment, et ce qui était saisonnier est devenu permanent.
Le texte proposé est équilibré. Il responsabilise l'employeur de travailleurs détachés ; il propose que le donneur d'ordre et le maître d'ouvrage soient solidaires pour le paiement des salaires. Je pense que nous devons aller plus loin et veiller à ce que toutes les règles du droit du travail s'appliquent.
En ce qui concerne la liste noire, je préconise une application la plus souple possible.
Il est vrai, monsieur Tian, que l'affiliation du travailleur détaché à la sécurité sociale de son pays d'origine fait de l'emploi de travailleurs originaires de pays où les charges sociales sont très faibles un avantage compétitif en termes de coût du travail. Cependant, les chefs d'entreprise eux-mêmes nous ont dit que si leurs employeurs respectaient le droit du travail français, les coûts d'hébergement et de transport de ces travailleurs neutraliseraient cet avantage compétitif. C'est parce qu'ils sont souvent hébergés dans des conditions indignes, parfois sur le lieu de travail, qu'ils coûtent moins cher. Il arrive ainsi que des routiers étrangers qui font des campagnes d'un mois en France passent leur repos hebdomadaire sur les aires d'autoroute, où ils dorment dans leur camion, et font leur toilette dans les stations-service. Il est évident qu'ils coûtent moins cher dans ces conditions.
En tout état de cause, on ne peut pas remettre en cause cette affiliation pour deux raisons. Premièrement, elle est imposée par la loi européenne : pour être travailleur détaché, il faut déjà être travailleur dans son pays d'origine, donc y être affilié à un régime de sécurité sociale. Deuxièmement, cette règle est très protectrice des travailleurs originaires de pays à haut standard social, comme le nôtre. On ne voit pas comment on pourrait remettre en cause une règle qui tient à la nature même du détachement : s'agissant d'une mission temporaire, il est logique qu'on reste affilié à la sécurité sociale de son pays d'origine.
La liste noire d'entreprises et de prestataires de main-d'oeuvre ayant été condamnés pour travail illégal a en effet une vocation dissuasive. De telles listes existent déjà pour certaines infractions. Une telle solution a la faveur de plusieurs fédérations patronales, même si le MEDEF y est moins favorable. L'inscription sur cette liste est certes stigmatisante, mais nous avons eu le souci de la proportionnalité de la sanction. C'est pourquoi elle n'interdit pas à l'entreprise de répondre un appel d'offres ni de continuer son activité. En outre, elle ne peut être décidée que par le juge et elle n'a rien d'automatique. Nous préconisons qu'y soient inscrits, non seulement le nom des entreprises fautives, mais également celui de leurs dirigeants : nous connaissons trop de cas de dirigeants qui, tels le phénix, mettent fin à leur « bizness » pour le faire renaître sous une autre appellation.
La possibilité pour les syndicats ou les organisations professionnelles de se porter partie civile se justifie par le fait que c'est souvent la seule possibilité de porter devant la justice ces dérèglements contraires à l'ordre social. Le plus souvent en effet, on ne peut pas compter sur les victimes de ces abus pour dénoncer leurs conditions de travail, si tant est qu'ils connaissent bien le droit du travail français : à six cents euros par mois et même s'il faut coucher sur le chantier, notre pays constitue pour eux un eldorado. En tout état de cause, on n'aurait pas compris que les syndicats de salariés n'aient pas la possibilité d'engager des actions judiciaires, à la différence des organisations professionnelles.
La Commission en vient à l'examen des articles de la proposition de loi.
Chapitre Ier Dispositions générales modifiant le code du travail
Article 1er : Extension de l'obligation de vigilance de l'entreprise bénéficiaire d'une prestation de service internationale
La Commission examine l'amendement AS25 du rapporteur.
Il convient de préciser que le devoir de vigilance visé à l'article 1er de la proposition de loi s'étend également à la durée de l'exécution du contrat. C'est le but de cet amendement, qui précise que toute personne vérifie lors de la conclusion du contrat mais aussi lors de son exécution que son cocontractant, lorsqu'il s'agit d'un prestataire de services établi hors de France, s'acquitte de l'obligation de déclaration préalable de détachement.
Cette précision vise à éviter que le sous-traitant ne déclare détacher aucun ou peu de salariés lors la signature du contrat, mais ait recours de manière massive à cette procédure pendant l'exécution du contrat. Le donneur d'ordre pourrait ainsi fermer les yeux pendant l'exécution du contrat, et se rendre complice d'une dissimulation d'emploi de travailleurs détachés, sans que sa responsabilité solidaire et financière soit directement engagée.
La Commission adopte cet amendement.
Elle adopte ensuite l'amendement rédactionnel AS 6 du rapporteur.
La Commission est saisie de l'amendement AS 17 de M. Richard Ferrand.
Le présent amendement propose d'introduire un nouvel article dans le code du travail qui crée une déclaration, non exclusive de la déclaration préalable obligatoire prévue à l'article R. 1263-3 devant être faite par l'entreprise qui détache des salariés, afin d'obliger le donneur d'ordre ou le maître d'ouvrage à déclarer le recours à une entreprise sous-traitante qui utilise le détachement de travailleurs, auprès de l'inspection du travail du lieu où s'effectue la prestation.
Cette mesure doit permettre aux inspecteurs du travail de croiser plus facilement les données pour mieux cibler leurs contrôles. C'est pourquoi elle ne s'applique pas aux contrats dont le montant est inférieur à 500 000 euros, les services de l'inspection du travail risquant dans un tel cas d'être noyés sous le nombre de déclarations.
Le contenu et les modalités de la déclaration seront précisés par un décret pris en Conseil d'État, mais l'esprit du présent amendement n'est pas d'alourdir les démarches administratives du donneur d'ordre ou du maître d'ouvrage. Les modalités de déclaration devront être simples, avec un formulaire type.
Le présent amendement propose également que le défaut de déclaration soit sanctionné d'une amende de cinquième classe. Le montant de l'amende proposé serait identique à celui qu'un autre amendement prévoit pour le défaut de déclaration de détachement préalable.
Cet amendement va ainsi de pair avec les dispositions prévues par les articles 1er et 2 de la proposition de loi qui visent à renforcer la responsabilité conjointe et solidaire des donneurs d'ordre et des maîtres d'ouvrage.
Cet amendement est très pertinent, mais les inspecteurs du travail disposeront-ils de moyens supplémentaires pour en assurer l'application ? Pourquoi avoir choisi ce plafond de 500 000 euros ?
L'adoption de cet amendement ne va certainement pas permettre de multiplier le nombre d'inspecteurs du travail, mais cette mesure a en elle-même une dimension dissuasive. Quant au plafond de 500 000 euros, il vise à exclure les petites entreprises du champ d'application de la disposition.
Soyons francs : le problème est celui du défaut de contrôle par l'inspection du travail. Quelle est l'utilité de créer une obligation supplémentaire de déclaration, qui plus est spécifiquement française, les entreprises qui fraudent ne s'y soumettant pas par hypothèse ?
Cette disposition n'est pas spécifique à notre pays, puisqu'elle existe déjà en Belgique ou en Allemagne, par exemple. Elle doit précisément permettre aux inspecteurs du travail de gagner du temps.
Ce n'est pas nous qui avons inventé la RGPP, et ce n'est pas depuis cette législature qu'on a des difficultés à recruter dans la fonction publique. Cette déclaration permettra seulement de localiser les entreprises qui emploient des travailleurs détachés. Quant aux autres, le seul fait d'embaucher des chômeurs étrangers est constitutif d'une fraude.
La Commission adopte cet amendement.
Puis elle adopte l'article 1er modifié.
Article 2 : Solidarité du donneur d'ordre ou du maître d'ouvrage pour le paiement des salaires
La Commission examine l'amendement AS 7 de M. Dominique Tian.
L'article 2 nous semble susceptible de compromettre l'équilibre de ce texte en dissuadant les entreprises d'employer des travailleurs détachés. En effet, il met en place la responsabilité solidaire du maître d'ouvrage ou du donneur d'ordre pour le paiement des salaires des salariés du sous-traitant, y compris lorsque le maître d'ouvrage ou le donneur d'ordre n'a pas de relation directe avec lui. La question des moyens se pose : de quels pouvoirs l'entreprise donneuse d'ordre disposera-t-elle pour faire cesser cette situation ? La disposition actuelle du code du travail est beaucoup plus simple et efficace, et c'est pourquoi il est proposé d'en rester à la rédaction actuelle.
L'article 2, dont vous demandez la suppression, est au coeur du dispositif de responsabilité solidaire : sans lui, celle-ci n'existe plus. Je vous rappelle qu'elle n'est actuellement prévue par le code du travail qu'en cas de travail dissimulé.
Il est vrai cependant qu'il serait excessif de sanctionner l'entreprise donneuse d'ordre en cas de défaut de régularisation de la situation signalée. Il est en effet impossible pour un maître d'ouvrage de vérifier que les salaires sont bien versés : même l'inspection du travail n'y arrive pas. C'est pourquoi je vous proposerai dans mon amendement AS31 d'y substituer une obligation de vigilance renforcée et d'information de l'inspection du travail en cas d'absence de régularisation par le sous-traitant.
Cet amendement est retiré.
La Commission adopte l'amendement de précision AS 4 du rapporteur.
La Commission examine l'amendement AS 18 de M. Richard Ferrand.
L'article 2 constitue en effet le coeur de la proposition de loi, et il convient de ne pas restreindre son champ d'application aux seuls cas de non-paiement des salaires minimum légaux. Parmi les dispositions de notre code du travail que les sous-traitants qui détachent des travailleurs en France doivent respecter – le « noyau dur » visé par l'article L. 1262-4 – figurent également le respect des libertés individuelles et collectives dans la relation de travail, les discriminations et l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, la protection de la maternité, ou encore les congés de maternité et de paternité.
En outre, le non-paiement d'un salarié détaché est très difficile à établir, dans la mesure où l'agent de contrôle doit procéder à une enquête transnationale et saisir le bureau de liaison français, qui lui-même contactera son ou ses homologues. En revanche, si l'on élargit le périmètre de responsabilité à l'ensemble des obligations que je viens de citer, on disposera de moyens concrets pour détecter d'éventuelles irrégularités.
Je laisse à votre sagesse le jugement du bien-fondé de cet amendement. Sur le fond, il n'y a aucune raison de ne pas étendre le champ d'application de l'article à l'ensemble des obligations légales. Il avait d'ailleurs été question, lors des discussions préparatoires avec le ministère, d'inclure l'hébergement des travailleurs détachés ; toutefois, je ne vois pas pourquoi on laisserait de côté les infractions à la législation sur le temps de travail, ou les cas de discrimination, ou encore les problèmes d'hygiène et de sécurité. Il faudrait y revenir lors du débat en séance plénière et, en fonction de la position du ministère, procéder aux ajustements nécessaires.
Nous pouvons difficilement adopter une position qui consisterait à saucissonner notre code du travail et laisser croire qu'il en existe une version soft applicable aux travailleurs low cost !
Pourtant, cela me paraît une complication inutile, puisque les salariés détachés ne le sont que pour un temps très limité. En étendant le champ d'application de l'article aux cas de non-respect des congés de maternité, de l'exercice du droit de grève, de la durée légale du travail, des repos compensateurs, des jours fériés et des congés annuels payés, n'avez-vous pas l'impression de charger la barque ? Il ne faudrait quand même pas que ce texte soit un obstacle au détachement !
La Commission adopte l'amendement.
En conséquence, l'amendement AS 24 du rapporteur n'a plus d'objet.
La Commission passe à l'examen, en discussion commune, des amendements AS 26 du rapporteur et AS 19 de M. Richard Ferrand.
Mon amendement vise à renforcer l'efficacité du dispositif tout en protégeant le donneur d'ordre ou le maître d'ouvrage, en exigeant que le sous-traitant informe par écrit ce dernier de la régularisation de la situation.
La démarche comprendrait ainsi trois étapes : premier temps, un agent de contrôle informe le donneur d'ordre ou le maître d'ouvrage que son sous-traitant se trouve en infraction ; deuxième temps, le donneur d'ordre ou le maître d'ouvrage enjoint le sous-traitant de se mettre en règle ; troisième temps, le sous-traitant notifie au donneur d'ordre ou au maître d'ouvrage sa régularisation – faute de quoi, ce dernier doit alerter l'agent de contrôle.
Une telle modification donnerait en effet plus de souplesse au dispositif. Mais je ne comprends pas pourquoi le délai de réponse devrait être fixé par un décret en Conseil d'État. Cela risque de prendre du temps ! Pourquoi ne pas préciser le délai dans la loi ?
Parce qu'il existe des travaux de natures très différentes, et qu'il est impossible de faire du prêt-à-porter en la matière : dans le cas d'une campagne de ramassage de fruits, qui dure quatre jours, il faudra régulariser très vite, alors que s'il s'agit d'un détachement de deux mois à la centrale de Flamanville, ce sera moins urgent. Nous préférons nous en remettre aux grands ingénieurs de l'administration que sont les conseillers d'État, pour qu'ils calibrent bien les obligations et fixent éventuellement des délais différents suivant le secteur d'activité ou le type de tâche.
L'amendement AS 19 est retiré.
La Commission adopte l'amendement AS 26 du rapporteur.
Elle examine ensuite l'amendement AS 31, du même auteur.
Cet amendement répondra, je l'espère, à votre objection, monsieur Tian : il vise à préciser que le maître d'ouvrage ou le donneur d'ordre n'est rendu financièrement responsable qu'en cas de manquement à ses obligations d'injonction et d'information, et non de manière automatique. Si, ayant été informé qu'un de ses sous-traitants se trouvait en situation irrégulière, il a demandé à ce dernier de se mettre en règle et, en cas de non-réponse, informé le service de contrôle de la situation, sa responsabilité ne sera pas engagée.
La Commission adopte l'amendement.
Puis elle adopte l'article 2 modifié.
Article 3 : Extension du devoir d'injonction du maître d'ouvrage
La Commission adopte l'article 3 sans modification.
Article 4 : Habilitation des agents de contrôle à exiger la production immédiate des documents propres au détachement de travailleurs
La Commission adopte l'article 4 sans modification.
Article 5 : Sanction de la poursuite d'activité au-delà d'un mois avec un partenaire dont la situation d'irrégularité a été signalée au regard de la législation relative au travail dissimulé
La Commission est saisie de l'amendement AS 20 de M. Richard Ferrand.
Cet amendement vise à corriger ce qui serait une bizarrerie législative.
Dans sa rédaction actuelle, l'article 5 est contraire tant à l'esprit qu'à la lettre du code du travail, puisqu'il accorde au maître d'ouvrage ou au donneur d'ordre une immunité pénale pendant une durée d'un mois.
Nous proposons donc de revenir au texte de l'article L. 8222-5 du code du travail, qui prévoit que la situation d'illégalité doit cesser sans délai dès que le maître d'ouvrage ou le donneur d'ordre en a été informé par écrit.
Sur le fond, je suis favorable à l'amendement, car on ne peut pas accepter une telle « franchise » de peine, mais si nous l'adoptons, je crains qu'il ne faille réécrire l'article.
Et ce sera M. Ferrand qui entrera dans l'histoire parlementaire, car si l'article n'est pas bon, supprimer « pendant plus d'un mois » serait pour le coup catastrophique : le texte ne voudrait plus rien dire du tout ! Ne vaudrait-il pas mieux supprimer l'article ?
Peut-être faudrait-il revoir la rédaction de l'amendement, mais l'idée est de dire que tout maître d'ouvrage ou donneur d'ordre doit, dès l'instant qu'il a été informé dans les conditions prévues par l'article L.8222-5 de la situation irrégulière du sous-traitant, cesser immédiatement l'exécution du contrat, faute de quoi il encourra des sanctions pénales.
Le problème, c'est que l'article a une vocation clairement positive : il vise à accorder un délai d'un mois au maître d'ouvrage ou au donneur d'ordre après que celui-ci a été informé. Si l'on supprime toute référence au délai, le texte devient absurde !
Il est en effet évident que le maître d'ouvrage ou le donneur d'ordre sera sanctionné s'il ne respecte pas les obligations légales.
La sagesse voudrait que nous supprimions l'article, et que nous en réécrivions une nouvelle version d'ici à l'examen du texte en séance plénière. En l'état, il n'est pas acceptable : on ne peut pas autoriser un maître d'ouvrage ou un donneur d'ordre à prolonger durant un mois une situation contraire à loi !
Vu la confusion qui ressort de nos débats, ne vaudrait-il pas mieux que M. Ferrand retire son amendement pour que nous y retravaillions ?
La rédaction de l'article 5, tel que modifié par l'amendement, me semble pourtant très claire :
« Après l'article L. 8224-6 du même code, il est inséré un article L. 8224-7 ainsi rédigé :
« Art. L. 8224-7. – Tout maître d'ouvrage ou donneur d'ordre qui, après avoir été informé par écrit dans les conditions prévues par l'article L. 8222-5, poursuit l'exécution du contrat avec l'entreprise dont la situation irrégulière n'a pas cessé, est passible des sanctions prévues à l'article L. 8224-1. »
L'intérêt de cette disposition serait de renforcer la solidarité entre la personne en situation d'infraction et celle qui a le devoir de lui enjoindre de la faire cesser.
La Commission adopte l'amendement.
Puis elle adopte l'article 5 ainsi modifié.
Article 6 : Signalement sur Internet des entreprises condamnées à au moins 45 000 euros d'amende pour travail dissimulé
La Commission est saisie de l'amendement AS 8 de M. Dominique Tian, tendant à supprimer l'article.
Créer et faire publier sur Internet une « liste noire » de personnes morales ou physiques sans que l'inscription sur cette liste ait la moindre valeur juridique est étrange ! Cela revient à dire : « Vous avez été condamné, nous nous devons de le signaler, mais ce n'est pas pour autant que vous ne serez pas retenu : c'est uniquement pour information ». Mais qui acceptera de traiter avec quelqu'un qui est sur la liste noire ? Dans les faits, cela équivaudra à vous exclure du marché ! Soit l'on prévoit des conséquences juridiques, soit la liste noire n'a pas lieu d'être.
Avis défavorable : nombreux sont ceux, y compris parmi les patrons, qui sont attachés à cette mesure.
D'autant qu'il est bien précisé que l'inscription sur la liste noire ne sera qu'une possibilité offerte à la juridiction – probablement pour les cas de récidive.
La Commission rejette l'amendement.
Elle en vient à l'amendement AS 13 de M. Lionel Tardy.
Quel intérêt de publier une liste noire sans que cela ait de conséquence pour la personne concernée, hormis celle de la stigmatiser ? C'est inepte, et ce serait en outre une incongruité juridique, car il existe un droit à l'oubli. C'est comme si l'on disait qu'une inscription sur le casier judiciaire n'a aucune portée, mais qu'il faut quand même la signaler au futur employeur ! Qu'une condamnation soit incompatible avec l'exercice d'une fonction, cela peut se comprendre ; que l'inscription sur une liste noire entraîne des sanctions, également ; mais, en l'occurrence, ce n'est pas de cela qu'il s'agit.
Notre intention, à terme, est de promouvoir la création et la publication d'une « liste noire » européenne, qui serait infiniment plus utile ; en attendant, il serait bon que la France soit à l'avant-garde sur le sujet.
L'enjeu est également d'alerter le maître d'ouvrage sur les pratiques de l'entreprise : il s'agit, non pas de l'empêcher de traiter avec elle, mais de lui faire savoir qu'elle a des antécédents. Notre idée initiale était d'obliger tout maître d'ouvrage ou donneur d'ordre signant un contrat avec une entreprise inscrite sur la liste noire de le notifier au corps de contrôle, mais nous ne l'avons pas fait pour ne pas alourdir le dispositif.
C'est le juge qui choisira de mettre en oeuvre, ou non, cette disposition ; il s'agira d'une peine complémentaire qui n'interviendra que dans les cas les plus graves. Et être inscrit sur une telle liste n'empêchera pas une entreprise de travailler : j'ai personnellement utilisé une compagnie aérienne inscrite sur la liste noire européenne !
Avis défavorable, donc.
La Commission rejette l'amendement.
Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements AS 2 de Mme Chantal Guittet, AS 11 de M. Thierry Braillard et AS 21 de M. Richard Ferrand.
Mon amendement tend à supprimer toute référence à une peine d'amende minimale, afin de laisser à la libre appréciation du juge le fait d'inscrire ou non une entreprise sur la liste noire.
En cas d'infraction, le juge va condamner la personne morale ou physique à une amende ; il faut lui laisser la liberté d'en fixer le montant et, éventuellement, de procéder en sus à l'inscription sur la liste noire. Tel est le sens de mon amendement – qui rejoint celui de Mme Guittet.
La publication d'une liste noire des entreprises et prestataires de services condamnés pour des infractions constitutives de travail illégal doit avoir un effet dissuasif et préventif. N'ouvrir cette faculté que pour les cas de condamnation à une amende d'un montant d'au moins 45 000 euros – ce qui correspond à des infractions extrêmement graves – reviendrait à vider la disposition de son contenu.
En conséquence, l'amendement AS 21 vise à abaisser ce seuil à 15 000 euros, ce qui correspond à la peine d'amende maximale encourue en cas d'emploi d'un étranger en situation irrégulière. Ce moyen terme permettrait de renforcer l'effet dissuasif de la mesure et de laisser au magistrat la faculté d'agir ou non, tout en n'étant pas trop strict : on peut avoir commis des fautes mineures, sans que cela justifie un stigmatisation par inscription sur la liste noire.
Le seuil des 45 000 euros, qui correspond à la peine d'amende maximale encourue par les personnes physiques pour les pratiques de travail illégal, me semble en effet trop élevé ; l'éventuelle inscription sur la liste noire ne concernerait qu'un très petit nombre de dossiers. Je serais pour ma part favorable à l'amendement de M. Ferrand, plutôt qu'aux deux autres – étant entendu que l'on pourra procéder à des ajustements lors de l'examen du texte en séance plénière.
Une telle disposition risquerait cependant d'inciter le juge à fixer une peine d'amende de 15 000 euros pour avoir la possibilité d'inscrire la personne ou l'entreprise concernée sur la liste noire, alors qu'en ne fixant pas de seuil, on lui laisserait une plus grande liberté d'appréciation sur des situations potentiellement très différentes.
Suivant l'avis du rapporteur, la Commission rejette les amendements AS 2 et AS 11 et adopte l'amendement AS 21.
Elle en vient à l'amendement AS 23 de M. Richard Ferrand.
Il s'agit d'un amendement de précision, qui tend à substituer aux mots : « un an » les mots « cinq ans ».
Avis défavorable : une inscription sur la liste noire durant cinq ans me semble excessive.
L'amendement AS 23 est retiré.
La Commission examine l'amendement AS 15 de M. Lionel Tardy.
La Commission nationale informatique et libertés (CNIL) n'acceptera certainement pas que les coordonnées des personnes concernées figurent sur cette liste noire. Tous ceux qui défendent les libertés individuelles devraient s'opposer à une telle mesure. Je le répète : si l'on a commis une faute, il doit y avoir sanction, mais la publication d'une liste purement informative ne servira à rien.
Dans le cadre des travaux de la mission d'évaluation et de contrôle (MEC), j'avais demandé la création d'un fichier national des « interdits de gérer » ; cela fait quatre ans que nous attendons sa mise en place. Votre projet de liste noire européenne est voué à l'échec !
Avis défavorable : la publication des noms et coordonnées postales des personnes condamnées n'intervenant qu'après un jugement judiciaire, il n'y a pas besoin de l'avis de la CNIL. En outre, la Chancellerie, que nous avons consultée, ne voit pas d'obstacle à cette disposition.
Le casier judiciaire n'est pas consultable par tout citoyen ! Là, on va publier sur Internet non seulement le nom des personnes condamnées, mais aussi leurs coordonnées postales. C'est inacceptable !
La Commission rejette l'amendement.
Puis elle adopte l'article 6 modifié.
Chapitre II Autres dispositions
Article 7 : Possibilité d'ester en justice ouverte aux associations et syndicats professionnels ainsi qu'aux syndicats de salariés de la branche
La Commission est saisie de l'amendement AS 9 de M. Dominique Tian, tendant à supprimer l'article.
Je n'ai que du respect pour les syndicats français, mais ils sont très peu représentatifs – contrairement à ceux d'autres pays – et ils défendent des intérêts souvent défavorables à l'Europe, certains d'entre eux étant franchement anti-européens. Si l'on ne veut pas multiplier les contentieux, il convient de supprimer cet article extrêmement dangereux. C'est aux salariés de se défendre, et non aux syndicats de se substituer à eux pour bloquer en justice des dispositifs qu'ils dénoncent à longueur de journée !
Votre position, monsieur Tian, est un peu catégorique… D'abord, la possibilité qui est ouverte concernera le seul droit interne, et non le droit européen. Ensuite, elle n'entravera pas la liberté individuelle d'agir ou non justice ; en revanche, elle permettra aux organisations professionnelles d'agir au nom des intérêts collectifs de la profession contre des distorsions de marché, entraves ou infractions graves portant atteinte à l'ordre social. Avis défavorable, donc.
Les esclaves ne portent jamais plainte ! Vu leur situation de vulnérabilité, il convient de pouvoir défendre en justice les travailleurs détachés. Nous avons tous le devoir de signaler les abus de faiblesse.
Certes, mais c'est à la puissance publique de le faire, et non aux syndicats professionnels : l'objet de ces derniers est de défendre les intérêts de leur profession ou de leurs mandants. Que l'inspection du travail, le ministère et la gendarmerie prennent leurs dispositions !
La Commission rejette l'amendement.
Elle examine ensuite l'amendement AS 1 de Mme Chantal Guittet.
Dans un souci de cohérence avec le code du travail, je propose d'abaisser de cinq à deux ans la condition d'ancienneté d'un syndicat pour qu'il ait le droit d'ester en justice.
Réalisez-vous que l'organisation syndicale n'aura même pas à justifier d'un mandat du salarié pour agir en justice en son nom ? Elle devra simplement avertir ce dernier, qui ne pourra pas s'y opposer ! Et vous appelez cela un texte « équilibré » ?
Je vous rappelle, monsieur Tian, que nous avons défini des critères de représentativité des syndicats dans le projet de loi relatif à la démocratie sociale, que nous venons d'adopter en première lecture. Peut-être faudrait-il en tenir compte…
L'objectif de l'article est en effet de pouvoir s'attaquer à une situation illégale lorsque la partie lésée ne défend pas ses intérêts – pour des raisons qui peuvent paraître évidentes. Par exemple, la compagnie Ryanair n'aurait jamais été condamnée si certaines personnes n'avaient pas pris le risque d'attaquer leur employeur ; mais cela reste extrêmement rare, et c'est pour pallier ce genre de situations que nous proposons cette mesure.
Je précise que personne ne s'y opposé durant les auditions préparatoires et que, comme j'ai rencontré des organisations professionnelles plutôt que des syndicats de salariés, elle ne m'a été soufflée par personne.
Notre proposition de loi n'est pas cosmétique, elle n'a pas été conçue uniquement pour faire peur, et il ne s'agit pas d'une opération médiatique : son objectif est de nous donner des moyens pour lutter efficacement contre le travail illégal.
La Commission adopte l'amendement.
Puis elle adopte l'amendement rédactionnel AS 3 du rapporteur.
Elle adopte l'article 7 modifié.
Après l'article 7
La Commission est saisie de l'amendement AS 22 de M. Richard Ferrand.
L'objectif est en effet de nous armer pour combattre un phénomène nocif pour notre système économique et social, et reconnu comme tel par tous les acteurs économiques de notre pays.
À cette fin, nous proposons d'instaurer une nouvelle peine complémentaire, qui consisterait à interdire, pour une durée de cinq ans au plus, l'attribution de toute aide publique à une entreprise condamnée pour travail dissimulé, emploi d'étrangers sans titre de travail, prêt illicite de main-d'oeuvre ou marchandage. Cette nouvelle peine serait introduite à l'article 131-39 du code pénal.
Nous entendons tous, sur le terrain, des entrepreneurs qui travaillent dans le respect des règles se plaindre que d'autres, qui, de notoriété publique, ne le font pas, continuent à bénéficier de marchés, voire d'aides publiques. On peut avoir le sentiment de donner une prime aux tricheurs.
En conséquence, le présent amendement tend à donner au juge la faculté de sanctionner ces derniers en leur interdisant l'accès à toute aide publique.
Avis favorable, d'autant plus que dans certains secteurs, des entreprises massivement aidées par des fonds publics commettent des infractions au code du travail. Cela ne devrait pas être possible.
Certes, mais une entreprise en difficulté peut être reprise, et il semble difficile de la condamner pour une faute commise par un ancien dirigeant. Il faudrait introduire un peu de souplesse dans le dispositif.
Votre remarque serait légitime s'il s'agissait d'une règle automatique, qui s'imposerait sans discussion, et non pas – comme c'est le cas – d'une faculté donnée à un magistrat qui aura toute latitude pour apprécier les cas d'espèce.
Dans une situation telle que celle que vous décrivez, j'imagine que le juge ne se servira pas de cet outil. Il s'agit, non pas d'être « souple » ou « raide », mais de donner des armes aux magistrats.
Mais que se passera-t-il si l'entreprise est reprise dans l'intervalle des cinq ans ? Le nouveau dirigeant ne peut pas être tenu pour responsable de ce qui s'est passé !
D'autant que l'article 6 prévoit une inscription sur la « liste noire » pour une durée d'un an seulement. C'est incohérent !
La mesure prendrait en effet tout son sens si l'interdiction était limitée à un an, sur le modèle de la liste noire. Si elle dure cinq ans, on risque de mettre en péril toute l'entreprise, salariés inclus, et pas seulement le dirigeant fautif.
Chers collègues, il ne vous aura pas échappé que j'avais proposé d'étendre la durée d'inscription sur la liste noire à cinq ans !
Quoi qu'il en soit, il s'agit de deux questions bien distinctes.
Dans un cas, l'objectif est de prévoir un temps de « mise au piquet » ou de « stigmatisation », dont on considère que l'entreprise se remettra. Nous aurons l'occasion d'en rediscuter dans l'hémicycle, mais il me semble qu'une durée de trois ans pourrait être une solution équilibrée.
Il s'agit ici de tout autre chose : à savoir, de combattre la prospérité mal acquise, c'est-à-dire le fait qu'une entreprise ait pu s'enrichir indûment grâce à l'exploitation frauduleuse de travailleurs abusivement détachés. Je ne vois pas en quoi la priver d'accès à l'aide publique serait scandaleux. Qu'une entreprise soit sanctionnée et fragilisée parce qu'elle triche est précisément l'objectif de la proposition de loi !
Sur le fond, je suis d'accord, mais il s'agit d'interdire l'accès non seulement aux aides publiques, mais aussi aux marchés publics. L'amendement reviendrait à empêcher définitivement d'exercer des entreprises qui n'ont comme débouchés que des marchés publics. Cela fait quand même problème.
L'article 131-39 du code pénal prévoit déjà des durées de cinq ans au plus pour des peines telles que l'exclusion des marchés publics, le placement sous surveillance judiciaire, l'interdiction d'exercer directement ou indirectement une ou plusieurs activités professionnelles ou sociales. Il s'agit simplement de s'y conformer !
En général, les entreprises qui font des bénéfices importants ne prennent pas des risques inconsidérés. Celles qui trichent sont celles qui sont en difficulté, et qui survivent comme elles peuvent – notamment dans le secteur du bâtiment, qui va très mal. En privant une entreprise d'aides publiques et d'accès aux marchés publics pendant cinq ans, vous la condamnez à mort !
Il faut d'abord se souvenir d'où viennent ces dispositions du code pénal, monsieur le rapporteur.
Ensuite, appréciez bien le risque que vous prenez : des salariés qui n'ont rien à voir avec leur employeur pourront, à cause d'une sanction trop lourde, perdre leur emploi dans des secteurs en difficulté. Il me semble que ce n'est pas à nous, parlementaires, d'encourager cela.
La Commission adopte l'amendement.
Elle examine ensuite l'amendement AS 30 du rapporteur.
Cet amendement vise à introduire une circonstance aggravante de bande organisée pour les délits de dissimulation d'activités ou de salariés, de recours aux services d'une personne exerçant un travail dissimulé, de marchandage de main-d'oeuvre et de prêt illicite de main-d'oeuvre. Cette mesure, qui a été validée en interministériel, donnera à la puissance publique des prérogatives plus importantes pour mener à bien ses investigations. On ne peut pas à la fois se plaindre qu'il n'y a pas assez de contrôle et ne pas donner aux services les armes qui leur permettront d'être plus efficaces !
La Commission adopte l'amendement.
Article 8 : Obligation faite à tout candidat à l'attribution d'un marché public de présenter une attestation d'assurance décennale
La Commission est saisie de l'amendement AS 16 de M. Dominique Tian.
Les entreprises artisanales du bâtiment nous ont signalé que l'article L.243-1-1 du code des assurances excluait certains ouvrages de l'obligation d'assurance de responsabilité décennale. Il convient de reprendre ces dispositions dérogatoires dans le présent texte.
La Commission adopte l'amendement.
Elle adopte les amendements de précision identiques AS 5 du rapporteur et AS 10 de M. Dominique Tian.
Puis elle adopte l'article 8 ainsi modifié.
Après l'article 8
La Commission est saisie de l'amendement AS 28 du rapporteur.
Cet amendement vise à créer une obligation pour les employeurs de conducteurs routiers de veiller à ce que le repos hebdomadaire normal ne soit pas pris sur le lieu de travail, à savoir la cabine du véhicule.
Il tend également à punir d'un an d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende les employeurs qui rémunéreraient leurs chauffeurs en fonction de la distance parcourue et du volume de marchandises transportées, dès lors que ce mode de rémunération serait de nature à compromettre la sécurité routière ou à encourager les infractions au règlement européen.
Les chauffeurs routiers ne sont pas des travailleurs détachés : ils circulent ! Ne s'agirait-il pas d'un « cavalier » législatif, monsieur le rapporteur ?
En outre, pourquoi la France adopterait-elle une législation spécifique en la matière ? Et comment le chef d'entreprise pourra-t-il vérifier que le conducteur ne prend pas son temps de repos dans son camion ?
Un chauffeur routier peut être un travailleur détaché, monsieur Tian : il suffit pour cela qu'il soit embauché par une entreprise étrangère sous-traitante d'une entreprise française.
Surtout, la présente proposition de loi concerne non seulement le travail détaché, mais l'ensemble du travail illégal ; son titre ne souffre aucune ambiguïté : « Renforcer la responsabilité des maîtres d'ouvrage et des donneurs d'ordre dans le cadre de la sous-traitance et à lutter contre le dumping social et la concurrence déloyale ».
Si nous avons ouvert son champ d'application, c'est précisément parce que certains secteurs se trouvent dans des situations très délicates. C'est le cas du transport routier, où le pavillon français ne supporte pas, pour de multiples raisons, la concurrence internationale. Et même si des entreprises françaises recourent à ce genre de pratiques, il ne nous paraît pas très digne que des salariés passent leurs week-ends sur des aires d'autoroute.
Une telle interdiction est parfaitement compatible avec la réglementation européenne. Le transporteur devra simplement prouver qu'il paie l'hôtel au conducteur : cela se fait pour d'autres professions, et c'est très facile à contrôler. On ne peut pas tolérer que des personnes passent toutes leurs nuits, week-end compris, sur des aires d'autoroute pendant un mois !
La Commission adopte l'amendement.
Elle examine ensuite l'amendement AS 29 du rapporteur.
Avec cet amendement, nous abordons un sujet particulièrement délicat.
Aujourd'hui, seul le cabotage des véhicules de plus de 3,5 tonnes est encadré par une directive européenne : il leur est permis de faire, au retour d'un transport international, trois prestations de cabotage pendant une durée maximale d'une semaine. En revanche, rien n'est prévu pour les véhicules légers, qui sont de plus en plus utilisés pour ce type d'opérations. Nous proposons d'étendre la directive européenne à ces derniers afin de mettre un peu d'ordre dans un marché où les transporteurs français sont de plus en plus déstabilisés.
La Commission adopte l'amendement.
Puis elle adopte l'ensemble de la proposition de loi modifiée.
La séance est levée à dix-huit heure trente.