La séance est ouverte.
La séance est ouverte à dix heures trente.
L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines (nos 1413, 1974).
Le temps de parole restant pour la discussion de ce texte est de six heures quarante-neuf minutes pour le groupe SRC, dont 37 amendements sont en discussion ; cinq heures trente-cinq minutes pour le groupe UMP, dont 561 amendements sont en discussion ; trois heures vingt minutes pour le groupe UDI, dont 20 amendements sont en discussion ; une heure vingt-cinq minutes pour le groupe écologiste, dont 26 amendements sont en discussion ; une heure vingt-deux minutes pour le groupe RRDP, dont 13 amendements sont en discussion ; une heure vingt-trois minutes pour le groupe GDR, dont 4 amendements sont en discussion ; et dix minutes pour les députés non inscrits.
Hier soir, l’Assemblée a poursuivi la discussion des articles, s’arrêtant à l’amendement no 479 avant l’article 4.
Cet amendement est défendu. Nous avons déjà eu hier soir un débat sur ce thème et c’est un amendement de cohérence par rapport aux autres articles.
L’amendement no 479 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.
Nous en venons à une série d’amendements identiques qui visent à supprimer l’article 4. La parole est à M. Georges Fenech, pour soutenir l’amendement no 218 .
Madame la ministre, je voudrais profiter de votre présence dans cet hémicycle pour vous demander votre sentiment sur une affaire qui défraie la chronique ce matin : la libération pour vice de procédure d’un meurtrier présumé. Ce n’est malheureusement pas la première fois que ce genre d’erreur se produit. Elles sont rares, mais elles créent un malaise et une incompréhension, notamment chez les familles des victimes. Or, si ce genre de déraillement de l’institution répressive se produit, c’est aussi parce que notre justice manque cruellement de moyens. Cela ne date pas de votre arrivée, mais remonte à trente ans au moins. La France n’y consacre en effet que quelque 0,19 % de son PIB, ce qui la place au trente-septième rang européen derrière la Moldavie, la Roumanie ou encore la Russie. Quelle est votre réaction, madame la ministre ? Vos services ont-ils déjà mené une enquête sur ce qui s’est passé ? Votre réponse éclairerait la représentation nationale.
Quant à l’article 4, il instaure une forme d’ajournement de la peine. J’ai du mal à voir la plus-value de ce dispositif par rapport au droit existant. Cette césure du procès pénal entre déclaration de culpabilité et fixation de la peine existe déjà et le tribunal correctionnel, lorsqu’il s’estime insuffisamment informé, notamment sur la personnalité du prévenu, peut toujours renvoyer l’affaire à une date ultérieure. Il prend en ce cas des mesures provisoires, éventuellement une détention si nécessaire, de façon à ordonner un complément d’enquête. Cela existe déjà. La réflexion que nous faisions sur l’article 2, à savoir qu’il était surabondant et redondant, vaut aussi pour cet article 4. Quelle est la véritable plus-value de ce dispositif d’ajournement de peine, d’autant que l’on voit bien qu’il incite, toujours selon la même idéologie, à surindividualiser la sanction ? Cela va inciter, une fois de plus, le juge à ne pas prendre sa décision immédiatement et à la renvoyer dans un délai de quatre mois maximum, ce qui est important. Vous imaginez la lourdeur de cette procédure ! Alors que les audiences correctionnelles sont déjà au bord de l’apoplexie, nous allons demander au juge de refaire une audience après un nouvel examen de la personnalité. Je crains que ce dispositif ne fasse qu’aggraver la situation déjà très compliquée des tribunaux. C’est pourquoi nous proposons à l’Assemblée nationale de supprimer cet article 4.
La parole est à M. Éric Ciotti, pour soutenir l’amendement no 357 qui est également un amendement de suppression.
Dans la continuité de ce que vient d’exprimer Georges Fenech, je propose de supprimer cet article 4 qui crée une nouvelle forme d’ajournement, avec ce délai de quatre mois qui va complexifier la procédure judiciaire et allonger le délai de jugement, ce qu’on ne peut que déplorer. La France fait partie des pays d’Europe qui subissent le plus de condamnations de la part de la CEDH, du fait du non respect de l’équité dans les procès, précisément à cause de l’allongement toujours trop important des délais de jugement. Cet ajournement supplémentaire participera, hélas, de cette situation, en venant l’aggraver. De plus, comme l’a dit également Georges Fenech, comment trouver les moyens nécessaires ? Qui va mener l’enquête ? La logique de cet article est en effet d’aller encore plus loin dans le principe d’individualisation, en proposant notamment l’examen de la situation sociale du prévenu.
C’est un retour à cette idée implicite qui veut faire trouver des excuses à l’acte qui a été commis. La véritable philosophie qui vous guide dans ce texte et dans cet article, c’est d’essayer de trouver une excuse pour atténuer la faute et donc la sanction. Rien toutefois n’est indiqué sur les moyens qui seront accordés pour cette enquête notamment sur la situation sociale. Où sont les moyens, monsieur le rapporteur ? Ils sont dérisoires dans ce texte. Une fois encore, on ajoute de la complexité et, sans aucun moyen, on va rallonger inconsidérément la durée de jugement et agir de telle sorte que notre pays sera à nouveau le mauvais élève de l’Europe en termes de durée des procès. Votre logique est possible, mais il faut alors des moyens considérables pour éviter les situations, malheureusement d’actualité, que vient de rappeler Georges Fenech et qui provoquent trop souvent une incompréhension chez nos concitoyens et une rupture entre ceux-ci et la justice.
J’écoutais ce matin, sur une chaîne d’informations, la mère de la personne qui a été tuée et dont le présumé assassin, qui devait passer en jugement, a été libéré dans les conditions rappelées par Georges Fenech. On peut mesurer l’émotion et l’incompréhension de cette mère. Nos concitoyens ne peuvent à raison admettre, tolérer ou comprendre ce type d’erreur ou de faille, qui crée aujourd’hui la défiance à l’égard de notre justice. Cela est particulièrement dommageable à notre équilibre sociétal et à la solidité de notre démocratie. Avec ce type de mesures, vous allez multiplier les contraintes qui s’imposent déjà à l’autorité judiciaire et vous ne ferez pas oeuvre utile pour le bon fonctionnement de la justice.
La parole est à M. Philippe Vigier, pour soutenir l’amendement no 448 .
Comme mes collègues, je m’interroge, madame la ministre, sur l’intérêt de créer cette possibilité d’ajournement de la peine. Notre justice en sera-t-elle ou non plus lisible demain ? Sera-t-elle plus simple ? La fracture évoquée à l’instant est parfaitement perceptible. Il y a quelques jours, je suis allé passer une journée au tribunal de grande instance de Chartres. Comme vous le savez, je suis un visiteur régulier des prisons, du centre de détention de Châteaudun. Je suis donc allé à la rencontre des magistrats pour savoir ce qu’ils pensaient de cette procédure d’ajournement. Ils m’ont dit, quasiment à l’unisson, qu’il existait déjà des dispositifs de ce type et ils s’interrogeaient sur la nécessité d’en créer un nouveau. Il suffisait de voir la pile de dossiers en attente sur le bureau des juges ! Ils m’ont aussi parlé de l’incompréhension des justiciables et de la société devant les décisions de justice et devant la lenteur souvent reprochée à l’outil judiciaire.
Je vous interroge également sur les moyens. Notre justice a besoin de moyens. Comment, monsieur le rapporteur, ont-ils été évalués ? Vous expliquez dans le rapport que ces nouvelles enquêtes, réalisées par le secteur associatif, auront nécessairement un impact sur les frais de justice. Où sont les moyens financiers ? Ne pourrait-on pas faire un meilleur usage du budget de la justice en le consacrant à d’autres choses que la création de cette nouvelle possibilité d’ajournement de la peine ? Pour toutes ces raisons, nous vous demandons de supprimer ce dispositif qui ne simplifiera pas la procédure et coûtera plus cher sans permettre aux magistrats d’aller plus loin dans leur décision ni de mieux l’appréhender le moment venu.
Avant de défendre mon amendement, je voudrais rappeler à Mme la ministre que nous attendons une réponse à la question posée par notre collègue Georges Fenech. Celle-ci est en lien direct avec notre débat, puisque nous parlons de récidive et de peines. Nous aimerions savoir ce qui s’est passé, car c’est un élément important pour le développement de nos débats.
Quelle est véritablement la plus-value du dispositif tel qu’il nous est proposé dans cet article 4 ? C’est la certitude de voir les délais de mise à exécution des peines, en particulier des peines de prison ferme, encore retardés. Une telle orientation est surprenante. C’est une erreur majeure qui va encombrer les juridictions, comme viennent de le rappeler mes collègues ; cela va coûter cher en termes de hausse de la criminalité et probablement d’inexécution des peines. Nous aimerions pouvoir obtenir des précisions, grâce à une étude d’impact, car nous sommes là dans l’un des nombreux angles morts que nous avons décelés. L’ajout en commission des lois d’une disposition permettant au juge d’octroyer immédiatement des dommages et intérêts à la victime, en cas d’ajournement, ne suffit pas à nous convaincre, même si c’est l’un des rares moments où nous avons pu constater que la victime était enfin prise en compte lors des discussions, et ce parce que nous avons fortement insisté. Nul doute que c’est grâce à notre véhémence que, à cet endroit du moins, on parle de la victime. Le Gouvernement néglige en effet complètement cet aspect, ce qui est tout à fait dommageable. Nous considérons qu’une victime souhaite davantage une condamnation du coupable qu’une indemnisation. Or, très clairement, l’article 4 ne répond pas à cette situation. C’est pourquoi nous souhaitons sa suppression.
La parole est à Mme Marion Maréchal-Le Pen, pour soutenir l’amendement no 856 .
Avis tout à fait défavorable. Les explications figurant dans le rapport permettent de comprendre que cet ajournement est une bonne idée car il met sous la pression de la condamnation à venir la personne faisant l’objet de poursuites et permet le paiement effectif des dommages et intérêts puisque c’est précisément au moment où il va être statué sur la peine que le juge verra s’ils ont été payés. Cette disposition est si bonne qu’il est même prévu la consignation possible d’une somme qui pourrait ensuite devenir le montant de l’amende. C’est dire que nous répondons implicitement à la question des moyens, puisque nous favorisons le recouvrement des amendes et prenons aussi en compte les victimes en favorisant le recouvrement des dommages et intérêts. Toutes les préoccupations qui sont les vôtres ont donc d’ores et déjà été satisfaites.
Ces amendements de suppression sont extrêmement surprenants parce que l’article 4 permettra la césure du procès pénal en renvoyant le prononcé de la peine à une seconde audience.
Exclamations sur les bancs du groupe UMP.
Nous faisons la loi sous la vigilance des citoyens et il est bon de prendre le temps de réexpliquer de quoi nous débattons et non pas de débattre seulement entre personnes déjà totalement informées. Je rappelle donc le contenu de cet article. Au préalable, je note que vous, en tant que parlementaires, êtes suffisamment instruits du fonctionnement de la justice pour savoir que l’ajournement existe déjà dans notre droit.
Vous devez aussi certainement savoir qu’il est fréquent qu’une audience soit différée et donc que l’ajournement soit prononcé.
La valeur ajoutée, puisque vous parlez en ces termes – même si je ne crois pas que cela relève tout à fait du vocabulaire judiciaire …
Nos amendements apportent une valeur juridictionnelle ajoutée, madame la ministre !
…c’est que dorénavant, la première audience pourra se tenir avec plus de diligence et contribuer à casser le sentiment d’impunité. En effet, nous savons tous ici que les délais sont parfois tels que cela contribue à faire penser que la justice ne réagit pas.
Nous travaillons sur la question des délais à plusieurs niveaux : en augmentant les effectifs de magistrats et de greffiers eu égard aux insuffisances dont votre majorité d’alors nous a laissé les conséquences, mais aussi en améliorant les procédures puisque l’audience se tiendra plus vite et que la juridiction pourra se prononcer plus tôt sur la culpabilité et décider de l’indemnisation de la victime à titre provisionnel ou définitif, avant de prononcer la sanction lors d’une seconde audience. C’est incontestablement un progrès qui devrait vous satisfaire puisque vous nous dites à longueur de temps que la victime n’est pas assez prise en compte. Je rappelle une nouvelle fois qu’elle est prise en compte dans nos politiques publiques – vous dites vous-mêmes que la pédagogie, c’est l’art de la répétition. Comme vous réitérez sans arrêt des reproches infondés, je vais rappeler fréquemment les éléments tangibles et vérifiables qui prouvent que vos propos sont faux et que, depuis mon arrivée à la chancellerie, la politique d’aide aux victimes a été substantiellement modifiée.
Cet article est encore un progrès de plus puisqu’il permettra que l’audience se tienne rapidement et qu’on puisse, avant le jugement final, déjà déclarer la culpabilité et se prononcer sur l’indemnisation de la victime. En quoi cela vous dérange-t-il ? Je vous rappelle que la seconde audience, à l’issue de laquelle la peine sera prononcée, se tiendra entre deux mois et six mois, et non entre six ans et dix ans.
J’en viens à la question que vous m’avez posée, monsieur Fenech. En deux ans, vous avez dû observer que je ne porte jamais d’appréciation sur la décision d’un juge. Il s’agit, en ce qui concerne l’événement que vous avez évoqué, d’une erreur. Vous savez que j’ai pris des dispositions rigoureuses en la matière depuis mon arrivée à la chancellerie, dispositions dont je vous ai informé directement lorsque c’était possible, et qu’en tout état de cause j’ai fait connaître par communiqué de presse, un événement de ce type suscitant une émotion tout à fait légitime. Vous vous souvenez que cela s’est produit il y a quelques mois au tribunal de Bobigny, et…
Permettez que je finisse ma phrase. Sur des sujets pareils, indépendamment de toutes les exploitations qui en ont été faites, je me suis imposé une règle éthique que j’ai scrupuleusement respectée : prendre en compte en premier lieu la douleur des familles.
Et puis il y a aussi leur détresse, c’est-à-dire le sentiment profond qu’elles éprouvent qu’une personne peut échapper à la justice, ce qui est terrifiant. S’agissant du tribunal de Bobigny, j’avais diligenté une mission de l’inspection générale. Dans le cas que vous évoquez, monsieur Fenech, il y a encore eu une erreur, à savoir que les délais impartis à la justice n’ont pas été respectés et, là aussi, la lumière sera faite. Devant une telle situation, le parquet prononce une mesure de contrôle judiciaire à titre conservatoire. En l’occurrence, des dispositions seront évidemment prises le plus rapidement possible. Je rappelle qu’en ce qui concerne le tribunal de Bobigny, des dispositions ont été prises dans les quarante-huit heures : le contrôle judiciaire a été décidé et la personne libérée par erreur a été déférée aux assises, jugée et condamnée. Toutes les mesures de droit à la disposition de la justice sont utilisées pour réparer ces erreurs inexcusables, que la justice elle-même répare. Je pense que tout le monde est soucieux de respecter la souffrance des victimes tout en traitant les problèmes de droit et de procédure en tant que tels. Lier le cas que vous évoquez au projet de loi dont nous débattons en ce moment n’est pas correct parce que ce n’est pas pertinent : nous travaillons sur un texte qui concerne les délits et non les crimes. Il n’y a pas de lien entre les deux questions.
Par ailleurs, ceux qui ont parlé des effectifs voient que mon malaise est réel devant une telle exploitation. Cela me dérange, après avoir donné des explications sur des situations douloureuses, de devoir leur rappeler qu’ils ne peuvent pas me parler des effectifs alors que, pendant cinq ans, 300 postes de recrutement de magistrat auraient dû être ouverts annuellement, ne serait-ce que pour remplacer les 1 400 départs à la retraite. Je rappelle que seuls ont été ouverts quatre-vingts postes de recrutement chaque année – sauf une fois… 105.
« Eh oui ! » sur les bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.
Nous, nous avons décidé d’ouvrir 300 postes à notre arrivée, et 384 en 2013.
Ne dites pas que personne ne veut y aller, monsieur le député, puisque tous les postes ont été pourvus alors que le nombre de postes proposés atteignait le record de ces dix dernières années.
Le nombre de candidats a augmenté de 50 %.
Ce n’est pas tombé du ciel, messieurs les députés : pendant deux ans, mes services ont fait une campagne intensive dans les médias, y compris sur internet et, mieux encore, on a réuni les présidents de faculté de droit à l’École nationale de la magistrature, travaillé avec les magistrats, organisé des déplacements dans les universités pour sensibiliser les étudiants en droit aux multiples métiers qui existent dans la magistrature. Nous avons donc eu des résultats, reconnus d’ailleurs – je pense aux nombreux articles de presse et pas seulement à nos propres communiqués, aux déclarations des syndicats de magistrats. En 2013, nous avons fait, je le répète, le meilleur résultat de ces dix dernières années.
Exclamations sur de nombreux bancs du groupe SRC.
La nostalgie, monsieur Marsaud, ça va vous conduire loin !
Monsieur le député, nous avons tous la nostalgie du temps des dinosaures ; cela met de la poésie dans notre quotidien. (Sourires.)
Sourires.
Mais cela ne règle pas le problème du recrutement de magistrats qu’il faut trente et un mois pour former ; facteur aggravant, sous l’ancien quinquennat, les recrutements nécessaires n’ont pas été effectués. Nous nous y attelons depuis que nous sommes aux responsabilités, mais il faut évidemment le temps que les nouveaux magistrats soient formés, et compter deux ans pour les nouveaux greffiers. Depuis deux ans, nous recrutons pour remplacer les 1 400 départs à la retraite mais aussi afin de renforcer le corps de la magistrature car ses missions ont été élargies par un certain nombre de dispositions votées par le législateur sous l’ancien quinquennat et depuis celui-ci – je pense, par exemple, à la loi sur la collégialité, à la géolocalisation, à l’hospitalisation d’office. Je sais que nous devrons encore renforcer le corps de la magistrature.
La situation est donc bien meilleure qu’il y a deux ans. Nous pouvons nous entendre sur le respect à avoir et sur les paroles d’estime et de soutien à exprimer à l’égard des familles confrontées à de telles situations, et pour reconnaître la rigueur avec laquelle le ministère de la justice prend en main les erreurs évoquées, sur la diligence avec laquelle le parquet réagit de façon à les corriger, tout cela en nous consacrant à ce texte, de nature différente puisqu’il ne concerne que les délits.
Madame la ministre, vous vous montrez étonnée par ces amendements. Nous, nous ne le sommes pas.
Nous ne sommes pas non plus étonnés de l’incohérence de votre projet de loi, en particulier à cet article. Il y a incohérence parce que vous proposez l’ajournement pour mener « des investigations complémentaires sur la personnalité ou la situation matérielle, familiale et sociale » de la personne concernée.
Et pour nous montrer que vous avez toujours une pensée à l’égard des victimes, vous dites quelques paragraphes plus loin que la juridiction « peut octroyer immédiatement à la victime des dommages et intérêts. »
Ainsi, au moment même où l’on s’intéresse aux moyens financiers de celui qui risque d’être déclaré coupable, vous affirmez, sans pousser plus loin les investigations, qu’il va payer des dommages et intérêts.
De deux choses l’une : soit vous supprimez la notion d’investigations complémentaires visant à apprécier la vie matérielle du coupable, soit vous renoncez à dire quelque chose qui va en sens inverse quelques alinéas plus loin dans le même article.
C’est totalement incohérent. C’est de l’équilibrisme comme l’ensemble de votre texte.
Cet article n’est pas anodin. L’ajournement existe déjà et, de l’enquête de police à la saisie du procureur qui peut conduire à la mise en cause de la personne poursuivie, le parcours est déjà long. Tout cela prend du temps et, quand un délit est commis en proximité, qu’il y ait d’ailleurs une victime ou pas – quand il n’y en a pas, la victime est la société dans son ensemble – l’opinion locale est très sensible à ce qui se passe.
Actuellement, que se passe-t-il ? La personne mise en cause va au tribunal – quand elle y va – et, même si elle est condamnée à une peine privative de liberté, il est très peu fréquent que cette disposition soit suivie d’une arrestation immédiate à l’audience. La personne rentre alors dans son quartier.
Combien d’exemples avons-nous de ces voyous – il faut bien les appeler comme ça – qui rentrent chez eux tout glorieux en se vantant de sortir libres du tribunal ? Aux alentours, le groupe vers lequel ils se retournent le constate, en effet : ils sont là en chair et en os. Les citoyens qui, tout naturellement se plaignent de la situation, constatent qu’ils sont libres et en déduisent qu’il ne s’est rien passé.
Bien sûr, nous savons que la réalité est différente.
Avec cet article 4, vous allez encore aggraver les choses. La personne reconnue coupable ne sera pas condamnée, elle va rentrer et elle se gardera la plupart du temps de dire qu’elle devra retourner au tribunal plus tard.
Tout ceci ne va qu’aggraver l’incompréhension de nos concitoyens quant à la délinquance au quotidien. Elle est devenue bien banale, mais vous lui donnez encore du temps pour s’étaler et accentuer ses mauvais effets.
Cet article 4 est pernicieux ; à l’évidence, il faut le supprimer.
Pour compléter les justes propos de mon collègue, je voudrais vous faire remarquer, madame la ministre, que cet article 4 ne précise absolument pas qui va procéder à cette enquête et qui va la prendre en charge. Est-ce les juridictions qui vont les prendre en charge, avec les frais afférents ? Ce sera pour elles une lourdeur et une charge supplémentaires.
Madame la ministre, je vous remercie d’avoir bien voulu nous répondre sur l’actualité du jour concernant un dysfonctionnement grave de la justice. Mais nous ne pouvons pas nous satisfaire – non plus que les citoyens, très certainement – de votre aveu d’impuissance. Il n’est pas de votre fait puisque, juridiquement, on ne peut que libérer un détenu, fut-il criminel, lorsque le délai d’expiration du mandat de dépôt est atteint.
Cela étant, faire une enquête et rechercher d’éventuelles responsabilités ne suffit pas : il importe, pour le citoyen, que l’on répare cette situation.
C’est pourquoi je vous invite à réfléchir à l’idée suivante : Pourquoi ne présenteriez-vous pas un dispositif qui permette de donner vie à un nouveau type de détention, après un débat contradictoire respectant les droits de la défense ? Je ne sais pas ce qu’il peut en être sur le plan juridique. En tout cas, cela mérite que l’on s’y attarde.
Dans une affaire criminelle grave, quand une personne est libérée par erreur, ne peut-on pas imaginer de redonner vie à un type de détention, en respectant nos procédures ? À quels principes cela serait-il contraire ? Voilà la question que je vous pose. Qu’en pensez-vous ?
On ne va pas continuer comme cela : une fois, on libère un violeur à cause d’une erreur de fax ; ce matin, on libère un meurtrier. Des erreurs, nous allons en avoir encore. Il faut absolument trouver un dispositif juridique conforme à nos principes généraux pour réparer ce genre de situation qui est vraiment insupportable pour l’opinion publique.
Dans ce débat sur un projet à tout le moins inutile et, en tout cas, particulièrement dangereux, nous en arrivons à un point essentiel.
Madame la ministre, cet article 4 va rajouter de la complexité, allonger un peu plus des délais déjà trop longs, beaucoup trop longs, insupportables pour les victimes, incompréhensibles pour la société, et qui ont occasionné de multiples condamnations de notre pays par la Cour européenne des droits de l’homme.
Revenons sur l’actualité et sur la libération, suite à une erreur de la cour d’appel de Toulouse, de l’auteur présumé du meurtre d’un jeune, le 11 mai dernier, devant une boîte de nuit. Nous touchons là à un sujet essentiel qui se rattache à notre texte.
Pourquoi légiférons-nous ? Pourquoi ce texte alors que la justice fonctionne si mal, que, en ayant la responsabilité, vous devriez avoir d’autres priorités ? Vous devriez donner plus de moyens, assurer une meilleure fluidité de la chaîne pénale au lieu de rajouter de la complexité pour des raisons idéologiques, d’instaurer cette contrainte pénale sans moyens…
….de mettre en place cet ajournement qui va encore allonger la durée de jugement.
Vous nous dites qu’ainsi la victime va toucher des dommages et intérêts. Sur quelle base, puisque la condamnation n’est pas définitive ?
C’est assez fragile juridiquement et je doute que le Conseil constitutionnel valide une telle disposition. On ne peut pas scinder en deux la culpabilité : il ne peut pas y avoir une culpabilité civile et pas de culpabilité pénale. Je vois là un problème de droit majeur.
Vous ignorez aussi la fonction réparatrice pour la victime. On peut dire qu’avec un peu d’argent, un peu d’indemnités, la victime se taira, qu’elle sera satisfaite et que la société le sera aussi.
Exclamations sur les bancs du groupe SRC.
Ce n’est pas cela la bonne justice, le respect des lois. Ce n’est pas ce qu’appelait de ses voeux Beccaria dont le propos trouve ici toute sa pertinence : « La certitude d’une punition, même modérée, fera toujours plus d’impression que la crainte d’une peine terrible si, à cette crainte, se mêle l’espoir de l’impunité. »
Les délais que vous persévérez à rajouter vont créer de la complexité.
Venons-en aux moyens, madame la garde des sceaux. Vous assénez – avec beaucoup d’arrogance, il faut bien le reconnaître, hélas, et le déplorer –…
…contre la précédente majorité, des chiffres qui sont complètement erronés. Je voudrais vous appeler à un peu plus de modestie.
Lorsque j’ai défendu la motion de procédure, j’ai cité la Cour des comptes qui, dans son rapport de mai dernier, souligne ce fait : dans le projet de loi de finances pour 2013, vous avez ouvert 479 postes pour votre ministère et vous en avez pourvu 126 très exactement.
Il y a donc un écart majeur entre le discours et les actes. Vous n’avez pourvu que le cinquième des emplois ouverts.
Je rappelle que sous la précédente législature ont été créés 6 000 emplois dépendants du ministère de la justice : 450 emplois de magistrats, 1 200 emplois de greffiers, 3 600 emplois de surveillants pénitentiaires…
Tout allait très bien et les électeurs n’ont pas renouvelé votre mandat !
…800 emplois de conseillers d’insertion et de probation. Je rappelle que le budget du ministère a augmenté de 19 %, que nous avons créé 7 000 places de prison.
Si vous pouvez afficher le même bilan lorsque vous quitterez votre ministère, madame la garde des sceaux, vous pourrez nous donner des leçons.
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP - Exclamations sur les bancs du groupe SRC.
Ce n’est pourtant pas la nuit, ce n’est pas l’heure des contes !
Madame la ministre, permettez à un dinosaure de s’exprimer devant vous, puisque vous avez évoqué cette nostalgie.
Si je vous admire, comme je l’ai dit, ce n’est pas parce que vous êtes ministre. Dans cette extraordinaire assemblée, je dois être le seul à ne pas vouloir être ministre et surtout pas garde des sceaux pour des raisons que je vous ai déjà données.
Je vois que notre nouvelle garde des sceaux ne fait qu’une chose avec cette réforme : elle charge la barque de la justice. Or cette pauvre maison de justice, à laquelle je suis encore attaché bien qu’étant retraité, n’a déjà pas d’argent pour mettre de l’encre dans les fax.
Le pire est qu’avec ce projet de loi, vous créez des charges supplémentaires pour l’institution à tous les niveaux. La contrainte pénale, n’en parlons pas : on ne sait pas comment elle va fonctionner en l’absence probable de magistrats, de greffiers et autres personnels nécessaires.
Je pose de nouveau la question de mon collègue Fenech : qui va faire la fameuse enquête et les investigations complémentaires ?
Le juge va-t-il adresser un genre de commission rogatoire aux services de police pour aller voir si le mis en cause est solvable, s’il est père de famille, s’il a un travail et un domicile ? Va-t-on confier ce travail à un enquêteur de rue ou à je ne sais quel fonctionnaire qui n’existe pas au ministère de la justice ? Vous ne nous avez pas répondu alors que c’est le vrai sujet.
Cet article 4 ne peut absolument pas s’appliquer si vous n’avez pas les moyens et si vous ne nous dites pas à qui vous allez confier l’enquête. S’il n’y a pas d’enquête, il n’y a pas d’article 4. Dites-nous à qui vous allez confier cette enquête, car cela ne figure pas dans la loi.
À mon avis, quelqu’un va vous le demander un jour, au moins le magistrat qui sera censé appliquer l’article 4, si toutefois celui-ci est voté. Que va faire le président du tribunal ? Où va-t-il aller ? Entouré de ses deux assesseurs, à qui va-t-il confier cette enquête ? Pourquoi pas à un assesseur tant qu’à y être : ils n’ont que cela à faire.
Madame la garde des sceaux, je l’ai dit tout à l’heure : vous n’avez plus de magistrats, de candidats à le devenir. C’est comme ça. De nos jours, personne ne veut plus entrer dans l’administration de la justice, sauf peut-être les moins bons de nos étudiants en droit, c’est malheureux à dire !
Exclamations sur les bancs du groupe SRC.
Eh oui, mes chers collègues, je parle de ce que je connais, d’une époque que vous n’avez pas connue parce que vous êtes tous bien jeunes. Je peux vous assurer qu’à une époque être magistrat, c’était exercer un métier noble et nous rendions la justice.
J’ai l’impression qu’actuellement, le magistrat se résout à être une mauvaise – ou bonne parfois, espérons-le – assistante sociale.
Exclamations sur les bancs du groupe SRC.
Mesdames, ne parlez pas de ce que vous ne connaissez pas, vous n’avez jamais été dans un tribunal !
Exclamations et rires sur les bancs du groupe UMP.
La parole est à Mme Colette Capdevielle. Un peu de calme, mes chers collègues. Merci d’écouter l’oratrice.
Pour revenir au texte, cet article 4 apporte une plus-value évidente puisqu’il a pour objectif principal d’individualiser la peine. Vous les connaissez déjà, messieurs de la droite, mais je vais quand même vous rappeler les dispositions du code pénal.
Sourires.
…je vais vous le rappeler.
L’article 132-58 et l’article 132-60 du code pénal prévoient déjà la dispense de peine et l’ajournement. Vous n’avez jamais pensé à supprimer ces dispositions, messieurs, tant vous savez qu’il s’agit d’une bonne procédure que cette césure, pour les majeurs et pour les mineurs également.
En réalité, vous faites semblant. Il est d’ailleurs assez incroyable que des législateurs comme vous, qui doivent très bien connaître ces textes, occultent ces parties-là du code pénal. Je pense qu’il convenait de vous le rappeler.
Que faisons-nous ? Nous étendons les mesures prévues dans le code pénal pour rendre une justice de qualité.
Individualiser la peine, manifestement, ça vous dérange. Que le juge dispose de tous les éléments sur la situation personnelle, sur la situation matérielle, c’estimportant. pour affiner une décision de justice, il faut connaître la situation sociale de l’intéressé, savoir s’il travaille ou non, s’il a des problèmes de santé.
Il n’y a aucun risque, et, encore une fois, vous faites un mauvais procès : le tribunal, lorsqu’il statue sur la culpabilité, bien évidemment, statue sur la situation de la personne condamnée. Il peut la placer sous contrôle judiciaire, sous bracelet électronique. Il peut même la placer en détention. Le texte le prévoit très précisément.
Il n’y a donc absolument aucun risque et le juge sait très bien qu’il faut faire dans ce cas. Il n’y a absolument aucun risque.
Ensuite, vous demandez qui va faire cette enquête de personnalité. Je vous renvoie, encore une fois, à vos bonnes lectures. Un excellent rapport a été rédigé par notre rapporteur Dominique Raimbourg, un rapport vraiment très documenté, très réfléchi, très objectif. Je vous donne les références si vous voulez : c’est à partir de la page 161 que vous aurez la réponse, et dans l’amendement déposé par le groupe SRC, qui précise qui fait cette enquête.
Mais vous savez très bien qui les font, ces enquêtes de personnalité ! Bien sûr, ce sont les associations habilitées,…
…les services, qui travaillent très bien. Vous êtes assez incroyables. Revenons un petit peu à la réalité.
Rires et exclamations sur les bancs du groupe UMP.
Vous savez très bien comment ça se passe dans les juridictions. Vous savez très bien de quelle aide est ce travail pour les magistrats. Je crois que certains d’entre vous ont été magistrats, et, bien évidemment, ils ont ordonné des enquêtes de personnalité dans le cadre de permanences d’orientation pénale. Vous le savez très bien, messieurs, et vous savez à quel point cela sert aux magistrats pour rendre leurs décisions, vous savez très bien à quel point ils s’appuient sur ces enquêtes, qui sont bien faites, par des gens très compétents, qui ont beaucoup d’expérience, à la fois sur le plan juridique, sur le plan social et sur le plan psychologique. Sans cela, les magistrats sont démunis, il leur manque ce matériau pour pouvoir affiner la décision.
Vous êtes donc réellement de mauvaise foi. Qui va faire ces enquêtes ? Ceux qui les font depuis des années, qui ont les compétences pour les faire. Donc, réellement, je ne vous autorise pas à poser cette question.
Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP.
Sur la question des renvois, permettez-moi de vous rappeler quelques éléments. Sur ce sujet aussi, messieurs, madame, dites la vérité. Sur les neuf premiers mois de l’année 2013, cela a été comptabilisé, il y eut 88 000 renvois, dont un tiers sur les décisions. Qui demande les renvois ? Ce sont souvent les prévenus, souvent aussi les parties civiles, parce que les dossiers ne sont pas prêts. Le texte ne va donc strictement rien changer sur ce point.
En ce qui concerne le délai raisonnable et les quatre mois prévus ici, il arrive malheureusement que les dossiers sont renvoyés au-delà de cette durée. Mais le délai raisonnable, ce n’est pas le délai expéditif, ce n’est pas le délai de la comparution. Ça, c’est dangereux ! C’est dans le cadre de cette justice expéditive qu’on rend de mauvaises décisions,…
…parce qu’on le fait dans l’urgence, parce qu’on le fait sous le coup de l’émotion.
Vous voyez très bien de quoi je veux parler, et ce n’est pas là une justice sereine, qui prend du recul par rapport aux faits.
D’ailleurs, bien souvent, le temps joue en faveur de tous. Il joue tout d’abord en faveur de la victime. L’amendement que nous avons adopté en commission des lois, Mme la garde des sceaux vient de le rappeler, permet à la victime d’être indemnisée soit de manière provisionnelle – c’est une bonne chose, car les victimes demandent d’abord à être indemnisées du préjudice subi – soit de manière totale. C’est très important, puisque, s’il s’agit de prévenir la récidive, et vous y tenez comme nous, la participation aux réparations joue un rôle substantiel dans la reconstruction de la personne : elle reconnaît qu’il y a une victime, et elle participe tout de suite, dès le début. En cela, nous sommes novateurs, nous enrichissons les textes. Nous ouvrons là une possibilité qui n’existait pas auparavant. Vous n’aviez d’ailleurs jamais proposé cela au cours des dix années où vous étiez aux affaires.
J’en termine, madame, messieurs, chers collègues de l’opposition, en évoquant le coût. Tout coûte, bien sûr ! La prison coûte cher, très cher, surtout en cas de sortie sèche. C’est facile, de mettre les gens en prison, mais une journée de prison, cela a aussi un coût. Je vous retourne donc l’argument. Les enquêtes de personnalité coûtent bien moins cher que des mois et des mois de prison.
Et puis, au fond, c’est une question de choix politique. Nous, nous voulons une justice de qualité. Nous voulons revenir à une justice individualisée, qui prononce les peines adéquates, parce que nous ne voulons pas, nous, de récidive. Nous, ce qui ne nous intéresse pas, c’est de commenter les faits divers le matin, on n’est pas ici au café du commerce.
Exclamations sur les bancs du groupe UMP.
Nous les déplorons tous, mais nous sommes ici pour affiner les textes et pour voter des lois.
Je voulais répondre à certaines allégations, mais je le ferai plus tard, avec votre autorisation, madame la présidente. Je veux, pour l’instant, au nom de mon groupe, faire un rappel au règlement à propos du déroulement de notre séance.
Une seule personne, dans cet hémicycle, est autorisée à donner la parole, à ne pas la donner, à la retirer si c’est nécessaire ; c’est vous, madame la présidente, et vous avez rappelé à de multiples reprises que, puisque nous sommes dans la procédure du temps programmé, vous veillez à ce que chacun puisse s’exprimer, dans la limite du temps attribué à chacun des groupes. C’est la raison pour laquelle le groupe UMP est profondément choqué qu’une de nos collègues, aussi respectable soit-elle, puisse se permettre, dans cet hémicycle,…
…e déclarer qu’elle ne nous autorise pas à déposer tel amendement ou à formuler telle observation.
Exclamations et sourires sur les bancs du groupe SRC.
Sourires.
Si tout le monde souhaite, comme nous le souhaitons, que ce débat aille au fond, que ce débat soit respectueux des uns et des autres, je demande, madame la présidente, en vous remerciant à l’avance, que soit bien consigné le fait qu’une sommation nous a été adressée, qu’une interdiction nous a été faite, qui contrevient totalement au fonctionnement régulier de notre institution.
Mes chers collègues, chacun l’aura compris, dans cet hémicycle, chaque député peut évidemment s’exprimer, exposer et défendre ses amendements dès lors qu’il respecte notre règlement.
Monsieur le député Marsaud, ce n’est pas à vous que je pensais lorsque je parlais de la nostalgie du temps des dinosaures et, pour tout vous dire, j’ai, pour ma part, une préférence pour les tyrannosaures.
Sourires.
Mais nous ne sommes pas au huitième jour de la création du monde.
Puisque vous êtes plusieurs à vous inquiéter de savoir qui va procéder aux enquêtes, je vous rappelle que celles-ci se pratiquent déjà dans le cadre des procédures actuelles. Vous fréquentez assez les tribunaux pour savoir que des enquêtes ont déjà lieu, et qu’elles sont menées par le secteur associatif habilité. Vous savez que le partage s’est fait, il y a une quinzaine d’années déjà, entre le service pénitentiaire d’insertion et de probation et le secteur associatif habilité, secteur que vous avez d’ailleurs fragilisé puisque, lorsque nous sommes arrivés aux responsabilités, l’État lui devait plus de 35 millions d’euros. Dès le premier budget du quinquennat, nous avons résorbé 45 % des créances, de façon à permettre au secteur associatif habilité de fonctionner. Je vous rappelle une chose essentielle : c’est vous qui avez inscrit dans la loi, au mois de mars ou avril 2012, qu’il revient au secteur associatif habilité d’assurer les enquêtes pré-sentencielles. C’est vous qui l’avez inscrit dans la loi !
Aujourd’hui, vous nous demandez qui va faire ces enquêtes. Mais elles sont déjà faites, au quotidien, dans nos juridictions, elles se sont organisées et réparties dans la pratique entre le service public et le secteur associatif habilité. Et c’est vous qui avez gravé dans le marbre de la loi que cette tâche incombe au secteur associatif habilité ! Comme vous l’avez, il est vrai, relativement asphyxié, vous pensez peut-être qu’il faut imaginer autre chose, mais non ; nous lui avons redonné de belles bouffées d’oxygène.
Ensuite, monsieur Fenech, vous parlez d’aveu d’impuissance, mais, monsieur le député, je ne fais pas d’aveu d’impuissance, et je n’aurais pas attendu du garde des sceaux qui m’a précédé qu’il en fît en la même circonstance. De même, mon successeur n’aura pas à en faire dans la même circonstance. (Sourires sur les bancs du groupe UMP.), je ne suis pas éternelle. J’ai l’humilité de le reconnaître.
Il y aura donc un après-moi,… (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)
…omme il y aura, hélas, des après-vous.
Sourires.
Je vous rappelle simplement et très précisément ce qui s’est passé, quelles dispositions nous avons prises et ce que fait le parquet en de telles circonstances, parce qu’il faut informer. N’oublions cependant pas que, chaque année, plus de un million de condamnations sont prononcées. Plus généralement, ce sont plus de 1,2 million de décisions pénales qui sont rendues chaque année.
Un événement tel que celui que vous évoquez a certes son importance. Ne parlez pas d’impuissance du garde des sceaux, mais peu importe. La fonction politique fait qu’on s’expose constamment à des procès profondément injustes, mais ce n’est pas l’essentiel.
C’est précisément à cela que je veux venir, monsieur le député. Ne parlez pas d’impuissance d’une institution aussi importante pour la démocratie que l’institution judiciaire, que ce service public particulier. Ne parlez pas d’impuissance parce qu’une erreur a été commise aujourd’hui, parce qu’une erreur a été commise il y a quelques mois, alors que plus de un million de décisions pénales sont rendues chaque année. Il est bon de rappeler quel travail est effectué par nos magistrats.
Quant à vos chiffres, monsieur le député Ciotti,…
Ce ne sont pas les chiffres de M. Ciotti, ce sont ceux de la Cour des comptes !
…vous avez évoqué 3 200 recrutements dans la pénitentiaire et d’autres – combien déjà ? – dans la magistrature.
Je vous ai rappelé que, sur trois lois de finances, tous les postes que j’ai évoqués, au nombre de 384, ont été créés.
Simplement, il faut trente et un mois pour former un magistrat.
Si vous aviez fait le nécessaire, nous n’aurions pas, aujourd’hui, 358 postes vacants de magistrats dans nos juridictions. Ne vous risquez pas au jeu des chiffres, monsieur Ciotti, ou vous perdrez gros !
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Mesdames, messieurs de l’opposition, que le crime vous plaît ! Quelle délectation morbide ! Cette précipitation pour vous emparer d’un fait divers, au mépris de la victime ! Parce que, monsieur Fenech, il faut la raconter jusqu’au bout, l’histoire ! Et comment se termine-t-elle ? Comme d’habitude, c’est-à-dire que, même si l’épisode a fait beaucoup de peine à la victime, l’accusé va être finalement placé sous contrôle judiciaire, et, le moment venu, la justice passera, comme elle passe toujours dans les dossiers criminels. Cette histoire, il faut la raconter jusqu’au bout, complètement, il faut dire effectivement que la justice va passer, quand bien même il y a un raté. Cette délectation morbide, cette capacité à vous emparer de n’importe quel fait divers, ça ne fonctionnera plus ! Cela vous a servi lors de deux élections, mais vous avez raté celle de 2012, et cela ne fonctionnera plus.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Quel mépris, aussi, pour les victimes ! Le système de l’ajournement est le plus efficace pour que les dommages-intérêts soient payés. La figure de la victime ne vous sert qu’à des discours. Confrontés à des dispositifs qui permettent de faire payer le coupable, de fixer d’ores et déjà les dommages-intérêts, vous nous expliquez qu’il ne s’agit que de mots. En réalité, nous nous donnons les moyens d’indemniser la victime. Alors, un petit peu de sérieux, un peu d’efforts pour que le débat soit plus constructif, et nous pourrons avancer et voter le projet de loi.
On vous a posé quelques questions simples, madame la garde des sceaux, sur la simplification. J’aurais aimé que vous nous disiez si, oui ou non, ce texte permettra une meilleure compréhension et une simplification de la justice. Sur ce sujet, nous vous attendons toujours.
Nous vous avons posé la question des moyens : ce n’est pas uniquement pour pointer du doigt l’insuffisance du budget, ou pour faire des remarques fondées sur le rapport de la Cour des comptes – comme l’a fait Éric Ciotti. Nous vous demandons si, oui ou non, les associations habilitées disposeront des moyens nécessaires pour faire leur travail, sachant qu’elles devront mener de nouvelles investigations, qui causeront – évidemment – des dépenses supplémentaires. On est en droit de savoir si, oui ou non, ces moyens seront déployés.
Pardonnez-moi de revenir aussi sur une incohérence relevée tout à l’heure par l’un de mes collègues. Les victimes bénéficient de dommages-intérêts : très bien. Mais sur quelle base, puisque l’enquête de personnalité commencera après, et qu’on ne connaît pas parfaitement la situation sociale de l’individu qui a commis le délit ?
Je me permets d’insister, madame la ministre : vous qui êtes attachée à une certaine cohérence, répondez au moins à ces trois questions simples ! Oui ou non, la justice sera-t-elle plus simple ? Deuxièmement, y aura-t-il, oui ou non, des moyens complémentaires pour que les associations puissent faire leur travail dans des conditions satisfaisantes ? Ces associations existaient auparavant, certes, mais quels nouveaux moyens leur seront-ils attribués pour assurer leurs nouvelles missions ? En troisième lieu, j’insiste sur cette incohérence : l’enquête de personnalité aura lieu après que le montant de dommages-intérêts aura été proclamé.
Vous avez dit, madame la ministre, que le débat sur ce texte ne peut pas être uniquement un débat de techniciens. Oui, vous avez raison : la justice est rendue au nom du peuple français.
Comme j’ai essayé de vous le dire tout à l’heure, moi qui ne suis pas de formation juridique, je suis allé voir un peu sur le terrain comment ça se passe. Que disent les magistrats ? Vous les avez pourtant rencontrés ! Pouvez-vous dire, aujourd’hui…
Ils sont 8 500 !
Madame la ministre, je vous ai écoutée, laissez-moi terminer ma phrase ! Je sais bien que vous aimez toujours réagir, et même surréagir. Quand je vous écris, en revanche, vous mettez plusieurs mois à répondre. Madame la ministre, oui ou non, les magistrats sont-ils majoritairement favorables à ce type de dispositif ?
…dans le département d’Eure-et-Loir, que je connais bien, la réponse a été : non !
La majorité des magistrats y sont favorables. Certains l’ont même écrit publiquement !
Madame la ministre, vous nous disiez tout à l’heure, tout en regrettant que la question vous ait été posée, qu’il n’y a aucun lien entre l’événement que nous déplorons tous – et que vous qualifiez pudiquement d’ « erreur » – et le texte dont nous parlons. Je m’inscris en faux contre cette analyse.
Il y a, dans l’article 4 de ce projet de loi, une disposition intéressante. Je vais m’efforcer de mener à bout la réflexion sur cette disposition, pour obtenir une réponse précise. Le nouvel ajournement donnerait la possibilité au juge de reporter de quatre mois le prononcé de la sanction pénale. L’enquête de personnalité sera confiée au monde associatif. Le nombre de ces enquêtes augmentera. Je reprends la question de Philippe Vigier : donnerez-vous immédiatement au monde associatif des moyens supplémentaires pour qu’ils disposent des personnels et du temps nécessaires pour mener ces investigations ?
Admettons que le délai de quatre mois soit dépassé – ce dont on ne peut rendre responsable le monde associatif. Cela arrive déjà, et cela risque d’arriver encore demain. Que se passera-t-il dans ce cas ? L’article 4 ne dit à rien à ce sujet, absolument rien ! Si, au bout de quatre mois, les investigations n’ayant pu être menées – ou n’ayant été menées qu’incomplètement – faute de temps ou de moyens, le magistrat ne dispose pas des éléments lui permettant de conclure et de rendre sa décision, que se passera-t-il ?
Poussons le raisonnement un peu plus loin. Supposons que ce magistrat, sans savoir si l’auteur des faits était en mesure de payer ne serait-ce que le premier centime d’une provision de dommages-intérêts, l’a malgré tout condamné à des dommages-intérêts. Je signale au passage que cela revient à inverser le procès pénal : j’ai toujours appris – et toujours constaté – qu’en matière correctionnelle, l’audience civile n’a lieu qu’à l’issue de l’audience pénale, c’est-à-dire une fois la condamnation éventuelle prononcée. Vous décidez donc d’inverser le processus. Du fait de cet ajournement, l’audience civile – puisqu’il s’agit bien de cela – aura lieu avant que l’audience pénale soit conclue. En effet, l’audience pénale sera une sorte de fusil à deux coups : d’abord la première audience, où l’on ne décide rien, puis la deuxième audience, où l’on décidera quelque chose.
Imaginons que le magistrat ait prononcé, ne serait-ce qu’à titre provisoire et partiel, une condamnation à des dommages-intérêts, qu’au bout du délai de quatre mois, il ne dispose d’aucun moyen pour condamner l’accusé à une peine, quelle qu’elle soit, et qu’il ne dispose pas plus de moyens pour confirmer à la victime le paiement des dommages-intérêts prononcés. Que se passera-t-il alors ? Je crains – c’est même plus qu’une crainte, une certitude – que votre dispositif ne sème une fois de plus la confusion dans l’opinion publique, qui déjà ne comprend pas tous ces allongements successifs des délais.
Ce ne sont certainement pas vos interventions qui l’aideront à comprendre !
Je crains surtout, en l’absence de réponse précise de votre part à la question de savoir ce qui se passera à l’expiration du délai de quatre mois, que malheureusement notre justice soit encore plus défaillante qu’elle ne l’est aujourd’hui.
Madame la présidente, nous ne pouvons pas accepter de nous entendre accuser – comme l’a fait Dominique Raimbourg tout à l’heure – de nous délecter à évoquer les victimes.
Ce n’est pas possible ! Je le dis d’autant plus posément que j’ai beaucoup d’estime pour Dominique Raimbourg – il le sait bien. Il s’est adressé personnellement à moi en me disant que je me délecte à évoquer les victimes, mais jamais je ne lui dirai qu’il ne pense qu’aux criminels, car je ne le crois pas. S’il vous plaît, un peu de retenue !
Vous savez, nous ne légiférons pas dans un monde virtuel. Il y a des victimes, et c’est pour elles que nous travaillons : vous êtes bien d’accord !
Nous cherchons à protéger la société, et donc les victimes. Souvenez-vous de ce que nous avons fait lorsque notre société a été collectivement victime des attentats de la station Saint-Michel, qui ont atteint de nombreuses personnes dans leur chair. Je parle là sous le contrôle d’Alain Marsaud.
Qu’avons-nous fait à ce moment-là ? Nous avons créé une section de lutte antiterroriste, des juridictions spécialisées, des régimes de garde à vue spécifiques, parce qu’il fallait répondre à une situation particulière et empêcher qu’il y ait d’autres victimes.
Quand j’ai évoqué, ce matin, un dysfonctionnement grave de l’institution judiciaire, ce n’était pas pour me délecter de cette affaire, mais pour m’en inquiéter en tant que législateur. C’est pourquoi j’ai posé à Mme la garde de Sceaux cette question : que pouvons-nous faire pour éviter que ce genre de chose se reproduise ? C’est tout !
Par ailleurs, madame la présidente, je suis un peu surpris par la manière dont les choses se passent ce matin. Nous avons vu arriver dans l’hémicycle un deuxième membre du Gouvernement, Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement. Il s’est installé, puis est reparti sans avoir rien dit.
Or nous avons suspendu nos travaux cette nuit vers deux heures du matin en espérant le voir arriver, après avoir examiné plusieurs amendements déposés par les groupes écologiste, GDR – représenté par Marc Dolez – et RRDP, ainsi que par certains députés socialistes, visant à supprimer les tribunaux correctionnels pour mineurs. Nous avons eu droit à un long et intéressant débat sur cette question ; M. le président de la commission des lois, Mme la garde des sceaux et tous ceux qui l’ont voulu se sont exprimés. La majorité a ensuite demandé une suspension de séance : je pense que c’était pour obtenir un engagement du Gouvernement – engagement que réclamait logiquement Marc Dolez. Les défenseurs de ces amendements voulaient savoir quand la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs, qui est un engagement du Président de la République, sera inscrite à l’ordre du jour.
Je pensais, en voyant M. Le Guen entrer dans notre hémicycle, qu’il nous annoncerait cet engagement, et nous expliquerait comment il serait tenu. Mais il est reparti sans s’être exprimé : je m’en étonne. C’est un peu comme au théâtre : il y a des allées et venues, mais il ne se passe finalement rien !
Comme vous le savez, monsieur le député, le Gouvernement désigne lui-même celui de ses membres qui siège dans l’hémicycle pour le représenter et échanger avec les parlementaires.
Il n’est que midi moins vingt : la journée sera encore longue. Le Gouvernement aura bien évidemment à coeur de répondre à l’ensemble des questions posées par nos collègues.
La parole est à Mme Annie Genevard.
Je voudrais revenir sur les propos tenus par notre collègue Mme Capdevielle. Avec le sens de la nuance qui la caractérise ce matin, elle a affirmé représenter « une famille de pensée attachée à la qualité de la justice. »
Comme si nous, a contrario, n’étions pas préoccupés par la qualité de la justice de la même façon !
Se préoccuper que la justice soit de qualité, c’est veiller à ce que nos décisions n’exposent pas la société à des dangers. Madame la garde des sceaux, la possibilité d’ajournement prévue par l’article 4 de ce projet de loi s’appliquera-t-elle aux auteurs de récidive légale,…
…c’est-à-dire à des personnes ayant commis une infraction identique ou équivalente à une infraction qu’ils ont déjà commise ? C’est pourtant une circonstance aggravante, convenez-en !
De surcroît, on peut imaginer que lors de la commission de la première infraction, une enquête de personnalité a été réalisée. Est-il nécessaire d’en réaliser une à nouveau, en exposant inutilement la société à un danger ? Nous reviendrons sur cette question, madame la ministre, lors de la présentation des autres amendements à cet article. Sur ce point, il me semble qu’il y a matière à réflexion.
Madame la ministre, vous avez, tout à l’heure, remis en cause les chiffres que j’évoquais. Je voudrais m’attarder quelques instants sur ce point, qui est essentiel : il y va de la légitimité et de la crédibilité de nos débats. Dans cet hémicycle plus qu’ailleurs, nous avons un devoir de vérité. Je crois que ce devoir de vérité s’impose à tous, mais plus encore à ceux qui ont une responsabilité particulière, ceux qui détiennent un mandat du peuple. Il s’impose à vous en premier lieu, madame la garde des sceaux.
J’évoquais tout à l’heure le plafond d’emplois inscrit dans le projet de loi de finances pour 2013. Ce plafond est fixé à 479 emplois. Vous avez feint de croire que j’évoquais uniquement les magistrats et vous nous avez reproché de ne pas avoir prévu assez de recrutements de magistrats, en indiquant qu’il faut trente et un mois pour former un magistrat au sein de l’École nationale de la magistrature. Vous aviez raison pour ce qui concerne les magistrats, mais j’évoquais tous les emplois de votre ministère, madame la ministre, notamment les emplois de conseillers d’insertion et de probation !
Vous savez que ces conseillers passent par l’ÉNAP – l’École nationale d’administration pénitentiaire – où la scolarité dure à peine quelques semaines.
Les chiffres que j’ai donnés figurent dans le budget de l’année 2013 : au moment de son adoption, vous étiez ministre depuis plus de six mois, alors que la durée de formation d’un conseiller d’insertion et de probation est de quelques semaines.
Là encore, vous induisez délibérément en erreur. C’est très grave, madame la ministre ! Vous n’avez créé, sur votre ministère, que 126 postes : voilà la réalité.
Vous pouvez toujours accuser la Cour des comptes d’énoncer des contrevérités dans son rapport sur l’exécution budgétaire 2013, mais alors prenez-en la responsabilité, et dites clairement que la Cour des comptes a produit un rapport erroné ! Si ce n’est pas le cas, alors c’est vous qui induisez en erreur la représentation nationale !
Je voudrais revenir sur quelques propos qui ont été prononcés. Monsieur le rapporteur, tout comme notre collège Georges Fenech, j’ai beaucoup de respect pour vous, mais je pense que vous êtes allé un peu loin ce matin en parlant de « délectation morbide » et en nous montrant du doigt. Ce n’est pas de cette manière que nous arriverons à un débat serein ! Je pense que nous pouvons nous retrouver au moins sur un point : en tant que législateurs nous sommes tous très attachés à la qualité de la justice dans notre pays.
Il est tout de même surprenant de voir que l’on essaye de réduire nos arguments à l’expression d’une posture – ce qu’ils ne sont absolument pas. Nous nous appuyons sur des éléments précis, réels. Je constate qu’au contraire le Gouvernement se réfugie de plus en plus dans la pensée magique, ce que les Anglo-Saxons appellent le wishful thinking ; on nous dit que des moyens supplémentaires sont déployés, alors que, comme nous le savons pertinemment, il n’en est rien ! Ce qui compte, ce n’est pas le fait d’ouvrir des postes, mais de les pourvoir. Notre collègue Éric Ciotti l’a clairement montré : il y a là une véritable usurpation de la part du Gouvernement, qui ne fait pas ce qu’il dit, et qui se montre incapable d’atteindre les objectifs qu’il se fixe lui-même. En réalité, la qualité de la justice de notre pays est en train de se dégrader ; au cours des deux dernières années, cette dégradation s’est aggravée.
Au cours du quinquennat précédent, comme Éric Ciotti l’a rappelé, les moyens de la justice ont augmenté de manière importante, comme jamais auparavant.
Cela aussi, vous voulez le faire oublier ! On ne peut pas opposer d’un côté le quinquennat précédent, au cours duquel tout se serait mal passé, à la législature actuelle, au cours de laquelle tout se passerait très bien.
Le manichéisme du Gouvernement est extrêmement dangereux et ne rend service ni au pays, ni à nos concitoyens, encore moins à la justice. Tant de manichéisme de la part de la garde des sceaux m’étonne, d’autant qu’il nous conduit très régulièrement à nous écarter du fond du texte, ce qui laisse nos questions précises sans réponse. Ainsi, M. Vigier n’a obtenu qu’un silence béant en réponse à ses excellentes questions. La manière dont se déroule ce débat est donc extrêmement inquiétante.
Je réponds très rapidement à M. Fenech. Monsieur le député, mes reproches ne sont pas personnels : je vous ai simplement reproché de n’avoir pas raconté l’histoire jusqu’au bout. Certes, il y a une délectation dans le crime, alors que ce texte ne concerne que les délits. Soit.
Mais allons à l’essentiel. Plusieurs d’entre vous ont cité le principe de certitude de la peine évoqué par Beccaria. L’ajournement revient exactement à cela. Il intervient à un moment où l’on est beaucoup moins pressé.
La mécanique de l’ajournement est la suivante : le juge constate la culpabilité. En conséquence, dans les cas où il existe une victime, il lui doit des dommages et intérêts. Ceux-ci ne sont jamais calculés en fonction des capacités contributives de l’auteur de l’infraction.
Bien évidemment ! Leur montant est fonction du préjudice de la victime. Au condamné de les payer ! D’ailleurs, cela donne lieu de temps en temps à des décisions un petit peu curieuses : par exemple, M. Kerviel a été condamné à payer plusieurs milliards d’euros à la Société générale. Certes, il ne pourra pas les payer, mais cela prouve que les dommages et intérêts sont bien calculés en fonction du préjudice subi ! Cela a toujours fonctionné ainsi.
Ensuite, la juridiction ajourne le prononcé de la peine pour mener une enquête sur la personnalité. Il est bien évident que le paiement des dommages et intérêts influera favorablement sur la décision future.
Monsieur le député, si le condamné n’a fait aucun effort pour payer, la réponse est assez simple : la peine sera plus sévère, quelle qu’en soit sa forme. Il pourra éventuellement s’agir d’une décision d’incarcération. Le fonctionnement du mécanisme est donc parfait.
Je souhaite répondre rapidement à Mme Genevard. D’abord, l’ajournement est une option, non une obligation : elle laisse donc un pouvoir d’appréciation au magistrat. Ensuite, en cas d’ajournement, l’article 4 prévoit que le prévenu, qui a été déclaré coupable pendant la première audience, peut être incarcéré. Enfin, l’investigation sur la personnalité peut donner lieu à une sanction plus lourde que celle qui aurait été prononcée lors de la première audience, sans investigation. Ces éléments apportent les précisions souhaitées par Mme la députée.
Mme Genevard a déjà commencé à aborder la question de la récidive, qui est également l’objet du présent amendement. Il vise à compléter l’alinéa 4 par les mots « sauf en cas de récidive légale ». En effet, si cette mesure est mise en place, elle n’a pas lieu d’être réitérée en cas de récidive légale. Le présent amendement prévoit donc d’exclure les cas de récidive légale de cette disposition. À défaut, l’objectif poursuivi serait incohérent.
Défavorable. Je rappelle simplement que, en l’état actuel du droit, le juge a déjà des possibilités d’ajournement. La nouvelle procédure établie par le présent projet de loi donne à la juridiction la possibilité de déclarer le prévenu coupable ou de décider de l’indemnisation de la victime lors de la première audience, et de prononcer la sanction lors de la deuxième audience. Cette possibilité existe déjà dans le droit, nous ne faisons que l’améliorer. Avis défavorable, car nous n’allons pas renoncer à un progrès.
L’absence d’explication du rapporteur et les arguments de la ministre me laissent très perplexe. Nous allons bientôt examiner l’article 5, qui prévoit la suppression des peines-plancher. L’article 6, lui, tend à supprimer la révocation automatique du sursis simple.
L’article 4 crée une possibilité d’ajournement du prononcé de la peine à une audience ultérieure, dans un délai maximal de quatre mois, procédure qui sera également applicable à une personne en état de récidive. Bien évidemment, on ne connaît pas cette personne ! Elle a déjà été condamnée, elle est en état de récidive, mais nous avons quand même besoin d’une investigation complémentaire pour savoir à qui nous avons à faire ! De qui se moque-t-on ? L’amendement no 655 vise à introduire un peu de cohérence là ou vous mettez de l’anarchie juridictionnelle.
Oui, car ce que vous faites est bel et bien monstrueux ! Vous introduisez l’idée que le prévenu se présente à chaque fois tout neuf devant la justice, quel que soit le nombre d’infractions qu’il a commises ! Tel est le message que vous vous envoyez à nos concitoyens !
Une exigence de cohérence et de crédibilité devrait vous inciter à accepter cet amendement, pour lutter contre la récidive, protéger les victimes et la société ! Le refus de cet amendement est un aveu évident de l’incohérence coupable de l’ensemble de votre texte.
Je voudrais rebondir sur les propos de M. Geoffroy. De toute évidence, vous esquivez toutes nos questions, alors que nous demandons simplement la raison pour laquelle cet article s’applique aux cas de récidive. Nous souhaitons qu’ils soient exclus de ce dispositif. Nous n’avons obtenu aucune réponse à une question pourtant claire et simple : pourquoi la récidive n’est-elle pas exclue du champ d’application du dispositif ?
L’absence de réponses du rapporteur et de la ministre justifie nos inquiétudes quant à l’orientation manifestement idéologique de ce texte. Si tel n’est pas le cas, nous ne demandons pas mieux que d’être convaincus ! Mais nous aimerions que vous nous présentiez votre raisonnement, plutôt que de nous opposer des arguments d’une vacuité sidérale !
Premièrement, la récidive en matière correctionnelle n’a aucun sens et nous expliquerons pourquoi tout à l’heure, à l’occasion du débat sur les peines plancher. Deuxièmement, le système de l’ajournement est beaucoup plus sévère car la crainte de la sanction constitue une pression importante, dans le cadre du processus judiciaire engagé.
Exclamations sur les bancs du groupe UMP.
Telles sont les raisons qui justifient de voter ce texte, même si vous n’êtes pas convaincus.
Je rappelle simplement que des dispositifs d’ajournement existent dans le code pénal, et leurs modalités d’application laissent apparaître qu’ils peuvent être ordonnés y compris en cas d’incriminations pénales graves.
L’article 132-60 du code pénal prévoit que l’ajournement simple peut être ordonné pour différer le prononcé de la peine, lorsque « le reclassement du coupable est en voie d’être acquis, que le dommage causé est en voie d’être réparé », ce qui peut être considéré comme une réintégration dans le corps social.
L’article 132-63 prévoit, excusez du peu, une procédure d’ajournement avec mise à l’épreuve, qui impose un certain nombre d’obligations au prévenu. Les circonstances, la nature de l’acte commis et l’analyse de la personnalité du prévenu permettent d’élaborer des instruments de protection.
Enfin, l’ajournement avec injonction permet à la juridiction de différer le prononcé de la peine en imposant au prévenu un certain nombre d’obligations et de contraintes. Il existait même auparavant une procédure d’ajournement avec rétention judiciaire, qui a été supprimée en 1993.
L’ajournement est la technique permettant au juge de répondre au triple enjeu de la sanction appropriée, de la réinsertion de la personne incriminée et de la réparation.
Ce dispositif ne fait qu’ajouter une nouvelle cause d’ajournement, aux fins d’évaluation de la personnalité. Il ne s’agit là que de compléter les dispositifs existants, qui, contrairement à ce que vous laissez croire, sont appliqués y compris dans des cas d’incriminations d’une certaine gravité, puisqu’un régime de mise à l’épreuve est prévu.
Vous querellez une méthode, alors que nous ne faisons que compléter l’arsenal existant du code pénal.
Dans un monde de justice idéale, il faudrait tout de même qu’un jour le tribunal prenne des décisions ! Certains d’entre vous, chers collègues de la majorité, sont peut-être avocats. Certains membres de notre groupe sont magistrats, ou l’ont été. Rappelons-nous comment les choses se passent lors d’une audience correctionnelle : certains avocats, au premier chef celui de la défense, ont intérêt à ce qu’aucune décision ne soit prise dans l’urgence et souhaitent que tout soit reporté, éventuellement ad vitam aeternam, car l’oubli vient avec le temps et les sanctions disparaissent. Le rôle de l’avocat est donc d’avoir recours à toutes les méthodes d’ajournement possible.
De surcroît, dans le fonctionnement habituel de nos juridictions, il arrive que le magistrat qui préside des audiences correctionnelles voie arriver, après avoir examiné trente-cinq affaires, à huit heures et demie du soir, une demande d’ajournement ; et il peut être amené à se dire qu’elle lui permettra d’examiner le dossier plus tard et de rentrer plus tôt…
C’est ainsi ! Ne rêvez pas au monde idéal des juridictions, soyez réalistes ! Dans ce type d’affaires, on fera donc en sorte de ne plus juger. Ce sera dans l’intérêt de tout le monde, sauf de la victime !
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
La parole est à Mme Colette Capdevielle, pour soutenir l’amendement no 815 .
Mon amendement répond à l’opposition, qui s’inquiète de ne pas savoir qui mènera les enquêtes de personnalité. Nous proposons d’améliorer et de compléter l’alinéa 4 de l’article 4 en précisant qu’il s’agira, selon les cas, des SPIP ou de personnes morales habilitées.
Après s’être attaqué aux futurs magistrats, M. Marsaud s’en prend maintenant aux auxiliaires de justice.
Exclamations sur les bancs du groupe SRC.
Ses propos m’ont heurtée. M. Marsaud a ainsi indiqué que ce sont les plus mauvais étudiants qui intègrent aujourd’hui l’École nationale de la magistrature…
…et deviendront magistrats. Je tenais simplement à indiquer que de nombreux futurs candidats à la magistrature effectuent un stage dans cette maison. Ils nous écoutent d’ailleurs. Ce sont de brillants étudiants. Il n’est, en effet, pas aisé de suivre des études de droit. Il n’est pas facile de réussir des concours administratifs alors que des milliers de candidats se présentent et que les postes sont peu nombreux, ce qui a été le cas pendant des années.
Pour en fréquenter beaucoup, puisque je leur donne la possibilité de connaître la vie parlementaire, je constate chaque jour la très grande qualité de la formation de ces auditeurs de justice. Contrairement à ce que vous affirmez, monsieur Marsaud, ils sont recrutés parmi les meilleurs de nos étudiants.
Il est très désagréable pour ces personnes, qui nous écoutent peut-être aujourd’hui et qui se trouvent peut-être aussi aujourd’hui dans l’assistance, d’être qualifiées ainsi. Nous avons beaucoup de chance, car nous disposons aujourd’hui dans nos juridictions de personnels très compétents et qui travaillent bien au-delà des heures pour lesquelles ils sont rémunérés. Le groupe SRC, que je représente ici, leur est reconnaissant pour leur sens du service public de la justice, et ce qu’ils soient auditeurs de justice, magistrats, greffiers, personnels de justice, ou qu’ils travaillent dans les SPIP ou dans les associations socio-judiciaires.
Ils sont très dévoués à l’oeuvre de justice à laquelle ils participent au quotidien. Je tenais, ici, contrairement à ce que fait la droite, à leur rendre hommage. Cet amendement est, lui aussi, un hommage rendu aux associations socio-judiciaires.
« Bravo ! », rires et applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
Avis défavorable. En effet, cet amendement, qui donne la possibilité de s’adresser soit aux SPIP, soit aux associations habilitées, n’ajoute rien. En outre il intervient sur un partage du champ d’intervention qui donne parfois lieu à quelques frictions.
Exclamations sur les bancs du groupe UMP.
Je vais donner l’avis du Gouvernement sur cet amendement…
…mais je souhaite au préalable apporter quelques précisions. Je vais corriger vos propos, monsieur Éric Ciotti, et j’en suis désolée. J’aurais aimé pouvoir m’incliner devant votre affirmation péremptoire et martelée, mais elle est absolument inexacte. Vous avez dit que quelques semaines suffisaient pour former un conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation.
Exclamations sur les bancs du groupe UMP.
Du coup, elle l’a perdue !
Sourires.
Nous avons effectivement de bons critères de performance s’agissant des formations. Nos quatre belles écoles, l’École nationale de la magistrature, l’École nationale de l’administration pénitentiaire, l’École nationale de la protection judiciaire de la jeunesse, l’École nationale des greffes – et je le dis avec plaisir, nous ne les avons pas créées il y a deux ans – dispensent une formation et l’évaluent. Elles forment nos conseillers d’insertion plus longtemps que vous ne l’affirmez.
Les conseillers d’insertion et de probation effectuent une année de formation à l’école et une année dans leur futur service d’affectation. Vous avez parlé des surveillants de prison. Je peux y revenir. Ainsi, la création de 536 postes que vous avez prévue sur trois lois de finances n’est pas financée. Ces postes existent donc virtuellement, mais il n’y a pas un euro pour les financer.
Pour revenir aux conseillers d’insertion et de probation, nous avons, pour notre part, créé soixante-trois postes et avons remplacé 102 postes vacants pour cause de départ à la retraite.
Quant à l’amendement de Mme Capdevielle, j’en comprends tout à fait l’intention. Le Gouvernement y est défavorable et je vais prendre le temps de vous en expliquer les raisons. Les enquêtes, qui demeurent une mission régalienne de l’État, sont assurées par des équipes professionnelles. Toutefois, comme je l’ai précédemment indiqué, depuis une quinzaine d’années, il y a eu, concernant la prise en charge, une répartition des compétences entre le service pénitentiaire d’insertion et de probation et le secteur associatif habilité.
Je sais à quel point vous êtes en contact avec les associations. Ce n’est donc pas à vous que j’apprendrai qu’elles sont animées par des personnels tout à fait qualifiés et, comme je l’ai de nouveau indiqué tout à l’heure, la loi de mars 2012 a réservé au secteur associatif habilité les enquêtes présentencielles.
Cela a permis, ce qui est une bonne chose, que les services pénitentiaires d’insertion et de probation se concentrent sur leur coeur de métier. Ce sont des professionnels plus qualifiés encore, plus professionnels encore, pardonnez-moi cette tautologie, que les acteurs des associations parce que leur métier est différent. Aujourd’hui, les associations habilitées sont chargées des enquêtes présentencielles et les conseillers d’insertion et de probation assurent le suivi des personnes condamnées, suivi que voulons renforcer pour prévenir la récidive.
Pour ces raisons, j’aurais donc souhaité, si vous en convenez, que vous retiriez votre amendement…
…et que nous nous en tenions à ce partage, qui permet au secteur associatif habilité de nous apporter son savoir-faire acquis et amélioré sur le terrain, et aux conseillers d’insertion et de probation d’intensifier leur coeur de métier et d’assurer le suivi des condamnés.
La parole est à M. le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
Je demanderai à notre collègue Capdevielle de ne pas suivre Mme la garde des sceaux et de maintenir son amendement no 815 , d’autant que le rapporteur s’est particulièrement investi dans ce dossier et a donné le meilleur de lui-même. Ma mémoire est, pour ma part, divergente, car je crois que la commission avait donné un avis favorable à cet amendement.
C’est effectivement une erreur de ma part. La commission est, en effet, favorable à cet amendement.
Exclamations sur les bancs du groupe UMP.
C’est un assez joli moment ! Nous avons précédemment assisté à une demande, certes discrète, mais visible, de Mme la garde des sceaux qui s’est adressée à M. le rapporteur afin de savoir ce qu’elle devait répondre. Le rapporteur ayant donné un avis défavorable, elle s’est efforcée de trouver les arguments pour être également défavorable, mettant Mme Capdevielle au supplice. Notre collègue a, en effet, défendu cet amendement avec tellement de talent qu’il doit être non seulement mis aux voix, mais adopté, ce dont je ne doute absolument pas, à l’unanimité de cette assemblée !
Cet amendement me permet de justifier nos précédentes interrogations.
Nous vous avons demandé qui s’y « collerait ». Vous avez alors dénoncé notre toupet et avez répondu qu’il était inutile de poser la question puisque la réponse figurait déjà dans l’existant. Cet amendement prouve que, de manière discrète, un peu plus ouatée, mais explicite, nos collègues du groupe SRC ont exactement les mêmes interrogations que nous, même si nous les avons exposées d’une manière peut-être un peu plus vive et précise. Nous jouons notre rôle. Cet amendement est donc absolument indispensable.
Cela me permet de poser une nouvelle fois une question à laquelle je n’ai toujours pas obtenu de réponse. Je tenais à remercier notre rapporteur, lequel est un émule de Georges Marchais : j’ai mes questions, il a ses réponses ! J’aimerais, pour ma part, avoir « ses réponses à mes questions ». Je pose de nouveau ma question au rapporteur et à Mme la garde des sceaux : que se passera-t-il lorsque, au terme du délai maximum de quatre mois fixé par l’article 4 de ce projet de loi, il sera impossible au juge de prendre une décision et, même s’il le pouvait, que se passerait-il s’il ne la prenait pas ?
Votre texte n’apporte aucune précision sur ce point. Nos concitoyens ont le droit de savoir.
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
L’amendement no 815 est adopté à l’unanimité.
Par cet amendement, nous proposons de compléter l’alinéa 4 de cet article 4. Il semble tout de même essentiel de prendre en compte les victimes, comme l’a précisé M. le rapporteur que j’ai écouté avec attention. Nous avons l’occasion ici de le faire sérieusement. Si vous vous contentez de nous répondre que vous êtes défavorable à notre amendement, monsieur le rapporteur, je considérerai qu’il y a un décalage entre les discours que vous tenez à certains moments et les actes.
Nous demandons ainsi que soit ajoutée la phrase : « Cet ajournement ne pourra jamais se faire au détriment du sentiment de sécurité de la victime. »
Dans la mesure où la peine doit, pour une bonne administration de la justice, aboutir à l’indemnisation du préjudice subi par la victime, il est nécessaire que l’ajournement ne se fasse pas au détriment de ses droits, car sinon ce délai supplémentaire accordé au présumé coupable créera un préjudice psychologique supplémentaire.
Écoutez mes arguments, chers collègues ! Je sais bien que vous êtes très, très gênés par ce texte !
Exclamations sur les bancs du groupe SRC.
Je sais que la majorité est divisée. Vous êtes d’ailleurs très peu nombreux à être présents dans l’hémicycle ! On constate bien la gêne de la majorité face à ce texte !
Laissez au moins à l’opposition la possibilité de développer ses arguments, d’autant qu’ils sont importants. L’objectif poursuivi ici est de veiller à ce que l’ajournement ne soit en aucun cas prononcé au détriment du sentiment de sécurité des victimes.
Les préoccupations de l’orateur sont entièrement satisfaites par l’article 11 de ce texte. La victime peut demander que l’ajournement prenne telle ou telle forme. C’est également le moyen d’obtenir que le mari violent quitte le domicile conjugal,…
…que le voisin irascible déménage, que le voisin alcoolique suive une cure de désintoxication. C’est la façon la plus efficace de protéger la victime.
En effet, dès lors que la procédure judiciaire est lancée, cela implique qu’au bout il y aura sanction, ce qui donne souvent une très grande sagesse à ceux qui sont poursuivis. Quant à la question du délai de quatre mois, je vous proposerai ultérieurement d’adopter un amendement de nos collègues de l’UDI prévoyant la prolongation du délai en cas de nécessité. J’entends déjà les protestations, mais il peut y avoir besoin de temps.
Enfin, je vous recommande la fréquentation des tribunaux. Vous constaterez que les magistrats sont des gens sages, qu’ils prennent en considération autant que possible la situation des uns et des autres, alors que les dossiers contiennent parfois très peu de renseignements en dehors du casier judiciaire. On peut regretter qu’il y ait tellement de dossiers à juger, et nous avions d’ailleurs commencé à réfléchir collectivement à la façon de traiter un certain nombre de contentieux, notamment routiers, sans pour autant affaiblir la répression et augmenter le nombre d’accidents et de morts sur le bord des routes ; mais il reste queles magistrats travaillent correctement, prennent en considération autant que faire se peut la situation des victimes et essaient de les protéger le plus possible.
L’ajournement n’est pas tout à fait la méthode décrite par Beccaria, mais c’est le principe qui est avancépar lui. La certitude de la sanction en fait quelque chose d’efficace, et nous sommes alors beaucoup moins pressés parce que le processus judiciaire est engagé.
Nous reconnaissons tous les difficultés de notre système, que, pour notre part, nous imputons à la lenteur du traitement entre police, justice, pénitentiaire ; mais, dès l’instant où le processus judiciaire est engagé, il se déroule de façon satisfaisante. Point n’est donc besoin d’adopter cet amendement, l’article 11 le satisfait parfaitement.
Défavorable, mais permettez-moi de revenir sur l’amendement précédent.
Je sais avec quelle attention les députés de la majorité travaillent sur le budget du ministère de la justice et je les invite donc à veiller particulièrement à ce que le corps des conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation soit encore renforcé. Nous avions fait une étude d’impact et décidé qu’il y en aurait 25 % de plus sur trois ans, ce qui est considérable et absolument sans précédent dans la fonction publique. Mais cette étude reposait sur l’état actuel du droit, à savoir l’attribution du présentenciel aux secteurs associatifs habilités et la prise en charge du postsentenciel par les services pénitentiaires d’insertion et de probation.
À partir du moment où vous faites revenir les services pénitentiaires d’insertion et de probation dans le présententiel – ce qui, je vous le dis très clairement, n’est pas un souhait de la profession, qui, ces dernières années, a consolidé ses méthodes et mis en place toute une série d’outils d’analyse et d’évaluation –, et si cette disposition n’est pas supprimée du texte, vous devrez être attentifs à en tirer toutes les conséquences.
Ces conséquences seront d’abord budgétaires. Vos propos, madame la députée qui avez présenté le texte, monsieur le rapporteur, ou éventuellement monsieur le président de la commission des lois, seront bien entendu consignés au Journal officiel, et devant huissiers en plus, même si ce ne sont pas tout à fait ceux qui sont sous la responsabilité du ministère de la justice !
Sourires.
Je voudrais dire mon étonnement devant l’argumentation de notre rapporteur pour repousser cet amendement.
L’article 11 parle d’une contribution volontairement versée par l’auteur d’une infraction alors même que des dommages et intérêts n’auraient pas été prononcés puisque la victime ne serait pas connue. Il permet à un coupable particulièrement repentant de faire jaillir par tout moyen sa volonté d’indemniser la victime lorsque l’on aura réussi à la connaître. Il n’y a là aucun élément de nature à satisfaire l’amendement.
J’ai, parmi ce qu’on peut éventuellement appeler des qualités, que beaucoup appellent des défauts, une caractéristique qui est la persévérance. J’ai cru être clair en posant à plusieurs reprises une question à laquelle il n’a toujours pas été répondu : que se passe-t-il si, au terme des quatre mois de délai, aucune décision n’a été prise ? J’aimerais avoir une réponse.
Il ne faut pas confondre l’article 11 et l’article 11 bis, monsieur Geoffroy.
L’article 11 donne certains droits à la victime, il répond donc à l’amendement.
Quant à votre question sur la saisine du tribunal à l’issue du délai de quatre mois, cela fonctionne comme un renvoi. Le tribunal donne une date. Si, par extraordinaire, l’enquête n’est pas faite, et je vais vous proposer tout à l’heure d’adopter un amendement du groupe UDI permettant de prolonger le délai, il y aura un renvoi, mécanisme en cours dans tous les tribunaux de France et de Navarre. Si c’est un renvoi sine die, il y aura une nouvelle saisine à la demande du parquet et une date d’audience sera fixée. C’est le fonctionnement ordinaire des tribunaux tel qu’il est aujourd’hui.
N’ayez donc pas de crainte sur un fonctionnement parfaitement rodé. L’on n’est jamais à l’abri d’une erreur, mais il y a très peu de risques qu’une peine ne soit pas prononcée à un moment donné à l’encontre de celui qui a été déclaré coupable.
L’amendement no 669 n’est pas adopté.
Je suis saisie de plusieurs amendements, nos 248 rectifié , 358 rectifié , 488 , 359 et 360 , pouvant être soumis à une discussion commune.
Les amendements nos 248 rectifié , 358 rectifié et 488 sont identiques.
La parole est à M. Yannick Moreau, pour soutenir l’amendement no 248 rectifié .
Vous prévoyez dans l’article 4 l’ajournement, en expliquant que cela existe déjà. Vous nous annoncez d’ailleurs un amendement visant à allonger le délai de quatre mois. En fait, un tel report du prononcé de la sanction illustre la philosophie du texte, qui est toujours de repousser la sanction. Mais pendant ce délai, l’auteur des faits peut s’évanouir dans la nature. Pourquoi donc allonger le délai ?
L’ajournement doit rester l’exception, la règle étant le prononcé immédiat. Je propose donc de réduire le délai.
La parole est à M. Éric Ciotti, pour soutenir l’amendement no 358 rectifié .
La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson, pour soutenir l’amendement no 488 .
Les amendements identiques nos 248 rectifié , 358 rectifié et 488 , repoussés par la commission et le Gouvernement, ne sont pas adoptés.
Je suis saisie de trois amendements identiques, nos 249 rectifié , 489 et 688 .
La parole est à M. Yannick Moreau, pour soutenir l’amendement no 249 rectifié .
La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson, pour soutenir l’amendement no 489 .
Les amendements identiques nos 249 rectifié , 489 et 688 , repoussés par la commission et le Gouvernement, ne sont pas adoptés.
La parole est à M. Philippe Vigier, pour soutenir l’amendement no 449 .
Madame la ministre, j’ai expliqué à plusieurs reprises à quel point nous n’étions pas favorables à l’article 4, et nous demandions la suppression de l’ajournement de peine, qui, pour nous, n’était pas justifié. Je n’ai d’ailleurs pas eu de réponse aux questions que je vous ai posées.
Cela dit, puisque maintenant ce dispositif existera, un délai de quatre mois nous paraît trop court. Ce n’est d’ailleurs pas nous qui le disons. On peut lire dans le fameux rapport que la réalisation de ces nouvelles enquêtes par le secteur associatif aura nécessairement un impact sur les frais de justice, ce qui est un premier élément ; mais, surtout, il faudra évidemment un nouvel examen et une seconde audience pour fixer la peine. Que se passera-t-il au bout des quatre mois ? Selon nous on n’y arrivera pas dans ce délai. C’est pourquoi nous proposons à défaut, par un amendement de repli, de faire passer le délai de quatre à huit mois. On pourrait d’ailleurs se demander ce qui se passera au bout de huit mois si l’on n’a pas alors tous les éléments d’appréciation...
L’une de mes collègues a parlé tout à l’heure de la qualité de la justice. Si l’on met en place un tel dispositif et que l’on s’aperçoit qu’au bout de quatre mois l’enquête confiée aux associations ne permet pas d’avoir de nouveaux éléments d’appréciation, en se fondant sur ce critère de la qualité, sur lequel nous pouvons tous, je pense, nous rassembler, que feront les magistrats si l’on n’allonge pas ce délai contraint ? Ils n’auront pas recours à ce dispositif et c’est la raison pour laquelle tous mes collègues du groupe UMP ont émis un grand nombre de doutes tout à l’heure sur cet article 4.
Vous avez voulu absolument imposer votre marque et faire adopter l’article. Mais je répète que quatre mois, c’est totalement irréalisable : chacun connaît la lenteur de la justice, les difficultés des procédures et leur complexité. Vous allez ajouter de la complexité. Nous vous demandons donc au moins de faire passer le délai de quatre à huit mois.
Je dois malheureusement émettre un avis défavorable ; voici pourquoi.
Dans l’état actuel du droit, je l’ai rappelé tout à l’heure, l’ajournement est déjà possible, mais il a lieu sans qu’aucune décision soit prise. Ce que nous prévoyons dans l’article 4, c’est la tenue d’une audience au cours de laquelle deux décisions sont prises, la déclaration de culpabilité et la décision d’indemnisation de la victime. Pour la sanction, il peut y avoir un ajournement, mais ce n’est pas une obligation, avec une enquête de personnalité. Nous avons fixé un délai de quatre mois.
Dans l’état actuel du droit, le tribunal peut considérer qu’il n’a pas les éléments lui permettant de statuer et prononcer un nouvel ajournement. C’est déjà dans le droit. Le Gouvernement a quelques réticences à inscrire dans la loi un nouveau délai. Vous avez vous-même craint que l’on n’alourdisse inconsidérément le fonctionnement des juridictions.
Or, avec la disposition que vous proposez d’introduire, on aboutira à trois audiences, puisqu’il faudra une audience pour prononcer ce nouvel ajournement. Pour ces raisons, et compte tenu du fait que la juridiction peut déjà constater qu’elle ne dispose pas des éléments lui permettant de statuer, et peut alors décider un nouvel ajournement, nous pensons que l’inscrire dans la loi lui donnerait un caractère trop impérieux qui alourdirait le fonctionnement des juridictions. Pour ces raisons, tout en comprenant bien les motifs pour lesquels vous proposez ce nouvel ajournement, l’avis du Gouvernement est défavorable.
Puisque vous donnez, madame la garde des sceaux, un avis défavorable à la possibilité de reporter la décision de quatre mois supplémentaires, que deviendront les mesures contraignantes : contrôle judiciaire, détention provisoire ?
Je constate une certaine divergence entre le rapporteur et la garde des sceaux.
Nous vous avons dit, sans vous avoir convaincus, ce que je regrette beaucoup, que votre nouveau dispositif créerait de la complexité et allongerait les procédures. Vous nous répondez : « Pas du tout, c’est une nouvelle possibilité ouverte aux magistrats ; nous tenons à la mettre en place. » Or le rapport de notre excellent rapporteur montre que les personnes auditionnées ont exprimé de grandes réserves, affirmant qu’elles n’arriveraient pas à apporter une réponse dans le délai de quatre mois qui leur est imparti. Du point de vue de la cohérence, madame la garde des sceaux, je ne comprends donc pas. Nous vous donnons une chance de faire que votre dispositif – auquel nous n’étions pas favorables – soit plus efficace, et vous refermez la porte immédiatement. Je ne saisis pas votre ligne. Soit vous ne croyez pas dans le dispositif et vous êtes dans l’affichage politique, ce que je ne crois pas car je pense que vous êtes sincère ; soit vous ne faites pas confiance à celles et ceux qui ont au quotidien la charge de rendre la justice. Aussi bien les magistrats que les associations auditionnés ont tous été à l’unisson sur cette question. Le rapporteur a d’ailleurs fait référence à plusieurs reprises à cet amendement de notre groupe, rédigé dans l’esprit d’opposition constructive qui est notre fil conducteur constant. Je suis surpris que vous refermiez la porte si rapidement.
Je comprends à la fois la position du défenseur de l’amendement, qui, même si l’exposé sommaire est très critique, introduit de la souplesse, et l’argumentation de Mme la garde des sceaux, qui y voit tout de même un alourdissement. Les deux arguments peuvent parfaitement s’entendre. Comme le débat fait jaillir, tout à fait naturellement, une difficulté, je propose de donner un avis favorable à l’amendement, afin que la suite du débat parlementaire, devant le Sénat, permette de nous éclairer davantage ; nous verrons si les inconvénients l’emportent sur les avantages.
Nous pensons suivre la suggestion du rapporteur. Je rappelle que, pour ce qui existe déjà à savoir l’ajournement simple, l’ajournement avec mise à l’épreuve et l’ajournement avec injonction, le tribunal, Mme la garde des sceaux a raison de le rappeler sans relâche, fixe le délai dans lequel il réexamine l’affaire. Je précise également, parce que cela a été oublié, que, pour ces trois dispositifs, le code pénal prévoit qu’en tout état de cause la peine devra être prononcée dans le délai d’un an.
Sur ces trois dispositifs, le délai ultime du prononcé de la peine figure dans le code.
Je pense que la suggestion qui est faite est bonne, dans la mesure où il est difficile d’être assuré que tous les éléments que souhaite obtenir le tribunal soient en sa possession au terme de quatre mois. Toutefois, je me demande, monsieur le rapporteur, s’il ne sera pas nécessaire, pour que toutes les précautions soient prises, d’introduire dans l’article la date ultime de prononcé de la peine qui s’imposera au tribunal. C’est un cliquet qui existe dans les autres procédures d’ajournement, garantissant des délais conformes aux nécessités tout en fixant une limite pour que la peine ne soit pas trop éloignée de la commission des faits. Nous suggérons donc d’adopter l’amendement, pour voir ensuite s’il ne conviendrait pas, dans le cadre de cet article, de prévoir un autre cliquet, conforme aux dispositions d’ajournement existant dans le code pénal.
L’amendement no 449 est adopté.
L’article 132-70-2 du code pénal tel que proposé dispose : « Lorsque la juridiction ajourne le prononcé de la peine, elle peut octroyer immédiatement à la victime des dommages et intérêts soit à titre provisionnel, soit à titre définitif. » Je vous propose de supprimer « soit à titre définitif », car je pense que, dans ce premier acte de jugement, il faut que les dommages et intérêts restent toujours provisionnels, afin que la victime puisse en redemander en fonction des éléments nouveaux qui pourraient apparaître. C’est une erreur d’écrire « à titre définitif », car cela diminue très largement les droits de la victime.
Il y a deux hypothèses. Soit le préjudice, physique ou matériel, biens détruits, voiture abîmée, objets volés, est certain et peut être établi de façon extrêmement simple : dans ce cas, pourquoi renvoyer à une autre audience et compliquer inutilement les choses tant pour le tribunal que pour la victime ? Dès lors que l’on a les éléments suffisants pour statuer, il est possible de le faire à titre définitif. Soit on n’a pas ces éléments, et il faut alors renvoyer à une autre audience, ou à une audience civile, la victime produisant les éléments pour que son préjudice soit calculé. Le texte permet d’être souple ; l’amendement bloquerait la situation et imposerait deux audiences. La commission a donc émis un avis défavorable.
Cet amendement restreint les possibilités, alors que les situations sont extrêmement variables. J’adhère totalement à la démonstration du rapporteur. Le fait de donner au tribunal la possibilité de prononcer des dommages et intérêts à titre provisoire ou définitif offre plus de souplesse. Pour cette raison, même si j’entends votre préoccupation, je vous invite, monsieur Tourret, à retirer cet amendement.
Il faut en effet maintenir la possibilité d’indemniser à titre définitif, tout simplement dans le cas où l’auteur et la victime sont d’accord, c’est-à-dire dans le cas où la victime fait une demande chiffrée de son préjudice à titre définitif et que l’auteur des faits – cela arrive bien des fois – l’accepte, reconnaît le préjudice et son ampleur telle que formulée par la partie civile. Dans ce cas, prononcer une condamnation à titre provisionnel est inutile. Je rejoins donc tout à fait les excellentes explications du rapporteur et de la garde des sceaux.
Dans l’hypothèse où la victime s’est constituée partie civile et fait appel de la décision, que devient le caractère définitif ? Ce n’est jamais définitif en première instance. Réfléchissez ! La décision de première instance peut toujours être revue en appel, les dommages et intérêts aussi.
Je souhaite soutenir le propos de Georges Fenech. Il devrait y avoir une cohérence dans votre dispositif, et ce qui rend suspect, dans ce dernier, l’ensemble de votre démarche, c’est justement l’idée que vous ne vous intéressez qu’à la victime. La preuve, c’est qu’alors même que l’on n’est pas encore en mesure de déterminer la sanction qui sera appliquée au coupable, vous prévoyez de donner définitivement à la victime la possibilité d’être indemnisée. Je trouve que c’est maladroit. Un bon parallélisme des formes voudrait que, dans cette phase dont le juge décide qu’elle est provisoire, puisqu’il disjoint, par l’ajournement, la décision de culpabilité et la décision de sanction pénale, on prévoie la possibilité d’une clause de revoyure concernant la fixation définitive en première instance des éventuels dommages et intérêts lors de l’audience au cours de laquelle la sanction pénale sera prononcée. Il serait bien préférable, et c’est pourquoi j’appuie l’amendement de M. Tourret, de réserver la possibilité d’un jugement définitif, même si celui-ci confirme la disposition, dite provisoire au moment où elle est prononcée, concernant les éventuels dommages et intérêts.
Je répète, car vous ne m’avez pas répondu, qu’il y a une micro-révolution dans ce que vous proposez, qui consiste à faire en sorte que le procès civil se déroule avant que le procès pénal soit achevé, ce qui n’est pas conforme à l’état actuel du droit en matière de procédure pénale.
Rassurez-vous, monsieur Geoffroy : tout est prévu ! La situation est parfaitement sous contrôle. La décision est entre les mains de la victime. Si elle souhaite formuler une demande de réparation intégrale, elle le fait. Si elle en décide ainsi, elle a la possibilité d’assister à l’audience sur la peine ainsi que celle d’intervenir aux côtés du ministère public pour donner un avis sur cette question. C’est la règle générale ; la victime est toujours présente. Dans les cas, assez complexes, où la victime ne peut demander des dommages et intérêts, par exemple pour un accident du travail, elle peut toujours intervenir aux côtés du ministère public pour donner son avis et faire valoir ses intérêts. La situation de la victime est donc parfaitement prise en considération. Si vous vouliez bien nous en donner acte, nous vous en serions reconnaissants !
Sourires.
L’amendement no 738 est retiré.
L’amendement no 361 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.
L’amendement no 795 , accepté par le Gouvernement, est adopté.
Je souhaite que soient apportées un certain nombre de précisions à la fin de la deuxième phrase de l’alinéa 9.
En effet, à l’initiative du rapporteur, il a été indiqué que la détention provisoire de la personne déclarée coupable ne pouvait être ordonnée que conformément à deux motifs normaux : le maintien de la personne à disposition de la justice et l’extinction de l’infraction ou la prévention de son renouvellement.
Toutefois, d’autres objectifs contenus dans l’article 144 du code de procédure pénale, motivant la détention provisoire, apparaissent pertinents : empêcher les pressions sur les témoins, les victimes ou leur famille, et empêcher la concertation frauduleuse du condamné avec les coauteurs de l’infraction ou avec ses complices. En outre, cet article se rapportant aux personnes mises en examen et non aux personnes déclarées coupables, il apparaît de meilleure législation de mentionner les motifs dans le corps du texte plutôt que de s’y référer expressément.
Comme l’infraction est par nature éteinte lorsque son auteur principal a été déclaré coupable, elle ne risque que d’être réitérée. De plus, le maintien de ladite personne à la disposition de la justice va de soi, et la mention de ce motif semble superfétatoire.
Il est donc proposé par cet amendement de ne retenir comme motifs de la détention provisoire de la personne condamnée dont la peine est ajournée que ceux qui sont mentionnés dans le corps de son dispositif.
L’avis est défavorable, mais la commission pourrait s’en remettre à la sagesse de l’Assemblée.
Ma réflexion est la suivante : les motifs de mise en détention provisoire visent, au moment où quelqu’un n’est pas déclaré coupable, à empêcher une pression sur les témoins ou sur les victimes susceptible d’amener ces derniers à une rétractation, ou à prévenir toute concertation frauduleuse entre les différents auteurs de l’infraction.
Dans l’hypothèse de l’ajournement, l’auteur étant déclaré coupable, l’intérêt pour le mis en cause de faire pression sur les témoins ou d’organiser une concertation disparaît complètement. En conséquence, les motifs des décisions de placement en détention pendant l’intervalle qui sépare la déclaration de culpabilité de la déclaration sur la peine ne pourraient être que garantir le maintien de la personne à la disposition de la justice et prévenir le renouvellement de l’infraction. Toutes les précautions qui sont prises pour empêcher la concertation ou les pressions me paraissent à ce moment-là inutiles.
On pourrait néanmoins conserver le texte de l’amendement, et laisser mûrir la réflexion parlementaire sur ces questions ; je m’en remettrai donc à la sagesse de l’Assemblée.
L’avis du Gouvernement est identique aux quatre cinquièmes à celui du rapporteur.
Sourires.
En effet, dans le premier cinquième de son propos, le rapporteur s’est dit réticent. Le Gouvernement exprime la même réticence : les cas que vous envisagez, monsieur le député, seront très peu fréquents. En même temps, on ne peut pas considérer que le besoin est complètement inexistant. Le Gouvernement s’en remet donc à la sagesse de l’Assemblée, avec la même intention que nous creusions un peu plus la question. Récuser d’emblée la rédaction proposée ne me paraît pas très raisonnable, mais les raisons invoquées par le rapporteur sont très plausibles.
J’ai écouté vos propos avec beaucoup d’attention. Pour ma part, je vous propose d’adopter cet amendement de façon à donner un signal pour la suite de la procédure parlementaire.
Les cas qui sont envisagés sont susceptibles de se produire. Nous aurions donc bien tort de ne pas conserver ce moyen-là à l’encontre d’une personne, même si elle a été réputée coupable, car même dans ce cas des pressions ou tout autre procédé peuvent être utilisés.
Je souhaite soulever néanmoins une petite difficulté, qui pourra être dénouée dans la suite de la discussion parlementaire. Sauf erreur de ma part, l’amendement a pour conséquence la suppression du motif du maintien à disposition de la justice, considérant que cela va de soi, et celle du motif de prévention du renouvellement de l’infraction, parce que la personne concernée a déjà été condamnée. Le renouvellement peut cependant être une nouvelle infraction. La rédaction devra donc être améliorée au cours de la suite de la discussion parlementaire ; ce travail de réécriture me paraît important.
Il faudrait ajouter le 2° et le 3° de l’article 144 dans le corps du texte !
L’amendement no 742 est adopté.
L’amendement no 362 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.
L’amendement no 363 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.
L’article 4, amendé, est adopté.
Article 4
La parole est à M. Philippe Goujon, pour soutenir l’amendement no 433 .
Il est vrai que la réparation financière est importante, mais on a l’impression qu’on oublie complètement la dimension moralement réparatrice de la peine de prison pour la victime. L’obligation faite au juge de prendre en compte les ressources, les charges, la situation du condamné, qui n’était jusqu’à présent qu’une faculté, peut aboutir à une justice à deux vitesses totalement corrélée à la situation socio-économique du délinquant présumé.
Le présent amendement vise donc à réduire d’un an à quatre mois le délai de provisionnement de la somme ouvrant droit à l’ajournement du procès parce qu’on peut considérer comme choquant qu’un procès puisse être ajourné sur une période aussi longue sur le simple motif pécuniaire, alors que l’ajournement est de quatre mois lorsqu’il s’agit de recueillir des éléments sur la personnalité du condamné.
En outre, la mention de la possibilité pour le juge d’alléger cette amende en cas de bon provisionnement de la somme ou, au contraire, de l’alourdir si elle n’a pas été provisionnée, revient à dissocier la peine de la gravité du délit. On sait bien que, dans certains cas, l’insolvabilité est sciemment organisée pour échapper aux amendes ; les délinquants réguliers en sont d’ailleurs coutumiers. Cela n’est pas du tout pris en compte dans cet article.
La victime, au-delà de la reconnaissance préalable de culpabilité et du versement provisionnel de dommages et intérêts – autorisé par un amendement que nous avons fait adopter en commission à l’unanimité et qui a été cosigné notamment par notre collègue Éric Ciotti –, attend également en tant que réparation morale la condamnation du délinquant. Surseoir à cette condamnation sur ce seul motif financier ne nous paraît pas acceptable.
L’avis de la commission est défavorable. Le but de l’article 4 bis est d’assurer le recouvrement de l’amende qui a été prononcée. Il vise donc à rendre les sanctions effectives et à les faire exécuter immédiatement.
Défavorable.
L’amendement no 433 n’est pas adopté.
L’article 4 bis est adopté.
La parole est à M. Philippe Goujon, pour soutenir l’amendement no 428 rectifié portant article additionnel avant l’article 5.
Cet amendement vise tout simplement à étendre les peines plancher aux délinquants réitérants, ainsi qu’à élargir le prononcé de la peine complémentaire d’interdiction du territoire aux délinquants réitérants étrangers qui se livrent à des actes de délinquance considérés comme graves et passibles de cinq ans de prison. Il ne fait que reprendre une proposition de loi que mes collègues Éric Ciotti, Jean-Paul Garraud et moi-même avions fait adopter en première lecture à l’Assemblée sous la précédente législature en mars 2012.
La conformité des peines plancher au principe d’individualisation des peines a été reconnue par le Conseil constitutionnel, le juge restant souverain pour décider d’une peine inférieure aux seuils conseillés ; nous en avons longuement débattu en commission. Loin d’être automatiques, contrairement à ce qui est dit, elles sont prononcées dans un tiers seulement des cas éligibles, principalement pour les récidivistes sexuels et violents, c’est-à-dire quand c’est nécessaire.
La difficulté, qui a été reconnue par le rapporteur lors de l’examen de ce texte en commission le 27 mai dernier, c’est que, en matière pénale, le concept de « récidive légale » ne concerne que les personnes condamnées à nouveau pour le même délit. Vous avez affirmé avec raison, monsieur le rapporteur, que c’est contre la réitération, c’est-à-dire la commission de plusieurs délits et la poly-délinquance, qu’il faut lutter. Si nous sommes parfaitement d’accord sur ce constat, nous n’en tirons pas les mêmes conséquences.
Parce que la notion de réitération n’est aujourd’hui pas couverte par le code pénal, cet amendement propose de l’y introduire et d’atteindre ainsi le noyau dur de la délinquance : les multi-réitérants. Je ne citerai que quelques chiffres : on compte un bon millier de réitérants dans la capitale qui, d’après la préfecture de police, ont commis chacun entre cinquante et cent faits délictueux et continuent d’en commettre régulièrement. Près de 19 000 personnes sont citées plus de cinquante fois dans le STIC, le Système de traitement des infractions constatées.
En outre, et c’est l’objet de la deuxième partie du présent amendement, selon une étude de l’ONDRP, l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, un tiers des multi-mis en cause à Paris sont étrangers, la moitié d’entre eux de nationalité roumaine et à près de 90 % mineurs.
Nous considérons donc que devant l’ampleur de cette délinquance, qui combine la multi-réitération et l’implication de personnes de nationalité étrangère, il est important de doter notre arsenal juridique des moyens d’y répondre plutôt que de l’en expurger, comme vous le faites dans votre texte.
Avis défavorable.
Certes, il est peut-être nécessaire d’avoir une réflexion sur les relations entre la récidive et la réitération. Il est en effet gênant, d’un point de vue démocratique, que le terme retenu et efficient soit celui de récidive, qui est un concept juridique et une réalité totalement incompréhensible pour nos concitoyens, lesquels l’assimilent à la réitération. C’est d’ailleurs si vrai que, chaque année, en moyenne, 50 000 personnes environ sont condamnées pour récidive, soit environ 10 % à 12 % des condamnations, alors que, dans le même temps, 130 000 personnes sont condamnées en situation de réitération, ce qui représente environ 29 % à 30 % des condamnations.
Il est vrai qu’il serait nécessaire d’engager une réflexion sur ces questions afin de mesurer l’effet d’un alignement de la récidive sur la réitération ; il était néanmoins difficile de le faire.
Votre proposition consiste à aligner la récidive sur la réitération quant au prononcé même de la peine, du côté des peines plancher, un dispositif auquel nous sommes opposés.
Nous nous en expliquerons quand le sujet arrivera en discussion. L’extension aux réitérants n’a pas paru utile à la commission.
Au début de la séance de cet après-midi, nous aurons bien sûr l’occasion de débattre de l’article 5,…
…c’est-à-dire des peines minimales, communément appelées peines plancher.
Avant cela, je voudrais tout de même saluer cet amendement, qui constitue une sorte d’apéritif. Il est particulièrement important de l’examiner de manière approfondie et, après cela, de l’adopter. En effet, monsieur le rapporteur – j’y reviendrai plus en détail cet après-midi, mais je vous le dis dès maintenant –, en dehors de vos affirmations péremptoires, vous avez très peu d’arguments pour justifier la suppression des peines plancher.
Votre seul argument, qui va d’ailleurs à l’encontre de ce que vous affirmez par ailleurs, consiste à dire que l’on prononce tellement peu ces peines qu’il vaut mieux ne pas les garder. Tout le monde admettra que cet argument, en tant que tel, est d’une très grande fragilité ; il ne résiste pas à l’analyse.
Eh bien, monsieur le rapporteur, c’est parce qu’il donne un peu plus de consistance à la réflexion que le présent amendement est très opportun. En effet, en étendant les peines planchers à ceux que nos concitoyens considèrent comme des récidivistes – sur ce point, vous avez raison –, alors que, au sens strictement juridique du terme, ils ne sont que des réitérants, nous pourrons avoir un vrai débat sur ce sujet.
Adoptons donc cet amendement qui, avant que nous en arrivions à l’article 5, décrit exactement l’état de la question s’agissant des peines plancher. Nous verrons probablement cet après-midi que l’échange n’en aura que plus d’intérêt pour nos concitoyens. Peut-être même réussirons-nous à vous faire changer d’avis sur les peines plancher.
Quoi qu’il en soit, il faut vraiment aller jusqu’au bout de la démarche qui consiste à considérer que, pour les auteurs d’infractions multiples, tant la peine encourue que la certitude qu’elle sera effectivement prononcée par le tribunal se renforcent. C’est nécessaire pour la société dans son ensemble, mais aussi, en termes de prévention, pour les auteurs des infractions ; ça l’est enfin pour tous ceux dont nous voudrions, grâce aux peines plancher et à d’autres dispositions, qu’elles ne deviennent pas des victimes de la délinquance.
L’amendement no 428 rectifié n’est pas adopté.
La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement.
Mesdames, messieurs les députés, vous avez abordé hier la question de la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs. Le débat s’est d’ailleurs terminé par un vote.
À cette occasion, Mme la garde des sceaux a eu l’occasion de vous dire qu’elle considérait que cette discussion, quoiqu’intéressante, n’avait pas lieu d’être dans le cadre de ce texte.
Par ailleurs, vos collègues du groupe GDR ont rappelé qu’ils avaient déposé une proposition de loi, et interrogé le Gouvernement sur la possibilité de l’inscrire à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.
Comme vous le savez, depuis la réforme constitutionnelle de 2008, la fixation de l’ordre du jour est organisée de façon à ce que les groupes politiques, de la majorité comme de l’opposition, aient la possibilité de faire connaître leurs souhaits. Il n’appartient pas au Gouvernement de se substituer au groupe GDR ou à d’autres groupes qui pourraient souhaiter, parce qu’ils estiment que ce débat est particulièrement urgent et important, le faire inscrire à l’ordre du jour.
Murmures amusés sur les bancs du groupe UMP.
Par ailleurs, vous savez aussi bien que moi que, d’une façon générale, l’Assemblée nationale est parfaitement habilitée à réfléchir sur les propositions qu’elle souhaite formuler dans le cadre du débat législatif.
Je pense donc que la discussion sur cette question est close. Nous manifestons toujours beaucoup d’intérêt pour les propositions constructives de l’Assemblée nationale.
Je me tourne d’ailleurs vers l’opposition et je forme le souhait qu’elle en émette elle aussi un jour.
Nous venons justement de vous en faire une, monsieur le secrétaire d’État !
Je voulais vous apporter ces précisions, qui ne me semblent pas, d’ailleurs, être de nature à vous surprendre. Mais, puisque la question a été posée, je tenais à vous rappeler quelques évidences.
Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :
Suite de la discussion du projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines.
La séance est levée.
La séance est levée à treize heures cinq.
Le Directeur du service du compte rendu de la séance
de l’Assemblée nationale
Nicolas Véron