La séance est ouverte.
La séance est ouverte à neuf heures trente.
L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution européenne de MM. André Chassaigne, François Asensi, Alain Bocquet, Bruno Nestor Azerot et plusieurs de leurs collègues sur le projet d’accord de libre-échange entre l’Union européenne et les États-Unis d’Amérique (nos 1876, 1938, 1930).
La parole est à M. André Chassaigne, rapporteur de la commission des affaires étrangères.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, madame la présidente de la commission des affaires européennes, chers collègues, c’est très solennellement que je tiens à exprimer la fierté du groupe GDR de présenter son texte de résolution devant la représentation nationale.
Par cette initiative, nous assumons pleinement nos responsabilités vis-à-vis de nos concitoyens, car nous estimons que les représentants de la nation se doivent de l’informer et de l’alerter sur les risques et menaces qui pèsent sur son avenir. C’est pourquoi, face au silence assourdissant de Paris et Bruxelles autour du « grand marché transatlantique » en cours de négociation, nous avons décidé, en conscience, d’engager un débat et un combat contre le danger que ces négociations représentent pour nos concitoyens.
Malgré les enjeux qu’emportent ces négociations pour notre avenir, d’aucuns s’interrogent sur l’opportunité d’un tel débat à trois jours des élections européennes. On perçoit ici le réflexe oligarchique de nos élites, qui continuent à préférer de décider entre elles, plutôt que de soumettre leur décision à la volonté nationale.
Selon nous, la question ne se pose pas et le débat s’imposait de lui-même.
Nous opposons ainsi l’impératif démocratique à la logique oligarchique.
Nous opposons également le volontarisme politique à la politique du fait accompli.
Condamnés à adopter une posture passive et spectatrice, les peuples français et européens ont une occasion historique, lors des élections, de dire « non » au grand marché transatlantique.
Alors, n’en déplaise à certains, nous allons débattre ici des négociations du traité transatlantique et du mandat que le gouvernement français a accordé à la commission pour négocier en son nom.
Sous prétexte de trouver des réponses à la crise économique, le projet d’accord de libre-échange entre les États-Unis et l’Europe n’est dicté que par l’idéologie du libre-échange, selon laquelle le bonheur réside dans la libéralisation des échanges et en vertu de laquelle on ne sort de la crise qu’en prenant des marchés aux autres. Il s’agit ouvertement de créer un grand marché transatlantique déréglementé, conforme aux seuls intérêts des grandes entreprises.
Croire que l’Union européenne pourrait en tirer des gains économiques significatifs est un leurre, dont les citoyens ne sont pas dupes, comme le montre la montée de l’inquiétude et de la mobilisation des peuples européens.
Pour autant, dirigeants européens et américains continuent d’afficher imperturbablement leur volonté d’aller vite, voire à marche forcée.
Le mandat a été conféré à la Commission, qui n’a pas la légitimité de l’élection, en juin 2013, dans une absence totale de transparence et de débat. Pour la France, c’est Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur d’alors, qui avait reçu le feu vert du conseil des ministres pour donner ce mandat. Les peuples n’ont pas eu la parole. Il a fallu compter sur la presse ou internet pour que les citoyens aient accès au contenu du mandat.
Alors que ce dernier venait d’être signé, les révélations d’espionnage à grande échelle des services de renseignement américains contre les intérêts européens ont jeté une lumière crue sur les agissements des Américains, qui prouvent que nous sommes en pleine guerre économique.
Malgré cela, les négociations ont continué dans la même absence de transparence et la même opacité que les discussions sur le mandat.
Le lancement des négociations avait pour justification des perspectives de croissance. Or, une étude récente de mars 2014, réalisée par des chercheurs autrichiens, se montre très pessimiste : les coûts sociaux seront importants et la facture consécutive au chômage supplémentaire pourrait atteindre 10 milliards d’euros. Le commerce intracommunautaire pourrait baisser de 30 %. Il n’est que de se reporter au précédent instructif de l’accord qui lie les États-Unis au Canada et au Mexique, l’accord de libre-échange nord-américain – l’ALENA –, qui, sur l’ensemble des plans, a été négatif.
La principale menace contenue par cet accord réside dans ce qu’il est convenu d’appeler la convergence réglementaire, ce qui, dans le jargon technocratique, est la litote signifiant « nivellement par le bas », voire suppression de normes sociales, sanitaires et environnementales prévues par les législations européennes, qui découlent de choix politiques et de valeurs particulières.
Depuis le début, les Américains ont clairement affirmé qu’ils ne se lanceraient pas dans les négociations s’ils n’envisageaient pas de gains sérieux, en particulier dans l’agriculture : le déroulement des négociations le confirme en tout point. Au cours du quatrième round, qui avait pour thème les mesures phytosanitaires, ils ont rappelé que la viande américaine était la plus sûre au monde, alors que l’Union européenne avait connu la crise de la vache folle et que la responsabilité de nourrir le monde nécessite l’utilisation de technologies.
Malgré les engagements réitérés de la Commission européenne de ne pas sacrifier les normes européennes, les négociations ne se déroulent pas dans un rapport de forces favorable aux Européens. En donnant mandat à la Commission européenne de négocier sur les normes, leurs choix agricoles et alimentaires, leurs droits sociaux, leurs services publics, leurs règles financières et leurs choix énergétiques et climatiques, les États vont renoncer à leur capacité démocratique de construire des normes conformes à l’intérêt général.
On ne sait pas jusqu’où cette convergence réglementaire pourrait aller. En effet, le mécanisme d’arbitrage pour les investissements constitue une véritable bombe contre la souveraineté des États. Il est ainsi prévu de créer un tribunal supranational dénommé « panel d’arbitrage », qui permettra à toute entreprise multinationale de faire appel à un tribunal arbitral privé pour poursuivre un État dès lors qu’une réglementation pourrait potentiellement porter préjudice à ses intérêts, par exemple le relèvement de minimaux sociaux ou la hausse de l’impôt sur les sociétés. Ce système aura pour conséquence un transfert de la souveraineté des États vers le secteur privé, les investisseurs disposant ainsi d’un moyen de pression sur les États en les menaçant de procès.
Les exemples de telles dérives sont nombreux dans le cadre des arbitrages assurés par le Centre international de règlement des différends sur l’investissement – le CIRDI –, une institution créée en 1966 dans l’orbite de la Banque mondiale. Vous trouverez dans mon rapport plusieurs exemples de décisions prises dans le seul intérêt des grandes firmes transnationales et dans le mépris de la protection des intérêts des peuples. Mais j’y reviendrai au cours du débat.
Un ministre allemand, Sigmar Gabriel, s’est élevé vivement contre la clause sur l’arbitrage, expliquant que sa présence éventuelle dans le traité de libre-échange transatlantique – dit « TAFTA » – pourrait conditionner l’accord de l’Allemagne. La France peut-elle être en retrait sur ce point ?
C’est pour l’ensemble de ces raisons que le groupe GDR a déposé une proposition de résolution posant une série d’exigences.
La première d’entre elles est la suspension des négociations, afin que les peuples souverains puissent se prononcer sur la poursuite ou non de ces négociations, car, une fois l’accord conclu, au moment de sa ratification, les parlements nationaux seront placés devant le fait accompli.
Deuxième demande : dans le cas où les négociations se poursuivraient, nous souhaitons qu’elles se caractérisent par plus de transparence, grâce à un accès direct et public à tous les documents de la négociation, ainsi qu’à une information détaillée et régulière des parlements nationaux et à leur association à l’ensemble du processus. Il n’est pas concevable que les parlements ne puissent pas exercer leur vigilance et peser sur le contenu d’un accord sur lequel ils devront se prononcer à l’occasion des procédures de ratification. Par ailleurs, dans la mesure où ce projet est largement dicté par les intérêts des firmes internationales, il est indispensable que les négociateurs et leurs éventuels conflits d’intérêts soient identifiés.
Troisième exigence : en tout état de cause, que les États-Unis mettent fin à leurs activités d’espionnage, qui visent massivement les intérêts européens.
Enfin, nous demandions que soit retirée de la négociation l’idée d’un arbitrage international, qui constituerait une atteinte inacceptable à la souveraineté des États.
Malheureusement, la proposition de résolution qui vous est présentée aujourd’hui est pour le moins édulcorée, dénaturée, voire vidée de l’essentiel. Et pour cause, chers collègues socialistes, vous entretenez un discours ambigu, certes critique sur les négociations, mais sans oser en tirer toutes les conséquences politiques.
Pour le reste, la substance de notre texte originel a été supprimée : la suspension des négociations en vue d’une large consultation populaire n’est plus exigée. Les auteurs d’un tel amendement font la démonstration de la défiance de certains représentants vis-à-vis du peuple souverain, un comble ! Vous craignez – j’insiste sur ces mots – le regard et la décision du peuple : je considère que c’est une hérésie démocratique.
Il me vient à l’esprit un mot de Bertolt Brecht : « quand le peuple vote contre le gouvernement, il faut dissoudre le peuple. » Mais comme vous ne pouvez pas dissoudre le peuple, vous n’allez pas le consulter.
Suivant cette même démarche de déconstruction, le texte de la résolution a été amputé de deux autres exigences impérieuses et salutaires : le retrait de toute négociation sur un arbitrage État-investisseurs et la cessation de l’espionnage américain de l’Europe. Ces demandes me semblent pourtant relever du bon sens et de la défense élémentaire de notre souveraineté.
En tout état de cause, ces négociations attestent la dérive à la fois libérale et atlantiste d’un exécutif français élu, pourtant, par le peuple de gauche.
C’est pourquoi, au nom des valeurs de la gauche et de l’intérêt national, j’espère que nos débats nous permettrons de revenir à notre texte initial, qui ne souffre d’aucune ambiguïté ni d’aucun faux-semblant. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)
La parole est à Mme la Secrétaire d’État chargée du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger.
Madame la présidente, mesdames, messieurs les députés, dans quelques jours, les Européens éliront leurs représentants au Parlement européen. Dans 28 pays, 500 millions d’Européens sont appelés à participer à la même élection démocratique. C’est un rendez-vous majeur pour tous les Européens et un moment clé pour l’Europe.
Jamais les forces anti-Europe, populistes, eurosceptiques, nationalistes, n’ont été aussi sûres de leurs forces, jamais la tentation de certains de casser l’Europe n’a été à ce point affirmée.
Pourquoi ces forces sont-elles devenues aussi présentes dans le débat européen ? D’abord, parce que ceux à qui il revenait de bâtir le projet européen, de l’expliquer, de le défendre, n’ont pas, par le passé, suffisamment assumé leur rôle.
Le Président de la République, le gouvernement de Manuel Valls, la majorité parlementaire assument, pour leur part, leur engagement européen.
Ensuite, parce que certaines orientations économiques et politiques de l’Union européenne se sont éloignées de l’aspiration profonde des peuples, et notamment de l’idée qu’ils se font du progrès social. Il faut le dire, faute de quoi on oublie l’enjeu du scrutin du 25 mai.
Oui, l’Europe mérite une nouvelle orientation politique, économique, démocratique. Depuis deux ans, la France, par la voix du Président de la République, a commencé à montrer la voie et à rendre possible ce nouveau chemin en installant la croissance et l’emploi au coeur du débat économique européen. Ce débat sur le partenariat transatlantique vient donc à point nommé. Je veux remercier le groupe GDR d’avoir souhaité que nous débattions aujourd’hui, même si, ou précisément parce que nous sommes à trois jours des élections européennes, d’une proposition de résolution sur le sujet.
L’intention de la majorité et du Gouvernement est non pas de repousser ce texte mais d’en débattre, en présentant une vision responsable et exigeante de ces négociations.
Je veux à cet égard saluer le travail réalisé en commission des affaires étrangères et en commission des affaires européennes autour des présidentes Élizabeth Guigou et Danielle Auroi par les députés du groupe socialiste, en particulier celui de Seybah Dagoma et d’Estelle Grelier. Les députés socialistes sont entrés dans ce débat de manière constructive et ont permis, grâce à l’adoption de l’ensemble de leurs amendements, d’améliorer la rédaction de la proposition de résolution.
Parlez au nom du Gouvernement au lieu de parler au nom des députés socialistes !
Je tiens à remercier le groupe écologiste pour le soutien qu’il a apporté à ce texte en commission des affaires étrangères.
J’y vois le signe de l’attachement profond des écologistes à l’Europe et à son avenir.
Ce travail constructif en commission nous permet d’aborder le débat en séance publique avec un texte plus précis, et surtout plus équilibré.
La précision, l’équilibre sont des notions clés lorsqu’on entre dans une négociation commerciale aussi ambitieuse que l’est le Partenariat transatlantique. La précision, l’équilibre sont importants lorsqu’on sait la très forte attente de transparence des peuples européens.
Je veux le dire d’emblée ici : la transparence n’est pas une option, encore moins une contrainte ; elle est l’une des conditions de la réussite des négociations et du futur traité. J’y reviendrai.
Oui, ce texte est précis et équilibré. Il est surtout extrêmement responsable. Plutôt que de demander l’arrêt pur et simple de négociations commerciales dans lesquelles l’Union européenne engage une partie de son crédit et de son avenir économique, la proposition de résolution qui nous est soumise aujourd’hui appelle, comme la résolution déjà adoptée en juin 2013 sur l’initiative du groupe socialiste, à poursuivre ces négociations, en soulignant à la fois les bénéfices potentiels et les risques. Cette vision responsable et exigeante est à l’honneur du groupe socialiste.
Quand on est responsable et exigeant, on ne confond pas la négociation et le traité qui en est la conclusion, sauf à ne pas accepter que l’Union européenne puisse négocier au nom des États membres. Je le dis sans ambages : s’il s’agit de refuser le principe même de négociations, alors c’est une bonne partie de l’ambition européenne, de l’affirmation de l’Union européenne comme puissance politique dans le monde de demain qu’on refuse ou qu’on nie. Donnons donc sa chance à la négociation, mais soyons vigilants sur son résultat.
J’ajoute que nous sommes au début de négociations longues. Personne n’exige de nous que nous disions oui ou non d’entrée de jeu sur le contenu d’un accord en cours d’élaboration. La France a des exigences, des lignes rouges et des attentes ambitieuses qu’elle a très clairement notifiées à la Commission et dont le Gouvernement se fera le garant tout au long des négociations.
Je veux ici lever un malentendu, largement entretenu par ceux qu’une présentation souvent simpliste des négociations en cours arrange bien. L’accord sera mixte, puisque les matières dont il traite relèvent non seulement de la compétence de l’Union, mais aussi des compétences nationales des États.
Le Partenariat commercial transatlantique supposera donc l’approbation à l’unanimité des États membres du Conseil, et l’accord des parlements nationaux.
Le Parlement français aura donc le dernier mot, c’est à lui qu’il reviendra de ratifier ou non l’accord négocié.
Là encore, soyons très clairs : si le mandat confié par la France à la Commission européenne devait ne pas se retrouver dans le traité négocié finalement, la France ne ratifierait pas le traité.
Cet accord présente, comme toute négociation commerciale, des défis, des difficultés ; il se heurte à des sensibilités de part et d’autre. Mais il constitue aussi une formidable opportunité pour nos entreprises qui exportent ou exporteront vers le marché américain. Rappelons que 22 000 entreprises françaises exportent aujourd’hui vers les États-Unis, dont 80 % sont des petites et moyennes entreprises et des entreprises de taille intermédiaire.
J’entre à présent dans le détail des avantages et des risques potentiels de cet accord, car comme dans toute négociation, en particulier les négociations commerciales, celui-ci présente pour la France des intérêts offensifs et défensifs.
Les enjeux attachés à cette négociation sont extrêmement significatifs pour notre pays, notre économie, notre commerce extérieur, nos entreprises. Je souhaite revenir sur certains de ces enjeux en particulier.
Je commencerai par rappeler les avantages ou intérêts offensifs.
Cet accord entre les deux premières puissances commerciales mondiales sera le plus grand accord commercial jamais négocié par l’Union européenne. Il en est de même pour les États-Unis.
Comment ne pas voir les formidables opportunités en termes de croissance, d’emploi, de débouchés pour nos entreprises, notamment nos PME ? Qui ne voit pas l’intérêt objectif pour l’Union européenne et la France d’être plus et mieux présentes sur un marché de 315 millions de consommateurs au pouvoir d’achat élevé ? Qui ne voit pas l’importance de ne pas laisser les États-Unis pivoter uniquement vers l’Asie, dans le cadre des méga-accords de libre-échange régionaux actuellement en négociation dans la zone Asie-Pacifique ? Qui pourrait refuser d’entrer dans des négociations qui peuvent nous permettre de réduire significativement, voire supprimer, les tarifs douaniers qui renchérissent le prix de vente de nos produits et ainsi de préserver notre compétitivité face aux autres fournisseurs des États-Unis qui ont déjà conclu un accord ou sont sur le point de le faire ?
L’enjeu majeur de cette négociation pour nous est de démanteler les barrières non tarifaires américaines qui limitent l’accès au marché de nos produits. C’est un enjeu capital. Dans cette négociation, la France et l’Union européenne entrent non pas en position de faiblesse ou de victimes, mais comme des partenaires de négociation. Nous traitons d’égal à égal avec le partenaire américain, et c’est à l’aune des bénéfices escomptés qu’il faut s’engager dans cette négociation ! Je veux vous en rappeler quelques-uns.
Il s’agit tout d’abord de l’ouverture de nouveaux marchés. Certains segments du marché américain sont juridiquement fermés ou d’un accès compliqué du fait de la réglementation. L’objectif du Partenariat commercial transatlantique est d’ouvrir ces marchés en supprimant les obstacles juridiques, normatifs, réglementaires ou en les simplifiant.
Je donnerai quelques exemples très concrets. Le transport maritime et aérien est aujourd’hui interdit aux opérateurs étrangers à l’intérieur des États-Unis ; autrement dit, Air France ne peut pas y opérer une ligne intérieure. Les exportateurs européens de pommes ou de poires doivent déposer un dossier soumis à une évaluation de risque, une procédure extrêmement longue et coûteuse qui dure parfois plus de dix ans. Les assureurs européens doivent quant à eux être agréés dans chaque État fédéré américain. Les restrictions dans le secteur de l’énergie interdisent les exportations vers l’Union européenne. Les exportations de viande de boeuf, enfin, sont toujours soumises à un embargo.
Un autre avantage à attendre de ce partenariat est la réduction des droits de douane. Même si les droits de douane appliqués aux échanges de biens entre les États-Unis et l’Union européenne sont bas – ils sont fixés en moyenne à 2,2 % à l’entrée aux États-Unis et à 3,3 % à l’entrée dans l’Union européenne –, il existe dans certains secteurs des pics tarifaires dont la révision devrait stimuler les échanges. En outre, les États-Unis ont déjà démantelé ces tarifs douaniers avec de nombreux autres partenaires à ce jour et s’apprêtent à la faire d’ici à un an ou moins avec douze autres pays dans le cadre de l’accord de partenariat transpacifique.
Je donnerai à nouveau plusieurs exemples concrets. Dans le secteur du textile, les droits de douane appliqués par les États-Unis s’échelonnent entre 8 % pour les fibres et 30 % pour les vêtements, alors que la moyenne est de 12 % à l’entrée dans l’Union européenne. Ces droits atteignent également 37,5 % pour les chaussures à l’entrée sur le marché américain ou encore 139 % sur les fromages.
Un autre sujet majeur sur lequel nous pouvons avancer est celui de l’accès aux marchés publics américains, en particulier à l’échelle subfédérale. Des clauses de contenu local mais de portée nationale, des dispositifs subfédéraux restreignent l’accès des fournisseurs européens aux marchés publics américains, dont l’ouverture est estimée à 47 % en pratique. En comparaison, l’ouverture des marchés publics de l’Union européenne à l’égard des États-Unis avoisine les 100 %. Les marchés publics intéressants pour les sociétés européennes concernent par exemple tous les contrats d’approvisionnement des collectivités publiques américaines, tels que les achats d’uniformes pour les écoliers ou les infrastructures de transport public.
Enfin, nous entendons renforcer les normes et les standards du commerce international. Cet enjeu est double. Premièrement, la reconnaissance mutuelle d’une partie des normes européennes sur le marché américain devrait permettre de supprimer des coûts inutiles pour les exportateurs et la création d’un référentiel pourra servir aussi à l’échelle mondiale ; ce serait le cas par exemple pour les véhicules électriques pour les réseaux électriques intelligents. Deuxièmement, la création d’un précédent pourra servir de base aux futurs accords commerciaux européens et américains avec d’autres pays tiers, ce qui s’avérera particulièrement intéressant en matière de normes sociales et environnementales.
Pour autant, il ne s’agit pas d’être naïf lorsqu’on aborde une négociation de cette ampleur ; il est naturellement indispensable d’en fixer les limites. Je souhaite les rappeler ici.
La première de ces limites est la préservation de notre modèle agricole. Les produits sensibles européens sont essentiellement des produits agricoles vulnérables à la concurrence du fait de notre différentiel de compétitivité. La France a ainsi demandé à la Commission européenne, conjointement avec la Pologne, de ne pas libéraliser un certain nombre de produits agricoles sensibles – ils représentent 4 % des lignes tarifaires agricoles, soit 0,6 % des importations –, dont la viande de boeuf, de porc et de volaille, le maïs doux, les produits amylacés, le bioéthanol, le rhum et les ovoproduits.
Nous avons également retenu le respect des préférences collectives. Pour prendre en compte les choix des citoyens, la France et l’Union européenne ont adopté de longue date une attitude prudente fondée sur le principe de précaution. Celui-ci a ainsi conduit par exemple à exclure la décontamination chimique des viandes – les poulets chlorés –, l’utilisation de promoteurs de croissance en élevage – les poulets aux hormones – ou le clonage à but alimentaire. La Commission a assuré qu’elle défendrait nos positions et nous y veillerons.
Enfin, certains sujets sont purement et simplement exclus de la négociation à la demande de la France et font l’objet pour le Gouvernement d’une vigilance spécifique. Leur inclusion dans le futur traité impliquerait de facto le refus de la France de ratifier le traité. Je rappellerai à présent les lignes dures défendues par le Gouvernement dans la négociation.
La première ligne dure est l’exclusion des services audiovisuels. Garantie par le mandat de négociation – c’est écrit noir sur blanc –, cette exclusion doit évidemment être préservée, dans le respect du principe de neutralité technologique.
Deuxièmement, nous défendrons la réciprocité dans l’ouverture des marchés publics : l’ouverture doit être la même aux États-Unis pour les entreprises européennes que dans l’Union européenne pour les entreprises américaines. Il y a actuellement un déséquilibre réel qu’il faut compenser.
Le troisième point est la protection des données personnelles, un sujet qui, je le rappelle, n’est pas négocié dans le cadre de l’accord. Aucune règle de l’accord, notamment dans son volet relatif au commerce électronique, ne doit affecter le niveau de protection des données personnelles dans l’Union européenne.
La santé et la protection des consommateurs constituent la quatrième ligne dure du Gouvernement. Le niveau de protection de la santé, de l’environnement et des consommateurs doit être pleinement respecté, notamment lorsqu’il est plus élevé en Europe qu’aux États-Unis ; il n’est donc pas question de niveler par le bas. À cette fin, la législation européenne ou française ne doit pas être modifiée dans des domaines comme la décontamination chimique des viandes, les OGM, l’utilisation de promoteurs de croissance en élevage ou de clonage à but alimentaire.
Le cinquième point est la reconnaissance des indications géographiques. L’utilisation abusive des appellations génériques ou semi-génériques comme le « champagne » de Californie doit être proscrite par une protection des indications géographiques. L’enjeu, qui est de nature offensive, sera également d’obtenir un haut niveau de protection pour toutes nos indications géographiques, en particulier en matière de vins et spiritueux et de produits agroalimentaires.
J’en viens enfin à un sujet particulièrement important, qui constitue un élément essentiel de la résolution qui nous est soumise aujourd’hui : le mécanisme de résolution des différends entre investisseurs et États.
La préservation du droit à réguler des États dans le cadre du débat engagé sur le dispositif d’arbitrage dans le chapitre « protection des investissements » est une priorité absolue, parfaitement identifiée et prise en compte.
À l’issue de la consultation publique ouverte par la Commission européenne et qui s’achèvera le 6 juillet – je rappelle que cette consultation s’est ouverte à la demande de la France et suspend les négociations sur ce point –, le débat sur ce sujet ne sera pas clos. Celui-ci devra être expertisé sur la base du rapport que la Commission fera à l’automne aux États membres et au Parlement européen. Les négociations sur ce volet, qui sont interrompues depuis le mois de mars dernier, ne devront reprendre, le cas échéant, qu’après cette analyse et en intégrant pleinement les conclusions qui en seront tirées.
Cette consultation n’est pas pour la France une simple formalité : c’est un outil indispensable d’aide à la décision. J’entre donc dans ce débat avec la volonté d’éclairer la représentation nationale aussi précisément que possible à l’occasion de l’examen des amendements.
Permettez-moi d’ajouter un dernier mot en conclusion. Ce traité n’est pas un accord comme les autres. Tandis que nous célébrons cette année le centenaire de la Première guerre mondiale, il est utile de rappeler le tout premier des quatorze points du président Woodrow Wilson dans son discours du 8 janvier 1918 : « Des traités de paix ouverts, auxquels on a librement abouti, après lesquels il n’y aura plus aucune espèce d’alliances internationales privées, mais une diplomatie franche et transparente. » Libre consentement des peuples, intérêt mutuel, franchise et transparence : tels sont les principes qui doivent nous guider aujourd’hui pour aborder ces négociations.
La parole est à Mme la Présidente de la commission des affaires étrangères.
Madame la présidente, madame la ministre, chers collègues, j’entends ou je lis des choses assez stupéfiantes. On prétend par exemple que la Commission européenne négocierait toute seule, sans contrôle, ou sous le seul contrôle des lobbies, et sans légitimité. Les États n’auraient ainsi pas leur mot à dire et c’en serait fini de leur souveraineté. Ce n’est pas vrai, et nous devrions tous éviter de donner prise à ce genre de fantasmes. Je veux donc ici brièvement rappeler quelques réalités.
Tout d’abord, l’ouverture des négociations voilà un an a été décidée à l’unanimité par les États membres de l’Union. Elle a été soutenue, ici même, par la résolution que nous avons adoptée sur le rapport de Seybah Dagoma.
La conduite de ces négociations a été confiée à la Commission européenne. Pour quelle raison ? Parce que les traités européens, mais aussi le bon sens l’imposent : une politique commerciale unifiée implique un négociateur unique. Mais le mandat que les États ont donné à l’unanimité à la Commission…
…encadre strictement son action et celle-ci leur rend compte régulièrement de l’avancée des négociations, conformément, là aussi, aux traités européens.
Enfin, si ces négociations débouchent sur un accord, celui-ci devra être approuvé par le Conseil européen, d’abord, par le Parlement européen, ensuite, et, enfin, par chacun des vingt-huit parlements nationaux, c’est-à-dire par nous,…
La France et l’Allemagne y tiennent. Nous, députés de la majorité, nous serons des garde-fous si l’accord final ne correspondait pas à nos attentes. Voilà donc la réalité.
Certes, il est vrai aussi que la négociation doit être plus transparente. À cet égard, nous formulons une exigence à l’égard de la Commission européenne, qui doit nous rendre compte. Nous formulons d’ailleurs la même à l’égard du Gouvernement. Madame la secrétaire d’État, vous serez auditionnée sur ce sujet le 17 juin par la commission des affaires étrangères et par la commission des affaires européennes.
J’en viens maintenant au fond. Pourquoi chercher à développer le commerce entre l’Europe et les États-Unis ? Parce que c’est notre intérêt, à nous Français, et celui des Européens. Les États-Unis constituent le plus grand marché national du monde et leur croissance, supérieure à la nôtre, offre des possibilités considérables à nos entreprises. La France a des intérêts offensifs dans de nombreux domaines concernés par la négociation – Mme la secrétaire d’État ayant été très explicite sur ce sujet, je ne les rappellerai que brièvement. Les marchés publics, ouverts à environ 80 % dans l’Union européenne, le sont seulement à hauteur de 20 % aux États-Unis. Les services financiers sont dans la même situation, de même que les produits laitiers et les fromages, auxquels les Américains appliquent encore des droits de douane très élevés.
Bien sûr, dans cette négociation, nous allons non seulement vouloir obtenir davantage, mais aussi faire respecter les lignes rouges que nous avons établies, car il n’est pas question de céder sur un certain nombre de sujets. Nous avons d’ailleurs d’ores et déjà obtenu des garanties qui me paraissent très fortes.
D’abord, dans le texte du mandat donné à la Commission, la France a exigé et obtenu l’exclusion de la négociation de l’audiovisuel – c’est l’exception culturelle –, mais aussi des marchés publics de défense.
Ensuite, le négociateur européen, Karel De Gucht, s’est exprimé publiquement sur ce que nous considérons comme des lignes rouges : « la question du boeuf aux hormones ne fait et ne fera l’objet d’aucune discussion dans le cadre des négociations ». Voici ce qu’il a également déclaré à propos des OGM : « il faudra que ce soit la législation européenne qui prévale, rien de moins ». En conséquence, je vous le dis très franchement : sauf si l’on se livre en permanence à des procès d’intention, je trouve que nous avons là un cadre de négociation qui n’autorise pas que l’on agite constamment, à trois jours des élections européennes, l’épouvantail de ce futur accord…
Si l’on avait informé les citoyens avant, on ne serait pas dans cette situation !
Rires et exclamations sur les bancs du groupe GDR.
Je ferai trois observations sur l’un des points les plus controversés, à savoir un éventuel mécanisme de règlement des différends.
Premièrement, la France et les autres États ont, là encore, imposé un mandat strict à la Commission. Il prévoit qu’une éventuelle clause de règlement des différends ne saurait mettre en cause le droit de l’Union et de ses États membres à légiférer ou réglementer en vue d’objectifs tels que l’environnement ou la santé publique. Or c’est justement là le problème que pose la jurisprudence du CIRDI, le centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements, dans le cadre de l’ALENA. Je considère, par conséquent, que cette dérive possible est exclue de l’accord que nous négocions.
Deuxièmement, les dispositifs conventionnels sont appréciés par les entreprises. Ils peuvent donc être utiles, à condition que l’on impose des clauses – ce qui est le cas – pour éviter des dérives dont nous ne voulons pas. Le Gouvernement me paraît très ferme – nous venons d’entendre les assurances données par Mme la secrétaire d’État –, tout comme le gouvernement allemand. Je n’imagine pas que la Commission européenne puisse aller, sur ce point, à l’encontre des gouvernements des deux premières puissances économiques de l’Union.
Troisièmement, si l’accord final – lequel, encore une fois, interviendra au plus tôt au début de l’année prochaine – ne nous satisfaisait pas, nous aurions trois verrous pour le bloquer : le Conseil européen, le Parlement européen et le Parlement français.
Pour conclure, oui à la vigilance, car les enjeux sont très importants, oui à la transparence, à ce jour insuffisante, mais non à la suspension des négociations, qui n’est absolument pas justifiée. Je voterai donc le texte de la résolution tel qu’il a été amendé par la commission des affaires étrangères.
Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC.
La parole est à Mme Danielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes.
Madame la présidente, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je rappelle qu’il y a presque un an, notre assemblée a débattu de deux propositions de résolution sur le mandat qui allait être donné par les États membres à la Commission européenne pour négocier le projet d’accord de libre-échange entre les États-Unis et l’Union européenne. Sans doute avions-nous été douchés par les mauvais retours d’autres traités – comme celui, déjà en place, entre le Canada et l’Union européenne.
Nous avions alors défini nos lignes rouges dans cette négociation : pas de remise en cause des préférences collectives européennes, pas de nivellement par le bas des normes sociales et environnementales, respect de l’exception culturelle européenne – vous venez de la rappeler, madame la secrétaire d’État.
Alors que le cinquième cycle de négociations vient de s’ouvrir, la proposition de résolution de nos collègues du groupe GDR a le grand mérite d’alerter sur un certain nombre de problèmes. D’autres, sur les bancs de cette assemblée – dont mes collègues écologistes –, soulèvent eux aussi régulièrement ces questions.
La négociation conduite actuellement propose un accord sans précédent d’intégration de deux économies représentant près de la moitié du PIB mondial et plus de 800 millions de citoyens. Un tel accord pourrait aussi avoir des répercussions sur la capacité à agir des États. L’opinion a donc mille fois raison de s’interroger et de s’inquiéter.
Sur la forme de la négociation, d’abord, qui est menée dans l’opacité. Même si son caractère stratégique peut expliquer une certaine confidentialité, il est inadmissible que les gouvernements et les parlementaires, au niveau national et européen, n’aient pas été dûment et régulièrement informés. La Commission européenne semble faire des efforts tardifs. Elle a ainsi publié, la semaine dernière, ses positions dans la négociation, mais nous n’avons aucune information sur le retour des négociateurs américains.
La transparence doit être pérenne et nous devons nous assurer qu’il n’y a nulle part conflit d’intérêts. Cette négociation doit laisser assez de place au processus démocratique. On ne peut laisser le champ libre aux entreprises multinationales, lesquelles ont été très largement à l’origine de ce projet.
D’ailleurs, la négociation s’est ouverte sous de mauvais auspices, avec les révélations sur l’espionnage à grande échelle par la NSA, qui a sapé la confiance entre les partenaires. La protection des données personnelles est un sujet très sensible. Et un tel accord augmentera les flux de commerce électronique entre les deux rives de l’Atlantique. Le gouvernement américain doit donc donner des explications valables et s’engager à respecter la confidentialité des données.
Par ailleurs, ce projet remet en cause les normes sanitaires, par exemple pour les produits alimentaires, mais aussi les normes environnementales, notamment pour les véhicules et le gaz de schiste. Ainsi, les Américains considèrent comme autant d’obstacles les réglementations européennes en matière d’OGM, de boeuf aux hormones, ou encore d’indications géographiques. Ils s’opposent au principe de précaution, inscrit dans les traités européens comme dans notre constitution. Dans cette négociation, l’actuelle Commission européenne ne serait-elle pas en train de transiger et d’accepter un nivellement par le bas ? Pourtant, ces normes sont légitimes, inscrites dans la législation européenne et elles reflètent les choix des Européens.
Face au forcing américain, certaines positions récentes peuvent s’interpréter comme des gages donnés aux États-Unis : malgré les lignes rouges fixées par le gouvernement français, les autorisations d’OGM par Bruxelles se sont accélérées, l’acide lactique pour la décontamination des carcasses de volaille a été autorisé et la Commission européenne montre peu d’empressement à légiférer sur les perturbateurs endocriniens.
Je finirai par un motif d’inquiétude majeur, que la présidente de la commission des affaires étrangères a souligné avant moi : la résolution de notre commission demandait explicitement que l’instrument d’arbitrage privé des différends entre États et investisseurs ne fasse pas l’objet des négociations. Or le mandat le prévoit. Il n’y a aucune justification à un tel mécanisme qui donne un avantage inouï aux entreprises par rapport aux États – l’Allemagne en fait d’ailleurs les frais. La proposition de résolution, telle qu’amendée par la commission des affaires européennes, demande explicitement que les négociations, pour le moment suspendues sur ce point, soient définitivement ajournées après les résultats de la consultation début juillet.
Il appartiendrait in fine au Parlement européen et aux parlements nationaux de se prononcer au moment d’une éventuelle ratification. C’est la raison pour laquelle il nous appartient, aujourd’hui comme toujours, d’exercer notre devoir de vigilance. C’est ce que la commission des affaires européennes a fait en créant un groupe de travail qui a, la semaine dernière, rencontré le négociateur européen.
Ce projet d’accord transatlantique – la résolution amendée en fait foi – n’a pas fait l’unanimité dans notre commission. Plusieurs groupes politiques se sont abstenus, dont les écologistes. Il semble néanmoins que nous soyons tous d’accord pour demander la transparence et le respect des lignes rouges que j’ai déjà évoquées. Aussi, il ne me semble pas du tout injustifié de reconsidérer le cours de cette négociation, en attendant la prise de fonction du nouveau Parlement européen.
Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur plusieurs bancs du groupe GDR.
Avant que la discussion générale ne s’engage, je voulais revenir sur un point extrêmement important pour le bon déroulement de nos débats. Mon rappel au règlement se fonde donc, madame la présidente, sur l’article 58, alinéa 1, de notre règlement.
On considère comme acquis que le Parlement sera saisi, à la fin du processus, pour ratifier l’accord. Le Gouvernement et la présidente de la commission des affaires étrangères nous ont dit qu’il s’agissait d’un accord mixte. Or, au moment où nous parlons, cela n’est pas assuré. Je me réfère, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, à ce que vous avez déclaré en commission. On lit ainsi, à la page 30 du rapport : « Sur la ratification, il n’y a pas de réponse catégorique. La question sera de savoir si l’accord sera ou non qualifié de mixte et elle sera examinée en dernier ressort, une fois l’accord définitif. »
De fait, s’il ne s’agit que d’un accord commercial, la ratification n’interviendra qu’au niveau de l’Union européenne. C’est d’ailleurs la thèse de la Commission européenne, qui indique, sur son site internet, qu’il n’y aura de ratification qu’au niveau du Conseil et du Parlement européens.
Monsieur Dolez, votre intervention ne portait pas tout à fait sur le déroulement de nos débats.
Sourires.
Je n’en doute pas, mon cher collègue. Cela dit, nous allons maintenant, si vous le voulez bien, entamer la discussion générale.
Madame la présidente, mesdames les présidentes de commission, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, à mesure que s’élargit le débat sur les conséquences du projet de marché transatlantique, des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent contre ces négociations entamées en catimini entre la Commission européenne et les États-Unis.
Les économistes, la société civile et les syndicats contestent un traité de libre-échange au service des multinationales et dénoncent un déni de démocratie. Partageant les mêmes inquiétudes, les députés du Front de gauche demandent solennellement au Gouvernement de suspendre ces négociations.
Sur la forme, il s’agit d’un impératif démocratique, tant ce projet a échappé au peuple français et à ses représentants. Le Gouvernement français a abandonné ses prérogatives à la Commission européenne en juin dernier sans que le Parlement soit saisi de ce mandat.
Sur le fond, ce grand marché transatlantique est une erreur historique pour la France et pour l’Europe. Comment accepterions-nous aujourd’hui ce traité, alors que nous avons refusé, hier, un traité similaire, à savoir l’Accord multilatéral sur l’investissement, l’AMI, sous le gouvernement de gauche de Lionel Jospin ?
Je sais qu’un grand nombre de députés sont extrêmement réticents à engager notre pays dans cet engrenage infernal. Si ces négociations à marche forcée allaient à leur terme, les dirigeants européens seraient responsables d’une triple régression économique, diplomatique et démocratique.
Une régression économique, car nous ferions un pas en avant dans l’impasse libérale. Incapable d’impulser sa propre relance, l’Europe s’en remet désormais à un hypothétique effet d’entraînement de l’économie américaine. Enfermée dans les politiques d’austérité contre-productives, l’Europe fait le terrible aveu de l’échec du modèle économique qu’elle a pourtant promu.
Après plusieurs décennies de dérégulation, le modèle libre-échangiste est à bout de souffle. Les récents traités bilatéraux ont démontré leur inefficience : leurs gains sont largement compensés par les destructions d’emplois et les délocalisations. L’ALENA, par exemple, devait créer 20 millions d’emplois aux États-Unis selon ses promoteurs ; en réalité, il en a détruit 1 million.
Ce qui est proposé avec le marché transatlantique, c’est de poursuivre la course folle à la baisse des salaires et à la baisse des prix qui plonge l’ensemble des économies développées dans la récession et le chômage de masse.
Les grands gagnants de ce traité, ce ne seront pas les paysans ou les salariés français, soumis toujours davantage au dumping social, les grands gagnants, comme en a convenu le président des États-Unis, ce seront les multinationales. Elles continueront à se soustraire à l’impôt dans les paradis fiscaux. Les États européens, privés de ces recettes et de la consommation des ménages, verront leurs dettes se creuser encore. Nous ne voulons pas de cette mondialisation sauvage.
Le marché transatlantique marquerait une terrible régression diplomatique, avec un effacement de l’Europe. Chacun se rappelle le beau rêve de Victor Hugo, celui d’une union des peuples européens. Mais avec le marché transatlantique, ce ne sont plus les « États-Unis d’Europe », ce sont « les États-Unis en Europe » !
Créer un tel espace économique transatlantique signifie la dilution définitive de l’Union européenne. Le passage d’une union à douze vers une vaste zone de libre-échange à vingt-huit États était un premier renoncement à l’ambition d’une Europe politique. Abandonner la préférence communautaire et accepter l’ingérence états-unienne dans la conduite du continent porterait un coup fatal.
Avec ce marché transatlantique, nous lierons notre destin à celui des États-Unis, en faisant fi de l’indépendance européenne. L’hyperpuissance américaine est avant tout soucieuse d’engager le rapport de forces de l’autre côté du Pacifique, avec l’Inde et la Chine. Est-ce notre intérêt de prêter main-forte à l’offensive des États-Unis contre les pays émergents ?
Enfin, ce Traité rime avec régression démocratique, tant il bafoue la souveraineté des peuples. Au sein de ce marché régi par la loi du plus fort, le rôle des États s’effacera face aux intérêts privés. Les multinationales contesteront les lois que les peuples, via leurs représentants, se sont données librement.
Ce ne sont pas des fantasmes, mais les revendications des négociateurs américains, conseillés par les lobbies agroalimentaires et pharmaceutiques. Ces négociateurs veulent introduire en Europe les OGM, de nouveaux pesticides, le poulet et le boeuf aux hormones, en contestant le principe de précaution. À juste titre, la création d’un tribunal d’arbitrage contre les États suscite un grand émoi. Les multinationales pourront invoquer devant ce tribunal un préjudice financier, dès lors qu’un État adoptera une législation contraire à ses intérêts. Les États seront alors contraints de payer des amendes de plusieurs millions d’euros. C’est ainsi que le Canada se voit réclamer 250 millions d’euros par une société pétrolière pour avoir interdit les gaz de schiste.
Il est faux de dire que la France et ses représentants conserveront leur libre arbitre à la fin des négociations. La politique commerciale étant compétence exclusive de l’Union, rien n’oblige à ce que ce Traité soit ratifié par notre Parlement. Le Parlement européen n’aura pas même le droit d’amender cet accord !
Le gouvernement français a donné un blanc-seing à la Commission européenne. La théorie des « lignes rouges » ne tient pas puisque la Commission européenne a d’ores et déjà outrepassé son mandat. Une poignée de hauts fonctionnaires, irresponsables devant les peuples mais perméables aux pressions des lobbies et capitalistes, sont en charge de nos intérêts à la place des instances élues. Cela pose un problème démocratique majeur.
L’Europe se targue d’être un étendard de la démocratie, un modèle exportable au monde entier. Mais le bel idéal européen des pères fondateurs a vécu. L’espace européen de paix et de progrès se trouve plus que jamais dans l’impasse. Depuis vingt ans, l’Union européenne est un outil qui éloigne les peuples de la démocratie. L’Europe de la BCE, de la Troïka, de la Commission de Bruxelles s’est mise au service des puissances de l’argent, des multinationales, des banques que 1’on a remises à flot à hauteur de 1 000 milliards d’euros au coeur de la crise.
Avec la bénédiction de la social-démocratie et de la droite, les technocrates ont pris le pouvoir. Comme l’a dénoncé le philosophe Jürgen Habermas, nous sommes entrés dans une Europe « post-démocratique », qui permet « de transférer les impératifs des marchés financiers aux budgets nationaux sans aucune légitimation démocratique propre ».
Car quel est l’objectif des marchés au final ? Écarter les peuples, bafouer la souveraineté des États, supprimer les consultations et les échelons démocratiques. C’est d’ailleurs la voie suivie depuis le référendum de 2005 et le refus cinglant de l’Europe libérale. Ce vote des Français n’a pas été respecté. Pire, le Traité de Lisbonne, copie conforme du traité rejeté dans les urnes, a été imposé par le Président Sarkozy lors du Congrès de Versailles, grâce – il faut bien le dire – à l’abstention des parlementaires socialistes. « Si le peuple ne vous convient pas, changez le peuple », ironisait Bertold Brecht.
Bis repetita lors du Pacte de stabilité : le candidat François Hollande s’est fait élire sur l’engagement de renégocier le traité Sarkozy-Merkel ; il n’en a rien été. Puis notre Constitution a été contournée pour éviter de consulter les Français par référendum sur ce traité funeste, qui portait en germe la cure d’austérité imposée aujourd’hui à notre pays.
Comment s’étonner aujourd’hui du divorce entre les citoyens et l’Union européenne, alors que les dirigeants ont constamment bafoué leurs votes ? Qui fait monter le populisme en France et en Europe, si ce n’est une élite politique et économique qui méprise les aspirations populaires ? Qui fait le jeu du repli nationaliste et des pires réflexes identitaires ?
Aujourd’hui, à quelques jours des élections européennes, les euroravis font mine de déplorer l’abstention massive annoncée. Mais ils se satisfont parfaitement que les citoyens se détournent des sujets qui les concernent. J’en veux pour preuve le malaise qu’a suscité notre résolution.
Il nous a été reproché de proposer cette initiative à trois jours de l’élection européenne. Ce reproche est ahurissant ! Les Français sont précisément amenés à élire dimanche des députés européens qui se prononceront pour ou contre le marché transatlantique ! Ce débat est essentiel.
À vous écouter, ce n’est jamais le bon moment et les citoyens ne seraient jamais assez aptes à comprendre ces sujets que l’on prétend, à dessein, complexes.
En mai 2013, le groupe socialiste avait déposé une résolution pour encadrer le mandat de négociation, alors que ce mandat en forme de blanc-seing avait déjà été accordé par le Gouvernement, par le truchement de Nicole Bricq.
Cette résolution avait été retirée en dernière minute de l’ordre du jour de la séance. Ce n’était sans doute déjà pas le bon moment ! Aujourd’hui, plutôt que de voter contre notre résolution demandant la suspension des négociations transatlantiques, la majorité a préféré torpiller ce texte.
Avec les voix de l’UMP, vous avez supprimé l’essentiel, c’est-à-dire précisément l’exigence de suspendre les négociations. Plutôt que d’assumer son soutien au marché transatlantique, la majorité agite un écran de fumée avec de prétendus garde-fous inopérants. Les députés du Front de gauche défendent cette demande de suspension. L’Europe mérite mieux qu’un débat escamoté !
Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de résolution européenne que nous examinons aujourd’hui a plusieurs mérites. Tout d’abord, elle permet de remettre à nouveau, après les débats de mai 2013 au sein des commissions des affaires étrangères et des affaires européennes, une discussion qui peut apparaître faussée. C’est particulièrement vrai dans le champ médiatique, où les eurosceptiques de tous ordres trouvent dans ce thème des sources intarissables de caricature, surfant ainsi sur les peurs et les angoisses que peuvent éprouver nos concitoyens en ces temps de crise. Oui, ce débat mérite mieux que les postures confortables.
L’autre mérite de la résolution est de déterminer et de clarifier in fine nos positions. Manifestement, nous avons des points d’accord : transparence, contrôle démocratique, préservation de l’exception culturelle, exclusion des préférences collectives, exclusion du recours à un mécanisme de règlement des différends, positions que nous avons affirmées avec force, dès mai 2013.
Nos divergences sont des divergences d’appréciation concernant les moyens. Comment parvenir à remplir nos objectifs de croissance, d’emploi et de protection de notre modèle social ? Vous envisagez la France comme une forteresse assiégée et espérez susciter un repli salvateur. Pour notre part, nous croyons qu’à l’ère des États continents, c’est l’union des États et des citoyens européens qui fait la force.
Finalement, j’espère que ce débat permettra de chasser toutes les fausses vérités, les erreurs juridiques manifestes ou les arguments fallacieux. De toute évidence, la question du partenariat de commerce et d’investissement entre l’Union européenne et les États-Unis mérite mieux que de servir de chiffon rouge, un chiffon rouge que l’on agite le temps d’une campagne électorale dont on ne s’est pas soucié avant et que l’on oublierait dès le lendemain.
Ce partenariat soulève des questions majeures et nécessite une vigilance de chaque instant. Il représente, tout d’abord, un enjeu de croissance pour l’Europe. Les négociations permettent d’examiner de part et d’autre de l’Atlantique l’impact que pourrait avoir la création d’un partenariat, et notamment sa capacité à engendrer un surplus de croissance et d’emploi. Examiner cela, ce n’est pas renoncer au volontarisme économique, c’est même exactement le contraire car le débat sur la protection de nos intérêts dans tous les champs économiques – nous le voyons en ce moment même sur le dossier Alstom – dépasse très nettement la question de l’ouverture des marchés et pose celle de l’habileté et de la vision des pouvoirs publics.
Négocier pour que nos pommes, nos oeufs, notre charcuterie puissent être autorisés aux États-Unis n’est pas une lubie de notre part, notamment pour nos PME. Négocier pour que les droits de douane, qui s’élèvent à 30 % pour nos viandes ou encore à 139 % pour nos produits laitiers, baissent n’est pas une coquetterie de notre part. Je pourrais ainsi multiplier les exemples dans de nombreux secteurs tels que la chimie, les industries ferroviaires ou encore le textile.
Le partenariat de commerce et d’investissement entre l’Union européenne et les États-Unis représente aussi un enjeu de régulation du commerce mondial. Si les négociateurs s’entendaient pour parvenir à des normes ambitieuses, ces dernières pourraient alors s’appliquer aux pays comme la Chine, l’Inde, la Russie ou le Brésil. Soyons offensifs : ne manquons pas, en déclarant tout de suite forfait, cette opportunité de façonner notre avenir ! Ne faisons pas semblant de ne pas voir que les États-Unis se trouvent dans une hésitation stratégique qui façonnera le XXIe siècle. L’équilibre géopolitique et économique menace de se déplacer de l’Atlantique vers le Pacifique. Dans ce cadre, l’Europe doit définir sa stratégie.
Alors, être ouvert à la discussion ne signifie pas que nous devons l’aborder avec ingénuité, avec naïveté ou, pire encore, avec une légèreté qui serait synonyme d’irresponsabilité. Une telle négociation exige au contraire de maîtriser de manière aiguë la palette de nos intérêts, celle de l’autre partie et l’ampleur des contradictions que leur confrontation est susceptible de générer.
C’est conscient de cet enjeu que le groupe SRC a abordé avec sérieux et détermination les travaux qui ont conduit, en mai 2013, à soumettre une résolution qui affirmait des positions très claires sur le mandat de négociation. Cette résolution, que j’ai eu l’honneur de rapporter, demeure d’actualité ; je vous invite à vous la procurer. Sur le fond, elle fixait quatre lignes rouges très précises, sur lesquelles nous avons obtenu gain de cause.
Enfin, je crois impératif de rappeler que, dans cette affaire, le peuple reste souverain. Dire le contraire est faux. On ne peut pas décemment dire que la Commission décidera sans les peuples. Vous le savez comme moi, tout projet d’accord devra être approuvé à plusieurs niveaux : accord par le Conseil des 28 ministres de l’Union ; ratification par le Parlement européen, ce même Parlement qui sera renouvelé dimanche ; ratification par l’ensemble des parlements nationaux s’il s’agit d’un accord mixte. Dans ce cas, nous garderons un droit de veto si l’accord ne nous convient pas.
À ce propos, madame la ministre, j’entends réitérer la demande formulée lors de la séance des questions d’actualité du mardi 20 mai. La qualité du débat sur ces questions complexes pourrait se trouver très nettement améliorée par une transparence accrue : la connaissance de l’ordre du jour et des conclusions des débats au fur et à mesure de la négociation serait de nature à lever bien des fantasmes.
Mes chers collègues, le projet d’accord, dont la conclusion est encore loin d’être en vue, ne nous forcera jamais – je dis bien jamais – à devenir ce que nous ne voulons pas être. Gardons à l’esprit que négocier ne veut dire ni subir ni conclure.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je ne suis ni un eurobéat ni un eurosceptique, mais un pragmatique. À ce titre, je voudrais alerter l’Assemblée et l’opinion sur ce projet de traité transatlantique, qui menace l’agriculture et l’agroalimentaire de notre pays.
Ce traité, négocié dans le plus grand secret par la seule Commission, risque d’avoir des conséquences considérables. Pourquoi est-il dangereux pour notre agriculture ? On sent une Amérique déterminée sur ces questions agricoles, tandis que l’Europe, qui, depuis longtemps, a d’autres enjeux et ne fait plus de l’agriculture sa priorité, ne l’est pas.
Il est à craindre que l’agriculture ne soit qu’un élément secondaire, voire un objet de troc pour la Commission européenne. Il y a là un vrai sujet, qui nous renvoie à des arbitrages intra-européens. À travers ce traité, au regard de l’état actuel des négociations, nous cédons dans des secteurs essentiels, notamment dans l’agriculture et l’agroalimentaire pour obtenir – tout au moins l’espérer – des avantages dans d’autres filières que Bruxelles juge prioritaires.
Ce traité libéralisera les échanges agricoles, alors que les États-Unis et l’Europe ne jouent clairement pas dans la même catégorie. En premier lieu, l’agriculture américaine dispose de conditions naturelles totalement différentes, notamment de grands espaces.
En second lieu, l’Europe est en plein repli agricole : la Commission n’a de cesse que d’organiser le déclin de la PAC et les restitutions, qui nous permettaient il y a encore quelques mois d’exporter à l’extérieur de l’Europe et que le Gouvernement n’a su défendre, prendront bientôt fin. Les Américains, au contraire, avec le Farm Bill, ont fait de l’agriculture une arme économique ; ils ont compris que l’alimentaire était un sujet géopolitique.
Il m’a été donné de visiter le ministère de l’agriculture à Washington. Sur le bâtiment – autrement plus grand que celui de la rue de Varennes – un immense calicot proclamait : We are the power !
Sourires
Nous « sommes » le pouvoir : c’est dire que, pour eux, le sujet agricole n’est pas annexe, mais central !
Prenons quelques exemples. Aux États-Unis, l’essentiel des bovins sont élevés dans des feedlots, c’est-à-dire des parcs d’engraissement qui comptent en moyenne 8 000 bovins mais dont certains peuvent atteindre 100 000 bovins. Chez nous, on dénonce la « ferme des 1 000 vaches », mais la ferme des 1 000 vaches, dans l’Arkansas, au Nebraska, c’est une petite PME ! Je vous le dis pour que nous ayons une idée des échelles.
Ces parcs d’engraissement sont souvent liés à de grands groupes industriels, comme des abattoirs ou des usines d’éthanol qui écoulent ainsi leurs sous-produits. Ils se caractérisent par des espaces artificiels de production où le respect de l’animal est, pour le moins, limité.
Notre filière bovine repose sur des fondamentaux totalement différents, des fondamentaux familiaux, avec des exploitations comportant 50, 200 ou 300 bovins. Voilà les normes qui prévalent chez nous. Le danger est véritable.
Nos éleveurs sont également soumis à une réglementation sanitaire fort légitime mais autrement plus contraignante que la réglementation européenne.
Nous avons mis en place des règles de traçabilité pour répondre aux souhaits des consommateurs mais elles se traduisent par un coût supplémentaire de nos produits de 6 à 7 % alors qu’il n’y a pas de traçabilité aux États-Unis.
Nos agriculteurs supportent des obligations très exigeantes liées au bien-être animal pendant leur transport mais elles sont pratiquement inexistantes aux États-Unis.
Surtout, qu’on le veuille ou non, nous devons respecter des normes environnementales très contraignantes. Elles nous sont imposées par l’Europe, mais bien souvent, nous rajoutons une couche nationale, ce qui nous pénalise toujours davantage dans nos échanges internationaux.
Il faudra bien finir par choisir : soit l’on définit des contraintes, en nous protégeant, soit ces contraintes ne sont pas pertinentes dans une conception ouverte des échanges internationaux. Il y a là de véritables difficultés.
Bien sûr, l’on nous dira de ne pas nous inquiéter, que tout sera fait pour ne pas importer de boeuf aux hormones, mais ce ne sera qu’une illusion car les Américains, même sans les hormones, sont capables d’être autrement plus compétitifs que nous ! Aujourd’hui, la différence de coût de revient du kilo de viande oscille de 1 à 2 entre l’Europe et les États-Unis. Des filières entières vont disparaître ! Je ne dis même pas qu’elles vont décliner, non, elles vont disparaître ! Voyez ce qu’il est advenu de la filière allaitante, chez vous, monsieur le président Chassaigne, dans tout le grand Massif central. Vous exportez vers l’Italie mais l’Italie disparaîtra parce qu’elle ne sera plus en mesure d’être compétitive.
Elle n’importera plus les jeunes bovins qui viennent de France et c’est la filière entière qui sera en danger. Nous devons alerter sur ces questions et j’espère que nous saurons nous reprendre pour éviter que ne disparaissent encore des entreprises, des filières entières. Permettez-moi d’évoquer ici les noms de Doux, Tilly-Sabco, déjà terriblement menacées, et qui le seront encore davantage, si tant est qu’il reste encore quelque chose d’elles.
Il nous restera des niches, il nous restera l’économie circulaire, il nous restera l’économie de proximité, mais nous aurons quitté l’histoire, nous aurons quitté l’économie, nous aurons quitté les réalités du monde pour les laisser aux seuls Américains du Nord et du Sud – n’oublions pas en effet le MERCOSUR.
Mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui, à l’initiative du groupe GDR, une proposition de résolution sur ce fameux mandat de négociation de libre-échange entre les États-Unis et l’Union européenne. Depuis quelques semaines, ce projet d’accord fait couler beaucoup d’encre et provoque, à l’échelon national comme européen et international, de vives réactions.
L’intérêt qu’il suscite est légitime. Un tel accord, s’il aboutit, pourrait avoir des conséquences économiques considérables. Il aurait des répercussions sur des pans entiers de l’activité économique, comme l’a très bien expliqué Marc Le Fur au sujet de l’agriculture. Nous devons entendre son message.
Le groupe UDI est bien conscient des enjeux que peut représenter la signature d’un tel accord, non seulement pour l’Europe mais également pour la France.
La Commission européenne, dans une étude de 2013, nous indique que cet accord pourrait être le précurseur d’une grande convergence réglementaire internationale et serait porteur d’une croissance supplémentaire de 1 % du PIB européen.
Toujours selon la Commission, les retombées économiques pourraient se chiffrer à 120 milliards d’euros d’activité économique supplémentaire et créer 400 000 nouveaux emplois.
L’on nous dit que, s’il est bien négocié, cet accord pourrait constituer une étape majeure des relations commerciales entre l’Union européenne et les États-Unis, un pas décisif vers le renforcement de leur coopération.
Néanmoins, nous devons faire preuve de prudence et nous aurions même des raisons d’être inquiets, madame la secrétaire d’État, surtout quand je pense à la manière dont vous avez répondu à la représentation nationale il y a quelques jours. Il y avait un certain flou sur votre détermination à défendre les quatre lignes rouges, sur lesquelles s’entendent la plupart des groupes dans cet hémicycle.
Nous devons être vigilants et ne pas ignorer la teneur de ce mandat qui, vous en conviendrez, est encore assez opaque.
L’issue de ce projet dépendra étroitement des négociations qui ont débuté en juin 2013. C’est pourquoi la France et l’Union européenne doivent faire entendre leur voix pour défendre leurs intérêts.
Dans le cadre de ces négociations, nous devons être intransigeants sur plusieurs points, à commencer par celui de l’arbitrage privé des litiges entre les États et entreprises. La réponse que vous avez apportée avant-hier m’a semblé assez floue, madame la secrétaire d’État.
Selon le projet de directives de négociation, l’accord devrait viser à inclure un mécanisme « efficace et moderne » de règlement des différends entre les investisseurs et l’État reposant sur des structures d’arbitrage. Nos amis américains souhaitent qu’aux termes de l’accord, une entreprise étrangère ait le droit de former un recours direct contre l’État sur le territoire duquel elle a investi, pour manquement à ses obligations. Cette approche est tout à fait contraire à notre vision de la souveraineté des États – du moins je le crois et je l’espère.
De ce fait, nous regrettons que la proposition de résolution, adoptée en commission, ne demande plus l’exclusion du mandat du recours à ce mécanisme de règlement des différends mais se contente de se féliciter de la suspension provisoire de la négociation sur ce point. La réponse de la France se doit d’être beaucoup plus ferme, madame la secrétaire d’État.
Merci, cher collègue, même si cela m’inquiète toujours un peu d’être d’accord avec vous.
Sourires
J’en viens maintenant à notre deuxième point, également mentionné dans la proposition de résolution : cet accord de libre-échange ne doit pas remettre en cause la protection sanitaire et environnementale européenne.
Depuis plusieurs décennies, Marc Le Fur l’a très bien dit, l’Europe refuse d’importer des produits américains à base d’animaux traités aux hormones de croissance. Elle impose en outre un régime d’autorisation préalable aux produits américains issus d’OGM.
La France a par ailleurs veillé à préserver, en Europe, la vigilance sur les OGM, la décontamination chimique des viandes et l’interdiction des semences génétiquement modifiées. Il est en outre crucial que l’Europe maintienne l’interdiction des antibiotiques non thérapeutiques dans l’alimentation animale, y compris à l’import. À l’heure où 60 à 70 % des aliments industriels américains contiennent des dérivés d’OGM, cet accord ne doit pas remettre en cause les barrières sanitaires et environnementales européennes.
Ces barrières sont une force en ce qu’elles offrent aux Européens la garantie que l’Union n’importera pas de produits dangereux pour l’environnement et pour la santé.
Autre point, autre sujet à polémique : la protection des données personnelles et économiques. Nous approuvons la demande des auteurs de la proposition de résolution que soit expressément indiquée dans le mandat de négociation la recherche du plus haut niveau de garantie quant à la protection des données personnelles. Les citoyens doivent avoir la garantie de bénéficier d’une protection de leurs données personnelles, si elles sont requises par les autorités américaines, qui soit conforme à la Charte européenne des droits fondamentaux.
L’accord doit à ce titre prévoir la renégociation du Safe Harbor, qui permet aujourd’hui à une entreprise américaine d’obtenir l’autorisation de transférer des données personnelles de l’Europe vers les États-Unis.
Autre exigence indispensable : l’accord de libre-échange ne doit pas se traduire par une remise en cause du système européen des « appellations d’origine ».
Privilégiant la notion de marque, les États-Unis ignorent dans une large mesure le concept d’appellation d’origine, pourtant essentiel aux Européens dans la lutte contre la contrefaçon. Nous ne pouvons cautionner la position américaine qui préconise un registre non contraignant uniquement pour les vins et les spiritueux.
De surcroît, les États-Unis doivent s’engager sur deux points : la signature de l’accord devra s’accompagner d’une régulation de la finance et doit signifier la fin du dumping monétaire américain. On ne peut concevoir que les États-Unis continuent de bénéficier, avec la suppression de la convertibilité or du dollar, d’un avantage déloyal dans la concurrence économique.
Enfin, dernier point de désaccord, sur lequel je reconnais que le Gouvernement nous a quelque peu rassurés : l’exception culturelle. Nous nous opposons formellement à la signature d’un accord qui ne protégerait pas les services numériques naissants du secteur audiovisuel européen des géants américains. De surcroît, la seule préservation de l’exception culturelle ne doit pas conduire la France à sacrifier ses autres intérêts dans la négociation.
Mes chers collègues, le groupe UDI considère qu’un tel accord, s’il devait être signé, devrait être ratifié par le Parlement, mais également répondre à ces exigences. L’Union européenne et les États-Unis doivent impérativement trouver des compromis, au risque de voir la France et l’Europe désavantagés par un tel accord.
Sur le fond du texte que soumet à notre examen le groupe GDR, admettons-le, la proposition de résolution initiale a été considérablement vidée de sa substance.
Elle contient néanmoins encore des dispositions essentielles que nous approuvons : - l’appel à la vigilance de la Commission européenne, l’invitation au Gouvernement à défendre les quatre lignes rouges indiquées préalablement et l’exigence d’une plus grande transparence des négociations.
Pour ces raisons, le groupe UDI soutiendra cette proposition de résolution.
Chers collègues, le groupe écologiste salue l’initiative de notre collègue André Chassaigne qui saisit l’opportunité de la niche parlementaire du groupe GDR pour nous proposer une résolution sur le projet de traité de libre-échange entre l’Europe et les États-Unis. Ce débat est nécessaire et salutaire.
Les députés européens écologistes ont été parmi les premiers à prendre clairement position contre ce traité, en dénonçant l’opacité d’un processus de négociation engagé depuis juin 2013 et qui doit aboutir en janvier 2015, sans que d’aucune manière, ni les parlements ni la société civile n’aient été informés ni associés.
L’adoption de ce traité pourrait pourtant avoir des conséquences incalculables sur les normes environnementales et sanitaires, la protection des données privées, la propriété intellectuelle, ou l’avenir de nos services publics en imposant un nivellement par le bas et en revenant sur les acquis européens.
La perspective supplémentaire d’un mécanisme de règlement des contentieux entre entreprises internationales et États via une sorte de tribunal arbitral composé de représentants du monde économique constitue une atteinte grave à la souveraineté des États. Tirons les leçons des traités ALENA et MERCOSUR : dans ce cadre, des multinationales attaquent des États en justice, considérant que leurs bénéfices sont érodés par des législations trop protectrices pour les consommateurs. Un tel mécanisme est inacceptable.
Nous pensions avoir relégué aux oubliettes les tentatives les plus cyniques, qui déjà en 1997 nous avaient mobilisés contre l’accord multilatéral sur l’investissement – AMI. Là aussi, les législateurs et les citoyens avaient été tenus dans l’ignorance des tractations. La mobilisation avait été forte, et il avait fallu toute la volonté politique du gouvernement Jospin pour clore le sujet. C’était en 1997.
Nous devons aujourd’hui suspendre les négociations en cours et repartir sur de nouvelles bases. C’est le Parlement européen issu des élections de mai 2014 qui aura à se prononcer sur le mandat de négociation de l’accord. Il aura à décider de la poursuite ou non des négociations.
À quelques jours d’un vote crucial, nous nous étonnons que l’opposition et la majorité gouvernementale aient pu de concert travailler en commission à amoindrir et édulcorer le sens et la portée de cette résolution.
« Très bien ! » sur les bancs du groupe GDR.
C’est pourquoi nous défendrons des amendements afin que cette résolution réponde aux objectifs suivants : dénoncer fermement le manque de transparence des négociations en cours et les dangers d’un traité d’inspiration ultralibérale ; refuser clairement toute remise en cause des acquis et des préférences européennes en matière de santé, d’environnement, de droits humains, de protection de la vie privée ; refuser absolument tout mécanisme de règlement des différends entre États et investisseurs qui placerait la liberté du commerce au-dessus du droit commun ; exiger clairement la suspension de négociations si mal engagées ;…
…redonner le contrôle du processus aux parlements nationaux et au Parlement européen qui sera issu des urnes dès dimanche prochain ; et enfin exiger la transparence concernant la négociation et les personnes qui en seront chargées.
Nous verrons au fil du débat le sort qui sera réservé à ces amendements et la manière dont tourne la discussion. En tout état de cause, il est clair que le groupe écologiste ne soutiendra en aucun cas une résolution édulcorée et dénaturée dont la portée donnerait quitus au renoncement et livrerait les citoyens à la dérégulation et à la loi des lobbies. En l’état, ce traité porte en effet les germes d’un grand désordre sur lequel – comme en témoigne la campagne électorale en cours – prospère l’euroscepticisme, le populisme et le déni démocratique.
Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste et GDR.
Mes collègues du groupe RRDP et moi-même nous félicitons de ce que la séance publique permette aujourd’hui de débattre de la proposition que le groupe GDR a eu la bonne idée de nous soumettre, même si nous sommes à trois jours des élections européennes.
En effet, le traité transatlantique et la question du mandat de la Commission européenne semblaient marqués du sceau du secret…
…et les négociations, comme cela a été dit, se sont déroulées dans l’opacité la plus totale. En tant qu’élu, je revendique le droit à la plus complète et à la plus transparente information sur les sujets qui engagent l’avenir de notre pays et celui de nos concitoyens.
Ainsi, madame la ministre, je me réjouis de la proposition que vous nous avez faite de réunir le comité stratégique de suivi le 16 juin prochain, et de venir débattre le lendemain avec la commission des affaires étrangères. Je suis de ceux qui pensent que tout débat de fond sur un choix de société devrait nécessairement aller plus loin et emprunter la voie référendaire. Pourquoi devrions-nous avoir peur du peuple ?
C’est lui qui nous élit ; c’est à lui que nous devons rendre des comptes puisque nous avons le devoir de légiférer dans son intérêt.
Vous nous avez dit, madame la ministre, que notre économie pourrait avoir des choses à gagner dans les négociations. Vous avez énuméré des données qui nous interpellent, concernant par exemple le fait que les marchés publics américains sont aujourd’hui fermés à 50 % aux entreprises européennes alors que nos marchés publics européens sont, eux, ouverts quasiment à 100 %. Vous avez aussi énuméré une liste de biens qui faisaient l’objet d’une inégalité de traitement en ce qui concerne les droits de douane. Comme vous, je pense que l’harmonisation des échanges conformément aux principes d’équité et de réciprocité nous serait profitable.
Cependant, comme le disait mon collègue Paul Giacobbi en commission, l’expérience prouve que dans nos échanges commerciaux, les États-Unis ont systématiquement fait preuve d’un manque de loyauté et d’un protectionnisme forcené. Ils sont de la plus grande exigence pour ce qui concerne l’ouverture des frontières de leurs partenaires, mais ne ménagent aucun effort pour maintenir les leurs hermétiques à nos exportations. Ce n’est pas faire preuve d’antiaméricanisme que de dire cela : Château-Thierry, la ville dont je suis le maire, a été deux fois libérée par les Américains et possède une Maison de l’amitié franco-américaine ; dimanche prochain, nous célébrerons le Memorial Day. Je ne fais que décrire la réalité de nos relations commerciales : elles sont déséquilibrées et asymétriques au profit de leurs acteurs économiques.
Je ne comprends pas davantage pourquoi nous abandonnons dans ce traité l’idée de préférence communautaire alors qu’elle a son pendant aux États-Unis. Cette question doit être posée dans le débat politique que nous devons mener.
Aujourd’hui, on nous fait de grandes promesses. La Commission européenne nous annonce des chiffres qui donnent le vertige : pour l’Union européenne, les retombées en termes de marchés seraient comprises entre 68 et 120 milliards d’euros, soit une moyenne de 545 euros par an et par foyer. Les échanges augmenteraient de 500 milliards d’euros pour les marchandises et de 280 milliards pour les services, tandis que les investissements bondiraient de plusieurs billions. On se garde toutefois bien d’évoquer le nombre de créations d’emplois, parce qu’on sait bien qu’il n’y en aura pas – ou très peu. À l’examen, ces chiffres n’ont aucun fondement – j’ai cherché si de véritables études existaient en la matière – et ne sont que le fruit de spéculations.
Nous devons regarder la réalité en face. Bien sûr, le « libre-échange » a contribué à l’accroissement des richesses produites dans le monde, mais aussi à celui des inégalités. Aussi, à la lecture des textes, ces accords de libre-échange s’apparentent tout autant à des accords de dérégulation, de libre dumping et, comme il a déjà été rappelé, de suppression des protections collectives. Qui pourrait les accepter en l’état, alors qu’ils visent en fait à abaisser ou à faire disparaître les normes environnementales, écologiques, alimentaires, sanitaires et sociales ? Qui pourrait imaginer que l’Union européenne en imposera à un pays qui n’a signé ni le protocole de Kyoto contre le réchauffement climatique, ni la convention de l’UNESCO sur la diversité culturelle, ni la Convention des Nations unies sur la diversité biologique ni, enfin, les conventions de l’Organisation internationale du travail ? Qui pourrait prétendre que l’Union européenne et les États-Unis seront sur un pied d’égalité quand, dans un grand nombre de domaines comme celui des marchés publics, les accords n’engageraient que l’État fédéral et non les cinquante États américains ?
Personne ne pourrait souscrire à un projet qui ne lèverait pas toutes ces ambiguïtés et qui ne mettrait pas tout à plat pour établir les bases nécessaires à un accord bénéfique, parce que juste.
D’autres orateurs ont évoqué l’agriculture. Je suis élu d’un territoire rural, le sud de l’Aisne, où l’agriculture et la viticulture représentent un atout économique essentiel. L’agroéconomiste Jacques Berthelot a étudié les incidences qu’auraient ces mesures de libre-échange sur notre agriculture : des pans entiers de nos cultures et de nos élevages disparaîtraient, sans compter un phénomène de concentration de grande ampleur des exploitations. La concurrence déloyale irait en s’accélérant car les États-Unis mettraient à mal nos AOC telles que le Champagne et d’autres. Voilà ce que dénonçaient les viticulteurs lors de leur dernière assemblée générale à Château-Thierry. Qu’en irait-il de notre viticulture et de notre agriculture s’il était décidé de libéraliser le commerce et les investissements dans de telles conditions ? Et puis, qu’adviendra-t-il des combats que nous avons menés ici même sur les OGM ou encore les gaz de schiste ?
Il faut certes continuer de débattre et de négocier, et je sais très bien qu’à plusieurs niveaux, nous pourrions parfaitement rejeter ce traité s’il ne nous convenait pas – j’espère d’ailleurs que, le cas échéant, il en irait ainsi au Parlement français. À cette heure, toutefois, je ne suis personnellement pas convaincu de la pertinence d’un tel projet au vu de ses fondements théoriques. Si tous les pays du monde adoptaient les mêmes principes économiques, je crains qu’il n’en résulterait que du dumping social, fiscal et environnemental. Nous avons déjà payé !
Je sais bien, et l’on ne cesse de nous le répéter, que l’économie gouverne le monde et que les lois de la rentabilité et du marché constituent une vérité absolue. Portons néanmoins un regard objectif sur les évolutions que le monde a connues depuis un demi-siècle avec l’accélération du libre-échange et de la mondialisation. Il ne s’agit pas de nier l’évolution constante du PIB mondial ou l’augmentation du pouvoir d’achat moyen, et ce malgré l’accroissement de la population mondiale. Nous étions trois milliards il y a cinquante ans ; nous sommes sept milliards aujourd’hui. Or, force est de constater que la faim touche toujours près d’un milliard de personnes. Reconnaissons aussi que les riches sont de plus en plus riches, tandis que les pauvres sont de plus en plus pauvres et de plus en plus nombreux.
C’est le cas aux États-Unis comme en France, où il y a de plus en plus de milliardaires.
Alors au-delà de cette réflexion, peut-être un peu simpliste, et du débat autour de ce traité, la question qui nous est posée – et que je me pose à titre personnel – est de savoir si nous devons accélérer ce mouvement. Faut-il plus de business, faut-il plus de mondialisation alors que ce sont en partie les causes de l’impasse dans laquelle nous nous trouvons, avec ce chômage de masse en France comme en Europe ?
Si le débat que nous engageons a pour objectifs d’améliorer ce traité et de mieux prendre en compte l’intérêt de la France et de l’Europe, il ne doit pourtant pas nous empêcher de nous poser les questions de fond. À quoi sert d’intensifier les échanges commerciaux ? Est-ce pour renforcer encore l’ultralibéralisme, les multinationales, leurs dirigeants et leurs actionnaires ? Pour le plus grand profit des avocats d’affaires et des banques ? Pour toujours plus de consommation ? Est-ce cela que nous voulons ?
Je ne le crois pas. Certes il ne s’agit pas de se replier sur soi ou de fermer les frontières, mais le libre-échange se doit d’être juste et équitable. Il doit privilégier le plus grand nombre et profiter à tous. Il ne peut se cantonner à la libre circulation des produits et des capitaux et empêcher celle des hommes. Il ne s’agit pas seulement de partir battu ou de vouloir gagner, comme je l’entends dire ; il s’agit avant tout de savoir pourquoi conclure ce traité, et pour qui ! Un tel traité n’a de sens que s’il est uniquement destiné à aller vers le progrès humain pour le plus grand nombre. Sommes-nous si sûrs que c’est le cas ?
Au-delà de ces questions personnelles qui vont plus loin que le texte ne nous y invite, je pense qu’il est plus que jamais nécessaire de méditer la morale d’une fable de Jean de la Fontaine, « Le renard et le bouc » : « En toute chose, il faut considérer la fin ».
Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP, écologiste et GDR.
L’objet de la résolution déposée par le groupe GDR est de suspendre les négociations portant sur le traité dit transatlantique et d’organiser une consultation des Français sur leur poursuite. On peut certes partager un certain nombre de réserves sur le déroulement de ces négociations : c’est pour cela que le groupe socialiste a déposé des amendements. L’interruption des négociations, cependant, n’aurait pas de sens – sauf à considérer que, par principe, les États-Unis et l’Europe ne doivent pas conclure un tel accord.
Par définition, le résultat d’une négociation ne peut s’apprécier qu’à son terme. On ne voit guère sur quelle base on pourrait aujourd’hui saisir les Français. En réalité, vous voulez accréditer l’idée qu’un processus de discussion est actuellement conduit hors de tout contrôle démocratique. Je sais que l’Europe a le dos large et que discréditer les institutions européennes est devenu un sport national, y compris, en l’espèce, parmi ceux qui prétendent vouloir bâtir les « États-Unis d’Europe ».
Cependant, il faut tout de même rétablir la vérité. Il est vrai qu’il appartient au Parlement européen d’exercer l’essentiel de ce contrôle démocratique. Est-ce un problème ? Pas pour moi. Le Parlement européen exerce son contrôle sur cette négociation : il l’a fait au stade de la définition du mandat de négociation en reprenant d’ailleurs à son compte l’exception culturelle – merci Henri Weber ! Il le fait aussi dans le cadre d’une commission de suivi, et il se prononcera in fine sur le résultat de la négociation. Il en va de même pour les gouvernements des États membres. Quant aux parlements nationaux, ils ont naturellement la possibilité d’accéder à un certain nombre d’informations – Mme la présidente de la commission des affaires européennes a d’ailleurs créé un groupe de travail à cet effet, et je sais que le Gouvernement veut renforcer ce circuit d’information.
Ne disons pas aux Français que le résultat de cette négociation leur sera imposé ! Si elle aboutit, c’est parce que leurs représentants l’auront voulu.
Si, c’est la stricte vérité.
Il y a ensuite deux autres raisons qui nous amènent à considérer qu’il faut poursuivre cette négociation.
La France et l’Europe, cela a été dit, notamment par Mme la secrétaire d’État, n’ont pas seulement des intérêts défensifs, des secteurs à protéger dans cette négociation. Ils ont aussi des intérêts offensifs, des marchés à conquérir. Je note qu’il en va de même pour les États-Unis, où les préventions sont de même nature qu’ici. Cela devrait nous rassurer !
Avec Airbus, nous avons su faire émerger, face au principal constructeur mondial, qui était américain, un géant de l’industrie aéronautique.
L’Europe et la France peuvent relever le défi de la compétition économique mondiale. Entretenir les Français dans l’illusion mortifère du repli national, c’est leur préparer des réveils douloureux.
Enfin, ce qui se joue dans cette négociation, c’est l’élaboration des normes qui, demain seront des standards mondiaux. C’en est l’un des enjeux importants. Si la France et l’Europe ne participent pas à ce type de négociation, elles se mèneront sans elles, et l’Europe se retrouvera isolée, contrainte d’accepter des normes qui auront été discutées et définies par d’autres.
Contrairement à ce qui est dit, le traité transatlantique est, pour l’Europe, la possibilité de promouvoir un certain nombre de normes. Il est vrai que nous avons des différences avec les Américains. Sont-elles rédhibitoires ? Si oui, il faudra refuser le traité. Mais je pense qu’il y a aussi beaucoup de sujets et de secteurs sur lesquels nous pouvons trouver un accord. En effet nos modes de vie et nos traditions ne sont pas si éloignés.
Toutefois, il ne faut pas être naïfs dans cette négociation. Il faut préserver nos intérêts, comme les Américains préserveront les leurs. Soyons lucides, mais soyons aussi offensifs, conquérants et sûrs de nous-mêmes !
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, à trois jours des élections européennes, nous voilà réunis pour examiner cette proposition de résolution relative au projet d’accord de libre-échange entre l’Union européenne et les États-Unis. Ce calendrier n’est évidemment pas fortuit et la teneur de la résolution du groupe communiste est suffisamment explicite pour ne pas y voir une forme, au mieux de profession de foi, au pire de tract électoral.
Pour autant, cette résolution a le mérite de nous donner l’occasion d’exposer les raisons pour lesquelles ce partenariat peut être bénéfique à l’Europe, et donc, à la France, si nous parvenons à un accord équilibré, ce qui est le propre de toute négociation.
De quoi parlons-nous ? Le futur traité transatlantique a pour objectif de structurer le commerce bilatéral avec les États-Unis, alors même que les négociations au sein de l’OMC sont aujourd’hui à l’arrêt. Alors que la croissance française est en panne, que l’Union européenne ne cesse de pointer le manque de compétitivité de nos entreprises et que notre balance commerciale est gravement déficitaire, le traité de libre-échange constitue une opportunité à saisir.
Pourquoi ? D’abord, plutôt que de voir le verre à moitié vide, voyons-le à moitié plein. Cet accord n’est en rien la caricature que vous en faites et qui consisterait à livrer en pâture les marchés européen et français aux ogres américains qui viendraient piller nos ressources. C’est en fait l’inverse, et même un rééquilibrage en faveur de l’Europe, que cet accord permettra.
Le marché européen est en effet d’ores et déjà le marché le plus ouvert au monde, bien plus que les États-Unis ou la Chine, par exemple. Interrogez les entreprises françaises sur la difficulté de pénétrer ces marchés, sans même parler de la commande publique, qui est quasiment officiellement interdite aux entreprises étrangères, dès l’instant où une entreprise nationale est capable de répondre au cahier des charges du marché. Les États-Unis pratiquent cela avec beaucoup de pragmatisme depuis 1933, en appliquant consciencieusement le Buy Américan Act.
Ce type de débat, les Mexicains et les Canadiens l’ont eu lors de la négociation des accords de libre-échange nord-américains, le fameux accord ALENA, entré en vigueur en 1994. Le bilan est sans appel : l’ensemble des exportations canadiennes et mexicaines aux États-Unis ont plus que triplé en valeur depuis son entrée en vigueur !
L’ouverture des marchés, cela veut dire également la fin des concessions tarifaires, c’est-à-dire le surcoût lié aux taxations. Ce surcoût est évalué à 4 % en moyenne. Y mettre fin, c’est autant de gains de compétitivité pour nos entreprises. L’incidence de ce partenariat pour l’économie française serait loin d’être négligeable : ce seraient un demi-point de croissance en plus, 10 % d’exportation en plus et une réduction significative du chômage.
Voilà pour le fond.
Sur la forme, vous agitez le chiffon de l’opacité des négociations…
…qui, en réalité, se déroulent comme se déroulent toutes les négociations commerciales internationales. Votre demande d’accès direct et de publication des documents de négociation est l’illustration d’une réelle méconnaissance de ce qu’est une négociation commerciale, qu’elle soit internationale ou pas. Vous demandez ni plus ni moins aux négociateurs de mettre leur stratégie et leurs arguments sur la table. Vous voudriez faire en sorte que cet accord se fasse au seul bénéfice des Américains que vous ne vous y prendriez pas autrement !
Pour rappel, quelle est la procédure au sein de l’Union européenne ?
Le Conseil européen a très officiellement mandaté la Commission le 14 juin 2013 pour mener les négociations, en fixant des objectifs clairement affichés.
La Commission a choisi d’adopter par ailleurs une attitude transparente vis-à-vis de la société civile. Elle sollicite ainsi les acteurs intéressés au début de chaque procédure, afin d’orienter les positions de l’Union sur les sujets qui les touchent directement. Elle les informe également à chaque étape.
Le Parlement européen occupe également une place capitale. Il détermine, avec le Conseil, « les mesures définissant le cadre dans lequel est mise en oeuvre la politique commerciale commune ».
Alors oui, il n’y aura pas de référendum, mais l’accord devra être ratifié par le Parlement européen. Pour autant, si une bonne négociation exige un certain doigté dans sa forme, elle exige également une réelle fermeté sur le fond. Dans ces négociations, l’Union européenne est particulièrement ferme sur quatre points.
D’abord, les questions tarifaires. L’offre des États-Unis est bien inférieure à celle de l’Union européenne. La Commission a donc décidé de mettre ce sujet de côté pour l’instant.
En ce qui concerne l’accès aux marchés publics, l’Union exige que les entreprises européennes soient mises sur un pied d’égalité avec les entreprises américaines.
S’agissant du volet réglementaire, l’Union européenne souhaite procéder sur une base sectorielle quand les États-Unis souhaitent une négociation globale.
Enfin, l’Europe se montre particulièrement ferme au regard de la protection des données personnelles, conduisant Barack Obama à s’engager publiquement le 24 mars dernier sur la voie d’une réforme des méthodes de la NSA.
Même s’il convient de rester vigilant et ferme, on est donc loin d’un grand bradage, comme vous cherchez à le faire croire. Quant à livrer les marchés aux multinationales, il se trouve que nombre d’entre elles sont françaises et performantes. Ce sont ces grandes entreprises qui contribuent à faire de la France un pays qui n’a pas encore totalement décroché et qui doit rester dans la compétition mondiale, malgré tous ses handicaps idéologiques et réglementaires.
Enfin, contrairement au discours habituel, qui est de vouloir opposer multinationales et PME, je veux vous rappeler que ce qui est bon pour une grande entreprise est également bénéfique à nos PME. Tout simplement parce que près d’une PME française sur deux réalise de la sous-traitance pour le compte de grandes entreprises françaises et même étrangères.
Mes chers collègues, notre débat d’aujourd’hui est l’illustration des chaînes idéologiques qui pénalisent encore le développement de notre pays dans la compétition mondiale, couplées à la méconnaissance d’une réalité économique qui nous rappelle pourtant chaque jour que la France n’est pas seule au monde.
La négociation est difficile ; elle est loin d’être terminée et il n’est pas question de brader quoi que ce soit. Mais la question, aujourd’hui, n’est pas de se prononcer pour ou contre ce futur partenariat : tout n’est pas encore sur la table. La question est de se prononcer pour ou contre son principe, pour ou contre donner une chance aux négociations d’aboutir. C’est pourquoi la très grande majorité du groupe UMP ne peut que regretter et s’opposer à cette résolution, amendée ou non, résolution défaitiste, résignée, timorée et contraire à nos intérêts.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je remercie le groupe GDR de nous permettre de débattre en séance du projet de traité transatlantique, sujet si important aujourd’hui, et fondamental pour notre vision du monde, pour notre façon de penser notre société à court, moyen et long terme, et donc, de faire de la politique.
Depuis plus d’un an déjà, les écologistes alertent l’opinion sur l’opacité des méthodes et sur les risques d’un tel accord. Il ne s’agit cependant pas pour nous de remettre en cause la mondialisation. Les écologistes ne s’opposent pas aux échanges internationaux, qu’ils soient culturels, scientifiques, intellectuels. Nous défendons la mondialisation, quand elle est un moyen de faire tomber les barrières entre les peuples. Surtout face aux crises mondiales que sont les crises écologiques, climatiques, énergétiques, la perte de biodiversité…
Face à ces crises, la solution ne peut être que mondiale. C’est le sens de l’adage « penser global, agir local ». Les écologistes défendent la mondialisation, mais une autre mondialisation, qui n’est pas celle imposée par les lobbies de la finance et de l’industrie, par les tenants d’un néolibéralisme débridé.
Oui à une mondialisation de la solidarité, oui au partage des solutions pour mieux vivre, mais non à une mondialisation fondée uniquement sur la concurrence commerciale entre les pays, sur le dumping fiscal et social, sur l’abaissement généralisé de la protection des citoyens et des normes, notamment environnementales.
C’est toute la logique du « there is no alternative » qu’il faut combattre : la mondialisation commerciale dérégulée n’est pas la seule voie possible ; d’autres modèles doivent être pensés et défendus. Malheureusement, on voit, avec ce projet d’accord transatlantique, l’emprise de la pensée libérale sur nos décideurs, ainsi que le poids des lobbies dominés par la finance et les multinationales.
Ce n’est, certes, pas nouveau et, face à cette pensée unique, la société civile, en cette période de crise, semble désenchantée et résignée, prête à abandonner la défense de l’intérêt général, sans combattre. C’est la « théorie du choc », thèse développée par la journaliste altermondialiste Naomi Klein : les tenants du néolibéralisme profitent d’une situation de crise économique et sociale pour imposer aux peuples des remèdes néo-libéraux qui auraient été refusés en d’autres temps. Rappelons que l’enjeu, ici, ce n’est pas l’Europe contre les États-Unis ; ce sont les sociétés civiles – européennes et américaines – contre les grands groupes.
Nous sommes à quelques jours des élections européennes, et nous regrettons le peu d’intérêt des Français pour les enjeux européens. Ce type de traité, et la méthode employée, qui mettra les élus et les populations devant le fait accompli, ne va pas aider à faire aimer l’Europe et à croire en la démocratie. Sacrifier les valeurs européennes sur lesquelles s’est faite la construction de l’Union, pour se conformer au dogme d’une mondialisation sans règles, soi-disant libératrice, c’est proprement indéfendable.
C’est l’idée même de l’Europe qui est en jeu sur ce sujet. L’Union ne doit pas être le cheval de Troie d’une mondialisation qui n’a ni valeurs ni règles. Elle doit s’élever contre cette course au moins-disant social et environnemental. L’accès au marché européen doit être conditionné au respect d’un modèle de société qui protège les citoyens et l’environnement.
Mettre un terme à cette dérive libérale impose de revoir entièrement les conditions de discussion de cet accord commercial. Accord commercial, c’est-à-dire accord global, puisque, désormais, tout fait l’objet de commerce, que ce soit la culture, les services publics, la santé, etc. Même les règles démocratiquement adoptées par les États seraient soumises aux dogmes libre-échangistes. Drôle de hiérarchie des normes !
Mettre un terme à cette dérive libérale impose également la transparence des négociations et la réaffirmation du rôle des citoyens face aux lobbyistes. Il est totalement anormal que ces négociations se fassent dans le dos des peuples et des élus nationaux. Mais on comprend pourquoi l’opacité règne : il y a des choses qu’on préfère cacher, tant elles sont consternantes…
Il est plus que nécessaire qu’un accord international soit ratifié par les représentants démocratiquement élus. Sur ce point, j’aimerais avoir l’assurance que les parlements nationaux ratifieront l’accord. Sachant qu’il s’agit d’un accord avant tout commercial, qui relève donc de la compétence exclusive de l’Union européenne, on peut avoir des doutes sur l’obligation de ratification par les parlements nationaux. Surtout, la ratification a posteriori d’un accord négocié impose un choix binaire, pour ou contre. Encore une fois, drôle de conception de la démocratie, qui associe davantage les lobbyistes que les élus…
Dernier point, celui du mécanisme de règlement des différends. Beaucoup a été dit dessus, et c’est à juste titre que les tensions se cristallisent sur ce sujet. Adopter un mécanisme de ce type, c’est faire triompher l’intérêt privé sur l’intérêt général. La loi, qui est pourtant l’expression de la souveraineté populaire, devra céder face aux assauts des multinationales. C’est un système totalement inégalitaire, où le pouvoir de l’argent triomphe face au pouvoir démocratique, et c’est déjà le cas en Amérique du nord. Si un tel mécanisme devait voir le jour, il nous entraînerait sur une pente très dangereuse.
Vous l’aurez compris, nous n’en voulons pas.
Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste et GDR.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, je remercie le groupe GDR de sauver aujourd’hui l’honneur de cette assemblée par sa courageuse et lucide proposition de résolution. En effet, seule la suspension immédiate des négociations est susceptible de bloquer l’engrenage fatal.
Comment pouvons-nous confier la défense des intérêts de la France et de l’Europe à des négociateurs irresponsables agissant en secret au service d’intérêts particuliers ?
Sourires sur les bancs du groupe SRC.
Comment pouvons-nous confier la défense de nos intérêts à des négociateurs dont le bilan est accablant : vingt-six millions de chômeurs dans l’Union européenne, une paupérisation croissante, nos agriculteurs exaspérés, nos ouvriers abandonnés ?
N’a-t-on pas le droit, dans cet hémicycle, de tirer des leçons, de poser des questions et de demander tout simplement aux parlementaires de constater avec lucidité ce qui va se produire ?
Il ne s’agit évidemment pas d’être hostile à des accords, avec les États-Unis d’Amérique notamment. Il s’agit simplement de ne pas partir à l’aveugle et de ne pas confier les intérêts de la France et de l’Europe à des gens qui ne les ont jamais défendus. Hervé Gaymard appelait la Commission la « Commission américaine de Bruxelles ». Comment en attendre, dès lors, qu’elle défende les intérêts de l’Europe et de la France dans des négociations ?
La proposition de résolution aurait pu constituer une magnifique occasion pour nous tous d’exprimer la volonté de la France et de dire : « Ça suffit ! On ne peut pas continuer ainsi ! À un moment donné, il faut fixer des limites à ceux qui négocient pour nous si mal ! »
Bien évidemment, à la veille des élections européennes, chacun découvre tout à coup l’accord et tente d’enrober son renoncement. C’est ici la journée du double jeu permanent !
Il suffit de se pencher sur les votes de nos chers parlementaires européens. L’avez-vous fait, chers collègues ? Le 23 mai 2013, Mme Bérès a voté pour, comme la socialiste Mme Guillaume ; M. Harlem Désir était absent; Mme de Sarnez a voté pour et était absente pour le deuxième vote ; Mme Auconie de l’UDI a voté pour à deux reprises ; M. Cavada a voté pour ; et MM. Hortefeux, Lamassoure, Daul, Danjean et Mme Rachida Dati ont voté pour, alors que les questions posées étaient ahurissantes. J’ai la liste des votes. D’ailleurs, tous marchent aujourd’hui main dans la main, bien évidemment !
Quant au Gouvernement, il pratique lui aussi le double jeu le plus complet, car le Président de la République a tranché, comme il l’a dit à Washington lors d’une déclaration incroyable selon laquelle il importait de négocier vite avant que les peurs ne ressurgissent ! En un mot, circulez, il n’y a rien à voir !
M. Caresche nous explique qu’on verra plus tard et qu’un traité n’est pas à l’ordre du jour. Qu’on m’explique alors pourquoi le Président de la République a défendu si fermement les métiers du spectacle et du cinéma – ce qu’il a d’ailleurs eu raison de faire. Alors que les ouvriers, eux, on ne les défend pas, pas plus que les agriculteurs – qui n’ont aucune importance ! – on déroule le tapis rouge à raison, mais aux seuls milieux du cinéma français ! Le Président de la République a d’ailleurs été si ferme sur ce point qu’une tension entre le président Obama et lui s’est manifestée. Les métiers du spectacle, les métiers du petit milieu parisien, on les défend, et plutôt avant qu’après, curieusement !
Pourquoi ce qui est vrai pour les métiers du cinéma ne l’est pas dans notre pays pour les ouvriers et les agriculteurs ? En vérité, vous avez déjà tranché et n’êtes là que pour habiller un renoncement supplémentaire de notre pays à défendre ses intérêts. Et que l’on ne nous explique pas qu’il sera plus facile d’être courageux après qu’avant ! Il sera beaucoup plus difficile d’être courageux après, car le scénario est écrit d’avance. On nous dit aujourd’hui qu’il est trop tôt, mais on nous dira demain qu’il est trop tard, qu’on ne peut pas se fâcher avec l’Allemagne et que nous sommes minoritaires à Bruxelles et à Strasbourg : vous vous êtes tous placés dans une situation de minorité face à vingt-huit pays défendant un système qui nous tue à petit feu !
Sans doute, vous exhiberez quelques compromis habiles, quelques combines d’arrière-salle afin de paraître défendre les intérêts de la France, comme vous venez de le faire à propos des travailleurs détachés – pour lesquels rien ne change dans notre pays !
Le peuple quant à lui sera encore plus malheureux et vous serez désavoués dans les urnes, fort heureusement ! Il est en effet rien moins que certain, comme l’a affirmé ce matin Mme Guigou, qu’il s’agisse d’un accord mixte. Par conséquent, notre Parlement n’aura pas la parole !
Quant au Parlement européen, vous savez très bien qu’il ne peut pas déposer d’amendements. C’est tout ou rien ! Quand on connaît la faiblesse de ce Parlement et la faiblesse des votes de vos collègues socialistes, UMP et UDI qui y siègent et des autres, sans même parler de MM. Schultz et Juncker, vos héros, on sait d’avance le résultat ! Seule la mobilisation de nos concitoyens est susceptible d’avoir, du moins je l’espère, des résultats car l’accord est dangereux pour la France, pour nos agriculteurs et nos terroirs. Il l’est aussi, et ce n’est pas le moindre des paradoxes, pour l’Europe. En effet, pourquoi avons-nous construit l’Europe sinon pour la préférence communautaire ? Pourquoi la déshabiller pour la supprimer ? C’est la négation même de l’Union européenne et de l’idéal européen !
Enfin, l’accord est dangereux pour la démocratie, car il sacralise des normes. Ce n’est pas un simple accord de libre-échange ni un accord tarifaire que l’on peut modifier. Si vous sacralisez des normes, on vous dira au cours des campagnes législatives et présidentielles, lorsque vous réclamerez des exigences sociales environnementales, qu’on ne le peut pas.
Vous irez devant des tribunaux arbitraux, mais s’il en résultera des condamnations considérables, on vous dira comme d’habitude qu’on ne peut rien. À force de ne jamais pouvoir, c’en est à désespérer de notre démocratie !
Seules trois personnalités d’Europe ont fait bouger les choses. Le général de Gaulle, tout d’abord, qui a permis par la politique de la chaise vide de créer la PAC – aujourd’hui, vous diriez « Attendons », et rien ne serait créé ! Margaret Thatcher, ensuite, qui a défendu avec succès le chèque britannique, pour des motifs certes fort peu européens ! Helmut Kohl, enfin, qui de son côté a mené à bien la réunification allemande. Tout cela montre bien que l’Europe repose sur les nations et qu’avec une France faible et qui renonce, c’est l’idéal européen qui disparaît.
Dans cette matinée un peu tragique pour notre pays, rappelons-nous que selon l’empereur Marc Aurèle si l’on peut tondre le peuple, il faut prendre garde à ne pas l’écorcher : l’accord en question écorchera notre peuple, gare à sa réaction !
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mesdames les présidentes de commission, mes chers collègues, je salue l’initiative du groupe GDR et de M. le rapporteur de la proposition de résolution, André Chassaigne, qui constitue une occasion de débattre des négociations visant à l’élaboration d’un partenariat commercial transatlantique. L’Europe a récemment été soumise à un feu nourri de critiques et a fait l’objet de débats passionnés. Elle serait la source de tous nos problèmes. Indéfendable, il faudrait s’en défaire ou s’en séparer. Quant aux États-Unis, leur cause serait entendue, faisant l’objet de tous les fantasmes et de trop de malentendus.
Dès lors, envisager d’associer les deux mondes dans un traité transatlantique suffit à rendre le débat difficile. Dans la lutte opposant le David européen au Goliath américain, le combat serait évidemment perdu d’avance. Il faudrait même refuser de négocier et suspendre sans tarder voire arrêter net tout dialogue ou échange. Toute discussion serait déjà porteuse du germe de la compromission et le compromis serait d’emblée un abandon. Tel est le discours de ceux qui n’envisagent la lutte qu’en déclarant forfait.
La position du groupe SRC a été débattue dès l’année dernière. Elle est constante et s’articule autour de plusieurs principes : ceux de réalité, de conditionnalité, de souveraineté, de réciprocité et de collégialité.
Le principe de réalité rappelle que le mandat de négociation est entre les mains du commissaire de Gucht et qu’il s’agit d’une négociation à vingt-huit. Demander seuls la suspension des négociations est de facto sans effet et ne ferait que nous affaiblir.
Le principe de conditionnalité impose le respect des lignes rouges que nous avons fixées. Les préférences collectives seront préservées. Le mandat mentionne clairement que la portée de la législation et des normes internes ne peut être réduite en raison des échanges et reconnaît le droit des parties à poursuivre des objectifs de politique publique légitimes en fonction du niveau de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, des consommateurs et de l’environnement qui lui semble souhaitable. En clair, pas de poulet chloré ni de boeuf aux hormones !
Il convient de relever en outre l’exclusion des services culturels et audiovisuels, des marchés publics de défense et de sécurité et du mécanisme de règlement des différends entre États et investisseurs. Selon nous, l’introduction d’un tel mécanisme dans les négociations ne se justifie pas en raison du haut degré d’indépendance et d’impartialité des juridictions des parties concernées. En outre, les discussions à ce sujet sont pour l’instant suspendues au profit d’une consultation publique organisée par la Commission.
Notre souveraineté sera-t-elle remise en cause ? La réponse est non. La Commission négocie et propose, elle ne décide pas. Ainsi, le futur accord devra être approuvé à l’unanimité des États membres de l’Union européenne au sein du Conseil puis ratifié par le Parlement européen et enfin par les vingt-huit Parlements nationaux de l’Union européenne.
Lors d’une récente mission à Bruxelles, la Commission nous a confirmé le caractère mixte de l’accord. Le Parlement français conservera le dernier mot, quoiqu’il arrive. À ces trois niveaux de contrôle démocratique s’ajoute un filtre juridictionnel grâce à la possibilité de saisir la Cour de justice de l’Union européenne qui jugera de la conformité de l’accord avec le droit européen. En réalité, l’accord sera mutuellement avantageux pour les deux parties et très équilibré ou bien il n’entrera jamais en vigueur.
Le principe de réciprocité porte sur l’ouverture des marchés publics. Le marché européen est ouvert à 85 % aux entreprises étrangères, le marché américain ne l’est qu’à 35 %. Je ne reviendrais pas sur l’abaissement des barrières douanières et tarifaires mentionné par les orateurs précédents.
Quant à l’exigence d’une collégialité accrue du travail avec le Parlement européen des gouvernements et Parlements nationaux, elle appelle transparence et vigilance. Manifestement, l’absence de publication officielle du mandat de négociation constitue un péché originel, mais comme il est aujourd’hui librement accessible sur Internet, l’affaire en devient assez ridicule, convenons-en. Je salue ici les avancées dues à Mme la secrétaire d’État, qui s’est engagée à convoquer régulièrement le comité stratégique de suivi des négociations et à tenir informées les commissions compétentes de l’Assemblée nationale de l’évolution des négociations à l’issue de chaque étape.
Au fond, hormis la suspension des négociations, qui constitue certes un point essentiel, nous poursuivons tous les mêmes objectifs, chers collègues : protéger le modèle économique et social français et un certain art de vivre qui en dépend et peser collectivement sur la définition des normes internationales des voitures électriques, des produits agroalimentaires et des télécommunications au lieu de subir celles des pays émergents.
La France est forte lorsqu’elle regarde vers l’extérieur et donne un peu d’elle-même au monde. Elle est affaiblie lorsqu’elle se recroqueville et se replie sur elle-même. Le renoncement unilatéral ne fait pas une politique, surtout vis-à-vis de notre principal partenaire commercial. Je vous invite donc, chers collègues, à poursuivre le travail collectif en vue d’une vigilance, d’une transparence et d’un contrôle démocratique accrus, comme le proposent les amendements que nous avons déposés en commission.
Je vous invite donc à approuver la proposition de résolution amendée, qui constitue en réalité davantage un point de départ qu’un point d’arrivée.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, dans trois jours, les Français seront appelés, comme des millions d’Européens, à élire leurs députés au Parlement européen. Certains votent d’ailleurs dès aujourd’hui, tels nos voisins britanniques ou néerlandais. La campagne a été relativement terne et je ne suis pas persuadée qu’elle ait permis à nos concitoyens de mesurer pleinement tous les enjeux de l’élection. Parmi les divers sujets évoqués, voire rabâchés par les partis politiques français et relayés par les médias lors de la campagne, le traité de libre-échange transatlantique a occupé une place importante. Les partis d’extrême-gauche, le front national mais aussi les écologistes, pourtant pro-européens, ont tiré à boulet rouge sur le projet de traité en en faisant le symbole des prétendues dérives ultra-libérales de la construction européenne.
Présenté par ses défenseurs comme bénéfique pour la croissance, l’innovation et l’emploi tout en étant respectueux de nos valeurs, le traité, dont le but est de constituer à terme un marché de plus de 800 millions de consommateurs, est présenté par ses détracteurs comme le symbole des dérives libérales, de l’opacité et de la déréglementation, positions tranchées et sans appel que le projet ne mérite sans doute pas, vous en conviendrez, chers collègues ! Le traité est en cours de négociation. Cela peut encore durer un certain temps car, comme nous le savons tous, ce type de négociations est par nature susceptible de durer très longtemps. Je rappelle que le commerce extérieur est une compétence de l’Union européenne que nous avons librement consentie et qu’il convient de considérer que toute négociation commerciale vise à procurer à chaque partie des avantages.
C’est pourquoi je m’élève fermement contre les aspects anti-européens et totalement protectionnistes que comporte la proposition de résolution, même si certains d’entre eux ont été atténués par les amendements de la majorité. Comme je l’avais rappelé lors de nos débats sur le juste échange, l’Europe a intérêt à constituer une économie ouverte, car l’économie mondiale est très fortement dépendante des échanges qui représentent plus de 30 % du produit intérieur brut mondial. Le plus important était donc la préparation du mandat que nous allions donner à la Commission et c’est bien là que les difficultés ont commencé ! L’opacité des négociations dénoncée à juste titre par nos collègues GDR dans leur proposition de résolution date de ce moment-là. Je rappelle que le Gouvernement a retiré l’année dernière in extremis de l’ordre du jour l’examen d’une proposition de résolution du groupe SRC visant à débattre du mandat. En lieu et place, nous avons eu droit à un débat sur la clause d’exception culturelle à propos de laquelle nous sommes tous d’accord et qui ne peut en aucun cas tenir lieu de politique commerciale pour notre pays.
Au lieu d’affronter les réalités économiques et les enjeux fondamentaux pour notre compétitivité, nous nous sommes fait plaisir ! Le Gouvernement nous a privés d’un débat essentiel – et force est de constater que cela se poursuit, puisque notre assemblée n’est pas informée du déroulé des pourparlers, alors même que les négociations ont débuté depuis un an. La secrétaire d’État a bien précisé avant-hier, lors des questions d’actualité, qu’elle était à la disposition de l’Assemblée, tout en précisant le jour et l’heure où nous pourrions en débattre. J’en viens même à me demander si le Gouvernement lui-même sait vraiment ce qui se passe !
Nous entendons les inquiétudes véhiculées par le boeuf aux hormones, le poulet lavé au chlore, les OGM, la protection des données personnelles et autres choses qu’il est facile d’agiter comme un chiffon rouge en période électorale. Les directives pour les négociations qui ont fuité sont pourtant claires : le respect de l’acquis européen et des législations nationales sur les normes environnementales et sociales constitue un préalable à la négociation. Sur les normes phytosanitaires, ces directives précisent, par exemple, que l’Union européenne conservera le niveau de protection qu’elle juge approprié. Par ailleurs, le 12 mars 2014, le Parlement européen a menacé de ne pas ratifier le partenariat s’il ne respectait pas le droit européen en matière de données personnelles.
Les questions en suspens sont trop nombreuses et nous devons obtenir une information approfondie, aussi bien sur le mécanisme de règlement des différends, auquel la France et l’Allemagne ont fait savoir qu’elles étaient opposées, que sur la question essentielle des normes sanitaires, la question de la reconnaissance et de la protection des indications géographiques, ou encore l’accès de nos produits dans le cadre des différentes législations des États fédérés.
Le flou alimente les fantasmes et je ne souhaite pas que l’Union européenne pâtisse de notre incapacité à défendre efficacement nos intérêts. Je souhaite que les négociations aillent jusqu’au bout, pour peser sur les vrais enjeux. Comme l’a justement rappelé le président Jacob, nous devons être dans la négociation, mais rester vigilants !
Nous ne souhaitons pas participer à cette manoeuvre stratégique de nos collègues, entreprise trois jours avant les élections européennes…
Ce que vous appelez un chiffon rouge, vous auriez pu vous-mêmes l’agiter avant !
…en dépit des tentatives de la majorité d’édulcorer ce texte. C’est pourquoi le groupe UMP votera en majorité contre cette proposition de résolution.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la résolution qui nous est proposé de voter aujourd’hui est à la fois juste et indispensable. Elle fixe en effet les lignes rouges que les négociateurs de l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et les États-Unis ne doivent pas franchir. Adopté, ce traité va apporter des modifications profondes de notre modèle économique. Les défenseurs de ce projet de traité vantent un accord équilibré. En tout état de cause, je n’en suis pas convaincue. Ce traité soulève des enjeux fondamentaux et je tiens à exprimer ici mes inquiétudes sur des sujets qui n’ont pas été totalement évoqués jusqu’à présent.
Ma première inquiétude, si un tel accord devait aboutir, porte sur la nécessaire harmonisation des normes, qui constitue, à mes yeux, une menace pour les acquis de la construction européenne, car ce rapprochement des réglementations se fera fatalement aux dépens des normes européennes, plus contraignantes car plus ambitieuses. J’aimerais être concrète sur ce point en prenant un seul exemple : la question des marchés publics. Une libre circulation totale des biens et services entre les deux zones implique une ouverture des marchés publics européens aux entreprises américaines, et réciproquement. Or, nous savons que l’État fédéral américain ne peut prendre un tel engagement pour ses entités fédérées, seules compétentes dans ce domaine. Les entreprises européennes se verraient-elles donc écartées des marchés publics américains quand, dans le même temps, les entreprises américaines répondront aux offres publiques européennes ?
Un autre risque réside dans le déséquilibre de change qui existe entre les deux zones. Dépourvue de politique de change et dotée d’un euro surévalué par rapport au dollar, la zone euro souffre d’un déficit de compétitivité. Un accord de libre-échange pourrait conduire à une fuite d’entreprises européennes vers les États-Unis, qui auraient tout avantage à s’y installer pour produire et exporter vers l’Europe. Cela paraît d’autant plus plausible que la baisse du coût de l’énergie aux États-Unis, consécutive à l’exploitation des gaz de schiste, devrait faire des délocalisations une aubaine difficile à contenir. Voilà un nouvel avantage pour les États-Unis, toujours au détriment de l’Europe. Je pourrais donner de nombreuses autres raisons qui m’amènent à être extrêmement sceptique sur les conséquences de la signature de ce traité.
Je suis d’autant plus sceptique que je suis profondément européenne. Or, ce traité nous fait courir le risque de dénaturer le projet européen, qui voudrait que nous privilégiions les négociations entre États membres pour renforcer l’Europe. De trop nombreux contrastes existent entre chaque État membre. Consolider l’Europe, ce serait harmoniser par le haut les différents systèmes sociaux des pays membres de l’Union européenne, ce serait mettre au point un salaire minimum européen, combattre le dumping fiscal et social. Consolider l’Europe, ce serait surtout associer les Européens à chaque étape de sa construction.
Si je n’ai pas l’impression que ce traité permet de consolider l’Europe – au contraire –, je suis à l’heure actuelle convaincue que cette nouvelle étape de la construction européenne, à travers ce traité, se fait sans le peuple européen. Preuve en est l’opacité qui caractérise ces négociations. La résolution que nous examinons exige la transparence ; cela est fondamental. La transparence, c’est le respect des citoyens européens. La transparence, c’est le débat public, c’est permettre que la satisfaction des intérêts des citoyens soit le leitmotiv des négociateurs européens. C’est la garantie d’un contrôle démocratique.
En revanche, en tant que représentants de la Nation française, nous devons avoir à l’esprit que, sans cette transparence, la question de la ratification se posera très sérieusement. Je ne vois pas, chers collègues, comment nous pourrions accepter un traité, aux enjeux si fondamentaux, si à aucun moment les citoyens ou leurs représentants n’ont pu peser dans son processus de rédaction.
Nous avons été plusieurs à souligner que la représentation nationale reste, in fine, seule souveraine pour approuver ou refuser l’accord. Cela me rassure, bien sûr. Mais ne pouvons-nous pas nous poser la question du vote des peuples européens, le même jour, sur le traité ? Ce n’est pas le peuple européen qui négocie, mais les négociateurs qui agissent dans l’intérêt de ce peuple.
Le choix démocratique des peuples sur le nouveau projet européen n’est-il pas alors indispensable, au moyen d’un référendum ? Ne nous étonnons pas de l’abstention aux élections européennes si nous essayons de construire l’Europe sans le peuple. Il est de notre responsabilité, et c’est en européenne convaincue que je vous le dis, de retisser le lien entre l’Europe et les citoyens. Cette Europe-là est démocratique. Nous devons en être garant, comme nous devons garants du respect des lignes rouges dans les négociations du traité. Aussi, approuvons cette résolution, mais surtout, continuons d’être extrêmement vigilants et exigeants.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais commencer par souligner la différence entre, d’une part, la résolution d’origine déposée par André Chassaigne, et, d’autre part, la résolution présentée par la commission, qui ressemble à de l’eau tiède. Ce texte était, à la base, un texte de convictions – que j’avoue ne pas partager dans leur ensemble.
Si je ne souscris pas à toutes les orientations de votre groupe, monsieur Chassaigne, je tiens à vous dire que je me retrouve dans un certain nombre de propositions, que j’ai pour ma part formulées dans une tribune écrite en juin 2013. Et je voudrais que les choses soient bien claires sur un certain nombre de points, afin que ce débat ne soit pas tronqué ou caricaturé.
Comme la plupart des Français, je suis favorable à une harmonisation, en termes de réglementation, entre l’Europe et les États-Unis. Je suis même favorable à la suppression de tarifs douaniers, à la condition qu’il y ait une réelle réciprocité de ce point de vue – peut-être y a-t-il là une différence entre nous. Je pense également que cela peut être une chance pour les emplois français et européens, à condition que nous ne soyons pas naïfs. En tout état de cause, ce qui manque dans toute la démarche relative à la négociation, à la préparation et au pilotage politique de ce traité, c’est la transparence.
Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire à plusieurs reprises, je ne me retrouve pas, sur un certain nombre de points, dans la résolution « eau tiède » qui est présentée aujourd’hui, et dont nous devons débattre. Quand un sujet comme celui-ci est abordé aux États-Unis, c’est le président Obama qui prend en charge et pilote le dossier et qui, dans le cadre du discours sur l’état de l’Union – en l’occurrence, celui prononcé l’année dernière –, souligne que ce traité constitue une formidable chance pour les emplois américains. Je ne suis pas sûr qu’une même conviction se soit fait entendre dans notre pays, au sujet des emplois français.
De même, en Allemagne, c’est la chancelière Merkel qui s’est impliquée dans le dossier et qui l’a négocié. Chez nous, c’est Mme Bricq qui s’en était chargée à l’époque, avant que le dossier ne vous revienne, madame la secrétaire d’État. Sans remettre en cause les compétences des uns et des autres, j’estime pour ma part qu’il revient au Président de la République de porter ce dossier et, de ce point de vue, la déclaration qu’il a faite aux États-Unis, lors de laquelle il a affirmé qu’il fallait aller vite, est bien insuffisante : il fallait dire cela plus tôt et plus, et peser davantage sur le mandat du commissaire.
De la même façon, quand a éclaté le scandale sans pareil des écoutes de la NSA, nous tenions là un levier politique sur lequel nous aurions dû jouer pour obtenir la suspension des négociations. Il ne suffisait pas d’émettre des plaintes, ou quelques vagues protestations : ce qu’il aurait fallu faire, c’est en profiter pour imposer la voix de l’Europe et celle de la France.
Il est, par ailleurs, essentiel que la transparence prévale en permanence. Au nom de la négociation, le commissaire affirme que cette transparence est impossible : mais au nom de quoi ne serions-nous pas capables de savoir ce que savent les négociateurs ? Quand aurons-nous le droit de lever le voile sur les termes de l’accord entre le Canada et l’Union européenne, alors même que cet accord est conclu depuis des mois ? Sur tous ces sujets, comment faire confiance à une procédure particulièrement opaque ?
Pour ce qui est de la réciprocité, je suis favorable, comme je l’ai déjà dit, à ce qu’il y ait un traité. Mais dites-moi un peu comment nous pouvons négocier d’égal à égal alors que les Américains peuvent évoquer le Buy American Act, tandis que, de notre côté, nous n’avons pas même engagé les démarches en vue de la constitution d’un Buy European Act ? Oui, on peut négocier, mais quand il y a une vraie volonté politique pour cela, quand on dispose des outils politiques pour le faire !
Derrière tout cela se profile une autre question, celle consistant à savoir dans quel monde nous voulons vivre. L’avenir est-il seulement aux traités bilatéraux, ou le multilatéralisme a-t-il encore une place en ce monde ? Devons-nous penser uniquement en termes bilatéraux, ou pouvons-nous envisager que l’OMC et, plus largement, les organisations internationales, ont encore leur place, en dépit du fait que leurs résultats n’ont pas toujours été probants ? Jacques Chirac s’était, en son temps, interrogé sur le bilatéralisme et le multilatéralisme, et avait alors souligné que, dans les relations bilatérales, la loi du plus fort finit toujours par s’imposer, ce qui peut conduire à un unilatéralisme commercial dont nous ne sortirions pas vainqueurs. Si je récuse la naïveté, il me semble que sur tous ces sujets, nous avons choisi de suivre une logique qui n’était, hélas, pas forcément la meilleure.
Le dernier point sur lequel je souhaite insister est celui de la réciprocité. J’ai évoqué le Buy American Act, ainsi que le Buy European Act qui nous fait aujourd’hui défaut. Je veux bien que l’on négocie avec les Américains, mais d’égal à égal, sans permettre que les États-Unis ne pratiquent une forme de dumping. Dumping monétaire, on le sait bien, avec un dollar dévalué d’au moins 30 % ; et je ne parle pas de l’euro, car cela m’entraînerait à évoquer la politique de la Banque centrale européenne et ce qui m’apparaît comme une nécessaire révision des statuts. Dumping fiscal, également, que ce traité pourrait avoir pour effet de réduire, mais aussi dumping social et environnemental – je pense au refus des États-Unis de ratifier le protocole de Kyoto.
Sur tous ces sujets, je suis pour la suspension des négociations tant que l’on n’a pas refondé les conditions nécessaires à une bonne discussion et à une bonne négociation. Voilà pourquoi j’étais davantage en phase avec votre proposition de résolution initiale, plutôt qu’avec celle qui nous est présentée, résultant des travaux de la commission.
Je présenterai un certain nombre d’amendements, m’exprimant évidemment en mon nom personnel pour défendre une conviction qui est mienne depuis longtemps – et je me battrai pour que cette conviction soit entendue. En tout état de cause, je n’ai certainement pas envie de voter ce texte, alors que le texte d’origine, si je n’y souscrivais pas à 100 %, apportait à mon sens davantage de clarification. Je veux des engagements, nécessaires pour l’Europe, mais aussi pour la France et pour les emplois dans notre pays.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, pour paraphraser l’un de nos glorieux aïeux, nous sommes ici par la volonté du peuple, mais peut-être aussi par celle de Barack Obama et José Manuel Barroso, et nous n’en sortirons que bien après la fin de leurs mandats respectifs – pour l’un dans quelques semaines, pour l’autre en janvier 2017.
Le grand marché transatlantique est une vieille idée, pour ne pas dire une vieille lune. Faut-il rappeler le bien nommé NTM – New transatlantic market – agité par la Commission européenne à la fin du siècle dernier ? L’Atlantique, est depuis des siècles, un axe de commerce et, depuis la Seconde guerre mondiale, une aire de prospérité que ne viennent contester ni l’Asie-Pacifique émergée ni les BRICS des différents continents.
La question du commerce transatlantique n’est donc pas une question de principe. Les arguments d’ouverture au monde et de frilosité ne tiennent pas. Il s’agit d’examiner les modalités et l’opportunité, puisque ce serpent de mer est guidé par les principes constants, et parfois léonins, des Américains, ainsi que par l’obsession du libre-échange inscrite dans le programme libéral européen. Ainsi, très tôt, Jean Monnet avait engagé la mise en place d’une sorte de pont au-dessus de l’Atlantique. C’est un fait, mes chers collègues, l’euro-atlantisme n’est vraiment pas une idée neuve en Europe !
Vaccinés depuis longtemps, les députés MRC sont habitués à ne pas se laisser berner par les annonces mirobolantes, chiffrées en millions d’emplois et en points de croissance. On l’a entendu pour le marché unique et la monnaie unique, on l’entend dans ce débat sur le marché transatlantique. Les promoteurs d’un tel accord doivent avoir en tête que l’Europe est largement excédentaire sur les États-Unis grâce, il faut le dire, à l’Allemagne.
Si pour les États-Unis, la priorité va à l’Asie et à la Chine avec le partenariat transpacifique, l’oubli de l’Europe n’est pas à l’ordre du jour. Le traité transatlantique qui pourrait être le frère jumeau de la nouvelle OTAN née après la Guerre froide pose des questions géopolitiques. Il interpelle d’abord les parités monétaires entre une Allemagne, dont les firmes plus que les salariés se satisfont d’un euro trop cher, et les États-Unis qui, depuis 1973, pilotent habilement leur dollar sur les ruines du système monétaire international.
En ces temps de petits espoirs et de grandes promesses européennes, l’euro est sous les feux de la rampe. Mais pour être conséquent, il faut aller au-delà de la question de la seule parité des monnaies et sortir de notre indifférence au désordre monétaire international post Bretton Woods. Pour le dollar et l’euro, monnaie unique ou plutôt, comme je le souhaite avec les députés du groupe MRC, monnaie commune, mais aussi pour un yuan de plus en plus internationalisé et les monnaies des pays émergents, nous avons besoin d’un ordre monétaire international. C’est une grande tâche à laquelle les États-Unis et l’Union européenne devraient s’atteler avant même d’avancer dans la discussion des barrières tarifaires et non-tarifaires.
Je le dis tout net, je suis souverainiste et je crois à la définition souveraine et démocratique de nos préférences collectives économiques, sociales ou environnementales. Le juridisme du libre-échange doit s’incliner devant cette souveraineté. Tout comme les prétentions des investisseurs doivent passer derrière l’intérêt général et ne pas avoir le droit de poursuivre les États devant un tribunal arbitral illégitime.
La discussion politique ne peut être une négociation de marchands de tapis et les gouvernements, mais aussi les parlements, et à travers eux le peuple, doivent avoir leur mot à dire.
La politique de redressement productif, le renouveau d’une base industrielle française qui doit s’inspirer autant du modèle allemand que des initiatives américaines, ne doit pas faire les frais de cette négociation. Ce qui est vrai pour notre industrie l’est aussi pour l’agriculture française. C’est pourquoi le Parlement, le Parlement français – je n’en connais pas d’autres – doit contrôler étroitement la négociation. C’était le sens de la résolution adoptée à l’initiative de notre collègue Seybah Dagoma, c’est le sens de la résolution proposée par les députés du groupe GDR. Je les en remercie et m’en fécilite. Le MRC votera la résolution qui sera proposée en espérant que certains amendements en débat soient retenus.
Je sais qu’il n’est pas d’usage que le rapporteur intervienne après la discussion générale, mais…
C’est une très bonne chose, madame la présidente : cela me permet de dire d’autant plus facilement que le fait de tenir un double langage ne grandit pas la politique, mais la rapetisse. Dois-je en effet rappeler que, le 17 avril, la région Bretagne a, avec le soutien des élus socialistes, voté un voeu de vigilance, et que d’autres régions sont allées beaucoup plus loin, toujours avec le vote des élus socialistes, en adoptant un voeu pour l’arrêt des négociations : le département de la Seine-Saint-Denis, le conseil régional du Limousin, la région PACA, la région Île-de-France ? De très nombreuses collectivités locales ont voté l’arrêt des négociations avec le soutien et la participation d’élus socialistes, voire à l’initiative d’élus socialistes.
Et aujourd’hui, voilà que l’on retire de notre texte la mention de l’arrêt des négociations.
Il est vrai que vous êtes en période de mue et pendant la mue, le serpent est aveugle – je parle évidemment de cette mue vers les dogmes libéraux ! En écoutant plusieurs d’entre vous, la colère montait. Je pensais alors à cette belle phrase d’Albert Camus dans L’homme révolté : « … auto intoxication, la sécrétion néfaste, en vase clos, d’une impuissance prolongée ».
Recourir au double langage est une chose, mentir en est une autre ; Or certains de vos propos relèvent, hélas, du mensonge. Je citerai deux exemples, le premier sur la fameuse proposition de résolution européenne qui a été discutée l’année dernière à l’initiative du groupe SRC. Cette proposition de résolution a été définitivement adoptée le 15 juin 2013 par notre assemblée sans avoir été discutée dans l’hémicycle, en application de l’article 151-7 du règlement. Or nous aurions pu intervenir dans le débat, même sans être membre de la commission des affaires étrangères, et déposer des amendements. Et lorsqu’elle a été adoptée mécaniquement le 15 juin 2013, quinze jours après avoir été examinée en commission, le Gouvernement français par la voix de Mme Bricq avait déjà donné son accord pour le mandat à la Commission européenne !
Telle est la réalité et il ne faut pas la cacher en avançant des arguments mensongers.
De la même façon, lorsque certains prétendent et disent du haut de cette tribune que l’on agite le chiffon rouge le temps d’une campagne et que l’on ne s’est jamais soucié de cette question, tout le monde sait que c’est un mensonge. Des députés issus de rangs différents, en particulier des députés du Front de gauche, notamment au Parlement européen, ainsi que la presse progressiste comme L’Humanité se sont saisis de cette question. Depuis des mois, des militants du Front de gauche et des militants écologistes mènent une campagne contre ce traité transatlantique. Alors de grâce, ne dites pas que cette proposition de résolution n’aurait qu’une visée électoraliste ! Je vous rappelle que nous ne pouvons bénéficier que d’une seule niche parlementaire par an et il s’est simplement avéré qu’elle a été programmée trois jours avant les élections européennes.
Sourires.
Finalement, c’est une bonne chose car nous sommes au coeur du débat.
Autre forme de mensonge, et le mot n’est pas trop fort. Vous aviez raison, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, en disant que rien n’était acté sur le fait que les parlements nationaux auraient à voter sur le traité. Sur le site de la commission des affaires européennes de notre assemblée, on peut lire s’agissant des négociations transatlantiques : « Lorsque les négociateurs seront parvenus à un accord, il appartiendra au Conseil européen et au Parlement européen d’examiner et d’approuver ou de rejeter l’accord final. Du côté américain, la décision appartiendra au Congrès des États-Unis. » Pour que l’on puisse voter sur le texte qui nous sera soumis, il faudrait que ce soit un accord mixte et un accord mixte comporte à la fois des dispositions commerciales et politiques. Or jusqu’à nouvel ordre dans cette négociation, il s’agit uniquement de dispositions commerciales.
J’en terminerai par l’agriculture, sujet qui me tient à coeur, car tout ce qui a été dit en la matière relève de l’approximation et d’une grande méconnaissance. Chacun sait que si l’on abaisse les barrières douanières, nous serons envahis par des productions américaines lesquelles répondent à des normes qui n’ont rien à voir avec les nôtres. Si vous êtes assez naïfs pour croire que les Américains abandonneront leurs barrières douanières, vous commettez une très grave erreur car cela ne sera pas le cas.
N’oubliez pas qu’ils ont une garantie par rapport au prix payé au producteur. Dans le cadre d’accords internationaux, ils peuvent se permettre de baisser les prix pour pouvoir envahir notre marché sachant qu’en contrepartie, ils touchent des compensations. Le plan agricole américain vient d’être signé pour dix ans. Pensez-vous que les compensations accordées aux agriculteurs américains pour faire du commerce extérieur seront abandonnées dans le cadre d’un traité de négociation ? Même si l’on pourra observer quelques gestes, quelques abandons, le tribunal arbitral se permettra de dire que la libre concurrence n’est pas respectée.
Mes chers collègues socialistes, vous êtes entraînés dans une véritable dérive libérale et atlantiste !
Exclamations sur plusieurs bancs du groupe SRC.
Réfléchissez et mettez vos votes en accord avec ce que vous votez dans nos territoires.
Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.
Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés j’interviendrai brièvement car la discussion sur les amendements nous permettra de revenir de manière plus approfondie sur les divers sujets qui ont été abordés.
À ce stade, je veux vous donner des assurances sur le caractère mixte de cet accord. Un accord mixte comporte des éléments qui relèvent de la compétence de négociations de l’Union européenne, mais également de la compétence des États. Dans le cadre du mandat de négociation qui a été confié à la Commission, il s’agit d’un mandat mixte. C’est du reste écrit dans les décisions du Conseil et c’est ce qui a permis l’adoption à l’unanimité de ce mandat. Ce caractère mixte a été une condition de l’adoption de ce mandat, et il n’y a aucun doute sur le fait que cet accord est mixte. Par conséquent, le Parlement européen et les parlements nationaux seront conduits à se prononcer sur ce traité si les négociations aboutissent.
Les domaines concernés par la mixité, qui relèvent normalement de la compétence nationale, sont les investissements, les services de transport, un certain nombre de services où certaines réglementations qui sont nationales et ne relèvent pas de la compétence de la Commission. L’Allemagne l’a rappelé, elle l’a même écrit dans des documents publics, il n’y a pas de doute à avoir : cet accord mixte sera ratifié par les parlements.
Sur la transparence, madame la députée Seybah Dagoma, je partage complètement la nécessité d’informer au maximum le Parlement, les assemblées. J’ai déjà donné un certain nombre d’indications sur ce que j’étais prête à faire à chaque cycle de négociation : venir devant le comité stratégique de suivi et les commissions compétentes des assemblées. Je m’engage – j’ai d’ailleurs commencé à le faire – à explorer toutes les voies juridiques possibles pour pouvoir vous soumettre des documents, notamment les comptes rendus de négociations à chaque cycle de négociation afin d’informer la représentation nationale. S’agissant de la publication de ces documents, et cela impliquera bien entendu de votre part le respect d’une certaine forme de confidentialité, je serai très prochainement en mesure de vous apporter des informations complémentaires.
J’appelle maintenant dans le texte de la commission l’article unique de la proposition de résolution.
Mes chers collègues, je vous informe que plus d’une dizaine d’orateurs sont inscrits sur l’article. Sachant qu’un certain nombre de nos collègues ont souhaité que l’examen du texte soit terminé avant la levée de la séance à treize heures, je laisse chacun prendre ses responsabilités…
La parole est à Mme Cécile Duflot, première oratrice inscrite, pour une durée de deux minutes.
Les critiques émises à l’égard du projet de traité transatlantique portent moins sur ses aspects techniques que sur sa conception. Ce texte pose en effet des problèmes fondamentaux à la souveraineté des États, et la France ne doit pas concéder des abandons de souveraineté à des intérêts privés sous prétexte d’élaborer un code des investissements. En ces temps de crise, il ne me paraît pas sage de voir à l’excès les intérêts privés mordre sur les intérêts des États. Ces mots ne sont pas les miens, mais ceux de Lionel Jospin, prononcés le 14 octobre 1998.
Ces mots disent très justement la question qui nous préoccupe. Cet accord de partenariat a été sans doute négocié en secret parce qu’il est la volonté de Mme Merkel, du président de la Commission et qu’il a été fortement relayé lors du discours de l’état de l’Union de février 2013. À celles et ceux qui ont tenté d’expliquer que le débat autour de cette question était un débat d’opportunité pour les élections européennes, je dirai que c’est inacceptable.
Je voudrais compléter la liste dressée par Nicolas Dupont-Aignan. Les écologistes se sont fortement engagés. Dès le lendemain du discours sur l’état de l’union, ils ont demandé des comptes à la présidence de la Commission et en mai 2013, tous les députés écologistes, sans exception, Daniel Cohn-Bendit compris, ont voté contre la résolution au Parlement européen. Les écologistes sont depuis toujours attachés non seulement à la construction européenne mais à la volonté de faire de l’Europe un véritable espace démocratique, porteur de projets.
Nous ne pouvons pas nous cacher derrière notre petit doigt et ne pas dire ce qu’est la réalité de ce qui est en préparation. Ce qui est en préparation, c’est ce qui arrive à l’Uruguay qui, en 1991, a accepté un traité qui spécifiait dans son article 21 que les États se réservaient le droit de ne pas autoriser des activités économiques pour protéger la santé publique. Or, il y a moins de six mois, un tribunal arbitral de Genève s’est déclaré compétent pour recevoir la plainte déposée par un fabricant de tabac contre l’État de l’Uruguay qui risque d’être financièrement sanctionné.
La question que je pose ici, c’est pourquoi la France met le petit doigt dans cette négociation qui risque de nous soumettre à des intérêts privés de manière irrémédiable. Parce que la réalité de ce qui est en discussion est bien de faire primer les intérêts privés sur la possibilité pour les États de prendre des décisions qui protègent leur souveraineté.
Oui, nous voulons une vraie souveraineté européenne. Oui, nous voulons une vraie politique européenne. C’est pourquoi nous sommes plus que réticents et demandons la suspension des négociations de ce traité.
Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste et GDR.
Madame la présidente, nous arrivons au moment fatidique. Dans le texte initial de la proposition de résolution, les députés du Front de gauche invitaient le Gouvernement à intervenir auprès de la Commission européenne afin de suspendre les négociations sur le projet d’accord de libre-échange entre l’Union européenne et les États-Unis, qui se mènent dans la plus grande opacité, et demandaient que les parlements nationaux y soient associés. En commission, les députés socialistes et de la droite ont supprimé cette demande vidant notre texte de sa substance. Ils ont ainsi validé la poursuite des négociations sur un grand marché transatlantique au service des multinationales et agi de manière contraire à l’intérêt des peuples.
Je note que cette volonté de poursuivre les négociations est en contradiction avec les slogans de campagne du parti socialiste pour les élections européennes de dimanche : « Pour une Europe qui protège ses travailleurs et une Europe du progrès social ».
« Tous les accords commerciaux doivent garantir nos intérêts et la spécificité de notre modèle social, culturel mais aussi les normes sociales et environnementales » avait déclaré Harlem Désir, alors premier secrétaire du parti socialiste.
Qui n’est pas présent parmi nous alors qu’il est chargé des affaires européennes.
Or, on le sait, la Commission européenne est officiellement chargée d’aligner les règles et les normes techniques applicables aux produits, lesquelles constituent à l’heure actuelle le principal obstacle aux échanges transatlantiques. Cet ultra-libéralisme met en danger nos normes sociales, culturelles, sanitaires et environnementales pour garantir des gains financiers aux firmes multinationales.
Ce traité est fondamental. Il n’est plus possible de cacher ses enjeux. C’est un sujet majeur des élections européennes. Désormais, les Français, les salariés, les consommateurs savent qui les défend et qui prône explicitement ou implicitement la régression de la protection sociale, sanitaire, environnementale. Les amendements que nous défendrons tendront à rétablir la version d’origine de notre texte, qui a été galvaudée en commission.
Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.
Beaucoup de choses ont déjà été dites, mais je tenais à intervenir ce matin sur un sujet important, qui commence seulement à susciter l’intérêt qu’il mérite. L’Europe a trop tendance à être un pouvoir naïf qui semble méconnaître les règles économiques qui nous entourent. Mais nous ne devons pas, nous parlementaires français, être naïfs à notre tour. Une proposition de résolution comme celle dont nous débattons doit non pas être une simple incantation, un texte franco-français qui n’existerait que pour nous faire plaisir, mais bel et bien un texte de soutien, réaliste et efficace, à l’action de nos collègues et futurs collègues au Parlement européen.
Sur un sujet politique comme le mécanisme d’arbitrage entre États et investisseurs, la réponse doit être politique et doit être apportée à l’échelle de l’Europe et non pas simplement au détour d’une proposition de résolution nationale.
En mai 2013, alertés, nous avions déjà veillé à poser les limites que ne devait pas dépasser cet accord. À l’époque, une proposition de résolution avait été adoptée à l’unanimité. Elle pointait les dérives possibles, elle précisait les limites, elle détaillait les directions inacceptables. Pourtant, aujourd’hui, je m’interroge. Je me suis intéressé à la position prise par chacun des candidats à la présidence de la Commission européenne sur ce mécanisme d’arbitrage : le candidat socialiste, Martin Schulz, est contre, tout comme Alexis Tsipras et José Bové ; étrangement, Jean-Claude Juncker, soutenu par nos collègues de l’UMP, y est favorable …
…ainsi que Guy Verhofstadt, soutenu par nos collègues de l’UDI. Si je fais ce rappel, c’est que j’aimerais que chacun y voit clair et que certains de nos collègues ne se trompent pas de combat et d’adversaire.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Ce projet de résolution est l’occasion de rétablir la vérité et un climat de sérénité.
Vérité quant aux dates. Le mandat a été donné le 14 juin, après l’examen par la commission des affaires étrangères le 29 mai 2013.
Vérité quant aux inquiétudes et aux demandes. Ce projet de résolution les a prises en compte : il affirme la nécessité d’assurer la transparence des négociations pour garantir la bonne information des citoyens et le respect des exigences démocratiques.
Vérité lorsque nous rappelons avec netteté les lignes rouges qui ne doivent pas être franchies : respect des préférences collectives portant sur les OGM ou la réglementation des produits chimiques. Nous contestons également l’introduction d’un mécanisme de règlement des différends entre les États et les investisseurs.
Sérénité car demander la suppression du projet de partenariat avant de connaître son contenu m’apparaît infondé car c’est postuler que l’Europe est d’avance perdante dans ces négociations. Ce n’est pas croire en l’Europe, en la puissance que confère un marché de 500 millions de consommateurs. L’Europe doit négocier en position de force, tenir un discours clair sur ses intérêts, sur l’ouverture des marchés ou sur la reconnaissance des indications géographiques de nos produits mais aussi sur ces lignes rouges que sont la défense des préférences collectives et de l’exception culturelle.
Enfin, lors des auditions auxquelles j’ai assisté à Bruxelles, j’ai écouté attentivement les positions exprimées par le bureau européen des unions de consommateurs et la Confédération européenne des syndicats. Ces deux organismes, que l’on ne peut soupçonner de lobbying ultra-libéral, mes chers collègues, ne demandent pas la suppression des négociations, ils en attendent même des bénéfices en matière de qualité sanitaire des produits agro-alimentaires et d’emploi. En revanche, ils ont exprimé leurs exigences et ces exigences sont les mêmes que celles posées dans cette proposition de résolution. C’est pourquoi nous la voterons sans état d’âme.
Dans mon département comme dans beaucoup d’autres départements de France, le projet de partenariat transatlantique sur le commerce et les investissements suscite de nombreuses inquiétudes. Les professionnels que je rencontre régulièrement dans ma permanence ne souhaitent pas que ce traité, qui peut constituer un formidable vecteur de croissance et d’emplois pour notre pays, ne se transforme en cheval de Troie, spécialement pour certains pans de notre économie.
Je ne rappellerai pas l’ensemble des lignes rouges que le mandat de négociation a fixées. J’aimerais simplement insister sur une question en particulier : quel sera le devenir de l’agriculture européenne si ce traité est voté ?
Les agriculteurs européens, particulièrement français, mettent en oeuvre des standards de production très élevés et coûteux alors que les produits importés, notamment des États-Unis, ne répondent pas à de telles exigences. Il ne serait pas opportun que ces négociations remettent en cause nos législations en matière de protection de la santé et des consommateurs. Allons-nous accepter de sacrifier notre agriculture sur l’autel de l’augmentation des échanges avec les États-Unis ?
À l’heure où cette question reste en suspens dans le cadre d’une autre négociation, celle de la gouvernance de l’ICANN, j’aimerais exprimer mon intransigeance sur la question de la protection du système européen des appellations d’origine. Pour l’heure, les États-Unis ne reconnaissent pas nos AOP et IGP. Les contentieux sont nombreux : du champagne produit en Californie au parmesan commercialisé par une société canadienne. L’accord n’interdit le recours à ces appellations que pour l’avenir, les exploitants américains qui les utilisent de longue date pourront continuer à le faire. D’un point de vue américain, les conditions de production, le processus qualitatif de production, le lien de celles-ci avec un terroir spécifique ne semblent être que des barrières protectionnistes.
Après ce court exposé, vous comprendrez les raisons de l’inquiétude des professionnels qui ne peuvent exporter leurs produits régionaux aux États-Unis aussi simplement qu’ils le souhaiteraient.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je vous demanderai de ne pas profiter de la faiblesse passagère d’un membre du groupe écologiste à la commission des affaires étrangères, à savoir votre serviteur, pour assimiler l’ensemble des écologistes à la proposition de résolution amendée par le parti socialiste. Comme vient de le souligner Mme Duflot, il y a longtemps que les écologistes, en Europe comme en France, et même dans le monde, se battent contre ce projet de traité transatlantique qui vaut beaucoup mieux que nos querelles franco-françaises puisqu’il s’agit pour les États-Unis de se servir de l’Union européenne comme d’un nouveau terrain de jeu pour ne pas perdre leur leadership mondial et faire front contre les développements que connaît l’Asie, particulièrement la Chine. En effet, le traité transatlantique doit être considéré de la même manière que l’Europe de l’énergie ou la prochaine conférence climatique qui se tiendra à Paris en 2015.
On ne peut pas accepter que les États-Unis d’Amérique et l’Union européenne, qui représentent la moitié du PIB mondial, se contentent de cette libéralisation des échanges commerciaux alors que ce traité devrait servir à renforcer les normes, les normes environnementales, les normes agricoles, les normes sanitaires, mais aussi les normes fiscales pour renforcer la lutte que nous devons mener contre les paradis fiscaux, notamment en imposant aux sociétés des formes d’impôt qui les empêchent de pratiquer l’évasion fiscale.
Aujourd’hui règne la plus grande opacité dans les négociations : les parlements nationaux pas plus que le Parlement européen n’y sont associés. C’est au Parlement européen, appelé à être renouvelé très bientôt, qu’il appartient de rouvrir ce chantier et de dire que les négociations doivent être revues et corrigées. C’est au Parlement européen de remettre l’ouvrage sur le métier. Nous ne pouvons accepter que, selon les termes de la négociation fixés jusqu’à maintenant, ce Parlement n’ait d’autre droit que celui de dire oui ou non, sans pouvoir proposer d’amendement.
Enfin, il me paraît important de rappeler que ces négociations ont commencé en mars 2013 avec la Commission, alors même que celle-ci n’avait pas été encore mandatée par les Vingt-huit. Nous voyons bien que la situation n’est pas acceptable, tant pour la France que pour l’Union européenne. Il y a un très fort déséquilibre, souligné d’ailleurs aussi bien à droite qu’à gauche. Les interventions dans ce débat montrent que tout le monde est opposé aux méthodes utilisées pour mener ces négociations. Nous devrions donc retrouver ici une forme d’unanimité qui nous permettrait de dire que le Parlement français et les forces politiques françaises ne sont absolument pas d’accord avec la manière dont les négociations sont engagées. Personne ici – en tout cas pas les écologistes – n’est contre la construction européenne. Il faut seulement qu’elle soit plus intégrée, plus fédérale et donc plus forte.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe écologiste.
Avec Brigitte Allain, nous nous sommes largement exprimés sur les questions agricoles et je vais à nouveau le faire aujourd’hui. Je tiens en effet à relayer ici l’extrême inquiétude de nos agriculteurs : inquiétude devant les énormes capacités de production des États-Unis ; inquiétude devant les produits de bas de gamme susceptibles d’inonder nos marchés et de tirer les prix agricoles vers le bas alors qu’ils ne cessent de baisser en euros constants ; inquiétude devant les normes sanitaires – je pense à l’agriculture biologique, à l’agro-écologie chère à Stéphane Le Foll, mais aussi à ceux de nos agriculteurs qui utilisent des modes de culture classiques et qui font des efforts importants pour limiter voire supprimer les antibiotiques et pour réduire le recours aux produits sanitaires au profit de la lutte intégrée.
La qualité des produits agricoles européens est reconnue dans le monde entier. Les Chinois, frappés par des scandales alimentaires retentissants, viennent désormais acheter des produits chez nous, plus chers certes, mais sûrs. Nous craignons que cet accord ne revienne sur toutes ces normes-là.
L’inquiétude porte aussi sur la vitalité de nos territoires ruraux, car, ne nous y trompons pas, les circuits courts, les produits de terroirs, les AOP seront menacés par cet accord.
C’est pourquoi, certaines régions comme la Bretagne ont exprimé leurs craintes. Aujourd’hui, nous disons clairement notre opposition à ce traité.
Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.
Avant l’examen de cet article unique, je voudrais rappeler que les conditions d’une libéralisation des échanges de produits amylacés entre les États-Unis et l’Union européenne ne sont pas réunies. L’heure n’est pas venue de démanteler les droits de douane dans le secteur de l’amidonnerie et des produits dérivés. Depuis des décennies, l’amidonnerie américaine bénéficie d’un contexte économique et réglementaire extrêmement favorable qui lui a permis de connaître un développement remarquable. Cette croissance a été rendue possible grâce à la liberté de produire de l’isoglucose sans limitation de volume, contrairement à l’amidonnerie européenne dont la production est contingentée depuis près d’un demi-siècle, et grâce également au programme de soutien public à la production d’éthanol mis en place dès 1970.
Ni la suppression annoncée pour 2017 des quotas d’isoglucose en Europe, ni la décision du gouvernement américain de mettre fin au régime de subventions à la production d’éthanol ne changeront la situation. Un nouveau facteur de compétitivité est venu amplifier l’avantage économique dont jouit l’amidonnerie américaine : le coût de l’énergie gaz, très avantageux aux USA depuis la mise en oeuvre des gaz de schiste. Des coûts de production et une disponibilité de la matière première, avec du maïs OGM aux États-Unis, structurellement inférieurs à ceux de l’Europe, avec son blé, son maïs et ses pommes de terre, ainsi que des contraintes réglementaires fortes en Europe pèsent sur la production agricole et viennent aujourd’hui creuser l’écart de compétitivité entre les deux secteurs de part et d’autre de l’Atlantique. Il serait souhaitable pour notre économie et pour nos emplois d’exclure de l’échange de concessions tarifaires les produits amylacés.
Je suis un peu déçue parce que, pour une fois, je suis privée de l’occasion exceptionnelle de voter sans réserve la résolution de M. Chassaigne : en effet, les amendements qui ont été proposés et votés par le parti socialiste et les Verts en commission ont totalement vidé de sa substance la résolution initiale. Vous écartez, chers collègues, la suspension des négociations : c’est logique car vous êtes d’ores et déjà des ultralibéraux assumés, tout comme à l’UMP.
Vous prônez le libre-échange au bénéfice des grandes firmes multinationales,…
…mais cela va mieux en le disant, parce que cela fait quand même trente-cinq ans que vous nous bercez avec l’Europe sociale, les travailleurs, le marché qui prime sur l’économie… Au moins, c’est dit et assumé – à quelques jours des européennes, les électeurs sauront quoi en faire !
De plus, vous limitez la publicité des négociations. Je le comprends également : moins les peuples sont informés, moins l’opposition peut se construire et plus vous pouvez mener à bien des négociations que, d’ores et déjà, et vous le savez, le peuple aimerait voir écarter.
Vous jurez vouloir exclure l’arbitrage État-investisseur ; et pourtant, vous écartez dans la résolution initiale la mesure qui justement excluait définitivement cet arbitrage, vous contentant de la remplacer par une simple félicitation de la suspension provisoire des négociations sur ce sujet. J’analyse évidemment cette précaution lexicale comme une concession politique habile parce que, de cette manière, vous laissez quand même la porte entrouverte.
Par ailleurs, vous supprimez l’exigence faite aux États-Unis de cesser l’espionnage massif, récemment révélé, opéré par la NSA sur nos concitoyens, sur nos institutions et sur nos chefs d’État européens. Je comprends : il ne faut surtout pas vexer vos maîtres ! Qu’importe d’ailleurs que, suite à cela, les rapports de force soient complètement biaisés dans les négociations ou que, accessoirement, notre honneur soit légèrement écorché par votre immobilisme.
Je voudrais finir avec les lignes rouges : permettez-nous de douter et de ne pas faire confiance à un Gouvernement qui est d’ores et déjà le grand champion, au sein du marché commun européen, du dumping social, du dumping environnemental et du dumping sanitaire. Ce sont les mêmes promesses ; ce seront les mêmes trahisons !
Exclamations sur les bancs du groupe SRC.
Le débat est important, nous l’avons vu ce matin, et les conséquences risquent d’être calamiteuses si le traité transatlantique est signé. Face à cela, il est absolument essentiel que le message de notre Assemblée soit ce matin le plus clair possible – et c’est aujourd’hui qu’il faut être le plus clair possible ! On nous dit en effet que nous pourrons nous prononcer à la fin du processus : je n’en suis pas convaincu mais, même si c’était vrai, on nous dira à la fin qu’il est trop tard, que de toute façon, c’est à prendre ou à laisser et qu’il faut se prononcer globalement. Si nous voulons peser sur le cours des choses, sur le cours de la négociation, c’est ce matin que nous devons être le plus clair possible !
Tel est l’objet de la résolution que nous avons présentée, une résolution malheureusement vidée en commission de son contenu parce que certains ne voulaient pas la voter en l’état et ont trouvé un artifice pour contourner l’obstacle. C’est ce à quoi nous allons nous attacher dans la discussion des amendements : rétablir la clarté en demandant la suspension des négociations et en demandant aussi l’exclusion définitive du mécanisme d’arbitrage.
J’ai noté et regretté que, face aux graves préoccupations que nous exprimons, Mme Guigou ait parlé, non sans une pointe de mépris d’ailleurs, de procès d’intention et même de fantasme. Il faut croire qu’elle ne suit pas bien l’actualité politique sur ce sujet puisqu’elle semble ignorer les multiples voeux, résolutions et délibérations qui ont été adoptés dans tout le pays, ainsi que l’a rappelé André Chassaigne tout à l’heure, tant par des communes que par des départements comme le Tarn ou la Seine-Saint-Denis, ou par des régions comme la Basse-Normandie, la Bretagne, le Limousin ou l’Île-de-France.
Quelles préoccupations expriment-ils ? Pour prendre l’exemple de la région Île-de-France, la délibération adoptée en janvier dernier demande dans son article premier « l’arrêt des négociations sur le grand marché transatlantique du fait de l’absence de contrôle démocratique et de débats publics sur les négociations en cours ; la diffusion publique immédiate de l’ensemble des textes relatifs aux négociations du Transatlantic trade and investment partnership, le TTIP, qui représentent une attaque sans précédent contre la démocratie ; l’ouverture d’un débat national sur ces traités avec la participation des collectivités territoriales, des organisations syndicales, associatives et socio-professionnelles ainsi que des citoyens » ; en son article 2, elle mandate son président Jean-Paul Huchon pour saisir le Gouvernement et les institutions européennes concernées et décide dans ses articles 3 et 4 d’ouvrir un débat régional sur les risques de nivellement par le bas des règles sociales, économiques, sanitaires et culturelles ainsi que d’agir aux côtés des collectivités locales franciliennes pour empêcher la mise en oeuvre du traité transatlantique. Enfin, en son article 5, elle déclare la région Île-de-France « zone hors TTIP ».
Telle est la réalité de la vraie vie. Il ne s’agit pas de fantasmes ni de peurs : c’est une réalité face à laquelle je vous invite, mes chers collègues, à prendre courageusement vos responsabilités plutôt que de vous réfugier derrière des arguments qui, vraiment, ne vous grandissent pas !
Nous en venons aux amendements.
La parole est à M. Xavier Bertrand, pour soutenir l’amendement no 11 .
Ainsi que je l’expliquais tout à l’heure à la tribune de l’Assemblée, la question est simple : le multilatéralisme en matière commerciale a-t-il encore de l’avenir, a-t-il encore une place dans le monde d’aujourd’hui ? Nous voici vingt ans, quasiment jour pour jour, après la création de l’OMC, l’Organisation mondiale du commerce, à laquelle je faisais référence tout à l’heure ; à l’époque, c’étaient Édouard Balladur et François Mitterrand qui s’exprimaient sur ce sujet. Pense-t-on vraiment, vingt ans après, que seuls des traités bilatéraux peuvent exister – tels le traité transatlantique ou le traité transpacifique – ou bien que l’OMC, en dépit de ses insuffisances, a encore de la place ? Si on pense que le multilatéralisme n’a plus de place, demain se posera la question de l’ONU, voire du Conseil de sécurité. Voilà pourquoi je ne fais pas mien le choix qui est fait aujourd’hui de s’engager uniquement dans cette voie, et voilà pourquoi je propose d’adopter cet amendement pour modifier cette résolution.
L’amendement no 11 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.
L’objet de cet amendement est de restreindre le champ du traité. En effet, une confusion existe depuis le début, qui n’a pas été soulevée : s’agit-il d’une zone de libre-échange ou d’un traité ? Voilà pourquoi je proposais de restreindre, de façon importante – je l’assume –, le champ de ce traité.
Défavorable.
Nous voterons contre cet amendement de M. Bertrand comme sur le précédent, non pas que nous ne soyons pas d’accord sur le fond, mais nous considérons que c’est un renvoi au contenu même du texte de la résolution du mois de juin 2013.
Je viens de défendre l’amendement n° 13 , vous m’en excuserez ; l’amendement n° 12 porte sur la question du règlement des différends. Sur ce point, je m’étonne du vote contre du signataire initial de la résolution, parce qu’il s’agit bien là d’un sujet de fond : qui règle les différends ? M. Chassaigne, qui est ce signataire, s’éloignerait-il de ses positions initiales ? Il est toujours possible d’évoluer mais, en tout état de cause, je pense que sur ce sujet, la question du manque de transparence est fondamentale et la question du règlement des différends ne peut pas être acceptée en l’état. Or le projet de résolution de la commission, que j’avais qualifié de « tiède » tout à l’heure, est plus que timide, en choisissant de s’en remettre à la Commission qui, elle, va réfléchir et proposer des solutions. Je ne peux pas me satisfaire de cette position : voilà pourquoi je propose l’adoption de cet amendement.
Je voudrais répondre à l’observation de M. Bertrand : pourquoi s’opposer à ces deux amendements ? Il s’agit tout d’abord, bien évidemment, du vote de la commission mais, à titre personnel, je m’y suis également opposé, pour une raison : il s’agit en fait d’un renvoi – et donc d’une reconnaissance de fait – aux missions de l’OMC, en particulier à l’AGCS, l’Accord général sur le commerce des services, qui est avant tout un instrument au bénéfice des milieux d’affaires ; et je n’ai pas plus confiance en l’OMC pour régler les différends.
Non seulement l’OMC est loin d’être parfaite en termes de partialité car on sait bien qu’elle répond avant tout aux intérêts des multinationales, mais elle n’est de plus pas accessible aux pays qui ne sont pas développés au regard de la complexité de la procédure et du coût engendré par celle-ci : on connaît la force de frappe des juristes des multinationales, et on sait que dans de tels débats, le résultat sera la plupart du temps défavorable aux États.
L’amendement no 12 n’est pas adopté.
La parole est à Mme la secrétaire d’État, pour soutenir l’amendement no 30 , lequel vient de vous être distribué, mes chers collègues.
Madame la présidente, mesdames, messieurs les députés, je vous prie de m’excuser pour l’introduction de cet amendement pendant notre discussion ; ce n’est évidemment pas l’habitude, mais il me semblait important de pouvoir répondre aux inquiétudes manifestées par certains d’entre vous concernant le caractère mixte du mandat confié à la commission. C’est pourquoi je vous propose un amendement à l’article unique insérant l’alinéa suivant : « Vu le caractère mixte du mandat de négociation confié à la Commission européenne » – sans préciser « par la France » car le mandat est confié par tous les États membres et non uniquement par la France : il y a une petite coquille dans l’amendement qui vous a été distribué.
Mes chers collègues, cet amendement, qui devient l’amendement n° 30 rectifié , est donc ainsi libellé : « Vu le caractère mixte du mandat de négociation confié à la Commission européenne, ».
La parole est à M. le rapporteur.
La commission ne l’a bien sûr pas étudié mais, à titre personnel, je m’y oppose parce que je n’ai aucune confiance en l’affirmation que le caractère mixte est inscrit dans le mandat de négociation – ou alors, si l’on présente un amendement au dernier moment, comme c’est le cas, on nous amène le texte en question de façon à prouver que les dires sont véritablement conformes à la réalité des actes.
Notre groupe ne peut que suivre l’avis qui vient d’être émis par notre collègue Chassaigne puisque nous reprochons justement à la Commission son opacité et le manque de garanties juridiques. Le gouvernement français ne peut pas venir aujourd’hui nous affirmer qu’il s’agit d’un texte mixte alors même que nous ne savons pas comment les négociations vont se terminer…
…et que nous ne savons même pas, comme l’a souligné tout à l’heure notre collègue Dolez, si notre Parlement sera appelé à le ratifier en raison de son absence de mixité.
Nous ne pouvons donc pas voter un amendement qui nous est proposé dans la précipitation.
Je veux bien que nous ayons un débat, mais il faut quand même avoir un minimum de confiance dans la parole du Gouvernement, qui est une parole publique ! Ce que dit la Mme la secrétaire d’État n’a pas été inventé au dernier moment !
Cet amendement se contente simplement d’insérer dans la résolution un fait incontestable ! Je ne vois donc pas comment on peut voter contre un amendement de ce type !
L’amendement no 30 rectifié est adopté.
L’amendement no 13 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.
Cet amendement vise à rétablir le considérant sur la NSA, the National security agency, car il faut appeler un chat un chat. Chacun sait ce que les citoyens européens ont subi de la part de la NSA. On avait déjà dû déplorer la faiblesse de la condamnation par le Gouvernement français sur ce qui s’était passé. Le lanceur d’alerte, M. Snowden n’a même pas été soutenu ni accueilli. Pire : il a été interdit de survol. Il faut donc à tout prix rattraper le coup, si je puis dire. Voilà pourquoi nous souhaitons que ce considérant soit réintégré dans le texte pour éviter d’avoir un texte « mou du genou », une résolution sans caractère.
La position du groupe GDR est la même que celle exprimée par M. Roumegas. Nous ne comprenons d’ailleurs pas pourquoi le groupe majoritaire de cette Assemblée a exclu de la résolution toute référence à la NSA. On ne peut pas négocier dans de bonnes conditions avec un partenaire qui espionne en permanence les chefs d’État, les entreprises et des millions de citoyens en Europe et dans le monde. Par conséquent, nous souhaitons revenir au texte initial et faire référence au rôle néfaste de la NSA dans le cadre de cette négociation.
La commission des affaires étrangères est défavorable à cet amendement.
Je veux saluer le changement de position des membres de la commission, dans la mesure où une rédaction quasi similaire avait été extraite de notre texte initial lors de la réunion précédente de la commission. Nous nous réjouissons donc que cette disposition soit rétablie dans le texte.
Comme je l’ai rappelé tout à l’heure lors de mon intervention, la question du transfert des données personnelles n’est pas traitée dans cet accord mais bien dans les travaux de Mme Reding dans le cadre de la révision du traité Safe harbor entre l’Union européenne et les États-Unis. Néanmoins, j’entends la préoccupation à la fois des parlementaires et des opinions publiques. Aussi le Gouvernement s’en remet-il à la sagesse de l’Assemblée nationale sur ces deux amendements.
Le Gouvernement avait aussi contesté ces pratiques.
Même si la question de la protection des données n’est pas dans le périmètre du mandat de négociation, le groupe SRC est favorable à l’amendement n° 1 présenté par le groupe écolo.
En revanche, nous sommes plutôt hostiles à l’amendement n° 18 du groupe GDR tel qu’il est rédigé en raison de la précision qu’il contient relative aux « nationaux français ».
Il s’agit, là encore, d’un amendement qui vise à rétablir le texte initial, nos collègues du groupe SRC ayant malheureusement vidé cette proposition de résolution de son contenu.
Cet amendement vise à mettre clairement en évidence les dangers du traité transatlantique concernant l’environnement, la santé publique et la sécurité alimentaire des Européens.
Avec l’accord transatlantique, toutes les protections offertes aux consommateurs pourront voler en éclat car considérées comme des entraves au libre-échange. On est là dans la philosophie générale de l’accord qui privilégie l’extension des échanges à tout prix aux droits des consommateurs et à la protection de l’environnement. De même, la suppression des droits de douane est une menace pour notre modèle agricole. Les agriculteurs européens n’auraient alors d’autre choix que de s’aligner sur les standards américains ou disparaître. Voilà pourquoi nous demandons le rétablissement du texte initial.
La commission des affaires européennes avait supprimé ce considérant. À titre personnel, je suis favorable au rétablissement de la rédaction initiale. En effet, il manque, dans la proposition de résolution telle qu’elle nous est soumise aujourd’hui, deux points très importants sur lesquels je veux insister. Premièrement, les références à l’utilisation des pesticides et aux émissions liées au transport aérien ont été supprimées. Deuxièmement, l’amendement n° 17 précise que la suppression des droits de douane constitue une menace considérable pour l’agriculture européenne, en particulier pour notre agriculture. La suppression des droits des douane conduira à la catastrophe, à un désastre. Les Américains qui se sont fait tailler des croupières par l’Amérique du sud s’agissant notamment des céréales, du soja et du maïs, vont inonder notre pays et plus largement l’Europe de produits carnés issus de l’élevage ou de l’industrie agroalimentaire. Nous ne pouvons pas occulter cette question.
Toutes les filières agricoles sont vent debout et il est de notre responsabilité de prendre en compte cette inquiétude très forte et donc d’adopter l’amendement du groupe GDR.
Comme j’ai eu l’occasion de le dire tout à l’heure, la protection des préférences collectives et une ligne rouge très importante. Le fait que l’on puisse détailler un certain nombre de filières qui constituent ces préférences collectives me semble plutôt de bonne gestion.
Cependant, je crois que les préoccupations que vous exprimez pourront être satisfaites grâce à l’amendement n° 14 qui sera présenté dans quelques instants et qui a ma préférence.
S’agissant de la question de la menace du modèle agricole européen, je veux rappeler que le mandat introduit déjà une clause de sauvegarde à laquelle nous ferons référence dans un certain nombre d’amendements dont nous discuterons tout à l’heure. Cette clause prévoit que chaque partie pourra retirer partiellement ou intégralement le bénéfice des préférences accordées si les importations causent ou menacent de causer des préjudices graves. En cas de danger, des mesures de rétorsion seraient immédiates et appliquées.
L’amendement no 17 n’est pas adopté.
Nous proposons, dans cet amendement, et cela ne vous étonnera pas madame la secrétaire d’État, de rétablir l’alinéa 19 du texte dans sa rédaction initiale qui met l’accent sur les implications environnementales d’un possible accord de libre-échange avec les États-Unis.
Avec le mécanisme d’arbitrage, tel qu’il est prévu par le mandat de négociation, les firmes multinationales de l’énergie pourront attaquer les États si elles estiment que la législation nationale constitue une entrave au commerce. C’est ainsi que le Québec a été condamné à indemniser une entreprise américaine après avoir interdit l’extraction du gaz de schiste sur son territoire. Cette dimension-là nous paraît essentielle. Tel est l’objet de cet amendement.
Il me semble important de rappeler que la capacité à réguler de l’Union européenne ne sera absolument pas affectée par ces négociations et que le mandat ne contient pas de dispositions spécifiques qui concernent les choix de politique énergétique ou l’exploitation de ressources naturelles. Il ne comporte donc pas de dispositions relatives au gaz de schiste. Un État qui n’aurait pas autorisé l’exploitation du gaz de schiste sur son territoire ne pourrait absolument pas être attaqué par une entreprise pour ce motif dans le cadre d’une procédure éventuelle de règlement des différends entre un investisseur et un État. Ces domaines-là continueront bien à être régis par les réglementations nationales, outre les dispositions européennes sur le marché carbone. Avis défavorable donc.
Le texte initial concernant les implications environnementales a été modifié en commission.
Madame la secrétaire d’État, vous devez très bien parler anglais, en tout cas beaucoup mieux que moi. J’ai entre les mains un texte en anglais publié aujourd’hui par le Huffington Post qui fournit des éléments extrêmement intéressants. En effet, ce papier de plusieurs pages très précis et argumenté, explique que le document de négociation secret qui a été proposé aux États-Unis permet de libéraliser complètement le marché transatlantique de l’énergie et des matières premières. C’est bien la démonstration que lorsque l’on n’a pas accès à toutes les informations contenues dans un document considéré comme ultra secret jusqu’au vote final et que l’on ne peut pas intervenir dans les négociations, on ne peut pas, et vous venez de le montrer madame la secrétaire d’État, dire la vérité. Bien sûr, vous ne mentez pas volontairement mais vous n’avez pas vous-même, en tant que représentante du Gouvernement français, tous les éléments vous permettant de dire la vérité.
Permettez-moi, madame, de vous donner cette publication.
Je l’ai déjà !
C’est un texte qui a fait l’objet de fuites il y a une semaine environ et qui concerne des documents de négociation américains. Mais il ne faut pas mélanger les choses, monsieur le rapporteur. Le fait que la Commission ait comme objectif de négociation d’augmenter les importations d’hydrocarbures ou d’énergie en provenance des États-Unis qui, aujourd’hui, sont soumises à des barrières non tarifaires, ne signifie en rien que l’on va autoriser l’exploitation du gaz de schiste sur le territoire européen. Nous allons tenter de limiter les barrières à l’importation des hydrocarbures en provenance des États-Unis, mais certainement pas permettre l’exploitation du gaz de schiste sur le territoire.
Ce que j’ai dit tout à l’heure n’est pas mensonger. Je le répète, l’exploitation du gaz de schiste ne sera pas autorisée en France ou en Europe dans les pays qui ont fait ce choix, et aucune entreprise américaine ne pourra faire condamner l’État à raison d’une interdiction d’exploiter le gaz de schiste.
Je veux soutenir l’amendement que vient de défendre le groupe GDR.
Il faut prendre en compte le contexte international : l’exploitation du gaz de schiste, notamment aux États-Unis, et ses conséquences sur le coût de l’énergie, de même que la ré-exploitation, dans un certain nombre de pays, y compris européens, du charbon qui devient concurrentiel, conduit à penser que les protections que nous serions amenés à apporter avec ce traité transatlantique seraient très vite caduques. Les discussions en cours montrent que l’on est plutôt dans une spirale de baisse des normes, qui jusqu’à présent nous protégeaient, et d’ouverture à un laisser-faire total. Il nous semble donc très important d’adopter cet amendement.
Nous savons les uns et les autres qu’il n’y aura pas de transition énergétique sérieuse et durable, en tout cas qui permettra de changer le logiciel de nos économies et de notre politique de l’énergie, si celle-ci ne se fait pas au plan européen. Or actuellement c’est toute la politique européenne de l’énergie que l’on veut mettre en pièces. C’est la raison pour laquelle nous soutenons cet amendement.
L’amendement no 19 n’est pas adopté.
C’est la poursuite du même débat. Et cet amendement se relie à l’amendement n° 15 qui va venir plus tard en discussion : compte tenu de ce qui s’est passé en Uruguay, nous voulons que soient préservées toutes les avancées en matière de santé, d’environnement, de protection de la biodiversité et des droits humains.
L’amendement n° 14 vise à insérer un alinéa après l’article 19, mais il est éminemment lié à la possibilité, pour les entreprises privées, non pas d’imposer l’exploitation des gaz de schiste, mais de faire condamner l’État pour des dispositions qu’une entreprise considérerait comme attentatoires à son développement. C’est bien là qu’est l’enjeu.
Bien sûr qu’on ne pourra pas obliger les États à prendre des dispositions qu’ils ne voudraient pas prendre, mais – et c’est là qu’il y a là une hypocrisie – on pourra les condamner, comme en Uruguay. Alors que ce pays a pris, s’agissant des mentions figurant sur les paquets de cigarettes, des dispositions totalement conformes à l’accord-cadre de l’Organisation mondiale de la santé, il risque d’être condamné pour cela à payer des indemnités à une firme de tabac. Telle est la réalité d’une intervention supranationale, avec un tribunal arbitral qui condamne financièrement les États. On n’obligera pas les pays à changer leur législation, mais – c’est là, je le répète, qu’est toute l’hypocrisie – on leur imposera des sanctions financières d’une telle ampleur qu’ils seront sans doute conduits à le faire. C’est le coeur du débat, et c’est pourquoi j’invite mes collègues à voter cet amendement n° 14 .
Puis-je considérer que vous avez également défendu l’amendement n° 15 ?
Avis favorable.
L’amendement no 14 est adopté.
Il vise à supprimer l’alinéa 20 de la proposition de résolution telle qu’elle est sortie des travaux en commission. Cet alinéa fait référence à la possibilité de saisir la Cour de justice de l’Union européenne – excusez du peu – pour vérifier la compatibilité de l’accord transatlantique avec les traités européens. Cette disposition est évidemment un moyen pour la majorité de se défausser.
Ce qui est assez remarquable, c’est qu’on nous propose de faire contrôler le futur traité transatlantique par rapport aux actuels traités européens, qui chacun le sait, sont marqués du sceau du libéralisme et de l’orthodoxie budgétaire. Par conséquent, nous ne sommes absolument pas rassurés par cette possibilité offerte par l’alinéa 20 et nous demandons sa suppression.
La commission, qui a majoritairement adopté l’alinéa 20, est défavorable à sa suppression. À titre personnel, je soutiens l’amendement de M. Dolez.
Je veux revenir sur le mécanisme de règlement des différends. Je suis tout à fait d’accord avec ce qu’a dit Cécile Duflot sur les risques attachés à ce mécanisme : il ne faut pas être totalement naïf et je ne voudrais pas paraître simpliste.
Ce que je souhaitais rappeler, c’est que la France, qui n’a jamais autorisé l’exploitation de gaz de schiste, si elle confirmait cette position dans un texte à venir, ne pourrait pas être condamnée par une entreprise, puisqu’elle n’avait pas autorisé au préalable une telle exploitation.
S’agissant du mécanisme de règlement des différends, la France n’était pas du tout favorable à l’inclure dans le mandat. Pourquoi ? Parce que d’habitude, cet outil qui est utilisé dans une centaine d’accords bilatéraux que nous avons avec certains pays est utile quand la justice commerciale des pays avec lesquels on signe ne présente pas de garanties juridiques et procédurales suffisantes pour protéger les intérêts de nos entreprises, qui peuvent se trouver lésées dans leurs affaires. Quand la justice d’un pays n’est pas aux mêmes normes qu’en France, il arrive donc que nous ayons besoin d’un tel mécanisme.
La raison pour laquelle la Commission a souhaité inclure cette procédure dans le mandat est qu’elle ne voulait pas donner l’impression de stigmatiser certains pays en développement avec lesquels nous sommes également en négociations commerciales. Il s’agissait de ne pas donner l’impression d’un certain mépris à l’égard de pays moins avancés, en montrant qu’on n’avait pas besoin de ce mécanisme avec d’autres.
Mais, encore une fois, nous n’étions pas favorables à ce mécanisme, parce que nous pensons qu’il n’est pas forcément utile en l’espèce.
Dès lors que nous avons accepté que le mandat comprenne ce mécanisme, compte tenu des débats et des oppositions qui se sont manifestées dans les opinions publiques – pas seulement en France, mais aussi en Allemagne et dans d’autres pays –, c’est à l’initiative de la France que les négociations sur ce point ont été suspendues en mars, jusqu’au mois de juillet.
En juillet, s’il apparaît qu’il y a une opposition très forte à l’inclusion du mécanisme de règlement des différends et que l’opinion majoritaire au sein de la Commission dit qu’il ne faut pas inclure ce mécanisme, il n’est pas du tout exclu qu’il ne figure pas dans l’accord.
Et dans l’hypothèse où il y figurerait néanmoins, nous en avons fait un point dur. Ce problème fait partie des lignes rouges identifiées par le Gouvernement. Il faut construire ce mécanisme de telle sorte qu’il n’enlève en rien aux États la capacité de réguler de manière souveraine et qu’il soit fait pour protéger les intérêts de nos entreprises, au lieu de nous amener à nous tirer une balle dans le pied.
Nous avons donc trois niveaux de vigilance et je peux vous assurer que ce problème constitue une ligne rouge pour la France dans ces négociations. Sur l’amendement, je donnerai un avis défavorable.
L’amendement no 20 n’est pas adopté.
Il s’agit de rétablir la rédaction initiale de la résolution concernant le mécanisme arbitral de règlement des différends. C’est un point tout à fait essentiel qui justifie que chacun se prononce par scrutin public pour clarifier les débats, car la rédaction actuelle est pour le moins timorée et souligne, ce que nous regrettons vivement, que le groupe majoritaire ne conteste pas le pouvoir donné aux multinationales d’attaquer les États.
Pour notre part, au contraire, nous dénonçons avec force la création de ce tribunal d’arbitrage au service des intérêts privés : une structure qui constituerait, au profit des multinationales, un outil pour s’attaquer aux législations sociales et environnementales des États et pour remettre en cause nos acquis sociaux.
Nous sommes très inquiets, d’autant que l’expérience montre que ces tribunaux donnent systématiquement raison aux entreprises contre les États. Je prends l’exemple du Canada : en vingt ans, le Canada a été attaqué trente fois par des firmes privées américaines, le plus souvent pour contester des mesures prises en vue de protéger la santé publique ou l’environnement, ou pour promouvoir des énergies alternatives. Eh bien, le Canada a perdu trente fois ! Voilà ce qui nous attend. L’introduction d’un mécanisme d’arbitrage est donc une attaque en règle contre la souveraineté des États. Les multinationales imposeront leur volonté aux peuples souverains, en profitant d’un mécanisme juridique opaque dont, de plus, l’impartialité peut être mise en doute. Au regard de la gravité de ses conséquences sociales, nous demandons que la représentation nationale condamne en termes clairs un tel mécanisme, sur lequel s’appuie le traité transatlantique.
Avis défavorable de la commission. À titre personnel, je suis favorable à cet amendement.
La présentation de ce mécanisme ne peut se résumer à dire qu’il s’agit d’une atteinte absolue à la souveraineté des États. Nous sommes liés à une centaine de pays par des accords commerciaux – 97 je crois – qui comprennent un mécanisme de règlement des différends. La France, cette assemblée, ont ratifié un certain nombre de traités commerciaux qui comportaient un tel mécanisme et on ne dit pas qu’on a porté atteinte à la souveraineté des pays avec lesquels nous avons signé.
Ce sont des mécanismes qui permettent de protéger les intérêts des entreprises d’évolutions imprévisibles de la législation ou de la réglementation. Dans l’absolu, la France est liée par des conventions qui prévoient cela.
Maintenant, j’entends bien votre argument selon lequel contracter avec un pays en développement n’est pas la même chose que de signer avec les États-Unis. Le caractère procédurier qu’on reconnaît aux entreprises multinationales fait que ce mécanisme prendra une tout autre dimension. Je suis parfaitement d’accord avec vous sur le fait qu’il faut faire très attention aux procédures et aux modalités, le cas échéant, d’un éventuel dispositif de ce type-là, mais évitons d’avoir un discours général tendant à considérer que ces mécanismes portent atteinte à la souveraineté des États. nous serions alors nous-mêmes responsables d’un certain nombre d’atteintes.
Sur l’amendement no 15 , qui a été défendu en même temps que l’amendement n° 14 , je suis saisie par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. Noël Mamère, sur l’amendement n° 21 .
Il est plutôt rassurant d’entendre Mme la secrétaire d’État nous expliquer la vulnérabilité et la fragilité dans lesquelles nous nous retrouverions avec ce mécanisme de règlement des différends dans le cas spécifique d’un traité avec les États-Unis d’Amérique, et non avec des pays émergents ou en voie de développement.
C’est pourquoi il nous semble que la conclusion politique qui devrait être tirée de cette observation de la représentante du Gouvernement français est de retirer ce mandat et de revoir la copie. Parce que nous savons, comme l’ont dit un certain nombre de mes collègues, que des sociétés multinationales peuvent aujourd’hui attaquer directement des États pour remettre en cause les normes que ceux-ci ont édictées. Le cas du Canada a été évoqué, Cécila Duflot a signalé à deux reprises celui de l’Uruguay, mais nous pourrions aussi parler du Venezuela et d’un certain nombre d’autres pays qui ont été attaqués par des sociétés multinationales. On ne peut pas accepter ce type de règlement des différends qui, après l’abaissement des droits de douane et la porte ouverte à tout avec l’abaissement des normes, ferait entrer le loup dans la bergerie.
Le groupe SRC votera contre cet amendement, considérant que la rédaction votée en commission est plus adaptée, mais je veux ici souligner que nous partageons les mêmes inquiétudes…
Nous avons demandé l’exclusion de ce mécanisme du mandat de négociation dès les résolutions défendues par Seybah Dagoma en juin 2013. Le consultation publique de la Commission européenne étant ouverte jusqu’au 6 juillet, il serait bon que l’Assemblée nationale s’inscrire dans cette consultation publique, pour faire valoir son point de vue. c’est une chose de parler, c’en est une autre de faire.
Une précision ou, plutôt, un élément d’information pour mes collègues. Le 14 octobre 1998 un débat comparable s’est déroulé dans cet hémicycle relatif aux négociations sur l’Accord multilatéral sur les investissements, l’AMI.
À cette occasion, le Premier ministre Lionel Jospin avait demandé le retrait de la France de ces négociations en s’appuyant précisément sur les risques que ce type de mécanisme fait courir à notre souveraineté nationale.
Je le cite, très rapidement : « Or, une chose est de consentir des délégations de souveraineté à une communauté qui est la nôtre, l’Union européenne, selon un processus contrôlé par les États et dans une aventure historique, autre chose est de concéder des abandons de souveraineté à des intérêts privés sous prétexte de la discussion d’un code international d’investissement. »
Vous êtes d’accord, mais vous laissez ouverte la possibilité de recourir à ce type de tribunal arbitral.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants: 45 Nombre de suffrages exprimés: 44 Majorité absolue: 23 Pour l’adoption: 18 contre: 26 (L’amendement no 21 n’est pas adopté.)
Nous en venons à l’amendement no 15 , précédemment défendu.
Je le mets aux voix.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants: 44 Nombre de suffrages exprimés: 43 Majorité absolue: 22 Pour l’adoption: 19 contre: 24 (L’amendement no 15 n’est pas adopté.)
Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :
Suite de discussion de la proposition de résolution européenne sur le projet d’accord de libre-échange entre l’Union européenne et les États-Unis d’Amérique ;
Proposition de loi relative à la modulation des contributions des entreprises ;
Proposition relative aux ouvrages d’art de rétablissement des voies.
La séance est levée.
La séance est levée à treize heures.
Le Directeur du service du compte rendu de la séance
de l’Assemblée nationale
Nicolas Véron