La séance est ouverte.
La séance est ouverte à neuf heures trente.
La parole est à M. Julien Aubert, rapporteur de la commission des affaires sociales.
Monsieur le président, madame le secrétaire d’État chargée de la famille, des personnes âgées et de l’autonomie, madame le président de la commission des affaires sociales, enfin ! Enfin, après trois années d’attente, voici que nous est donnée la possibilité de discuter de l’avenir du RSI, le régime social des indépendants !
Depuis 2013, nous demandons ce débat. En janvier 2015, nous avons à nouveau déposé, avec Bruno Le Maire et une centaine de députés centristes et républicains, une demande de mission d’information. Cette fois-là, le Gouvernement a accepté de s’autosaisir – il faut dire que les ressortissants du RSI battaient le pavé par milliers –, mais la majorité a été assez… délicate pour nous laisser à la porte, en missionnant deux députés du même parti, M. Verdier et Mme Bulteau. Voilà pourquoi un groupe de travail des Républicains s’est constitué en dehors de la mission Verdier-Bulteau et a abouti à la proposition de loi qui vous est présentée aujourd’hui.
Des dizaines d’auditions, plusieurs séances en province avec des représentants du RSI, des experts-comptables et des indépendants, une consultation en ligne, des centaines de messages de détresse de cotisants à bout de nerfs ont permis d’accoucher d’une réflexion en douze articles.
La manière dont s’est déroulée la réunion de la commission des affaires sociales la semaine dernière m’a profondément attristé. Tout en partageant 99 % de notre diagnostic, la majorité a écarté une à une nos douze propositions, au nom du rapport Verdier-Bulteau, rendu public en septembre 2015 et qui semble être devenu la potion magique du village gaulois. Le plus vibrant signal de cette ouverture d’esprit fut donné par Mme Bulteau, que je cite : « Laissez-nous travailler. Laissez travailler le Gouvernement avec le RSI sur la base des propositions qui ont été faites. Nous allons proposer qu’un représentant de l’opposition siège au comité de suivi. […] Je propose que nous rejetions toute la proposition de loi. »
Mme Bulteau est bien généreuse d’avoir découvert le secret du feu et de nous faire l’aumône d’une braise refroidie !
Trois faiblesses caractérisent le raisonnement des rapporteurs.
Premièrement, ils se sont appuyés sur les données du RSI, tout en reconnaissant que celles-ci sont floues. Le rapport note, page 13, que « le RSI ne dispose d’aucune vision en direct sur les flux d’encaissement et de paiement » et, page 15, que les rapporteurs n’ont pas pu obtenir d’état précis et global des solutions de contournement existantes du système d’information défaillant et de leur impact, la gestion des dysfonctionnements se faisant au prix d’un surinvestissement humain « qu’il n’a pas été possible de quantifier ». Pour remédier à ce problème, nous proposons à l’article 8 de la proposition de loi un contrôle accru du RSI par la Cour des comptes.
Deuxièmement, malgré ce manque de données précises, les rapporteurs prennent pour thèse principale, page 8 du rapport, que les anomalies constatées aujourd’hui seraient liées au fait que le RSI fonctionnerait bien mieux qu’avant, ce qui aurait fait ressurgir des problèmes de taxation pour les années où il fonctionnait mal et serait générateur d’incompréhension ou de colère. Voilà qui est contre-intuitif, et surtout faux, car, malheureusement, les dysfonctionnements perdurent bel et bien, comme le démontrent d’ailleurs les rapporteurs qui estiment, en page 14, qu’« il est à craindre qu’une part non négligeable des dysfonctionnements soit appelée à perdurer tant que l’architecture des systèmes d’information ne sera pas totalement revue et transformée » : cela prouve qu’un « ripolinage » ne suffira pas. Les dysfonctionnements du RSI ont une cause structurelle, fort bien soulignée dans le rapport, liée à son organisation informatique.
Troisièmement, les rapporteurs se trompent d’outil et de combat, en proposant de s’appuyer sur un RSI « new age » pour restaurer la confiance, alors qu’ils reconnaissent eux-mêmes que le climat de méfiance envers le régime n’a cessé d’empirer depuis la fin de l’année 2014 pour des raisons structurelles, et cela alors même que Marisol Touraine pronostiquait ici même en novembre 2013, dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2014, que « l’année 2014 verra[it] la résolution de ces problèmes. » On ne résout pas les problèmes logistiques d’une entreprise en nettoyant la vitrine !
Faute de recommander le changement de la colonne vertébrale informatique du RSI, le rapport multiplie les mesurettes cosmétiques. Il suggère d’améliorer la qualité de service par internet, alors qu’il indique, en page 11, que seulement un tiers des assurés utilisent les moyens dématérialisés. Il souhaite rendre plus lisible les courriers du RSI en revoyant les modèles de lettres, alors que le problème est plutôt dans les additions de chiffres. Il promeut naïvement des « réunions Tupperware » avec les partenaires, pour faire de la sensibilisation.
Alors que le rapport Verdier-Bulteau prescrit de l’homéopathie pour patienter, nous réclamons, nous, des antibiotiques pour guérir. Au travers de cette proposition de loi, nous souhaitons qu’en attendant la chirurgie lourde, les dysfonctionnements structurels ne handicapent pas la vie des entreprises et nous proposons que ce soit le Parlement qui restaure la confiance dans le RSI en contraignant ce dernier à une réforme copernicienne.
Il faut passer d’un régime qui considère tout ressortissant comme un fraudeur en puissance à un régime où ce serait au RSI de prouver la mauvaise foi ou le mauvais calcul du cotisant.
Nous proposons donc, à l’article 1er de notre proposition de loi, l’arrêt du recours systématique aux huissiers, sauf décision du tribunal. L’action 16 du rapport Verdier-Bulteau vise à privilégier la signification des actes de recouvrement par lettre recommandée avec accusé de réception plutôt que par huissier pour « les cotisations d’un montant peu élevé », mais c’est esquiver le problème central, à savoir que le régime demande des sommes astronomiques, qui, même après la réforme Verdier-Bulteau, seront réclamées par huissier, alors qu’elles ne sont pas fondées en droit. Voilà pourquoi notre formulation nous semble plus opérationnelle.
Nous proposons, pour diminuer le nombre des contentieux, d’établir dans l’article 2 une obligation de recourir au médiateur du RSI avant toute procédure contentieuse. Cela serait complémentaire du douzième axe d’action du rapport Verdier-Bulteau, qui prévoit plus de médiateurs de terrain pour résoudre les litiges. Le rapport met l’accent sur un recours personnalisé par téléphone avant d’envisager un recouvrement forcé, mais c’est un voeu pieux, le RSI étant connu pour ne pas arriver à gérer les appels entrants, faute de moyens humains suffisants. D’après les chiffres fournis par le rapport, le taux de décroché est de dix points inférieur à celui du régime général – sachant que dans certaines caisses, il est quinze points inférieur à la moyenne.
Le rapport Verdier-Bulteau note la relative volatilité des flux de ressortissants au RSI, avec 480 000 sorties du régime pour 520 000 entrées entre 2012 et 2014. Nous pensons qu’une partie de ces sorties sont explicables par une « fuite » vers le régime général ; d’où l’article 4 de la proposition de loi, qui permettrait aux indépendants de s’affilier au régime général sans modification de leur statut. Nous saurions ainsi combien d’indépendants migrent pour échapper aux travers du RSI. Notre proposition est à la fois plus ambitieuse et plus simple que le rapport Verdier-Bulteau, qui entrouvre cette possibilité uniquement pour un assuré relevant de plusieurs régimes pour les seules prestations d’assurance maladie.
Nous proposons, via l’article 5 de la proposition de loi, de donner la possibilité aux indépendants de calculer et liquider eux-mêmes leurs cotisations et contributions sociales. Nous rejoignons ainsi le voeu émis par les rapporteurs socialistes, qui souhaitent timidement qu’un test, limité géographiquement, soit effectué, le dispositif actuel devant être, en attendant, revu à la marge.
L’article 7 de la proposition de loi simplifie les relations entre l’URSSAF et le RSI en transférant l’intégralité du recouvrement à la première. Cela fait écho à votre rapport, madame Bulteau, qui estime que « l’organisation bicéphale au plan national comme régional [est] source de complexité, peu lisible pour les assurés » et qu’il « reste à clarifier les compétences et la responsabilité de chacun des deux partenaires ». Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 prévoyait de faire la même chose, mais de manière plus timide.
Le rapport Verdier-Bulteau affirme – c’est l’action 15 – la nécessité d’allonger les délais laissés aux indépendants pour régulariser leur situation après une mise en demeure, mais sans apporter de précision et, surtout, sans s’interroger sur les dysfonctionnements qui peuvent aboutir à des mises en demeure intempestives. Nous proposons donc, à l’article 9, un étalement du règlement des cotisations en cas de difficulté financière, sans majoration, de droit, jusqu’à trente-six mois. Cette proposition simple permettra de lisser, comme le fait la Mutualité sociale agricole, la variabilité saisonnière d’activité et de donner plus de souplesse, notamment pour amortir le choc d’un commandement à payer qui ferait l’objet d’une contestation.
Nous proposons, à l’article 10, l’envoi régulier du relevé récapitulatif des cotisations retraite à partir d’un certain âge, ce qui répondrait à la constatation faite par le rapport Verdier-Bulteau, selon lequel « le RSI n’est pas en mesure de faire régulièrement l’information de ses assurés au titre du droit à l’information et nombre d’assurés rencontrés par la mission l’ont déploré » ; le rapport demande d’ailleurs une systématisation de l’information des assurés.
Nous proposons, à l’article 11, un droit opposable à la retraite, avec une pension de retraite versée quatre mois après la demande faite par le cotisant. Le rapport Verdier-Bulteau reconnaît que le nouvel outil de gestion des retraites livré en 2013 a provoqué « un retard très important dans la mise en oeuvre des droits des assurés ». Actuellement, seuls 56 % des dossiers de mise en paiement des droits propres sont traités dans les délais.
Enfin, les articles 3 et 12 de la proposition de loi évoquent l’idée, non abordée par le rapport, de mener deux études, l’une sur l’indemnisation des naufragés du RSI, ceux qui ont tout perdu à cause des dysfonctionnements passés, l’autre sur la création d’un bouclier social pour les indépendants, de manière à plafonner les cotisations et que les indépendants conservent un revenu minimal décent, fruit de leur travail.
Mes chers collègues, je me permettrai, après tous ces développements techniques, un petit mot personnel et une mise en garde solennelle. La situation sociale de notre pays est extrêmement dégradée. J’ai moi-même eu au téléphone des entrepreneurs tentés par le suicide ou en pleine dépression.
Depuis le départ, nous tenons le même discours : la responsabilité de la droite est de reconnaître qu’elle a lancé une réforme qui ne s’est pas bien déroulée en 2006-2008 et de proposer une solution ; la responsabilité de la majorité est de sortir du jeu de théâtre « c’est pas moi, c’est toi » et d’accepter que si nos douze propositions ne sont pas forcément la solution unique, il y a lieu de les discuter, de les amender et de travailler de manière constructive.
Une démocratie mature se caractérise par la capacité qu’ont les parlementaires à coopérer lorsque l’urgence se fait sentir.
Depuis plusieurs semaines, j’ai rencontré des centaines d’indépendants : le simple fait de prononcer le mot « RSI » leur fait lever les yeux au ciel. Vous commettriez une faute politique grave en jouant un coup tactique consistant à jeter cette proposition de loi aux oubliettes. Si vous vous essuyez les pieds sur le malheur du peuple, ne vous étonnez pas de sa colère !
Sur d’autres plateaux et en d’autres lieux, on se désespère de la montée du vote protestataire ou de l’abstention, et l’on invoque la République comme barrage. La République, c’est l’UDI, les Républicains, le parti socialiste ; il est bien de l’invoquer, il est mieux de la faire vivre, dans les faits, en mettant de côté les querelles de paternité puériles et en agissant.
Posez-vous la question, mes chers collègues : pourrez-vous expliquer demain aux artisans, commerçants et indépendants de vos circonscriptions et de vos communes, les yeux dans les yeux, que cette proposition de loi était inutile et que rien de bon ne pouvait venir d’un texte cosigné par un tiers de la représentation nationale ? Comme le disait Winston Churchill, la stratégie est belle, c’est un fait, mais n’oubliez pas de regarder le résultat !
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de la famille, de l’enfance, des personnes âgées et de l’autonomie.
Monsieur le président, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, nous nous retrouvons aujourd’hui pour examiner la proposition de loi portant réforme du régime social des indépendants. Je vous prie tout d’abord d’excuser l’absence de Marisol Touraine, qui présente ce matin le plan national 2015-2018 pour le développement des soins palliatifs et l’accompagnement en fin de vie.
La proposition de loi vise, selon ses auteurs, à répondre de manière « simple et pragmatique » aux dysfonctionnements du RSI. Mais le pragmatisme n’exclut ni la cohérence ni l’honnêteté intellectuelle.
L’honnêteté intellectuelle, ce serait d’abord de reconnaître que la « catastrophe industrielle » qu’a constitué la mise en place du RSI, comme l’a dit la Cour des comptes en 2012, c’est bien la précédente majorité, votre famille politique, qui en est à l’origine.
L’un des premiers signataires de ce texte était même aux responsabilités lorsqu’ont été adoptés les textes créant le RSI et instituant « l’interlocuteur social unique » pour le paiement des cotisations ! Cette réforme, que la Cour des comptes a qualifiée de « mal construite » et « mal mise en oeuvre », c’est votre réforme.
Chercher des solutions fonctionnelles, concrètes, ce serait plutôt s’engager derrière le travail remarquable mené par vos collègues députés Sylviane Bulteau et Fabrice Verdier, qui ont proposé des solutions concrètes à des difficultés que tout le monde déplore ici.
Le Gouvernement, lui, n’a pas attendu la période préélectorale pour agir. Notre engagement à travailler à l’amélioration du fonctionnement du RSI est total, et c’est dans cette démarche que nous nous inscrivons depuis trois ans. À la suite de la mission Bulteau-Verdier, nous avons annoncé en juin dernier vingt mesures visant à améliorer la qualité de service du régime. Ces mesures, elles sont non seulement concrètes, mais elles sont efficaces, et les résultats sont déjà au rendez-vous.
Mais je rappelle aussi que des décisions ont été prises depuis 2012, et qu’avant la dernière mission parlementaire, les sénateurs Cardoux et Godefroy avaient aussi émis des préconisations qui ont été largement suivies par le Gouvernement.
Le texte que nous examinons aujourd’hui est très loin de répondre aux défis.
Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.
Il n’est pas à la hauteur des enjeux, parce qu’il ne fait que reprendre à la baisse des décisions que le Gouvernement a déjà prises et parce qu’il ouvre des risques de détournement importants et conduirait à déstabiliser profondément la protection sociale des indépendants. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement y est défavorable.
Vous avez rédigé votre PPL en partant de ce que vous aviez fait, et ce, sans tenir compte du fait que nous ne vous avions pas attendu. Fort heureusement, nous avons agi depuis 2012 pour répondre aux difficultés des indépendants.
Sur de nombreux points, cette proposition de loi n’est qu’une pâle copie, déformée, des mesures prises par le Gouvernement.
Je ne citerai ici que quelques exemples.
S’agissant du recouvrement des cotisations, vous proposez d’empêcher le recours à des huissiers sans décision de justice préalable. Faut-il vous rappeler que le Gouvernement s’est déjà fixé pour objectif de remplacer massivement les assignations par huissier par des lettres recommandées ? Cette mesure concernera l’ensemble des créances de cotisation d’un montant peu élevé, la cible étant la suppression de 80 000 actes d’huissiers.
Dans le même registre, vous proposez une conciliation systématique avant toute mise en demeure. Ce faisant, votre proposition ignore tous les travaux déjà entrepris. Des contacts amiables par téléphone sont désormais organisés avant toute relance écrite. Vingt-cinq des vingt-huit caisses du RSI ont par ailleurs mis en place cette année des médiateurs de terrain pour résoudre les litiges.
S’agissant du paiement des cotisations, vous proposez d’ouvrir une possibilité d’étalement du paiement sur trente-six mois en cas de difficulté. Non seulement ces reports sont déjà possibles, mais les indépendants peuvent même réduire leurs versements en cours d’année, sans même avoir besoin de demander un étalement, s’ils anticipent que leur revenu sera en baisse. Cette possibilité a été utilisée par 200 000 personnes dès 2014. Les dispositions déjà en vigueur sont donc bien plus efficaces et bien plus ambitieuses que celles que proposez.
Je termine avec la protection sociale des indépendants.
Votre proposition prévoit une information sur les droits à la retraite et un droit opposable au paiement à date des pensions. La première de ces mesures est déjà en place pour l’ensemble des régimes depuis la réforme des retraites défendue par Marisol Touraine en 2014 ; la seconde le sera à compter du 1er janvier 2017, conformément à un décret pris le 20 août dernier.
Je relève enfin que vous nous demandez pas moins de sept rapports supplémentaires, deux par voie d’article et cinq par voie d’amendement. Vous nous parlez notamment d’étudier la mise en place d’un bouclier social pour les revenus les plus faibles. De très nombreux rapports ont déjà été produits par des missions d’inspection, la Cour des comptes et des parlementaires. Par ailleurs, le Haut Conseil du financement de la protection sociale doit travailler cette année sur la couverture sociale des indépendants, l’équilibre entre contributions et prestations, et son adaptation aux évolutions de la population des travailleurs indépendants.
En matière de protection sociale des travailleurs, le Gouvernement n’en est pas resté aux rapports : il est déjà passé à l’action.
Nous avons pris, dès 2012, des mesures pour rendre plus progressives les cotisations sociales payées par les travailleurs indépendants. Au total, ces mesures ont conduit à une baisse de cotisations pouvant aller jusqu’à 700 euros pour les affiliés les plus modestes. Ainsi, 90 % des artisans et commerçants dont les revenus sont de moins de 40 000 euros ont vu leurs cotisations baisser entre 2012 et 2015.
Ces mesures ont été complétées dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016. Les cotisations maladie minimales seront totalement supprimées, ce qui permet, sans hausse de prélèvements, de relever les cotisations minimales d’assurance vieillesse afin de permettre la validation d’un troisième trimestre de retraite, même les mauvaises années. Il y a encore deux ans, les indépendants qui connaissaient une mauvaise année ne validaient qu’un trimestre de retraite en ayant travaillé un an. Afin de permettre la continuité de l’entreprise dans les situations de maladie, nous ouvrons aux travailleurs indépendants un droit au temps partiel thérapeutique. Nous poursuivons, vous le voyez, la démarche engagée depuis 2012 visant à réduire les prélèvements sur les artisans et commerçants les plus modestes tout en améliorant leurs droits.
En voulant obliger les organismes de sécurité sociale à recourir au juge pour obtenir le recouvrement forcé des cotisations dues lorsque les cotisants refusent de payer, vous encouragez les mouvements dangereux qui incitent les Français à ne pas payer leurs cotisations. Nous célébrons cette année les soixante-dix ans de la Sécurité sociale et vous proposez tout simplement d’en saper les fondements !
Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.
Ce type de mesure électoraliste vise à faire oublier la responsabilité très lourde de votre famille politique dans le désastre de la création du RSI. En 2012, près de 300 000 indépendants n’étaient plus en mesure de payer les cotisations dues, 40 % des comptes retraite étaient erronés et que plus de 1 milliard d’euros de cotisations a été perdu du fait d’erreurs multiples.
C’est vous qui avez augmenté les charges ! Vous accablez les indépendants !
Vous demandez aujourd’hui un fonds d’indemnisation des assurés ayant subi un préjudice. S’il s’agit de mettre à jour des responsabilités, elles sont toutes trouvées. S’il s’agit de réparer les préjudices, des dispositions ont d’ores et déjà été prises par ce Gouvernement.
Certains des articles de ce texte auraient, enfin, des conséquences très coûteuses pour les affiliés. Il en va ainsi de la proposition consistant à affilier au régime général des travailleurs salariés, puisque les cotisations au régime général sont, pour un salaire net donné, plus élevées. C’est une très mauvaise initiative qui témoigne d’une profonde méconnaissance du sujet et d’une précipitation faisant fi des conséquences néfastes pour les assurés.
Je pourrais continuer, mais je m’arrête là. Chacun aura compris que ce texte, qui oscille entre la coquille vide et le boulet supplémentaire pour les indépendants de notre pays, n’est pas à la hauteur des enjeux.
Les mesures que nous avons prises depuis 2012 permettent déjà d’apporter une réponse aux difficultés auxquelles le régime social des indépendants est confronté. Les indicateurs montrent que le système se redresse progressivement, même si les indépendants, légitimement, ne supportent plus, après les avoir subies si longtemps, que des erreurs se produisent encore.
Nous sommes évidemment très attentifs à ce que les améliorations soient visibles et perceptibles. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement réunira le 15 décembre prochain un comité de suivi des mesures présentées au mois de juin dernier.
« Ah ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.
Dans l’intervalle, nous refusons que des mesures d’affichage viennent davantage déstabiliser les indépendants dans le but de faire la publicité de leurs auteurs.
C’est la raison pour laquelle le Gouvernement ne soutient pas cette proposition de loi.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Tous les groupes vont maintenant s’exprimer, mes chers collègues. Le petit jeu qui consiste à interrompre l’orateur ne peut que gêner les auditeurs. Essayons de respecter celle ou celui qui a le micro !
Sur un sujet aussi important, madame la secrétaire d’État, je regrette votre sectarisme et votre agressivité. Je regrette que vous n’ayez pas pris le temps d’examiner nos arguments, de comprendre ce qui se passait sur le terrain, et que vous en soyez revenue à cette bonne vieille politique dont les Français ne veulent plus : « Tout va bien, ce n’est pas notre faute, c’est celle du gouvernement précédent ! »
Essayez de regarder un peu plus vers l’avant, essayez de regarder l’avenir, essayez surtout de comprendre le désarroi de tous ces artisans, commerçants et indépendants affiliés au régime social des indépendants qui est devenu le régime spoliateur des indépendants.
Essayez de comprendre que chez ces 2,8 millions d’artisans, commerçants, indépendants affiliés au RSI, il y a du désarroi, de la colère, de l’incompréhension devant la situation qu’ils vivent, et que votre responsabilité en tant que membre du Gouvernement de la République est d’écouter cette colère plutôt que de la balayer d’un revers de main comme si elle ne comptait pas.
Car ce n’est pas nous, les députés de l’opposition, que vous balayez d’un revers de main, ce sont les 2,8 millions d’indépendants qui estiment qu’ils sont mal traités par le régime social des indépendants.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
Derrière, il y a des boulangers, des gérants de bar-tabac, des plombiers, des carrossiers… des gens qui travaillent 50, 60, 70 heures par semaine et qui ne comprennent pas pourquoi, deux ou trois ans plus tard, on vient leur réclamer 5 000, 6 000 euros d’arriérés de cotisation sans leur donner aucune explication.
Vous avez mis en place des appels téléphoniques ? Eh bien, dites-vous qu’il y a encore des milliers d’artisans, de commerçants et d’indépendants qui cherchent désespérément à obtenir un renseignement au téléphone et à qui on ne répond même pas ! Dans une démocratie qui se tient, on respecte le peuple et on respecte ceux dont les interrogations et les inquiétudes ne trouvent aucune réponse.
Derrière ce régime social des indépendants, il y a des personnes qui ne comprennent pas pourquoi le montant de leurs cotisations est aussi élevé ; il y a des gens qui ont travaillé dur, qui ont toujours respecté les lois, toujours payé leurs impôts, et qui ne comprennent pas pourquoi on leur envoie les huissiers pour récupérer des cotisations qu’ils seraient prêts à payer si on leur donnait la possibilité de le faire dans de bonnes conditions et si on répondait à leurs interrogations.
Derrière ce régime social des indépendants, il y a des personnes qui ont travaillé dur pendant trente-cinq, quarante, cinquante ans, qui ont toujours respecté les règles, toujours versé leurs cotisations, toujours financé leur régime de retraite, et qui, au moment où elles voudraient partir à la retraite après une vie entière de travail, se voient expliquer : « Ah, la liquidation de votre retraite… Désolé, on ne sait pas faire ! Il faudra attendre six mois, un an, deux ans… » Mais comment pouvez-vous accepter, madame la secrétaire d’État, qu’on laisse dans cette situation-là ne serait-ce qu’un seul affilié du régime social des indépendants ? Comment pouvez-vous balayer d’un revers de main les propositions de l’opposition, qui visent simplement à essayer d’améliorer cette situation ?
La proposition de loi que j’ai cosignée avec Julien Aubert est une proposition de bonne volonté. On peut critiquer certains points, on peut ne pas être d’accord avec d’autres. Mais n’allez pas expliquer que tout va bien, que la situation s’améliore, que le régime social des indépendants ne connaît plus aucun problème !
Ou alors ne vous étonnez pas que les extrêmes montent dans notre pays face à l’incapacité du Gouvernement à entendre la voix de ceux qui souffrent et qui cherchent des réponses à leurs interrogations.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Le régime social des indépendants, vous le savez, c’est, pour 60 %, des hommes et des femmes qui ont un niveau de revenu inférieur au SMIC ; c’est, pour 60 %, des hommes et des femmes qui font bien plus que 35 heures par semaine et qui touchent, à la fin du mois, moins que le SMIC.
Pour des hommes et des femmes de gauche, pour vous, madame la secrétaire d’État, cela mériterait au moins le respect et l’attention, pas l’agressivité dont vous avez fait preuve !
Je conteste l’idée que tout aille bien pour le régime social des indépendants. Je conteste l’idée qu’on ne puisse pas faire mieux. Je conteste l’idée qu’il ne faille pas une réforme de structure permettant au régime social des indépendants de devenir enfin un régime à la hauteur des attentes de ces commerçants et de ces artisans.
« C’est votre faute, nous dites-vous. C’est votre gouvernement ! » Eh bien, j’accepte d’en prendre toute la responsabilité, madame la secrétaire d’État. J’étais directeur du cabinet de Dominique de Villepin lorsque nous avons essayé de mettre en oeuvre cette réforme. Elle n’a pas marché ? Je le reconnais ! Elle n’était pas suffisamment préparée techniquement ? Je veux bien le reconnaître ! Nous avons été incapables de créer un système technique qui permette de répondre aux attentes immédiates et d’établir la transparence indispensable à la légitimité d’un régime social ? Je veux bien le reconnaître ! Mais qu’est-ce que les Français en ont à faire, de ce qui s’est passé il y a dix ans ? Ce qu’ils veulent, c’est regarder ce qui va se passer dans dix ans !
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
La politique de demain ne peut se résumer à un jeu de ping-pong entre la droite et la gauche consistant à se renvoyer la responsabilité de la hausse du chômage, de l’augmentation des déficits ou du niveau de la dette, qu’il est facile de d’expliquer par l’incapacité de l’actuelle opposition.
Nous sommes tous responsables de l’amélioration de la situation des Français et tous comptables de l’amélioration de la situation de la nation française.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains ainsi que sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Madame la secrétaire d’État, je vous demande une nouvelle fois d’étudier avec un peu plus d’ouverture d’esprit la proposition de loi que nous avons déposée avec Julien Aubert et qui a reçu le soutien de nombreux parlementaires de droite et du centre que je remercie de leur présence.
C’est une proposition simple, qui vise à garantir la transparence du montant des cotisations. Elle vise également à garantir que l’indépendant qui veut obtenir des renseignements sur sa situation, et notamment sur le montant de ses cotisations, obtiendra tout simplement quelqu’un – un interlocuteur informé et compétent – à l’autre bout du fil capable de répondre à ses interrogations et de lui fournir les explications nécessaires.
C’est une proposition de loi qui vise à mettre en oeuvre un droit opposable à la retraite. Je ne vois pas pourquoi un tel droit serait reconnu à des millions de Français mais pas aux indépendants, aux commerçants et aux artisans. Jouir d’un droit opposable à la retraite revient tout simplement à reconnaître que celui qui a vécu une vie de travail, mérite, lorsqu’elle s’achève, de pouvoir toucher et liquider sa pension, dans des conditions satisfaisantes, rapides et conformes à l’engagement que vous avez pris devant la nation française.
Telle est notre proposition : elle est simple, responsable et constructive et vise simplement à écouter tous ceux que, avec Julien Aubert et d’autres parlementaires, nous avons rencontrés. Elle vise également à répondre au désespoir de tous ceux qui n’ont plus personne vers qui se tourner, comme au sentiment d’injustice de ceux qui, après avoir travaillé dur, veulent simplement avoir la garantie qu’ils pourront vivre dignement de leur travail.
Un pays qui se porte bien est un pays dans lequel celui qui travaille sait qu’il pourra vivre correctement des fruits de son travail. Un pays qui se porte bien est un pays dans lequel celui qui a du mérite sait qu’il pourra s’élever socialement. Un pays qui se porte bien est un pays dans lequel chacun sait, qu’il soit indépendant, fonctionnaire, qu’il travaille dans le secteur public ou sous un régime privé, que son droit à la retraite sera garanti dans les meilleures conditions possibles pour récompense du travail qu’il a fourni toute sa vie durant.
Madame la secrétaire d’État, je vous conjure, dans les circonstances politiques si difficiles dans lesquelles nous vivons, d’écouter nos arguments.
Ce sont en effet ceux des personnes que nous avons rencontrées. Écoutez notre proposition : elle est constructive et de bon sens. Comprenez bien que les Français, pas plus que les indépendants et les commerçants, ne pourront plus se satisfaire de petites rustines sur un régime qui prend l’eau de toute part.
Ils veulent une véritable refondation, une véritable reconstruction. Or celle-ci se trouve entre vos mains car c’est vous qui êtes gouvernement, qui avez le pouvoir et qui détenez, aujourd’hui, la responsabilité d’améliorer ce régime.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains ainsi que sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je suis heureux de représenter à cette tribune le groupe de l’Union des démocrates et indépendants et de d’annoncer sans attendre qu’il va, tout naturellement, soutenir cette initiative parlementaire de nos collègues Julien Aubert et Bruno Le Maire.
Il s’agit en effet d’un bon texte. Vous savez, madame la secrétaire d’État, les bonnes idées – et c’est le cas aujourd’hui – peuvent également provenir des groupes minoritaires. D’ailleurs, une bonne partie des dispositions de la proposition de loi dont nous débattons correspond exactement à ce que veulent les travailleurs indépendants ainsi que certains acteurs du RSI. Ces derniers ont fait des propositions en vue de faire évoluer ce régime dont la création remonte, en effet, à dix ans.
Chacun s’accorde à dire que le système est compliqué, et parfois ambigu. Mais l’heure n’est plus à pointer les responsabilités : il faut trouver des solutions aux graves problèmes dont pâtissent 6 millions de ressortissants et 2,8 millions de cotisants. C’est dire toute l’urgence de la situation !
Il y a un mois, comme bon nombre de parlementaires dans cet hémicycle, j’ai été amené à organiser dans ma circonscription une réunion d’information sur le RSI. Madame la secrétaire d’État, je peux vous assurer que le désespoir des travailleurs indépendants atteint dans le pays des proportions inquiétantes.
À l’instar des agriculteurs français il y a encore quelques mois, tous les professionnels dénoncent des charges sociales étouffantes et un système d’imposition jugé confiscatoire.
La persistance de nombreux dysfonctionnements internes, dont Julien Aubert et Bruno Le Maire ont fait état, constitue un autre motif de mécontentement : lenteur et complexité administratives, incohérences dans le traitement des dossiers, réclamations de cotisations sans justification et multiplication des cas de contentieux.
Il n’est pas possible de passer sous silence le fait que plus de 400 suicides de travailleurs indépendants ont été relevés à l’échelle du territoire national. Si, naturellement, un tel chiffre doit être appréhendé avec prudence, il témoigne néanmoins d’une certaine réalité. Le second régime de protection sociale de France est devenu une véritable usine à gaz !
Et pourtant, – et vous l’avez rappelé tout à l’heure, madame le secrétaire d’État –, le problème n’est pas récent. Qualifié de « catastrophe industrielle » par la Cour des comptes en 2012, le RSI a fait l’objet de nombreux rapports pointant tous du doigt l’urgence des réformes.
Aujourd’hui, il est grand temps d’agir, sans attendre et sans tergiverser. C’est pourquoi, je le répète, le groupe UDI soutient la proposition de loi de Bruno Le Maire et Julien Aubert, que nombre de députés centristes ont d’ailleurs cosignée – je ne citerai que François Rochebloine et Yannick Favennec, présents dans cet hémicycle.
Ce texte bien construit intègre des dispositions clairement utiles pour améliorer le fonctionnement du RSI. Je pense, par exemple, à la limitation des actions de recouvrement des cotisations par des huissiers de justice aux seuls cas ayant donné lieu à une décision du tribunal des affaires sociales.
De même, nous sommes naturellement favorables à une généralisation des procédures de médiation préalable prévue à l’article 2. La mise à disposition d’un médiateur spécialisé aux cotisants a été expérimentée avec succès par la caisse de Bretagne, grâce à l’initiative du président de son conseil d’administration, M. Philippe Magrin. Par ses propositions innovantes, ce dernier a représenté et représente encore un véritable fer de lance de la réforme du RSI.
L’objectif de son initiative était d’ailleurs, précisément, d’humaniser les relations entre les services du RSI et les travailleurs indépendants : c’est le rôle traditionnellement dévolu aux médiateurs sociaux.
Au total, en Bretagne, près de 150 dossiers ont été traités grâce à cette médiation et le premier bilan de cette expérimentation est extrêmement positif : j’en veux pour preuve le fait que 80 % des contentieux soient en cours de résolution, grâce à un rééchelonnement des dettes ou à autres moyens.
Parmi les apports importants de cette proposition de loi, j’aimerais également saluer plusieurs mesures de simplification. Coûteuse, inefficace, la logorrhée administrative est en effet non seulement contre-productive, mais dangereuse ! Simplifions donc !
Je salue à cet égard la disposition en faveur des accords implicites prévue à l’article 6, ou encore la généralisation des conventions RSI-Urssaf, inscrite à l’article 7. L’article 12 concrétise la mise en oeuvre d’un bouclier social, c’est-à-dire d’un plafond de cotisations au-delà duquel il n’est plus possible d’opérer des prélèvements. Il vise à sécuriser l’activité des entrepreneurs indépendants.
L’enjeu, enfin, est de faciliter l’activité de ces entrepreneurs, qu’ils soient commerçants, artisans, ou qu’ils appartiennent aux professions indépendantes. C’est pourquoi je souscris tout à fait à la proposition d’étaler le versement des cotisations lorsqu’un cotisant est confronté à des problèmes importants de trésorerie.
Depuis le début de cette législature, le groupe UDI s’est mobilisé, à de multiples reprises, pour dénoncer les dysfonctionnements du RSl et faire des propositions en vue de lui donner une nouvelle orientation. Je salue à cet égard les initiatives qu’avait prises en son temps mon ami François Rochebloine.
Madame la secrétaire d’État, le 10 novembre dernier, j’ai interrogé le Gouvernement sur les difficultés soulevées par ce régime. Mon intervention dans cet hémicycle, lors d’une séance des questions au Gouvernement, ne se voulait pas polémique mais visait à faire des propositions. Or j’ai été profondément déçu de la réponse de Mme Martine Pinville.
J’en profite pour souligner la difficulté que rencontrent les travailleurs indépendants à identifier leur interlocuteur au sein de l’exécutif. Bien sûr, avec Mme Marisol Touraine, vous en représentez, madame la secrétaire d’État, le volet social. Mais ce dossier n’est-il pas également traité par M. Michel Sapin, pour son volet financier, par M. Emmanuel Macron, sous l’angle de l’activité économique, ou encore par Mme Martine Pinville, secrétaire d’État chargée notamment du commerce et de l’artisanat ? À moins que la responsabilité de la réorientation du RSI ne revienne, en définitive, à Mme Touraine et à vous-même ? C’est vraisemblablement le cas, compte tenu, madame la secrétaire d’État, de votre présence aujourd’hui.
En tout état de cause, l’enjeu n’est pas de mettre en cause les responsabilités des uns et des autres, mais d’agir, et d’agir vite !
Dans la continuité des chantiers ouverts par cette proposition de loi, d’autres moyens d’action pourraient aussi être mobilisés. Madame la secrétaire d’État, j’ai personnellement écrit, il y a peu près un mois, au Premier ministre à ce sujet. J’attends sa réponse.
Au-delà de la proposition de loi que le groupe UDI souhaite voir aujourd’hui adoptée, je suis convaincu que les entrepreneurs indépendants se trouvent dans la même situation que les agriculteurs aux mois d’avril et de mai.
Lorsque nous interrogions le Gouvernement sur la question agricole à cette époque, le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt nous répondait : « la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt a été adoptée, ne vous inquiétez pas, nous gérons la situation ». Nous avons vu ensuite, cet été, comment la crise agricole a explosé. Aujourd’hui, les travailleurs indépendants se trouvent dans une situation de détresse similaire.
Le groupe UDI propose donc un plan d’urgence en faveur des travailleurs indépendants qui intègre, à l’instar du plan de soutien à l’élevage français mis en place cet été, un allégement de charges et une baisse des cotisations et des prélèvements obligatoires.
Au-delà de son soutien à la proposition de loi de Julien Aubert et Bruno Le Maire, le groupe demande également l’instauration d’un moratoire sur le RSI. À titre provisoire, les cotisations sociales pourraient être versées sur un compte affecté, le temps de rendre le système de recouvrement plus simple et opérationnel.
Enfin, nous souhaiterions que le projet de loi de finances rectificative pour 2015 intègre une harmonisation des taux de cotisation et des assiettes de recouvrement car en ce domaine, les travailleurs indépendants n’y comprennent plus rien.
Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues le pragmatisme doit l’emporter sur toute autre considération. Notre devoir est de servir les Français, c’est-à-dire d’aider les travailleurs indépendants, forces vives de nos territoires, à exercer leur métier, simplement, sereinement et dignement.
Cette proposition de loi va clairement dans ce sens. C’est pourquoi le groupe UDI salue l’initiative de Julien Aubert et de Bruno Le Maire et votera avec enthousiasme cette proposition de loi.
Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants ainsi que sur les bancs du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous l’avons constaté à plusieurs reprises, le RSI connaît, effectivement, pour le moins quelques problèmes d’organisation.
Créé le 9 décembre 2005, il est né de la fusion de trois caisses de santé et de retraite : celle des commerçants et industriels, celle des professions indépendantes et celle des artisans, avec pour objectif de simplifier les démarches administratives.
Dès le 1er janvier 2008, l’encaissement des cotisations des travailleurs indépendants a été confié aux Urssaf, pour le compte du RSI, dans le cadre de la mise en place de l’interlocuteur social unique. Aujourd’hui, plus de 2,8 millions de personnes cotisent au RSI et 2,1 millions de retraités dépendent de cet organisme qui est, après le régime général, le second régime de protection sociale.
Mais, pour beaucoup, ce régime peine à convaincre. Créé à votre initiative, mesdames et messieurs de l’opposition, lors de la mise en place de l’interlocuteur social unique, il connaît un véritable échec. Disons le haut et fort, tout a été très mal géré par les précédentes majorités, avec, à la clé, de graves dysfonctionnements !
À cet égard, je citerai à nouveau le rapport de la Cour des comptes de septembre 2012 qualifiant le démarrage du nouveau régime de « catastrophe industrielle », faisant en outre état d’une réforme mal construite et mal mise en oeuvre, tout en mettant en exergue de graves perturbations pour les assurés et de lourdes conséquences financières pour les comptes sociaux.
Aujourd’hui, vous nous soumettez une proposition de loi visant à réformer le régime social des indépendants. Faute avouée est à moitié pardonnée, dirons-nous.
Rires sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Avec votre proposition de loi, vous reconnaissez explicitement vos errances en matière de protection sociale.
J’ai bien écouté, monsieur le rapporteur, votre mea culpa, mea maxima culpa. Je ne suis pas plus disposé que cela à citer le confiteor, mais, puisqu’il doit être récité au cours de la pénitence, j’attends le miseratur et l’indulgentiam avec une grande impatience.
Par ailleurs, je ne m’attendais guère, monsieur Le Maire, à entendre dans votre bouche la reprise de l’Internationale sur le thème : « du passé faisons table rase ». Il nous faudra donc naviguer entre pénitence et révolution marxiste pour examiner ce texte !
Revenons à la proposition de loi, qui comporte treize articles et vise notamment à limiter l’appel à des huissiers de justice pour le recouvrement des cotisations par le RSI.
Elle instaure également une procédure de conciliation préalable à tout envoi de mise en demeure par le RSI à un cotisant avant la mise en oeuvre d’une procédure judiciaire.
Avec l’article 3, vous évoquez la création d’un fonds d’indemnisation des cotisants ayant subi un préjudice du fait des dysfonctionnements du RSI.
Par ailleurs, vous proposez à l’article 4 de permettre aux travailleurs indépendants non agricoles qui le souhaitent de s’affilier au régime général de la Sécurité sociale pour une durée de trois ans tacitement reconductible en leur laissant le libre choix du régime dont ils souhaitent dépendre. À ce titre, l’article 4 introduit une option qui rendrait non obligatoire l’affiliation des travailleurs indépendants, ce qui irait à l’encontre de la volonté des syndicats professionnels représentatifs, porterait un coup à la solidarité intergénérationnelle professionnelle, et ne rendrait pas service aux indépendants, qui subiraient une augmentation de leurs cotisations sociales.
En outre, vous proposez de simplifier le règlement des cotisations, d’opter pour l’auto-déclaration et l’auto-liquidation des cotisations et contributions sociales des travailleurs indépendants non agricoles, d’améliorer le calcul et le recouvrement des cotisations sociales, ou encore de faire certifier les comptes du RSI par la Cour des comptes.
L’article 9 prévoit la possibilité d’étaler sur une période ne pouvant excéder trente-six mois le règlement des cotisations sans majoration lorsqu’un cotisant fait face à une diminution substantielle de son chiffre d’affaires annuel, mais cet article est en deçà de ce que le RSI a mis en place en permettant aux cotisants d’anticiper par eux-mêmes une régularisation de revenus.
Enfin, afin de faciliter la liquidation des droits à la retraite des indépendants en fin de carrière, l’article 11 crée un droit opposable à la retraite pour les travailleurs indépendants non agricoles. Là également, il me semble que cet article est déjà mis en oeuvre par le décret no 2015-1015 du 19 août 2015 relatif au délai de versement d’une pension de retraite. Avec ce nouveau droit, dès lors qu’ils auront déposé un dossier complet au moins quatre mois avant la date prévue de leur départ, les futurs retraités auront la garantie de percevoir une pension de retraite sans retard. Si le délai n’est pas respecté, les caisses de retraite commenceront par verser un montant estimé à titre provisoire afin d’éviter à des retraités de se retrouver sans ressources.
Bref, votre proposition de loi semble relativement complète et tente d’aborder certains dysfonctionnements qui ont été soulevés à maintes reprises dans le débat public.
Comme je l’ai souligné auparavant, personne ne nie ces dysfonctionnements, et la majorité en est consciente. C’est notamment la raison pour laquelle le Premier ministre avait confié à Fabrice Verdier et Sylviane Bulteau, le 8 avril 2015, la mission de dresser un état des lieux de l’efficacité du RSI dans sa relation avec ses assurés et de formuler des propositions d’amélioration.
Ainsi, le rapport rendu le 21 septembre 2015 au Premier ministre pointe que la protection sociale des indépendants n’est ni suffisamment lisible, ni suffisamment juste. D’ailleurs, les orientations de ce rapport seront prises en compte lors de l’élaboration de la convention d’objectifs et de gestion que l’État conclura prochainement avec le RSI pour la période 2016-2019. La proposition 20 de ce rapport, qui vise à mettre en place un comité de suivi des mesures décidées et une communication sur un bilan annuel, me semble plus que pertinente.
Si notre groupe reconnaît, comme tout un chacun, que le RSI connaît des dysfonctionnements, nous attendons de connaître le contenu de la convention d’objectifs et de gestion que l’État doit prochainement conclure avec le RSI.
En outre, je tiens à rappeler à cette tribune que notre assemblée a voté une mesure fiscale favorable aux travailleurs indépendants en cas d’affection de longue durée, qui aligne le traitement de leurs indemnités journalières sur celui des salariés, mesure proposée par un amendement de notre groupe des radicaux de gauche et apparentés. Cette disposition, adoptée dans le projet de budget pour 2016, rétablit une égalité de traitement fiscal : les indemnités journalières en cas d’affection de longue durée des personnes relevant du RSI, auquel sont aussi affiliés les dirigeants de sociétés, professions libérales, conjoints associés ou collaborateurs, seront ainsi décomptées du calcul de leur impôt sur le revenu, à partir de 2017.
Vous le voyez, mes chers collègues, nous travaillons toutes et tous ici à résoudre les problèmes liés au RSI.
Avec cette proposition de loi, nous avons l’impression, chers collègues de l’opposition, que vous tentez de corriger vos errances du passé. Qu’il vous en soit ici donné acte.
Dès lors, puisque nous sommes toutes et tous conscients que ce régime mis en place par vos soins connaît plusieurs dysfonctionnements, nous sommes ouverts à la discussion. Débattre de votre proposition de loi sera effectivement le meilleur moyen de pointer à quel point vous avez failli en créant le RSI sans plus de réflexion en amont.
C’est la raison pour laquelle, et j’anticipe un peu, le groupe des radicaux de gauche et apparentés ne votera pas la motion de rejet préalable. Pour nous, il est essentiel de mener un débat dans l’hémicycle afin de mettre en exergue le travail bâclé de l’opposition quand elle était aux responsabilités.
Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, de quoi parlons-nous avec cette proposition de loi sur le régime social des indépendants ?
Nous parlons tout simplement du deuxième régime de protection sociale de notre pays, d’un régime de protection sociale qui concerne 6 millions de ressortissants, près de 3 millions de cotisants, dont plus d’un tiers sont des entrepreneurs, d’un régime qui a recouvré en 2014 plus de 14 milliards d’euros de cotisations et servi plus de 18 milliards d’euros de prestations.
Nous parlons, comme l’a rappelé le rapport sénatorial de juin 2014 relatif à ce régime, d’un régime dont les prestations sont alignées sur celles du régime général, d’un régime dont la structure des cotisations est comparable à celle du régime général.
Nous parlons surtout d’un régime dont l’équilibre est assuré par la solidarité nationale à hauteur de près de 6 milliards d’euros, soit par des mécanismes de compensation inter-régimes, soit par des ressources fiscales affectées, telles que la contribution sociale de solidarité des sociétés.
Nous sommes donc bien loin de la présentation qui en est parfois faite aujourd’hui, présentation relayée volontairement ou, « à l’insu du plein gré » de certains, involontairement – c’est ainsi en tout cas que Bruno Le Maire l’a présenté, et je trouve cela très grave –, celle d’un régime spoliateur, dont les cotisations demandées aux assujettis seraient trop élevées au regard des prestations servies et qu’il conviendrait de remettre en cause.
Sur un sujet tel que celui-là, il faut faire preuve de sérieux et de responsabilité, d’autant plus qu’il en a vraiment beaucoup manqué dans le passé.
Il en a tellement manqué que les dysfonctionnements engendrés par une « réforme précipitée et peu pilotée », selon les termes du rapport sénatorial, ont créé de grandes difficultés aux ressortissants et généré un sentiment d’inquiétude et une perte de confiance dont on voit aujourd’hui les ravages. Ce n’est pas parce que nous considérons que les dispositions de votre proposition de loi ne sont pas opérationnelles, mesdames, messieurs de l’opposition, que nous méconnaissons cette situation dont nous avons hérité.
Le problème, avec la proposition de loi de Bruno Le Maire et Julien Aubert, c’est bien le manque de sérieux et le manque de responsabilité récurrents dont les auteurs font preuve…
Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains
…pour des motifs de circonstance qui n’ont échappé à personne – avec, pour l’un d’entre eux, la circonstance aggravante d’être un récidiviste, mais il l’a reconnu devant nous –, un manque de sérieux et de responsabilité avec des mesures qui, au mieux, aggraveraient les difficultés du régime et, plus probablement encore, finiraient de saper les fondements et la légitimité de ce régime de protection sociale.
Au fond, le seul mérite de cette proposition de loi est de permettre de rappeler qui est responsable de quoi, notamment des problèmes non encore réglés, qui a fait quoi et qui fait quoi pour les régler.
La réponse est d’ailleurs bien simple, les responsables de ce que la Cour des comptes a qualifié en 2012 d’« accident industriel » sont à la droite de cet hémicycle, et ceux qui ont réglé et continuent de régler les problèmes sont à sa gauche.
Une réforme de simplification « mal construite et mal mise en oeuvre », un « lourd échec », auquel n’ont été apportées jusqu’en 2011 que des « réponses insuffisantes et tardives », tout cela pour faire du RSI, six ans après sa création, un régime « moins efficace et plus coûteux que les anciens régimes qu’il a remplacés ». Ce sont les termes exacts de la Cour des comptes. Tel est votre bilan, vous ne pouvez pas être sur ce sujet des donneurs de leçons.
Depuis 2012, de nombreuses mesures ont été prises par le Gouvernement et l’actuelle majorité parlementaire pour améliorer la protection sociale des indépendants. J’en rappelle quelques-unes : division par quatre de la cotisation minimale, vous auriez pu le rappeler : validation automatique de trimestres, vous auriez pu le rappeler ; accompagnement au départ à la retraite, vous auriez pu le rappeler ; liquidation unique de la retraite à compter de 2017, vous auriez pu le rappeler ; modernisation du système de recouvrement et simplification du calcul des cotisations, vous auriez pu le rappeler ; baisse de 1 milliard des cotisations, que vous n’aviez pas faite.
À la suite du rapport de Mme Bulteau et de M. Verdier remis au Premier ministre le 8 juin dernier, le Gouvernement a pris des mesures pour améliorer la visibilité des indépendants sur les cotisations dues et simplifier leur paiement, accélérer les remboursements lors des régularisations annuelles, faciliter les démarches quotidiennes, avec, en particulier, la simplification des règles d’affiliation en cas de multi-activité. Au-delà, il est proposé des réformes structurelles dont certaines viennent d’être adoptées dans le PLFSS.
Au regard de tout cela, que contient cette proposition de loi ?
Sur douze articles, je n’ai trouvé, au mieux, que des propositions en retrait par rapport aux mesures déjà prises ; au pire, des propositions qui iraient à l’encontre des droits des assurés ou qui achèveraient de déstabiliser le régime. Il en est ainsi, en matière de recouvrement des cotisations, de l’article 1er : on voit bien tout ce que l’on peut qualifier de néopoujadisme dans cette proposition,
Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains
qui n’a d’égale, sur ce plan, que celle, inscrite à l’article 12, de mettre en place un bouclier social pour les travailleurs non-salariés. J’ai en tout cas du mal à la relier avec vos propositions, faites dans cet hémicycle lors de l’examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale, de baisser les financements et les prestations. On ne sait pas à la fin qui paierait la protection sociale des non salariés. Peut-être pensez-vous aux salariés.
Je rappelle à propos de l’article 1er que la suspension des recouvrements est justement la pratique que vous avez eue de 2008 à 2012 pour éviter d’avoir à traiter les problèmes, pour qu’ils ne se voient pas. Cela a coûté entre 1 et 1,5 milliard au régime, et cela a contribué à ses difficultés. C’est bien une mesure irresponsable.
La seule mesure qui trouverait grâce à mes yeux, c’est la création d’un fonds d’indemnisation, à une condition : qu’il soit financé par les responsables de ce sinistre industriel et social.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, chers collègues, le groupe les Républicains a choisi de faire examiner la proposition de loi de nos collègues Bruno Le Maire et Julien Aubert dans le cadre de sa niche parlementaire. Ce texte attendu a été cosigné par près de 120 députés.
À la lumière des débats de mercredi dernier en commission des affaires sociales et après avoir écouté les interventions de ce matin, je doute que ce texte trouve grâce à vos yeux et redoute que vous ne le votiez pas, pire, que vous coupiez court à toute discussion, puisque vous défendrez une motion de rejet préalable. Je l’ai bien compris à l’issue de nos débats de la semaine dernière : vous considérez que, depuis la remise du rapport dit Verdier-Bulteau au Premier ministre en septembre dernier, tout va désormais pour le mieux dans le meilleur des mondes. « Circulez, il n’y a rien à voir ! »
Eh bien non, car nous continuons à recevoir des témoignages de cotisants mécontents, voire franchement en colère. Je tiens d’ailleurs à votre disposition les courriers que je reçois. Ils prouvent, s’il en était encore besoin, que nombre de propositions figurant dans le texte de nos collègues Le Maire et Aubert, répondent concrètement aux attentes qui s’expriment sur le terrain.
Je pense plus particulièrement à la mise en place d’une procédure de conciliation préalable à tout envoi de mise en demeure, à la limitation du recours aux huissiers aux seuls cas qui auront fait l’objet d’une décision de justice, à la création d’un fonds d’indemnisation des cotisants ayant subi un préjudice du fait des dysfonctionnements du RSI, à la possibilité ouverte aux indépendants de choisir leur régime de Sécurité sociale, de généraliser l’auto-déclaration et l’auto-liquidation des cotisations et contributions sociales, ou encore à l’instauration d’un « bouclier social ».
Comme je vous l’indiquais en commission des affaires sociales, nous sommes plusieurs députés bretons – je pense en particulier à nos collègues ici présents Philippe Le Ray et Thierry Benoit – à avoir organisé dans nos circonscriptions des réunions publiques auxquelles le président régional du RSI Bretagne a accepté de participer. Qu’il lui soit rendu hommage, car l’exercice n’était pas des plus aisés pour lui. Il nous a de lui-même transmis le compte rendu de nos réunions, que je livre à nos débats, car il confirme le ressenti des artisans et des commerçants et contient des constats et des propositions.
Le poids des charges sociales est ainsi devenu excessif et même confiscatoire. Les indépendants se plaignent de cotisations élevées, de remboursements bien modestes ou d’un niveau de retraite loin d’être assuré.
L’argumentaire selon lequel les cotisations sociales d’un travailleur indépendant sont moins élevées que celles d’un salarié n’est pas admis ni même compris : quand le RSI annonce un taux à 31 %, les indépendants l’évaluent à 47 %. Les cotisants n’admettent pas, à raison, qu’après autant d’années, l’incompatibilité des systèmes informatiques fasse toujours autant de dégâts. Le problème du téléphone demeure. Les numéros 36 48 et 36 98 ne donnent pas satisfaction aux indépendants, et la demande de réintroduire de l’humain dans les relations entre les parties prenantes s’exprime fortement.
Le RSI est perçu comme une administration froide et dure, loin des difficultés de ses ressortissants.
Fort de ces constats, le président du RSI Bretagne a proposé aux administrateurs du conseil national du RSI un plan d’urgence à transmettre au Premier ministre et aux ministres concernés. Je vous en livre les trois objectifs.
Le premier est de rendre totalement opérationnel et dans les meilleurs délais l’interlocuteur social unique. Des propositions figurent en ce sens dans les vingt mesures que le Gouvernement a d’ores et déjà extraites du rapport Verdier-Bulteau. Gageons que le comité d’évaluation, que vous créez et dont nous ignorons toujours la composition, nous tiendra régulièrement au courant des avancées souhaitées – vous avez parlé d’une réunion le 15 décembre, madame la secrétaire d’État.
Deuxièmement, il faudrait soutenir les travailleurs indépendants qui traversent des périodes difficiles par une baisse de leurs cotisations sociales en période critique. Compte tenu de la conjoncture et de la baisse de la consommation en cette fin d’année, il est à craindre, en effet, que le nombre de situations problématiques ne se multiplie.
Enfin, il conviendrait de mettre en oeuvre le chantier intégrant l’allégement des charges et une baisse des cotisations et des prélèvements obligatoires. C’est l’idée du bouclier social, un plafond au-delà duquel les travailleurs indépendants ne seraient plus appelés à cotiser davantage et qui permettrait de leur garantir un revenu préservé.
Il y aurait, par ailleurs un ultime moyen de rétablir la confiance entre les travailleurs indépendants en litige avec le RSI, le moratoire sur les cotisations à titre provisoire et exceptionnel.
Les cotisations pourraient être versées sur un compte affecté, le temps de rendre le système plus intelligible et plus fonctionnel. Je ne me fais aucune illusion sur les chances de voir une telle demande aboutir, mais nous nous sommes collectivement engagés à nous en faire le relais auprès du Gouvernement.
Pour conclure, je pense qu’il y a un consensus pour reconnaître l’urgence de la situation. J’ai bon espoir que les recommandations du rapport Verdier-Bulteau, qui vont dans le bon sens, soient rapidement mises en oeuvre et que nous en soyons tenus informés. J’espère aussi qu’à défaut de donner un avis positif sur les articles de la proposition de loi Le Maire-Aubert, le Gouvernement s’en inspirera fortement. Pour ma part, je voterai ce texte.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la création du régime social des indépendants en 2006, puis la mise en place de l’interlocuteur social unique en 2008, par les majorités précédentes, répondaient à deux objectifs : simplifier la protection sociale des travailleurs indépendants et diminuer les coûts de gestion.
En la matière, l’échec est patent : loin de simplifier la vie des entrepreneurs, le régime l’a considérablement compliquée et ses coûts s’avèrent plus élevés que dans l’ancien système.
C’est l’exposé même des motifs de cette proposition de loi qui le précise, comme avant lui divers rapports implacables, notamment celui de la Cour des comptes en 2012 qui évoquait une « catastrophe industrielle ». On pourrait polémiquer longtemps sur les responsabilités de ce désastre et rappeler à ceux qui se présentent aujourd’hui comme pompiers qu’ils ont été hier pyromanes.
Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.
Le Gouvernement et la majorité parlementaire n’ont pas attendu cette proposition de loi pour agir. La loi de financement de la Sécurité sociale pour 2013, puis la loi relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises ont permis de diviser par quatre le montant de la cotisation minimale d’assurance maladie. La réforme du « trois en un », votée en loi de financement de la Sécurité sociale pour 2014 et mise en oeuvre au printemps dernier, permet aussi de mieux ajuster le calendrier de paiement des cotisations au revenu effectivement perçu.
Au sein du régime, les engagements de service ont été renforcés ; l’organisation revue avec la mise en place de cellules mixtes constituées d’agents du RSI et de l’Urssaf ; le système de recouvrement modernisé et le calcul des cotisations simplifié. Le rapport parlementaire de nos collègues sénateurs Godefroy et Cardoux, en juin 2014, avait d’ailleurs montré que du chemin avait été parcouru : les délais de réponse se sont réduits et le nombre de réclamations a diminué.
Toutefois, des dysfonctionnements persistent et c’est la raison pour laquelle le Premier ministre a confié à Sylviane Bulteau et à Fabrice Verdier une mission visant à dresser un état des lieux de l’efficacité et de la qualité du RSI dans sa relation avec ses assurés et à formuler des propositions d’amélioration. Je veux saluer pour leur travail nos collègues, qui ont remis deux rapports en un temps record et avancé des propositions concrètes : certaines ont été mises en oeuvre immédiatement par le Gouvernement, d’autres ont été introduites dans les textes budgétaires, d’autres encore doivent faire l’objet de décrets imminents, tandis que les dernières inspireront la prochaine convention d’objectifs et de gestion entre l’État et le RSI.
C’est parce qu’un travail a été engagé, que des solutions sont appliquées et qu’un comité de suivi sera mis en place le 15 décembre pour en mesurer les résultats que je reste très perplexe devant cette proposition de loi. Celle-ci n’apporte rien de nouveau par rapport à ce qui a déjà été mis en oeuvre. Ainsi, l’article 1er, qui vise à empêcher le recours à des huissiers, sans décision de justice préalable, ignore totalement le système de recouvrement amiable mis en place depuis 2013 par le Gouvernement et la nouvelle procédure d’envoi de lettres recommandées engagée en cette fin d’année.
Il en est de même pour l’option d’affiliation au régime général et la possibilité de déléguer aux Urssaf le calcul et l’encaissement des cotisations des professions libérales. Je voudrais rappeler aux députés de l’opposition que ces mesures sont en partie prévues par les articles 39 et 12 du PLFSS adopté lundi, deux articles qu’ils avaient proposé de supprimer. Cherchez l’erreur !
Je pourrais multiplier les exemples de mesures qui sont, en réalité, déjà satisfaites par le droit en vigueur. Il en est ainsi de la possibilité d’étaler les cotisations sur trente-six mois, déjà permise par la réforme du « trois en un », des relevés de situation individuelle – la loi de 2014 sur les retraites a renforcé les obligations d’information aux assurés – et de la garantie minimale de paiement des pensions, assurée par le décret du 19 août sur le droit opposable à la retraite.
Quant à la mise en place d’une option pour l’auto-liquidation des cotisations, l’article 29 de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2014 a généralisé la possibilité pour les travailleurs indépendants de procéder à la déclaration anticipée de leurs revenus, ce qui leur permet de réduire le décalage entre leur perception et le paiement des cotisations. Par ailleurs, le Gouvernement s’est engagé à réaliser l’évaluation, préconisée par le rapport Bulteau-Verdier, de l’auto-liquidation à titre expérimental.
Pour conclure, je comprends la volonté des députés de l’opposition de réparer leurs erreurs d’hier.
Mais l’amélioration du fonctionnement du régime est en cours, des actions cohérentes sont engagées pour qu’elle se poursuive et s’accélère, et on ne peut pas risquer de tout remettre en cause par quelques mesures d’affichage désordonnées.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le régime social des indépendants est né d’une volonté de simplification administrative : un interlocuteur social unique pour près de 2,8 millions de cotisants et 7 millions de chefs d’entreprises indépendants, actifs et retraités, d’artisans, de commerçants, d’industriels et de professionnels libéraux. Il ne concerne pas moins de 31 000 cotisants, chez moi, en Haute-Savoie.
Cette intention était louable et attendue par tous ceux qui produisent de la richesse dans notre pays. Mais force est de constater, après sa mise en oeuvre, que la qualité du service rendu n’a pas été et n’est toujours pas à la hauteur des espérances et des attentes légitimes de ces millions de personnes représentant les forces vives de notre pays.
Les dysfonctionnements sont très nombreux, trop nombreux. Pour n’en citer que quelques-uns : mécanisme de calcul des cotisations complexe et incompréhensible ; appels à cotisation injustifiés ; recours systématiques aux huissiers ; retard de versement des retraites ; absence de dialogue et de suivi des dossiers. C’est une déshumanisation totale du système. Tous ces dysfonctionnements fragilisent les entreprises, menacent leur pérennité et brisent des familles et des vies.
Chaque semaine, sur le terrain, dans nos permanences, les personnes assujetties au RSI nous font part de leurs grandes difficultés. Avec mes collègues Bruno Le Maire, Julien Aubert et plus d’une centaine de députés, nous avons multiplié les initiatives : demande de création d’une commission d’enquête en 2013 ; demande d’une mission d’information en 2014. Toutes ont été rejetées.
Dans le même temps, le Gouvernement confiait à deux députés socialistes une mission sur le RSI.
De notre côté, nous avons mené nos propres auditions et rencontré tous les acteurs, les cotisants, les ayants droit et les administrateurs du RSI. J’ai, comme beaucoup de mes collègues, organisé des réunions publiques dans ma circonscription. J’ai entendu les critiques, la colère et la désespérance de ces femmes et de ces hommes. Nous les avons écoutés et nous les avons entendus !
C’est pourquoi nous vous proposons d’adopter une proposition de loi qui est le fruit de cette réflexion commune et collective. Voici douze mesures concrètes, pragmatiques et nécessaires, pour redonner du souffle et de la vie à ceux qui font la richesse et le talent de nos territoires et de notre pays. Qui peut s’opposer à la simplification et à la clarification du calcul et du règlement des cotisations ? Qui peut s’opposer à une proposition de création d’un fonds d’indemnisation des cotisants, quand des fautes et des erreurs ont été commises par les gestionnaires du RSI ?
Qui peut s’opposer à l’instauration d’une procédure de médiation préalable à tout envoi de mise en demeure ? Qui peut comprendre qu’un huissier de justice soit autorisé à se rendre dans l’entreprise sans le préalable d’une décision de justice ?
Ces propositions ne sont rien d’autre que la traduction concrète des droits de la défense auxquels a droit tout citoyen français, fût-il affilié au RSI. Comment ne pas comprendre la demande d’étalement du règlement des cotisations en cas de diminution du chiffre d’affaires ? Ce n’est qu’un principe de bon sens, pour redonner un peu de respiration à tous ces entrepreneurs en difficulté passagère.
Qui peut s’opposer à la création d’un droit provisoire au versement d’une pension dans les quatre mois après le départ à la retraite ? Là encore, c’est un principe de bon sens et d’équité : permettre à ceux qui ont travaillé toute leur vie, plus de 60 heures par semaine, de vivre et de disposer de ressources dans l’attente du calcul définitif des droits à la retraite – calcul qui prend parfois des années, notamment lorsque les dossiers ont été perdus.
Nous ne sommes pas dans une posture politique ni politicienne, contrairement à vous qui avez, en commission, rejeté toutes nos propositions et qui sans doute – nous n’avons guère d’illusions – allez faire de même aujourd’hui. Nous avons simplement à coeur, avec force, avec conviction, avec Bruno Le Maire, avec Julien Aubert,…
Sourires.
…avec tous les députés du groupe Les Républicains et tous ceux qui nous ont suivis, de défendre les intérêts des artisans, des commerçants et des indépendants ! Notre seul but, notre seule volonté, est de défendre ceux qui font vivre la France.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, il est exact que le sujet est sensible et difficile. Sensible par le nombre de personnes concernées : 6,1 millions, dont 2,8 millions de cotisants. Difficile compte tenu de ses incidences économiques pour nombre d’artisans et de petites entreprises, mais également, sur le plan humain, des conséquences que les difficultés du RSI entraînent sur les vies personnelles des travailleurs indépendants.
La situation actuelle est née d’une faute de conception, d’une réforme mal construite, mal mise en oeuvre, avec une mésestimation complète des contraintes techniques selon les rapports consacrés au RSI. Cette faute de conception est née de la précipitation, du fait de ne pas avoir voulu entendre les remarques déjà faites à l’époque, ce qui amène à s’interroger sur le calendrier de cette réforme – juste avant les échéances législatives de 2007.
Cette proposition de loi aurait donc sa pertinence si rien n’avait été fait depuis 2012. Or, la loi de financement de la Sécurité sociale de 2013 et la loi sur l’artisanat, le commerce et les TPE de 2014 ont permis de diviser par quatre le montant de la cotisation minimale d’assurance maladie, passée de 980 euros à 247 euros – mon collègue Dominique Lefebvre l’a déjà rappelé, mais la répétition fait partie de la bonne pédagogie Cette dernière loi a permis aux travailleurs indépendants aux plus faibles revenus de valider automatiquement deux trimestres de retraite au lieu d’un seul. En janvier 2015 a été mis en place l’accompagnement du départ à la retraite pour les travailleurs indépendants en fin de carrière dont la situation financière est difficile. De plus, la liquidation unique de la retraite permettra, à compter de 2017, que les pensions des polypensionnés, soit presque tous les indépendants, soient calculées par un seul régime. Les engagements de service ont été renforcés, qu’il s’agisse du délai de réponse ou du traitement des réclamations. le système de recouvrement a été modernisé, le calcul des cotisations simplifié. Enfin, dans le cadre du pacte de responsabilité et de solidarité, les travailleurs indépendants ont bénéficié d’une baisse d’un milliard de leurs cotisations au titre des allocations familiales. Tout cela a été reconnu comme des avancées, et pas exclusivement par la majorité – je pense au rapport de la mission d’information du Sénat, coprésidée par un élu de la majorité et par un élu de l’opposition, qui a montré le chemin parcouru.
Pour autant, personne ne dit qu’il n’y a plus de difficultés. Il faut avoir l’honnêteté de reconnaître que nous ne sommes pas encore au bout du chemin. À entendre mes collègues de l’opposition, il n’y aurait rien d’autre que leur proposition de loi,…
Exclamations sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains
…alors que des mesures d’ores et déjà engagées vont permettre d’améliorer la situation. Je le dis très clairement : ne pas accepter de reconnaître qu’il y a des avancées revient à entretenir un climat laissant penser que, collectivement, nous ne nous préoccupons pas des travailleurs indépendants.
Derrière cette proposition de loi, il s’agit de faire croire que rien n’est fait, et c’est irresponsable ! Au contraire, nous devons montrer que la solidarité nationale s’exprime fortement envers les travailleurs indépendants.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
C’est ce que fait le Gouvernement. Nous n’acceptons pas le leurre que constitue cette proposition de loi.
Mêmes mouvements.
J’ai été frappé par la diversité des différentes interventions.
J’ai noté l’agressivité avec laquelle certains collègues s’en sont pris à nous, sans d’ailleurs nous avoir écoutés. Monsieur Sirugue, je suis tout de même étonné. Vous avez dû écrire votre discours auparavant…
…et vous ne l’avez pas adapté. Vous devriez savoir que la souplesse et la flexibilité font partie de l’homme.
Si vous m’aviez écouté, vous vous seriez rendu compte que j’ai passé la moitié de mon intervention à citer le rapport Verdier-Bulteau, et pas pour dire qu’il est mauvais.
J’ai entendu un autre collègue commencer son intervention en disant que nous ne reconnaissons pas notre responsabilité. Il n’a pas écouté Bruno Le Maire, qui a d’emblée déclaré, comme moi, que nous l’assumions pleinement. Mais nous ne sommes pas ici pour faire de l’archéologie préventive, mes chers collègues.
Sourires et applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
Vous devriez vous apercevoir que vous êtes la majorité depuis trois ans. Il faudrait à un moment donné cesser ce jeu de rôles. Nous reconnaissons que le régime social des indépendants a été initié sous la droite et que vous avez travaillé dessus, mais ce n’est pas le sujet. Il s’agit de mettre en place des réformes internes au RSI en lui faisant confiance, et de les inscrire dans le marbre législatif de manière à les encadrer.
Mon cher Joël Giraud, vous avez dit que cette proposition de loi était mal faite sur plusieurs points en citant, par exemple, le droit à pension, qui a déjà fait l’objet d’un décret. Mais celui-ci n’entrera en vigueur que le 1er janvier 2017 ; adopter cette proposition de loi nous permettrait d’appliquer cette disposition plus tôt.
S’agissant des huissiers, je réponds au collègue qui dit que la réforme a déjà été faite que le rapport Verdier-Bulteau propose de ne plus y recourir pour les impayés de cotisations les plus faibles. Vous comprenez bien, mes chers collègues, que le problème n’est pas un impayé de 50 euros ou de 200 euros, mais de devoir payer 45 000 euros sous un mois. Vous fragilisez celui qui vous appelle en disant qu’il est à bout de nerfs. Nos propositions ne sont pas contradictoires : nous disons qu’il faut d’abord reconnaître que le régime dysfonctionne, ce que personne n’a contesté, le rapport Verdier-Bulteau soulignant lui-même que les dysfonctionnements perdureront jusqu’à une refonte du système informatique, et prendre des mesures exceptionnelles en suspendant le recours à l’huissier tant que ces dysfonctionnements n’ont pas été résolus.
Chers collègues de la majorité, vous considérez qu’il suffit de laisser le système tel qu’il est et de lui faire confiance. Mais vous voyez bien que cela ne changera pas la vie des indépendants de demain, alors que les mesures que nous proposons sont, elles, contraignantes. Si vous voulez laisser la liberté au RSI, je vous renvoie à la phrase de Lacordaire : « Entre le fort et le faible […], c’est la liberté qui opprime, et la loi qui affranchit ». Sinon, c’est le pot de terre contre le pot de fer. C’est pourquoi nous réclamons une loi sur le régime social des indépendants. Je ne suis pas d’accord avec vous, monsieur Sirugue, quand vous dites que nous faisons un coup politique.
Si vous aviez déposé des amendements, je les aurais sûrement acceptés avec beaucoup de plaisir.
Encore eût-il fallu qu’ils soient constructifs. Car notre souhait, depuis le début, c’est d’aboutir à une réflexion bipartisane. Nous portons en effet la responsabilité d’avoir créé le RSI, mais vous portez celle d’avoir fait pour l’instant de l’homéopathie. À l’instant, M. Giraud nous lisait quasiment toute la bible. Je lui réponds : errare humanum est, perseverare diabolicum !
Mes chers collègues, si vous ne prenez pas la balle au bond, si vous ne saisissez pas l’occasion que nous vous donnons de réformer de manière transpartisane, alors oui, nous donnerons le spectacle d’un Parlement qui s’essuie les pieds sur le malheur des gens. Et je ne vous le pardonnerai pas, chers collègues !
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains. – Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Sourires.
Comme l’ont excellemment dit dans la discussion générale Joël Giraud, Dominique Lefebvre, Joëlle Huillier et Christophe Sirugue, bon nombre des points sur lesquels porte cette proposition de loi sont déjà réalisés aujourd’hui.
En ce qui concerne les cotisations sociales, elles ont été divisées par deux pour les indépendants qui ont des revenus faibles ou dont l’activité est déficitaire. Parallèlement, les cotisations sur les revenus les plus élevés ont été déplafonnées, ce qui permet d’accroître la solidarité interne au régime.
Deuxième remarque : les droits des indépendants modestes, plus de 60 % d’entre eux étant des travailleurs pauvres, ont été améliorés et, à partir de cette année, trois trimestres sont validés pour la retraite même lorsque le revenu réel est déficitaire alors que ce n’était qu’un seul trimestre en 2012. La garantie de versement des retraites s’appliquera bien aux indépendants. Lorsque des retards sont constatés, des solutions d’urgence sont prévues – les avances versées sont prélevées sur les fonds d’action sociale du RSI. Le Gouvernement veille à ce que les crédits dédiés à l’action sociale soient dirigés principalement vers les indépendants modestes en difficulté.
Acceptez, monsieur le rapporteur, de prendre en compte l’ensemble des mesures que nous avons déjà mises en oeuvre, y compris l’augmentation du taux de réponse aux réclamations et l’amélioration de la qualité du service individualisé – quatre-vingts équivalents temps plein supplémentaires ont été embauchés en 2015. Dès lors, que reste-t-il dans votre proposition de loi qui n’est pas déjà appliqué ?
Vous et vos collègues avez tous dit à quel point vous assumiez votre responsabilité dans la création du RSI – qui s’est faite, je le rappelle, par voie d’ordonnance. Mais le problème n’est pas tant que vous vous soyez alors trompés – tout le monde peut se tromper –, que la décision que vous avez prise en 2008 quand vous vous en êtes rendu compte. Vous aviez encore du temps devant vous, quatre ans pour conduire une autre réforme, quatre ans pour modifier votre dispositif, et vous avez choisi de suspendre le recouvrement des cotisations, c’est-à-dire de soulever le tapis, de mettre la poussière dessous et de la laisser pour les suivants.
Vous n’avez pas fait le choix de rectifier vos propres erreurs, mais seulement de prendre des mesures qui, certes, dans un premier temps, ont probablement facilité la vie des indépendants… jusqu’à ce que le fond du problème nous rattrape tous. Ainsi, en 2012, la Cour des comptes fait remarquer qu’entre un milliard et un milliard et demi de cotisations n’ont pas été recouvrées, ce qui est source de grandes difficultés. Et que proposez-vous aujourd’hui ? La même mauvaise solution qu’en 2008 : suspendre le recouvrement. Ce n’était déjà pas la bonne décision en 2008, ce n’est l’est toujours pas en 2015, et encore moins au regard des mesures que nous avons prises depuis 2012.
L’idée d’un fonds d’indemnisation est séduisante, mais elle suppose un travail infiniment plus précis pour identifier les préjudices subis, et vous savez fort bien que c’est d’une grande complexité que d’évaluer et de réparer un préjudice économique, et de savoir qui le répare et en fonction de quelle solidarité. Nous, nous avons fait le choix d’un accompagnement des indépendants dans l’évolution du RSI en ayant confiance dans leur capacité à le faire évoluer.
C’est pour toutes ces raisons que je maintiens ce que j’ai dit dans ma première intervention : le Gouvernement demande que soit repoussée cette proposition de loi.
La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires sociales.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, Christophe Sirugue a fait une intervention brillante et très pertinente.
Par ailleurs, je tiens tout de même à rappeler que c’est l’opposition d’aujourd’hui qui a mis en place le statut d’autoentrepreneur. Il me semble que celui-ci n’était pas de nature à rassurer les artisans et les commerçants qui cotisaient. C’est pourquoi nous avons depuis 2012 uniformisé les cotisations et rendu obligatoire l’inscription des autoentrepreneurs au registre du commerce pour éviter une concurrence déloyale. Mes chers collègues de l’opposition, vous n’avez pas toujours été très précautionneux vis-à-vis du travail des artisans et des commerçants.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
J’ai reçu de M. Bruno Le Roux et des membres du groupe socialiste, républicain et citoyen une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 10, du règlement.
La parole est à Mme Sylviane Bulteau.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, avec 6,1 millions de ressortissants et 2,8 millions de cotisants, le régime social des indépendants est, après le régime général, le deuxième régime de protection sociale par ordre de taille.
En 2014, il a servi 17,7 milliards d’euros de prestations dont 8,5 milliards en prestations maladie, 9 milliards en pensions de retraite et 288 millions en pensions d’invalidité-décès. Tous, sur ces bancs, nous connaissons la réalité difficile qui est celle du régime social des indépendants, dont de graves dysfonctionnements ont émaillé l’histoire depuis sa création en 2006, et davantage encore à partir de la création de l’interlocuteur social unique en 2008.
Ces dysfonctionnements ont été à l’origine d’une déstabilisation durable du régime dans son ensemble et d’une sérieuse perte de confiance de ses ressortissants. Le climat de méfiance envers le régime s’est accru au cours de la fin de l’année 2014 et au début de 2015. La contestation, qui renaît périodiquement, dépasse désormais, pour certains groupes d’assurés, le cadre d’un mécontentement, pour s’inscrire dans celui d’une remise en cause du régime lui-même et, parfois, du principe même de l’affiliation obligatoire à un régime de Sécurité sociale. Je rappelle ici que ce régime qui, en 2014, a recouvré 14,5 milliards d’euros de cotisations et de contributions a servi 17,7 milliards d’euros de prestations. Il est donc déficitaire et fonctionne grâce à la solidarité nationale. Si nous comprenons la nécessité de remédier aux dysfonctionnements du RSI, nous refusons, toutefois, la remise en cause de son principe.
Tous, sur ces bancs, nous savons qu’il a fallu attendre 2012 pour que le pouvoir politique, enfin, se préoccupe du sort des indépendants et des difficultés importantes qu’ils rencontraient avec leur régime social. Il a même fallu attendre cette date pour que les cotisations de 40 % des comptes, c’est-à-dire environ 1,5 milliards d’euros de cotisations, qui n’avaient plus été recouvrées depuis 2008, soient de nouveau appelées, afin d’éviter leur prescription. On ne peut imaginer de situation plus ubuesque.
Tous, sur ces bancs, nous avons compris que c’est à l’actuelle majorité que nous devons de s’être emparée à bras-le-corps de ce lourd héritage et d’avoir travaillé à relever un système défaillant. Certains nous reprochent de ne pas avoir suffisamment traité le sujet. Ce sont ceux-là même qui, hier, étaient en responsabilité au moment de la création du RSI, et qui portent donc la responsabilité de la terrible « catastrophe industrielle » dénoncée par la Cour des comptes. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)
Regardez bien le passé dans vos rétroviseurs ! Ainsi, on est sûrs de ne pas bouger !
Sur nos propositions, le Gouvernement comme le RSI lui-même, ont agi. Sur la qualité de service, d’abord.
Depuis le 1er septembre, ce sont de nouveau les services du RSI qui répondent aux appels téléphoniques, et non plus des opérateurs sous-traitants, afin de garantir une meilleure qualité de service et un taux de réponse nettement plus élevé.
En outre, les formalités administratives ont été allégées et facilitées. Des règles d’affiliation simplifiées prévalent lorsque les assurés exercent simultanément plusieurs activités professionnelles : les salariés créant une entreprise peuvent par exemple continuer de recevoir les remboursements de leurs soins par leur caisse primaire d’assurance maladie, sans aucune formalité à réaliser. En outre, la priorité est désormais donnée au recouvrement amiable, qui doit devenir la règle. Enfin, des médiateurs bénévoles, qui ne sont pas des administrateurs du RSI, sont progressivement déployés dans chacune des caisses régionales.
L’action a porté ensuite sur l’amélioration des prestations et le renforcement des droits des travailleurs indépendants, qui, bien souvent, ont le sentiment de ne pas bénéficier de prestations à hauteur de ce qu’ils cotisent.
La régularisation anticipée permet désormais de calculer les cotisations sur le dernier revenu connu, afin de réduire le décalage entre revenus et cotisations, particulièrement pénalisant pour des entrepreneurs dont l’activité peut varier de façon importante. Les remboursements, lors des régulations annuelles, interviennent désormais plus tôt.
Les indépendants peuvent par ailleurs moduler leurs acomptes de cotisations. Nous avons également proposé de réformer le barème des cotisations minimales dues lorsque les bénéfices dégagés sont très faibles ou nuls. Ainsi, les cotisations minimales d’assurance maladie seront totalement supprimées. Cette mesure permettra, à prélèvement constant, de relever la cotisation minimale d’assurance vieillesse de base pour garantir aux indépendants la validation de trois trimestres de retraite par an. Aujourd’hui, un indépendant qui n’a dégagé qu’un faible bénéfice, même en travaillant une année entière, ne valide que deux trimestres. Pour les revenus les plus faibles, le montant des cotisations minimales s’en trouvera diminué.
Nous avons également proposé – et cette mesure forte a été retenue – de ramener à trois jours le délai de carence pour les arrêts de plus de sept jours des indépendants, lesquels, s’ils disposent des mêmes droits que les salariés pour la prise en charge des soins, ne bénéficient pas des mêmes prestations pour compenser leur perte de revenu en cas de maladie.
Enfin, nous avons proposé la création d’un temps partiel thérapeutique pour les travailleurs indépendants, à l’image de ce qui existe pour les salariés. Cette mesure a été votée à l’unanimité lors de son examen dans le cadre de la discussion du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2016.
J’ajoute que la défiscalisation des indemnités journalières en cas d’affection de longue durée a été décidée dans le projet de loi de finances pour 2016. Les indemnités versées aux travailleurs indépendants atteints d’une affection de longue durée et suivant un traitement prolongé accompagné d’une thérapeutique coûteuse seront exonérées de l’imposition sur le revenu à partir de 2017. D’autres dispositions doivent être prises par voie réglementaire ou par le RSI lui-même. Les orientations de notre rapport doivent en effet inspirer la convention d’objectifs et de gestion 2016-2019 que l’État conclura avec le RSI. Comme l’a annoncé madame la secrétaire d’État, un comité de suivi sera enfin installé pour s’assurer de la mise en oeuvre effective de ces mesures nécessaires d’amélioration et de simplification.
Il n’y aura donc pas de grand soir du RSI,…
…Fabrice Verdier et moi-même l’avons dit, tout au long de ces six mois de mission. Ce qu’il faut à tout prix éviter, monsieur Aubert, c’est de créer des difficultés supplémentaires à ce régime encore convalescent.
Votre proposition de loi, mes chers collègues de l’opposition, ne participe pas de ce mouvement. Vous proposez d’empêcher le recours à des huissiers sans décision de justice. C’est ignorer que les procédures de recouvrement sont conduites en privilégiant le dialogue avec l’affilié de bonne foi ; que le cotisant, sur simple demande, peut obtenir la remise des majorations de retard et peut même obtenir la suspension du recouvrement forcé.
Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.
Vous suggérez, mes chers collègues de l’opposition, d’ouvrir la possibilité pour les travailleurs indépendants non-agricoles de choisir entre une affiliation pour une durée de trois ans, renouvelable au régime général de la Sécurité sociale, et une affiliation au RSI. S’il s’agit de permettre aux travailleurs indépendants de conserver leur affiliation au régime général pour le volet maladie, c’est déjà possible en vertu de l’article 39 du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2016. Si vous envisagez d’ouvrir la possibilité pour les travailleurs indépendants de s’affilier complètement au régime général, cela aura des conséquences financières lourdes pour ces derniers.
Un alignement sur le régime général avec une couverture similaire entraînerait une augmentation des cotisations de l’ordre de 30 %. Autant vous le dire toute de suite, les organisations de travailleurs indépendants auxquelles j’ai expliqué votre proposition ont bondi jusqu’au plafond !
Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.
Vous suggérez également de mettre en oeuvre l’auto-déclaration et l’auto-liquidation. Comme je l’ai évoqué plus haut, les travailleurs indépendants peuvent d’ores et déjà procéder à la déclaration anticipée de leurs revenus ainsi que, depuis 2015, à des ajustements de cotisations. Afin d’aller plus loin, nous avons, avec Fabrice Verdier, proposé une expérimentation en ce sens : le Gouvernement s’est engagé à créer une mission sur la simplification du calcul des cotisations, conduite par l’Inspection générale des affaires sociales et l’Inspection générale des finances.
Vous demandez la mise en oeuvre de relevés de situation individuelle. Ce droit à l’information est effectivement important pour les travailleurs indépendants, dont les retraités sont à plus de 90 % des polypensionnés. S’agissant des droits acquis, le relevé de situation individuel tous régimes est déjà prévu par les textes. Les assurés âgés de 35 à 50 ans le reçoivent une fois tous les cinq ans. L’estimation indicative de la future pension est également prévue par les textes. Une estimation indicative globale, valable pour tous les régimes, est envoyée tous les cinq ans aux assurés âgés de 55 ans et plus. Surtout, à partir de 2017, le compte unique retraite permettra au travailleur indépendant d’obtenir en ligne une vision complète et actualisée de ses droits à retraite pour tous les régimes.
Vous proposez d’instaurer une garantie minimale de paiement des retraites, c’est-à-dire le versement d’une pension provisoire au bénéfice des affiliés au RSI lorsque cet organisme prend plus de quatre mois pour traiter la demande de liquidation des droits à la retraite. Cette garantie, qui existe déjà pour le régime général, entrera en vigueur pour le RSI au plus tard le 1er janvier 2017. De plus, dans certaines régions, le RSI verse déjà des avances aux retraités dont la liquidation des droits tarde.
Vous le constatez, mes chers collègues, votre proposition de loi ne résoudra pas les difficultés qui demeurent. Elle ne propose rien de nouveau, rien qui n’ait déjà été décidé. Elle est même parfois en retrait de ce qui a été jusqu’ici engagé.
Le mea culpa que vous avez fait, monsieur Le Maire, est assez touchant. À l’instar de Mme la secrétaire d’État, j’ai toutefois envie de vous demander : qu’avez-vous fait en 2008, en 2009, en 2010, en 2011 et jusqu’en 2012 pour régler les problèmes du RSI, qui étaient déjà connus ?
Vous avez laissé à la dérive, pendant cinq ans, ce système de protection sociale. Venir aujourd’hui nous donner des leçons, de la manière dont vous le faites, est tout de même déplacé.
Je rencontre, moi aussi, les artisans, les commerçants, les indépendants. Une dirigeante avec laquelle je discutais récemment de ce texte m’a répondu avec un sourire : « On n’est pas dupes ! ». Voilà la meilleure réponse à votre proposition de loi.
Applaudissements sur plusieurs rangs sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Oscar Wilde a dit : « Effacer le passé, on le peut toujours : c’est une affaire de regret, de désaveu, d’oubli. Mais on n’évite pas l’avenir. » En conséquence, je vous propose, mes chers collègues, de voter cette motion de rejet préalable.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Permettez-moi, madame la députée, de vous répondre par une autre citation, du général Patton cette fois : « Lorsque l’on fait quelque chose, on est critiqué par trois sortes de personnes : ceux qui font la même chose que vous, ceux qui font l’inverse et surtout ceux qui ne font rien ! »
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.
Nous en venons aux explications de vote.
La parole est à M. Bruno Le Maire, pour le groupe Les Républicains.
J’ignore si les indépendants bondiront jusqu’au plafond en lisant notre proposition de loi, mais ils seront nombreux à tomber de leur chaise en apprenant que le Gouvernement n’accepte même pas que nous discutions, article par article, les propositions de l’opposition pour améliorer le RSI.
Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe Les Républicains et sur plusieurs bancs du groupe de l’Union des démocrates indépendants.
Je regrette que vous évitiez le débat. C’est vous qui fermez la voie à l’avenir.
C’est vous qui fermez la voie à la discussion. Nous pourrions échanger sur de très nombreux sujets : l’autoliquidation fonctionne-t-elle bien ? pourquoi n’est-elle pas ouverte à tous les indépendants ? Discutons-en, c’est un vrai sujet !
Les avances pour les retraites qui ne sont pas liquidées au bout de quatre mois sont-elles véritablement versées à tous les indépendants qui en ont besoin ? Regardons-le, vérifions-le !
Un fonds d’indemnisation pourrait-il être créé ? Comment et avec quel financement ? Regardons-le, discutons-en !
La politique du circulez-y’a-rien-à-voir, qui est celle du gouvernement socialiste sur tous les sujets depuis quatre ans, en particulier sur l’emploi, notamment des jeunes, et sur la situation des indépendants, des commerçants et des artisans, explique aujourd’hui la maladie démocratique de notre pays et la montée des extrêmes.
« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
La parole est à M. Joël Giraud, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
Je me suis déjà exprimé tout à l’heure : notre groupe votera contre cette motion car le débat est essentiel pour mettre en exergue le travail bâclé de l’opposition quand elle était aux responsabilités en 2008.
Notre position n’a pas changé. Je préciserai cependant à M. Aubert que les phrases que j’ai citées ne sont pas issues de la Bible mais d’une prière liturgique latine. Sénèque était par ailleurs le précepteur de Néron et c’est lui qui a dit Errare humanum est. Ce n’est pas forcément la meilleure des références...
La parole est à M. Yannick Favennec, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Alors que son objectif initial était de simplifier la vie des entrepreneurs indépendants, force est de constater que le RSI s’est transformé en un véritable cauchemar pour les 6 millions d’artisans et commerçants qui y sont affiliés.
Déjà, en 2012, la Cour des comptes faisait état de très lourds dysfonctionnements pour les assurés, notamment en ce qui concerne la durée de traitement des dossiers, le recouvrement des cotisations et le remboursement des soins.
Ces graves dysfonctionnements, qui suscitent à juste titre mécontentement et découragement chez les travailleurs indépendants, s’ajoutent à la colère qu’ils expriment régulièrement face aux taxes et aux charges ainsi qu’aux contraintes toujours plus nombreuses qui les asphyxient et entravent leur activité.
J’ai eu l’occasion, comme beaucoup d’entre nous, de rencontrer dans ma circonscription, des commerçants et des artisans découragés par cette situation. Certains doivent affronter des situations économiques et humaines catastrophiques.
À l’UDI, comme le rappelait Thierry Benoit, nous nous sommes mobilisés régulièrement pour dénoncer ces dysfonctionnements graves et répétés. D’ailleurs, plus de la moitié des députés de notre groupe, dont François Rochebloine et moi-même, avons co-signé la proposition de loi que nous devrions examiner ce matin.
La situation nécessite que des mesures soient prises très rapidement. C’est pourquoi cette proposition de loi constitue une première réponse à la détresse des travailleurs indépendants. Parce que nous devrions pouvoir la discuter article par article, le groupe UDI votera contre la motion de rejet préalable.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
La parole est à M. Christophe Sirugue, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Je suis surpris d’entendre des parlementaires s’exprimer comme si rien n’avait été fait par nos propres collègues qui siègent dans cette assemblée : on met en exergue le rapport Verdier-Bulteau mais on en oublie ses préconisations.
Si certains sont des adeptes du « Circulez, il n’y a rien à voir », ce sont ceux qui n’ont rien fait en 2008, rien fait en 2009, rien fait en 2010, rien fait en 2011 !
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Chaque fois que des critiques s’élevaient, c’était la même rengaine, « Circulez, il n’y a rien à voir » ! Je préfère soutenir ceux qui ont fait des propositions depuis 2012. Nous voterons cette motion de rejet préalable.
La motion de rejet préalable, mise aux voix, est adoptée.
L’Assemblée ayant adopté la motion de rejet préalable, la proposition de loi est rejetée.
La séance, suspendue à onze heures vingt, est reprise à onze heures trente.
La parole est à Mme Valérie Boyer, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, notre assemblée est aujourd’hui saisie de la proposition de loi visant à réprimer la négation des génocides et des crimes contre l’humanité, que j’ai déposée avec plusieurs de mes collègues sur le bureau de l’Assemblée nationale il y a maintenant plus d’un an, le 14 octobre 2014.
Cette proposition de loi étant universelle et non partisane, je l’ai adressée au Président de la République dès sa parution. Je me souviens en effet de son engagement en tant que candidat, auprès de Nicolas Sarkozy, entre les deux tours de l’élection présidentielle, le 24 avril 2012, au pied de la statue de Komitas.
J’ai aussi adressé cette proposition aux présidents des groupes politiques de l’Assemblée nationale et du Sénat, sans oublier les présidents des groupes d’amitié France-Arménie et France-Israël. Comme je l’ai précisé à plusieurs reprises en commission des lois, je vous ai proposé, chers collègues, de travailler main dans la main, pour avancer sur cette question qui nous tient tant à coeur, une question de justice et de dignité humaine.
Cette proposition de loi est le fruit d’un long parcours législatif, entamé il y a près de quinze ans, et qui reste semé d’embûches. Vous le savez, un projet de loi visant à réprimer la contestation de l’existence des génocides reconnus par la loi, adopté définitivement en 2012 par le Parlement, n’a pu entrer en vigueur du fait de sa censure par le Conseil constitutionnel, le 28 février 2012.
Le 29 mai 1998, « La France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915 ». En reconnaissant l’existence du premier génocide du XXème siècle, la République française redonnait symboliquement au génocide arménien une place dans la mémoire collective de l’humanité.
Il convient de rappeler que le juriste polonais Raphaël Lemkin, rescapé du ghetto de Varsovie, forgea le terme « génocide » à partir de sa connaissance du massacre des arméniens en 1915, se souvenant qu’Hitler écrivait Mein Kampf en imaginant la solution finale et prétendait : « Qui se souvient encore du massacre des Arméniens ? ».
C’est également à son initiative que le terme « génocide » fut officiellement reconnu par la convention de prévention et de punition du crime de génocide, adoptée par l’assemblée générale des Nations unies dans sa résolution du 9 décembre 1948.
Mais si la reconnaissance par la France du génocide de 1915 a pu être considérée comme un achèvement pour certains, il était évident qu’il fallait aller plus loin pour éviter toute concurrence des mémoires et toute inégalité de traitement entre les victimes et leurs descendants. La République se doit de protéger l’ensemble de ses ressortissants. Nombre de descendants du génocide arménien ont trouvé refuge en France et sont devenus français. Face au négationnisme, d’État notamment, dont ceux-ci sont victimes, on ne saurait s’en remettre à l’arbitraire communautaire, mais bien à la justice de la République pour garantir leur protection.
C’est pourquoi, afin de tirer toutes les conséquences juridiques de cette reconnaissance, il est indispensable d’apporter la protection nécessaire aux victimes en pénalisant le négationnisme.
Je souhaite à cet instant remercier les juristes qui m’ont accompagnée dans cette nouvelle démarche, Me Bernard Jouanneau et Me Sévag Torossian, les constitutionnalistes que j’ai consultés et qui m’ont soutenue, mais aussi le CRIF, qui nous soutient avec coeur à travers son président Roger Cukierman. Je remercie aussi les co-présidents du conseil de coordination des organisation arméniennes de France, le CCAF, Ara Toranian, Franck Papazian et Jacques Donabedian, la Croix bleue des Arméniens, l’Union générale arménienne de bienfaisance, l’UGAB, mon ami Didier Parakian, et d’autres encore.
Il ne s’agit pas d’une loi déclarative ; le texte ne fait référence à aucun événement historique et se garde bien, d’ailleurs, de porter un quelconque regard sur tel ou tel événement historique. Il ne s’agit en rien d’une loi mémorielle.
J’y insiste, je suis tout particulièrement attachée au respect de la liberté d’expression et des libertés constitutionnellement garanties de la recherche et de l’enseignement supérieur dont bénéficient les historiens et, plus largement, les universitaires et enseignants-chercheurs. Serge Klarsfeld, qui soutenait ma démarche en 2011, a toujours dit que la loi Gayssot n’a jamais empêché les historiens de travailler.
Cette proposition de loi revêt une incontestable portée normative, puisqu’elle permet de mettre fin au déni de justice dont souffrent actuellement les victimes de ces crimes et leurs familles. II ne s’agit nullement de mettre en concurrence les victimes de ces crimes, mais de leur offrir une protection universelle et intemporelle contre le délit de négationnisme.
En effet, nous nous devons de repenser entièrement le négationnisme, qui n’est ni plus ni moins qu’un accessoire du crime de génocide, et même son achèvement, comme l’a si bien dit mon collègue Patrick Devedjian. Tous les historiens des génocides le disent, le crime de génocide est systématiquement accompagné de l’effacement de ses preuves.
En l’absence dans notre législation d’une incrimination générale du délit de négationnisme – hors cas de la loi Gayssot, pour les seuls crimes contre l’humanité commis pendant la Seconde guerre mondiale –, les auteurs de propos négationnistes ne peuvent être poursuivis que pour diffamation ou injure raciale, provocation à la haine raciale ou apologie des crimes contre l’humanité. Si les propos négationnistes tenus échappent à l’une de ces infractions et ne s’inscrivent pas davantage dans le champ d’application de la loi Gayssot, les auteurs de ces propos négationnistes ne peuvent aujourd’hui faire l’objet d’aucune poursuite pénale, au mépris du respect dû aux victimes.
Dans cette optique, dans l’esprit même du travail parlementaire, j’ai mené ces dernières semaines de nombreuses auditions, afin de recueillir les avis d’éminents juristes et historiens. En travaillant avec eux, le dispositif législatif initial a été renforcé. C’est pourquoi j’ai souhaité que vous preniez connaissance en amont de ces nouvelles dispositions, disponibles sur le site de l’Assemblée nationale depuis le 25 novembre.
J’espère que nous améliorerons encore ce texte ensemble. Il n’a qu’un seul objectif : assurer la conformité du délit de négationnisme à la Constitution et à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme.
Au regard de l’exigence de conformité à la Constitution et en respectant la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 28 février 2012, il est proposé en premier lieu d’introduire des éléments d’extériorité, afin que la reconnaissance d’un crime de génocide ou d’un crime contre l’humanité ne dépende pas du seul législateur, comme c’était le cas en 2012. C’est ce que demande, en quelque sorte, le Conseil constitutionnel.
Ces éléments d’extériorité peuvent être un traité ou un accord international auquel la France serait partie, comme le traité de Sèvres du 10 août 1920, qui prévoit en son article 230 de juger les « responsables des massacres qui, au cours de l’état de guerre, ont été commis sur tout territoire faisant partie de l’Empire ottoman », ou comme le traité de Lausanne du 24 juillet 1923, qui a amnistié ces criminels responsables, reconnaissant ainsi leur existence et leur implication.
Un autre élément d’extériorité peut être une décision de justice rendue par une juridiction française, par une juridiction internationale établie par un traité ou un accord international régulièrement ratifié ou approuvé par la France ou par une juridiction de l’État sous l’autorité duquel les crimes ont été commis. Je remercie François Rochebloine d’avoir déposé en ce sens un amendement fort utile. Pour mémoire, le 5 février 1919, le tribunal militaire d’Istanbul a reconnu la culpabilité de certains auteurs du massacre des Arméniens commis sur le territoire de l’Empire ottoman et les a condamnés. Comme vous le savez, en droit international, la Turquie a succédé à l’Empire ottoman.
Le second volet des propositions repose sur de nouveaux garde-fous destinés à garantir la liberté d’expression. L’incrimination sera plus précise : la « banalisation » ou la « minimisation » grossière seront supprimés, au profit de la négation par principe, de la contestation systématique ou de la tentative de justification des crimes de génocide ou des crimes contre l’humanité.
Tenant compte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, et dans le prolongement de l’arrêt Perinçek contre Suisse du 15 octobre 2015, j’ai voulu mieux protéger la liberté d’expression en ajoutant des conditions cumulatives. Les propos incriminés doivent, d’une part, constituer une incitation directe ou indirecte à la violence ou à la haine à l’égard des victimes, de leurs ascendants ou de leurs descendants, ou bien porter atteinte à la dignité de ces mêmes personnes et, d’autre part, être commis au moyen de preuves ou de témoignages ayant été délibérément omis, altérés ou détruits.
Ma motivation est de respecter l’égalité devant la loi pénale. C’est pourquoi j’ai souhaité supprimer la notion de XXème siècle. C’est pourquoi je vous propose de créer un nouveau délit de négationnisme dans la loi sur la liberté de la presse, afin qu’il obéisse aux mêmes règles que la loi Gayssot.
Sur le plan juridique, après avoir démontré l’extraterritorialité, plusieurs pistes de réflexion s’ouvraient : le négationnisme d’État ; le transfert dans le code pénal au chapitre des délits, comme le trafic d’êtres humain, afin d’en faire un délit général ; la loi Gayssot.
Mon souci a été d’assurer la constitutionnalité et la conventionnalité. J’ai donc choisi de m’en tenir, vingt-cinq ans après son vote, à la loi Gayssot, dont on ne saurait contester l’intérêt politique pour notre pays, ni même la constitutionnalité.
Le Parlement a reconnu deux génocides. Il est donc logique et juste de pénaliser leur négationnisme de la même manière. Ce procédé mettra fin à l’injustice dont souffre le génocide de 1915, que le Parlement a reconnu en 2001.
Compte tenu de ces différents éléments, vous pouvez constater, mes chers collègues, qu’il ne s’agit en rien d’un texte de circonstance, comme certains collègues voudraient bien le faire croire, mais bien d’un texte universel et intemporel offrant à toutes les victimes de ces crimes une même protection contre le négationnisme.
C’est la raison pour laquelle je vous invite tous à adopter cette proposition de loi que le groupe Les Républicains a choisi d’inscrire à l’ordre du jour de notre assemblée, dans une approche consensuelle, au-delà des clivages politiques.
Permettez-moi de citer une phrase que Jaurès a prononcée ici même : « La Chambre française, constatant la responsabilité de l’Europe dans les odieux massacres d’Arménie, déplorant les convoitises, les jalousies, les calculs réactionnaires qui ont empêché l’Europe actuelle d’exercer en Orient une action commune au profit de l’humanité outragée, espère que les travailleurs de tous les pays s’uniront pour créer un état d’opinion désintéressé, et pour obtenir des puissances européennes qu’elles assurent la sécurité des Arméniens et réconcilient en Turquie les populations de toute religion et de toute race par des garanties communes de liberté, de bien-être et de progrès. »
Quelle actualité ! Comment ne pas imaginer, espérer, que si le génocide des Arméniens avait été reconnu, puis pénalisé, la Shoah, tout comme le crime contre l’humanité, pour reprendre les propos de Ban Ki-moon, que subissent aujourd’hui les Yazidis et les Chrétiens d’Orient, au même endroit et dans les mêmes conditions effroyables, auraient pu être évités ?
Un siècle après le massacre des Arméniens et des Assyro-Chaldéens, l’histoire sinistre se répète, elle bégaie. N’envoyons pas au monde, nous, représentation nationale, un message d’esthétique juridique ; prenons nos responsabilités ! Le pays des droits de l’Homme ne doit pas faillir, ne doit pas faiblir.
Il y a cent ans, le génocide arménien était perpétré, et la devise de cette année, c’est bien celle choisie pour la commémoration de ce centenaire, « Je me souviens et j’exige… ». Il y a quinze ans, la France reconnaissait l’existence du génocide. Depuis quatre ans, avec les moyens de la présidence de la République et de la majorité, nous avons eu le temps de réfléchir et de travailler.
Il est désormais temps de prendre nos responsabilités. Il n’est pire crime pour la démocratie que l’oubli, et j’espère que nous serons tous unis dans ce débat pour la dignité humaine et les droits de l’Homme. En cette année 2015, qui marque à la fois les vingt-cinq ans de la loi Gayssot et les cent ans du génocide des Arméniens, ne ratons pas notre rendez-vous avec les Français ! Soyons dignes, votons ce texte !
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement.
Monsieur le Président, mesdames et messieurs les députés, madame la rapporteure, le XXème siècle a été marqué par plusieurs meurtres de masse, qui ont permis d’affirmer le concept de génocide. Certains ont été reconnus internationalement, d’autres pas. Dès 2001, par la loi du 29 janvier, votée à l’unanimité par l’Assemblée nationale, la France a reconnu publiquement le génocide arménien de 1915.
La présence du Président de la République à Erevan, le 24 avril 2015, pour la commémoration du génocide arménien, témoigne de la solidarité des autorités françaises avec les victimes de ce génocide et avec leurs descendants, ainsi que de l’engagement de la France pour une reconnaissance la plus large au niveau international.
Une loi, adoptée le 23 janvier 2012, prévoyait que seraient sanctionnées pénalement les personnes qui, publiquement, contestent ou minimisent de façon outrancière l’existence d’un ou plusieurs crimes de génocide « reconnus comme tels par la loi française ».
Par sa décision du 28 février 2012, le Conseil constitutionnel a toutefois déclaré cette loi contraire à la Constitution, dès lors « qu’en réprimant la contestation de l’existence ou de la qualification juridique de crimes qu’il aurait lui-même reconnus et qualifiés comme tels, le législateur a porté une atteinte inconstitutionnelle à l’exercice de la liberté d’expression et de communication ». En application de l’article 62 de la Constitution, le Gouvernement est tenu par l’autorité qui s’attache à cette décision.
La question qui nous est posée aujourd’hui ne tient pas à des affirmations historiques ou politiques : sur ce point, non seulement nous sommes d’accord avec vous, mais nous avons déjà manifesté notre adhésion aux propos de condamnation que vous avez tenus.
Quoi qu’il en soit, la question qui nous est posée aujourd’hui est évidemment de nature juridique.
Consulté par le Gouvernement sur les conditions dans lesquelles pouvait être réprimée la négation du crime de génocide, le Conseil d’État a estimé, dans un avis du 18 avril 2013 rendu public dans son rapport annuel, que le principe de légalité des délits « interdisait de sanctionner la dénégation de faits pouvant être pénalement incriminés – et, plus encore, la dénégation de leur qualification pénale précise, par exemple sur le point de savoir s’il s’agit d’un crime de guerre ou d’un crime contre l’humanité –, lorsque cette dénégation est antérieure à toute décision juridictionnelle définitive établissant que lesdits faits relèvent bien de cette incrimination. »
Il a ajouté que « Au regard de l’interprétation que la Cour européenne des droits de l’Homme donne au principe nullum crimen sine lege – principe de légalité du droit pénal –énoncé à l’article 7-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, l’un des éléments constitutifs de l’infraction de négationnisme, à savoir la qualification pénale des faits niés, serait entaché d’imprévisibilité, si cette qualification ne résultait ni d’une convention internationale liant la France, ni d’une décision antérieure devenue définitive, rendue par une juridiction française ou par une juridiction internationale instituée par une convention internationale à laquelle la France serait partie, ayant porté cette qualification à l’égard d’auteurs, co-auteurs ou complices des faits criminels eux-mêmes, préalablement aux propos incriminés. »
Enfin, dans un arrêt du 17 décembre 2013, la Cour européenne des droits de l’Homme a jugé que la nécessité de condamner la négation de la qualification de génocide des atrocités survenues en Arménie pendant les années 1915 et suivantes n’a pas été démontrée dans l’affaire qui lui a été soumise – affaire Perinçek contre Suisse, requête répertoriée. Le Gouvernement doit également tenir compte de cette décision. Celle-ci est devenue définitive depuis l’arrêt de la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’Homme du 15 octobre 2015, Perinçek contre Suisse, qui a condamné la loi suisse incriminant la négation d’un génocide.
C’est dans ce cadre juridique contraint et évolutif que le travail du Gouvernement se poursuit, en vue d’assurer également la transcription en droit français de la décision-cadre de 2008 sur la lutte contre certaines formes et manifestations de racisme et de xénophobie au moyen du droit pénal. Cette nouvelle proposition de loi vise à réprimer la négation des génocides et des crimes contre l’humanité du XXème siècle en ajoutant un nouvel article L. 213-6 au code pénal. Celui-ci incriminerait « la contestation systématique, la négation par principe, la banalisation, la minimisation grossière et la tentative de justification » des crimes et génocides susmentionnés. Ce nouvel article du code pénal prévoit une peine de cinq ans d’emprisonnement et une amende de 45 000 euros.
Le Gouvernement estime que, dans sa nouvelle rédaction, cette proposition de loi serait contraire à la Convention européenne des droits de l’Homme, notamment à son article 10, qui porte sur la liberté d’expression, et son article 7, qui proclame le principe « pas de peine sans loi ». Il estime aussi que cette proposition de loi serait immanquablement censurée par le Conseil constitutionnel si elle venait à être votée, conformément à la jurisprudence précitée. Il convient de préciser que sur le même sujet, le Conseil constitutionnel est actuellement saisi de la loi Gayssot par la voie d’une question prioritaire de constitutionnalité ; il se prononcera vraisemblablement à la mi-décembre.
Le Gouvernement est résolument engagé en faveur d’une position ferme et intransigeante à l’égard de celles et ceux qui contestent et nient la réalité atroce du génocide arménien.
Votre rapporteure a déposé un nouvel amendement pour répondre aux préventions qui ont conduit la commission des lois à rejeter ce texte. Le Conseil d’État avait indiqué que les crimes de génocides ou contre l’humanité visés devaient être reconnus soit par un traité auquel la France est partie, soit par une décision de justice définitive rendue par une juridiction nationale ou par une juridiction internationale établie par un traité ratifié par la France. De fait, ces trois cas ne couvrent pas le génocide arménien dont la reconnaissance est un combat de votre rapporteure et de bien d’autres parlementaires.
Ce combat n’est-il pas aussi le vôtre ?
En tout cas, ce que vous dites est juridiquement faux !
Pour contourner cette difficulté, Mme Boyer propose d’introduire un nouveau cas de reconnaissance. Une décision définitive d’une juridiction de l’État sur le territoire duquel ces crimes ont été commis pourrait suffire à les faire reconnaître en France comme crime de génocide ou crime contre l’humanité. C’est un critère totalement nouveau, qui doit être expertisé et évalué précisément et de manière argumentée.
La France pourrait se trouver liée par des décisions de justice et un droit auxquels elle n’a pas consenti ; une décision juridictionnelle d’un autre État, qui pourrait avoir été prise voilà un siècle, dans un contexte politique daté, s’imposerait ainsi à nous. Il me semble qu’il y a là des fragilités majeures, tant politiques que juridiques, notamment au regard du principe de prévisibilité de la loi posé par la CEDH. Nous avons le souci de fonder notre engagement sur un texte solide sur les plans constitutionnel et juridique.
L’honnêteté et la sincérité des convictions en politique nous le commandent. Nous partageons votre objectif de mieux réprimer la contestation de l’existence des génocides, mais nous ne voulons pas donner de faux espoirs avec un texte qui serait éminemment fragile du point de vue juridique au regard de notre Constitution.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, nous voici réunis pour répondre à un défi face à la réalité de l’histoire.
Madame la rapporteure, monsieur le secrétaire d’État, vous avez rappelé que des négationnistes refusent de reconnaître les génocides du XXème siècle, qui se sont déroulés à travers le monde. Ils cherchent à convaincre l’opinion publique qu’il existe une autre vision de l’histoire ; ils veulent ainsi remodeler l’histoire pour diaboliser les victimes et réhabiliter les bourreaux. Face à ce défi, et dans le cadre juridique contraint que vous avez rappelé, monsieur le secrétaire d’État, comment pourrions-nous réprimer efficacement la négation des génocides et des crimes contre l’humanité ? J’ai bien entendu les réserves que vous avez formulées : à vous de nous aider au cours de ce débat à surmonter les difficultés constitutionnelles.
Je salue l’implication personnelle de notre rapporteure, Valérie Boyer, qui cherche à faire aboutir cette proposition de loi avec une constance qui l’honore depuis des années, et qui devrait tous nous engager à nous battre à ses côtés. Elle l’a dit et répété : sa seule préoccupation est d’aboutir à un texte consensuel et juridiquement solide. Elle est loin d’être au service d’une seule communauté – qui, il est vrai, madame le rapporteur, est bien représentée dans notre région…
…et qui mérite tout notre respect.
Je peux témoigner que l’engagement de Valérie Boyer est tout à fait fondé sur le sentiment sincère de lutter pour une cause juste. Elle l’a rappelé elle-même dans l’exposé des motifs de sa proposition de loi. C’est cette conviction profonde qui l’a conduite à nous proposer ce texte : « il apparaît que la négation est l’accessoire ou le prolongement du génocide et des crimes contre l’humanité ». Je rappelle ce que l’historien Yves Ternon écrivait dans son ouvrage Du négationnisme : mémoire et tabou : « La négation est tissée avec le génocide. En même temps qu’il prépare son crime, l’auteur du génocide met au point la dissimulation de ce crime. »
Ce constat doit nous pousser à agir. Je rappelle, par ailleurs, que c’était le sens des engagements pris en 2012 par les deux candidats présents au second tour de l’élection présidentielle.
Monsieur le ministre, cet engagement a été renouvelé depuis par le Président de la République ; il a par ailleurs réaffirmé de manière particulièrement forte sa volonté de lutter contre le négationnisme après les attentats de janvier 2015 qui, outre l’équipe de Charlie Hebdo, avaient directement visé la communauté juive de France.
Notre rapporteure a parfaitement décrit le processus qui l’a conduite à rédiger ce texte, ainsi que les différents travaux et auditions qui l’ont amenée, dans un souci de cohérence et d’efficacité, à proposer des amendements pour modifier sa rédaction initiale ; nous les examinerons tout à l’heure : je ne m’y attarde donc pas.
Il faut cependant rappeler qu’aujourd’hui, il n’existe pas, en droit français, une incrimination générale du délit de négationnisme en dehors de l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, article inséré par la loi Gayssot de 1990, qui concerne les seuls crimes contre l’humanité commis pendant la Seconde guerre mondiale. Quatre génocides ont pourtant été reconnus au plan juridique par des instances internationales dépendant de l’ONU. Le premier est le génocide arménien de 1915-1916, reconnu par la commission des droits de l’Homme de l’ONU le 25 août 1985. Madame le rapporteur, vous avez cité tout à l’heure M. Roger Cukierman. À ce propos, celui-ci a déclaré que la négation du génocide arménien est aussi insupportable que celle de la Shoah.
Le second est le génocide des Juifs commis par les nazis, reconnu par le tribunal de Nuremberg mis en place le 8 août 1945 par l’accord quadripartite de Londres. Le troisième est celui des Tutsis, au Rwanda, qui a été reconnu par la commission des droits de l’Homme de l’ONU le 28 juin 1994, puis lors de la création du tribunal pénal international pour le Rwanda, le 8 novembre 1994. Enfin, le massacre de Srebrenica a été qualifié de génocide par le tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie le 2 août 2001. Cette qualification a été confirmée par la Cour internationale de justice qui a cependant jugé que la Serbie, en tant qu’État, n’en était pas responsable.
La France, en tant que membre des Nations unies et partie prenante à la Cour pénale internationale, est engagée par ces décisions et coopère avec les instances internationales en charge de ces dossiers. Elle a par ailleurs adapté son droit pénal à l’institution de la Cour pénale internationale en juillet 2010. Pour rappel, seul le génocide arménien a fait, en France, l’objet d’une reconnaissance législative spécifique. Il ne s’agit donc nullement de mettre en concurrence les victimes de ces différents crimes, mais au contraire de leur offrir à toutes une universelle et intemporelle protection contre le délit que doit être le négationnisme.
Chers collègues, nous devons bien avoir conscience qu’à force de nier les faits, le néant finit par prendre de la consistance. En cela, la proposition de notre collègue Valérie Boyer n’est pas une proposition de loi mémorielle, comme certains l’ont redouté. C’est d’ailleurs pour affirmer cette valeur universelle que notre rapporteure nous proposera de modifier son titre, afin de ne pas viser les seuls crimes de génocide ou crimes contre l’humanité.
L’actualité dramatique ne nous garantit en rien que notre XXIe siècle débutant sera exempt de nouvelles tragédies aux dimensions d’un génocide. Je rejoins l’écrivain Pierre Mertens qui écrit : « Reconnaître la réalité d’un génocide, ce n’est pas seulement rendre justice aux victimes, c’est permettre aux descendants des coupables de retrouver la paix. » Dans cet esprit, chers collègues, je vous demande, dans un climat consensuel, de soutenir cette proposition, afin d’adresser, ensemble, un message clair à tous ceux pour qui le négationnisme permet, à travers le temps, d’atteindre encore les victimes ou leurs descendants, et qui poursuivent ainsi l’oeuvre des bourreaux.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mes chers collègues, en soumettant à nos suffrages ce matin, après la rebuffade que nous a infligée le Conseil constitutionnel, une nouvelle version de la proposition de loi réprimant la négation du crime de génocide, notre collègue et amie Valérie Boyer fait preuve d’une ténacité et d’une persévérance qu’il convient de saluer.
On a coutume de dire qu’il ne reste plus au plaideur débouté de ses prétentions qu’à maudire ses juges. Pour ma part, je ne maudirai pas le Conseil constitutionnel. D’abord parce que nous ne sommes pas en procès, ensuite parce que le Conseil, quoi qu’il prétende, n’est pas un juge ; il est le gardien des équilibres institutionnels et des grands principes du droit.
Avec habileté, il a forgé lui-même les instruments de son contrôle – lui-même, c’est-à-dire à l’abri de toute possibilité effective de discussion et de contradiction en dehors des controverses doctrinales entre juristes naturellement éminents. C’est une position de pouvoir. Comme toute position de pouvoir, elle peut conduire à des abus et à la sacralisation d’une jurisprudence qui n’est, après tout, qu’une oeuvre humaine, faillible et perfectible.
Nous le voyons particulièrement dans le cas présent où nous sommes contraints par la censure du Conseil de remettre sur le métier, une nouvelle fois, la traduction juridique d’une exigence qui est pourtant, à mes yeux, primordiale et moralement indiscutable.
Bien évidemment, l’ami du peuple arménien que je m’honore d’être depuis de très nombreuses années – j’ai eu l’honneur d’être le rapporteur de la proposition de loi qui rassemblait les présidents de tous les groupes du Sénat et qui a été adoptée en 2001 – ne peut oublier que ce débat a lieu alors que va s’achever l’année de la commémoration du génocide de 1915, qui fut le premier génocide du XXème siècle.
Cette commémoration, et je m’en félicite, a permis de constater, une fois de plus, combien le souvenir de cette abominable tragédie était vivant et aussi largement partagé dans la société française, bien au-delà des communautés de Français d’origine arménienne.
Mais je sais bien, et j’ai toujours soutenu que nous n’avons pas à faire je ne sais quel classement ou je ne sais quelle évaluation comparative des génocides. Tout génocide, quel qu’il soit, quelles qu’en soient les victimes, est une défaite de l’humanité, un scandale, dont la répression doit être conduite avec la plus extrême vigueur.
C’est ce qu’avaient compris les auteurs de la définition des crimes contre l’humanité contenue dans le statut du tribunal de Nuremberg, qui demeure encore aujourd’hui la base historique de la condamnation du génocide.
Ne pas répondre par une sanction à la hauteur de l’offense qu’infligent à la collectivité humaine les actes génocidaires serait une faute lourde de conséquences pour la paix de la société française et, comme on le voit actuellement, pour la paix du monde. Cela créerait un sentiment de banalisation, voire d’impunité, et serait par là-même un encouragement à la dépréciation de la valeur sans pareille de toute personne humaine, quelles que soient son origine, ses opinions, sa religion.
Dans l’ordre de la pensée, la négation des génocides historiquement attestés est, toutes proportions gardées, d’une gravité spécifique. Il ne s’agit pas d’un banal délit d’opinion.
Nier un génocide, quel qu’il soit, c’est purement et simplement effacer de l’Histoire des personnes et des communautés, banaliser, contre toute raison, les traitements odieux qui leur sont infligés. Dans le contexte actuel, où des groupes fanatiques pratiquent, par la parole et par les actes, l’anéantissement des hommes, des monuments et de la mémoire, on peut mesurer les conséquences d’une attitude de faiblesse face à de tels débordements.
Il est bien évident que, dans mon esprit, la répression des idées négationnistes ne doit pas être la seule riposte à leur propagation. Il est du devoir de l’université de veiller, dans le cadre de ses règles propres et du libre débat, à la réfutation, dans un climat de libre discussion, des thèses aventurées. Mais, lorsque la diffusion d’opinions négationnistes devient systématique et, plus largement, se met au service de projets politiques véritablement liberticides, alors l’intention délictueuse dépasse l’expression d’idées hétérodoxes et devient subversion. Il n’y a plus d’autre voie que la répression pénale, une répression conduite, comme il se doit, dans le respect de la procédure et des garanties qu’elle offre et doit offrir à tout justiciable, fut-il l’auteur avéré de propos répugnants.
Ces considérations dicteront le sens du vote que je vais émettre, au nom du groupe de l’Union des démocrates et indépendants, sur la proposition de loi défendue par notre collègue Valérie Boyer. Je ne m’arrêterai pas aux incidents de procédure qui ont marqué son examen en commission, ni à la manière dont ils ont été traités. Je ne voudrais pas en tout cas que l’on se réfugiât derrière ces incidents pour émettre un vote négatif qui serait en réalité un acte politique.
Pour ma part, j’estime que la négation des génocides est un crime qu’il y a lieu de réprimer. D’ailleurs, vous me permettrez de rappeler que j’avais déposé en 1995 une proposition de loi en ce sens, qui prévoyait que la répression pénale s’attache à la négation de tous – je dis bien de tous – les génocides et crimes contre l’humanité. Ne serait-ce que pour cette seule raison, je voterai, au nom du groupe de l’Union des démocrates et indépendants, cette proposition de loi. Et je salue, une nouvelle fois, la détermination de notre collègue Valérie Boyer qui a eu la volonté de mener à bien cette proposition de loi. Et je ne voudrais surtout pas, mais je reviendrai sur ce point tout à l’heure lors de la discussion de la motion de procédure, que ce texte soit rejeté uniquement pour des raisons politiciennes. Nous devons aller jusqu’au bout et cette proposition de loi doit être adoptée.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mes chers collègues, nous examinons maintenant la proposition de loi visant à réprimer la négation des génocides et des crimes contre l’humanité du XXème siècle présentée par la rapporteure du texte Valérie Boyer et plusieurs de ses collègues.
Les auteurs de cette proposition de loi précisent que l’actualité, notamment les persécutions contre les Chrétiens d’orient en Irak, constituent déjà un crime contre l’humanité qui impose l’adoption urgente d’une loi permettant d’en pénaliser la négation.
Cette proposition de loi viserait également à lever la menace d’inconstitutionnalité pesant sur la loi du 13 juillet 1990 tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe, dite loi Gayssot. Celle-ci fait l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité transmise par la cour de cassation et dont l’audience publique est prévue dans quelques jours, le 8 décembre 2015.
Aussi, à titre liminaire, je me demande s’il était nécessaire de s’intéresser à cette question une semaine seulement avant la décision du Conseil constitutionnel.
N’aurait-il pas été plus pertinent d’attendre les réserves et censures éventuelles du Conseil avant de légiférer, afin d’élaborer un texte consensuel, équilibré, répondant à l’ensemble des difficultés juridiques soulevées et permettant la mise en place d’une véritable infraction de négation des crimes de guerre et crimes contre l’humanité ?
Mais puisque vous avez décidé, mes chers collègues, d’examiner cette question dès aujourd’hui, nous répondrons à votre invitation.
Ce texte vise donc à étendre les faits permettant la qualification de délit de négation des crimes de génocide et des crimes contre l’humanité. Mais à la contestation des crimes de génocide et crimes contre l’humanité, les auteurs de la proposition de loi souhaitent ajouter les faits de banalisation, de minimisation grossière et de justification desdits crimes.
Pour cela, le texte que vous nous présentez contient plusieurs dispositions.
L’article 1er tend à insérer un nouvel article 213-6 du code pénal permettant la création d’un délit de contestation, de négation, de banalisation, de minimisation et de tentative de justification des crimes de génocide et des crimes contre l’humanité, délit passible de cinq ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.
L’article 2 introduit une clause d’irresponsabilité pénale pour des faits de négation, de contestation, de banalisation, de minimisation ou de justification de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité résultant de découvertes ou de recherches historiques.
L’article 3 prévoit l’application du délai de prescription de droit commun à ce délit de négation, ce qui veut dire que les faits ne pourront plus faire l’objet de poursuites à l’issue d’un délai de trois ans ; il prévoit également une soumission aux règles de procédure de droit commun en matière d’action publique.
De plus, le texte introduit des peines complémentaires susceptibles d’être prononcées en cas de condamnation pour contestation, négation, banalisation ou tentative de justification de crimes de génocide ou de crimes contre l’humanité.
Il est ainsi prévu que le tribunal pourra ordonner l’affichage ou la diffusion de la décision prononcée ainsi que, pour l’auteur, l’interdiction totale ou partielle des droits civiques et l’interdiction d’exercer une fonction publique.
Enfin, l’article 5 vise à ajouter un alinéa à l’article 2-4 du code de procédure pénale permettant à toute association, régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans, qui combat les crimes contre l’humanité et les génocides, et entretient leur mémoire, de pouvoir exercer les droits reconnus à la partie civile.
Nous nous inquiétons du manque de précision des dispositions choisies mais aussi des infractions concernées, car banalisation, minimisation ou justification sont des mots équivoques qui laissent place à une marge d’appréciation beaucoup trop importante et ne permettent pas une définition satisfaisante des délits concernés.
La condamnation d’un génocide ou d’un crime de guerre est une évidence. Nous ne pouvons occulter la réalité du génocide arménien et, vous le savez, les radicaux de gauche que je représente se sont toujours engagés pour la reconnaissance et la condamnation de ce génocide.
Mais je m’inquiète des conséquences juridiques que pourrait avoir l’adoption d’une nouvelle loi mémorielle précisant la notion de génocide et pouvant amener à de multiples interprétations.
Je valide les propos de la rapporteure Valérie Boyer, à savoir que cette loi n’est pas une loi partisane. Il est de notre responsabilité de condamner les crimes contre l’humanité et les génocides. Toutefois, il est aussi de notre responsabilité d’adopter un texte opérant. Comme le Conseil constitutionnel l’a estimé, il n’appartient pas au législateur de reconnaître un génocide ou un crime contre l’humanité et de le juger lui-même. Le Conseil a précisé qu’il était nécessaire de nous en remettre à une décision ayant l’autorité de la chose jugée afin de sanctionner les délits de négation de crimes de guerre ou de génocides.
Aussi je m’interroge, une nouvelle fois, sur la pertinence d’examiner cette proposition de loi cette semaine.
De plus, la rapporteure a présenté des amendements la veille au soir de l’examen de la proposition de loi en commission des lois, amendements qui visaient à en réécrire intégralement le texte. Ainsi, l’article 1er tel que modifié ne visait plus le code pénal mais la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, les autres amendements visant à supprimer les autres articles de la proposition de loi devenus sans objet du fait de la modification de l’article 1er.
Ainsi, la nouvelle rédaction proposée par la rapporteure, dont je salue la volonté de dialogue, visait à combler les lacunes de la loi Gayssot plutôt qu’à réintroduire de nouvelles infractions complexes.
Or, les délais de dépôt n’ayant pu permettre un examen approfondi des dispositifs et de l’impact des nouvelles dispositions proposées, tous les amendements ont été rejetés.
Par ces amendements, la volonté de la rapporteure, en commission des lois, était d’insérer un nouvel article 24 ter à la loi sur la liberté de la presse, article prévoyant de punir d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende ceux qui auraient contesté systématiquement, nié par principe ou tenté de justifier par tous moyens de diffusion, dont tous les moyens de l’écrit et tous les moyens de communication par voie électronique, l’existence d’un ou plusieurs crimes de génocide ou crimes contre l’humanité tels que définis par le code pénal.
Deux conditions cumulatives étaient également prévues pour l’application de la peine encourue : les crimes doivent avoir été reconnus, par un traité ou un accord international auquel la France est partie, par une décision de justice ; les faits incriminés doivent constituer une incitation directe ou indirecte à la violence ou à la haine à l’égard des victimes, de leurs ascendants ou descendants, ou porter atteinte à la dignité de ces personnes ; la négation, la contestation ou la tentative de justification doivent avoir été commises au moyen de preuves ou de témoignages ayant été délibérément omis, altérés ou détruits.
Enfin, il est précisé que la juridiction peut ordonner l’affichage ou la diffusion de la décision prononcée.
Si cette nouvelle rédaction proposée par la rapporteure est plus intéressante, je m’interroge. Répond-elle réellement à son objectif de renforcer la pénalisation de la négation des génocides et des crimes de guerre ? La sanction d’une telle infraction est-elle menacée d’inconstitutionnalité ? Je pense pour ma part que nous devrions attendre les conclusions du Conseil constitutionnel avant de légiférer sur ce point.
Pour toutes ces raisons, vous l’aurez compris, en l’état actuel de la rédaction du texte, le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste préfère s’abstenir sur cette proposition de loi et considère qu’il serait utile d’y travailler à nouveau en commission pour que ce thème, qui devrait nous rassembler sur tous les bancs, puisse être adopté à l’unanimité. Car si se souvenir des victimes est nécessaire – plus encore, c’est un devoir – là où il n’y a plus de mémoire, le mal garde la blessure ouverte. Cacher ou nier le mal, c’est comme laisser une blessure continuer à saigner sans la panser…
La parole est à M. Hugues Fourage, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Monsieur le Président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi en discussion concerne à l’évidence un sujet important, puisqu’elle vise, d’après son intitulé, à réprimer la négation des génocides et des crimes contre l’humanité du XXème siècle. Nous ne pouvons qu’être en accord avec cet objectif.
Dans l’exposé des motifs, un génocide particulier est ciblé : le génocide arménien.
En 1915, les Arméniens établis sur les territoires de l’Empire ottoman ont été déportés, exterminés, massacrés au nom d’une idéologie nationaliste et raciste. L’histoire l’a reconnu. Les massacres commis contre les populations arméniennes en 1915 sont souvent présentés comme le premier génocide du XXème siècle.
Dans une déclaration solennelle des puissances de l’Entente, les autorités françaises, russes et britanniques avaient, dès la perpétration des massacres, qualifiés ceux-ci de « crimes de lèse-humanité » dont les membres du Gouvernement qui les avaient ordonnés devraient être tenus pour responsables.
Le principe de cette responsabilité pénale avait été posé par le traité de Sèvres le 10 août 1920, mais ce dernier ne fut jamais ratifié.
La question n’apparaît plus dans le traité de Lausanne du 24 juillet 1923. Celui-ci comprend des annexes proclamant l’amnistie pour toute personne qui, du fait de sa conduite pendant la guerre, pouvait être considérée comme coupable. Une amnistie sans reconnaissance d’un crime, voilà qui est pour le moins paradoxal, voire contradictoire.
En droit international, cette reconnaissance est imparfaite : malgré une résolution de la sous-commission des droits de l’Homme de l’ONU, en août 1985, et une résolution du Parlement européen le 18 juin 1987, aucun tribunal international n’a condamné le génocide arménien.
La représentation nationale française, au nom de la justice, de la vérité et du droit des peuples à leur histoire, a oeuvré pour la reconnaissance du génocide arménien de 1915. Cette reconnaissance résulte de la loi du 29 janvier 2001, votée à l’unanimité. Nous souhaitons tous, quelle que soit notre position dans l’hémicycle, sanctionner la négation de ce génocide,…
…car le négationnisme est le prolongement du crime lui-même.
Depuis la loi du 29 janvier 2001, madame la rapporteure, vous avez déposé en 2011 une proposition de loi quasi similaire à celle que nous allons étudier aujourd’hui. Ce texte prévoyait des peines en cas de révisionnisme ou d’apologie.
Largement soutenu par notre groupe, il a fait l’objet d’une censure du Conseil constitutionnel. Celui-ci a en effet considéré, dans sa décision du 28 février 2012, qu’une loi mémorielle, n’étant pas normative, ne peut servir de soutien à des sanctions pénales.
Privée de support juridique, toute pénalisation porte atteinte à des droits fondamentaux tels que la liberté d’expression.
De plus, le négationnisme, pénalement répréhensible, est en lien avec une incitation directe ou indirecte à la haine ou à la violence. C’est une justification des crimes contre l’humanité et de la violence passée, une justification de la haine et de l’intolérance. Dans le cas contraire, il ne suffit pas à dépasser la limite de la liberté d’expression.
Aujourd’hui, vous tentez de contourner le texte que nous avons voté et qui reconnaît ce génocide. Vous tentez également de contourner grossièrement l’inconstitutionnalité qui a frappé votre précédente proposition.
La gravité d’un génocide ne diminue pas avec le temps. C’est pour cette raison que nous ne pouvons pas risquer un autre échec. Votre proposition de loi n’est pas aboutie. Elle contient encore trop d’imprécisions. Ainsi, elle crée un délit concernant un article placé dans le champ du crime du code pénal. Un délit contre l’humanité ? Nous ne pouvons en aucun cas créer un délit, alors qu’il s’agit ici d’un crime, d’un crime contre l’humanité.
Nous ne pouvons risquer d’intégrer votre proposition dans la loi Gayssot du 13 juillet 1990 car, en cas d’invalidation de votre proposition, l’avenir de la pénalisation de la négation de la Shoah serait incertain. Cette loi sert de référence à la pénalisation du révisionnisme de tout génocide reconnu par un tribunal international, comme le tribunal de Nuremberg ou son héritière, la Cour pénale internationale.
Tel n’est pas le cas du génocide arménien et, en l’état actuel de notre droit, ce n’est pas à la loi d’incriminer la négation. Nous ne pouvons être juge et partie. Nous ne pouvons risquer une nouvelle inconstitutionnalité. Nous ne pouvons risquer de nouveau un revers juridique. Nous ne pouvons créer de nouvelles illusions.
La proposition de loi est circonstancielle malgré l’importance du sujet qu’elle vise à traiter. La commission des lois a été mise devant le fait accompli, puisqu’au dernier moment, la rapporteure, peu sûre de sa proposition, l’a elle-même complètement réécrite,…
…et en réécrivant l’article 1er jusqu’à refonder la structure juridique du texte, passant du code pénal à la loi sur la liberté de la presse.
Et je ne vous parle pas du changement du titre. Il s’agissait d’une proposition visant à réprimer la négation des génocides et des crimes contre l’humanité du XXème siècle. La mention « du XXème siècle » a ensuite été supprimée. Cette suppression n’est pas sans questionnement.
Entre la pénalisation que nous appelons tous de nos voeux – il n’y a aucune contestation sur ce point – et une impasse juridique certaine, nous avons choisi. La ténacité, la détermination, si honorables soient-elles, n’assurent pas la sécurité juridique.
Par ailleurs, nous ne pouvons jouer avec l’espoir de nos amis arméniens. Pour toutes ces raisons et pour celles que Marie-Anne Chapdelaine va développer, le groupe socialiste, républicain et citoyen a déposé une motion de renvoi en commission, pour qu’une proposition visant réellement à réprimer la négation des génocides fasse l’objet d’une étude approfondie.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous avons beaucoup parlé de droit aujourd’hui. Certains orateurs qui m’ont précédé ont expliqué, avec beaucoup de talent, leurs divergences. L’important est que nous partageons l’objectif de la proposition de loi : il n’est pas possible que, faute de toute protection juridique, ceux qui nient un génocide reconnu par le Parlement bénéficient dans la vie de tous les jours d’une totale liberté d’expression orale ou écrite.
Bien que nul ne conteste ce point, d’aucuns usent de toute une série d’arguties juridiques pour expliquer qu’en réalité, il faudrait attendre. Alors que le génocide arménien a été reconnu il y a quatorze ans par le Parlement français, nous continuons à débattre de l’incrimination de sa négation ! Quatre années ont d’ailleurs été perdues. Je m’en étonne, compte tenu des engagements qui avaient été pris.
Je me permets de donner mon sentiment.
Le point principal est l’absence d’éléments d’extériorité qui s’ajouteraient à la reconnaissance du génocide arménien par le Parlement français. Le tribunal de Nuremberg a reconnu le génocide juif. Il n’y a pas eu de tribunal pour le génocide arménien, et pour cause. Celui-ci pâtit d’une double inégalité : non seulement il n’a pas bénéficié de la même protection pénale que le génocide juif, mais c’est sur la base de cette absence de protection qu’on se fonde aujourd’hui pour expliquer l’impossibilité d’incriminer sa négation. La proposition de loi vise à rééquilibrer la situation.
Je rappelle que la notion de génocide est apparue en droit international public en 1948. Il n’était donc pas possible qu’il soit utilisé lorsque les acteurs du système international prenaient des positions caractérisées dans les années quinze ou vingt. La rapporteure l’a très bien expliqué : on rencontre à l’époque le terme de crime, ou de crime de guerre. C’était ainsi qu’on désignait alors des faits qui ont été ensuite labellisés comme génocides.
On ne peut donc pas exciper de la non-utilisation du terme pour affirmer qu’il n’y a pas eu de reconnaissance extérieure du génocide. D’ailleurs, il n’est pas vrai qu’on ne puisse citer aucun texte. En droit international public, l’article 38 du statut de la Cour internationale de justice reconnaît à la coutume internationale exactement le même niveau juridique qu’à une convention ou un traité.
La coutume est reconnue en 1996 par l’arrêt Aquarone du Conseil d’État français. Or vous savez comme moi que la coutume, en droit international public, est basée sur deux éléments : l’opinio juris et une pratique large et constante des États.
Vingt-quatre pays dans le monde ont reconnu le génocide arménien. Le Parlement européen a reconnu le génocide arménien. Une résolution des Nations unies reconnu le génocide arménien. Je pose donc la question : en l’absence de texte écrit, ne peut-on considérer que la coutume internationale a reconnu le génocide arménien et que celle-ci, reflétant une pratique constante des États, suffit à fonder l’incrimination ?
En matière de droit, on cite souvent le tribunal de Nuremberg, dont je rappelle qu’il a instauré le principe de rétroactivité pénale, qui n’existe nulle part ailleurs et qui a permis de condamner des gens qui n’étaient pas incriminables lorsque les faits ont été commis.
C’est la preuve qu’on a su innover au lendemain du génocide juif….
…et que, compte tenu des faits, on a su tordre le droit, de manière à pouvoir châtier les coupables. N’est-il pas possible d’innover aujourd’hui ?
J’ai évoqué tout à l’heure l’absence d’élément d’extériorité relatif à la coutume internationale, mais je rappelle que le crime de génocide appartient au jus cogens, au droit irréfragable, supérieur à la hiérarchie des normes, reconnu par la convention de Vienne sur le droit des traités. S’il n’est pas reconnu par la France, je vous l’accorde, ce jus cogens ne fait pas, dans sa nature, l’objet d’une contestation de la part de notre pays.
D’après la Cour internationale de justice, le jus cogens fonde une responsabilité erga omnes. L’arrêt Barcelona, Traction, Light and Power Company de 1970 reconnaît à n’importe quel État la possibilité de prendre des mesures pour effectuer une actio popularis.
De la même manière qu’un État peut prendre la responsabilité de punir les auteurs d’un génocide, j’affirme qu’on pourrait considérer que la répression du négationnisme d’un génocide relève aussi du jus cogens.
Je m’arrête, mais, l’année du centième anniversaire du génocide arménien, il convient que le Parlement ne s’arrête pas à des arguties juridiques, puisqu’il existe des moyens de contourner l’obstacle auquel nous sommes confrontés.
La discussion générale est close.
La parole est Mme la rapporteure, pour répondre aux orateurs.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, lorsque j’ai pris la parole, j’ai présenté le texte. Je regrette qu’au cours de la discussion générale, les collègues qui se sont opposés à la proposition de loi aient très peu parlé de celle-ci. Ils l’ont balayée d’un revers de main, sans même s’intéresser au fond. Sans doute ont-ils le même mépris pour l’avis des éminents constitutionnalistes qui l’ont approuvée, et avec lesquels j’ai travaillé la nouvelle rédaction.
Il est tout à fait normal – c’est même le coeur du travail législatif – de faire évoluer sans arrêt un texte. D’ailleurs, si nous examinons aujourd’hui les articles au fond, nous les améliorerons, nous les changerons. C’est ce que je vous propose de faire, comme je vous l’ai proposé en 2014, lorsque j’ai déposé ma première proposition de loi.
Je vous l’ai également proposé avant la réunion de la commission, alors que vous saviez que le texte serait discuté dans une niche, puis pendant cette réunion, mais personne n’a pris la peine d’examiner le texte. Depuis le 25 novembre, date à laquelle celui-ci est accessible sur le site de l’Assemblée nationale, aucun amendement digne de ce nom n’a été déposé.
Je le regrette : cette cause méritait mieux. Néanmoins, je vais vous répondre au fond, puisque vous vous êtes contentés de vous opposer à la proposition de loi sans avancer aucun argument juridique tangible ni aucune proposition d’amélioration notable.
L’amendement no 12 répond aux préoccupations qui ont été exprimées, pourvu qu’on prenne le temps de le lire et de l’analyser – ce qui n’a été le cas ni en commission, ni en séance publique.
Comme j’ai eu l’occasion de le dire dans mon intervention liminaire, la nouvelle rédaction de l’article 1er tient compte des observations du Conseil constitutionnel – ce qui est normal puisqu’il a censuré le texte que le Parlement souverain avait voté – comme de la Cour européenne des droits de l’Homme. Plusieurs garde-fous juridiques sont en effet prévus. Premièrement, la reconnaissance des crimes de génocide ne dépend plus du législateur, mais d’un accord international ou d’une décision juridictionnelle revêtue de l’autorité de la chose jugée. Deuxièmement, l’incrimination pénale est plus précisément définie afin de ne pas contrevenir au principe constitutionnel de légalité des délits et des peines. Troisièmement, la liberté d’expression est mieux protégée, la peine encourue pour négationnisme étant subordonnée à une liste de conditions cumulatives et strictement énumérées. Dès lors, au nom de quoi ne pas s’intéresser au fond de ses articles ?
Pour reprendre les propos de Julien Aubert, je dirais que l’histoire de notre assemblée s’est écrite avec de l’audace et du courage. François Rochebloine l’a lui aussi rappelé. Comme l’a observé Christian Kert, les députés ont su en plusieurs circonstances dépasser leurs querelles et les postures politiciennes au nom de l’intérêt général. C’est bien ce qui devrait nous rassembler aujourd’hui.
C’est au nom de la dignité humaine que je vous demande de soutenir ce texte : 2011, 2012, 2013, 2014, 2015 : les années passent et nous laissons le négationnisme se propager, s’enraciner sur notre territoire. Nous avons aujourd’hui une occasion historique d’y mettre un terme. Comment laisser s’achever cette année sans travailler sur le sujet, en se réfugiant une fois de plus derrière l’esthétique juridique ou des arguties juridiques ?
Lors des débats de 2011, l’ensemble des groupes politiques de cette assemblée s’étaient unis pour voter le texte. Souvenons-nous des promesses du candidat François Hollande devant la statue de Komitas en avril 2012, de la question écrite posée par Guillaume Larrivé en août 2012 pour connaître le calendrier de la proposition de loi. La réponse est tombée comme un couperet en juillet 2014 : « Ce n’est pas une priorité…
…nous attendons l’arrêt Perinçek. » L’arrêt Perinçek a été rendu il y a maintenant plusieurs semaines. Il a été analysé, j’en ai tenu compte dans la proposition de loi que j’ai déposée, et toujours rien ! Relevons donc les défis, ne nous cachons plus derrière des arguties qui n’ont pas de sens ! J’ai écrit à chacun de vous une lettre personnelle : les plus éminents constitutionnalistes ont considéré que ce texte offrait des garanties. Si vous avez du courage politique, si vous attachez comme nous du prix à la dignité humaine, faites au moins en sorte que le texte soit discuté et que nous examinions les arguments.
Il est temps de passer des paroles aux actes. Quatre ans, avec les moyens qui sont ceux de la présidence de la République et de la majorité, me semblent amplement suffisants pour réfléchir ! Engagez-vous ! Soutenez des propositions qui permettent d’honorer vos promesses et les nôtres ! Au pays des droits de l’Homme et à l’heure même où d’autres génocides sont perpétrés au même endroit, nous ne pouvons laisser passer cette occasion : nous devons relever le défi des droits de l’Homme.
Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Sur la motion de renvoi en commission qui va être défendue à l’instant, je suis saisi par le groupe de l’Union des démocrates et indépendants d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
J’ai reçu de M. Bruno Le Roux et des membres du groupe socialiste, républicain et citoyen une motion de renvoi en commission déposée en application de l’article 91, alinéa 10, du règlement.
La parole est à Mme Marie-Anne Chapdelaine.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, chers collègues, la proposition de loi que nous étudions aujourd’hui aborde des considérations humaines, diplomatiques et historiques. Chacun de ces points serait sujet à un débat approfondi.
Néanmoins, le Conseil constitutionnel a déjà privé d’effet juridique une première proposition de loi, que celle-ci essaie de contourner sans pour autant lever les difficultés qui l’avaient conduite dans l’impasse. Mme la rapporteure nous replonge encore une fois dans le flou, avec un amendement de réécriture dont nous n’avons découvert l’existence qu’hier soir,…
…une manoeuvre à laquelle nous avions déjà assisté en commission des lois. Nous surprendre est peut-être son unique tactique, afin de nous placer dans une situation d’impréparation. Réécrite en une nuit, dans la précipitation, cette proposition de loi ne saurait être à la hauteur des attentes et des enjeux soulevés par un tel débat.
Je vous propose de la renvoyer en commission pour plusieurs raisons qui découlent de l’évidence : parce qu’elle n’est portée par aucun traité international, parce qu’elle remettrait en cause la loi Gayssot et parce qu’elle serait censurée par le Conseil constitutionnel, mais aussi par la Cour européenne des droits de l’Homme.
Je commencerai par rappeler que, bien que le génocide arménien ait fait l’objet de résolutions, il n’a jamais été reconnu ni par la France, ni par la Turquie, par un traité signé et ratifié. Ajoutons même qu’il n’a jamais été reconnu formellement par aucune instance internationale. Dans cette mesure, une pénalisation de sa négation est juridiquement inconcevable.
Soulignons également la dangerosité de cette proposition de loi, dont la rédaction incertaine pourrait fragiliser la pénalisation de la négation de la Shoah. En effet, elle pourrait remettre en question les fondements de la loi Gayssot : si la loi Boyer était censurée, les questions prioritaires de constitutionnalité contre la loi Gayssot deviendraient, sans doute, plus nombreuses et, éventuellement, plus fondées en droit.
Cette proposition de loi apparaît ainsi comme totalement infondée juridiquement. Je pourrais m’arrêter là si elle ne démontrait pas également une profonde méconnaissance de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Rappelons, s’il en était besoin, que le délit d’opinion et celui d’ignorance sont rarement tolérés par le Conseil. Dans une telle situation, cela reviendrait à porter atteinte à la liberté d’expression puisque, faute de définition précise en droit, le législateur se reposerait entièrement sur le juge.
Méprisant la jurisprudence du Conseil constitutionnel, ce texte méconnaît également celle de la Cour européenne des droits de l’Homme. En effet, la proposition de loi apparaît comme contraire à la liberté d’expression consacrée par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme. La Cour s’est prononcée dans ce sens à plusieurs reprises, et dernièrement à l’occasion de l’arrêt Perinçek du 15 octobre 2015. À cette occasion, elle a jugé nécessaire que les propos incriminés constituent une incitation à la haine, à la violence ou à l’intolérance. Or la proposition de loi vise toute négation ou banalisation grossière des génocides, et non uniquement celles qui constituent une incitation à la haine.
Pour terminer avec la jurisprudence européenne, je soulignerai que la Cour européenne des droits de l’Homme contrôle la proportionnalité de la sanction, qui, pour la nouvelle proposition de loi Boyer, consiste en une peine d’emprisonnement et une amende. Dans plusieurs de ses arrêts relatifs à la liberté d’expression, la Cour a considéré qu’une sanction pénale était une sanction grave « eu égard à l’existence d’autres moyens d’intervention et de réfutation, notamment par les voies de droit civiles. » Ainsi, la sanction prévue par la proposition de loi apparaîtrait disproportionnée au regard des buts poursuivis par la législation.
À ces motifs d’inconstitutionnalité, j’ajoute l’oubli relatif à la Cour pénale internationale, pourtant compétente et qui ne prévoit pas d’excuse absolutoire telle que décrite par la proposition de loi.
Cette proposition de loi apparaît donc infondée juridiquement, non constitutionnelle et non conforme à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme. Cette insécurité juridique aurait pour effet d’affaiblir la démonstration et de rendre plus problématique et complexe l’objectif recherché.
Nous le savons tous, ce n’est pas avec une proposition de loi écrite, réécrite, puis « raccommodée » par un amendement de réécriture que nous allons rendre justice à un peuple qui a tant souffert par le passé. Pour ces nombreux motifs, je vous invite à voter son renvoi en commission.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Je veux bien entendre tous les arguments, mais pas ceux qui sont inexacts, notamment en ce qui concerne la façon dont travaille l’Assemblée nationale. Je me permets de rappeler que les amendements ont été déposés jeudi, et traités par le service de la séance lundi à dix-sept heures trente. Nous avons l’habitude de travailler ainsi, et je trouve misérable de se réfugier derrière de tels arguments, surtout lorsqu’ils sont inexacts, alors que le sujet est d’une tout autre portée.
Nous avons aujourd’hui un défi à relever. Il concerne ce qui s’est passé il y a cent ans. Hier, c’étaient les Arméniens et les Assyro-Chaldéens ; aujourd’hui, ce sont les Yazidis et les Chrétiensd’Orient. La France se doit de les protéger. Pensons au message que nous adressons aux génocidaires et aux criminels ; pensons au message que nous adressons aux descendants des victimes. Non seulement vous n’avez pas répondu sur le fond aux arguments avancés à l’appui de la proposition de loi, mais vous ne prenez même pas l’engagement de traiter cette question dans un proche avenir. J’en suis profondément désolée pour cette cause que nous sommes tous censés défendre. Et je citerai de mémoire un propos d’André Malraux, qui disait que la France n’est grande que lorsqu’elle s’intéresse au monde.
Votre attitude est aujourd’hui contraire à l’image que nous nous faisons de la France, et je le regrette.
Nous en venons aux explications de vote.
La parole est à M. Christian Kert, pour le groupe Les Républicains.
J’aimerais dire à Mme Chapdelaine qu’elle fait fi de l’aspect humain du sujet que nous traitons. On peut se réfugier derrière le Conseil constitutionnel ; on peut se réfugier derrière la jurisprudence européenne. Mais nous sommes ici dans un Parlement national, et non au Parlement européen – et c’est peut-être cette dimension que nous devrions donner à notre réflexion.
Ce texte n’a pas besoin d’être renvoyé en commission. Voilà des années qu’un certain nombre d’entre nous, François Rochebloine, Valérie Boyer et tant d’autres, s’investissent pleinement sur le sujet du négationnisme : le temps est venu de trancher. Que chacun de nous vote en conscience et accepte de dire qu’il y a un devoir de justice, un devoir face à l’Histoire. Nous pouvons vivre ensemble cet instant privilégié : ce devoir de mémoire, ce devoir face à l’Histoire, nous pouvons collectivement le remplir, dans un esprit de consensus. Le groupe Les Républicains rejettera donc cette motion de renvoi en commission.
La parole est à M. François Rochebloine, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Permettez-moi de vous rappeler, madame Chapdelaine, que le Conseil constitutionnel, quelles que puissent être ses prétentions, n’est pas un juge, mais seulement le gardien des équilibres institutionnels et des grands principes du droit.
Je dirai d’autre part à nos collègues que comme son titre l’indique, la proposition de loi ne se limite pas au génocide arménien : elle concerne tous les génocides et crimes contre l’Humanité. Je crois qu’il est bon de le rappeler.
Enfin, je voudrais exprimer quelques regrets, et c’est pourquoi je partage pleinement le propos de Christian Kert : il convient que chacun vote en son âme et conscience. Je regrette que le Président de la République ne respecte pas les engagements du candidat Hollande – car il avait pris cet engagement, comme le candidat Nicolas Sarkozy, en 2012, puis 2013, 2014, 2015 ont passé – et on nous reproche aujourd’hui d’avoir déposé cette proposition de loi à quelques jours des élections régionales ! C’est absolument inacceptable ; c’est d’ailleurs pour cela que le groupe UDI a demandé un scrutin public. Chacun prendra ses responsabilités ! Que l’on ne s’étonne pas que les hommes et les femmes politiques soient si décriés. Des engagements ont été pris par celui qui est aujourd’hui Président de la République : ils auraient déjà dû être tenus. Il l’a dit à plusieurs reprises. Il l’a dit à Erevan. Il l’a dit à plusieurs manifestations organisées par le Conseil de coordination des organisations arméniennes de France. Madame la garde des sceaux l’a dit elle-même, il y a un an de cela, et nous étions nombreux à être présents ce jour-là. Nous en sommes toujours au même point. Il ne faut surtout pas que nous renvoyions cette discussion en commission.
La parole est à M. Bruno Le Roux, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Je suis très triste du moment que vous avez fait vivre à notre assemblée. Nous avons eu depuis quinze ans de très beaux débats sur un juste combat : d’abord, la reconnaissance du génocide arménien, puis la recherche du moyen de prévenir sa négation. Nous étions nombreux, alors, dans cet hémicycle, qui était beaucoup moins clairsemé qu’aujourd’hui. Si je ne vois pas un certain nombre de ceux qui ont lié leur nom à toutes ces grandes lois que nous avons adoptées, c’est bien parce qu’ils considèrent, comme nous, que votre texte est bâclé et imprécis
Exclamations sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.
Vous avez réécrit cette proposition, après l’avoir déposée une première, puis une deuxième fois. Compte tenu de la gravité du thème dont nous débattons, vous ne pouvez pas vous permettre cette impréparation totale, qui renvoie d’ailleurs à une question fondamentale : pourquoi maintenant ? Pourquoi, maintenant, être si peu précis, pourquoi, maintenant, vouloir donner un coup d’accélérateur, alors que nous savons bien que le risque de la censure constitutionnelle est toujours présent sur cette question ?
C’est parce que ce texte, pour des raisons que chacun comprend trop bien, est un texte totalement bâclé, que nous souhaitons, non pas le rejeter – car nous ne souhaitons pas rejeter une proposition de loi portant sur ce sujet – mais, à tout le moins, le renvoyer en commission…
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants: 39 Nombre de suffrages exprimés: 38 Majorité absolue: 20 Pour l’adoption: 26 contre: 12 (La motion de renvoi en commission est adoptée.)
S’agissant d’un texte inscrit à l’ordre du jour fixé par l’Assemblée, il appartiendra à la conférence des présidents de proposer les conditions de la suite de la discussion.
Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :
Discussion de la proposition de loi visant à rendre automatique l’incapacité pénale des personnes définitivement condamnées pour pédophilie ;
Discussion de la proposition de loi visant à financer la rénovation des casernes ;
Discussion de la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête relative à la participation de fonds français au financement de Daech.
La séance est levée.
La séance est levée à douze heures quarante-cinq.
La Directrice du service du compte rendu de la séance
de l’Assemblée nationale
Catherine Joly