La séance est ouverte.
La séance est ouverte à vingt et une heures trente.
Cet après-midi, l’Assemblée a poursuivi l’examen des articles du projet de loi, s’arrêtant à l’amendement no 243 à l’article 10.
La parole est à Mme Fanélie Carrey-Conte, pour soutenir l’amendement no 243 .
Le présent amendement a pour objet d’instaurer une égalité de traitement entre les jeunes pris en charge par l’aide sociale à l’enfance, avant leurs seize ans ou après leurs seize ans. Il s’agit plus précisément qu’un mineur pris en charge par l’ASE après ses seize ans puisse bénéficier, comme ceux qui auront été pris en charge avant leurs seize ans, de la possibilité de se voir délivrer de manière automatique une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale ».
La puissance publique investit dans l’accompagnement et dans la formation des jeunes pris en charge par l’ASE. Il m’apparaît donc incohérent que la délivrance d’une carte de séjour temporaire « vie privée et familiale » soit de droit pour un jeune qui serait pris en charge par exemple à quinze ans et six mois, mais exceptionnelle pour un jeune pris en charge à seize ans et deux mois. Cet amendement vise donc à instaurer une égalité de traitement pour tous les jeunes pris en charge par l’aide sociale à l’enfance.
La parole est à M. Erwann Binet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
Madame Carrey-Conte, je souhaite apaiser vos inquiétudes. Le mineur étranger isolé, confié entre ses seize et dix-huit ans à l’aide sociale à l’enfance, peut être admis au séjour, même s’il ne s’agit évidemment pas d’un droit automatique, sans toutefois qu’une entrée régulière en France soit exigée.
Il peut par exemple obtenir une carte portant la mention « salarié » ou « travailleur temporaire » s’il suit une formation professionnelle qualifiante depuis au moins six mois, ou encore une carte étudiant s’il suit des études secondaires ou universitaires. Pour accepter ou refuser la carte, le préfet prend alors en compte le caractère réel et sérieux de la formation, la nature de ses attaches familiales dans le pays d’origine et l’avis de la structure d’accueil sur son insertion en France. En dehors de ces cas de délivrance, il existe encore d’autres motifs possibles de délivrance d’une carte de séjour, par exemple en qualité de victime de la traite des êtres humains.
Par ailleurs, si je puis me permettre, votre rédaction semble présenter un biais, sans doute involontaire : avec le dispositif que vous nous proposez, un étranger qui entrerait sur le territoire à dix-huit ans moins un jour obtiendrait de plein droit une carte de séjour dans l’année qui suit son dix-huitième anniversaire, c’est-à-dire à peu près deux jours après son arrivée ; cela ne me paraît évidemment pas souhaitable. Avis défavorable de la commission.
Le cas présenté par M. le rapporteur ne peut pas exister : si un jeune entrait sur le territoire à dix-huit ans moins un jour, l’ASE n’aurait pas le temps de déterminer si ce jeune doit être ou non pris en charge ; en outre, on se prémunirait contre ce genre de situation. Je maintiens donc mon amendement parce que passer d’une logique exceptionnelle à une logique de délivrance de droit me semble pleinement légitime.
Je rappelle que, pour les mineurs recueillis avant seize ans, la carte de séjour temporaire n’est pas délivrée sans condition. Ainsi, le titre est automatiquement remis si les conditions tenant au caractère réel et suivi de la formation et à l’avis de la structure d’accueil sont remplies. Il existe donc certaines conditions ; il s’agit simplement d’une logique de droit et non d’une logique d’exception.
Le problème est qu’un certain nombre de mineurs, pris en charge par l’ASE après leurs seize ans et bénéficiant d’une scolarité, se retrouvent en situation irrégulière après leurs dix-huit ans alors qu’ils sont scolarisés. Le passage d’une logique exceptionnelle à une logique de droit permettrait de régler ces situations. C’est une question d’égalité entre l’ensemble des jeunes pris en charge par l’ASE. Je maintiens donc cet amendement.
L’amendement no 243 n’est pas adopté.
La parole est à Mme Fanélie Carrey-Conte, pour soutenir l’amendement no 275 .
Cet amendement porté par mon collègue Denys Robiliard a pour objet le rétablissement de la disposition qui permettait aux étrangers présents en France depuis plus de dix ans d’obtenir de plein droit un titre de séjour. Cette durée serait prolongée à quinze ans si, au cours de cette période, l’intéressé a résidé en France sous couvert d’une carte de séjour portant la mention « étudiant ».
Ce dispositif est déjà prévu dans les accords franco-algérien et franco-tunisien. Néanmoins, la commission des lois n’a pas jugé utile d’envoyer à tous les autres ressortissants étrangers le signal d’une régularisation de plein droit au bout de dix ans de séjour.
Par ailleurs, les ressortissants étrangers résidant en France depuis plus de dix ans obtiennent très généralement une carte de séjour temporaire sur la base de l’un des autres fondements prévus à l’article L. 313-11 : liens personnels et familiaux, parents d’enfant français, conjoints de Français… En pratique, votre amendement me semble donc quasi satisfait. Avis défavorable de la part de la commission.
L’amendement no 275 , repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.
La parole est à M. Sergio Coronado, pour soutenir l’amendement no 120 .
Ce débat ayant déjà eu lieu à l’article 4, j’imagine que le rapporteur et le Gouvernement auront le même avis. Je rappelle que l’exigence d’un visa de long séjour reste la norme pour les conjoints de Français. De nombreux conjoints de Français ne peuvent parfois justifier d’une entrée régulière, ou bien ont bénéficié d’un visa de court séjour après un mariage en France et sont contraints de retourner dans leur pays d’origine demander un visa de long séjour. Dans ces cas, le droit au respect de la vie privée et familiale n’est pas aussi bien respecté qu’on le souhaiterait.
Du reste, le Défenseur des droits, dans une décision du 9 avril 2014, a préconisé de supprimer, pour les conjoints de Français, l’obligation de production d’un visa de long séjour prévue pour l’obtention d’une carte de séjour temporaire « vie privée et familiale ». Il a en effet considéré que l’exigence de visa de long séjour pour les conjoints de Français était contraire au droit européen et constituait une discrimination à rebours fondée sur la nationalité, comme l’a rappelé cet après-midi ma collègue Isabelle Attard.
Le présent amendement propose donc de réformer le droit applicable aux conjoints de Français en supprimant cette obligation.
Monsieur Coronado, votre souhait est satisfait par l’amendement de Mme Chapdelaine que nous avons adopté cet après-midi : cet amendement à l’article 4 a en effet prévu la délivrance de plein droit du visa de long séjour aux conjoints de Français, tout en réservant évidemment – c’était le souhait de Mme Chapdelaine, de la commission et du Gouvernement – les cas de la fraude, de l’annulation du mariage et de la menace à l’ordre public. Ce faisant, je crois que votre souhait est largement satisfait ; avis défavorable si vous ne retiriez pas votre amendement.
Ce n’est pas la même philosophie : dans un cas, on facilite l’obtention et, dans l’autre, on supprime. Mais je note l’avancée réalisée grâce à l’amendement de ma collègue Chapdelaine ; je retire donc cet amendement.
L’amendement no 120 est retiré.
Il s’agit d’un amendement cosigné par l’ensemble des députés du groupe Les Républicains sur une question qui nous paraît majeure et qui nécessite selon nous quelques instants de débat. La procédure de regroupement familial, qui a augmenté dans les proportions que nous évoquions lors de la séance précédente,…
…est « doublonnée » par une autre procédure de rapprochement familial des clandestins. Les dispositions du 7° de l’article L. 313-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile permettent à des personnes en situation illégale de faire venir leur famille en France. Cet article est ancien : vous ne l’avez pas introduit dans le code il y a trois semaines, monsieur le ministre ! Il est issu – c’est du moins notre conviction – d’une interprétation extensive, trop extensive, que le juge administratif français a faite des stipulations de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Compte tenu de l’évolution des chiffres au cours des dernières années, compte tenu des détournements massifs dont la procédure légale de regroupement familial fait l’objet, compte tenu enfin de notre volonté de contingenter le regroupement familial, nous sommes convaincus que le moment est venu de supprimer ces dispositions qui organisent cette procédure paradoxale de légalisation du regroupement familial illégal.
On nous objectera alors l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. En vérité, lorsqu’on relit cet article 8, on voit qu’il est équilibré : il définit certes les droits des personnes à jouir d’une vie familiale, mais également le droit de l’État à sauvegarder l’intérêt général et notamment la prise en compte du bien-être économique. Si cette disposition disparaît demain de l’ordre juridique, il vous restera toujours…
J’en termine à l’instant. Il vous restera toujours la possibilité d’admettre à titre exceptionnel, pour des raisons humanitaires, le séjour des étrangers ; mais vous n’aurez plus cette porte ouverte vers un regroupement familial illégal,…
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
Tout d’abord, monsieur Larrivé, dans l’exposé des motifs, vous parlez de la « doxa droit-de-l’hommiste ». Dans cet hémicycle, en France, de la part d’un parlementaire français, je trouve cela particulièrement déplaisant ! Vous avez évoqué l’article 8 : il s’impose à nous et ne correspond pas à la « doxa droit-de-l’hommiste » ! Je voulais vous dire le malaise qui était le mien en lisant dans l’exposé sommaire ces quelques mots et en les répétant dans cet hémicycle.
Sur le fond, contrairement à ce que vous indiquez, il existe des cas, non prévus dans l’article L. 313-11 auquel vous faites référence, où le respect de la vie privée et familiale doit conduire à une attribution d’une carte de séjour : ces attaches peuvent concerner des parents, des frères, des soeurs, etc.
Par ailleurs, le 7° de l’article L. 313-11 enserre l’octroi de la carte de séjour dans un certain nombre de conditions : l’intensité, l’ancienneté, la stabilité des liens personnels et familiaux, les conditions d’existence, l’insertion dans la société française, la nature des liens avec la famille restée dans le pays d’origine. Ce cas de délivrance a donc paru justifié à la commission des lois, qui a repoussé votre amendement.
Je veux profiter de votre intervention, monsieur Larrivé, pour répéter ce que j’ai dû dire quatre fois depuis le début de ce débat : il n’y a pas d’augmentation du regroupement familial en France. Ce n’est pas vrai ! J’ai d’ailleurs indiqué tout à l’heure que je publierai les chiffres sur le site du ministère de l’intérieur : c’est fait ! Par conséquent, tous les Français qui écoutent ce débat sur internet ou sur La Chaîne Parlementaire peuvent immédiatement consulter le site du ministère de l’intérieur et constater que le chiffre que vous indiquez n’est pas bon. En 2014, le regroupement familial concernait 14 300 personnes et, en 2013, 13 644.
Je vous ai expliqué tout à l’heure, de façon extrêmement précise, que le chiffre auquel vous faites référence n’est pas le chiffre du regroupement familial, mais un chiffre qui intègre les données que je viens d’indiquer à l’instant et d’autres, qui n’ont rien à voir avec le regroupement familial. Par conséquent, je vous le répète en toute bonne foi, et même si je comprends que cela vous arrange de le dire, cela ne correspond pas à la vérité. J’invite donc les Français qui nous écoutent à se rendre sur le site du ministère de l’intérieur pour regarder ce que sont les vrais chiffres.
Deuxième élément : le titre de séjour « vie privée et familiale » est la transposition en droit interne de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Cet article a été voté dans le cadre de la loi Chevènement pour mettre un terme au cas des étrangers non expulsables et non régularisables. Ces étrangers se trouvant dans une situation inextricable qu’on ne savait pas régler en droit, qu’on ne savait pas régler de façon opérationnelle, Jean-Pierre Chevènement a donc pris des dispositions.
Cet article est par ailleurs totalement équilibré : il comprend une réserve d’ordre public et prévoit qu’il ne peut servir comme procédure parallèle au regroupement familial. Par conséquent, lorsque vous dites que la disposition dont il est question, et qui justifie votre amendement, permettra le regroupement organisé par le Gouvernement de migrants en situation irrégulière – ceux que vous appelez les clandestins –, c’est totalement faux !
Non, c’est totalement faux ! Je vais d’ailleurs vous dire quelle est la position du Gouvernement concernant les migrants en situation irrégulière.
Notre politique est de procéder à la reconduite à la frontière de ces migrants, parce que c’est la condition de la soutenabilité de l’accueil et de tout ce que nous faisons pour les demandeurs d’asile. S’il n’y a pas de reconduite à la frontière des migrants économiques irréguliers, s’il n’y a pas de démantèlement des filières de l’immigration irrégulière, il n’y a pas de soutenabilité de notre politique migratoire.
Je comprends qu’il soit de l’intérêt de votre organisation politique et de votre groupe de rappeler à l’envi que telle n’est pas la position du Gouvernement, mais c’est faux : la position du Gouvernement est claire et équilibrée.
Et lorsque vous dites que nous allons procéder au regroupement familial des clandestins, c’est une contre-vérité qui succède à une contre-vérité sur les chiffres.
Je veux profiter de la discussion de cet amendement pour le dire et j’émets bien entendu un avis défavorable.
Comme le disait Éric Ciotti tout à l’heure, il faut de la volonté. Je comprends que celle de votre groupe consiste à prendre des mesures qui ne sont pas constitutionnelles, qui ne sont pas conventionnelles, qui ne sont pas conformes aux directives. La volonté consisterait à enfreindre les règles de droit auxquelles nous devons nous conformer pour mettre en oeuvre des mesures qui, de surcroît, ne sont pas pertinentes.
« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
C’est un vrai désaccord que nous avons, au plan technique comme au plan politique.
Au plan technique, tous les magistrats administratifs et fonctionnaires des préfectures qui liront nos débats, je l’affirme de manière absolue, sauront que ce que je dis est vrai. L’article dont je parle a pour objet et pour effet de permettre le rapprochement, en raison de liens personnels ou familiaux, de personnes qui ne sont pas entrées légalement en France ou qui ne s’y sont pas maintenues.
C’est son objet, comme vous le verrez si vous le lisez ou si vos services vous invitent à le faire.
C’est bien le problème, d’ailleurs, monsieur le ministre. Lorsque M. Chevènement – Mme Bechtel était à son cabinet – a introduit, il y a près de vingt ans, ces dispositions dans ce qui n’était pas encore le code de l’entrée et du séjour des étrangers, mais l’ordonnance de 1945, c’était parce que la jurisprudence des juges administratifs, interprétant l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, avait cru devoir garantir l’accès à la vie familiale des personnes en situation irrégulière.
Tout le problème que vos services doivent résoudre, c’est que s’est constituée une procédure de regroupement familial parallèle à la procédure légale. Aujourd’hui, en réalité, les deux volumes sont quasiment identiques : de l’ordre de 18 000 à 20 000 pour le rapprochement familial stricto sensu, je ne conteste pas vos chiffres, et de l’ordre de 18 000 pour ce rapprochement familial-là.
Ce que je vous dis, s’agissant de ce désaccord technique qui est aussi un désaccord politique, c’est que le moment est venu, du point de vue du groupe Les Républicains, de dire que ça suffit. Nous n’allons pas nous soumettre à des procédures de régularisation permanentes qui font que 18 000 à 19 000 étrangers en situation illégale bénéficient d’une procédure de rapprochement familial, contournant les règles du regroupement familial.
M. le député Larrivé parle d’un « désaccord technique et politique » : j’en accepte le principe, au moins pour le désaccord politique. Pour le désaccord technique, nous pourrions en parler en faisant du droit.
Mais je voudrais vous poser, monsieur Larrivé, une question très concrète, parce qu’après tout, derrière les règles de droit, derrière les normes que nous élaborons, il y a des réalités humaines.
Les personnes dont il est question, auxquelles s’appliqueront ces dispositions, vous le savez pertinemment, sont non-éloignables et non-expulsables. Elles ont vocation à rester sur le territoire national.
Si. Sinon, nous procéderions à leur éloignement. Une grande partie de ces personnes sont non-éloignables et non-expulsables. C’est d’ailleurs la raison historique pour laquelle Jean-Pierre Chevènement, faisant le constat de cette difficulté, avait pris les dispositions législatives auxquelles vous faites référence.
Ce n’est pas parce que vous prendrez, monsieur Larrivé, la position que vous venez de prendre au plan politique – qui est purement rhétorique et dont je comprends l’intérêt pour vous mais qui n’a aucun caractère opérationnel – que vous allez faire diminuer le nombre de ceux qui sont sur le territoire national et qui ne sont pas expulsables.
Je voudrais donc vous poser une question concrète. Ces personnes ne sont pas éloignables et ne sont pas expulsables, qu’est-ce que vous faites ? Les laissez-vous ainsi, sans prendre aucune disposition ? Laissez-vous perdurer cette situation ambiguë, difficile sur le plan humain comme sur le plan juridique ?
À la fin, vous avez fait une très belle déclaration de fermeté ; vous avez donné, sans doute, à ceux qui vous font confiance les gages verbaux dont ils ont besoin, mais concrètement, en réalité, qu’est-ce que ça change ? Rien, et vous le savez pertinemment.
Eh bien, moi, je ne veux pas qu’on traite les questions migratoires de cette manière-là, parce qu’on n’obtient aucun résultat, c’est évident ; on crée des drames humains, ce qui est regrettable ; on crée aussi un climat dans notre pays qui est préjudiciable au climat républicain. Je sais que vous êtes sensible à cette question comme républicain : je ne fais pas référence à l’appartenance politique qui est la vôtre, mais aux valeurs auxquelles nous sommes un très grand nombre à nous référer ici. Par conséquent, je ne vois pas l’intérêt de votre position.
Que faites-vous de ces personnes non-éloignables et non-régularisables ?
Je vous remercie pour la qualité de cet échange, parce que nous en venons enfin, quelque peu, au fond.
Je vais vous répondre, monsieur le ministre, en deux points.
Je considère qu’il faut passer d’une logique de droit à la régularisation – qu’organise l’article que je propose d’abroger – à une logique d’admission exceptionnelle au séjour, pour raisons humanitaires, qu’organise un article du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile que je ne propose pas d’abroger.
Il s’agit très précisément de l’article L. 313-4 du CESEDA qui a été introduit ici, lorsque Nicolas Sarkozy était à votre place et qu’il avait personnellement, comme ministre de l’intérieur, souhaité que cette admission exceptionnelle au séjour figurât dans ce code.
Ce dispositif existe et il permet aux préfets, sous votre autorité, d’admettre au séjour, à titre exceptionnel, pour des raisons humanitaires, celles et ceux dont ils estiment que l’éloignement n’est pas possible.
Deuxième point, je proposerai par amendement un dispositif nouveau, dont je ne sais s’il est efficace puisqu’il n’a jamais été appliqué, qui s’appelle le contrat de retour volontaire. Il serait négocié avec les pays d’origine.
Je propose donc à la fois un dispositif d’admission exceptionnelle pour des cas humanitaires particulièrement caractérisés et un programme de contrats de retour volontaire – étant entendu que par ailleurs, nous proposons d’autres évolutions, s’agissant des centres de rétention administrative.
Voilà ce que nous tenterions de faire, voilà ce que, j’espère, nous tenterons de faire le moment venu, si les Français nous invitent à prendre de nouveau les responsabilités.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants: 32 Nombre de suffrages exprimés: 32 Majorité absolue: 17 Pour l’adoption: 8 contre: 24 (L’amendement no 85 n’est pas adopté.)
C’est encore un amendement de mon collègue Robiliard.
Alors que le CESEDA prévoit un droit au séjour pour les personnes ayant des liens personnels et familiaux en France, en pratique, seuls les liens familiaux sont pris en considération par l’administration.
Si on souhaite que les liens personnels que des étrangers ont noués sur le territoire puissent également être pris en compte, il est nécessaire de le préciser la loi, ce qui permettrait par ailleurs de répondre plus exactement aux exigences de protection de la vie privée et familiale garanties par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Il y a, dans ce domaine, une importante jurisprudence de la cour européenne des droits de l’homme.
La parole est à Mme Chantal Guittet, pour soutenir l’amendement no 310 .
Les liens purement personnels seraient insuffisants pour ouvrir ce droit à mener une vie familiale normale. Au demeurant, la notion de lien personnel mais non familial est extrêmement floue et imprécise, accordons-nous au moins sur ce point.
Nous avons tous des relations personnelles avec des quantités de gens et cela ne peut en soi justifier l’attribution d’un titre de séjour. C’est pourquoi la commission a souhaité repousser vos amendements.
La parole est à M. Guillaume Larrivé, pour soutenir l’amendement no 86 .
L’amendement no 86 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.
La parole est à M. Olivier Falorni, pour soutenir l’amendement no 229 .
Cet amendement, signé par l’ensemble des membres du groupe RRDP, porte sur l’alinéa 5.
En préambule, je voudrais redire notre satisfaction de voir ce texte prendre en compte le sort des étrangers malades. Vous l’avez dit monsieur le ministre : en effet, nous parlons d’hommes, de femmes, d’enfants et pas simplement de statistiques.
Dans le texte, le titre de séjour mentionné s’applique aux cas où les soins nécessaires ne seraient pas accessibles dans le pays d’origine et où les conséquences d’une absence de soins seraient exceptionnellement graves.
C’est sur cette condition « d’une exceptionnelle gravité », pour citer exactement les termes employés, que nous souhaitons amender cet alinéa, parce qu’elle peut apparaître trop restrictive et se prête à une interprétation limitée à de trop rares cas.
Cette formulation, selon nous, pourrait aboutir à une interprétation arbitraire. Aussi l’amendement que nous vous proposons vise-t-il à remplacer les mots « d’une exceptionnelle gravité » par le simple qualificatif « grave » : cela laisserait une plus grande flexibilité dans l’évaluation des conséquences qu’aurait une absence de soins. Entre plusieurs pays, d’ailleurs, l’exceptionnelle gravité peut être perçue de façon très différente.
L’adoption de cet amendement permettrait aussi de limiter le risque de situations dramatiques résultant d’une prise en charge défaillante.
La commission a donné un avis défavorable, monsieur Falorni. L’article 10 élargit déjà considérablement les droits de l’étranger malade. D’abord, même si cela existe depuis 2011, le ministre l’a rappelé, nous reformulons la disposition qui confiait aux médecins de l’agence régionale de santé l’avis donné au préfet. C’est une avancée considérable.
Par ailleurs, au bout d’un an, l’étranger malade pourra bénéficier d’une carte pluriannuelle. Ce sont là des dispositions très favorables à l’étranger.
Remplacer « d’une exceptionnelle gravité » par « grave », ce qui romprait avec la pratique des médecins de l’ARS, ne nous semble pas satisfaisant. C’est pourquoi la commission des lois a donné un avis défavorable à votre amendement.
Le Gouvernement, monsieur le député, est également défavorable à cet amendement, parce qu’il tend à ce que le droit au séjour soit accordé aux étrangers souffrant de pathologies lorsque leur retour les exposerait à des conséquences « graves » et non « d’une exceptionnelle gravité », comme le prévoit le droit actuel, reconduit sur ce point par le projet de loi.
La notion d’exceptionnelle gravité est parfaitement maîtrisée par le corps médical. Son emploi évite ainsi d’envisager l’admission en séjour dans notre pays de tout porteur d’une maladie qui ne nécessiterait pas de soins immédiats.
Elle n’écarte pas du tout les pathologies graves mais elle résulte d’un équilibre et traduit le souci d’accueillir les personnes souffrant de maladies qui, sans engager le pronostic vital, entraînent des conséquences irréversibles comme, par exemple, la perte d’un membre.
Le juge administratif, par ailleurs, exerce en la matière un contrôle très rigoureux en cas de recours contre le refus de séjour.
Pour toutes ces raisons, le Gouvernement privilégie le maintien du dispositif actuel, lequel préserve parfaitement à notre sens le droit et les droits des étrangers concernés.
J’émets donc un avis défavorable à l’adoption de cet amendement.
Nous reprenons en quelque sorte le débat de tout à l’heure et c’est normal puisque nous sommes dans le flou le plus artistique.
Nous parlerons probablement tout à l’heure de l’aide médicale d’État et de la dette contractée par les étrangers – parfois européens – auprès des hôpitaux français qui, pour la seule Assistance publique des hôpitaux de Paris, s’élève à 120 millions – nous ignorons d’ailleurs le montant qui n’en sera pas perçu.
Cela me permet de revenir sur le changement de doctrine que nous avons évoqué cet après-midi et que vous n’avez peut-être pas apprécié à sa juste valeur, monsieur le ministre – sans doute le Sénat vous éclairera-t-il à ce propos, de même que nos débats.
Auparavant, monsieur Falorni, l’étranger qui devait être soigné en France devait démontrer que le système de santé public de son pays d’origine ne pouvait pas le faire. M. le ministre a tout à l’heure apporté une modification assez importante en considérant que le pays d’origine de cette personne ne devait pas être en mesure de le soigner, y compris notamment pour des raisons financières.
Avec le groupe Les Républicains, nous n’avons cessé de dire que c’était là un grand danger puisqu’il suffit qu’un pays ne remplisse pas son rôle et qu’il considère ne pas devoir faire profiter sa population de tel ou tel type de médicaments en raison de sa cherté pour que celle-ci aille se faire soigner en France.
Si tel ou tel pays décide de ne pas mettre à disposition de sa population tel ou tel type de médicaments pour des raisons financières et parce qu’il a fait d’autres choix – renforcement de l’armée, privilégier tel ou tel type de dépenses, se montrer expansionniste dans telle ou telle circonstance ou d’autres choix encore – ses habitants seront en droit de se dire qu’après tout, juridiquement, ils peuvent demander à la France de les aider parce qu’ils sont malades.
Ce changement de doctrine a peut-être échappé aux uns et aux autres mais vous êtes en fait en train d’encourager un système de déresponsabilisation pour un certain nombre de gouvernements.
L’amendement no 229 n’est pas adopté.
Je souhaite tout d’abord rappeler que, pour les écologistes, l’article 10 constitue une avancée importante. Il est en effet assez positif puisqu’il prend en compte la réalité sanitaire des pays dont les étrangers malades pouvant bénéficier d’un titre de séjour peuvent être originaires et que, de surcroît, il dispose qu’un rapport sera publié.
Il comporte en revanche une disposition sur laquelle il est possible de s’interroger ou, en tout cas, qui suscite des oppositions assez vives parmi les associations : le texte propose en effet que l’avis médical soit désormais rendu par les médecins de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, l’OFII, et non plus par ceux des ARS.
Je rappelle que le Défenseur des droits lui-même recommande que les médecins des ARS demeurent compétents pour évaluer l’état de santé des personnes en vue de l’obtention d’un droit au séjour pour raisons médicales.
Il souligne qu’un tel transfert comporte le risque que l’OFII, sous tutelle exclusive du ministère de l’intérieur, s’éloigne de l’objectif de protection et de prévention en matière de santé individuelle et de santé publique pour, peut-être, privilégier un objectif de gestion des flux migratoires et de contrôle des étrangers puisqu’aucune garantie d’indépendance de ses acteurs n’est assurée.
Je rappelle également, puisque cela a été dit par M. le ministre lorsqu’il a évoqué le rapport de l’IGAS, que cette dernière a évidemment pointé les dysfonctionnements des ARS mais a plutôt privilégié un fonctionnement plus collégial et non un transfert de compétences vers l’OFII.
Tel est le sens de cet amendement.
Contrairement à ce qu’indique l’exposé sommaire de cet amendement, le rapport de l’IGAIGAS qui a été en partie à l’origine de cette modification – en tout cas, de cette initiative du Gouvernement – préconisait bien le passage de cette compétence à l’OFII.
Le manque d’une doctrine unifiée quant à l’appréciation de l’état de santé des étrangers, nous l’avons dit à plusieurs reprises, et par conséquent l’hétérogénéité des décisions prises sur le territoire national justifient le transfert de la compétence à l’OFII en matière d’avis.
J’ai entendu les inquiétudes qui ont été exprimées à plusieurs reprises pendant les travaux de la commission s’agissant de l’indépendance des médecins de l’OFII, dont la tutelle est en effet exercée par le ministère de l’intérieur.
Je les entends mais, a priori et même certainement, les médecins sont avant tout des… médecins et donneront leurs avis en fonction du patient, de la personne qui sera en face d’eux.
En outre, j’insiste, le texte prévoyait dès l’origine que, sur ce plan-là, l’OFII respecterait les directives du ministère de la santé.
Comme cela n’avait pas suffit à dissiper quelques inquiétudes la commission, à l’initiative de notre collègue Touraine, a reformulé le texte en précisant que ce n’est pas l’OFII mais les médecins de l’OFII qui accomplissent cette mission dans le respect des orientations générales fixées par le ministre de la santé.
Il me semble que de tels éléments permettent de répondre aux inquiétudes que vous avez exprimées, monsieur Coronado. C’est pourquoi la commission est défavorable à l’adoption de votre amendement.
Monsieur le député Coronado, je comprends bien votre préoccupation mais si on l’exprime brutalement, elle suppose que les médecins de l’OFII seraient moins indépendants que d’autres et moins préoccupés de la santé des migrants. Telle est votre préoccupation.
Il s’agit toujours de cette idée sous-jacente selon laquelle un rattachement au ministère de l’intérieur implique une aspiration naturellement moins noble qu’en cas de rattachement à d’autres administrations.
Mais un médecin est un médecin et la déontologie d’un médecin de l’OFII n’est pas moindre que celle d’un confrère appartenant à une autre administration de l’État.
Par conséquent, un médecin de l’OFII confronté à un étranger qui est malade présente les mêmes qualités de coeur et les mêmes exigences déontologiques qu’un médecin rattaché à une autre administration.
Néanmoins, nous avons bien entendu votre préoccupation. Nous avons donc proposé, afin de stabiliser totalement le dispositif et de lui conférer toutes les garanties, que les médecins de l’OFII, qui ont les qualités dont je viens de parler, agissent sur la base d’un cahier des charges élaboré par le ministère de la santé lui-même.
Cela fait l’objet d’un accord entre les ministères de la santé et de l’intérieur parce que nous avons trouvé, aux termes des rapports d’inspection, qu’il était cohérent de procéder ainsi et que la liaison ainsi établie apporte toutes les garanties possibles de ce point de vue-là.
Par ailleurs, et l’inspection générale a fort bien pointé cela, j’insiste sur le fait que le dispositif plaçant ces compétences dans les mains des ARS entraînait des disparités de traitement des étrangers très préjudiciables à l’égalité de leurs droits devant les administrations.
En confiant à l’OFII cette compétence, le dispositif que nous mettons en place évite de telles disparités et inégalités.
Les règles déontologiques, qui s’appliquent aux médecins de l’OFII, la relation avec le ministère de la santé, la mise en place d’un dispositif harmonisé sur le plan national sont beaucoup plus protecteurs des étrangers que ne l’était le dispositif précédent.
Tous ceux qui se soucient de la reconnaissance des droits des étrangers devraient par conséquent être favorables au dispositif que nous proposons de mettre en oeuvre.
Ces inquiétudes, en effet, ne sont pas justifiées et, comme le rapporteur et le ministre l’ont signalé, elles seraient presque choquantes si elles étaient formulées par des médecins.
En effet, tout médecin sait que, quelle que soit son appartenance administrative, il doit d’abord privilégier sa déontologie et le serment qu’il a prêté par rapport à son organisme de rattachement.
Afin que cela soit bien clair, le texte ne se réfère plus à l’OFII mais aux médecins de l’OFII. Ce n’est donc pas l’OFII qui décide mais des médecins, d’où qu’ils viennent.
L’avantage est important par rapport à la situation existante puisque, demain, les médecins compétents auront une formation spéciale sur les pathologies des pays d’origine – les médecins de l’OFII les connaissent mieux que d’autres dans notre pays – et connaîtront les possibilités de prise en charge ultérieure dans ces pays-là.
La plupart des maladies en question sont des maladies chroniques. Soit, par exemple, un malade infecté par le VIH : le médecin de l’OFII ne le renverra bien évidemment pas dans son pays sans avoir engagé une thérapie en France. Pourquoi ? Tout d’abord, dans un souci de préserver la vie du malade et, ensuite, dans un souci de santé publique puisqu’un malade infecté par le VIH qui est traité n’est presque plus contaminant alors que, dans le cas contraire, il peut contaminer de nombreuses personnes. Cela importe donc pour la santé publique ici-même.
De plus, comme ce malade peut éventuellement revenir dans son pays, le médecin de l’OFII sait si oui ou non l’accès effectif aux traitements y sera possible via des organisations humanitaires ou par d’autres moyens. Les médecins de l’ARS ou appartenant à d’autres structures ne le peuvent pas aussi précisément.
Les patients, en définitive, bénéficient d’un nouvel avantage.
Si vous le permettez, l’impression générale, en tout cas pour le groupe Les Républicains, c’est que tout cela constitue un peu du bricolage.
J’ai évoqué le changement de doctrine : dans un premier temps, le texte donne des gages aux associations en permettant une certaine extension des soins ; dans un second temps, vous reprenez la main, l’OFII étant plus spécialisé que l’ARS et, vous venez de le dire cher collègue, est mieux à même de savoir si les soins peuvent être poursuivis dans tel ou tel pays.
Cela semble plutôt rassurant. Il ne s’agissait pas de refuser des soins à des étrangers qui en auraient besoin sur le territoire national mais simplement de savoir si le cas médical est avéré et si les soins sont disponibles dans le pays d’origine, ce qui est plutôt rassurant.
L’ambiguïté est donc réelle : vous ouvrez le système avec une déresponsabilisation, vous autorisez les filières tout en essayant de contrôler et de garder la main. À l’arrivée, je ne sais pas ce que cela donnera.
Monsieur le député, je le répète : je souhaite que ces sujets-là ne fassent pas l’objet de polémiques ou de soupçons.
Ce n’est pas ce que j’ai dit. Au contraire, j’ai considéré que le dispositif proposé était plutôt bien.
Notre action est-elle incohérente ? Je ne le crois pas et je suis même sûr du contraire. Pourquoi ?
Le dispositif que nous mettons en place n’est pas neuf : il s’agit de la mise en oeuvre dans la loi de faits déjà existants. Pourquoi ?
Les dispositions législatives qui ont été prises dans le cadre de la loi de 2011 n’ont jamais été appliquées parce que le ministère de la santé ayant considéré qu’elles étaient inapplicables a fait passer une circulaire aux ARS leur demandant de ne pas appliquer la loi votée, ce qui est tout de même spectaculaire !
Tel était l’état de la question lorsque nous sommes arrivés au pouvoir. Par conséquent, nous avons décidé de mettre en adéquation le texte de loi avec la réalité – ce qui ne change pas la réalité mais la loi.
Nous avons en effet constaté que la réalité, jusqu’à cette loi, n’était pas conforme au droit. Nous mettons donc le droit en conformité avec la réalité. Pourquoi ? Parce que le droit qui avait été voté par le législateur n’était pas applicable.
Lorsque vous dites que cela change la nature des choses, que le revirement de doctrine est patent, lequel occasionnera un appel d’air et coûtera cher, vous avez tort car nous n’inscrivons rien d’autre dans la loi que ce qui existe, le ministère de la santé ayant constaté l’inapplicabilité de la loi votée par la précédente majorité.
Il n’y a donc là ni laxisme, ni absence de rigueur, etc.
En outre, une vraie question se pose : c’est qu’il y a disparité dans positions arrêtées par les différentes ARS, alors que nous voulons parvenir à une application uniforme des règles et des dispositifs sur le territoire national.
C’est pourquoi nous confions à l’OFII, en liaison étroite avec le ministère de la santé le travail effectué auparavant par les ARS. Il n’y a là nulle incohérence.
Le dispositif ne change pas mais nous confions à une autre administration le soin de faire ce qu’elle doit pour que le dispositif soit plus opérationnel, plus égalitaire et plus protecteur.
L’amendement no 39 n’est pas adopté.
La parole est à Mme Fanélie Carrey-Conte, pour soutenir l’amendement no 277 .
S’il revient aux services du ministère de l’intérieur d’apprécier les conditions administratives qui conduisent à déterminer le type de protection accordée, il ne relève pas en revanche de leurs compétences d’apprécier les conditions médicales, l’évaluation médicale devant déterminer à elle seule la nécessité ou non d’une protection à ce titre.
C’est pourquoi le présent amendement vise à inscrire dans la loi le principe de compétence liée de l’autorité administrative vis-à-vis de l’avis médical rendu dans le cadre d’une demande de titre de séjour pour soins, lorsque la nécessité d’une protection de l’étranger malade a été constatée par le médecin.
Avant toute chose, j’aimerais, pour appuyer les propos de M. le ministre, vous lire un paragraphe de la fameuse circulaire de 2011, qui a été publiée six mois à peine après l’adoption de la loi – je pourrais citer une dizaine d’autres paragraphes, portant sur des questions plus techniques ou médicales. Cette circulaire montre que la situation était encore plus grave que ce qu’a décrit M. le ministre, puisque le législateur avait en réalité adopté un texte qui était contraire à sa volonté.
Voilà en effet ce que dit la circulaire : « En référence à l’intention du législateur exprimée dans le cadre des travaux préparatoires à l’adoption de la loi du 16 juin 2011, affirmant son souci de préserver l’esprit de la loi de 1998, l’absence d’un traitement approprié est à interpréter de la manière suivante : celle-ci est avérée lorsque les ressources sanitaires du pays d’origine ne permettront pas au demandeur, en cas de retour dans ce pays, d’y être soigné sans risque de conséquences d’une exceptionnelle gravité sur sa santé. » Nous, nous innovons, puisque ce que nous écrivons dans la loi sera conforme à l’intention du législateur.
J’en arrive à votre amendement, Madame Carrey-Conte : vous demandez que le préfet rende un avis conforme à celui du collège de médecins – je rappelle en effet que le médecin unique de l’ARS sera remplacé par un collège de médecins, afin d’assurer une harmonisation des pratiques sur l’ensemble du territoire.
Le préfet doit conserver un pouvoir d’appréciation, car il doit examiner la situation de l’étranger dans son ensemble – il dispose donc d’informations que n’a pas le médecin de l’OFII. Je pense en particulier aux conditions de résidence habituelle ou aux tentatives éventuelles de fraude sur les titres d’étranger malade. Les médecins, eux, se prononcent sur le seul état de santé. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que la décision du préfet est soumise au contrôle du juge, contrairement à celle du médecin. Au demeurant, il serait erroné de penser que l’avis d’un médecin de l’OFFI tendra systématiquement à être favorable au demandeur et celui du préfet, défavorable. L’inverse peut également exister, il ne faut pas l’exclure. C’est la raison pour laquelle la commission a repoussé cet amendement.
C’est une belle discussion et, pour répondre au dernier argument de M. le rapporteur, je rappellerai que l’avis n’est conforme que lorsqu’il conclut à l’impossibilité d’éloignement, et non dans le cas contraire.
Par ailleurs, la vraie question est de savoir comment le préfet peut prendre une décision qui ne soit pas conforme à celle du médecin, alors qu’il n’a pas accès au dossier médical, du fait du secret médical. Lorsqu’on fait une demande au titre de ce que certains ont appelé l’asile sanitaire, on remet les documents médicaux sous plis fermés qui ne sont pas ouverts par le préfet et qui sont directement transmis, aujourd’hui au médecin de l’ARS, et demain, j’imagine, au médecin de l’OFII.
Lorsqu’il se prononce, le médecin n’évoque pas la nature de la maladie de la personne. Il indique simplement si un défaut de soin pourrait avoir sur son état des conséquences irrémédiables et s’il pourrait, ou non, être soigné dans son pays d’origine. Le préfet, quant à lui, n’ayant pas connaissance de la maladie de l’étranger, ne dispose d’aucun élément lui permettant de prendre une décision différente de celle du médecin. Et je ne vois pas, compte tenu de la règle du secret médical, comment il pourrait en être autrement. Ainsi, lorsque le médecin de l’ARS, et demain celui de l’OFII, indique au préfet que l’état de santé du patient et les capacités de soin de son pays d’origine empêchent de l’éloigner, je ne vois pas comment le préfet pourrait rendre un avis différent de celui du médecin.
Il est juridiquement admis qu’il puisse prendre une décision différente, je ne le conteste pas, mais je ne vois pas sur quelle base. Voilà pourquoi il me semblerait utile d’accorder le droit au fait et de rendre cet avis conforme.
Permettez-moi de vous donner un seul exemple, monsieur Robiliard, celui d’une fraude – votre amendement ne prend pas en compte ce risque de fraude.
Il me semble que les faits se sont produits à Rennes : un étranger qui souffrait d’une hépatite C vendait ses services, en allant d’hôpital en hôpital, sous des identités différentes. Ce n’est pas le rôle du médecin de demander ses papiers d’identité à un patient qui rentre dans un hôpital.
Cet homme se faisait faire des dossiers médicaux sous des noms divers et les vendait ensuite à d’autres étrangers, parfaitement sains de corps et d’esprit.
Seul le préfet peut avoir connaissance de cela. Le médecin de l’ARS, celui de l’OFII demain, dispose seulement d’un dossier médical, associé à un nom. Le préfet n’a pas accès au contenu du dossier médical du patient couvert par le secret médical, et il n’a pas besoin d’y avoir accès. Il lui suffit de savoir que le patient atteint de l’hépatite C et la personne qui dépose un dossier au titre d’étranger malade ne sont pas la même personne. Et en l’occurrence, la fraude a été déjouée.
Monsieur le rapporteur, le médecin doit évidemment vérifier l’identité du patient. Lorsqu’il reçoit un citoyen français, il lui demande sa carte vitale, ainsi que sa pièce d’identité.
C’est un problème déontologique et une question de responsabilité. Il faut bien qu’il vérifie que le dossier médical qu’il a sous les yeux est bien celui du patient qu’il examine. Sinon, c’est n’importe quoi ! Dire que le médecin n’a pas à vérifier l’identité de ses patients, c’est absolument extraordinaire !
Par ailleurs, ce que vous dites au sujet du préfet est tout à fait étonnant : il aurait accès au dossier médical ? Ce n’est pas possible, à moins qu’il soit préfet et médecin, ce qui serait tout de même exceptionnel. Le préfet n’a pas à connaître le dossier médical du patient. En revanche, le médecin est dans l’obligation de vérifier l’identité du malade, c’est une évidence.
L’amendement no 277 n’est pas adopté.
L’article 10 est adopté.
Article 10
Je défends par là même mes amendements nos 65 et 41 . Pour les enfants gravement malades, la loi prévoit qu’une autorisation provisoire de séjour est délivrée à la discrétion du préfet à l’un des parents de l’enfant. Il est donc souvent obligatoire de choisir entre l’un des deux parents, qui se voit alors délivrer des autorisations provisoires de séjour tous les six mois, sans droit au travail. L’attribution de ces autorisations provisoires de séjour est le plus souvent réservée aux mères, ce qui constitue une véritable distinction de genre dans le traitement de ces demandes et un mépris manifeste de l’intérêt de l’enfant.
En commission, il a été prévu que l’un des deux parents recevrait cette autorisation provisoire de séjour et qu’elle ouvrirait droit à l’exercice d’une activité professionnelle. Cela demeure néanmoins insuffisant et ne règle pas la question de la discrimination entre les deux parents. C’est pourquoi cet amendement propose que les deux parents puissent bénéficier de cette autorisation de séjour.
D’autres amendements vont dans le même sens, notamment ceux que présentera ma collègue Marie-Anne Chapdelaine, mais il me semble que celui du rapporteur permettra de régler le problème.
C’est exactement ce que j’allais vous répondre ! Pour compléter vos propos, j’ajouterai qu’il ne semble pas souhaitable d’aller jusqu’à la délivrance d’une carte de séjour dans le cas que vous visez, mais seulement d’une autorisation provisoire de séjour, dans la mesure où le séjour des parents n’est pas durable en soi, mais lié à l’état de santé de l’enfant. L’avis de la commission sera donc défavorable, si vous ne retirez pas votre amendement.
Puisque le rapporteur fait un pas dans notre direction, je veux moi aussi donner un signe de bonne volonté, et je retire cet amendement, ainsi que les deux suivants, au bénéfice de celui du rapporteur.
L’amendement no 40 est retiré.
La parole est à Mme Marie-Anne Chapdelaine, pour soutenir l’amendement no 346 rectifié .
L’amendement no 346 rectifié est retiré.
Je suis saisie de six amendements, nos 409 , 65 , 41 , 235 rectifié , 349 rectifié et 278 , pouvant être soumis à une discussion commune.
Les amendements nos 41 , 235 rectifié et 349 rectifié sont identiques.
La parole est à M. Erwann Binet, rapporteur, pour soutenir l’amendement no 409 .
Actuellement, seul l’un des deux parents peut se voir délivrer une autorisation provisoire de séjour pour rester auprès de son enfant malade. Cet amendement vise à permettre que cette autorisation provisoire de séjour soit délivrée aux deux parents, afin d’assurer le droit au respect de la vie familiale et l’intérêt supérieur de l’enfant, tel que garanti par les dispositions de la convention internationale relative aux droits de l’enfant.
Dans l’intérêt de l’enfant, il est également proposé d’étendre le bénéfice de cette autorisation provisoire de séjour à l’étranger titulaire d’un jugement lui ayant conféré l’exercice de l’autorité parentale sur cet enfant mineur. Cette faculté serait ouverte au tuteur ou au délégataire de l’autorité parentale.
L’amendement no 65 est retiré.
Nous en arrivons à une série d’amendements identiques.
La parole est à M. Sergio Coronado, pour soutenir l’amendement no 41 .
La parole est à Mme Seybah Dagoma, pour soutenir l’amendement no 235 rectifié .
La parole est à Mme Marie-Anne Chapdelaine, pour soutenir l’amendement no 349 rectifié .
Les amendements identiques nos 41 , 235 rectifié et 349 rectifié sont retirés.
La parole est à M. Denys Robiliard, pour soutenir l’amendement no 278 .
Cet amendement, comme ceux qui viennent d’être retirés, a le même objet que celui que je défends. Je vous invite donc, monsieur Robiliard, à le retirer au profit de celui de votre rapporteur.
L’amendement no 278 est retiré.
C’est une aubaine que d’avoir ses parents auprès de soi quand on est malade ?
La loi actuelle, dans sa sagesse, prévoyait que l’un des parents se rende au chevet de l’enfant malade, pendant que l’autre parent, en principe la maman, continuait de s’occuper des autres enfants qui restaient dans le pays d’origine.
Sous prétexte d’être généreux, sans doute, ce qui n’est pas contestable en soi, vous allez permettre, à chaque fois qu’un enfant sera malade, à ses deux parents, à ses frères, à ses soeurs, à son tuteur, et qui sais-je encore, de venir à son chevet.
Ce n’est absolument pas raisonnable. Si l’on était dans un monde de générosité et de respect mutuel, ce serait formidable, mais vous savez très bien que vous allez créer un effet d’aubaine incontestable. Cette mesure n’est pas responsable. Le dispositif qui prévoyait que l’un des deux parents vienne au chevet de l’enfant malade était équilibré. À présent, avec les deux parents, les enfants et toute la famille au chevet de l’enfant malade, vous créez un effet d’aubaine et le risque de voir se constituer des filières. Cette mesure est donc totalement irresponsable.
Je suis convaincu qu’il fut une époque où ce type de sujet n’aurait posé aucun problème et n’aurait suscité aucun débat dans cet hémicycle, aucun…
…parce que nous sommes la France, parce que nous avons une histoire, des valeurs, et parce que nous parlons d’un sujet très circonscrit. Nous parlons d’enfants gravement malades, qu’un retour dans leur pays d’origine exposerait à un risque absolument fatal, et nous ouvrons, par ce dispositif, la possibilité pour les parents, de façon très temporaire, d’être au côté de leurs enfants pendant la période où ils seront soignés.
Si la France, avec les valeurs qu’elle a portées depuis des siècles, avec ce qu’a été la politique conduite depuis des années par des gouvernements de droite et de gauche sur des sujets aussi sensibles et difficiles, n’est plus capable, sur des questions aussi circonscrites, aussi précises, et qui renvoient à des considérations humanitaires aussi évidentes, de se rassembler, la République y perd. Et moi, je ne souhaite pas cela.
Alors, ne laissez pas penser qu’il y a un quelconque effet d’aubaine dans cette affaire-là, monsieur le député. Il n’y a pas d’effet d’aubaine. Il s’agit d’un sujet très circonscrit, qui concerne des situations humaines particulièrement difficiles et qui ne s’applique, pour ce qui concerne l’accueil des parents et de l’enfant, que de façon très temporaire. Si la France n’est plus capable de faire cela dans le consensus, c’est qu’elle n’est plus la France.
Applaudissements et « Bravo ! » sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
« Effet d’aubaine », dites-vous. On rêve, monsieur Tian ! Cet amendement répond juste à une double exigence, d’humanité et d’égalité. Comme l’a très bien dit le ministre, la France ne serait plus la France si nous ne pouvions plus nous accorder sur un tel amendement !
Je veux ajouter que c’est aussi une question d’égalité entre les femmes et les hommes. En effet, on nous a parfois fait remarquer que c’est souvent la mère qui vient au chevet de son enfant. Le permettre aussi au père, c’est très bien, et puis ce n’est pas parce que l’on permet aux deux parents de venir que les deux le feront obligatoirement. Les parents peuvent choisir que l’un reste au pays, peut-être pour s’occuper des autres enfants, tandis que l’autre viendra, ou ils peuvent choisir de venir tous deux, par exemple si la situation est particulièrement grave.
Il ne s’agit donc que d’une mesure d’humanité. Pour une fois, nous pourrions nous accorder sur un amendement.
L’amendement no 409 est adopté.
Je suis saisie de trois amendements identiques, nos 410 , 411 rectifié et 412 rectifié .
La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement no 410 de la commission des lois.
La parole est à Mme Seybah Dagoma, pour soutenir l’amendement no 411 rectifié .
La parole est à Mme Marie-Anne Chapdelaine, pour soutenir l’amendement no 412 rectifié .
Les amendements nos 410 , 411 rectifié et 412 rectifié , acceptés par le Gouvernement, sont successivement adoptés.
L’article 10 bis, amendé, est adopté.
La parole est à M. Sergio Coronado, pour soutenir l’amendement no 66 , portant article additionnel après l’article 10 bis.
En fait, cet amendement est satisfait par l’amendement no 409 de la commission des lois que nous venons d’adopter. Je le retire donc.
L’amendement no 66 est retiré.
L’article 10 ter est adopté.
Article 10
Il s’agit des cas de violence familiale. La notion de violence familiale a été introduite en commission à l’article L. 313-12 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, à propos du renouvellement de la carte de séjour portant la mention « vie privée et familiale », prévue au 4° de l’article L. 313-11. Il convient, par souci de cohérence, de supprimer les mots « de la part de son conjoint », qui n’ont plus lieu d’être pour qualifier ces violences. Il s’agit de remédier à une lourdeur rédactionnelle.
L’amendement no 319 est adopté et les amendements nos 43 , 311 et 279 rectifié tombent.
L’article 10 quater, amendé, est adopté.
La parole est à Mme Fanélie Carrey-Conte, pour soutenir l’amendement no 246 .
Je suis à l’initiative de trois amendements qui portent sur le même sujet : les amendements nos 246 , 247 et 248 . Je me propose donc de les défendre tous trois maintenant.
Ils portent sur la question des étudiants étrangers. Il s’agirait de prévoir que ceux-ci puissent bénéficier d’une exception et que la carte pluriannuelle puisse leur être délivrée dès leur première admission, et non pas au bout d’un an. Pourquoi donc ? Parce que le cadre européen des diplômes, on le sait, fonctionne par cycles : un cycle de deux ans pour les diplômes universitaires de technologie, de trois ans pour les licences, de cinq ans pour les masters, et les diplômes ne sont délivrés qu’au terme d’un cycle complet, non au terme d’une seule année. Pour offrir aux étudiants une visibilité et une stabilité sur leur cycle d’études, il me paraît légitime de prévoir une exception qui permette de leur délivrer la carte pluriannuelle dès leur première admission et non pas au bout d’un an. Il s’agit de tenir compte de la spécificité de ce public.
Votre proposition, madame Carrey-Conte, rompt l’architecture globale du texte, selon laquelle, quelle que soit la situation, la carte pluriannuelle est délivrée après une carte temporaire d’un an. Il n’y a pas lieu de faire une exception au profit des étudiants. La commission l’a rappelé en réservant un avis défavorable à votre amendement.
Même avis, madame la présidente.
L’amendement no 246 n’est pas adopté.
La parole est à Mme Fanélie Carrey-Conte, pour soutenir l’amendement no 247 .
L’amendement no 247 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.
La parole est à M. Charles de La Verpillière, pour soutenir l’amendement no 88 .
Le texte qui nous est soumis prévoit que la délivrance de la carte de séjour pluriannuelle est soumise à la condition que l’étranger demandeur « n’a[it] pas manifesté de rejet des valeurs essentielles de la société française et de la République ». C’est là une condition négative. Il nous semble qu’il faut aller plus loin et demander que l’étranger qui sollicite la délivrance d’une carte de séjour pluriannuelle ait manifesté son adhésion aux valeurs de la République.
C’est le sens de l’amendement que nous présentons. Nous pensons qu’il faut que l’étranger respecte positivement les valeurs de notre République et les valeurs essentielles de la société française. Il ne faut pas se contenter d’une condition négative.
Votre amendement va même au-delà de ce que vous dites, cher collègue, mais, par souci de cohérence avec le rejet, intervenu tout à l’heure, de l’amendement no 76 , la commission est également défavorable à cet amendement no 88 . Nous sommes effectivement hostiles à cette idée qui conduirait à placer l’étranger dans une situation instable, dans une perpétuelle incertitude quant à l’effectivité de son intégration ; pour vous, il devrait sans cesse prouver son respect de la société française, prouver qu’il est intégré.
Même avis, madame la présidente.
Je veux bien entendre l’argument de la cohérence avancé par notre rapporteur. En revanche, je ne peux pas être d’accord sur le fond – d’ailleurs, notre rapporteur n’évoque pas le fond.
Que proposons-nous ? Nous proposons que l’étranger que nous accueillons sur notre territoire soit dans un état d’esprit positif, un état d’esprit d’adhésion. Pour votre part, monsieur le rapporteur, monsieur le ministre, vous proposez qu’il n’ait pas d’état d’esprit du tout ! Il se contenterait de ne pas être hostile. Eh bien, si l’on veut manifester du respect à l’égard de la personne étrangère que l’on accueille sur son territoire, il ne faut pas parler en termes d’hostilité ou d’absence d’hostilité, il faut parler en termes d’adhésion volontaire, répétée, vérifiable à tout instant.
Je suis très surpris que l’argumentaire produit par notre rapporteur pour appeler au rejet de cet amendement se borne à l’expression d’un souci de cohérence. Ce n’est pas méprisable, mais cela ne va pas au fond. Voilà qui démontre, s’il en était encore besoin, que tout en prétendant être ceux qui accueillent, vous ne demandez que le service minimum à des étrangers dont nous sommes en droit de penser qu’ils sont capables de bien mieux !
L’amendement no 88 n’est pas adopté.
Madame la présidente, cet amendement vise à répondre à une inquiétude exprimée par plusieurs des parlementaires qui se sont penchés sur ce texte. Elle porte sur les conditions d’assiduité et de sérieux auxquelles est soumise la délivrance du titre de séjour pluriannuel.
Mme la rapporteure pour avis a ainsi déposé, au nom de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, un amendement no 110 qui est intéressant. Il s’agirait de préciser qu’il y a lieu de tenir compte, pour l’appréciation du respect de la condition d’assiduité, d’éventuelles circonstances exceptionnelles qui pourraient justifier une absence de l’étranger aux formations prescrites par l’État. Il va de soi que les autorités préfectorales doivent en tenir compte. Le Gouvernement souscrit tout à fait à cette préoccupation et il ne voit pas d’objection à ce que cette prise en compte de circonstances exceptionnelles soit inscrite explicitement dans la loi.
Toutefois, l’insertion à laquelle procède l’amendement no 110 aurait pour effet de supprimer la seconde condition de la délivrance du titre de séjour pluriannuel : la condition de sérieux de la participation aux formations prescrites dans le cadre du parcours personnel d’intégration républicaine. Or le Gouvernement est particulièrement attaché à l’appréciation de ce sérieux et de l’assiduité. Elle doit permettre de mesurer l’effort de compréhension et d’appropriation des contenus des formations.
Pour ces motifs, le Gouvernement présente un amendement qui a pour objet d’introduire la précision souhaitée par la commission des affaires culturelles et de l’éducation mais en l’insérant de manière à ce que ne soit pas supprimée la condition de sérieux à laquelle le Gouvernement est attaché.
La parole est à Mme Isabelle Attard, pour soutenir l’amendement no 32 .
Mon propos portera à la fois, si vous le permettez, sur l’amendement no 32 et sur l’amendement no 31 . Il s’agit effectivement des conditions d’assiduité et de sérieux dans le suivi de la formation délivrée aux étrangers. Il est donc satisfait en partie par l’amendement que vous venez de nous proposer, monsieur le ministre.
Nous sommes encore confrontés, en l’occurrence, à une forme de discrimination, consistant à juger les étrangers de façon nettement plus sévère que nos propres étudiants. Cette inégalité de traitement me semble incroyable, dès lors que la même formation est suivie par tous les étudiants sans distinction, qu’ils soient étrangers ou français. Imaginez donc la situation inverse. Si des circonstances particulières empêchaient nos étudiants à l’étranger de produire les preuves de leur assiduité, ne souhaiterions-nous pas qu’ils continuent quand même de bénéficier d’une carte de séjour dans leur pays d’accueil ? Mettons-nous donc à la place des étudiants ainsi traités, cela évitera de longs et inutiles débats.
L’amendement no 32 , qui porte sur les conditions d’assiduité, prend en compte des difficultés particulières, mais notre groupe note que la commission des lois a émis un avis favorable sur un amendement de la commission des affaires culturelles, sous-amendé par le groupe socialiste, qui aboutirait strictement à notre amendement. Il nous semble plus simple d’adopter cet amendement no 32 plutôt qu’un amendement sous-amendé.
La parole est à Mme Chantal Guittet, pour soutenir l’amendement no 312 .
La défense de mon amendement repose sur les mêmes arguments, mais, pour ma part, je voudrais revenir à ce que disait monsieur le ministre. Il veut absolument que le sérieux reste une condition de délivrance de la carte de séjour pluriannuelle, mais je voudrais savoir comment il évalue ce sérieux.
La parole est à Mme la rapporteure pour avis, pour soutenir l’amendement no 110 de la commission des affaires culturelles et de l’éducation.
Monsieur le ministre, vous avez parfaitement indiqué en quoi nos amendements sont différents. La commission des affaires culturelles et de l’éducation, je l’ai dit lors de la présentation du texte, a vraiment eu comme ligne de conduite de supprimer tout ce qui laissait une marge d’interprétation excessive.
Nous avons donc essayé de supprimer tout ce qu’il n’était pas possible de définir précisément. C’est pourquoi nous avons supprimé un certain nombre d’occurrences du mot « sérieux » – j’aurai l’occasion d’y revenir à l’occasion de l’examen d’autres amendements. Nous voulons ainsi définir plus précisément les notions, pour limiter l’aléatoire, et donc les différences de traitement entre les préfectures.
Cet amendement vise également à ajouter une réserve à l’alinéa 7 : en cas de circonstances exceptionnelles, l’étranger sera délié de son obligation d’assiduité. Il s’agit là d’un critère qui peut être contrôlé objectivement.
Après en avoir discuté avec M. le rapporteur et M. le ministre, je comprends l’idée que recouvre le mot « sérieux », mais je m’interroge : comment pourrons-nous définir suffisamment clairement ce critère pour qu’il soit interprété de manière similaire dans toutes les préfectures de notre pays ?
Quel est l’avis de la commission sur ces amendements en discussion commune ?
Non ! L’amendement du Gouvernement propose d’ajouter la mention « sous réserve de circonstances exceptionnelles », tandis que les amendements identiques proposent d’ajouter la mention « sous réserve de circonstances particulières ». Ce n’est pas la même chose !
Sourires sur les bancs du groupe Les Républicains.
La commission avait donné un avis favorable à l’amendement no 110 présenté par Mme Corre. Je conseille néanmoins à Mme Attard, à Mme Guittet et à Mme Corre de retirer leurs amendements au profit de l’amendement présenté par le Gouvernement, qui me semble répondre aux souhaits et aux inquiétudes que les uns et les autres ont légitimement exprimés.
La position du Gouvernement est simple : je demande le retrait de tous les amendements en discussion commune au profit de l’amendement no 415 du Gouvernement.
Madame Guittet, vous vous êtes interrogée concernant l’appréciation de la notion de « sérieux ». Cette notion est appréciée au moyen d’une évaluation réalisée au début et à la fin des formations pour mesurer les efforts d’investissement de l’étranger ; cette évaluation est effectuée par l’OFII plutôt que par les préfectures. C’est en effet l’OFII qui sera plus particulièrement chargé du suivi de ce parcours d’intégration.
Madame Attard, retirez-vous l’amendement no 32 , comme vous y invitent aussi bien M. le rapporteur que M. le ministre ?
Je le retire, mais je voudrais faire une remarque. Nous sommes dans un hémicycle, bâtiment qui rappelle, par sa forme, les amphithéâtres des universités – ou des autres établissements de l’enseignement supérieur. Or la notion de sérieux apparaît moins évidente ici, notamment lors de certaines séances de questions au Gouvernement, que dans ces amphithéâtres : c’est la preuve qu’elle est difficile à caractériser. Étant donné l’image que nous renvoyons, je ne vois pas comment un office extérieur pourrait mesurer le sérieux de notre travail !
L’amendement no 32 est retiré.
Je veux bien le retirer, si l’on m’assure que les expressions « circonstances exceptionnelles » et « circonstances particulières » sont équivalentes. J’ai l’impression, pour ma part, que la première est plus restrictive.
Nous avons posé ces questions aux agents de l’OFII ; ils nous ont répondu qu’ils appliquent déjà ces dispositions alors qu’elles ne figurent pas dans la loi.
Dans les faits, ils apprécient au cas par cas la situation des étrangers ; ils sont à même de distinguer ceux qui ne font preuve d’aucune bonne volonté, et ceux qui, au contraire, se sont retrouvés malgré eux dans une situation les empêchant d’être présents. Il faut prendre ce fait en considération que ces éléments sont déjà appliqués par les services, indépendamment de toute référence législative.
L’amendement no 312 est retiré.
L’amendement no 110 est retiré.
L’amendement no 415 est adopté.
La parole est à Mme Chantal Guittet, pour soutenir l’amendement no 313 .
Cet amendement vise à supprimer, à l’alinéa 7, les mots : « et n’a pas manifesté de rejet des valeurs essentielles de la société française et de la République. » Je m’en explique.
L’article L. 311-9 du CESEDA prévoit que les étrangers doivent, avant de recevoir un titre de séjour, suivre une formation civique comportant « une présentation des institutions françaises et des valeurs de la République, notamment l’égalité entre les hommes et les femmes et la laïcité, ainsi que la place de la France en Europe. »
Ce projet de loi vise à supprimer l’ancien contrat d’accueil et d’intégration, mais on demande toujours aux étrangers de ne pas manifester de rejet des valeurs de la République – et donc de ne pas rejeter la place de la France en Europe.
L’article 3 de la Constitution dispose que « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice. » Comment caractériserons-nous un étranger qui considérerait que le traité de Lisbonne de 2008 a été adopté en violation de l’article 3 de la Constitution, puisque le peuple, par référendum, s’était manifestement opposé à ses dispositions ?
Avant l’élection présidentielle, François Hollande s’était engagé à renégocier le TSCG, ou alors à ne pas le ratifier. Finalement, il l’a ratifié sans renégociation. Imaginons un étranger qui ne serait pas d’accord avec cette politique : lui refusera-t-on un titre de séjour en raison de sa mauvaise appréciation de la place de la France en Europe ? Dans un pays de liberté d’expression, et plus encore au pays des droits de l’homme, ce désaccord est tout à fait respectable : pour nous éviter de paraître ridicule, mes chers collègues, nous ferions donc mieux de supprimer cette formule.
Pis encore, le projet de loi ne mentionne pas seulement les valeurs de la République, mais aussi celles de la société française. Quelles sont ces valeurs ? Pour le savoir, il faudrait qu’elles fassent consensus ! Par exemple, une personne opposée au mariage pour tous remet-elle en cause les valeurs de la société française ?
Je termine par une remarque : un gouvernement de droite a accueilli en 1978 l’imam Khomeiny ; aujourd’hui un gouvernement de gauche refuse d’accueillir Julian Assange. Notre rôle est d’élaborer la loi, de faire le droit : nous devons donc veiller au caractère juridique des textes que nous adoptons. En bon juriste, je propose de supprimer, à l’alinéa 7, les mots « et n’a pas manifesté de rejet des valeurs essentielles de la société française et de la République. »
J’avoue qu’en écoutant M. Cherki, je ne sais plus trop quoi penser des valeurs de la République,…
…même si je reste convaincu que tous, ici, nous entendons les défendre. Dans sa version initiale, le projet de loi ne mentionnait que le « rejet des valeurs de la République ». Nous avons ensuite, en commission, modifié cette formulation – j’y reviendrai. La sanction est le refus de visa par le préfet : c’est une sanction importante, et naturellement sujette à contentieux.
Il m’a semblé, lors des travaux préparatoires au débat, que cette notion n’était pas suffisamment précise, car elle ne pas fait l’objet d’une jurisprudence abondante. C’est pourquoi la commission, sur ma proposition, a introduit dans le texte la formule « valeurs essentielles de la société française » : cette notion est en effet très largement employée par la jurisprudence en matière de naturalisation. Il y a donc là une base jurisprudentielle solide. Les préfets ne pourront donc pas refuser un titre de séjour pluriannuel pour des raisons qui leur seraient personnelles, comme celles que vous avez évoquées, monsieur Cherki.
L’avis de la commission est donc défavorable.
Je suis défavorable à cet amendement pour les mêmes raisons que M. le rapporteur.
Monsieur Cherki, je voudrais vous rassurer : nous savons parfaitement ce que sont les valeurs de la République ; vous-même les connaissez, parce que vous êtes ardemment républicain. Les violences, les appels à la haine, à la xénophobie, au crime, attaquent les fondements mêmes de la République : vous savez parfaitement de quoi il s’agit. D’ailleurs, dans l’ordre juridique français, y compris dans les textes à caractère pénal, la remise en cause des valeurs de la République est parfaitement identifiée. On sait donc de quoi il s’agit !
Du reste, les valeurs de la République permettent, bien entendu, aux étrangers qui ne seraient pas d’accord avec les traités européens de le dire. De toute façon, pour pouvoir se prononcer défavorablement à ces traités, ces étrangers doivent avoir atteint un niveau d’intégration à la culture de notre continent tel qu’il garantit parfaitement leur droit au séjour ! Le fait qu’ils s’y opposent montre en outre qu’ils ont parfaitement intégré les valeurs de la République, lesquelles permettent de déclencher une fronde sur tous les sujets avec lesquels on est en désaccord – pour peu que l’on respecte les valeurs de la République. Je sais qu’un frondeur sera sensible à cet argument !
Sourires.
Vous devriez donc être tout à fait rassuré.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Nous écoutons avec admiration les débats qui opposent les frondeurs aux autres membres de la majorité, mais au-delà de cet affrontement interne à la gauche, ce débat est très important.
Vous proposez aux Français de passer d’un dispositif connu, la carte de séjour annuelle, à une carte de séjour pluriannuelle. Cet après-midi, nous avons examiné des amendements visant à ce que cette carte ne soit pas réellement pluriannuelle, mais dure quatre ans.
C’est ce que proposaient nos collègues du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Nous sommes d’accord sur un premier point : personne, ici, ne met en doute la pertinence du critère d’assiduité dans le parcours d’intégration. Les enseignants qui siègent dans cet hémicycle seront d’accord avec moi pour dire : « Quand même, on a évité le pire ! » Ceux qui prétendent à un titre de séjour pluriannuel consentiront l’effort de l’assiduité ; mais pour le reste, ils pourront dire : « De quel droit me demandez-vous d’être sérieux ? Et quels sont vos critères ? »
Je trouve que la question de notre collègue Cherki est tout à fait pertinente, même si elle conduit à une impasse. Il montre que certains étrangers pourraient dire : « Comment cela, vous voulez une adhésion de ma part ? Contentez-vous du fait que je ne sois pas hostile aux valeurs essentielles de la République ! »
Imaginez-vous ce que peuvent penser nos concitoyens, en ce moment, du niveau de surréalisme où en sont arrivés nos débats ?
Monsieur le ministre, vous me qualifiez de frondeur ; mais avant cela, je suis député. Or pour être député, il faut être Français : je le suis de naissance, mais j’aurais pu l’être par naturalisation. Dans ce dernier cas, la question de savoir si j’adhère aux valeurs essentielles de la société française se serait posée à raison. Mais nous discutons, en ce moment, non pas des conditions de naturalisation, mais des conditions de délivrance d’un titre de séjour pluriannuel à un étranger. Plus précisément, nous parlons de la délivrance d’un titre de quatre ans à une personne qui détient déjà un titre de séjour temporaire.
En clair, dans certains cas, on se rendrait compte après coup que certaines personnes, après qu’on leur a délivré un titre de séjour d’un an, manifestent un rejet des valeurs essentielles de la société française et de la République ; en conséquence de quoi on ne leur donnerait pas de titre de séjour pluriannuel. Mais si ces valeurs sont si importantes à défendre, il ne suffit pas de leur refuser le titre de séjour de quatre ans, il faut aussi les inviter à quitter le territoire français !
Dans ce cas, on considère que le rejet des valeurs essentielles de la société française et de la République constitue un danger tel pour l’ordre public qu’il justifie, tout simplement, que l’on expulse la personne concernée.
Mais nous ne parlons pas ici d’une procédure d’expulsion d’une personne « nuisible » qui pose problème : nous parlons du renouvellement du titre de séjour d’une personne qui satisfait les conditions de régularité du séjour. Confondre les deux me semble problématique. Le fondement du droit au séjour est d’être en situation régulière de séjour et donc de remplir certaines conditions. Celle qui est ajoutée ici est à mon avis baroque sur le plan juridique et se révélera une machine à fabriquer du contentieux, car, monsieur le rapporteur, la jurisprudence est loin d’être fixée dans ce domaine. Celle à laquelle vous faites allusion est relative à la naturalisation, c’est-à-dire au processus d’acquisition de la nationalité française, ce qui n’a rien à voir avec le droit au séjour des étrangers.
C’est pourquoi je maintiens l’amendement demandant la suppression des mots « et n’a pas manifesté de rejet des valeurs essentielles de la société française et de la République » à la fin de l’alinéa 7, qui à mes yeux n’ont pas leur place dans le droit de la délivrance des titres de séjour mais dans celui de l’expulsion.
Je pense comme M. Cherki que la question de l’adhésion aux valeurs essentielles de la société française et de la République se pose essentiellement au moment de la demande de naturalisation. Je lui fais néanmoins remarquer qu’il s’agit ici d’une condition négative, puisque, selon le texte adopté par la commission, la carte de séjour pluriannuelle ne sera pas délivrée à quelqu’un ayant manifesté un rejet des valeurs essentielles de la société française et de la République.
Exiger, dans un texte déjà très laxiste et qui ouvre les vannes de l’immigration dans notre pays, que l’on vérifie qu’un étranger demandant une carte pluriannuelle qu’il ne manifeste pas d’hostilité aux valeurs essentielles de la société française et de la République me semble la moindre des choses ! Je rappelle à ceux qui l’auraient oublié qu’il y a parmi ces valeurs essentielles la laïcité et le refus du communautarisme, et c’est cela qu’il faudra vérifier !
Dans cette affaire, essayons, sur la base de l’interpellation du député Cherki et des remarques qui viennent d’être formulées, de construire une démarche pragmatique dans l’intérêt de l’étranger que nous accueillons car c’est bien là mon souci en tant que ministre de l’intérieur : faire en sorte que ceux qui sont accueillis sur le territoire national parce qu’ils ont vocation à l’être le soient dans des conditions de nature à créer de la compréhension vis-à-vis de l’altérité et non de la division et de la suspicion.
D’abord, monsieur le député de la Verpillière, il n’est pas exact de dire que le texte ouvre massivement les vannes d’une immigration massive.
J’ai déjà expliqué, chiffres à l’appui, pourquoi nos propositions ne sont pas de nature à ouvrir les vannes d’une immigration massive, et je le répéterai tout au long du débat. J’ai bien compris en effet, mesdames et messieurs les députés de l’opposition, que vous êtes entrés dans cet hémicycle avec la ferme intention de marteler tout au long de nos discussions des propos qui ne correspondent pas à l’intention du texte. Vous comprendrez donc que je répète inlassablement quelles sont les vraies intentions du Gouvernement.
Notre objectif est de trouver les moyens d’avancer sur ce sujet, en dépit du mauvais climat que certains s’emploient à installer dans le pays sur la question migratoire – vous en conviendrez avec moi, monsieur Cherki – ?
Pour ma part, ce mauvais climat me gêne. L’utilisation de la question migratoire pour justifier des considérations relatives à la rigueur et au laxisme – prétendre par exemple qu’un texte visant à assurer une bonne intégration des étrangers en France est un texte laxiste –, et la stigmatisation récurrente des étrangers dont ont fait la cause de tous nos maux imposent à ceux qui sont en situation de responsabilité de trouver les mots justes et de démontrer à chaque instant que ceux que l’on accueille dans notre pays le sont avec la volonté de les intégrer, ce qui suppose celle de les voir se conformer aux principes fondamentaux du pays.
Notre pays est une République. On en connaît les valeurs, en particulier le socle de valeurs figurant dans le bloc de constitutionnalité qui fonde l’architecture juridique de notre pays. Par conséquent, prévoir que les étrangers auxquels nous offrons une perspective d’intégration témoignent de leur adhésion aux valeurs de la République à l’orée de ce parcours d’intégration n’a rien d’incongru dès lors que l’on veut créer au sein de la République du consensus, du compromis et de l’unité plutôt que de la division autour de la question migratoire. Tel est l’objectif du Gouvernement.
Par ailleurs, je serai intransigeant en cas de risque de troubles graves à l’ordre public. Si, par exemple, il existe des éléments concrets prouvant qu’une personne demandant un titre de séjour pluriannuel a tenu des propos appelant au djihad, au terrorisme ou à la haine, celle-ci sera immédiatement expulsée pour parer tout risque de trouble à l’ordre public. En même temps, il est tout à fait normal qu’un pays ayant la volonté de bien accueillir les étrangers fasse en sorte qu’il y ait un minimum de consensus entre les nationaux qui accueillent et les étrangers qui sont accueillis autour des valeurs qui font sa cohésion. Cela n’est pas choquant : c’est simplement être responsable et créer les conditions d’un bon accueil et d’une bonne intégration des étrangers dans notre pays.
Je me permets de reprendre une dernière fois la parole sur ce sujet parce que je veux que les choses soient très claires.
Il existe vraiment selon moi une différence de degré entre, d’une part le rejet manifeste des valeurs essentielles de la société française et de la République, qui justifie un refus d’attribution d’un titre de séjour pluriannuel, et d’autre part le respect de ces mêmes valeurs, qui est finalement la condition de l’assimilation par la naturalisation. On a d’un côté une condition d’assimilation pour acquérir la nationalité et de l’autre l’exigence d’une acceptation d’entamer un chemin d’assimilation, en quoi consiste selon moi l’intégration. Il y a vraiment là une différence essentielle.
L’alinéa 7 vise les étudiants étrangers désireux de poursuivre leurs études en France.
En partie. Il ne s’agit pas d’étudiants désireux d’être naturalisés par la suite, qui relèvent d’une autre partie du texte.
Il est clair que toute personne appelant au djihad tombera sous le coup de la loi que nous avons votée. En revanche, comment caractériser le rejet des valeurs essentielles ? Voilà ce que je ne comprends pas. Je ne connais, pour ma part, que la devise « liberté égalité fraternité ».
Imaginons en sens inverse un jeune Français désireux de se rendre aux États-Unis suivre une formation idéale pour lui et qui lui servira en France. Il n’est pas obligé pour autant d’adhérer aux valeurs américaines ! Ce n’est pas ce qu’on lui demande. C’est pour pouvoir suivre cette formation qu’il souhaite obtenir un permis de séjour dans ce pays. S’il n’a pas envie de devenir américain et de s’intégrer dans la société américaine pour les vingt prochaines années mais veut simplement obtenir un titre de séjour renouvelé, en quoi serait-il obligé d’adhérer aux valeurs du pays ?
Un étudiant français qui veut aller en Chine est-il obligé d’adhérer aux valeurs d’un pays qui ne respecte pas les droits de l’Homme ?
Tout ce que l’on demande à ces étudiants, c’est de poursuivre leurs études en respectant l’ordre public. Si c’est le cas ils doivent jouir des mêmes droits qu’un étudiant français – par exemple bénéficier d’une année d’études supplémentaire s’ils tombent malades ou s’ils rencontrent tout autre problème.
Je ne vois pas en conséquence ce que fait la phrase dont nous débattons dans l’alinéa 7.
En effet, madame Attard, nous ne sommes pas la République populaire de Chine. Notre droit est différent. Peut-être la République populaire de Chine a-t-elle décidé, contrairement à nous, de ne pas adopter la devise « liberté égalité fraternité », qui est la nôtre depuis plus de deux siècles et qui est inscrite ici, dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale ? Nous pensons, nous, que la République française existe, qu’elle a des valeurs héritées de l’histoire de notre pays, pleinement politiques mais aussi juridiques. Un arrêt assez récent du Conseil d’État, l’arrêt Aberkane, que le rapport cite, explique clairement que le principe d’égalité entre les femmes et les hommes est l’une des valeurs essentielles de la société française. Il n’est tout de même pas compliqué de comprendre que le principe d’égalité entre les femmes et les hommes est une valeur essentielle de la société française !
Que l’on soit membre du parti écologiste, du parti socialiste, du PCF, du parti radical, du groupe des Républicains ou de l’UDI, on devrait tout de même être capable de comprendre ce que sont les valeurs essentielles de la société française !
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
Il m’est difficile de l’admettre mais M. Larrivé a prononcé les mots que je comptais employer pour répondre à Mme Attard.
L’amendement no 151 n’est pas adopté.
La parole est à Mme Valérie Corre, rapporteure pour avis, pour soutenir l’amendement no 114 .
Là encore, la commission des affaires culturelles et de l’éducation a souhaité définir le plus précisément possible les notions du texte et en l’espèce mieux caractériser la manifestation du rejet des valeurs essentielles de la société française et de la République susceptible d’empêcher la délivrance d’un titre de séjour pluriannuel en précisant qu’elle doit résulter d’une volonté caractérisée, c’est-à-dire être assortie d’une intention morale, bien appréhendée par la jurisprudence.
Chacun aura compris que la modification opérée par la commission est motivée par la nécessité absolue de circonscrire très précisément cette notion car c’est elle qui justifie le refus par le préfet de délivrer un titre pluriannuel.
Or, contrairement à ce que vous précisez dans l’exposé sommaire, madame la rapporteure pour avis, intégrer dans le texte la notion de volonté caractérisée renforcerait le caractère un peu flou et difficile à appréhender de la notion de rejet des valeurs essentielles de la société française et de la République. Si on veut maintenir la précision de notions sur lesquelles le préfet s’appuiera pour refuser de délivrer un titre pluriannuel et les juges pour apprécier le bien-fondé des décision préfectorales et des recours portés devant eux, il ne me semble pas raisonnable d’adopter cet amendement et la commission a suivi mon avis défavorable.
L’amendement no 114 est retiré.
La parole est à Mme Marie-Anne Chapdelaine, pour soutenir l’amendement no 353 .
Cet amendement introduit la possibilité de se voir délivrer un titre de séjour pluriannuel sans passer par l’étape du titre d’un an initialement prévue par le projet de loi en cas de changement de statut, tout en introduisant une exception à ce principe pour les personnes sollicitant une carte de séjour portant la mention « salarié » ou « travailleur temporaire ».
La parole est à Mme Fanélie Carrey-Conte, pour soutenir l’amendement no 248 .
L’amendement no 248 est retiré.
La parole est à Mme Valérie Corre, rapporteure pour avis, pour soutenir l’amendement no 118 .
Pour la cohérence de nos débats, je présenterai simultanément les amendements nos 118 et 116 .
Le premier a pour objet d’assurer la cohérence du dispositif avec le déroulé réel des études, le redoublement concernant la moitié des étudiants dès la licence. Il est d’autant plus fréquent que les étudiants étrangers souffrent à leur arrivée de handicaps particuliers comme le défaut de maîtrise de la langue ou d’adaptation au système universitaire.
Il s’agit d’allonger la durée de validité de la carte pluriannuelle d’étudiant d’une année en plus de la durée du cycle d’études. L’adoption de l’amendement n° 118 aurait pour conséquence d’allonger, par principe, la durée de validité de tous les titres d’une année, sous réserve bien entendu du caractère réel et sérieux des études, attesté par l’établissement de formation.
Nous proposons dans l’amendement no 116 une autre option, cette prolongation étant alors décidée en préfecture après avis de l’établissement de formation.
En tout état de cause, ces deux solutions règlent également le cas des étudiants en doctorat, qui soutiennent leur thèse à l’issue de leur cycle d’études, généralement au cours de l’automne qui suit la fin de leur dernière année universitaire. La situation irrégulière dans laquelle ils se trouvent aujourd’hui est absurde.
Je sais que la commission des lois a préféré une rédaction plus prudente, précisant que le redoublement ne constituait pas en soi la manifestation d’un manque de sérieux dans le suivi des études. Je persiste cependant à préférer les deux propositions que je vous soumets.
À défaut, ne serait-il pas opportun, monsieur le ministre, de s’assurer dans les textes d’application que la durée de validité des cartes d’étudiant est adaptée à la situation particulière des doctorants, qui soutiennent souvent leur thèse à la rentrée suivant la fin de leur cursus, ainsi qu’à celle des étudiants soumis à des épreuves de rattrapage qui, dans certaines universités, continuent à être organisées au mois de septembre ?
La parole est à Mme la rapporteure pour avis.
Madame Corre, maintenez-vous ou retirez-vous l’amendement no 118 ?
L’amendement no 118 n’est pas adopté.
La parole est à Mme Valérie Corre, rapporteure pour avis, pour soutenir l’amendement no 115 .
Il s’agit d’un tout autre sujet, et j’avoue ne pas bien comprendre la logique présidant à l’examen des amendements.
Quoi qu’il en soit, nous revenons au débat précédent sur l’opportunité de maintenir des termes juridiquement flous.
Ils le sont, en tous cas, aux yeux de la commission des affaires culturelles et de l’éducation.
Et si vous me laissiez finir ? L’avantage dans cet hémicycle, c’est justement qu’on peut aller au bout de ses interventions.
L’amendement vise en effet à supprimer la condition de sérieux exigée pour le maintien de la carte de séjour délivrée aux étudiants étrangers. Dans les faits, on constate d’ores et déjà que cette appellation est imprécise puisque son interprétation pour le renouvellement des titres varie d’une préfecture à l’autre.
Vous avez tort, madame Corre, d’affirmer que la notion du caractère réel et sérieux des études est floue. En effet, cette notion est aujourd’hui stabilisée de manière assez solide par la jurisprudence ainsi que par les services préfectoraux.
Il est vrai qu’il peut y avoir d’une préfecture à l’autre une appréciation différente mais, très honnêtement, je n’ai observé que des divergences marginales.
J’ai effectivement pu constater, monsieur le ministre, que les services sont souvent désarmés face à la complexité des cursus universitaires et des diplômes. C’est le cas à Grenoble, dans ma région. La technicité et la complexité des diplômes est telle – la valeur de certains variant même selon les pays – que les services sont parfois démunis.
Ceci étant, j’ai également constaté dans toutes les préfectures un partenariat très fort entre les établissements d’enseignement supérieur, qu’ils soient privés ou publics, et les services préfectoraux, afin d’évaluer le caractère réel et sérieux des études poursuivies par tel ou tel étudiant.
Ce qui est exigé de façon quasi unanime de ces étudiants est une progressivité de leur parcours d’études. Les représentants des services que j’ai auditionnés m’ont assuré qu’ils ne considéraient pas qu’un changement d’orientation était de nature à remettre en cause le caractère réel et sérieux des études poursuivis. Si le cursus de l’étudiant est marqué par une progression, même s’il change d’orientation, de parcours ou de projet professionnel, il n’y a pas forcément d’atteinte au caractère réel et sérieux de ses études.
Les services préfectoraux font donc preuve, madame Corre, de beaucoup de souplesse dans l’interprétation des cas particuliers, ce qui est conforme à vos voeux. L’avis de la commission est donc défavorable à cet amendement de la commission des affaires culturelles et de l’éducation.
L’amendement no 115 n’est pas adopté.
La parole est à Mme Marie-Anne Chapdelaine, pour soutenir l’amendement no 356 .
Cet amendement vise à offrir la possibilité à un étudiant étranger de redoubler en sécurisant la situation des étudiants méritants qui redoublent une fois au cours de leur cycle d’études.
L’amendement no 356 , accepté par le Gouvernement, est adopté.
L’amendement no 116 est retiré.
Sourires.
La parole est à Mme Isabelle Attard, pour soutenir l’amendement no 108 .
Le projet de loi propose que plusieurs catégories de personnes ne puissent accéder qu’à une carte pluriannuelle d’une durée de validité de deux ans, et non de quatre : il s’agit des conjoints ou des parents de citoyens français et de personnes ayant des liens personnels et familiaux en France.
Pour les deux premières catégories, le rapporteur justifie cette impossibilité par l’accès qui leur est facilité à la carte de résident à l’expiration d’un délai de trois ans prévu à l’article 13 ter du projet de loi.
Les personnes ayant des liens personnels et familiaux avec la France ne rentrant pas dans ces catégories, il est proposé qu’elles puissent a minima accéder à la carte pluriannuelle d’une durée de validité de quatre ans.
L’amendement est totalement incohérent puisque les conjoints de Français n’ont pas à attendre quatre ans pour accéder à la carte de résident, mais trois. Votre amendement est donc totalement hors de propos.
L’amendement no 108 est retiré.
Mon rappel au règlement se fonde sur le premier alinéa de l’article 58 de notre règlement.
Ma question est très simple : Mme la rapporteure pour avis a retiré des amendements de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, alors que celle-ci ne lui avait manifestement pas donné mandat pour le faire.
Elle a eu raison.
Je souhaite savoir sur quelle base elle a procédé à ces retraits sans en avoir reçu l’autorisation de la commission.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
Monsieur Hetzel, rien dans le règlement de l’Assemblée nationale ne s’y oppose. Il est de coutume d’accepter que les rapporteurs, qu’ils soient pour avis ou au fond, retirent un amendement même si celui-ci a été adopté en commission. C’est à eux d’en décider en séance.
La parole est à Mme Valérie Corre, rapporteure pour avis.
Je vous remercie, madame la présidente, de la précision que vous venez d’apporter. Je me réjouis, monsieur Hetzel, de vous voir défendre dans l’hémicycle des amendements que vous n’avez pas votés en commission.
Je ne les défends pas, mais je m’interroge sur votre droit à les retirer de votre propre chef.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Je vous confirme qu’ils m’ont donné mandat pour décider si je maintiens ou non ces amendements, après discussion avec le rapporteur et le ministre et en fonction des évolutions du texte. Certains ont été maintenus, contre l’avis du ministre et du rapporteur, d’autres retirés, en cohérence avec la position de la commission, que vous ne défendez pas, je le rappelle.
Les décisions que j’ai prises ce soir me semblant cohérentes au vu de l’ensemble du texte et je les assume pleinement
La parole est à M. Erwann Binet, rapporteur, pour soutenir l’amendement no 320 .
L’amendement no 320 , accepté par le Gouvernement, est adopté.
La parole est à M. Erwann Binet, rapporteur, pour soutenir l’amendement no 321 .
L’amendement no 321 , accepté par le Gouvernement, est adopté.
Ils portent sur la question, déjà évoquée, des passerelles entre les différents statuts. Un étranger n’est pas travailleur, étudiant, marié ou malade toute sa vie. En l’état du texte, en cas de changement de statut, il devra repasser par la détention d’une carte temporaire avant d’obtenir une nouvelle carte pluriannuelle. Cela risque de maintenir certaines personnes dans une grande précarité. Pour cette raison, cet amendement propose de favoriser les passerelles pour les chercheurs et pour les étudiants.
Madame Attard, ces deux amendements sont satisfaits par l’amendement de Mme Chapdelaine que nous venons d’adopter. Je vous saurais donc gré de les retirer. À défaut, l’avis de la commission serait défavorable.
La parole est à M. Guillaume Larrivé, pour soutenir l’amendement no 89 .
Cet amendement a un caractère presque rédactionnel. Vous nommez cette carte de séjour « passeport talent ». Or une carte de séjour n’est pas un passeport, et vice versa. Pourquoi ne pas l’appeler « carte de séjour talent » ?
Ceci étant dit, si votre intention est d’attirer des talents en France, vous avez sans doute tort de multiplier les facilités de séjour pour les étudiants redoublants, sauf à considérer que plus on redouble, plus on est talentueux.
On n’a pas le droit de redoubler ? Allez le dire à ceux qui viennent d’échouer au baccalauréat !
Je trouve assez regrettable le tour que prend ce débat. À partir d’une intention initiale que l’on peut comprendre, puisque il s’agit de favoriser l’attractivité de la France, on voit bien, amendement après amendement, que vous glissez sur une pente, hélas, descendante.
L’examen d’un prochain amendement nous donnera bientôt l’occasion de parler longuement de la pente descendante sur laquelle votre groupe, monsieur Larrivé, glisse à une vitesse très rapide.
L’exposé sommaire de votre amendement voit dans la formule« passeport talent » du marketing politique. Vous n’avez pas tort, et le Gouvernement assume cette orientation.
Les représentants des cabinets d’avocats ou de conseil qui organisent l’arrivée sur notre territoire d’investisseurs étrangers se sont souvent plaints au cours de nos auditions de la complexité infinie de notre législation. Nous gagnerions à simplifier les procédures : telle est l’objectif assumé du Gouvernement à travers la création de ce « passeport talent ». Nous n’allons peut-être même pas assez loin par rapport à d’autres pays qui simplifient encore davantage les formalités préalables à ce type de séjour, en vue d’attirer toujours plus de talents, d’investisseurs, d’artistes.
L’avis de la commission est évidemment défavorable sur cet amendement.
Aujourd’hui, près de six titres de séjour sont destinés à ceux que nous avons vocation à accueillir parce qu’ils contribuent à l’attractivité de la France, dont l’un ne concerne que dix personnes par an.
Nous avons donc décidé de mettre en place ce « passeport talent » dont la durée de validité est de quatre ans et qui permettra d’accueillir des intellectuels, des chercheurs, des industriels, des jeunes, ou des moins jeunes, titulaires d’un master et qui veulent créer des entreprises en France. Il ne concerne pas les étudiants, monsieur Larrivé, ni a fortiori les étudiants qui redoublent.
Pour ce qui concerne ces derniers, et contrairement à ce que pouvait laisser penser votre propos, le Gouvernement n’a pas du tout l’intention d’encourager les étudiants étrangers à redoubler en leur garantissant qu’ils obtiendront un titre quoi qu’il arrive.
Pas du tout. Le sens de ces amendements est beaucoup plus subtil que cela : il s’agit de dire que le redoublement n’est pas emblématique du manque de sérieux d’un étudiant.
Il peut arriver à des étudiants très sérieux de redoubler. Dans de tels débats, on n’est pas obligé d’employer à chaque fois des arguments massues et massifs ; on peut aussi avoir la volonté de faire la loi subtilement.
Nous n’encourageons pas les étudiants à redoubler.
Les dispositifs que nous mettons en place ne sont pas des aspirateurs : ils sont destinés à ce que la France affirme sa vocation de puissance économique, renforce son attractivité à l’égard de tous ceux qui, bien qu’étrangers, peuvent contribuer à la croissance, à l’emploi, à l’innovation, à la création d’entreprise sur le territoire national. Voilà ce qu’est le « passeport talent ».
Le Gouvernement est défavorable à l’amendement no 89 .
Cet amendement est très révélateur de l’affrontement entre deux visions diamétralement opposées.
La vision que vous défendez est celle qui a inspiré la funeste circulaire Guéant, qui déniait à la France la possibilité de s’inscrire dans les mobilités internationales et dans la compétition qui se joue sur le plan mondial pour attirer les talents et les garder. Car il ne s’agit pas simplement de les attirer ponctuellement : ils doivent aussi profiter à l’économie et au rayonnement de notre pays.
La circulaire de l’ex-ministre de l’intérieur nous a fait reculer d’un rang dans une compétition où tout va très vite et où il faut beaucoup de temps pour réparer les dégâts commis par un simple effet d’annonce.
C’est la raison pour laquelle même la ministre de l’économie et des finances de l’époque, Mme Lagarde, avait exprimé sa désapprobation à l’égard de cette circulaire, qui était vraiment, pour le coup, du marketing politique à usage interne et pour attirer l’électorat du Front national…
…au mépris du rayonnement de la France et des intérêts bien compris de notre pays.
Oui, nous assumons le fait que ce texte s’inscrit dans une compétition internationale et c’est dans cette perspective que nous adopterons ce « passeport talent », destiné à remplacer la carte « compétences et talents », qui a dû être diffusée à douze exemplaires au plus en quelques années d’existence. Nous devons nous donner les moyens d’attirer et de sécuriser pour rayonner.
Le marketing politique auquel vous vous livrez, vous, est non seulement plutôt délétère pour le débat public mais a une incidence très négative sur le rayonnement de notre pays et sa capacité à attirer les talents.
Nous soutenons donc totalement cette dimension du texte et condamnons fermement vos propos.
Je ferai deux remarques, l’une de forme et l’autre de fond.
L’amendement que nous présentons ne tend pas du tout à supprimer tout titre de séjour destiné à des talents. Son seul objet est de vous faire remarquer qu’une carte de séjour, ce n’est pas un passeport et qu’il est assez curieux d’appeler « passeport » une carte de séjour. J’admets que cette remarque de forme n’est pas essentielle.
La vraie question est de fond. Nous sommes bien sûr favorables à ce que des talents puissent rejoindre la France, mais de vrais talents, et cela ne dépend pas uniquement de modifications terminologiques qui ne sont que du marketing, comme vous l’avez vous-même reconnu, monsieur le rapporteur.
Cela dépend du rayonnement de nos universités, de la qualité de nos grandes écoles, de la souplesse de notre marché du travail. Si les élites africaines se tournent plus qu’hier vers les grands établissements universitaires des États-Unis d’Amérique ou du Canada, c’est peut-être parce que notre système éducatif ou notre système d’enseignement supérieur reste perfectible sur bien des points.
Voilà les vraies questions qu’il faut se poser. Je crains vraiment que la modification à vocation marketing, pour reprendre le terme du rapporteur, engagée dans ce projet de loi ne change rien, hélas, à cette réalité : la France s’enfonce dans la croissance zéro et dans une sorte de stagnation économique qui n’est guère de nature, hélas, à attirer les talents.
Il y a à mon avis un élément qui est absent dans ce débat. Que l’on veuille attirer des étudiants en France, c’est une bonne chose. Qu’ils soient talentueux, tant mieux, mais l’objectif n’est pas seulement qu’ils créent des entreprises en France ou y apportent leur talent. L’intérêt, surtout, c’est que, lorsqu’ils seront repartis dans leur pays, les liens qu’ils auront créés ici permettront de véritables échanges, en particulier en matière de commerce extérieur.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle Mme Lagarde s’était montrée extrêmement réservée à l’égard de cette circulaire. En tant que ministre du commerce extérieur, elle avait remarqué à quel point les entreprises étrangères, celles des pays africains en particulier, ne commerçaient plus avec les entreprises françaises. Leurs cadres ayant été formés au Canada, aux États-Unis, en Grande-Bretagne, leurs cibles privilégiées étaient les pays où ils avaient fait leurs études.
Il est bon d’exploiter un talent localement, mais c’est à mon avis un élément secondaire. Ce qui compte surtout, c’est la création de réseaux profitables à notre commerce extérieur.
M. Bacquet a parfaitement raison, le rôle de nos établissements d’enseignement supérieur ne se limite pas à la formation de nos concitoyens ; ils doivent aussi contribuer au rayonnement de la France à l’international et à la formation d’un certain nombre de personnes en dehors de nos frontières.
Personne ne peut donc s’opposer au fait que l’on cherche à attirer un certain nombre de talents, mais la vraie difficulté, madame Mazetier, ne vient pas de la fameuse circulaire Guéant, que vous avez accusée de tous les maux. Comme l’a rappelé Guillaume Larrivé, la question est de savoir comment faire pour que les meilleurs étudiants étrangers rejoignent nos établissements d’enseignement supérieur et de recherche.
Et ce n’est pas seulement une question de dispositif juridique : il faut aussi construire cette attractivité. C’est un débat que nous avons eu au moment de l’examen de la loi Fioraso et, à cet égard, il est important aussi de ne pas leurrer un certain nombre d’étudiants étrangers sur leurs possibilités d’emploi en France aujourd’hui.
Si nous n’avions pas de talents sans emploi sur le sol national et si nous n’avions pas le taux de chômage que nous connaissons, cette question se poserait de manière extrêmement différente mais, aujourd’hui, élargir la possibilité pour des étudiants formés en France d’y rester alors que la situation de l’emploi y est catastrophique, ce n’est pas rendre service à nos concitoyens ni aux étudiants étrangers que nous allons former dans nos établissements d’enseignement supérieur.
Sur ce point, nous avons effectivement une divergence de point de vue, totalement assumée, avec le Gouvernement.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.
Mme Mazetier s’est livrée à une caricature de la circulaire Guéant et de la politique d’accueil des étudiants étrangers menée sous la précédente mandature. Quand près d’un tiers des titres de séjour accordés dans notre pays le sont à des étudiants – en 2014, 65 000 titres de séjour ont été délivrés à des étudiants –, il est légitime de se demander si ces titres sont bien pertinents, si les filières choisies ont une utilité pour eux, ou si c’est un moyen légal d’entrer sur le territoire national, de s’y maintenir dans des filières qui sont des impasses.
Jean-Paul Bacquet posait une question tout à fait légitime : quel est l’intérêt pour ces étudiants ? Vont-ils apporter quelque chose demain à leur pays ou est-ce un moyen de rester dans des « filières parkings », n’offrant aucun débouché professionnel, ni ici ni ailleurs, au prix d’un véritable dévoiement de la finalité originelle du dispositif ?
Voilà la réalité. Arrêtons donc la caricature. En dépit de toutes les oppositions que cette circulaire a rencontrées, dont certaines provoquées par le battage médiatique qui a entouré sa publication, il est légitime de se poser la question : est-il opportun d’accueillir tous les étudiants dans n’importe quelle filière, sans aucune sélection et sans aucun choix ? La question reste celle du choix : notre pays a-t-il la capacité de choisir ceux qu’il peut et qu’il veut accueillir ?
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
Il est important de repréciser certains points.
D’abord, monsieur Ciotti, existe-t-il un dispositif de politique migratoire qui permette d’exploiter les opportunités offertes par le séjour ouvert aux étudiants pour rester en France durablement ? Cela ne correspond pas du tout à la réalité. Prétendre que les titres de séjour destinés aux étudiants permettent de s’installer durablement en France à l’issue d’un parcours universitaire ne correspond pas du tout à la réalité statistique, puisque 70 % des 65 000 étudiants dont vous venez de parler retournent dans leur pays au bout de sept ans. Tant mieux car, comme le disait M. Bacquet, quand nous accueillons des étudiants venus du monde entier, notamment de pays qui ont besoin de se développer, nous les formons pour permettre à leur pays de bénéficier de leurs compétences, conformément à ce qui est aussi une vocation française.
En même temps, qu’un certain nombre d’étudiants qui ont la volonté de créer de l’activité, parce que créer une entreprise ou développer un projet économique correspond à leur choix de vie ou à leur aspiration, le fassent en France n’est pas nécessairement une mauvaise chose pour notre pays, c’est le moins que l’on puisse dire.
Deuxième point sur lequel je voudrais insister, la France occupe le premier rang parmi les pays non anglophones pour l’accueil des étudiants étrangers. Cela veut dire qu’après les États-Unis, la France est un pays dont le rayonnement, l’histoire, les valeurs, la qualité des universités sont reconnus internationalement. Cela correspond à l’image de notre pays, à son histoire, et cela contribue à assurer le rayonnement de la France par-delà ses frontières. Il faut se réjouir de voir l’image de la France ainsi promue à travers cette opportunité offerte aux étudiants et la langue française ainsi pratiquée à travers le monde…
…c’est tout de même intéressant pour notre pays.
Troisièmement, et sans vouloir passer trop de temps à parler de la circulaire Guéant, il faut reconnaître que celle-ci a envoyé un signal clair : la France ne veut plus accueillir les étudiants comme elle le faisait jusqu’à présent.
On peut se perdre en commentaires infinis sur cette circulaire mais on ne peut pas contester que c’est ce message qu’elle a envoyé. Cela a d’ailleurs parfaitement marché, monsieur Ciotti, puisqu’elle s’est traduite par une diminution significative du nombre d’étudiants accueillis en France.
Elle a aussi diffusé à travers le monde une image de notre pays totalement contraire à celle qui était la sienne jusque-là…
…et qui avait largement contribué à son rayonnement.
Quatrième point, les étudiants ne sont absolument pas concernés par le passeport talent.
Je comprends que vous pouvez trouver un intérêt à faire une salade niçoise avec tous ces sujets, mais en l’occurrence, monsieur Ciotti, ce dispositif n’est pas ouvert aux étudiants.
Enfin vous expliquez qu’un « passeport talent » ne suffira pas à renforcer l’attractivité de notre pays parce que ses universités ne sont pas bonnes, son droit du travail n’est pas adapté, sa capacité à accueillir des entreprises est nulle etc. Je ne pense pas que véhiculer une telle image de notre pays et parler ainsi de ses atouts, de ses compétences et de ses capacités soit une bonne manière d’attirer à nous ceux dont nous avons besoin. Ceux qui viennent chez nous – et il y a parmi eux d’excellents étudiants, parfois les meilleurs…
…certes, mais ce n’est pas sans raison : c’est parce qu’il y a en France un art de vivre, des sites exceptionnels, un droit du travail qui a son intérêt, une capacité à accompagner des entreprises et des start-up, comme les assises de l’entreprenariat l’ont montré.
Par conséquent, même dans l’opposition, on peut avoir suffisamment de foi dans les atouts de son pays pour ne pas peindre tout en noir quand il s’agit de mettre en place des dispositifs destinés à renforcer sa capacité à donner le meilleur de lui-même.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
L’amendement no 89 n’est pas adopté.
Ces deux amendements relèvent du même esprit. Vous faisiez tout à l’heure référence, monsieur le ministre, au fait qu’un certain nombre de pays occidentaux cherchaient à attirer des talents. Cela est rigoureusement exact, à la seule différence que les cartes de séjour spécifiquement destinées à attirer ces talents y sont accordées pour des durées plus courtes que ce que vous proposez.
Nos amendements visent à substituer aux quatre années que vous prévoyez une période de deux ou de trois ans, puisque, si la personne souhaite rester plus longtemps, son autorisation de séjour peut relever du droit commun. Dans les autres pays de l’OCDE à la recherche de talents, les délais sont d’un an dans un premier temps, avant de tomber dans le régime de droit commun.
Monsieur le ministre, vous avez, après le rapporteur, indiqué les raisons pour lesquelles vous avez retenu le terme de « passeport ». On peut trouver qu’il est inapproprié ou qu’il prête à confusion, mais peu importe : ma question porte sur la notion de « talent ».
Il existe aujourd’hui une carte de séjour « compétences et talents ». Pourquoi avez-vous renoncé à cette dualité qui me semble intéressante et porteuse de sens pour notre pays ? Qu’est-ce qui vous a fait renoncer aux compétences pour ne garder que le talent ? Je ne voudrais pas être caricatural, mais on peut être très talentueux sans avoir beaucoup de compétences ; il peut aussi arriver que l’on ait de vraies compétences sans être particulièrement talentueux.
Il était intéressant d’associer les deux termes, s’agissant d’accueillir dans notre pays des individus qui vont nous apporter quelque chose et nous faire progresser, par exemple en créant une entreprise.
La carte « compétences et talents » n’avait aucune lisibilité. Elle était attribuée de façon discrétionnaire par les préfets. Seules trois cents cartes de ce type étaient attribuées par an. Vous conviendrez avec moi qu’il doit être possible de faire un peu mieux que trois cents cartes par an pour témoigner de la volonté de notre pays de renforcer son attractivité au regard des grands acteurs économiques.
C’est la raison pour laquelle nous avons voulu substituer à cette carte absolument épatante, attribuée à trois cents personnes de façon discrétionnaire, sans aucune lisibilité des critères, un « passeport talent » qui sera attribué de plein droit aux étrangers satisfaisant les critères.
Je suis désolé, monsieur le ministre, mais votre réponse ne peut pas me satisfaire. Ce que vous venez de nous expliquer, c’est la raison pour laquelle la notion de carte a été abandonnée au profit de celle de passeport. Je vais donc être plus précis : pourquoi n’avez-vous pas retenu, par exemple, l’intitulé « passeport compétences et talents » ?
Ces amendements visent tous à modifier la rédaction de l’alinéa 22.
La première modification que nous proposons est de substituer la condition que l’étranger jouisse du statut de cadre à la mention qu’il doit être « hautement qualifié », moins précise.
La notion de talent prend tout son sens à partir du moment où les personnes dites talentueuses disposent d’un haut niveau de qualification. Or il est très largement reconnu aujourd’hui qu’un haut niveau de qualification correspond au master, soit à cinq années d’études supérieures au moins. Il nous paraît donc pertinent de prévoir la condition d’une formation de cinq années, au lieu de trois. C’est l’objet de notre deuxième proposition de modification.
Enfin, dans le cas où la personne talentueuse dispose, dans une logique de valorisation des acquis de l’expérience, de compétences avérées, même si elles n’ont pas été certifiées par un diplôme, il faudrait que l’expérience professionnelle requise soit, non pas de cinq mais de dix années. C’est notre troisième proposition de modification.
Nous proposons donc que l’alinéa 22 soit ainsi rédigé : « cadre, pour une durée égale ou supérieure à un an, et justifie d’un diplôme sanctionnant au moins cinq années d’études supérieures ou d’une expérience professionnelle d’au moins dix ».Tel est l’objet de l’amendement no 230 , puis des amendements de repli nos192, 193 et 194.
C’est simplement réaliste, eu égard aux objectifs affichés par le Gouvernement lui-même. Ces amendements s’inscrivent dans le droit-fil de ce que nous a expliqué le ministre à propos de l’accueil des talents. Si l’accès est plus ouvert, il ne s’agit plus seulement d’accueillir des talents. Que le Gouvernement l’assume !
Le projet de loi a trouvé, selon la commission, un équilibre dans la recherche des talents. Il ne faut être ni trop ni trop peu sélectif. S’agissant de la carte bleue européenne, le projet de loi exige que l’étranger occupe un emploi hautement qualifié et qu’il justifie d’un diplôme sanctionnant au moins trois années d’études supérieures ou d’une expérience professionnelle de niveau comparable d’au moins cinq ans. Ces seuils paraissent adaptés, contrairement aux vôtres qui sont trop élevés et qui ne nous rendront pas suffisamment attractifs.
Quant à l’amendement no 192 , il substitue à l’expression « hautement qualifié » le terme de « cadre », alors qu’il y a des emplois hautement qualifiés et intéressants pour la France qui ne correspondent pas au statut de cadre.
Vous aurez compris que l’avis de la commission est défavorable sur ces quatre amendements.
C.Q.F.D, monsieur le rapporteur ! Lorsque nous acceptons de jouer le jeu pour attirer les talents de niveau master et au-delà, vous nous dites que le niveau concerné peut être très largement inférieur au master. Vous nous dites par ailleurs qu’une qualification élevée ne se traduit pas forcément par un statut de cadre. Soit, mais comment la définirez-vous en ce cas ? J’espère qu’une circulaire d’application précisera ce que l’on entend par « hautement qualifié ».
Quant à la condition d’une expérience professionnelle de cinq ans, comment pourrait-elle suffire pour qualifier une personne de particulièrement talentueuse ?
Vous avez magistralement démontré qu’en réalité votre dispositif n’est pas destiné à attirer des talents, et c’est pourquoi nous le refusons.
Qu’il s’agisse des étudiants étrangers ou des talents, il me semble que nous avons toujours affaire aux mêmes arguments, contre lesquels je voudrais m’inscrire en faux. C’est en facilitant la mobilité qu’on contribuera à l’attractivité de notre pays, et le Gouvernement, malgré des propos parfois frileux, fait des efforts considérables en ce sens, et quand il n’en fait pas il le regrette.
Je n’en donnerai qu’un seul exemple. Au travers de l’Agence pour l’enseignement du français à l’étranger, nous bénéficions d’un réseau unique au monde de 450 établissements comptant 250 000 élèves, dont la majorité sont des étrangers. L’une des difficultés que nous rencontrons depuis longtemps, alors même que le nombre d’élèves augmente chaque année de 7 %, c’est que nous ne réussissons pas à faire venir autant d’élèves que nous le souhaiterions. Loin que nous cherchions à limiter l’accès à ses établissements pour les étudiants qui viendront faire des études en France, l’enjeu pour nous est de réussir à en faire venir autant que nous voudrions.
En dépit des sommes que nous dépensons pour leur formation, nous ne faisons venir que 20 ou 25 % d’élèves, quand nous en souhaiterions 50 ou 60 %.
Le Gouvernement a passé des accords avec plusieurs pays. Nous avons ainsi passé une dizaine d’accords, notamment avec l’Argentine, le Canada, l’Australie ou la Nouvelle-Zélande, portant sur les visas vacances travail. Ce dispositif permet à des étudiants ou à de jeunes travailleurs de s’installer pendant un an dans le pays pour voir s’il correspond à leurs aspirations professionnelles ou éducatives. C’est ainsi que l’on construit l’attractivité de notre pays, et non en multipliant les obstacles, en durcissant les critères ou en donnant l’impression que la France se construit en s’enfermant.
Les propos de M. Hetzel révèlent une vision tellement étriquée de ce que peut être un talent ! Les talents peuvent s’épanouir dans une entreprise, dans la recherche, ou encore dans la production artistique ou dans l’invention.
Bien sûr ! Nous ne disons pas le contraire ! C’est vous qui êtes caricaturale !
On n’est pas obligé d’être un « bac plus dix » et d’être passé par l’académie dont vous avez été le recteur, monsieur Hetzel, pour être talentueux. Heureusement que notre pays a une vision beaucoup plus audacieuse, plus imaginative et plus riche de ce qu’est le talent et de ceux que nous souhaitons attirer.
Un fait confirmera ce que M. Bacquet vient de dire : aujourd’hui, en Afrique, dans des pays qui connaissent une croissance à deux chiffres, les cartes de visite des cadres, qui n’ont pas forcément dix ans, ou même cinq, d’expérience professionnelle, sont rédigées en anglais au recto et en chinois au verso. Ouvrez les yeux : c’est dans ce monde-là que nous vivons !
Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.
Ouvrez les portes et les fenêtres et soyez lucides ! Essayez donc de comprendre que c’est à cela que le « passeport talent » veut s’attaquer !
Les critères présidant à la délivrance du « passeport talent » seront précisés dans un texte à caractère réglementaire dont je rendrai le contenu public à l’occasion de la nouvelle lecture du texte à l’Assemblée nationale. De cette façon, il n’y aura pas d’ambiguïté sur les critères ni sur le contenu de ce que nous entendons faire.
Je vous remercie, monsieur le ministre, pour ces précisions.
Madame Mazetier, c’est à vous d’ouvrir les yeux ! Je connais trop ces questions pour recevoir des leçons de votre part là-dessus. Qui plus est, vous avez à plusieurs reprises fait référence aux étudiants, qui relèvent d’un autre dispositif. Ne mélangez pas tout !
J’ai la faiblesse de penser qu’il est purement rédactionnel. En effet, l’agrément, dans l’univers de l’enseignement supérieur, ne correspond pas forcément à un dispositif juridiquement stabilisé, alors que la formule « reconnue par l’État » renvoie à la mise en place d’une procédure par le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. C’est pourquoi il serait pertinent de substituer au mot : « agréé », les mots : « reconnue par l’État ».
Mon avis est tout l’inverse de celui de M. Hetzel : le terme « agréé » me semble beaucoup plus précis. De plus, contrairement à ce qui est indiqué dans l’exposé sommaire, il n’est pas accolé aux mots : « convention d’accueil », mais aux mots : « organisme public ou privé ayant une mission de recherche ou d’enseignement supérieur ».
L’amendement no 195 n’est pas adopté.
La parole est à Mme la rapporteure pour avis, pour soutenir l’amendement no 117 .
Il s’agit d’étendre le bénéfice de la carte de séjour pluriannuelle « passeport talent » aux étrangers bénéficiant d’une renommée nationale dans le domaine artistique, sportif ou humanitaire. Il n’est pas rare en effet que ceux-ci soient reconnus uniquement dans notre pays ou dans le leur tout en jouissant néanmoins d’une forte renommée, attesté par un faisceau d’indices. Il convient donc de ne pas écarter ces talents, qui correspondent manifestement à notre volonté d’attractivité.
Je ne prendrai qu’un exemple, non pas celui d’une chanteuse célèbre dans notre pays, monsieur le rapporteur – je ne me permettrais pas d’entamer une polémique –, mais celui d’un cuisinier célèbre au Japon pour l’excellence de ses sushis, et qui aurait envie d’exercer ses compétences chez nous. Même s’il est encore inconnu en France, il serait dommage pour notre pays de se priver de ce talent. Il s’agit aussi de permettre aux très bons cuisiniers de venir chez nous.
Sourires sur divers bancs.
Cet amendement, adopté par la commission des affaires culturelles, n’avait pas été retenu par la commission des lois.
Je suis donc assez surpris de l’avis favorable du rapporteur et du Gouvernement sur ce qui est une extension supplémentaire du champ du « passeport talent », qui ne serait plus seulement subordonnée en l’espèce à la condition d’une renommée internationale, la renommée dans le pays d’origine suffisant désormais. Il faut préciser que l’alinéa 31 est complémentaire de l’alinéa 30, qui étend le bénéfice du dispositif aux artistes interprètes et aux auteurs d’oeuvres artistiques régis par l’article L. 112-2 du code de la propriété intellectuelle, c’est-à-dire d’oeuvres de l’esprit, tels que livres, brochures, conférences, allocutions, sermons, etc.
Sourires.
Vous avez rappelé, monsieur le ministre, que la carte « Compétences et talents » avait été délivré à trois cents personnes. J’aimerais savoir quel sera le nombre de bénéficiaires supplémentaires si on étend le bénéfice du nouveau dispositif aux étrangers jouissant d’une notoriété nationale, sachant que l’alinéa 31 ne vise pas seulement les artistes interprètes, mais aussi les talents scientifiques ou sportifs, entre autres. Admettre un tel critère serait une fois de plus ouvrir la porte à beaucoup d’abus.
L’amendement no 117 est adopté.
La parole est à Mme Isabelle Attard, pour soutenir l’amendement no 238 .
Le « passeport talent-chercheur » est une excellente innovation. Cependant, il n’est pas prévu qu’il vaille autorisation de travail, contrairement à ce qui se passe pour d’autres catégories de bénéficiaires d’un tel titre de séjour. Notre amendement vise donc à inclure les chercheurs dans ces catégories afin de simplifier leurs démarches administratives.
Cet amendement a en effet pour objet d’intégrer la recherche dans la liste des activités professionnelles dont l’exercice ne sera pas subordonné à la délivrance d’une autorisation de travail. Il s’agit d’une précision bienvenue qui a recueilli l’accord de la commission des lois.
L’amendement no 238 , accepté par le Gouvernement, est adopté.
Cet amendement vise à supprimer l’alinéa 33. En effet, celui-ci permettrait de maintenir le bénéfice de ce passeport à une personne qui n’aurait plus d’emploi. Il y a là une véritable contradiction avec l’objectif affiché d’attirer des talents pour qu’ils travaillent sur le sol français puisque cet alinéa leur permettrait de continuer à bénéficier du dispositif même s’ils ne sont plus en activité. Cela trahit une volonté très différente de celle qui avait, dans un premier temps, été affichée par le Gouvernement. Nous dénonçons avec force cette forme de « duplicité discursive ».
Mais il est bien précisé qu’il s’agit du détenteur du « passeport talent » qui se trouverait « involontairement » privé d’emploi !
Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
On est ici très loin des compétences et des talents : il s’agit d’ouvrir aux étrangers une voie d’entrée supplémentaire sur le territoire national puisque le texte ne prévoit pas que les bénéficiaires du dispositif devront quitter le territoire quand ils ne seront plus en situation d’emploi. Vous ouvrez là une voie nouvelle d’immigration légale. Vous ne nous avez pas indiqué combien de personnes seront concernées par cette nouvelle voie d’immigration, mais c’est un chemin dangereux que vous empruntez, une fois de plus. Vous venez de le démontrer par votre refus de soutenir cet amendement pertinent de Patrick Hetzel.
C’est franchement consternant d’entendre, sur tous les sujets dont nous avons à traiter, des déclarations à l’emporte-pièce destinées à susciter des peurs injustifiées. Vous devriez plutôt vous souvenir de ce que vous avez fait vous-mêmes dans ce domaine quand vous étiez aux responsabilités.
Le dispositif prévoit que ceux qui bénéficieront du « passeport talent » pourront, s’ils ont perdu leur travail, rester en France aussi longtemps qu’ils bénéficieront de l’allocation-chômage, dans les bornes de la durée de validité dudit passeport. Cette règle s’appliquait déjà à l’époque où vous étiez au pouvoir à tous les salariés bénéficiant d’un titre de séjour dès lors qu’ils perdaient leur travail.
Il n’y a donc rien de nouveau en droit. Mais plutôt que de faire preuve d’un minimum de rigueur intellectuelle et de le reconnaître, vous préférez vous saisir de cette question pour susciter des peurs. Il en est ainsi sur tous les sujets depuis le début de l’examen de ce projet de loi : je suis à chaque fois obligé de rétablir la vérité parce que chaque propos que vous tenez est une contrevérité.
Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
L’amendement no 196 n’est pas adopté.
La parole est à Mme Isabelle Attard, pour soutenir l’amendement no 239 .
L’article 11 prévoit que pour être titulaire d’un « passeport talent-chercheur », un docteur doit avoir un emploi dans le domaine de la recherche ou de l’enseignement. Pourtant, la thèse ne conduit pas uniquement à la recherche publique : elle peut aussi amener à exercer d’autres types d’emploi. Faute d’emplois dans la recherche ou dans l’enseignement, il faut donc prévoir que les docteurs pourront exercer un emploi dans un autre secteur d’activité, le « passeport talent » pouvant servir de transition vers un titre de séjour salarié.
Avis défavorable. Cet amendement a pour objet de permettre aux chercheurs titulaires du « passeport talent » et involontairement privés d’emploi de bénéficier d’un titre leur permettant d’exercer toute activité professionnelle. Mais il faut tout de même conserver la logique des différentes hypothèses prévues par le nouvel article L. 313-20 : l’étranger chercheur obtient un titre spécifique pour travailler dans un laboratoire de recherche ou pour enseigner à l’université, et s’il veut pouvoir séjourner dans notre pays en qualité de salarié de droit commun et occuper tout type d’emplois, il lui appartient de solliciter le titre de séjour correspondant.
On connaît les problèmes de recrutement dans la recherche et dans l’enseignement supérieur. Etant donné le faible nombre de postes au regard du nombre de candidats à des emplois au CNRS ou de maître de conférences, les débouchés sont relativement réduits. L’impossibilité d’accéder à d’autres types d’emploi serait un handicap pour tous les docteurs titulaires du « passeport talent-chercheur ». N’oublions pas que les docteurs étrangers représentent aujourd’hui 41 % des docteurs en France. C’est une proportion suffisamment importante pour que l’on s’en préoccupe en leur permettant d’exercer leurs talents dans d’autres activités. On a assez répété, depuis l’examen du projet de loi pour l’enseignement supérieur et la recherche, qu’il fallait valoriser les compétences des titulaires d’un doctorat.
L’amendement no 239 n’est pas adopté.
La parole est à Mme Isabelle Attard, pour soutenir l’amendement no 237 .
Si la France souhaite attirer les talents dans le cadre de ses programmes doctoraux, elle doit permettre aux étrangers devenus ainsi titulaires d’un doctorat français de rester en France s’ils le souhaitent. Il serait utile dans cette perspective de rendre systématique l’octroi du « passeport talent » aux docteurs étrangers qui auraient obtenu leur diplôme en France.
Dans l’état actuel du texte, ils ne pourront en bénéficier que s’ils sont recrutés à la fin de leur thèse. Or, celle-ci est presque toujours suivie d’une période de contrats précaires, du type « postdoctorat », avant l’obtention d’un poste pérenne. Les docteurs étrangers ne bénéficieront par conséquent que d’une autorisation provisoire de séjour d’un an non renouvelable, ce qui ne leur permettra pas de rester en France le temps de trouver un poste dans une université ou un centre de recherche, contrairement à l’objectif que vous venez d’indiquer.
En proposant la délivrance de plein droit de la carte de séjour pluriannuelle à tout titulaire d’un doctorat, quel que soit son domaine d’étude, sans aucune condition, avec un droit à renouvellement illimité, votre amendement a paru beaucoup trop systématique à la commission et n’est pas du tout conforme à l’esprit de cet article. C’est pourquoi nous lui avons réservé un avis défavorable.
L’amendement no 237 , repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.
La parole est à Mme Marie-Anne Chapdelaine, pour soutenir l’amendement no 339 rectifié .
Il s’agit par cet amendement de tenir compte de la situation particulière des DOM-TOM s’agissant des seuils et des conditions de délivrance de la carte de séjour pluriannuelle. Il est ainsi proposé de revoir ces critères à la baisse pour les faire correspondre à la situation des économies ultramarines et permettre au dispositif de jouer pleinement son rôle dans la dynamisation de l’économie locale, dans un contexte marqué par une situation plus que préoccupante de l’emploi, le vieillissement accéléré de la population en Martinique, en Guadeloupe et à La Réunion et des marchés d’une taille limitée.
L’amendement no 339 rectifié est adopté.
La suppression des alinéas 35, pour le no 197, 36, pour le no 198, et 37, pour le no 199, procède en effet du même raisonnement, dans la mesure où l’on ne comprend pas ce que ces dispositions, qui tendent à accorder de droit une carte de séjour pluriannuelle, viennent faire dans le cadre d’une politique d’accueil de talents.
Si l’on faisait une comparaison internationale, on noterait que les pays qui ont opté pour une telle politique ne se sont pas engagés dans cette voie. Certes, cela n’est pas un argument en soi, mais il convient de s’interroger sur ce que l’on est en train de faire. Or, une fois encore, on peut se demander comment le dispositif a été conçu, car il va bien au-delà d’une politique classique d’accueil de talents.
C’est pourquoi nous proposons la suppression de ces trois alinéas.
Messieurs de l’opposition, vous qui avez l’habitude de nous donner des leçons sur l’intérêt supérieur de l’enfant et le respect des valeurs familiales – j’en ai été le destinataire direct –, une fois de plus, à travers ces amendements, vous refusez le regroupement familial,…
…ou du moins vous refusez à un chercheur en situation régulière appelé à séjourner pendant plusieurs années dans notre pays la possibilité de vivre en famille, puisque vous refusez à ses enfants et à son époux ou à son épouse la possibilité d’obtenir un titre de séjour.
Cessez donc de donner le spectacle d’élus qui refusent des droits à des enfants et à des familles à cause de leur origine !
Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.
C’est insupportable d’entendre de tels propos, j’en suis bien d’accord !
Il est évident que la commission a émis un avis défavorable sur ces trois amendements.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Quelle mauvaise foi, monsieur le rapporteur ! Ce que nous refusons, c’est l’automaticité de la délivrance de la carte de séjour ; nous souhaitons qu’elle reste soumise au droit commun, ni plus ni moins.
Or vous ne répondez pas à ces arguments de fond.
Au lieu de nous diaboliser, dites aux Français que votre dispositif introduit en réalité une telle automaticité.
Mais non : le dispositif s’applique aux seuls détenteurs d’un « passeport talents », pas aux autres !
Vous n’êtes même pas capables d’assumer ce que vous faites ! Vous êtes des « apprentis sorciers » !
Parce que vous croyez que nous allons attirer les talents en leur demandant de laisser les enfants à la maison ?
L’amendement no 322 , accepté par le Gouvernement, est adopté.
L’amendement no 368 , accepté par le Gouvernement, est adopté.
L’article 11, amendé, est adopté.
La parole est à M. Denys Robiliard, pour soutenir l’amendement no 281 .
Il s’agit presque autant d’un rêve que d’un amendement. En effet, je dois reconnaître que cette proposition ne relève pas de la logique du présent projet de loi, puisqu’elle consiste à penser qu’une vie privée et familiale devrait permettre d’obtenir de plano une carte de séjour pluriannuelle, sans qu’il soit besoin d’obtenir préalablement une carte de séjour annuelle.
Mais comme j’ai le souci d’être un peu cohérent et que je viens de voter l’article 11, je retire l’amendement.
L’amendement no 281 est retiré.
La parole est à Mme Isabelle Attard, pour soutenir l’amendement no 240 .
Le statut des doctorants et, dans une moindre mesure, des docteurs étrangers n’est pas clairement défini : ils sont considérés parfois comme des étudiants, parfois comme des chercheurs. Cette confusion permet à un régime jugé depuis longtemps illégal de perdurer : celui des libéralités, c’est-à-dire un système de bourses accordées sans contrat de travail. Ces libéralités auraient dû disparaître depuis 2006, mais elles tendent à perdurer pour certains doctorants étrangers dont on profite du statut d’étudiant pour ne pas leur attribuer de véritable contrat de travail.
Afin d’empêcher de telles situations, les doctorants ainsi que les docteurs, souvent en post-doctorat, doivent pouvoir bénéficier, non pas d’un statut d’étudiant, mais du passeport « talent-chercheur », de sorte que leur soit reconnu le statut de chercheur, conformément à la Charte européenne du chercheur.
Cet amendement conduirait à exclure expressément du champ d’application de la carte d’étudiant les étrangers effectuant des recherches doctorales. Cela n’a pas semblé opportun à la commission, car certains de ces personnes peuvent souhaiter bénéficier d’une carte de séjour temporaire portant la mention « étudiant » ; il serait imprudent de l’interdire expressément.
J’ajoute que cela n’empêche nullement les doctorants qui le souhaitent de conclure une convention d’accueil avec un organisme agréé ayant une mission de recherche ou d’enseignement et de se voir délivrer à ce titre une carte de séjour pluriannuelle portant la mention « chercheur ».
Avis défavorable, donc.
L’amendement no 240 n’est pas adopté.
La parole est à M. Denys Robiliard, pour soutenir l’amendement no 256 .
Sourires.
Il vise en effet – de même que, sous d’autres formes, ceux qui suivent – à lutter contre le travail dissimulé.
Certaines filières comme le textile, ou la gestion de certains restaurants reposent, pour des raisons économiques, sur une sorte d’alliance objective entre l’employeur et le salarié s’agissant du travail dissimulé. Le salarié est lié par le fait qu’il ne possède pas de titre de séjour et, par conséquent, ne peut pas révéler le fait qu’il est travailleur dissimulé ; l’employeur en profite.
Le présent amendement tend à briser cette logique et à créer les conditions qui permettront de mettre au jour une situation qui ne devrait pas exister, à savoir celle de l’emploi dissimulé. D’où notre demande qu’un salarié étranger employé dans le cadre d’un travail dissimulé et qui aurait engagé une procédure contre son employeur en application de l’article L. 8252-2 du code du travail puisse bénéficier d’une carte de séjour pour les besoins de celle-ci. Ce serait une façon de briser les filières sources d’immigration clandestine.
Monsieur Robiliard, puis-je considérer que vous avez défendu l’amendement no 287 rectifié ?
Il s’agit d’un amendement de repli au cas où la rédaction du précédent ferait problème.
Monsieur Robiliard, vous abordez là un sujet difficile et essentiel. Néanmoins, le simple fait d’engager une procédure devant les prud’hommes ne saurait suffire à ouvrir droit à une carte de séjour, car cela risquerait d’ouvrir la voie à de très nombreux détournements.
Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.
Un peu de clairvoyance ! On peut donc espérer un sursaut, même à cette heure tardive…
C’est pourquoi votre amendement avait été rejeté lors de l’examen du texte en commission. Avis défavorable, donc.
Monsieur le rapporteur, votre critique manque sa cible, puisque nous prévoyons deux conditions : premièrement, être employé dans le cadre d’un travail dissimulé ; deuxièmement, avoir engagé une procédure.
La procédure ne suffit pas, sinon le risque de détournement serait en effet réel. Le simple fait de se rendre à l’inspection du travail pour dénoncer une situation suscitera l’intervention de l’inspection, qui établira les faits, ce qui permettra de saisir le conseil des prud’hommes et d’en tirer les conséquences légales.
Il existe aujourd’hui une procédure qui permet d’habiliter l’Office français de l’immigration et de l’intégration, l’OFII, à recouvrir les droits d’un salarié à indemnité, y compris ses salaires. Cette procédure, qui existe depuis plusieurs années, n’a à ma connaissance été utilisée qu’une fois. Elle n’atteint donc pas son objectif. Ce dont nous avons besoin, c’est de créer les conditions concrètes qui inciteront un salarié employé dans un tel cadre à sortir de la clandestinité. C’est ainsi que nous pourrons briser les filières et lutter efficacement contre l’immigration clandestine, sans se payer de mots – comme on le fait joyeusement à droite.
L’amendement no 256 n’est pas adopté.
L’amendement no 287 rectifié , repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.
Ce que je propose, c’est de défendre simultanément les amendements suivants, qui font, à l’exception des nos 261 et 262, l’objet de sous-amendements du Gouvernement.
Il s’agit de faciliter la lutte contre le travail clandestin en modifiant très légèrement différents articles du code du travail, de façon à ce qu’il n’y ait pas d’équivoque possible sur la nature du titre dont le défaut constitue un délit.
Aujourd’hui, le code mentionne l’obligation d’être muni d’un titre, sans précision ; or il existe des titres de séjours qui ne sont pas des titres de travail, et inversement. Il convient donc de préciser que c’est le défaut de titre de travail qui constitue le délit, même lorsque l’on dispose d’un titre de séjour.
Le sous-amendement du Gouvernement qui vise à préciser la rédaction de l’amendement me satisfait pleinement.
Je ferai, si vous le permettez, madame la présidente, une présentation générale des sous-amendements du Gouvernement : cela me permettra de préciser la position du Gouvernement sur cette série d’amendements du député Robiliard ; cela permettra aussi de mettre en évidence la cohérence de notre démarche par rapport aux propositions qui nous sont faites.
Quelques mots, tout d’abord, sur les amendements. Ceux-ci tendent à apporter des précisions dans la rédaction de plusieurs articles du code de travail qui sanctionnent le fait d’employer directement ou indirectement un étranger sans autorisation de travail ; ces amendements définissent les droits des étrangers dans cette situation, déterminent des modes de responsabilité des entreprises et les pouvoirs des corps de contrôle dans ce domaine.
Vous estimez, monsieur Robiliard, que les dispositions actuelles du code du travail ne précisent pas la nature du titre dont l’absence constitue l’élément essentiel de l’infraction. La nature de ce titre est à trouver à l’article L. 8251-1 du code du travail, qui caractérise l’infraction d’emploi d’un étranger sans titre par le fait pour tout employeur d’« embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France ». L’infraction est donc constituée en l’absence de titre autorisant l’étranger à exercer une activité salariée. En pratique, il s’agit d’un titre de séjour valant autorisation de travail.
La modification rédactionnelle que vous proposez n’est pas juridiquement indispensable, car l’ensemble des articles visés par vos amendements contiennent des dispositions subséquentes de celles de l’article L. 8251-1. Elles ont donc trait à la même infraction, définie comme je viens de l’indiquer.
Néanmoins, le Gouvernement comprend et partage l’objectif de clarification des dispositions du code du travail relatives aux étrangers employés illégalement.
Il n’apparaît toutefois pas opportun de remplacer la mention « sans titre » par celle de « sans titre de travail ». L’expression titre de travail n’a plus réellement de portée juridique précise depuis la loi Dufoix de 1984, qui a créé le titre de séjour et de travail, et depuis la loi du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et à l’intégration, qui a renforcé le principe de l’unicité du document permettant à un étranger de séjourner et de travailler sur le territoire français.
Il serait donc préférable de substituer à l’expression « étranger sans titre » celle « d’étranger sans titre l’autorisant à travailler », explicitement conforme à la définition matérielle des infractions relevant du titre V du livre II de la huitième partie du code du travail. C’est l’objet des sous-amendements nos 422 , 423 , 424 , 425 et 426 que le Gouvernement a déposés.
Le Gouvernement est donc favorable aux amendements concernés, sous réserve de l’adoption de ces sous-amendements. En revanche, vos amendements nos 261 et 262 nécessitent des améliorations rédactionnelles plus importantes, auxquelles il n’a pas été possible de procéder dans le cadre de la séance. Il vous est donc proposé de les retirer, et je m’engage à ce que les adaptations nécessaires soient effectuées dans le cadre de la navette.
La commission n’a pas statué sur les sous-amendements du Gouvernement aux différents amendements de M. Robiliard. Néanmoins, à titre personnel, je suis enclin à suivre l’analyse que vient de développer M. le ministre, et donc à donner un avis favorable aux amendements de M. Robiliard, sous réserve de l’adoption des sous-amendements du Gouvernement.
Le sous-amendement no 422 est adopté.
L’amendement no 259 , sous-amendé, est adopté.
L’amendement no 258 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.
Le sous-amendement no 423 est adopté.
L’amendement no 260 , sous-amendé, est adopté.
L’amendement no 261 est retiré.
La parole est à M. Denys Robiliard, pour soutenir l’amendement no 257 rectifié .
L’article L. 8252-4 du code du travail a quelque chose de curieux. De façon très singulière, il accorde à l’employeur un délai pour s’acquitter de ses obligations en matière de salaire. Un employeur qui emploie un salarié dépourvu d’autorisation de travailler et donc, pour reprendre le raisonnement du ministre, de titre de séjour et de travail, a davantage de droits qu’un employeur classique qui emploie un salarié qui a le droit de travailler. C’est parfaitement incompréhensible.
Cela entraîne, de plus, une difficulté : la disposition telle qu’elle est peut être utilisée par l’employeur, par exemple en référé en matière prud’homale, pour dire au salarié qu’il dispose de trente jours pour le payer. Le salarié a certainement d’autres moyens pour contrebattre les dispositions de l’article L. 8252-4, mais avouez que c’est une disposition parfaitement singulière. Elle donne à un employeur qui fait travailler quelqu’un de façon dissimulée, alors qu’il n’a pas de titre de séjour et de travail, un délai de trente jours pour acquitter ses simples obligations légales au titre du contrat de travail.
Par ailleurs, il ne me semble pas aberrant que les agents de contrôle, notamment l’inspection du travail, aient à informer l’OFII – puisque c’est lui qui en a la charge – des situations dans lesquelles des salaires n’ont pas été versés à un salarié étranger sans titre de séjour et de travail et qui fait l’objet d’un éloignement, afin que ce dernier puisse les récupérer.
Encore une fois, le recours ouvert à l’OFII est infime. Il s’agit simplement de permettre qu’il soit davantage utilisé.
Je partage l’avis de M. Robiliard sur la singularité de cette disposition. Néanmoins la supprimer risquerait de se retourner contre la personne étrangère qu’elle peut protéger. Il me semble que votre proposition est une fausse bonne idée, et c’est pourquoi l’avis est défavorable.
L’amendement no 257 rectifié , repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.
L’amendement no 262 est retiré.
Le sous-amendement no 424 est adopté.
L’amendement no 263 , sous-amendé, est adopté.
Le sous-amendement no 425 est adopté.
L’amendement no 264 , sous-amendé, est adopté.
Le sous-amendement no 426 est adopté.
L’amendement no 265 , sous-amendé, est adopté.
Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :
Questions au Gouvernement ;
Lecture définitive du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte ;
Lecture définitive du projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2014 ;
Suite de la discussion du projet de loi relatif au droit des étrangers en France.
La séance est levée.
La séance est levée le mercredi 22 juillet 2015 à zéro heure trente-cinq.
La Directrice du service du compte rendu de la séance
de l’Assemblée nationale
Catherine Joly