La séance est ouverte.
La séance est ouverte à vingt et une heures trente.
J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles du projet de loi.
De nombreux orateurs sont inscrits sur l’article 1er.
La parole est à M. Lionel Tardy.
Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre de la défense, monsieur le ministre de l’intérieur, monsieur le président et rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, monsieur le rapporteur pour avis de la commission de la défense et des forces armées, mes chers collègues, avec ce texte, j’ai l’impression de revivre les débats sur la loi de programmation militaire, il y a un an et demi, mais cette fois, je me sens un peu moins seul. Le Conseil national du numérique, le Défenseur des droits, la Commission nationale de l’informatique et des libertés – CNIL –, le président de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité – CNCIS –, l’Union syndicale des magistrats : nombreux sont ceux qui ont pu rendre leur avis sur ce projet de loi – un avis souvent sévère.
Alors, où en sommes-nous, mes chers collègues ? En l’état, les garanties en matière de protection des données et de respect de la vie privée sont insuffisantes. Avec mon excellent collègue Patrick Hetzel, j’ai donc déposé quarante amendements, dont vingt-cinq à l’article 1er, inspirés des différents avis que j’ai mentionnés. Nous ne sommes donc absolument pas dans le rejet pur et dur, mais bien dans la proposition et la construction. J’espère que vous l’aurez noté.
Au cours de ce débat, monsieur le ministre de l’intérieur, les positions des uns et des autres vont dépasser les clivages politiques. Chacun aura son avis, chacun proposera où placer le curseur.
D’ores et déjà, je pense qu’internet n’est pas la cause ni la source de tous les maux. Nous devrions plutôt étudier le phénomène de radicalisation en prison, très sérieux. Nous en débattrons lorsque nous discuterons des amendements de nos collègues Ciotti et Goujon.
Dans tous les cas, par pitié, évitons les caricatures ! Pour ma part, j’admets que des progrès importants ont été réalisés en commission sur ce texte, qu’il faut un cadre légal pour le renseignement et qu’il n’est pas évident de trouver le bon équilibre. De votre côté, j’aimerais, si possible, ne pas entendre des arguments comme « On ne pourra pas dire qu’on ne vous avait pas prévenus en cas d’attentat », ou d’autres facilités du même genre.
Puisque le Premier ministre est au coeur du système, le risque global est que les dispositions de ce texte tombent entre les mains de politiques peu scrupuleux : le plus grave deviendrait alors possible. Il faut donc nous prémunir contre ces risques, faire de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, la CNCTR, un véritable contre-pouvoir, écarter de la surveillance tous ceux qui n’ont aucune raison d’être surveillés, et lever le flou qui entoure certaines techniques que ce texte entend autoriser.
Comme beaucoup, je suis profondément convaincu que l’abandon des libertés est toujours une réponse facile, relativement économique et sans risque politique. Il n’y a pas d’attentat ? C’est grâce au système de renseignement que nous avons mis en place, il faut continuer, votez pour nous ! Il y a un attentat ? C’est parce que le renseignement ne va pas assez loin et qu’il faut le renforcer, votez pour nous ! Combien de temps pouvons-nous continuer ainsi, à ignorer que, pendant que l’on abandonne progressivement, loi après loi, nos libertés en les offrant aux terroristes et à ceux qui prétendent les combattre, on ne fait rien, ou pas grand-chose, pour s’attaquer aux sources du terrorisme.
Je profite de mon intervention sur l’article 1er pour répondre à M. le ministre de l’intérieur, qui nous a apporté tout à l’heure un certain nombre de garanties orales en nous assurant que ce texte ne permettrait pas de surveiller les opposants politiques. J’en prends acte et j’aimerais pouvoir vous faire confiance, monsieur le ministre, mais je préférerais des garanties législatives. Or, en l’état actuel de la rédaction du texte, on peut craindre un certain nombre de dérives. Je pense notamment au champ d’action du renseignement, qui va s’étendre à « la prévention des atteintes à la forme républicaine des institutions ». Pardonnez mon inquiétude mais, lorsque l’intégralité – ou presque – de la classe politique et le Gouvernement expliquent que le Front national n’est pas un parti républicain, comprenez que cette formulation extrêmement large puisse susciter chez moi une certaine forme d’inquiétude.
L’un des principaux problèmes posés par ce texte est la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, censée être un garde-fou à la toute-puissance de l’État, est en réalité une commission fantoche,…
…qui assure un vernis de contrôle des risques d’abus et de dérives, mais dont la composition est assez contestable. On peut se demander si la présence de parlementaires ne va pas poser un problème puisque, du fait de leur mandat, ils ne seront pas nécessairement disponibles en permanence et ne pourront pas forcément répondre à des saisines d’urgence. Surtout, cette commission n’a aucun pouvoir de contrainte ; le Premier ministre n’est même pas obligé de lui communiquer tout ou partie des rapports d’inspection.
Non seulement les Français, abusivement surveillés, auront pour seule protection un contrôle précaire assuré par cette commission, mais, en cas d’ultime recours devant le Conseil d’État, aucune indemnité ne leur sera versée et ils n’auront aucune assurance que les renseignements collectés irrégulièrement seront éliminés.
Voilà un certain nombre de points qui m’apparaissent extrêmement graves et qui m’incitent à rejeter cet article.
À mon tour, je veux souligner un certain nombre de problèmes qui subsistent. Outre l’engagement de la procédure accélérée, qui dénature de toute évidence l’essence même du débat parlementaire et que le Parti socialiste lui-même dénonçait avec tant de virulence quand il était dans l’opposition, ce texte prend le parti d’une surveillance accrue et généralisée de nos concitoyens. Il égratigne au passage un certain nombre de principes dont nous pensions qu’ils étaient désormais intangibles dans notre République. Il légalise des pratiques hier encore illégales – mais dont vous avez implicitement reconnu tout à l’heure, monsieur le ministre de la défense, qu’un certain nombre d’entre elles étaient déjà utilisées. Il concentre encore entre les mains du Premier ministre des pouvoirs inédits, sans véritable garde-fou ni contre-pouvoir. C’est agir de façon troublante, un peu schizophrénique, que de grignoter ainsi la démocratie et la liberté au motif de les défendre.
Évidemment, le Gouvernement proteste de sa bonne foi. On peut volontiers lui faire confiance, mais il n’empêche que, même si nos libertés ne sont pas directement menacées, nous nous rapprochons, texte après texte, d’un patriot act à la française. Le Gouvernement dit qu’il n’en est rien mais, en réalité, les libertés publiques sont peu à peu grignotées.
Ce projet de loi revient à prendre une hypothèque sur l’avenir. Monsieur le ministre de l’intérieur, vous nous demandez de vous faire confiance, mais nous préférerions débattre d’un texte précis. Nous légiférons pour le long terme. Or, nous avons un certain nombre de craintes s’agissant des atteintes aux libertés fondamentales. Il n’y a pas de contre-pouvoir, pas de garantie. Tout à l’heure, Hervé Morin se demandait ce qu’il adviendrait si les dispositions de ce texte tombaient un jour entre les mains de personnes mal intentionnées ? Nous avons beaucoup de questions mais, hélas, la précipitation du calendrier ne nous permet pas aujourd’hui d’examiner sereinement ce texte liberticide.
Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.
Il faut saluer ce projet de loi, notamment son article 1er qui vise – j’insiste sur ce point – à donner à l’activité de nos services de renseignement un cadre juridique stable et clair, là où il n’y a aujourd’hui, au sein de la République, que non-dit et, du point de vue législatif, non-écrit. Le seul fait de pouvoir aborder le sujet du renseignement de manière aussi approfondie est déjà, en soi, un progrès pour notre État de droit.
Cet article appelle toutefois notre vigilance en matière de libertés publiques. En commission, notre collègue rapporteur Jean-Jacques Urvoas a rappelé qu’« aux termes de l’article 34 de la Constitution, seule la loi peut fixer des règles en matière de garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques ». De ce point de vue, notre responsabilité est donc déterminante.
C’est pour cela qu’à l’initiative du groupe SRC, un amendement que j’ai cosigné est venu modifier en commission l’un des motifs d’intérêt public pour lesquels le recueil de renseignements peut être autorisé. La« prévention des violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique », prévu par le texte initial, pouvait en effet être interprétée de manière trop large. Puisqu’il s’agit de prévenir les agissements de groupes dangereux désireux de porter atteinte à la sécurité nationale, nous avons préféré compléter l’alinéa les visant explicitement en y ajoutant la prévention des « atteintes à la forme républicaine des institutions » et des « violences collectives de nature à porter atteinte à la sécurité nationale ». En adoptant cette rédaction beaucoup plus restrictive, à laquelle M. le ministre de l’intérieur vient de réaffirmer son soutien, nous ciblons les groupes les plus dangereux afin de prévenir un passage à l’acte mettant en péril la sécurité de nos concitoyens.
La majorité souhaite combiner harmonieusement l’efficacité de la politique de renseignement et le respect de nos libertés fondamentales. Madame la garde des sceaux, vous avez dit qu’il fallait trouver la bonne mesure, avec un souci de proportionnalité. Il est évidemment nécessaire d’assurer avec efficacité la protection des Français contre les dangers qui les menacent, mais il faut en même temps préserver les droits et les libertés. Nous sommes bien sûr à l’écoute des inquiétudes qui s’expriment sur ces sujets importants. Tel est l’état d’esprit dans lequel nous allons participer aux travaux de notre assemblée au cours des prochains jours.
Je pense que vous serez d’accord avec moi, monsieur le ministre de l’intérieur : rien ne vaut ni ne remplacera le renseignement humain. Les affaires Merah, Kouachi et Coulibaly sont là pour le montrer : les personnes en question étaient connues des services de police. La première question que nous devons nous poser – nous n’en débattons pas encore dans cette assemblée, mais cela viendra – concerne donc la façon dont nous devons tirer les leçons de ce qui s’est passé et accroître l’efficience de nos services de renseignement. Je pense notamment à la direction générale de la sécurité intérieure, la DGSI, car, il faut bien le dire, il y a eu deux failles dans le système.
Ces deux failles, c’est ce que nous voyons. Mais je tiens tout de suite à nuancer mon propos : nous ne voyons pas, de l’autre côté, toutes les réussites de la DGSI, dont le travail a permis de déjouer de nombreux et très sanglants attentats.
La question principale porte donc sur l’efficience du travail de nos services et sur les relations entre ces derniers. Cette question est importante, et je sais que le ministre de l’intérieur y consacre toute son énergie. Je ne suis pas un spécialiste de ces questions mais, à mon humble avis, c’est là que se trouve la clé du succès en matière de renseignement. D’ailleurs, « l’hyper-technologisation » n’a pas permis de prévenir les attentats du 11 septembre 2001 : avec un simple cutter, quelques personnes ayant suivi des cours de pilotage ont pu précipiter deux Boeing, deux avions de ligne, sur les tours. Ne faisons donc pas une confiance excessive aux miracles que pourrait faire la technologie.
Cette dernière ne pourra jamais se substituer à l’intelligence humaine.
Cela étant, nous sommes confrontés à de nouveaux moyens technologiques qui, utilisés de manière dévoyée par des personnes ou des groupes mal intentionnés, peuvent faciliter la commission d’attentats ou aider le crime organisé. Il est donc évident que la puissance publique doit se poser la question de l’utilisation de ces moyens afin de prévenir ou de lutter contre certains faits criminels. S’il existe des écoutes téléphoniques, c’est parce qu’on a inventé le téléphone – avant, on écoutait aux portes !
Je le répète : il est normal de s’interroger sur le positionnement des services de police et de sécurité par rapport à internet. Encore faut-il trouver un équilibre entre la sécurité et la liberté, mais nous avons bien avancé sur cette question. À l’article 1er, un certain nombre d’amendements doivent permettre d’avancer, d’aller encore plus loin qu’en commission, afin de lever des inquiétudes.
Si ce projet de loi peut encore être grandement amélioré, il a une vertu : celle de codifier des pratiques qui existaient déjà. Oui, mes chers collègues, elles existaient déjà, mais dans des zones grises : c’est pourquoi elles provoquaient des scandales lorsqu’elles étaient révélées. Dorénavant, elles auront une base légale, qui doit être suffisamment ferme pour éviter que ce qui pouvait auparavant apparaître comme un scandale ne devienne aujourd’hui un comportement juridiquement accepté.
Comme Bernard Cazeneuve l’a dit tout à l’heure, la loi de 1991 relative aux interceptions de sécurité est devenue obsolète, du fait du développement du renseignement d’origine électromagnétique. On peut aujourd’hui surveiller toutes les communications, ainsi que les échanges sur internet : c’est une révolution majeure dans la mesure où l’on peut stocker de grandes quantités d’informations et, à partir des métadonnées, extraire des conversations à partir de mots clés ou de numéros. Il le faut, d’ailleurs. En ce sens, je partage l’avis du ministre : si les métadonnées ne sont pas provisoirement stockées, on ne pourra pas en extraire les données nécessaires à la lutte contre le terrorisme. Ces métadonnées sont, en soi, anonymes : de fait, il n’y a donc de collecte de données autres que celles qui permettent, grâce à des algorithmes – un mot que ce projet de loi a fait entrer dans le lexique de l’Assemblée nationale –, la recherche de données utiles. C’est très important.
Trouver un nouvel équilibre exige à la fois de modifier le cadre législatif et de contrôler l’usage que l’exécutif fait de ces renseignements. La délégation parlementaire au renseignement a un rôle à jouer à cet égard.
Le projet de loi doit donc préciser – et c’est ce qu’il fait – les moyens par lesquels la liberté individuelle pourra être protégée, quel que soit l’état des dispositifs techniques. Car les méthodes d’interception de correspondances par voie électronique évoluent, certains collègues l’ont rappelé. Des techniques permettent aujourd’hui de capter à distance des conversations, de les détourner, de procéder à des écoutes sans que soit requise la coopération du réseau téléphonique.
Il faut – et c’est une remarque que je fais en tant que président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques – que la législation s’adapte en permanence aux avancées des sciences et des techniques car les renseignements d’origine humaine, mon cher collègue Cherki, ne sont plus les seuls renseignements sur lesquels nous pouvons nous appuyer. On peut le déplorer ou non.
Et si le droit doit protéger le citoyen, ce que nous pensons tous, il ne doit pas être un frein à la recherche de nouvelle solutions en matière de lutte contre l’espionnage et de terrorisme. Il faut aller plus loin dans la recherche offensive et permettre aux spécialistes, dans des conditions définies par la loi, de débrider des systèmes d’exploitation, de les déverrouiller, de désassembler les logiciels, de vérifier les flux informatiques et de faire de la rétro-ingénierie pour mieux comprendre la nature des menaces. Et tout cela, sous le contrôle du Parlement.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.
Nous ne pouvons nier la réalité de la menace. Il est donc du devoir du Gouvernement de protéger les Français, mais également de garantir le respect des valeurs qui fondent notre identité.
Comme cela a été dit à de nombreuses reprises, ce projet de loi vise à adapter les mesures et techniques dont pourront disposer nos services de renseignement. Face à des adversaires ayant recours aux outils de notre monde interconnecté, les femmes et les hommes du renseignement doivent pouvoir collecter les informations là où elles se trouvent, ce qui nécessite des instruments particuliers.
Les agents du renseignement doivent pouvoir faire preuve de réactivité lors des opérations de surveillance, mais les décisions qu’ils prennent doivent aussi respecter un cadre administratif défini, d’autant plus précis et strictement contrôlé que les mesures auxquelles ils pourront désormais recourir se révèleront intrusives. C’est en cela que la création de la CNCTR est cruciale : elle permettra de garantir le respect par les services du cadre législatif et réglementaire dans lequel s’inscrit leur action.
Le respect des procédures pourra être vérifié au moment de renouveler l’autorisation d’utiliser certaines techniques, mais aussi grâce à la saisine de la Commission nationale ou du Conseil d’État par toute personne présentant un intérêt direct et personnel. À cet égard, la fixation de délais précis en matière de conservation des données recueillies est essentielle : « Souviens-toi d’oublier » disait Nietzsche.
La CNCTR s’inscrit dans la logique du contre-pouvoir essentiel à toute démocratie. S’il est nécessaire de faire évoluer nos techniques de renseignement, la création d’un organe indépendant susceptible d’en contrôler l’usage s’impose tout autant à mes yeux. La liberté d’expression, la liberté d’aller et de venir, la préservation de la vie privée, la tolérance peuvent faire ressortir le meilleur de chacun. On ne peut admettre que nos compatriotes soient pris pour cible parce qu’ils bénéficient de ces droits fondamentaux.
Nous n’insisterons jamais assez sur le rôle prépondérant de l’éducation dans la lutte contre les dérives radicales : lire, découvrir les trésors culturels des civilisations passées, s’en imprégner pour réfléchir par soi-même sera toujours plus difficile que d’avaler sans broncher les propos d’un prédicateur millénariste.
Au premier siècle avant notre ère, Horace disait : « Qui vit dans la crainte ne sera jamais libre. » Il est donc de notre devoir de maintenir l’équilibre complexe entre la garantie des libertés et la sécurité de tous. Or c’est bien ce vers quoi tend ce texte, même si sa bonne application implique que soient donnés à la CNCTR les moyens suffisants pour agir.
L’article 1er couvre un vaste champ. Il s’agit de reconnaître l’importance du renseignement, lequel doit être encadré strictement et contrôlé dans sa mise en oeuvre, tout manquement au principe de proportionnalité ou aux règles relatives à la durée de validité des autorisations devant être pénalement sanctionnés.
Notre collègue rapporteur a, tout au long de nos débats, insisté sur la nécessité pour notre Assemblée d’exercer pleinement ses responsabilités en matière d’évaluation de l’application de la loi. Je ne peux qu’y souscrire.
Je souhaite concentrer mon propos sur la question de l’exploitation des données PNR – passenger name record ou dossier de réservation des passagers – recueillies par les compagnies aériennes au moment de la réservation commerciale des vols. Elles ne font certes pas l’objet de dispositions législatives dans le projet de loi, mais ont été évoquées lors de nos débats en commission et prises pour référence lors de la détermination d’une durée de conservation des données d’exécution.
En octobre 2014, la commission des affaires européennes a adopté une proposition de résolution relative à l’exploitation des données PNR. En tant que rapporteure, j’avais alors insisté sur la nécessité, pour l’Union européenne, de se doter d’outils efficaces en matière de lutte contre le terrorisme. Plusieurs pays exploitent déjà les données PNR : les États-Unis, l’Australie, le Canada et le Royaume-Uni disposent de systèmes véritablement opérationnels, tandis que d’autres pays, tels le Mexique, le Brésil et la Russie, sont encore en phase de test.
En France, les législations antiterroristes et la loi de programmation militaire ont donné un cadre à une expérimentation au plan national de l’exploitation de telles données. Néanmoins, l’absence d’un cadre juridique européen stabilisé pose un réel problème. En effet, l’efficacité du système passe par le partage d’informations, la juxtaposition des PNR nationaux ne pouvant suffire à elle seule.
L’adoption d’une règle européenne en la matière est également une nécessité si nous voulons encadrer le recueil et la conservation des données personnelles, protéger les informations, empêcher qu’elles soient cédées à des tiers – y compris à d’autres États – et donc garantir l’équilibre entre le respect des droits individuels et la sécurité.
Il est donc indispensable que les représentants et les États européens parviennent à un compromis afin de doter l’Europe d’une législation unique en la matière.
Dans son alinéa 13, l’article 1er autorise l’emploi des techniques de renseignement pour prévenir les violences collectives de nature à porter atteinte à la sécurité nationale ou à la forme républicaine des institutions.
La commission d’enquête sur le maintien de l’ordre et les libertés publiques, à laquelle j’appartiens, a constaté l’adoption, par des groupuscules contestataires et militarisés, comme les zadistes, de nouvelles tactiques ou formes d’actions ultra-violentes. Ces groupes de casseurs itinérants effectuent des tours d’Europe de la contestation. Ils utilisent les réseaux sociaux pour propager leurs idées mais surtout pour transmettre des méthodes de combat et banaliser des pratiques agressives telles que les jets de projectiles et d’acide à l’encontre des forces de l’ordre.
Le ministre de l’intérieur a assuré que cet article ne s’appliquerait évidemment pas à des rassemblements pacifiques, du type « La manif pour tous », mais permettrait par exemple d’empêcher des mouvements identitaires de provoquer des agressions à la sortie de lieux de culte ou de se livrer à des actes de hooliganisme.
La commission a affiné le texte pour cibler exclusivement la prévention des agissements de groupes dangereux portant atteinte à la sécurité nationale. Des garanties supplémentaires sont apportées par le contrôle de la CNCTR – héritière de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, dont la doctrine a conditionné l’usage de ces techniques à l’existence de menaces d’une gravité particulière – et par un double contrôle administratif et juridictionnel puisque si la CNCTR constate une infraction pénale, le juge pénal sera bien évidemment saisi. Enfin, la Convention européenne des droits de l’homme exige également que les restrictions à la liberté de manifestation soient prévues par la loi et proportionnées.
Mais si je sais qu’en disant cela je me trouve – ce qui est rare – en contradiction avec un amendement de déposé par mon groupe, il me paraîtrait dangereux de priver l’État de la possibilité de surveiller ceux qui cherchent à porter atteinte à la forme républicaine des institutions ou à la sécurité nationale.
Monsieur le ministre de l’intérieur, monsieur le ministre de la défense, nous nous connaissons bien. Vous savez combien je m’investis sur les questions de sécurité nationale, de défense, de lutte anti-djihad au Sahel, au Moyen-Orient. Je ne figure donc pas parmi ceux que l’on peut considérer comme « mous du genou » – pardonnez-moi l’expression – sur ces questions de lutte contre le terrorisme. De même, je ne peux pas être soupçonné de faire preuve de complaisance sur ces sujets.
Toutefois, je voudrais vous dire que rien n’est plus dangereux dans une démocratie que les lois de circonstance – surtout lorsqu’il s’agit de lois d’exception –, prises sous le coup de l’émotion. Seulement trois mois après le grave traumatisme subi par notre pays, et alors que nos soldats patrouillent encore dans les rues des grandes villes, voilà que nous discutons d’un texte majeur qui a un impact, qu’on le veuille ou non, sur les libertés publiques.
Je déplore d’autant plus, madame, messieurs les ministres, le choix du Gouvernement d’imposer la procédure accélérée pour l’examen de ce texte. Car au total, le groupe UMP n’a pu disposer que de vingt minutes – quatre orateurs pouvant s’exprimer cinq minutes chacun – lors de la discussion générale.
(« Eh oui ! « sur les bancs du groupe UMP.)
De même, je n’ai que deux minutes pour vous parler de l’article 1er (Mêmes mouvements), qui est un texte compliqué, composé de plusieurs chapitres et à l’architecture complexe. Je n’aurai pas le temps de dire ce que je voulais dire, ce qui est extrêmement frustrant. Mettez-vous à la place de l’opposition : ce n’est pas une façon correcte de travailler.
Cette loi, vous l’avez centrée sur la collecte de l’information. Je respecte ce choix, on en a besoin. Mais vous le savez comme moi, messieurs les ministres : ce qui compte, en matière de renseignement, ce n’est pas seulement la collecte, mais l’exploitation.
Le 11 septembre 2001, les services américains connaissaient l’identité des pilotes saoudiens, on l’a su par la suite. De même, Merah était fiché par la police. Il avait été interrogé par nos services : après la tuerie de Montauban, ces derniers non seulement le connaissaient, mais savaient qu’il était probablement le coupable. Quant à Kouachi et Coulibaly, ils étaient…
Vous faites la démonstration de ce que j’essayais de dire, madame la présidente.
Kouachi et Coulibaly étaient également fichés, et avaient été interrogés. Cela n’a pas empêché les attentats. Le travail qui nous incombe en priorité est donc d’améliorer la coordination des services, vous le savez bien.
Vous faites grossir la meule en ramassant le plus possible d’informations, mais le problème pour trouver l’aiguille demeurera le même. Or si je ne suis pas du tout sûr que votre stratégie soit efficace, ce dont je suis certain, c’est qu’elle a des effets liberticides.
Monsieur Lellouche, je suis confuse, mais la règle est la même pour tous. L’inscription sur l’article est de droit, mais pour une intervention de deux minutes.
Le Gouvernement n’a pas le droit de faire cela à l’opposition, notamment sur de tels sujets ! J’avais des choses à dire !
Par ailleurs, le fait que le groupe UMP ait disposé de vingt minutes dans la discussion générale n’a rien à voir avec la procédure accélérée, mais résulte d’une décision de la conférence des présidents, compétente pour organiser nos débats.
L’article 1er est un article majeur du projet de loi. A priori, on ne peut que partager le souci légitime de créer un cadre légal général aux activités des services de renseignement.
Pour autant, la nécessité de donner aux services de renseignements les moyens nécessaires à la préservation des intérêts de l’État ne doit pas occulter son devoir de préserver les droits et libertés.
Tout d’abord, l’article 1er suscite notre inquiétude parce qu’il étend le champ d’intervention des services de renseignements.
Comme le souligne l’Union syndicale des magistrats, au regard de l’ampleur des outils à la disposition des agents spécialisés les domaines d’intervention doivent être plus précisément définis et un contrôle effectif doit être mis en place afin d’éviter des atteintes potentiellement graves aux libertés individuelles.
C’est la raison pour laquelle nous avons déposé des amendements tendant à limiter strictement le domaine d’intervention des services de renseignement, conformément aux finalités visées par la loi du 10 juillet 1991 relative au secret des correspondances émises par la voie des communications électroniques.
Ensuite, la procédure d’autorisation envisagée pour recourir aux techniques de recueil du renseignement prévues par la loi ne nous paraît pas suffisamment encadrée.
En effet, dans la procédure d’autorisation prévue par le projet de loi, le pouvoir décisionnel est confié au Premier ministre, lequel n’est aucunement tenu de suivre l’avis, purement consultatif, confié à la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement.
Or cet encadrement ne saurait suffire à garantir un juste équilibre entre les moyens mis en oeuvre par les services de renseignement et les atteintes portées aux libertés publiques.
De même, le contrôle effectué a posteriori par la Commission n’apparaît pas suffisant : aucun délai pour agir n’est spécifié et pas de moyen d’interpellation publique hormis son rapport annuel. Le seul recours réel de la Commission sera la saisine du Conseil d’État.
Madame la ministre, messieurs les ministres, votre projet de loi nous ramène 121 ans en arrière.
Exclamations sur divers bancs.
L’ennemi intérieur n’était alors pas les djihadistes, mais les anarchistes. Personne n’imaginait l’arrivée d’internet comme nouvel espace public, mais le développement de nombreux médias de masse inquiétait déjà.
En juillet 1894, un de nos illustres prédécesseurs a fait ici un discours s’opposant aux « lois scélérates » qui visaient à interdire tout moyen de communication aux idées anarchistes. En voici quelques extraits choisis ; à vous de remplacer le mot « anarchiste » par celui de « terroriste ».
« Si vous examinez les dispositions déjà votées par vous, l’intention profonde de votre loi est un effort du législateur pour se rapprocher des origines les plus cachées et les plus profondes de l’acte anarchiste, pour aller chercher l’anarchie presque dans les secrets de la conscience humaine. C’est dans ce sens que vous avez marché, dans ce sens que se développe tout le mouvement législatif contre l’anarchie depuis quelques années. »
« Vous ne frappiez d’abord que les actes mêmes, ou la complicité, ou la préparation effective de ces actes […]. Puis, dans la loi de décembre, vous avez fait davantage et vous avez voulu atteindre l’entente indéterminée en vue d’un attentat indéterminé, c’est-à-dire que vous avez voulu frapper, surprendre une communauté de pensées mauvaises. Mais cela ne vous a pas suffi encore. Et vous revenez devant nous, vous nous dites : La pensée anarchiste, elle peut se glisser dans le simple propos, elle peut être chuchotée de coeur à coeur, d’oreille à oreille ; elle peut s’exhaler dans un simple cri de colère et de souffrance, et puisqu’il y a un péril anarchiste dans ces propos, dans ces confidences, dans ces lettres échangées, dans ces murmures de souffrance ou de colère, nous allons essayer de surprendre tout cela pour frapper tout cela ; nous allons écouter à la porte de toutes les consciences, et ainsi nous arrêterons la propagation même de la pensée meurtrière, nous neutraliserons les germes imperceptibles d’anarchie qui peuvent exister dans la conscience avant même qu’ils aient pu éclore et se manifester. Voilà bien la pensée de votre loi. »
L’auteur de ces mots, madame et messieurs les ministres, était le député Jean Jaurès. S’il était là aujourd’hui, il n’aurait pas changé une ligne du discours qu’il prononça voilà 121 ans pour s’opposer à une loi qui prétendait lutter contre les attentats et qui échoua comme échouera la vôtre.
Madame et messieurs les ministres, je n’accuserai pas ce texte d’être liberticide, comme certains ont pu le faire, mais nous devons cependant nous poser très simplement, entre nous, quelques questions.
Nous avons entendu critiquer un « Patriot Act à la française ». Pour ma part, le Patriot Act en soi, c’est-à-dire la décision prise par les États-Unis, dans un moment de lutte contre le terrorisme, de mobiliser toutes les règles au profit de cette lutte, ne me choque pas. Les mots importants sont : « à la française ».
Je ne vous jette assurément pas la pierre, car ce qui est certainement le plus difficile, dans un tel texte, est de trouver le bon équilibre entre le nécessaire renforcement de la sécurité et la préservation des libertés. Je défendrai néanmoins des amendements, car certaines questions se posent, sur lesquelles il nous faut trouver ce bon équilibre.
Tout à l’heure, le Premier ministre a expliqué très clairement que l’objectif était la lutte contre le terrorisme et que les procédures qui seraient engagées ne déborderaient pas sur d’autres types d’affaires. Il est nécessaire – je le dis devant Mme la garde des sceaux – que nous définissions ensemble la manière dont un tel texte peut se coordonner avec l’article 40 du code de procédure pénale. C’est en effet un vrai sujet de protection des libertés et de l’exercice…
Est-ce à moi que vous faites signe, madame la présidente ?
Je vais donc conclure très vite. Si je défends tout à l’heure certains amendements, c’est parce que je souhaite que nous définissions ensemble les points d’équilibre qui nous permettent de disposer, certes, d’un Patriot Act, mais bel et bien « à la française », c’est-à-dire garantissant les libertés et la protection des données personnelles de nos compatriotes.
Ce texte n’est pas le texte de M. Valls, ni de M. Cazeneuve, ni de Mme Taubira – c’est-à-dire que les déclarations de bons sentiments n’ont aucune importance. En réalité, il dépassera très largement la personnalité des ministres. Tout le monde sait, en effet, que les ministres passent, mais que la loi reste. Il s’agit donc d’une loi importante, qui gérera une grande partie de notre système de libertés individuelles dans les années qui viennent.
Pour ce qui concerne les progrès réalisés en matière de renseignement, j’y suis totalement favorable. En effet, je ne suis pas un spécialiste du renseignement : pourquoi ne ferais-je pas confiance à des techniciens ?
Mais la vraie question n’est pas là : lorsqu’on organise un progrès du renseignement, il faut également organiser un contrôle beaucoup plus scrupuleux : par qui est exercé ce contrôle et quelles sont les sanctions en cas de défaillance du contrôle ? Or, de ce point de vue, votre texte ne me satisfait pas totalement – d’abord, parce que je n’aime pas les institutions administratives autonomes. Dans ce domaine, une institution administrative autonome contrôlée par le Conseil d’État me paraît tout à fait incorrecte.
Je le répète : il y a dans la Constitution un article 66. Je sais bien qu’il y a le référé liberté et je connais la jurisprudence du Conseil constitutionnel de 1980. Cependant, il ne s’agit pas ici de libertés publiques, mais d’une atteinte à la liberté individuelle. Or, à ma connaissance, le protecteur de la liberté individuelle définie par la Constitution, c’est le judiciaire.
Vous avez eu tort de faire cette loi sans corrélation avec le judiciaire – vous avez fait la même erreur que les Américains. En effet, Patriot Act, dont tout le monde parle, n’est pas appliqué aux États-Unis, car il a été voté au niveau fédéral, alors que les tribunaux sont gérés par les États et que la plupart des États américains ne l’appliquent pas. Parce qu’on n’a pas consulté les tribunaux, la NSA et la CIA sont obligées, par une loi qui a été explicite dans ce domaine, d’aller au-delà de la protection individuelle.
Si donc vous n’améliorez pas le système de contrôle, je vous assure, moi qui suis très favorable à cette loi, que de nombreux députés du groupe UMP éviteront de la voter.
Madame et messieurs les ministres, le premier élément que j’exprimerai à propos de cet article 1er est que personne ne doute de la bonne foi ni des bonnes intentions du Gouvernement, que vous avez répétées. Il faut selon vous, et j’y souscris, légaliser les pratiques illégales et mettre en conformité avec le droit ce qui, jusque-là, lui échappait.
Mais il ne faut pas non plus balayer la bonne foi de celles et ceux qui, sincèrement, peuvent être amenés à émettre des doutes, des interrogations et des craintes sur les conséquences de ce texte pour les libertés publiques. Cela mérite un débat, qui ne peut pas être simplement balayé de la main sous le seul prétexte de l’irresponsabilité et de l’inculture de ceux mêmes qui forment ces critiques, ou de leur méconnaissance de la loi et de ses dispositions.
Cela mérite donc qu’on en discute – d’abord, en tant que républicains, car la République, ce n’est pas simplement l’ordre. C’est aussi la liberté et le droit, et c’est aussi ce qui nous unit tous depuis deux siècles : le refus de tous les abus de pouvoir. Les services, qui font par ailleurs un travail remarquable, ont entre les mains, a fortiori dans les dispositions nouvelles renforcées par la loi, des pouvoirs très importants et il convient donc que nous débattions de ces questions.
Monsieur le ministre de la défense, je suis issu, vous le savez, d’une circonscription où les enjeux de sécurité ne sont pas négligeables. Je suis très investi sur ces questions et je ne les prends assurément pas à la légère ou avec désinvolture. Avec M. Pierre Lellouche, au sein du groupe de travail permanent sur la lutte contre le terrorisme, nous discutons et échangeons nos points de vue, nos informations et nos renseignements. Ce n’est donc pas du tout par facilité ou pour me contenter d’une ode aux libertés que je formule quelques interrogations qui ne portent du reste pas sur l’architecture générale de la loi, mais sur certaines de ses dispositions, sur lesquelles nous reviendrons.
Dans cet article 1er, qui recouvre plusieurs aspects, il faut d’abord constater l’extension – que vous présentiez tout à l’heure, monsieur le ministre de l’intérieur, comme une garantie – du champ des dérogations au respect de la vie privée, c’est-à-dire les sept cas justifiant l’octroi de moyens supplémentaires aux services. Or, l’extension de ce champ peut donner lieu à bien des interprétations de la part des services eux-mêmes.
Le champ élargi de la collecte des données peut lui aussi susciter des difficultés. Enfin, l’articulation n’est pas encore suffisante entre le juge administratif et le juge judiciaire, pour des raisons qui ont été évoquées tout à l’heure. Je demande donc qu’on en débattre, qu’on y réfléchisse et qu’on puisse trouver des compromis nécessaires.
Avec ce texte, et singulièrement avec cet article 1er, nous sommes au coeur de ce dont Mireille Delmas-Marty a traité dans un ouvrage intitulé Liberté et sûreté dans un monde dangereux. Nous touchons ici à la noblesse de l’exercice du parlementaire, qui doit équilibrer les deux plateaux de la balance et vérifier que certains droits sont garantis.
L’article 1er réaffirme certains principes, en particulier les principes fondamentaux du respect de la vie privée, de l’inviolabilité du domicile et du secret des correspondances, et énumère les cas de nécessité publique justifiant des dérogations au respect absolu de ces principes. Surtout, il réaffirme le principe de proportionnalité des moyens utilisés.
Une fois ces principes réaffirmés et dès lors que nous sommes tous d’accord sur la nécessité de donner des moyens adéquats à tous les services de renseignement, et non pas seulement à ceux qui luttent contre le terrorisme, il faut poser des limites à la logique d’anticipation et prévoir des contrôles. À cet égard, je partage – jusqu’à ce point, mais pas au-delà – le point de vue exprimé par M. Claude Goasguen.
« Ah ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP.
Une fois n’est pas coutume !
Certains signaux sont plus ou moins bons, certains autres carrément mauvais. Il faut poser des limites, garantir des droits et aussi, comme le disait M. Joaquim Pueyo, le droit à l’oubli. Un amendement tardif émanant de l’exécutif et que la commission n’a pas pu examiner crée un fichier dont les données seront conservées pendant quarante ans : ce n’est pas un très bon signal pour ouvrir nos débats. Or, c’est précisément sur nos débats que je compte pour garantir tout cela.
Je citerai pour conclure les dernières lignes du livre de Mireille Delmas-Marty, comme un hommage à la garde des sceaux : « Face à l’alliance Ben Laden - Big Brother, la meilleure réponse est peut-être dans cette énorme insurrection de l’imaginaire que le poète Édouard Glissant nomme la « pensée du tremblement », une pensée qui n’est ni crainte, ni faiblesse, mais l’assurance qu’il est possible d’approcher ces chaos, de durer et grandir dans l’imprévisible ».
Je ne reviendrai pas sur mon intervention liminaire et nous aborderons plus tard la question des pouvoirs et contre-pouvoirs. J’évoquerai, propos de cet article 1er, deux sujets. Le premier est celui du champ d’intervention des interceptions, c’est-à-dire la définition de toutes les finalités couvertes par l’article 1er.
Je continue à dire que ce champ est beaucoup trop large – il couvre grosso modo tout le spectre de la vie de la collectivité. Ainsi, désormais, il ne s’agit plus seulement des intérêts économiques et industriels essentiels de la France mais, par un amendement du rapporteur, de ses « intérêts majeurs », ce qui est un sens beaucoup plus large. De même, les interceptions sont désormais possibles pour la prévention de la criminalité et de la délinquance organisées sans qu’à aucun moment soit fixé un seuil minimum de peine encourue. En gros, on peut donc décider de procéder à des interceptions sur le petit trafic de stupéfiants, dès lors qu’il est organisé : globalement, on peut couvrir avec ce champ de finalités l’ensemble de la vie de la collectivité nationale.
On m’explique que c’était déjà le cas sous le régime de la loi de 1991. Cependant, cette loi s’appliquait à des fiches téléphoniques, alors qu’il s’agit désormais de possibilités technologiques s’apparentant parfois à la pêche au chalut. Pour l’instant, les filets sont très larges, mais je rappelle que, selon une loi mathématique qui n’a jamais été démentie, la loi de Moore, la puissance mathématique double tous les 18 mois : lorsque vous aurez mis en place des algorithmes, notamment…
Monsieur le député, votre temps de parole est de deux minutes, comme pour tous les orateurs.
Deux minutes, alors que nous sommes en train de parler de libertés fondamentales, de libertés individuelles. Ça commence à bien faire !
Il ne fallait pas parler pour ne rien dire dans la discussion générale !
Monsieur Morin, je ne vais pas me battre à chaque fois pour que chaque député le comprenne : le règlement prévoit un temps de parole de deux minutes par député sur chaque article et sur chaque amendement. Je n’y peux rien. Vous êtes plus de vingt-cinq orateurs inscrits sur cet article : si je laisse une ou deux minutes de plus à chacun, vous voyez bien quelles difficultés nous aurons !
Le règlement s’applique à vous comme à tous les députés, monsieur Morin.
Je vous remercie donc par avance de conclure.
Je conclus donc. Avec ces nouveaux moyens d’intervention, le spectre du contrôle de la société peut être beaucoup plus large.
Par ailleurs, et je conclurai là, l’article 1er indique qu’un décret en conseil d’État peut accorder à d’autres services que les services de renseignement le recours aux mêmes techniques. Je veux savoir précisément quel est le contenu des décrets prévus par le Gouvernement à propos de ces autres services susceptibles d’intervenir avec ces moyens.
Selon le Premier ministre, le Gouvernement entend garantir que la surveillance sera ciblée strictement sur les comportements menaçants. Cette garantie pourrait me suffire si je la retrouvais dans la loi ; malheureusement, ce n’est pas le cas !
L’article 1er dont nous parlons maintenant énumère en effet sept domaines dans lesquels la surveillance sera exercée. Compte tenu de la communication qui a été faite sur ce projet loi, l’opinion croit qu’elle n’est destinée qu’à lutter contre le terrorisme :…
…or, des sept items énumérés par l’article 1er, la lutte contre le terrorisme n’est que le quatrième.
Vous avez enfin compris que c’était une loi sur le renseignement ! Bravo !
Il y en a six autres, que j’énumère : la sécurité nationale ; les intérêts essentiels de la politique étrangère et l’exécution des engagements européens et internationaux de la France ; les intérêts économiques et scientifiques essentiels de la France ; la prévention de la reconstitution ou du maintien du groupement dissous en application de l’article L. 212-1 – le projet de loi est tellement bien écrit qu’on n’a même pas indiqué à quel code on se référait ! Faites confiance au Conseil d’État pour relire les textes ! – ;…
Je parle du projet de loi présenté par le Gouvernement, monsieur Le Bouillonnec : il n’a pas été relu avant sa diffusion !
Depuis 2008, c’est sur ce texte que nous travaillons dans l’hémicycle !
Je poursuis la liste : la prévention de la criminalité et de la délinquance organisée, et la prévention des violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique. On voit comme le champ est immense ! Immense !
Appliquer la loi aux comportements strictement menaçants n’est pas rassurant, et ça l’est encore moins lorsqu’on écarte le juge judiciaire, en contradiction avec l’article 66 de la Constitution et l’article 136 du code de procédure pénale. Ce dernier, je vous le rappelle, prévoit que dans les cas d’atteinte à la liberté individuelle, le juge judiciaire est exclusivement compétent – exclusivement !
Vous n’en avez pas fini avec ce texte ! Le Gouvernement est certainement de bonne foi, mais l’enfer est pavé de bonnes intentions !
L’insécurité juridique comme la nécessaire réorganisation des services de renseignement au regard du défi mondial qui se pose à nous obligent à l’adoption d’un cadre juridique moderne, à l’instar de ce qu’offrent d’autres démocraties.
Je salue une loi de clarification et de modernisation. Annoncé dès juillet 2014, ce projet de loi trouve un écho particulier dans l’après-tragédie du 11 janvier 2015. Le système intrusif et puissant proposé aux services de renseignement par l’article 1er, la crainte d’une surveillance de masse éprouvée par nos concitoyens exigent que des garanties suffisantes soient apportées : nous y avons déjà travaillé en commission des lois par l’adoption de nombreux amendements, proposés par le président rapporteur en particulier, mais nous devrons poursuivre notre travail.
Je ferai trois remarques : la première est que la nouvelle commission doit disposer d’un pouvoir de contrôle incontestable sur les actions menées par les services de renseignement et ainsi que de moyens adaptés à ce nécessaire contrôle. Elle doit pouvoir vérifier la destruction à terme des données recueillies.
Deuxième remarque : le citoyen doit pouvoir, selon une procédure administrative définie, faire valoir ses droits et la garantie des libertés fondamentales. Tant que la procédure administrative n’est pas définie, elle n’est pas utilisable et les libertés en payent le prix.
Troisième remarque : en raison des pouvoirs des services spécialisés de renseignement, il importe aussi de donner aux agents, qui sont au coeur du système, la possibilité de signaler tout abus qui pourrait être commis par ces services. C’est un régime historique de lanceur d’alerte qui sera ainsi proposé par un amendement de notre président rapporteur, de façon à renforcer la protection que nos concitoyens attendent légitimement.
Il nous faut en toute hypothèse un arsenal juridique sérieux et lisible de contrôle, et je défendrai les amendements allant dans ce sens.
Activité secrète par essence et par nécessité, le renseignement s’inscrivait dans un environnement paralégal ou extralégal flou. En effet, les services qui lui sont dédiés travaillent au profit de la République mais, bien souvent, dans les limbes du droit et des exigences démocratiques.
Or plus les années passaient, plus le retard accusé par la France dans ce domaine paraissait indéfendable. Notre pays était également le dernier des pays démocratiques à ne pas avoir établi un cadre normatif adapté. Le Livre blanc de 2008 sur la défense et la sécurité nationale indique d’ailleurs que les activités de renseignement ne disposent pas aujourd’hui d’un cadre juridique clair et suffisant : cette lacune doit être comblée.
C’est pourquoi a été créée une mission d’information portant sur le cadre juridique des services de renseignement, dont j’ai eu l’honneur d’être le co-rapporteur avec Jean-Jacques Urvoas. Nous avions souhaité réaliser un état des lieux de nos services qui avait abouti, en mai 2013, à la formulation de préconisations visant à améliorer l’action de notre appareil de renseignement dans un cadre plus conforme aux standards d’une démocratie.
Trois idées fortes ressortaient particulièrement du rapport : attribuer davantage de moyens aux services de renseignement français – qu’il s’agisse du budget, des effectifs ou des nouvelles techniques pouvant être utilisées – ; faire contrôler intelligemment par le Parlement les activités de renseignement ; poursuivre, quitte à les corriger, les réorganisations lancées depuis le début des années 1990.
Je rappelle que ce rapport a été voté à l’unanimité des membres de la commission des lois. Si je suis satisfait que ce texte vienne en discussion, j’ai bien conscience qu’il suscite le débat. J’ai entendu les interrogations, les attentes et les craintes, qui sont tout à fait normales.
Chers collègues, madame et messieurs les ministres, il nous appartient donc de répondre aux inquiétudes de nos concitoyens, et j’espère que les nombreux amendements parlementaires, notamment en provenance de l’UMP, permettront de compléter la protection des citoyens et de leurs libertés individuelles. Il subsiste en effet des interrogations : il est donc primordial que ce texte évolue.
Ainsi que nous l’avions indiqué avec Jean-Jacques Urvoas dans notre rapport, la contrepartie de l’octroi de nouvelles techniques de renseignement à nos services doit être l’acceptation par eux d’un contrôle particulièrement renforcé de leur activité et des sanctions très sévères en cas de dérive.
Par conséquent, le rôle de la CNCTR est primordial afin qu’elle s’assure que les moyens engagés sont proportionnés à la menace que nos services sont censés combattre. Il est également important de préciser, dès cette semaine, quels moyens humains, techniques et financiers seront mis à la disposition de la Commission nationale afin qu’elle exerce un contrôle effectif.
J’ajoute, même si cela ne relève pas de ce projet de loi, qu’il faut également renforcer les moyens de la délégation parlementaire au renseignement en affectant à celle-ci un administrateur, voire deux, en permanence. Merci de bien vouloir faire suivre cette demande à M. le président de l’Assemblée nationale, madame la présidente.
D’un mot, je souhaite rappeler à notre collègue Patrick Devedjian – mais je ne doute pas qu’il le sache – que, depuis la révision constitutionnelle de 2008 et la modification du règlement de l’Assemblée qui en a découlé, nous examinons dans l’hémicycle le texte qui a été voté en commission.
Je dis cela pour deux raisons : d’une part, parce que vous avez regretté le peu de temps dont vous disposiez pour vous exprimer – autant donc s’intéresser à l’état actuel de nos travaux !
D’autre part, comme je sais que de nombreux citoyens nous regardent, il ne faut pas les induire en erreur en ne prenant pas en compte les progrès déjà accomplis grâce au travail mené en commission, lequel est tout à fait conforme à notre rôle de parlementaires.
Je voudrais tout d’abord commencer par féliciter les membres de la commission pour les évolutions qu’ils ont apportées à cet article, et que je compte prolonger avec mon amendement.
Dans la rédaction initiale, en effet, il était dit que le projet de loi s’appliquait aussi à l’exécution des engagements européens et internationaux de la France. Je me voyais déjà donner mon numéro de téléphone au service spécialisé du ministère de l’intérieur, parce que j’ai fait campagne pour le « non » au traité constitutionnel et parce que j’étais opposé au traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, dit TSCG !
« Oh ! » sur quelques sur les bancs du groupe SRC.
Le ministre de l’intérieur aurait d’ailleurs tout autant pu donner le sien : à l’époque, nous faisions campagne ensemble pour le « non ».
J’en viens à l’objet de mon amendement, qui vise tout simplement à apporter une précision terminologique pour mettre le texte en cohérence avec ce qui existe dans notre code pénal. Il propose d’insérer à l’alinéa 1, après le mot « renseignement », les mots « en matière de terrorisme et de la protection des intérêts fondamentaux de la nation », ce qui correspond à l’objet de ce projet de loi.
En effet, l’article 410-1 du code pénal définit déjà ce que sont le terrorisme et les atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation. L’adoption de l’amendement permettrait de mieux inscrire ce projet de loi dans la généalogie et dans la chaîne des lois pénales existantes, lesquelles n’ont, à ce jour – en tout cas pour ce qui concerne les articles 410-1 et suivants du code pénal –, fait l’objet d’aucune critique.
La parole est à Mme Aurélie Filippetti, pour soutenir l’amendement no 305 .
Il s’agit du même amendement visant à préciser le titre du titre du livre VIII du code de la sécurité intérieure, et donc l’objet de cette loi. On le sait, dans une démocratie, c’est la procédure qui est en dernier recours la meilleure garante des droits de l’homme. Notre but ne doit pas être de protéger, d’encourager ou de développer le renseignement pour le renseignement : il doit être d’encadrer, de limiter strictement les procédures offertes aux services pour exercer des activités de renseignement et de leur assigner des objectifs précis.
Ces objectifs doivent être inscrits dans la loi de la manière la plus stricte possible. C’est pourquoi nous proposons, dès le premier article, de préciser qu’il s’agit de renseignement en matière de lutte contre le terrorisme et de protection des intérêts fondamentaux de la nation. Le but du projet de loi est bien, en effet, de protéger la nation et non de protéger les services de renseignement.
Les renseignements existent et sont évidemment nécessaires pour assurer la sécurité de nos concitoyens, mais ils ne constituent pas un objectif en soi. L’objectif est bien la démocratie ; c’est pourquoi, en aucune manière, il ne faut sacrifier les libertés fondamentales dans ce texte au profit d’une conception trop extensive de la sécurité.
La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, citée par la mission d’information des députés Urvoas et Verchère en 2013, précise justement que les atteintes à la vie privée et aux libertés fondamentales doivent être strictement encadrées, limitées, aussi bien dans le temps que dans la définition des personnes auxquelles elles peuvent s’appliquer ou de celles pouvant y recourir.
La parole est à M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, rapporteur, pour donner l’avis de la commission sur ces deux amendements.
L’avis de la commission est défavorable, tant sur la forme que sur le fond. Sur la forme, j’ai bien compris que l’intention de nos collègues était de restreindre le champ du renseignement. S’ils le souhaitent, ce que l’on peut parfaitement concevoir, ce n’est pas à l’alinéa 1 qu’il faudrait apporter des modifications, mais aux alinéas 9 à 16. Je sais que telle est votre intention mais cela me permet de justifier pourquoi l’avis est défavorable : si on change le titre et pas les alinéas, on n’aboutit à rien. On pourrait donc dire que ces amendements sont inopportuns.
Sur le fond, je ne crois pas qu’en faisant figurer dans le titre du livre VIII la notion des intérêts fondamentaux de la nation, on restreigne quoi que ce soit, car cette notion figure dans le code pénal depuis 1992, sauf erreur de ma part – je parle sous le contrôle du ministre de la défense. Sa définition est très complète, voire exhaustive, puisqu’elle va de la protection du secret de la défense nationale jusqu’à l’intégrité du territoire, la forme républicaine de l’État, l’espionnage, la trahison – j’en passe et des meilleures. Ainsi, dans l’intérêt de ceux qui ont signé ces amendements, je conseille de les repousser.
La parole est à M. le ministre de l’intérieur, pour donner l’avis du Gouvernement.
Je ne veux pas de polémique inutile avec notre excellent collègue Urvoas, président de la commission des lois. Il est vrai que l’exposé sommaire de l’amendement parle de « restreindre le champ du renseignement», mais dans mon esprit, il s’agit plutôt de le préciser. Ainsi que je l’ai dit dans mon propos introductif, je souhaite que nous nous inscrivions dans le droit en vigueur ; or l’article 410-1 du code pénal, qui ne fait pas l’objet de contestation, définit ce qu’est la protection des intérêts fondamentaux de la nation.
Absolument ! Un titre entier lui est même consacré dans le livre IV du code pénal !
Dès lors qu’on ne circonscrit pas l’objet de la loi à la seule lutte contre le terrorisme, il faut bien se rattacher à des textes existants de notre droit positif pour ne pas donner le sentiment de légiférer ex nihilo, de faire une loi exceptionnelle.
Voilà simplement quel était notre objectif. Certes, c’est l’ancien avocat pénaliste qui parle plutôt que le parlementaire, mais quand on a été praticien du droit, il faut parfois s’en souvenir une fois élu.
Je ne suis généralement pas partisan du bavardage, mais l’évidence mérite parfois d’être rappelée, notamment que les services de renseignement agissent dans le cadre de la loi. Encore heureux !
À l’alinéa 4, vous indiquez que le respect de la vie privée, dans toutes ses composantes, notamment le secret des correspondances et l’inviolabilité du domicile, est garanti par la loi. Je propose que la protection des données personnelles soit inscrite au titre de ces composantes. Ce rappel est nécessaire car ce projet de loi suscite de fortes craintes concernant la protection des données personnelles.
C’est la Commission nationale de l’informatique et des libertés qui recommande cette insertion. Franchement, ça ne coûte rien et adopter cet amendement permettrait de bien commencer nos débats.
Je me félicite que cet amendement ait fait des petits, puisque je note que plusieurs de mes collègues ont déposé des amendements identiques avec le souci d’intégrer les données personnelles dans la protection de la vie privée. Cela donne raison à ceux qui n’étaient pas très favorables au renvoi en commission, car en commission, les amendements du groupe UMP visaient plus à durcir le texte qu’à garantir des libertés fondamentales, comme ils semblent maintenant le faire en séance. Je ne regrette donc pas mon vote.
M. Tardy l’a dit très simplement : cet amendement vise à inscrire dans la loi la protection des données personnelles, qui font partie intégrante de la vie privée, au même titre que le secret des correspondances et l’inviolabilité du domicile.
Les données personnelles recouvrent une quantité non négligeables d’informations plus ou moins nominatives, comme le nom, le prénom, l’âge, le sexe, le lieu de résidence, les loisirs préférés, les pseudonymes, les numéros de clients, etc. Ces données très importantes permettent de dresser des profils sociologiques et comportementaux extrêmement précis des individus. Dès lors que l’on est attaché à la protection de la vie privée, on ne peut donc balayer d’un revers de main – comme cela a été fait en commission – les exigences liées à la protection des données personnelles, ni négliger les recommandations faites en ce domaine par la CNIL ou les travaux de la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures du Parlement européen.
La parole est à M. Philippe Vigier, pour soutenir l’amendement no 124 .
Dans la droite ligne de ce que viennent de dire Lionel Tardy et notre collègue Coronado, il s’agit d’ajouter la protection des données personnelles aux éléments dont le respect est garanti par la loi. J’ajouterai que c’est une exigence constitutionnelle depuis 1999, le Conseil constitutionnel estimant que le droit au respect de la vie privée entre dans le champ de la liberté personnelle proclamée à l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Et Sergio Coronado vient d’y faire référence à l’instant, rappelons une date très récente, celle d’octobre 2013, quand la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures du Parlement européen a adopté, très largement d’ailleurs, le règlement de l’Union européenne sur la protection des données personnelles. C’est la raison pour laquelle nous souhaitons que cette dernière puisse être insérée dans le texte.
La parole est à Mme Elisabeth Pochon, pour soutenir l’amendement no 244 .
Il semble que nous soyons tous d’accord pour juger importante l’insertion dans le texte de la protection des données personnelles, celles-ci permettant l’identification physique et électronique. Leur protection doit figurer dans la loi au même titre que le secret des correspondances et l’inviolabilité du domicile.
Nous abordons avec ce projet de loi la codification des techniques de renseignement, entre autres dans le domaine de l’informatique et d’internet. Ce texte suscite des interrogations et de nombreuses craintes ont été exprimées à l’extérieur de cet hémicycle. Certaines seront relayées ici, d’autres seront apaisées, je le sais. Mais s’il y a une instance, une autorité administrative indépendante, qui a de l’expérience et qui a conseillé les pouvoirs publics et les parlementaires pour améliorer la législation tout en protégeant les libertés fondamentales depuis l’apparition de l’informatique et des fichiers, c’est bien la CNIL.
Je pense qu’il serait d’utilité commune que cet amendement soit repris et adopté par l’Assemblée nationale, avec l’avis favorable du Gouvernement, car il ne fait que reprendre un avis de la CNIL en date du 5 mars. Nous pourrions adresser un signe d’apaisement à celles et ceux qui regardent avec crainte ce projet de loi et leur dire que, partant d’une bonne base en commission, nous avançons vers le bon équilibre entre liberté et sécurité. C’est vraiment le coeur confiant que j’attends l’avis favorable du Gouvernement.
Je me félicite que beaucoup de ces amendements viennent d’une recommandation de la CNIL. C’est une forme d’hommage à l’autorité administrative indépendante, dans sa capacité de proposition, dans la manifestation de sa liberté et de son indépendance.
Sourires.
Cela vaut pour toutes les autorités administratives indépendantes dont nous allons parler. D’ailleurs, pour avoir consulté les débats de 1978, je sais que cette année-là, quand le législateur a créé la CNIL, il y avait à peu près autant de préventions que contre le CNCTR. Cela nous laisse donc espérer que, demain, chacun convienne que c’est un bon modèle.
Sur le fond, j’espère ne pas avoir donné le sentiment de balayer d’un revers de main, comme l’a dit Sergio Coronado, les amendements déposés. Je crois au contraire avoir essayé d’expliquer les raisons pour lesquelles je donnais un avis défavorable. Et je ne fais pas mienne la jurisprudence qu’invoquait Lionel Tardy : « Si cela ne coûte pas cher, si ça peut faire plaisir… »
Je ne fais pas la loi pour faire plaisir ni en fonction de ce que ça coûte.
Je fais la loi en essayant de construire un chemin, toujours compliqué, entre la précision de la loi qui est indispensable à la préservation des libertés et la loi bavarde.
Il faut pour cela employer des notions à égalité de traitement. Quand je regarde la proposition qui nous est soumise, je cherche si elle a un fondement constitutionnel. Car le secret des correspondances, qui figure dans l’alinéa, a une définition constitutionnelle, tout comme l’inviolabilité du domicile. Je crois qu’il faut mettre à égalité de traitement des notions qui ont la même valeur juridique. C’est une simple question de cohérence.
C’est la raison pour laquelle j’avais donné un avis défavorable en commission. Maintenant, le droit interne n’est pas le seul : nous sommes en partie régis par le droit européen et la Cour européenne des droits de l’homme, dans deux décisions dont Amann contre Suisse, ont intégré cette notion que vous proposez d’insérer dans la loi : la protection des données personnelles. Je donne donc un avis favorable de la commission.
Il y a d’abord dans ce texte, je le redis suite au débat sur l’article 1er, un article L. 811-1 qui est très clair sur le respect de la vie privée et des correspondances. Je le cite : « Le respect de la vie privée dans toutes ses composantes, notamment le secret des correspondances et l’inviolabilité du domicile, est garanti par la loi. »
Ce sont des principes constitutionnels, comme vient de le rappeler le rapporteur, qui sont confortés par le texte de loi. L’autorité publique ne peut lui porter atteinte que dans les seuls cas d’intérêt public prévus par la loi.
La protection des données personnelles est l’un des éléments du respect de la vie privée. Par conséquent, on pourrait considérer, si on faisait seulement du droit sans se préoccuper d’envoyer des signaux, que l’amendement est déjà satisfait par cet article. Mais je comprends qu’il s’agit d’amendements de réassurance et c’est pourquoi le Gouvernement leur donne un avis favorable.
Je note que nous avons bien fait de défendre ces amendements et je voudrais rappeler à notre collègue Coronado qu’avec mon collègue Tardy, nous avions déposé l’amendement no 1 .
Nous étions depuis quelque temps convaincus de la nécessité d’aller dans ce sens. Nous y arrivons et tant mieux !
Monsieur le rapporteur, votre raisonnement consiste à dire que, par parallélisme des formes, il ne faut insérer que des notions de nature constitutionnelle. Néanmoins, on voit bien que les données personnelles et leur protection sont étroitement liées à une évolution en cours : c’est sans doute parce que le numérique est devenu très prégnant dans notre société que nous sommes conduits à aborder plus explicitement cette question. C’est pourquoi nous sommes très heureux d’enregistrer cet avis favorable.
Pour continuer cet excellent travail collaboratif entre l’Assemblée, le rapporteur et le Gouvernement, je propose encore un amendement de réassurance, qui a lui aussi un fondement juridique solide : il s’agit d’insérer, à la première phrase de l’alinéa 4, après le mot « domicile », les mots « , le droit à l’information ». Tout le monde comprendra pourquoi. Cet amendement est très clair et là encore, c’est le coeur confiant que j’attends un avis favorable du rapporteur et du Gouvernement.
J’ai un avis défavorable : je ne peux pas avoir toujours un avis favorable !
Le « droit à l’information », en effet, n’est pas un objet défini.
Par ailleurs, le droit à l’information est déjà protégé. L’ajouter ici n’obéirait pas à un souci de précision de la loi. Ce serait un peu redondant.
En outre, si je prends au pied de la lettre votre exposé des motifs, « cet amendement vise à garantir les libertés publiques des citoyens ». Vous allez être d’accord avec moi, mon cher collègue : c’est exactement le but de la totalité du projet de loi.
L’amendement no 301 , repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.
J’espère qu’il connaîtra une meilleure fortune. Le rapporteur l’a étudié très attentivement, ainsi que le ministre, et il porte sur un principe juridique solidement établi.
Après la seconde occurrence du mot « respect », à l’alinéa 4, je propose d’ajouter « des principes de proportionnalité et de subsidiarité ». Vous en conviendrez, monsieur le rapporteur, ce sont des notions juridiques très bien définies.
Si, pour une raison de fond. Autant le respect du principe de proportionnalité ne fait pas l’objet d’un débat, puisqu’il figure dans l’article 1er du texte que nous examinons, autant je suis hostile à la notion de subsidiarité.
Avec votre amendement, c’est l’autorité administrative qui serait juge de la proportionnalité et aussi de la subsidiarité. Or ce n’est pas du tout la vocation de l’autorité administrative que nous créons d’être le juge de la subsidiarité des moyens qui seront utilisés par les services, parce qu’un avis sur la subsidiarité implique un avis sur l’opportunité.
Or, l’autorité administrative n’est là que pour vérifier si la loi est respectée ou non. La subsidiarité ne fait pas partie du contrôle ; la proportionnalité, c’est le coeur du contrôle.
Je n’entendais pas intervenir mais je bondis, monsieur le rapporteur, quand je vous entends dire que le jugement sur l’opportunité n’est pas du ressort de la commission. Parlez-vous de l’opportunité des moyens ou de l’opportunité elle-même ?
J’aimerais, monsieur le ministre de l’intérieur, que vous nous éclairiez sur ce point. Pour ma part, j’avais cru comprendre que l’autorité politique, en l’occurrence le Premier ministre, était saisie d’une requête par les services de renseignement pour enquêter sur tel ou tel et que l’autorisation était donnée après avis de la commission, laquelle se prononce sur l’opportunité et sur les moyens.
Si vous nous dites, monsieur le rapporteur, qu’elle n’a pas compétence sur l’opportunité, vous ouvrez alors un champ encore plus vaste à d’éventuels excès de pouvoir.
J’avais déjà des réserves sur les compétences de la commission, mais je trouve que votre réponse est très surprenante parce qu’elle contredit tout ce que vous avez dit sur son importance.
Je vous serais reconnaissant à l’un et à l’autre, monsieur le rapporteur, monsieur le ministre, de bien vouloir expliciter ce que vous avez à l’esprit quant à l’avis de la commission sur la demande faite au Gouvernement.
L’intervention de Pierre Lellouche est intéressante car elle permet de préciser la fonction de l’autorité administrative indépendante et de répondre par anticipation à des amendements qui peuvent là encore paraître intéressants alors que nous serons défavorables à leur adoption.
C’est la notion d’avis conforme de la commission qui est en question.
Un certain nombre de nos collègues considèrent que la quintessence de l’indépendance consiste à lui conférer le pouvoir de décision et demandent donc qu’elle rende un avis conforme à la place d’un avis consultatif.
Si nous y sommes opposés, c’est pour les mêmes raisons que je suis défavorable à l’adoption de cet amendement. Pourquoi ?
C’est au pouvoir politique d’assumer la responsabilité des services de renseignement, lesquels ne sont ni plus ni moins que des administrations. En cas de dysfonctionnements ou de dévoiements, c’est à l’autorité politique d’en assumer les responsabilités. Se défausser sur une autorité administrative reviendrait à déresponsabiliser le pouvoir.
En cas de problème, tout le monde viserait l’autorité administrative en se défaussant : « Ce n’est pas moi, ministre, ce n’est pas nous, services, qui avons fauté, c’est l’autorité administrative qui n’a pas bien travaillé ».
C’est parce que l’autorité administrative est indépendante que son avis est destiné à éclairer le travail gouvernemental. Qu’elle donne un avis favorable ou défavorable, le Gouvernement le suivra ou non et, vous l’avez vu dans le texte, devra motiver la raison du « passer outre » afin d’expliquer pourquoi il ne suit pas son avis.
Les futurs contentieux feront ainsi état de la base sur laquelle le Gouvernement s’est prononcé.
L’autorité administrative est là pour veiller au respect de la loi. Par exemple, un service demande à employer une technique. Il procède à un cheminement administratif au cours duquel il doit motiver les raisons de sa demande au regard des missions qui lui sont conférées par la loi.
Octroyer à la commission le principe de subsidiarité, cela reviendrait à ce qu’elle substitue par exemple à un balisage – jugé non-pertinent – une captation d’image.
Je ne crois pas que telle soit la vocation de l’autorité administrative et je suis opposé au principe de subsidiarité.
J’ai d’autant moins envie de pinailler que la France a besoin d’une loi sur le renseignement. Ce n’est pas ce qui est en question.
Le problème est celui du contrôle.
J’ai regardé ce qu’il en est du modèle britannique, qui est beaucoup plus clair et beaucoup plus simple – y compris politiquement – que celui que vous proposez.
Le service de renseignement se tourne vers l’autorité politique, en l’occurrence, un ministre de tutelle – l’un de vous, madame, messieurs. Il demande à enquêter sur un tel. Le ministre donne une autorisation, un warrant. Il n’y a pas d’avis consultatif, l’autorisation étant contrôlée ensuite. Enfin, une autorité politique composée de députés opère un contrôle ex-post.
Votre texte, quant à lui, évacue les juges judiciaires et les députés…
…au profit d’une commission ad hoc, dont on s’aperçoit in fine qu’elle ne contrôle pas grand-chose car ou bien son avis lie le Gouvernement – lequel peut considérer qu’il a donné son autorisation aux services après qu’il a été formulé – ou bien cela ne sert à rien.
Monsieur Urvoas, je suis entièrement d’accord pour que l’autorité politique prenne toutes ses responsabilités à condition qu’il y ait un contrôle à la fois administratif, politique et judiciaire – vous avez choisi le Conseil d’État, c’est votre affaire, cela peut se justifier mais on peut en discuter ; nous pensons quant à nous que l’article 66 de la Constitution s’impose, mais nous n’y sommes pas encore.
En l’occurrence, et c’est l’un des problèmes que me pose l’architecture de votre texte, je suis frappé que le pouvoir politique se réfugie derrière une commission qui formule un avis conforme dont vous dites aujourd’hui qu’il ne l’est plus puisqu’elle juge de la proportionnalité et non des moyens.
Dès lors, que contrôle-t-elle ? Si elle ne contrôle rien, un problème se pose ! Nous sommes d’ores et déjà plongés dans la question des libertés publiques, monsieur le rapporteur, madame et messieurs les ministres !
C’est pour cela que nous avons un problème – entendons-nous bien, non sur l’objectif de la loi : nous voulons tous battre les terroristes…
…mais nous voulons le faire dans les conditions qui respectent les principes fondamentaux de notre droit.
Je remercie M. Lellouche et M. Cherki de soulever ce débat de fond qui appelle des réponses extrêmement précises.
Tout d’abord, la loi définit les conditions dans lesquelles les services de renseignement proposent à l’autorité politique la mobilisation à des fins précises – nous discutons de l’article 1er – d’un certain nombre de techniques.
La commission vérifie quant à elle la conformité de leur mobilisation au droit prévu par la loi et contrôle notamment la proportionnalité.
L’avis de la commission n’est pas conforme puisque, le rapporteur l’a indiqué tout à l’heure, le Gouvernement peut prendre ses responsabilités en suivant ou non son avis. Cela relève de la responsabilité gouvernementale que de le faire, l’indépendance de la commission n’étant en aucun cas altérée du fait qu’elle ne rende pas un avis conforme – je rejoins absolument ce que le rapporteur vient de dire à l’instant.
Je ne reprends pas sa démonstration mais je profite de cette prise de parole pour apporter deux ou trois précisions sur des sujets qui ont été évoqués au début de notre débat, pendant la discussion générale et dans les interventions concernant l’article 1er.
Vous dites que le juge judiciaire est évacué. Je n’insiste pas sur ce point, qui est fondamental et qui doit être traité rigoureusement. Nous prenons des mesures de police administrative…
…et non attentatoires aux libertés publiques.
M’autorisez-vous à aller au bout du raisonnement ? Nous ne prenons pas de mesures attentatoires aux libertés publiques, nous ne prenons pas de mesures dans le cadre de la judiciarisation de la situation d’individus après la commission d’un acte qui l’appelle, nous prenons des mesures de police administrative destinées à prévenir la commission d’un acte.
Elles relèvent donc nécessairement du contrôle juridictionnel du juge administratif. Vous le contestez sur la base d’un argument que je prends en compte dans mon raisonnement qui est l’article 66 de la Constitution, invitant le juge judiciaire à intervenir dans des mesures de police administrative.
Il est vrai que les décisions du Conseil constitutionnel prévoient que le juge judiciaire peut intervenir lorsque des mesures de police administrative sont attentatoires aux libertés…
Bien sûr !
La jurisprudence du Conseil constitutionnel, y compris la plus récente – en 2013, la décision Wesgate – en témoigne : le juge constitutionnel, qui est très clair à ce propos, ne considère pas que les atteintes à la vie privée relèvent de la liberté individuelle. Ces sujets sont extrêmement précis.
Si nous devions prendre des mesures de rétention administrative ou de privation de liberté, l’intervention du juge judiciaire serait en effet légitime – c’est d’ailleurs pourquoi il intervient au terme de mesures de police administrative concernant par exemple le droit des étrangers lorsqu’ils sont en rétention.
En l’occurrence, il ne s’agit pas du tout d’atteinte à la liberté individuelle ou aux libertés publiques mais, éventuellement, d’atteintes à la vie privée qui, dès lors qu’elles relèvent de mesures de police administrative,…
…renvoient à la compétence du juge administratif.
Tel est très précisément l’état du droit tel que défini par la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui a interprété continûment et précisément ainsi l’article 66 de la Constitution.
Ce débat de qualité est très important et très intéressant.
Peut-être ai-je mal compris mais il y a quelque chose qui m’échappe dans le raisonnement du rapporteur.
Selon lui, grossièrement, l’autorité administrative est indépendante et ne doit pas contrôler l’opportunité de mesures, laquelle relève du pouvoir politique.
Je serais d’accord avec vous, monsieur le rapporteur, si l’autorité administrative pouvait décider qu’après avoir pris acte de la décision du pouvoir politique – qui a décidé de l’opportunité de la mesure selon ce qu’il croit juste – elle pouvait constater qu’elle n’est pas adaptée et qu’il convient de ne pas la retenir, à défaut de pouvoir demander qu’une autre soit choisie.
Or, l’autorité administrative ne peut pas le faire car en cas de désaccord, après délibération, elle peut saisir le juge administratif, lequel décidera en formation spécialisée.
Ce n’est donc pas vraiment une autorité administrative indépendante, monsieur le rapporteur, mais une partie collaborative…
…à la décision puisqu’elle « filtre » l’accès au Conseil d’État et se prononce finalement sur la régularité de la procédure prévue par la loi et donc, la proportionnalité.
Cela me pose un problème.
Soit la commission peut rendre un avis conforme et joue le rôle de premier ressort du Conseil d’État – il est dès lors normal qu’elle ne décide ni des mesures ni de leur opportunité –, soit elle se prononce sur la proportionnalité…
…et, comme elle rend un avis qui en l’état n’est pas conforme, se prononce également sur la subsidiarité afin d’éclairer en cas de désaccord la décision finale qui reviendra au Conseil d’État.
Cela me paraît fondamental sinon, que faites-vous de cette autorité administrative ? Que lui demandez-vous en droit public ? Vous le savez, monsieur le rapporteur : d’opérer un contrôle minimal. C’est cela que vous lui proposez de faire au sens du contrôle administratif.
Il y a là un vrai sujet qui ne relève pas d’une opposition de principe entre nous mais du positionnement que vous conférez à cette autorité administrative indépendante au regard d’un processus qui peut l’amener jusqu’à une phase de contentieux devant la formation spécialisée du Conseil d’État.
Comme nous campons le sujet, nous avons besoin de procéder à un certain nombre de vérifications.
Monsieur Lellouche, je ne partage pas tout à fait votre lecture du système britannique.
Tout d’abord, parce que le Commissionner est une petite autorité administrative indépendante. Lorsque nous l’avons rencontré l’année dernière avec la délégation parlementaire au renseignement, il s’est plutôt plaint d’une absence de moyens que de ses capacités d’action.
Acceptez l’augure que les erreurs des autres nous fassent progresser ! Nous pouvons tirer les leçons des expériences des autres : c’est le seul avantage que nous ayons en partant les derniers.
De la même manière, nous avons rencontré à la Chambre des communes les représentants de l’Intelligence Security Committee – c’est-à-dire les parlementaires, qui sont si indépendants qu’ils sont choisis par le Premier ministre ! J’imagine que si nous avions proposé qu’il en soit ainsi chez nous vous n’auriez pas été totalement d’accord !
Pour le coup, l’Intelligence Security Committee ne se préoccupe absolument pas des techniques utilisées par les services.
S’agissant de l’autorité administrative, monsieur Cherki, nous partons de la loi de 1991, qui a nourri bien des réflexions.
Or, cette année-là, le Conseil d’État, sollicité par le Gouvernement – article 20 de la loi –, avait indiqué que, dans le cas d’espèce, le transfert du pouvoir de décision à une autorité administrative indépendante serait inconstitutionnel. Seul demeurait le pouvoir de consultation.
C’est pourquoi en 1991 – mais c’est encore le cas aujourd’hui – Edith Cresson avait souhaité que la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, la CNCIS, donne son avis a priori alors même que le texte dispose qu’elle doit donner son avis a posteriori, ce qui se comprend puisque l’intérêt est évidemment bien moindre dans ce dernier cas.
Je souhaite donc vous rassurer : la CNCTR donnera un avis a priori mais elle conservera un pouvoir de contrôle a posteriori également, d’abord parce qu’elle aura accès au recueil des renseignements obtenus et, qu’ensuite, en cas de renouvellement de la technique, elle se prononcera sur la base de production des renseignements pour justifier ou non la reconduction de cette dernière.
C’est pourquoi l’autorité administrative ne peut avoir le pouvoir de décider des moyens utilisés par les services.
C’est pourquoi le principe de subsidiarité ne me paraît pas acceptable.
Si j’ai bien compris les propos de M. le rapporteur, je suis prêt à retirer cet amendement.
L’autorité administrative indépendante devient de facto juge de l’opportunité dans le cas du renouvellement d’une prolongation.
Je retire donc mon amendement dès lors que son rôle de juge de l’opportunité est reconnu. La seule différence, c’est qu’elle l’est lors du renouvellement et non au début.
J’espère que les débats permettront d’avancer d’ici la deuxième lecture…
Il n’y en aura pas, avec la procédure accélérée !
L’amendement no 303 est retiré.
Je suis saisi par M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur, d’un amendement rédactionnel, no 317.
L’amendement no 317 , accepté par le Gouvernement, est adopté.
Cet amendement propose que, à la seconde phrase de l’alinéa 6, les mots « et à l’entrave » soient supprimés. L’activité du renseignement doit en effet se borner à la collecte d’information et à l’analyse,…
…à l’exclusion des actes opérationnels d’entrave qui relèvent, selon moi, de la police judiciaire en cas d’infraction pénale.
Permettez-moi de vous lire l’article 2 du décret du 2 avril 1982, portant création et fixant les attributions de la Direction générale de la sécurité extérieure, dont il faut rendre grâce à François Mitterrand de l’avoir rendu public, puisqu’il s’agit du premier décret paru au Journal officiel concernant les services de renseignement – avant François Mitterrand, les décrets n’étaient pas publiés : « La direction générale de la sécurité extérieure a pour mission, au profit du Gouvernement et en collaboration étroite avec les autres organismes concernés, de rechercher et d’exploiter les renseignements intéressant la sécurité de la France, ainsi que de détecter et d’entraver, hors du territoire national, les activités d’espionnage dirigées contre les intérêts français afin d’en prévenir les conséquences. »
La DGSE a bien pour mission d’« entraver » les activités d’espionnage dirigées contre les intérêts français. Vous comprendrez donc que j’émette un avis défavorable à votre amendement. Je tiens en effet à ce que la DGSE continue à avoir un rôle offensif.
Je ne voudrais surtout pas entrer dans l’histoire comme étant celui qui a empêché les services de la DGSE d’agir !
Sourires.
Je suis donc prêt à retirer mon amendement, mais je souhaite que l’on puisse avancer sur cette question d’ici l’examen du texte au Sénat. Il serait bon qu’un amendement du même genre propose de supprimer les mots « et à l’entrave », tout en précisant que cela exclut les missions de la DGSE, ce qui satisferait le rapporteur, à juste titre. Nous pourrons ainsi tomber d’accord assez facilement. Mais pour l’heure, afin d’éviter toute fausse polémique, je retire mon amendement.
L’amendement no 309 est retiré.
J’espère que je ne vais mettre en cause ni la défense nationale, ni les moyens de dissuasion, ni le Quai d’Orsay
Sourires
avec cet amendement dont l’objectif est beaucoup plus modeste. Il tend simplement à supprimer les alinéas 10 et 11 de l’article 1er, afin de faire sortir du champ du renseignement « les intérêts majeurs de la politique étrangère et la prévention de toute forme d’ingérence étrangère » – objet un peu large qui mériterait d’être précisé – et surtout les « intérêts économiques, industriels et scientifiques majeurs de la France ».
Tels qu’ils sont rédigés, ces alinéas posent un problème. Je ne suis pas naïf et je comprends très bien que les services de renseignement travaillent à protéger nos grandes entreprises internationales ou nos PME de l’action des services de renseignement étrangers ou de nos concurrents. Pour autant, il ne faudrait pas que ces dispositions servent de paravent et permettent à certaines de nos multinationales d’avoir, comme ce put être le cas par le passé, des comportements que la morale et le droit réprouvent.
En supprimant les alinéas 10 et 11 à ce stade de l’examen du texte, nous inviterions les sénateurs à proposer un texte qui permette d’atteindre les mêmes objectifs, mais qui dans une rédaction qui soit plus resserrée juridiquement, de manière à lever toute ambiguïté.
La parole est à Mme Aurélie Filippetti, pour soutenir l’amendement no 307 .
Madame la présidente, cet amendement vise à préciser encore davantage les motifs d’intérêt public qui peuvent justifier la mise en oeuvre de techniques de renseignement plus poussées que celles qui existent actuellement. Dans son avis, le Défenseur des droits a lui-même demandé que le champ d’application de ce nouveau dispositif soit davantage précisé, qu’il soit plus clair, plus précis et plus prévisible. Cet amendement va dans le sens d’une plus grande précision.
La parole est à M. le rapporteur pour avis de la commission de la défense nationale et des forces armées, pour donner l’avis de la commission sur ces deux amendements identiques.
Je veux préciser que ce texte ne concerne pas seulement la prévention du terrorisme. Il tend à donner un cadre légal aux activités de renseignement qui ne concernent pas uniquement la prévention du terrorisme.
Il serait donc de mauvaise politique de supprimer ces deux alinéas, car c’est la protection des « intérêts majeurs de la politique étrangère » et « la prévention de toute forme d’ingérence étrangère » qui permettent au Gouvernement, à travers l’action de ses services, d’avoir une autonomie de décision en matière de politique étrangère et d’engagement. Cela fait donc partie des intérêts fondamentaux de la nation.
Par ailleurs, si l’on exclut du cadre de la loi les « intérêts économiques, industriels et scientifiques majeurs de la France », cela signifie qu’on laisse systématiquement piller le patrimoine économique, industriel et scientifique de notre pays, et qu’on s’interdit toute action de renseignement permettant au Gouvernement d’agir au mieux en matière de développement économique, industriel et scientifique au profit de notre pays.
Au nom de la commission de la défense, qui a examiné ce texte et qui avait validé l’ensemble des motifs d’intérêt public justifiant l’intervention des services de renseignement, je suis très défavorable à l’adoption de cet amendement.
La parole est à M. le ministre de la défense, pour donner l’avis du Gouvernement sur ces amendements.
Je voudrais revenir sur un argument que j’ai déjà exposé tout à l’heure, et auquel mon collègue Philippe Nauche n’a pas répondu.
Étendre le champ des autorisations justifiant privation, ou en tout cas restriction des libertés, garantit, selon votre interprétation, de mettre en conformité le droit avec des pratiques. Mais cela présente aussi un inconvénient : c’est que l’on étend le champ de ces mêmes restrictions.
Le rapporteur fait souvent allusion à l’esprit des lois et vous avez dit, pour être clair, que cette loi ne porte pas uniquement sur le terrorisme. Je vous entends, mais ce n’est pas exactement ce que nous avons entendu tout à l’heure, et le Premier ministre, lui-même, a surtout insisté sur la lutte contre le terrorisme. Or, si l’on veut circonscrire notre action de manière claire, limpide, lucide et compréhensible par tout le monde, autant être clairs sur les objectifs et ne pas étendre autant – je ne dirai pas à l’infini, car je ne suis pas de mauvaise foi – le champ d’application de la loi et des autorisations faites aux renseignements.
Par ailleurs, le fait de restreindre ce champ à ce qui relève directement de la sécurité nationale ou du terrorisme permettra de soulever un autre problème, celui des modalités d’action de nos services eux-mêmes. En effet, s’il est un sujet dont il faudra que nous reparlions, c’est bien l’efficacité et l’efficience de nos services. Ils font un travail remarquable, je le répète, mais on a vu, au moment de l’affaire Merah et de l’affaire Kouachi qu’ils ont dû, par manque de moyens, suspendre la surveillance d’individus qui étaient pourtant dans leur radar, à quelques semaines de leur passage à l’acte. On peut régler ces problèmes, indépendamment de la loi, en donnant à nos services des moyens supplémentaires. Je crois d’ailleurs que des décrets d’avance ont été pris en ce sens, qui peuvent répondre à des situations d’urgence. Il n’est pas forcément nécessaire de passer par l’extension du champ de la loi, qui suscite des inquiétudes légitimes et fondées quant à la protection des libertés.
J’avoue ma profonde incompréhension face à ces deux amendements, qui visent à soustraire aux techniques sophistiquées de renseignement la défense des « intérêts majeurs de la politique étrangère et la prévention de toute forme d’ingérence étrangère » et les « intérêts économiques, industriels et scientifiques majeurs de la France ». Pour avoir passé des heures dans cet hémicycle avec certains de mes collègues signataires de ces amendements, notamment lors de l’examen du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière ; pour avoir beaucoup travaillé, notamment avec mon collègue Pascal Cherki, sur les moyens d’éviter certains schémas d’évasion fiscale qui utilisent toutes sortes de circuits d’une grande opacité et qui passent par l’étranger ; pour avoir la certitude que les douanes ont besoin d’utiliser un certain nombre de techniques pour éviter, et même prévenir, cette forme de délinquance qui nuit à l’intégrité de la nation, je suis stupéfaite de ces deux amendements que, naturellement, nous ne voterons pas.
Je vais tenter de répondre, au moins partiellement, à Sandrine Mazetier, concernant notamment l’alinéa 11, relatif aux « intérêts économiques, industriels et scientifiques majeurs de la France ». Je rappelle que le projet de loi pose un certain nombre de problèmes s’agissant des professions dites protégées – les juges, les journalistes, les avocats, pour ne pas les citer. Des journalistes qui enquêteraient sur une grande entreprise française, et sur d’éventuels problèmes ou scandales touchant cette entreprise…
…ne seraient pas protégés et pourraient tomber sous le coup des techniques de surveillance des services de renseignement.
On l’a vu récemment dans diverses affaires touchant de grandes entreprises françaises : les journalistes qui enquêtent sur ces entreprises se voient systématiquement accuser de nuire aux intérêts économiques de la nation. C’est inacceptable, d’autant plus que cette loi n’est pas contrebalancée par la loi que nous attendons tous, depuis bientôt trois ans, sur la protection des sources des journalistes, sur laquelle je sais que travaille la Chancellerie.
Si au moins nous avions une loi protégeant réellement les sources des journalistes, nous pourrions nous rassurer et nous dire qu’ils pourront continuer à faire leur travail. Mais avec des dispositifs comme celui-ci, on ne peut malheureusement que s’inquiéter, d’où notre amendement de suppression de ces alinéas.
Madame la députée, je vous invite à lire les alinéas qui précèdent l’alinéa 10, et qui concernent la vocation des services. Vous verrez qu’il y est question de défense et de promotion.
Ce que vous allez mettre à mal – et Pascal Cherki en sera coresponsable – ce n’est pas seulement la DGSE, mais aussi la DPSD et la DRM, c’est-à-dire la Direction de la protection et de la sécurité de la défense et la Direction du renseignement militaire.
Nous ne partons pas de rien, car toutes ces organisations ont été créées par décret : la DPSD le 20 novembre 1981 et la DRM le 16 juin 1992. On a donné des missions à ces services : ils ont pour ambition de défendre et de promouvoir les intérêts majeurs et essentiels en matière de politique étrangère et de lutter contre les ingérences économiques.
L’alinéa 11, quant à lui, vise à ce que nos services luttent, non pas contre les journalistes qui font de l’investigation – la CNCTR ne donnera jamais d’autorisation dans ce cas-là, cela va de soi – mais contre le pillage, contre les prédateurs.
Dans son rapport de 2014, la Délégation parlementaire au renseignement a consacré une trentaine de pages à ce sujet, parce qu’en termes de souveraineté nationale, ce qui représente aujourd’hui une très grande menace, c’est le pillage de nos entreprises. Elles sont pillées par des puissances, qui ne sont pas nécessairement considérées comme étant nos adversaires, et qui ne sont pas aussi éloignées de nous qu’on a instinctivement envie de le croire. Pour faire face à ces menaces, à ce pillage, il faut que nos services assurent à la fois la défense de nos intérêts et la promotion de nos entreprises, de sorte qu’elles puissent gagner des marchés. Mes chers collègues, j’ai la conviction, et nous sommes nombreux à la partager, qu’on ne fait pas la guerre en gants blancs et avec un bouquet de violettes.
Quand les autres déploient des moyens qui sont ceux de l’État, il faut arrêter de penser que la cordialité et la courtoisie qui font le charme de notre pays suffiront à leur faire face. Nous avons des moyens pour aller à l’offensive : pourquoi nous en priver ?
Cet amendement est beaucoup restrictif que les précédents : il s’agit plutôt d’un amendement de cohérence. Il n’aura pas échappé à notre excellent rapporteur qu’il touche à la liste des motifs d’intérêt public qui justifient le recueil de renseignements. L’alinéa 10 de cet article mentionne « les intérêts majeurs de la politique étrangère et la prévention de toute forme d’ingérence étrangère ». Je ne reviendrai pas sur le débat qui a eu lieu en commission, à propos de la différence entre les notions d’« intérêts majeurs » et d’« intérêts essentiels », le Conseil d’État recommandant plutôt la formule « intérêts essentiels ».
Je propose, monsieur le rapporteur, de déplacer ce motif à l’article 3, lequel traite, vous le savez, de la sécurité intérieure, et régit les modes de surveillance internationale. Cela me paraît plus cohérent.
La parole est à M. Sergio Coronado, pour soutenir l’amendement no 164 .
Nous arrivons à la définition des finalités des services de renseignement, que la première grande partie de ce projet de loi vise à définir très concrètement. Cette partie sera pérenne, contrairement au recours à certains outils technologiques, qui seront sans doute évalués dans quelques années. Ces dispositions sont donc lourdes de sens. Je souligne d’ailleurs que le travail en commission a fait passer ce texte d’une logique plutôt défensive à une logique plus offensive, en élargissant le renseignement à d’autres domaines.
L’alinéa 10 de cet article porte sur « les intérêts majeurs de la politique étrangère et la prévention de toute forme d’ingérence étrangère ». Ce motif m’apparaît large et imprécis au regard de l’importance de ces intérêts. L’alinéa 16 fournit, a contrario, l’exemple d’un motif précis, concret, ciblé : la « prévention de la prolifération des armes de destruction massive. »
Je m’interroge, car je vois bien quel est l’intérêt d’inclure un tel motif parmi les finalités assignées à la communauté du renseignement. Mais, pour prendre deux exemples pas si anciens, quels étaient les « intérêts majeurs de la politique étrangère » de la France à une époque où Bachar al-Assad était l’invité d’honneur du défilé du 14-juillet, et où l’on recevait le colonel Khadafi sous les ors de la République ? Ces intérêts majeurs ne nécessitaient-ils pas, par exemple, de surveiller les opposants à ces régimes ? Ne justifiaient-ils pas, en fin de compte, une forme de complicité avec des régimes autoritaires ?
Je m’interroge donc vraiment sur la pertinence de cet alinéa.
Je suis opposé à ces amendements de suppression de l’alinéa 10, qui mentionne « les intérêts majeurs de la politique étrangère et la prévention de toute forme d’ingérence étrangère ». Il est question ici des missions fondamentales de nos services de renseignement, et ces missions, comme le rappelait le président Jean-Jacques Urvoas, ne datent pas de ce projet de loi : elles figurent dans les décrets fondateurs de ces services. Elles permettent au Gouvernement, à l’exécutif, d’apprécier de manière autonome la situation internationale actuelle ; elles permettent aussi de s’intéresser à des sujets en devenir pour apprécier l’évolution de la situation. Pour disposer d’une information de bon niveau permettant à l’exécutif de faire des choix, les sources ouvertes ne suffisent pas.
Le choix de nouer des relations diplomatiques avec tel ou tel responsable politique, y compris d’un régime dont la démocratie ne semble pas être la caractéristique principale, relève de la responsabilité de l’exécutif. Ce ne sont pas les services qui décident de cela : leur rôle est de renseigner l’exécutif, qui utilise ces informations afin de prendre de sa décision en toute indépendance.
Les deux amendements ont été défendus avec une tonalité différente. Sur le fond, la volonté de supprimer la finalité de politique étrangère des compétences de la DGSE me paraît inacceptable. Le rôle de la DGSE, c’est précisément d’agir dans l’ensemble des domaines qui conditionnent notre indépendance nationale, dont les enjeux liés à l’économie et à la diplomatie.
Je suis donc défavorable à l’amendement de M. Coronado.
M. Vigier, quant à lui, a présenté les choses de façon différente : en proposant de repousser à l’article 3 de ce projet la mention des intérêts majeurs de la politique étrangère, il laisse à penser que le motif de protection des intérêts majeurs de la politique étrangère ne peut justifier que des mesures de surveillance des communications internationales, et aucune autre technique de renseignement. Le Gouvernement souhaite, au contraire, que les différentes techniques de renseignement aient des finalités communes ; ces finalités concernent aussi bien le territoire national que l’étranger. Comme j’ai coutume de le rappeler, puisqu’il y a une continuité entre les menaces intérieures et extérieures, il faut que les mêmes moyens techniques soient utilisés contre ces différentes menaces.
Le Gouvernement est donc défavorable à ces deux amendements.
La parole est à Mme Isabelle Attard, pour soutenir l’amendement no 165 .
Si vous le permettez, madame la présidente, je défendrai également l’amendement no 166 qui vise à opérer la même modification à l’alinéa 11. Tous deux tendent à revenir à la rédaction initiale du projet de loi, qui évoquait les « intérêts essentiels » et non les « intérêts majeurs » de la politique étrangère. Notre collègue Philippe Vigier a rappelé ce débat ; quant à vous, monsieur le rapporteur, vous avez commis un curieux lapsus à l’instant !
Pour nous, le concept d’ « intérêt majeur » est trop large. Par ailleurs, l’article L. 410-1 du code pénal, qui définit les intérêts fondamentaux de la nation, parle bien d’intérêts essentiels et non d’intérêts majeurs, tout comme le code de la défense et le code de la sécurité intérieure.
Nous avons déjà longuement débattu cette question en commission ; j’épargnerai à l’hémicycle tous les arguments sémantiques concernant les adjectifs « essentiel » et « majeur ». Nous avons examiné ce que fait le MI6 en Angleterre et la CNI en Espagne. Il va de soi que notre diplomatie se nourrit du travail des services de renseignement – c’est pour cette raison, d’ailleurs, qu’il ne fallait évidemment pas supprimer cette mention.
Ce que font nos services n’est pas toujours essentiel, mais est toujours très utile, voire majeur. Pour prendre un exemple, disposer d’informations concernant une évolution institutionnelle, ou la composition du gouvernement d’un pays avec lequel nous sommes en discussion, ne revêt pas un intérêt essentiel ; cela présente pourtant un intérêt majeur pour conduire la négociation diplomatique. Si vous en avez le loisir, je vous invite à lire le compte rendu de l’audition, par la commission de la défense, du général Gomart, directeur du renseignement militaire : il explique, avec beaucoup de finesse, la différence entre les notions d’intérêt majeur et d’intérêt essentiel, en prenant pour exemple le travail réalisé par son service à propos de la Russie et de l’Ukraine. Vous comprendrez ainsi pourquoi il faut mentionner les intérêts majeurs, et pas les intérêts essentiels.
Le Gouvernement suit l’avis de M. le rapporteur.
L’amendement no 165 n’est pas adopté.
Il s’agit, par cet amendement, de supprimer l’alinéa 11, qui élargit les motifs de collecte de données aux « intérêts économiques, industriels et scientifiques majeurs de la France ». Cette liste nous semble trop étendue, trop floue ; elle pourrait donner lieu à des interprétations abusives. On pourrait penser, par exemple, que le nucléaire représente un intérêt économique majeur pour la nation ; dans ce cas, suivant la logique de ce texte, toute protestation contre le nucléaire pourrait être surveillée avec les moyens prévus par ce projet de loi.
Cette disposition nous semble trop floue : nous demandons donc la suppression de l’alinéa 11, d’autant plus qu’en matière de lutte contre l’espionnage industriel, la surveillance peut tout à fait intervenir dans le cadre d’une enquête pénale, ce qui est relativement fréquent.
Non, monsieur Pouzol, cela ne peut pas se faire dans le cadre d’une enquête pénale ! Comme M. le ministre l’a très justement rappelé tout à l’heure, la différence fondamentale entre la police judiciaire et la police administrative tient au fait que la police judiciaire vise à réprimer une infraction, tandis que la police administrative vise à éviter que des infractions soient commises. Il s’agit là de police administrative, puisque nous cherchons à détecter les menaces, à anticiper les infractions. Par définition, l’autorité judiciaire ne peut intervenir dans ce domaine, puisqu’il s’agit de détection. Le but des services de renseignement est d’accumuler des éléments pour, ensuite, judiciariser le dossier, une fois que les faits sont avérés.
J’ai évoqué tout à l’heure la loi de 1991, dans laquelle cet item figure. Je pense que vous faites une confusion : notre ambition est de combattre la prédation économique, et de permettre à nos services de défendre « les intérêts économiques, industriels et scientifiques majeurs de la France ».
Pour le Gouvernement, cette finalité est essentielle et ne doit pas être supprimée. Tous nos compétiteurs mettent leurs capacités de renseignement au service des intérêts économiques de leur pays, à plus forte raison quand ces intérêts sont majeurs. J’informe M. Pouzol que les Britanniques – dont nous avons parlé plus tôt dans ce débat – ont assigné comme objectif à l’action de leurs services de renseignement leur « bien-être économique. » Vous voyez que nous sommes très loin des Britanniques en la matière, quand nous estimons que la défense des intérêts majeurs de notre pays doit faire partie des missions de nos services de renseignement.
Les députés du groupe écologiste n’ont pas déposé d’amendement sur l’alinéa 11.
J’ai interpellé tout à l’heure à la fois M. le rapporteur et MM. les ministres, mais je n’ai pas obtenu de réponse à ma question : quels étaient les intérêts majeurs de la France, à la fois en matière diplomatique et commerciale, à une époque – pas si lointaine – où l’on recevait et le colonel Khadafi et Bachar al-Assad ? Je voudrais que l’on me l’explique ! À cette époque, une entreprise française, Amesys, vendait des outils de surveillance de masse à la Libye. Cela faisait-il partie des intérêts économiques à promouvoir pour le gouvernement français ?
Je voudrais obtenir des réponses concrètes à ces questions précises. Les finalités que nous assignons aux services de renseignement par ce projet de loi resteront : elles seront pérennes, et ne seront pas modifiées tous les trois ou quatre ans. Il faut donc que ce texte soit suffisamment précis pour ne pas être tributaire des aléas de la politique étrangère et des intérêts économiques. Vous conviendrez, messieurs les ministres, madame la ministre, monsieur le rapporteur, que ces intérêts sont parfois très fluctuants.
Moi aussi, je tiens à répéter une question. Prenons le cas d’un journaliste qui entre en contact avec des sources au sein d’une grande entreprise, afin d’écrire un article, de réaliser un reportage, bref, afin de faire son travail de journaliste, d’enquêter sur d’éventuels dysfonctionnements. Puisque cette grande entreprise est française, elle sera considérée comme relevant des intérêts économiques de la France. À partir de là, qu’est-ce qui empêchera les services de renseignement d’écouter ce journaliste ?
J’insiste sur ces demandes de précision. J’ai trouvé M. Urvoas convaincant tout à l’heure, quand il a parlé de la nécessité de protéger nos savoir-faire techniques, scientifiques, industriels. Je conçois très bien qu’il ne faut pas sombrer dans la naïveté, car certains de nos alliés – les Américains, pour ne pas les nommer – ne se gênent pas, eux, pour nous piller. Nous avons donc intérêt à nous prémunir contre tous les pilleurs venus de l’extérieur.
Une fois posé le principe de protection des intérêts majeurs de la nation – nous pouvons même trouver un accord sur ce point –, il reste deux questions concrètes. Premièrement, Sergio Coronado l’a évoqué, en cas d’invitation en France, au titre des intérêts supérieurs de la politique étrangère, de personnalités indésirables, comme des dictateurs ou des tyrans sanguinaires – c’est arrivé par le passé –, …
…comment garantir par exemple que des groupes de citoyens, des organisations démocratiques, des partis, des syndicats, des associations, qui y seraient opposés, ne soient pas mis sous surveillance et menacés dans leur responsabilité de citoyens, de vigie démocratique ?
Deuxième question très concrète, Mme Filippetti l’a posée à l’instant – je conçois qu’il ne soit pas facile d’y répondre –, que faire pour ceux – lanceurs d’alertes, journalistes, parfois avocats – qui sont dépositaires d’un certain nombre d’informations et méritent la protection a priori de nos institutions démocratiques et républicaines ?
Je comprends la difficulté, tant philosophique que technique, de la démarche : pour des raisons d’efficacité, vous jetez des filets très larges. Nous y reviendrons lors de l’examen des dispositions sur les balises généralisées, ce qu’on appelle les IMSI catcher – pardonnez ma prononciation, je suis un amoureux de la francophonie et les anglicismes me perturbent. Vous pensez ensuite faire le tri. Cela posera des questions de moyens et d’efficacité mais également de principe : lorsque le filet est large, on prend le risque d’inquiéter des groupes ou des individus qui n’ont rien d’autre que la bonne foi de leurs convictions à défendre et qui méritent à ce titre d’être protégés par la République.
Beaucoup de questions sont posées mais, en réalité, nous vivons déjà de telles situations car notre seule référence est la loi de 1991 sur les interceptions de sécurité, c’est-à-dire sur les écoutes – chacun l’aura bien compris. Il se trouve que je représente l’Assemblée nationale au sein de la CNCIS depuis le début de la législature, comme avant moi Daniel Vaillant et d’autres parlementaires – on assure ces missions pendant une législature, sans possibilité de renouvellement.
Nous sommes régulièrement confrontés à cette question : aujourd’hui, si un service veut demander une interception de sécurité sur une personne, le travail de la CNCIS est de vérifier si celle-ci est conforme à la loi. Si c’est le cas, l’autorisation sera donnée ; sinon, l’avis de la Commission sera défavorable. Ces avis sont suivis ou non par le Gouvernement mais, dans 98 % ou 99 % des cas, ils le sont – relisez les vingt-et-un rapports de la CNCIS. Demain, il se passera exactement la même chose. Nos services ne sont pas des administrations hors-sol : ils sont pilotés et dirigés, on en assume la responsabilité. Ils ne prennent pas des initiatives de leur propre chef. J’imagine que le responsable de la DGSE en parle au ministre de la défense et que celui de la DGSI évoque les sujets avec le ministre de l’intérieur. Il se passera demain avec les autres techniques la même chose qu’aujourd’hui avec les interceptions de sécurité.
Il me semble important de garder à l’esprit que la loi que nous sommes en train d’élaborer va, si elle est promulguée, coexister avec la belle loi de liberté de 2010 relative à la protection du secret des sources des journalistes. Cette loi, votée sous la législature précédente, fait partie du droit positif et pose des principes extrêmement forts. Selon les termes de cette loi, « il ne peut être porté atteinte directement ou indirectement au secret des sources que si un impératif prépondérant d’intérêt public le justifie et si les mesures envisagées sont strictement nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi. Cette atteinte ne peut en aucun cas consister en une obligation pour le journaliste de révéler ses sources ». Nous avions même précisé qu’est « considéré comme une atteinte indirecte au secret des sources […] le fait de chercher à découvrir les sources d’un journaliste au moyen d’investigations portant sur toute personne qui, en raison de ses relations habituelles avec un journaliste, peut détenir des renseignements permettant d’identifier ces sources. »
Cette loi existe et devra être articulée avec les nouveaux moyens donnés aux services de renseignement, sous le contrôle de la CNCTR et du Conseil d’État. Mais il est essentiel de garder à l’esprit que nous n’abrogeons pas la loi sur la protection du secret des sources des journalistes.
S’agissant de l’espionnage industriel, je souscris pleinement aux propos de M. Urvoas. Autant il faut faire attention aux modalités d’application, autant il convient de ne pas se tromper sur les objectifs : beaucoup de pays, y compris amis, n’hésitent pas à utiliser tous les moyens des services de renseignement à des fins économiques. Je pourrais citer toute une série d’exemples, mais je ne voudrais pas être cruel, ce soir. Il se trouve que, quand j’étais étudiant aux États-Unis, l’un de mes condisciples est ensuite devenu patron de la CIA. Un jour, il a utilisé l’expression anglaise « levelling the playing field » pour signifier que les Américains allaient faire en sorte que le jeu avec les Français soit égal. Ils ont utilisé systématiquement les services de renseignement pour tout ce qui touche par exemple au domaine des commissions. On a vu toute une série d’actions, organisées par la CIA, qui se sont ensuite traduites par des actions en justice : arrestations de cadres français aux États-Unis – je ne sais pas si vous voyez ce à quoi je fais référence –, puis rachat des entreprises françaises par des boîtes américaines, en toute complicité avec la CIA.
Ainsi, dans cette compétition économique, la naïveté est la pire des attitudes. L’alinéa 11 est absolument essentiel pour renforcer l’intelligence économique dont notre pays a besoin. Quant aux sources des journalistes, sujet auquel je suis très sensible pour avoir eu ma carte de presse dans une vie antérieure, elles sont complètement protégées. Sur ce point, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme est claire et elle est directement applicable dans le droit français, ce qui est un acquis majeur.
L’amendement no 297 n’est pas adopté.
Il ne s’agit pas exactement d’un amendement de repli, mais d’une interrogation sur les dispositions du nouvel article L. 811-3 du code de la sécurité intérieure concernant les intérêts économiques, industriels et scientifiques majeurs de la France. L’emploi par les services spécialisés de renseignement de techniques assez intrusives sera justifié non seulement par la défense mais également par la promotion de ces intérêts. Je comprends tout à fait que ces moyens soient utilisés pour protéger notre activité économique et industrielle contre des menaces éventuelles. Mais je comprends plus difficilement – je ne suis pas sûr que cela soit le sens de l’article – que l’on laisse penser qu’il soit possible de les utiliser contre d’autres intérêts économiques, qui nuiraient aux intérêts français.
Autrement dit, je comprends qu’on ait des outils pour faire du contre-espionnage mais je ne comprendrai pas qu’ils servent à faire de l’espionnage économique, au motif que cela servirait objectivement nos intérêts économiques, industriels et scientifiques. L’article mentionne la promotion et la défense de ces derniers : je ne sais donc pas quelles sont les limites de la loi. Or, dans ce domaine, il convient d’être précis.
C’est la raison pour laquelle j’ai proposé une nouvelle rédaction de l’alinéa 11, afin de limiter l’utilisation de ces moyens au seul objectif de prévention des vols de secrets de fabrique, de l’espionnage industriel, scientifique ou économique en France ou d’entreprises ou institutions françaises. Ainsi, la rédaction de la loi ne laisserait pas craindre une utilisation offensive de ces moyens, tant en France qu’à l’extérieur : à défaut, il pourrait nous être reproché, à juste titre, de faire nous-mêmes de l’espionnage.
Tout à l’heure, M. le rapporteur m’a plus ou moins directement accusé de vouloir supprimer la DGSE et la DRM. Je ne sais pas à quel organisme je vais m’attaquer avec cet amendement, peut-être au Medef… Cela étant, si vous sortiez le Medef de votre boîte à outils, monsieur le rapporteur, cela m’inciterait plutôt à être encore plus offensif.
Sourires.
Vous avez dit tout à l’heure à juste titre qu’on ne faisait pas la guerre en gants blancs. Vous avez tout à fait raison, mais quand on fait la guerre, on évite les victimes collatérales, surtout quand elles sont innocentes. Pour rester dans cette terminologie guerrière, je rappelle que les guerres se font dans le respect des conventions internationales.
L’objet de cet amendement est d’éviter les victimes collatérales en modifiant la rédaction de l’alinéa 11 de façon à limiter l’objectif à la prévention de l’espionnage industriel. Nous devons protéger nos entreprises sans naïveté et sans prendre de gants blancs dans ce que vous qualifiez à juste titre de guerre économique mondiale. Nous devons utiliser les moyens du renseignement pour nous protéger contre un éventuel espionnage industriel de nos concurrents – États ou entreprises étrangères. En limitant ainsi les motifs de recours aux moyens des services, nous pourrions atteindre l’objectif que vous poursuivez et auquel nous souscrivons : mener cette guerre sans naïveté tout en évitant les victimes collatérales – je pense que le rapporteur et les ministres partagent cette logique.
La parole est à M. Jean-Jacques Candelier, pour soutenir l’amendement no 142 .
Actuellement, le champ d’intervention des services de renseignement est défini par la loi du 10 juillet 1991 relative au secret des correspondances émises par la voie des communications électroniques. Cette loi précise les différents cas dans lesquels peuvent être mises en oeuvre les interceptions de sécurité : c’est l’objet de l’article L. 241-2 du code de sécurité intérieur. Ces motifs sont déjà nombreux : ils recouvrent la sécurité nationale, la sauvegarde des éléments essentiels du potentiel scientifique et économique de la France, la prévention du terrorisme, de la criminalité et de la délinquance organisée et de la reconstitution ou du maintien de groupements dissous en application de l’article L. 212-1.
Le projet de loi soumis aujourd’hui à notre discussion entend encore élargir le champ de compétences des services de renseignement. Le 3° de l’article L. 811-3 prévoit ainsi que les services spécialisés de renseignement peuvent recourir aux techniques mentionnées au titre V pour le recueil des renseignements relatifs à la défense et à la promotion des intérêts économiques, industriels et scientifiques majeurs de la France. Cette rédaction est trop extensive ; elle n’apporte selon nous aucun éclaircissement sur le champ d’intervention des services de renseignement.
Le rapport précise d’ailleurs parfaitement l’objectif de cette modification terminologique : ces intérêts « sont majeurs et non pas essentiels, cette dernière notion paraissant trop restrictive ». Soucieux de prévenir tout risque de dérives, nous souhaitons limiter le champ d’intervention des services de renseignement aux seuls domaines visés par la loi du 10 juillet 1991.
La liste des motifs pouvant justifier une surveillance rapprochée pose problème. Actuellement, celle liste est stabilisée. Lors des débats sur la loi de programmation militaire, je l’avais pourtant trouvée assez large : la sécurité nationale, la sauvegarde des éléments essentiels du potentiel scientifique et économique de la France, la prévention du terrorisme, de la criminalité et de la délinquance organisée et de la reconstitution ou du maintien de groupements dissous. Pourtant, aujourd’hui, je m’en contenterais car vous voulez encore l’élargir. Plus les finalités sont vastes et floues, plus le nombre de personnes surveillées peut être important. Or, trop, c’est trop ! Les finalités prévues par cet article sont trop larges, notamment celle des intérêts économiques, industriels et scientifiques majeurs de la nation – je passe sur le mot majeur.
Il faut revenir à la rédaction actuelle de l’article L. 241-2 du code de sécurité intérieur, c’est-à-dire la sauvegarde des éléments essentiels du potentiel scientifique et économique de la France. On peut même ajouter le potentiel industriel. À ceux qui nous regardent, nous donnons sans doute l’impression de jouer avec les mots mais la notion de sauvegarde est plus restrictive et plus ciblée. Il faut donc la conserver.
Quel est l’avis de la commission sur ces quatre amendements en discussion commune ?
Formellement d’abord, aucun de ces amendements ne « tourne », comme on dit dans le jargon parlementaire. Le début de l’alinéa est ainsi rédigé : « Les services spécialisés de renseignement peuvent, dans l’exercice de leurs missions, recourir aux techniques mentionnées au titre V du présent livre pour le recueil des renseignements relatifs à la défense et à la promotion des intérêts publics suivants : […] ». Sur le plan rédactionnel, il n’est pas possible de compléter la phrase avec vos différentes propositions d’amendement : « la prévention des vols de secrets de fabrique » ou encore « la prévention de l’espionnage industriel ».
Sur le fond, nous avons délibérément choisi d’être très précis, comme l’était d’ailleurs déjà le texte du Gouvernement, qui a été un peu amendé par la commission. Au-delà de l’exemple anglais qu’a cité tout à l’heure Jean-Yves Le Drian, nous aurions pu nous contenter – et nous aurions eu pour cela une base conventionnelle – de reprendre le deuxième alinéa de l’article 8 de la Convention européenne des Droits de l’Homme, qui prévoir comme motif à la restriction des libertés fondamentales la préservation du bien-être économique du pays, voire la défense de la morale… Ces notions auraient été un tantinet vagues : nous avons donc préféré reprendre ce qui fonde notre droit positif.
Je suis ainsi défavorable à ces amendements qui ne « tournent » pas et qui restreignent à l’excès l’action de nos services de renseignement.
Le Gouvernement est tout à fait d’accord avec la position du rapporteur. La rédaction, comme les fondamentaux qui sous-tendent ces amendements, sont extrêmement défensifs. Depuis 1991, la donne a changé et nous ne sommes plus uniquement dans le contre-espionnage, mais bien dans la promotion de la compétitivité, avec des concurrents qui ne nous font aucun cadeau d’aucune sorte. Le Gouvernement est donc défavorable à ces quatre amendements qui relèvent de la même conception : ils sont beaucoup trop restrictifs par rapport à la situation que nous rencontrons chaque jour dans la compétition internationale.
Monsieur le rapporteur, l’amendement no 269 « tourne » au moins autant que la rédaction actuelle du projet puisque l’alinéa 13 débute précisément par les mots : « La prévention des atteintes à la forme républicaine des institutions ».
Or, nous proposons une nouvelle rédaction de l’alinéa 11 : « 3° La prévention des vols de secrets de fabrique, de l’espionnage industriel, scientifique ou économique en France ou d’entreprises ou institutions françaises ; ». Notre amendement est donc rédigé exactement de la même manière que l’alinéa 13 : il « tourne »…
Quant au fond, je rappelle, là encore, que nous avons connu des exemples récents. Au cours d’une campagne présidentielle récente, j’ai d’ailleurs le souvenir, pour ne pas parler toujours des journalistes, qu’un dirigeant de l’association Greenpeace avait été surveillé justement en raison d’atteintes supposées aux intérêts d’une grande entreprise industrielle française. Nous pouvons également parler du fameux débat suscité récemment autour du secret des affaires, à l’occasion de l’examen du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.
Le Défenseur des droits, toujours lui, puisque je me réfère à l’avis qu’il a publié, affirme qu’il est nécessaire de préciser, ainsi que le prévoit la jurisprudence européenne, les catégories de personnes susceptibles d’être visées par des activités de renseignement.
Il estime que « en restant muet sur la situation de ces professions dites à risques – parlementaires, avocats et journalistes –, le projet de loi semble contrevenir à la protection qui leur est garantie à la fois par le droit interne et par le droit européen. »
Nos amendements ne visent évidemment pas à empêcher la défense des intérêts des entreprises françaises ni leur protection vis-à-vis de l’espionnage industriel, mais simplement à permettre aux journalistes, aux associations, et aux citoyens de continuer à faire leur travail et à exercer, le plus librement possible dans une société démocratique, leurs activités.
Pour poursuivre sur ces éléments relatifs aux intérêts publics permettant le recours aux techniques de renseignement, je me tourne à nouveau vers Jean-Jacques Urvoas, qui tout à l’heure nous expliqué les différences sémantiques essentielles entre les mots « majeurs » et « essentiels ». J’aurais aimé qu’il précise à nouveau sa pensée, car s’il tient absolument à faire figurer le mot majeurs à l’alinéa 11, c’est bien que des insuffisances ont été pointées.
La rédaction antérieure de la loi de1991 faisait notamment référence à la sauvegarde des éléments essentiels du potentiel scientifique et économique de la France : quels sont donc les événements qui sont intervenus ces vingt dernières années – car j’ai bien compris que nous rencontrions des problèmes de sauvegarde de notre recherche, de notre patrimoine économique, et de nos innovations – et qui ont fait que vous avez tenu à faire figurer ce mot en particulier ? Comment se fera le parfait partage des eaux entre les uns et les autres ? Quels éléments relèveront véritablement de l’essentiel et des intérêts majeurs ?
Il serait bon que nous puissions avoir, à nouveau, des précisions afin de nous permettre de percevoir, ce qui n’est pas le cas actuellement, une différence qui nous échappe. J’ai bien compris ce que le rapporteur avait dit tout à l’heure, à savoir que nos amis britanniques ou espagnols employaient des mots encore plus forts. Peut-être est-ce, alors, le mot fondamentaux qu’il faudrait utiliser ? Il me paraît intéressant de regarder ce point avec précision. Pour préciser la question que j’ai posée tout à l’heure, quels sont les éléments qui depuis 1991 ont montré une insuffisance particulière et ont motivé votre souhait aujourd’hui d’employer le mot « majeurs » ?
La parole est à M. Sergio Coronado, pour soutenir l’amendement no 166 , qui a déjà été défendu par Mme Attard.
Dans le droit fil des votes précédents, je nourris peu d’illusions sur le sort qui sera réservé à nos amendements. Une remarque : un changement est intervenu au cours des travaux de la commission. Grâce au travail de notre rapporteur, nous sommes en effet passés d’une position défensive à la promotion de nos intérêts : cet amendement a d’ailleurs été voté sans beaucoup de discussions.
Autant protéger le potentiel industriel ne me pose aucun problème, et c’est d’ailleurs pour cette raison que n’avons pas déposé d’amendement de suppression à ce propos, autant je m’interroge sur ce que signifie la promotion et, au fond, sur cette idée, sous-jacente dans le texte, de mettre la puissance publique au service de grands groupes privés. Cette question est en filigrane dans la finalité assignée aux services de renseignement.
Dans les explications qui nous été données, une confusion est faite entre intérêts publics et privés. Je sais bien qu’au temps de la diplomatie économique le sort des grands groupes se confond avec celui de la France, mais, en ce qui me concerne, je ne confonds pas les intérêts privés avec les intérêts supérieurs du pays. Un distinguo est à faire entre les deux, même si parfois il est possible d’en faire la somme, mais cela ne va pas de soi.
Cette confusion me paraît un peu glissante et je ne souhaite pas la reprendre à mon compte. D’ailleurs, je trouve que, par ce biais, nous consacrons l’assignation au pouvoir politique d’une nouvelle mission, celle de devenir le VRP des grands groupes. C’est déjà en partie le cas mais le consacrer dans la loi me paraît un peu osé.
Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements identiques de suppression, nos 107 et 166 ?
La commission des lois a d’abord le souci du parallélisme des formes, s’agissant des mots « essentiels » et « majeurs ». Le passage du premier au second a été suggéré par la commission de la défense nationale et des forces armées, qui a adopté un amendement à ce sujet. Pour les raisons que j’évoquais tout à l’heure, quand la Direction du renseignement militaire nous renseigne sur l’absence d’hôpitaux de campagne, par exemple, il ne s’agit pas d’une information essentielle mais elle est majeure pour anticiper ce que font les acteurs géostratégiques dans une partie de l’Europe.
Il aurait donc paru un peu incongru de faire figurer les intérêts essentiels s’agissant de la politique étrangère et les intérêts majeurs s’agissant du potentiel industriel, économique et scientifique. Nous avons donc lissé les deux.
Mais je n’éprouve pas de difficultés à expliquer encore une fois, la différence entre « essentiels » et « majeurs », qui s’apparente un peu à celle qui existe entre les verbes entendre et écouter : souvent on peut entendre, mais il est plus difficile d’écouter. On peut aussi écouter, en disant qu’on n’est pas entendu…
Sourires.
Cette discussion a certes de l’importance. Je considère, pour l’essentiel, qu’il est majeur que nous puissions défendre le potentiel économique, industriel et scientifique de notre pays. L’avis du rapporteur est donc défavorable à ces deux amendements.
…s’agissant de cet amendement qui ne porte pas sur une question essentielle ni sur un point majeur mais sur une précision utile. J’espère bien parler le Urvoas afin de ne pas être accusé de mettre en cause je ne sais quel service.
Sourires.
Je souhaite simplement qu’après le mot : « prévention », l’alinéa 12 soit ainsi rédigé : « des actes de terrorisme portant atteinte à l’intégrité physique des personnes ou à la vie humaine ; ».
J’émets un avis défavorable, non pas pour le plaisir d’embêter Pascal Cherki, mais parce que cet amendement aurait pour conséquence que les services ne pourraient prévenir le terrorisme que s’ils ont la certitude qu’il va porter atteinte à l’intégrité physique des personnes ou à la vie humaine.
Si, c’est ce que je lis. Je crains que cette rédaction ait pour conséquence de limiter leur capacité d’anticipation.
Je suis défavorable à cet amendement, pour les mêmes raisons que le rapporteur mais aussi parce que de multiples actes terroristes qui peuvent présenter des risques graves ne portent pas atteinte à l’intégrité physique.
Je pense à la paralysie complète des systèmes d’information d’un certain nombre d’administrations stratégiques : on ne peut pas considérer qu’il s’agit d’activités à caractère terroriste.
Monsieur le ministre, si vous faites référence notamment à l’attaque contre TV5 Monde ou autres, au bénéfice de ces informations, j’accepte de retirer mon amendement.
L’amendement no 312 est retiré.
Il s’agit de l’alinéa 13, qui a fait couler beaucoup d’encre et suscité bien des inquiétudes, s’agissant de la prévention des violences collectives. Certes, la commission a modifié, dans un sens beaucoup plus satisfaisant, la rédaction de cet alinéa : évoquer désormais « les violences collectives de nature à porter atteinte à la sécurité nationale » marque un progrès.
Néanmoins, le champ nous semble encore trop large au regard des atteintes aux libertés individuelles et à la vie privée qui sont portées par ces techniques de renseignement. C’est pourquoi nous demandons la suppression de cet alinéa : il ne nous semble pas indispensable aujourd’hui de conférer à des actions et des procédures qui existent d’ores et déjà une égalité supplémentaire. Certes, il faut prévenir les mouvements politiques qui tendraient à porter atteinte à la forme républicaine des institutions…
Sourires.
…notamment les putschistes, comme disent certains.
Néanmoins, l’expression « des violences collectives de nature à porter atteinte à la sécurité nationale » me semble beaucoup trop large et imprécise. À vrai dire, j’ai du mal à en comprendre le sens et je souhaite obtenir une explication sur ce que cela recouvre ou pourrait éventuellement recouvrir.
La parole est à M. Pascal Cherki, pour soutenir l’amendement identique, no 371 .
Même motivation : je n’ai rien à ajouter à l’excellente présentation de ma collègue Aurélie Filippetti.
Je peine à comprendre le fondement de ces amendements. En tous cas, la commission des lois a estimé qu’il était normal que les services préviennent les atteintes à la forme républicaine des institutions, la reconstitution ou le maintien de groupes dissous, les violences collectives quand elles sont de nature à porter atteinte à la sécurité nationale. Cette disposition me paraît suffisamment explicite : je crois que c’est la vocation même de nos services d’éviter ce genre d’événements. La supprimer me paraîtrait absolument déraisonnable.
Je partage absolument l’avis du rapporteur sur ce point. Certaines formes de radicalité violente sapent les fondements de la République et ses valeurs : face à elles, nous devons prendre des mesures de prévention. J’interroge Mme Filippetti sur le point de savoir si ce que nous pourrions faire grâce à cette loi est convenable ou pas. Lorsque l’on sait que des groupes risquent de se rendre à la sortie de lieux de culte pour se livrer à des violences xénophobes, racistes, ou antisémites, faut-il prévenir ou laisser faire, pour pouvoir ensuite judiciariser le processus et faire intervenir le juge judiciaire ?
Lorsque des violences extrêmement graves risquent de se produire à l’occasion de manifestations à caractère sportif…
…je pense à des groupes de hooligans extrêmement violents, doit-on mobiliser des moyens de police administrative pour empêcher la commission de ces actes violents ou laisser faire pour être sûr qu’après le juge judiciaire interviendra ?
Pour ma part, je juge souhaitable de protéger les Français d’actes d’extrême violence susceptibles d’être commis par des groupes connus pour leur propension à les commettre, plutôt que de les laisser se produire en confiant ensuite aux forces de l’ordre et au juge judiciaire le soin de faire passer le droit.
Si l’on considère désormais que, dans la République, toute mesure prise par les services en vue d’empêcher la commission d’actes extrêmement violents et graves est une remise en cause des libertés publiques, c’est tout le dispositif de prévention des risques de la police administrative qu’il faut revoir. Si c’est la démarche qui inspire cet amendement, il faut le dire.
Je le répète, les organisations syndicales et les mouvements sociaux qui revendiquent et manifestent ne sont bien entendu pas concernés par cette disposition. J’ai d’ailleurs accepté un amendement précisant les choses en commission des lois pour qu’il n’y ait pas la moindre ambiguïté sur ce point. D’ailleurs, si nous devions à ce titre, avec cette motivation, procéder à l’empêchement ou à la surveillance de représentants de mouvements sociaux, la commission nationale serait tout à fait fondée à ne pas donner un avis positif, et serait même fondée à saisir le contrôle juridictionnel pour non-conformité des décisions prises par l’administration à l’esprit et au texte de la loi.
Je comprends qu’une grande confiance n’exclue jamais une petite méfiance, mais un peu de bonne foi peut permettre de mettre tout le monde d’accord.
Le groupe socialiste ne peut pas être favorable à ces amendements puisqu’ils tendent à supprimer l’alinéa 13, fruit du travail collectif de ceux qui ont participé au sein du groupe socialiste à la réflexion sur cette question.
Si nous avons proposé de supprimer la notion de menaces contre la paix publique et d’y substituer les atteintes à la forme républicaine des institutions et les atteintes à la sécurité nationale, c’est précisément non pas pour modifier l’intention du Gouvernement sur cette question mais pour éviter toute mauvaise interprétation, notamment pour les entraves au mouvement social ou aux activités politiques.
Le ministre de l’intérieur a bien précisé les cas dans lesquels il y aurait atteinte à la forme républicaine des institutions ou atteinte à la sécurité nationale, qui sont des notions juridiques précises. Je pense que cette rédaction issue du travail de la commission des lois, sur proposition du groupe socialiste, fait disparaître les inquiétudes qu’il pouvait légitimement y avoir, même si l’intention de ceux qui avaient rédigé le texte n’était pas en cause.
M. Cherki voulait casser la DGSE. Moi, je risque de passer pour un affreux gauchiste mais cette formulation me pose tout de même un problème.
Les violences collectives de nature à porter atteinte à la sécurité nationale, madame, monsieur les ministres, nous en avons eu plein dans notre histoire récente. Mai 1968, c’étaient des violences collectives de nature à porter atteinte à la sécurité nationale. Les grandes grèves de 1995, que j’ai vécues, étaient de nature à porter atteinte à la sécurité nationale au bout d’un certain temps.
Sérieusement, je ne remets pas du tout en cause l’honnêteté politique et intellectuelle de l’actuel gouvernement, mais que se passera-t-il si ce texte tombe un jour dans de mauvaises mains ? Une manifestation qui dégénère, un grand mouvement de manifestation qui dure plusieurs jours, plusieurs semaines, portent atteinte à la sécurité nationale. Les zadistes, comme vos chers amis de Notre-Dame-des-Landes, agitateurs professionnels, bloquent totalement des programmes et cela se termine parfois par un mort, hélas. Que fait-on ? Il aurait fallu mettre fin au mouvement, vous ne l’avez pas fait, mais aura-t-on ou non le droit de les espionner ?
On touche tout de même à l’exercice des libertés d’expression. Une manifestation peut toujours dégénérer, peut durer plusieurs jours, voire plusieurs semaines, et créer parfois des situations insurrectionnelles, mais on est dans le domaine de la politique. Il y a un ou deux ans, rappelez-vous, le Premier ministre a parlé du 6 février 1934 à propos d’une grande manifestation. Nous avions d’ailleurs eu un échange assez viril quand je lui ai dit que nous n’étions pas le 6 février 1934. Avec son interprétation et ce texte, on pourrait espionner tous ceux qui organisent la manifestation.
Sans vouloir apparaître, je le répète, pour un affreux gauchiste, cette rédaction est tout de même un peu problématique pour le républicain que je suis.
Je ne comprends pas ce que vous voulez dire lorsque vous parlez de la prévention des atteintes à la forme républicaine des institutions. Vous avez parlé d’antisémitisme par exemple, ce qui est très légitime, mais, avec une telle terminologie, on peut aller très loin. La Manif pour tous portait-elle atteinte à la forme républicaine des institutions ? C’est un vrai problème.
Certains ont pu le dire dans cet hémicycle même, y compris d’ailleurs à l’époque le Gouvernement, et cela a justifié ce que vous connaissez.
Le reste comme les violences collectives de nature à porter atteinte à la sécurité nationale, à la limite je comprends mieux, mais la forme républicaine des institutions… Je suppose tout de même que vous n’avez pas mis ce petit morceau de phrase uniquement parce qu’il y a un péril monarchiste en France.
Si vous vouliez bien me dire ce que vous entendez par forme républicaine des institutions, cela m’aiderait à comprendre parce que, jusqu’à présent, je ne comprends pas.
Je remercie d’abord M. Lellouche de nous avoir donné un aperçu, de l’autre côté de l’hémicycle, de l’utilisation qui pourrait être faite de cette disposition si elle tombait entre d’autres mains. On peut penser effectivement aux grandes grèves de 1995 mais, plus près de nous, à la frontière avec l’Italie, il y a la mobilisation contre la ligne du Lyon-Turin,…
…qui, dans le Val de Suse italien, suscite une vaste mobilisation de l’ensemble des citoyens de cette petite vallée, qui ne sont ni d’affreux gauchistes ni d’affreux monarchistes. Un écrivain, Erri de Luca, qui s’est fait leur porte-parole, est poursuivi par la justice italienne et passible de cinq ans de prison pour incitation au sabotage et à des actes de violence à l’encontre du chantier et des entreprises travaillant sur ce chantier.
On voit donc bien que cette définition des violences collectives de nature à porter atteinte à la sécurité nationale est, pas si loin de nous, ni dans le temps, ni géographiquement, sujette à des interprétations extrêmement périlleuses. Le flou, son champ trop large ne laissent donc pas de m’inquiéter.
La parole est à M. Jean-Jacques Candelier, pour soutenir l’amendement no 143 .
Dans la même ligne que notre précédent amendement, nous souhaitons supprimer, parmi les missions assurées par les services de renseignement, la prévention des atteintes à la forme républicaine des institutions et des violences collectives de nature à porter atteinte à la sécurité nationale.
Cette rédaction adoptée par la commission des lois se substitue à celle du projet initial qui parlait de la prévention des violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique, formulation encore plus large. Pour autant, cette nouvelle formulation n’est pas de nature à dissiper nos craintes s’agissant de l’extension de la mise en oeuvre des techniques de recueil de renseignement. Comme l’ont dit certains de mes collègues, elle demeure floue et extensive et porte donc en germe des risques d’abus.
Afin d’éviter un usage très élargi des moyens de renseignement, qui pourrait entraîner des dérives, nous vous proposons de définir plus strictement les domaines d’intervention des services de renseignement en les limitant aux seuls domaines visés dans la loi de juillet 1991. C’est la raison pour laquelle nous souhaitons que le 5° de l’article L. 811-3 vise uniquement la prévention de la reconstitution ou d’actions tendant au maintien de mouvements dissous en application de l’article L. 212-1, conformément à la loi du 10 juillet 1991.
Dans la liste, ce qui pose le plus de problèmes nous sommes plusieurs à le souligner, c’est la prévention des atteintes à la forme républicaine des institutions, des violences collectives de nature à porter atteinte à la sécurité nationale ou de la reconstitution ou d’actions tendant au maintien de groupements dissous.
Au groupe UMP, nous avons un souci avec les violences collectives, car on pourrait s’intéresser à des participants à une manifestation susceptible d’être violente à la marge, cela a été dit.
Ce qui me pose problème à moi, ce sont les atteintes à la forme républicaine des institutions. Avec une telle finalité, on aurait pu écouter les révolutionnaires et empêcher la Révolution française, monsieur le ministre. Plus sérieusement, c’est très vague. Si le but est de viser les coups d’État, cette expression est inadaptée. Je précise qu’elle n’était pas dans le texte initial.
La parole est à M. Sergio Coronado, pour soutenir l’amendement no 168 .
M. Tardy a tout à fait raison, c’est un apport de la commission des lois sous l’impulsion de M. Popelin. Je me demandais en écoutant les interventions si, en Espagne, des services de renseignement pourraient agir pour prévenir des atteintes à la forme monarchique des institutions.
Plus sérieusement, je crois qu’on peut, de manière non violente, pacifique, et ce n’est pas un hasard si M. Molac est le premier signataire de cet amendement, contester les formes républicaines de l’organisation de notre pays. Cela me paraît être le cas de certains mouvements anarchistes, de certains mouvements monarchistes d’ailleurs, qui ne le font pas en violation de la loi. Cela me paraît être le cas aussi parfois de certains mouvements régionalistes, qui contestent la forme républicaine et son aboutissement suprême qui est la République jacobine que nous connaissons. Ils ne le font pas en violation de la loi.
La rédaction de la commission des lois laisse entendre qu’on pourrait surveiller des mouvements politiques non violents, ce qui dépasse la surveillance des mouvements dissous, à laquelle on fait référence dans le texte. Je ne souhaite donc pas que cette rédaction, proposée en commission par M. Popelin, soit maintenue dans l’hémicycle.
Défavorable, et je voudrais essayer de vous rassurer et de témoigner de la bonne foi du Gouvernement.
D’abord, je comprends parfaitement votre souhait, exprimé sur tous les bancs, de garantir que ce ne soit pas un dispositif excessif ou dérogatoire par rapport à ceux qui ont été mis en oeuvre jusqu’à présent. Cette préoccupation, nous la partageons totalement.
Cela dit, nous ne partons pas de rien. L’article 410-1 du code pénal définit déjà les atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation et là, il ne s’agit pas simplement de prévenir, il s’agit parfois de sanctionner, et durement : « Les intérêts fondamentaux de la nation s’entendent au sens du présent titre de son indépendance, de l’intégrité de son territoire, de sa sécurité, de la forme républicaine de ses institutions ». On peut considérer que cette rédaction n’est pas satisfaisante mais elle existe d’ores et déjà.
Cette rédaction a d’ailleurs inspiré la CNCIS dans l’interprétation qu’elle a faite de cette notion dans le cadre du dispositif de 1991. Dans l’un de ses rapports, elle écrit : « Dès l’entrée en vigueur du nouveau code pénal en 1994, la CNCIS a estimé que la notion de sécurité nationale devait être définie par référence à ces dispositions pénales (article 410-1 du code pénal) portant sur les intérêts fondamentaux de la nation en intégrant les notions d’intégrité du territoire, de forme républicaine des institutions ou des moyens de la défense. »
Je le dis pour les parlementaires qui posent une question légitime : nous ne partons pas de rien. Il existe dans les textes en vigueur, notamment dans le code pénal, une définition de la notion sur laquelle la CNCIS s’est appuyée pour déterminer son propre positionnement. Puisque ce texte est en vigueur depuis vingt ans, je propose que nous continuions à nous appuyer sur cette définition, pour donner toutes les garanties aux citoyens et, dans un premier temps, au Parlement, sur la bonne foi présidant à notre démarche. Il ne s’agit pas de changer un périmètre, ni de mettre en place des dispositions plus contraignantes ou moins désireuses de protéger les libertés publiques, mais de s’en tenir à ce qui existe déjà et qui fonctionne.
Il me semble que la République n’a pas à s’excuser de surveiller et de contrôler celles et ceux qui veulent lui porter atteinte. C’est un truisme, mais je ne vois rien de choquant dans l’énoncé de cette finalité qui consiste à dire que la police de la République et les services spécialisés de renseignement d’un gouvernement républicain sont parfaitement fondés à s’interroger sur les activités et les visées parfois subversives d’individus qui souhaitent porter atteinte à la forme républicaine de nos institutions.
Cela me paraît respectable et normal.
Ce qui sera important, ce sera moins l’énoncé de ces finalités générales que la manière dont nous allons dans les alinéas et les articles suivants définir les modalités concrètes et individuelles de contrôle des services sur les décisions individuelles de recueil de renseignements au service de ces finalités. Pour le dire autrement, le débat sur la rédaction, que nous avons eu longuement en commission et que nous poursuivons ce soir, est évidemment très important et très respectable ; mais plus encore que la définition de ces finalités, c’est la définition du contrôle de leur application qui sera importante dans l’équilibre de ce texte.
Si l’argument présenté par M. Larrivé est le bon, je suis totalement contre. Ce qu’a dit le ministre m’intéresse beaucoup, dans la mesure où il fait référence au livre IV du code pénal, que l’on avait oublié et que j’ai rappelé l’autre jour à l’Assemblée nationale. Madame Taubira, faites appliquer le livre IV du code pénal et tous les problèmes que pose le terrorisme se verront résolus sur le plan judiciaire ! Je souhaite que l’on maintienne cette référence au code pénal, qui prouve que, de temps en temps, le judiciaire a quelque intérêt dans le domaine du renseignement.
Vous ne l’avez jamais appliqué ! Pour le moment, les procureurs n’ont jamais fait appel à ces cinquante pages du livre IV sur les intérêts généraux de la nation ou encore la forme républicaine.
Les juges ne sont pas démunis pour sanctionner les actes terroristes !
Les actes terroristes sont punis de cinq à huit ans d’emprisonnement, alors que dans le livre IV du code pénal, la peine est de vingt-cinq ans de réclusion. Ce n’est pas tout à fait la même chose !
Sourires
mais j’aimerais revenir au débat, car je suis étonnée que l’on s’étonne que la forme républicaine des institutions puisse figurer dans l’un des items. Dois-je rappeler qu’un article de la Constitution, et non des moindres, prohibe une révision constitutionnelle qui porterait atteinte à la forme républicaine des institutions ? Il est donc parfaitement normal de reprendre cette formule. Si le constituant de 1958 l’a prévue, c’est qu’il avait en tête autre chose que la reconstitution de la monarchie.
Je vais vous répondre, monsieur Goasguen : 1958, c’est dix-huit ans après 1940. L’atteinte à la forme républicaine des institutions s’appelle aussi, dans notre pays, la tradition pétainiste.
Dans notre pays, un certain nombre de groupes ou d’associations sont désireux de voir revenir ce type de régime. Par conséquent, il est parfaitement légitime et fondé de vérifier que nous pourrons précisément savoir ce qu’il en est, lorsqu’il y aura un risque que la forme républicaine des institutions – on ne sait jamais ce qui peut se produire dans l’avenir – puisse être mise en cause. Je ne voudrais pas qu’il y ait une confusion autour de ce concept. Ce n’est pas la République contre la monarchie ; c’est la République contre ceux qui défendent des principes qui porteraient atteinte à son identité même.
C’est une belle et bonne discussion que celle qui a été lancée par notre collègue Larrivé et par vous, madame Bechtel, sur le droit de la République à se défendre et, partant, à espionner ses adversaires. Cela nous renvoie à une période qui n’a pas été très facile sous la Révolution, celle des comités de salut public et de Fouché à Lyon. Si l’on pousse loin le droit de se défendre – et Dieu sait qu’ils l’avaient poussé loin à l’époque ! –, il n’y a pas de liberté pour les ennemis de la liberté. On a déjà cité ce mot cet après-midi. Mais il faut faire attention ! Évidemment, la République a le droit de se défendre, mais, parce que nous sommes républicains, nous voulons aussi appliquer le droit et éviter de faire n’importe quoi avec les pouvoirs de la République.
Puisque vous aimez citer la Constitution, madame Bechtel, un autre article, l’article 16, prévoit que, lorsque la République est menacée, le Président peut obtenir des pouvoirs exceptionnels. Mais cela se fait, une fois de plus, sous le contrôle des parlementaires et du Conseil constitutionnel, ces pouvoirs étant limités dans le temps. Or, le caractère extensif de la définition dans l’article 1er de ce projet de loi tend à dire que, en matière de renseignement, l’article 16 de la Constitution vaut tout le temps, dès lors qu’il peut y avoir un risque pour la République. Je suis républicain et attaché aux formes républicaines, mais je pense que vous poussez le bouchon un peu loin. Si ce texte tombait un jour entre de mauvaises mains, vous pourriez en devenir vous-mêmes les victimes. Il me semble que ce n’est pas la meilleure rédaction qui est proposée ici, même si j’en saisis l’objectif.
Je m’étonne qu’un amendement de ce type puisse être déposé en 2015. On s’accorde sur l’idée des « violences collectives » et de la « sécurité nationale », mais pas sur l’« atteinte à la forme républicaine des institutions » qui sortirait de nulle part !
Ce sont les Corses, les Bretons, les Alsaciens, les Guyanais, les Martiniquais !
Ce n’est pas le maréchal Pétain ! Le dernier alinéa de l’article 89 de la Constitution qui dispose que la forme républicaine du Gouvernement ne peut faire l’objet d’une révision n’est pas né de la Ve République. Il apparaît dans la constitution de la IVe République, dans celle de la IIIe République et dans nos textes fondateurs depuis 1884. Avant d’avoir recours, comme il vient de nous l’être suggéré, à l’article 16 de la Constitution, il est possible d’utiliser des techniques de renseignement qui nous prémuniraient contre le fait que la forme républicaine du Gouvernement soit menacée dans notre pays. Ce serait une simple application des principes qui sont dans notre Constitution.
Cet amendement vise à revenir à l’état initial du texte. En commission, les mots « prévention des violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique » ont été transformés en « prévention des violences collectives de nature à porter atteinte à la sécurité nationale ». J’ai bien entendu ce que disait le ministre de l’intérieur tout à l’heure pour rassurer les parlementaires qui s’interrogeaient sur la nature des manifestations concernées. Cela a causé un certain émoi chez les organisateurs potentiels de manifestations. Ils pouvaient en effet se demander si elles entraient ou non dans un tel champ et si l’expression ne risquait pas d’imposer son caractère restrictif dans le cadre de conflits sociaux. Il serait bon que le ministre de l’intérieur rassure de nouveau les parlementaires au sujet de l’interprétation qui pourrait être faite de cet article. Même si la commission a sensiblement modifié sa rédaction, il apparaît en l’état comme un frein à des manifestations qui se dérouleraient sans violence – comme nous devons le souhaiter sur tous les bancs.
La parole est à M. Gérald Darmanin, pour soutenir l’amendement no 264 .
Pour reprendre les propos de mon collègue Vigier, j’aimerais également entendre des précisions de la bouche du ministre. Dans l’exposé sommaire des motifs d’un amendement identique, M. Cherki demande ce qu’est une violence collective et remarque que cette formule n’est pas très bien définissable. Ce serait donc l’occasion de définir, monsieur le ministre, ce que le Gouvernement entend par là, afin de préciser son action.
Défavorable. La rédaction actuelle est l’aboutissement d’un long travail en commission, où nous avons eu exactement les mêmes échanges, mais la règle du genre veut que l’on reprenne les mêmes propos… À l’origine, c’est l’expression « paix publique » qui avait été retenue. Tout le monde s’est accordé sur la notion de « violences collectives ». L’idée de « paix publique », comme l’a dit Claude Goasguen, est présente dans le livre IV du code pénal, mais sa définition était sans doute trop large. Sur une proposition du groupe socialiste, la notion de « sécurité nationale » lui a été préférée. Cette notion est très balisée, puisqu’elle fait l’objet de l’article L. 1111-1 du code de la défense, qui tire lui-même son origine du livre blanc de la défense nationale, lequel avait, à l’époque, accepté ce concept, qui avait par la suite eu du mal à intégrer notre vocabulaire. Il s’est depuis lors acclimaté et précisé, de sorte que nous pouvons le réutiliser utilement.
Quant aux violences collectives, ce sont des violences organisées, préméditées, qui ont capacité à se reproduire. Cette définition doit permettre aux services d’accumuler des éléments matériels liés à des chocs ou des affrontements organisés dans le but de créer le trouble. Si la définition juridique est difficile, matériellement c’est très facile à constater. Comme nous le voyons dans ses différents rapports, depuis sa création en 1991, la CNCIS a été à de multiples reprises confrontée à cette définition. Le périmètre qu’elle en a donné ne souffre plus aujourd’hui de discussion. Le cas s’est posé lorsque des membres d’interception de sécurité se trouvaient sur le territoire national à l’occasion de manifestations européennes, où de nombreux belligérants armés recherchaient, de manière organisée, l’affrontement avec les représentants des forces de l’ordre.
Pour compléter ce que vient de dire le rapporteur et répondre à la question de M. Darmanin, il faut bien que nous ayons à l’esprit que nous ne partons pas de rien. Ce sujet n’arrive pas par le biais de cette loi. Il est traité depuis de nombreuses années par l’administration, à travers des mesures de police administrative, contrôlées par la CNCIS qui donne un avis sur les mesures d’interception que nous proposons face à ces groupes dont Jean-Jacques Urvoas vient de définir les caractéristiques. La médiatisation du débat et le fait qu’il arrive au Parlement laissent à penser qu’une disposition nouvelle est introduite dans le texte, disposition qui, parce qu’elle est nouvelle, représenterait pour la liberté publique des dangers qui jusqu’à présent n’existaient pas.
Or, il ne s’agit pas d’une disposition nouvelle. En réalité, si nous débattons de ce sujet, c’est qu’il existait dans les dispositions de la loi de 1991 une disposition générique que le Gouvernement a souhaité préciser pour restreindre et définir des conditions dans lesquelles les techniques d’interception peuvent être visées. L’article du code pénal que je citais tout à l’heure est le fondement sur la base duquel nous définissons ce que sont ces groupes et les risques qui leur sont attachés.
J’ajoute que la CNCIS, dans ses multiples rapports, a contribué à conforter cette notion, à tracer le périmètre des conditions d’intervention des services et à qualifier les groupes en question.
Je pense que le président Urvoas va être satisfait. Je l’ai bien écouté : il a parlé de violences organisées et préméditées. Notre amendement propose justement de substituer au mot : « collectives », les mots : « organisées et préméditées ». Comme on est passé de la paix publique à la sécurité nationale, certains d’entre nous estiment que le champ est encore un peu trop large et en précisant ainsi les choses, on arriverait vraiment à cibler les manifestations dont on sait très bien qu’elles n’auront été organisées que pour générer de la violence de nature à provoquer une déstabilisation de la sécurité nationale.
La parole est à M. Patrice Verchère, pour soutenir l’amendement no 85 .
C’est presque le même amendement. Il vise à préciser que seules sont concernées les violences collectives préméditées, comme l’a d’ailleurs bien fait remarquer Jean-Jacques Urvoas, en excluant les violences collectives spontanées. En effet, toute manifestation, même dûment autorisée, peut dégénérer en raison de circonstances particulières et sans que cela ait été préalablement préparé. Cette précision permet d’éviter un recours abusif aux techniques de renseignement pour toutes les manifestations qui seraient susceptibles d’engendrer quelque violence. On sait qu’il y a toujours un risque que la situation dégénère à la fin d’une manifestation – on peut penser à des manifestations d’étudiants, d’agriculteurs, de bonnets rouges, mais sans qu’il y ait préméditation de cette violence.
Je pourrais être à titre personnel favorable à ces deux amendements puisqu’ils corroborent ce que je pense et ce qu’indique la jurisprudence. Mais, je le répète, je ne crois pas à la nécessité d’apporter une telle précision : elle est déjà au coeur de la définition que propose la commission. De plus, cela empêcherait peut-être l’évolution de la notion de violences collectives de nature à porter atteinte à la sécurité nationale. Le 6 mai 1934 était une violence collective, mais l’événement était-il prémédité ? Le fait est qu’il avait été conçu par des factieux. Avis défavorable.
Je regrette vivement la position du rapporteur et du Gouvernement parce qu’apporter des précisions aurait vraiment assaini ce débat sur les violences collectives. Le rapporteur a très bien dit lui-même ce qu’il en était. Il y a une grande différence entre des manifestations qui ont dégénéré dans notre histoire récente, sous tous les gouvernements d’ailleurs, et une action préméditée qui menace les institutions. Je ne vois pas en quoi, monsieur le rapporteur, monsieur le ministre, insérer le mot « préméditées » limiterait en quoi que ce soit l’étendue des compétences de nos services de renseignement. Au contraire, ils seraient ainsi canalisés vers la défense des institutions et pas au gré des gens qui sont au pouvoir, vers l’espionnage général, que ce soit des syndicats, des mouvements ou des partis politiques que l’on n’aime pas.
Je trouverais l’emploi du mot « préméditées » extrêmement rassurant au vu de notre débat de ce soir et de celui que suscite votre projet dans l’opinion publique. C’est un conseil à la fois amical et très politique que je vous donne en vous demandant de bien vouloir préciser ce que vous entendez par des violences pouvant entraîner des conséquences sur les institutions. Il faut que ces violences soient préméditées et qu’elles aient un caractère politique. C’est toute la différence entre votre alinéa et ce que nous proposons.
La parole est à Mme Isabelle Attard, pour soutenir l’amendement no 167 .
Cet amendement propose de revenir à la rédaction initiale en rétablissement le mot « gravement » qui figurait à l’alinéa 7 de l’article 1er, dans la phrase : « La prévention des violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique. » Par son imprécision, ce motif faisait certes courir le risque d’utilisation de techniques très intrusives envers des militants politiques, associatifs ou syndicaux, mais, si la nouvelle rédaction a restreint l’objet de la disposition, passant de la paix publique à la sécurité nationale, elle n’évoque plus la gravité de l’atteinte.
Au cours de l’examen de ce texte, notre groupe va souvent aborder la question des définitions, qu’il souhaite précises et détaillées parce qu’il y a beaucoup de flou, et apporter plus de précision nécessite de mener à bien un travail parlementaire, y compris en séance. Même si ces points ont déjà été étudiés en commission, vous l’avez rappelé de nombreuses fois, monsieur Urvoas, nous allons continuer à y travailler dans l’hémicycle malgré tout. Dans son dernier rapport d’activité, la CNCIS recommandait de conserver la notion de gravité et de choisir des définitions précises et restrictives.
Avis défavorable parce que soit les violences collectives portent atteinte à la sécurité nationale, soit elles ne la concernent pas, mais on ne porte pas modérément atteinte à la sécurité nationale.
L’emploi de l’adverbe « gravement » était justifié par l’écriture antérieure qui portait sur la « paix publique », notion qui comporte des degrés, à la différence de celle de « sécurité nationale ».
La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, pour donner l’avis du Gouvernement.
L’amendement no 167 est retiré.
Cet amendement propose à l’alinéa 14, après le mot « criminalité », d’ajouter les mots : « de la cybercriminalité ». En effet, comme l’illustre l’affaire récente de la cyberattaque sans précédent dont a été victime la chaîne francophone TV5 Monde, durant laquelle des djihadistes ont empêché l’antenne d’émettre pendant quelques heures et ont pris le contrôle des sites internet, la cybercriminalité est un fléau que seules les techniques les plus sophistiquées, auxquelles le présent projet de loi donne un cadre légal, peuvent combattre. L’amendement vise donc à préciser dans la loi que, parmi les finalités invoquées par les services à l’origine de la demande de recueil de renseignement par des techniques spéciales, il y a la prévention de la cybercriminalité.
Avis défavorable puisque la cybercriminalité est une forme de la criminalité.
Le préciser ici créerait le risque de multiplier les raisonnements a contrario puisque, à chaque fois que seule la criminalité serait citée, la cybercriminalité en serait exonérée. Cette précision affadirait la notion même de criminalité.
L’amendement no 162 n’est pas adopté.
La parole est à M. Philippe Vigier, pour soutenir l’amendement no 108 .
L’amendement a pour but de mieux définir à l’alinéa 14 la notion de prévention de la criminalité et de la délinquance organisées. Il précise tout d’abord le champ des motifs d’intérêt public pour lesquels peut être autorisé le recueil de renseignements par des techniques spéciales, faisant ainsi référence aux articles du code de procédure pénale qui énumère les crimes et délits concernés, d’autre part, il limite le champ d’application aux crimes et délits punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement. Cela permettrait d’exclure du dispositif l’acquisition, la cession ou la détention d’une ou de plusieurs armes de première ou de quatrième catégorie, le délit de marchandage ou encore le fait de procéder à une opération de prêt illicite de main-d’oeuvre.
L’avis est défavorable car l’amendement propose une écriture réductrice de cet alinéa. Plusieurs rapports, quelle que soit la commission dont ils émanent, ont bien montré que c’est la criminalité transfrontalière qui est visée. Restreindre le champ d’application du dispositif priverait les services de renseignement d’une capacité d’action dont la police judiciaire a besoin pour ensuite combattre les infractions.
Même avis, pour les mêmes raisons. Je précise que la CNCIS a fondé ses avis en se référant à l’article 706-73 du code procédure pénale. J’entends la préoccupation des auteurs de l’amendement concernant les délits punis de moins de cinq ans d’emprisonnement, mais ceux-ci ne tomberont pas sous le coup de cette disposition, la pratique de la CNCIS l’a bien montré. Votre inquiétude n’a donc pas lieu d’être, monsieur le député.
Je trouve tout de même cet article assez étonnant car il est général à un point incroyable. L’alinéa 14, en mentionnant « la prévention de la criminalité et de la délinquance organisées », recouvre tous les alinéas précédents car qu’est-ce qui ne relève pas de la criminalité ou de la délinquance organisées ? N’est-ce pas le cas des atteintes à l’indépendance nationale, aux intérêts majeurs de la politique étrangère, aux intérêts économiques majeurs ou encore du terrorisme ?
Seconde remarque : nous sommes en plein domaine de la police judiciaire. Je note d’ailleurs qu’un des amendements qui va suivre y fait référence. Cela signifie-t-il que la police judiciaire ne pourra plus faire de prévention de la criminalité et de la délinquance organisées ? Je prends un exemple : les indics, une pratique policière classique, ne relèvent pas de la répression mais de la prévention de la criminalité et de la délinquance organisées. Pourront-ils continuer à être utilisés dans le cadre de la police judiciaire ? Je pense aussi aux poses des balises, un acte important de la police judiciaire : elles sont pour le moment sous le contrôle judiciaire – ce que la police conteste souvent. Trouvez-vous, madame la garde des sceaux, que la magistrature n’a pas à s’y intéresser pour faire de la prévention ? Excluez-vous vraiment toute idée de prévention dans les activités de la PJ ? Mais vous savez bien que c’est impossible ! On ne peut pas lutter contre la criminalité et la délinquance organisées sans disposer d’instruments de prévention au sein de la PJ ! Vous ne pouvez pas placer cette activité sous l’autorité administrative ni la limiter aux services de renseignement. Je vous pose la question, madame la ministre, monsieur le rapporteur : que faites-vous des indics ?
Je comprends le trouble que provoque la rédaction de cet alinéa et les interventions de nos collègues Philippe Vigier et Claude Goasguen. Je note que le Gouvernement a dit que l’objet de cette loi est de ne pas modifier la pratique existante, c’est-à-dire de ne pas utiliser le dispositif pour des infractions passibles de moins de cinq ans. On nous a dit tout à l’heure qu’il fallait une liste précise des intérêts publics justifiant l’application du dispositif, mais l’alinéa balaie beaucoup plus large avec la formule : « prévention de la criminalité ». La délinquance organisée est déjà une notion plus retreinte, alors que la criminalité ouvre un champ très large. Je pense que cet alinéa pose un problème de rédaction : si on considère que les méthodes de renseignement visées dans le projet de loi – méthodes, disons-le clairement, qui relèvent de la police administrative – doivent être utilisées dans un but très précis et limité, notamment la lutte contre le terrorisme, la mention de la prévention de la criminalité faisant fonction de voiture-balai pose problème. Il y a contradiction avec les objectifs de la loi précédemment définis.
Encore une fois, la rédaction est la même que dans le texte de loi de 1991.
D’abord, j’appelle votre attention sur le fait qu’il s’agit de la criminalité et de la délinquance organisées, avec un « s » : les deux sont concernées.
Ensuite, qu’est-ce qui, dans le champ concerné, pourrait ne pas relever des items précédents ? Eh bien, par exemple, la contrefaçon en matière de médicaments.
Parce qu’il y a déjà eu des cas où les services de renseignement ont été amenés à travailler sur de telles questions.
Et il est logique que nous les incluions dans la catégorie de la criminalité organisée : il ne s’agit ni d’intégrité du territoire ni de prolifération nucléaire.
Bien évidemment, il existe des outils utilisés par la police judiciaire qui le sont également par la police administrative, de même qu’il arrive que la police judiciaire utilise des services qui relèvent de la police administrative.
Ainsi, 52 % des écoutes administratives sont effectuées par la direction centrale de la police judiciaire : cela ne fait pas pour autant de celle-ci un service de renseignement !
C’est pourquoi il ne faut pas restreindre cet item. Il existe une jurisprudence de la CNCIS qui nous permet de l’adapter en fonction des infractions que nous essayons de prévenir.
Je veux répondre aux observations de M. Goasguen.
Ce sont des procédures administratives, parce qu’il s’agit de prévention. Le ministre de l’intérieur le soulignait tout à l’heure : nous essayons de faire du repérage, de la détection.
Dans le domaine judiciaire, les procédures sont encadrées par le code de procédure pénale. Nous les avons sécurisées par la loi relative à la géolocalisation. Mais ces techniques concernent les enquêtes judiciaires : elles sont mises en oeuvre pour élucider des affaires en cours.
Mais, même dans le cadre de la prévention, il existe une procédure judiciaire, monsieur Goasguen, vous le savez bien ! Si nous avons fait cette loi, c’est précisément en raison de deux arrêts de la Cour de cassation et parce que nous avions été alertés par une décision de la Cour européenne des droits de l’homme : même si cette dernière concernait, non pas la France, mais l’Allemagne, ses motifs pouvaient nous regarder. C’est pourquoi que nous avons préparé le texte sur la géolocalisation.
J’entends, monsieur Goasguen, votre préoccupation quant au judiciaire.
Celle-ci est sous l’autorité du procureur.
C’est dans le code de procédure pénale : la police judiciaire ne travaille pas toute seule ; elle est placée sous l’autorité, la direction et la responsabilité du parquet. Il s’agit de deux cadres bien différents.
Je ne veux pas prolonger le débat, mais vous savez bien qu’en police judiciaire, quand on « chope » un élément, on n’est pas forcément sûr qu’il y a quelque chose derrière. C’est une affaire de flair !
Idem aux RG : ça « renifle » aussi bien en administratif qu’en judiciaire.
Depuis le début, je vous le dis : vous n’avez pas travaillé suffisamment en liaison avec le judiciaire pour rédiger ce projet de loi.
Nous aurons l’occasion de revenir sur ce sujet.
Quoi qu’il en soit, vous allez voir la différence entre la méthode des RGPJ et celle des RGservices administratifs ! Vous allez comprendre ce qu’est un conflit entre deux polices. Il existe déjà, mais vous allez l’amplifier, vous verrez !
L’amendement no 108 n’est pas adopté.
La parole est à M. Denys Robiliard, pour soutenir l’amendement no 270 .
Le rapporteur vient d’expliquer que l’alinéa 14 concernait plus particulièrement la criminalité transfrontalière et la prévention de la délinquance et de la criminalité organisées, au pluriel. Par conséquent, ce qui est visé, c’est la mafia ou des organisations de ce type, et en aucune façon les bandes organisées, notion de droit pénal qui recouvre une réalité assez différente.
Dès lors, je crois que, pour reprendre votre expression, monsieur le rapporteur, mon amendement « ne tourne plus ». On passe difficilement de la police administrative à la police judiciaire ; j’aurais plutôt dû raisonner en termes de police et de gendarmerie.
Sous réserve de la confirmation que j’ai fait une bonne lecture du texte, je retirerai l’amendement.
Je confirme votre lecture, monsieur Robiliard : conditionner une police à l’autre « ne tourne pas ». Il serait logique que l’amendement soit retiré.
L’amendement no 270 est retiré.
Puisque cela « ne tourne pas », la suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
Sourires.
Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :
Questions au Gouvernement ;
Explications de vote et vote par scrutin public sur le projet de loi relatif à la modernisation du système de santé ;
Suite du projet de loi relatif au renseignement.
La séance est levée.
La séance est levée, le mardi 14 avril 2015, à zéro heure cinquante.
La Directrice du service du compte rendu de la séance
de l’Assemblée nationale
Catherine Joly